Notes
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[1]
Le nombre de salarié∙es du monde associatif étant de 1,8 million de personnes, soit autant que la fonction publique territoriale ; notre cas d’étude est plutôt représentatif de ces dynamiques dans la mesure où le choix de la collectivité territoriale peut être analysé comme un choix politique de confier une part assez importante de l’accompagnement des bénéficiaires du RSA au secteur associatif (environ un tiers).
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[2]
Ces expériences sont menées particulièrement depuis le passage à une métropole de coalition de gauche et écologiste. Il s’agit d’une obligation légale depuis la loi sur le RSA de 2008 mais la collectivité ne la mettait pas en œuvre de manière régulière. La mobilisation des bénéficiaires du RSA dans ce groupe de participation, dorénavant institutionnalisé, peut être analysée comme une quête de légitimité par une métropole ayant perdu la confiance de ses partenaires associatifs notamment.
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[3]
Article L262-27 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) : « Le bénéficiaire du revenu de solidarité active a droit à un accompagnement social et professionnel adapté à ses besoins et organisé par un référent unique » ; et article L263-1 du CASF : « Le conseil départemental délibère avant le 31 mars de chaque année sur l’adoption ou l’adaptation du programme départemental d’insertion. Celui-ci définit la politique départementale d’accompagnement social et professionnel, recense les besoins d’insertion et l’offre locale d’insertion et planifie les actions d’insertion correspondantes. »
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[4]
Nous prenons le parti dans cet article d’analyser le secteur de l’insertion comme lié à la distribution du RSA. Traditionnellement, on appelle « compétence insertion » la capacité des départements à verser le RSA et à en accompagner ses bénéficiaires.
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[5]
Loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM).
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[6]
Protection maternelle infantile (PMI), RSA, Aide sociale à l’enfance (ASE), personnes handicapées (Maison départementale des personnes handicapées), allocation personnalisée d’autonomie (APA) et EHPAD.
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[7]
Il s’agit de professions majoritairement féminisées : conseillère en économie sociale et familiale, conseillère en insertion professionnelle, assistante sociale.
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[8]
https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/communique-de-presse/en-juillet-le-nombre-dallocataires-du-rsa-remonte-legerement. Dans le discours des agentes de la métropole de Lyon, le travail d’orientation des personnes bénéficiaires du RSA, primo-arrivantes ou déjà passées dans le dispositif, doit permettre d’enclencher rapidement le parcours vers l’insertion professionnelle. Le vocabulaire de ces agentes pour désigner les parcours des allocataires se rapporte à celui de la mise en mouvement, du retour à l’activité. Parallèlement le champ lexical des agentes pour désigner les activités des professionnelles de l’insertion est proche de la production avec des indicateurs de suivi pour chaque allocataire, que les professionnelles gèrent dans des « portefeuilles » ou des « files actives ».
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[9]
Association nationale créée en 2012 « pour affirmer notre pouvoir d’agir et contribuer à un monde plus juste et plus doux », elle expérimente des actions politiques fondées sur une recherche de solutions se voulant à l’écoute des problématiques réelles des personnes sans voix.
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[10]
Ce collectif étant à des périodes différentes régulièrement consulté par les agentes du département, les responsables de structures qui sont investies dans celui-ci sont identifiées par la collectivité. Elles adoptent de fait des positions moins radicales que lors des réunions du collectif, par peur des « sanctions ».
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[11]
Extrait d’une convention de subvention annuelle unissant une association et la métropole de Lyon.
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[12]
Le terme est ici employé par l’enquêtée dans un sens générique mais pas juridique : la forme de contractualisation entre les associations et la Métropole est bien la convention, pas la DSP.
-
[13]
Entretien avec une responsable d’association, 28 avril 2021.
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[14]
Entretien avec une responsable d’association, 19 avril 2021.
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[15]
Dispositif financé par l’Union européenne dans le cadre du Fonds social européen (FSE), qui s’adresse aux personnes éloignées de l’emploi et met en place un accompagnement renforcé pour lequel la personne doit impérativement donner son accord.
