Notes
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[1]
Gerald Bronner, Déchéance de rationalité, Grasset, Paris, 272 p., 2019, 20 euros.
Comment faire face au déferlement continu de fake news et de théories du complot ?
1« Nous vivons une période fascinante et inquiétante tout à la fois. Il faudra parmi ceux qui ont la vocation du politique espérer en trouver qui auront assez de courage pour défendre la rationalité dans le débat public. » L’auteur de ce livre, le sociologue Gérald Bronner [1] qui se bat contre les croyances irrationnelles et le fanatisme, est déçu de l’action des politiques dans ce domaine. Cela tient au fait que les propositions qu’il leur a présentées pour lutter contre la montée de l’irrationnel chez nos contemporains ont été, certes, fort bien accueillies mais n’ont guère été suivies d’effets. Or, il y a urgence. Bien sûr, il y a toujours eu des fanatiques. Et pas seulement religieux. Les « exploits » de la Bande à Baader en Allemagne en témoignent. De même, les gogos prêts à avaler toutes les balivernes ont toujours été légion.
2Cependant, l’évolution du monde contemporain accentue ces phénomènes. De plus en plus de personnes, déboussolées par les effets de la mondialisation et l’évolution des mœurs se tournent vers des gourous. D’autant que leur crédibilité est favorisée par les possibilités de notre cerveau à nous illusionner. Elles constituent ce que l’auteur appelle les « biais cognitifs ». Il en existe de plusieurs sortes. Il y a celui qui nous fait établir un lien de cause à effet là où il n’y en a pas, celui qui nous pousse à surestimer des faits spectaculaires mais fort rares, celui qui nous fait négliger la taille de l’échantillon ayant servi à établir une information…
3Un exemple de ce dernier biais cognitif : dans les années 70, un prestidigitateur, Yuri Geller, prétendait arrêter les montres au simple son de sa voix transmise par la radio. De nombreux auditeurs ont témoigné de ce pouvoir en téléphonant à la station émettrice. Le magicien a connu un grand succès médiatique. A cette époque, il fallait remonter les montres tous les dix jours. Or, chacune de ces émissions réunissait près de 200 000 auditeurs durant 30 minutes. Il aurait été extraordinaire qu’aucune montre ne se soit arrêtée durant ce laps de temps. Mais on n’a pas souvenir que quelqu’un ait signalé cette évidence !
4Les nouvelles technologies de l’information, Internet en particulier, transforment des phénomènes anciens et cantonnés à la sphère privée en leur conférant un caractère public. Les diffuseurs de fausses nouvelles - les fake news- et les dénonciateurs de soi-disant complots sont de plus en plus présents sur la toile. Ils n’y sont pas plus nombreux que ceux qui les contestent mais, à l’abri de l’anonymat, y interviennent plus souvent. On aboutit alors à ce que le philosophe Philippe Raynaud appelle « la tyrannie des minorités », un réel danger pour les démocraties. Dans le même temps, certaines « élites intellectuelles » excusent les fanatiques et les crédules. En ce sens, on a pu lire sur la toile que les actions des auteurs des attentats de Charly Hebdo et de l’Hyper Cacher s’expliquaient par « leur misère sociale ». Ces textes oublient qu’Oussama Ben Laden, le fondateur d’Al-Qaida, était milliardaire.
5Emmanuel Todd, dans le même esprit, a osé dire que la manifestation nationale du 11 janvier 2015, en réaction à l’assassinat des journalistes de Charly Hebdo, n’était que l’expression de la haine de l’islam « la religion des plus faibles ». On a pu lire aussi sur Internet que ces actes, étaient le fait des services secrets israéliens en réaction aux votes de la France à l’Onu contre la politique de Tel-Aviv.
6Le plus grave est que ce complotisme gagne des personnalités qu’on aurait pu croire plus rationnelles. C’est le cas d’un des philosophes les plus écoutés dans notre pays, Michel Onfray. Celui-ci a publié une vidéo dans laquelle il expliquait que l’élection d’Emmanuel Macron n’était que le résultat d’un « dispositif souhaité et prévu par le capital ».
7On reste pantois devant « cette déchéance de rationalité » et on comprend les inquiétudes de Gérald Bronner sur l’avenir de nos sociétés. Ce dernier, cependant, se refuse à un pessimisme purement négatif : il s’appuie sur l’action qu’il a menée auprès de jeunes islamistes radicalisés. Il a réussi, à partir d’exemples de prophéties non réalisées, à les convaincre d’interpréter de façon symbolique les passages apocalyptiques du Coran. Petite victoire mais dans le bon sens ! D’où il conclut que « tant qu’il y a de l’humain, il y a de l’espoir. »
Notes
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[1]
Gerald Bronner, Déchéance de rationalité, Grasset, Paris, 272 p., 2019, 20 euros.