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[16]
Entretien avec une responsable associative, 27 mai 2021. Le caractère probable mais non affirmé de cette critique, qu’on relève avec la triple mention du mot « peut-être », est à analyser sous l’angle de la vigilance de l’enquêtée, entretenue au début de la phase de terrain.
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[17]
Au-delà d’un changement de nom du dispositif des PLIE, les modalités appelées « renforcées » d’accompagnement des personnes éloignées de l’emploi dans le cadre des PLIE sont restées inchangées. C’est davantage sur la gouvernance institutionnelle publique que des changements ont été introduits avec une reprise en main par la Métropole des trois anciens PLIE, auparavant indépendants et aux mains des élu·es locaux.
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[18]
Conseil général du Rhône alors présidé par Michel Mercier, élu local de centre droit, depuis 1990.
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[19]
Entretien avec une responsable associative, 19 mai 2022.
-
[20]
Entretien avec une des créatrices du collectif Rhône Insertion, 25 avril 2023.
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[21]
Archives privées du réseau Rhône Insertion, fin des années 1980.
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[22]
On peut citer à titre d’exemple une structure associative œuvrant historiquement, et identifiée dans l’action sociale comme telle, pour l’insertion des femmes par la culture. Elle accompagne des publics éloignés de l’emploi par l’accès à la confiance en soi en mettant en place des ateliers chant ou théâtre.
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[23]
De manière générale, le travail social regroupe des métiers particulièrement féminisés (voir Bayer, 2023).
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[24]
Entretien avec une responsable associative 1, 27 avril 2021.
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[25]
Ouverture d’un droit similaire au RSA pour les 18-25 ans par la métropole de Lyon.
-
[26]
Il n’est alors pas rare d’entendre dans des échanges informels avec les membres du bureau du collectif des noms de sociologues cités pour appuyer les propos ou des critiques formulées par le monde académique et reprises par ces membres, qui se disent pour la plupart sensibles aux théories des sciences sociales.
-
[27]
Entre juillet 2022 et janvier 2023.
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[28]
Directrice d’une structure moyenne très implantée territorialement et présidente du réseau, cette assistante sociale de formation a repris un master en sociologie après une vingtaine d’années d’exercice.
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[29]
Un séminaire organisé avec l’Observatoire des non-recours aux droits et services (ODENORE), ou encore avec Jean-Louis Laville.
-
[30]
Entretien avec une responsable associative, 19 mai 2022.
-
[31]
Ibid.
-
[32]
Entretien avec une responsable associative 2, 27 avril 2021.
-
[33]
Entretien avec une responsable associative, 27 mai 2021.
-
[34]
Entretien avec une responsable associative, 28 avril 2021.
-
[35]
Entretien avec une conseillère en insertion professionnelle, 24 mars 2021. La structure qui embauche cette salariée est une association loi 1901 qui lutte contre le mal-logement. Elle se compose de diverses entités régionales et d’une fédération nationale reconnue d’utilité publique les regroupant. Créé à Lyon en 1985, ce mouvement est inspiré du catholicisme social. Son activité s’organise en trois secteurs : le logement accompagné, le médico-social et l’hébergement d’urgence et l’accueil de réfugié·es.
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[36]
Entretien avec une responsable associative, 27 avril 2021. Le lien avec la Région s’est effacé dans le cas de cette association, aussi organisme de formation, après la diminution drastique des financements en matière de formation professionnelle.
-
[37]
Entretien avec une cadre territoriale du Grand Lyon, 27 mai 2021.
-
[38]
Entretien avec une cadre territoriale du Grand Lyon, 11 mai 2021.
-
[39]
Il s’agit d’instances dans lesquelles les dossiers de primo-accédant∙es au RSA se voient attribuer un·e référent·e de parcours, c’est-à-dire un conseiller ou une conseillère qui va les accompagner dans leurs démarches d’insertion. Historiquement, ces instances associaient sur les territoires la cadre et la secrétaire du Grand Lyon, un·e responsable de Pôle Emploi et les opérateurs et opératrices qui souhaitaient venir.
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[40]
Entretien avec un conseiller en insertion professionnelle, 13 avril 2021.
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[41]
Entretien avec une responsable associative, 27 avril 2021. L’appel à projets dont il est fait mention dans cet extrait a en effet été accordé à une structure, sur les neuf qui ont été sélectionnées, dont l’implantation locale n’était pas habituelle sur le territoire lyonnais. Il s’agit d’un montage financier entre deux importantes structures franciliennes spécialisées dans la recherche d’emploi et dans le secteur de l’insertion par l’activité économique. Il faut relativiser le fait qu’il ne s’agit que d’un des neuf dispositifs retenus par la Métropole.
-
[42]
Ibid.
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[43]
Entretien avec une responsable associative, 19 mai 2022.
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[44]
ATD Quart Monde, le Secours catholique et Aequitaz (l’association rédactrice du rapport « Sans contreparties, pour un revenu minimum garanti », octobre 2020). Associations qui ne reçoivent pas de financements pour l’accompagnement des bénéficiaires du RSA.
-
[45]
Échanges informels avec des cadres du Grand Lyon, décembre 2022.
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[46]
Loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion.
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[47]
Communiqué de presse « Trois collectivités de gauche et écologistes expliquent pourquoi elles expérimenteront l’accompagnement rénové des allocataires du RSA. Opposés au RSA sous condition, nous défendons le droit à un meilleur accompagnement », 24 avril 2023, conseils départementaux de Loire-Atlantique et d’Ille-et-Vilaine, et métropole de Lyon.
1 La participation des associations aux politiques sociales est un enjeu bien connu des sciences humaines, qu’il s’agisse de leurs contributions historiques aux connaissances sur la pauvreté (Brodiez-Dolino, 2014) ou des évolutions des conditions de travail et d’engagement de leurs salarié∙es (Cottin-Marx, 2021). De manière complémentaire, les processus de politisation des bénévoles et des employé·es de ces structures permettent de comprendre comment les engagements de ces acteurs individuels au nom de valeurs civiques transforment leur rapport aux institutions (Hamidi, 2017). À la croisée de deux positionnements scientifiques s’inscrivant dans la lignée des auteurs et autrices précédemment cités, cet article aborde les positions des associations dans leur dimension partenariale avec les pouvoirs publics. D’un côté, nous mobilisons les travaux de la sociologie des associations (Hély, 2009) pour affirmer leur rôle primordial dans l’action publique locale [1], l’intérêt croissant de l’État pour le secteur associatif se traduisant (Cottin-Marx et al., 2017) par sa relative subordination aux instruments d’un pilotage à distance centralisé (Epstein, 2005). De l’autre côté, en décalant un peu la focale avec l’analyse d’un collectif local formé par les associations, nous nous intéresserons aux ressources mobilisables par ces acteurs et aux stratégies qu’ils tentent de mettre en œuvre afin d’être associés à la décision publique territoriale.
2 Le contrôle du secteur associatif passe par un arsenal public d’outils et d’instruments, mais l’analyse de leurs stratégies réflexives en matière de positionnement politique vis-à-vis de la collectivité permet de nuancer, au moins temporairement, un ordre hiérarchique stabilisé. En suivant ainsi une perspective de néo-institutionnalisme sociologique, les associations de la protection sociale sont envisagées comme un groupe à la culture et aux valeurs partagées permettant leur participation commune à l’action publique (Hassenteufel, 2021). Cela conduit à adopter la perspective que Sébastien Ségas (2020) résume en ces termes, envisageant « les “institutions” [non] pas comme un bloc monolithique animé par une volonté unique mais comme un espace confiné traversé par des tensions entre des groupes d’acteurs porteurs de représentations de la réalité différentes » (p. 59). Selon Francesca Petrella et Nadine Richez-Battesti (2012), deux registres de tensions – liés – expliqueraient la diversité des configurations locales entre institutions et associations : une tension entre normalisation des associations et coproduction de l’action publique, et une seconde tension entre intégration verticale (les associations deviennent de plus en plus grosses et peuvent ainsi « peser » davantage auprès des pouvoirs publics) et médiation entre toutes les parties prenantes du territoire (la volonté des institutions mais aussi des fédérations de favoriser un dialogue territorial le plus large possible, en ne tenant pas seulement compte des structures les plus importantes).
3 Il reste enfin un angle indispensable à l’analyse théorique de l’enquête menée à Lyon : les travaux des sociologues et politistes sur les politiques sociales et notamment à l’échelon local. En rappelant que la moitié des dépenses publiques en France concerne un secteur des politiques sociales, l’intérêt de saisir les phénomènes de pouvoir et d’institutions, mais aussi les conséquences des outils mobilisés par les différents acteurs aux différentes échelles, est certain (Giraud, Perrier, 2022). En plus d’une nécessaire prise en compte des logiques intra-sectorielles à ces politiques sociales, la focale par le bas, c’est-à-dire par la mise en œuvre de ces politiques, autorise un regard complémentaire sur le rôle des territoires – et pourquoi pas de la politisation des collectivités (Duvoux, 2022) – et des acteurs. La multiplicité de ceux qui interviennent dans les politiques sociales invite à (re)questionner les relations de pouvoir et les ressources entre les différents intervenants locaux (Lafore, Outin, 2019).
4 Le niveau intermédiaire que constituent les associations est en cela intéressant pour comprendre la participation démocratique à l’action publique territoriale. Celle-ci fait pourtant largement l’économie d’une participation citoyenne individuelle dans la mesure où les seules expériences locales de participation des bénéficiaires du RSA à l’évaluation de la politique publique sont trop récentes pour en avoir une analyse fine [2]. Elles renforcent la domination in fine des allocataires, dont la position à l’extrémité du processus administratif ne peut qu’accentuer les logiques de non-recours (Warin, 2017). Cette absence d’une participation satisfaisante (selon les associations de notre terrain) des allocataires du RSA au processus de décision en matière d’insertion crée donc une fenêtre d’opportunité pour qu’elles se positionnent elles-mêmes comme la voix des sans-voix.
5 C’est donc en repartant de ces lectures que le cas d’étude proposé invite à considérer les relations entre les associations et les collectivités dans une triple focale. D’abord, en comprenant comment, dans une perspective descendante, les logiques instrumentales des institutions parviennent à dominer les associations. Puis la mise en lumière de mobilisations collectives au niveau associatif, donc horizontal, montre leurs difficultés à s’établir comme un véritable contre-pouvoir face à la métropole. C’est enfin par les intrications et rencontres institutionnalisées entre commanditaire et prestataires que l’article met en évidence les conséquences spécifiquement métropolitaines sur la production de l’action publique en matière d’insertion. Il s’agira donc davantage de qualifier les interpénétrations de ces groupes associatifs avec une collectivité récente dans un secteur d’action publique institué pour répondre à l’interrogation suivante : dans quelle mesure les collectivités organisent-elles la participation des associations à la mise en œuvre d’une politique publique pour mieux les encadrer ?
6 Les départements et collectivités qui organisent le RSA sur leurs territoires sont plutôt libres de choisir la manière dont ils vont répartir l’accompagnement des bénéficiaires du minima social. Si la loi oblige en effet les départements à mettre en place le « droit à l’accompagnement » [3] des publics, elle leur laisse la possibilité de déterminer comment orienter et accompagner ces bénéficiaires. La totalité des départements a choisi les trois parcours différents créés à la suite de l’expérimentation du RSA en 2008-2009 : parcours social, assuré par les services départementaux, parcours professionnel assuré par Pôle Emploi et enfin parcours « mixte » assuré par divers organismes tels que des associations locales ou nationales. Les collectivités ont la possibilité de décider en amont leur niveau d’investissement dans la compétence RSA : en choisissant par exemple de peu financer des organismes tiers et de limiter les dépenses des services départementaux internes, elles s’en remettent davantage à Pôle Emploi, le service public qui accompagnera alors inconditionnellement les bénéficiaires, sans coûts supplémentaires. En revanche, d’autres collectivités favorisent davantage, pour des raisons historiques de proximité avec le secteur associatif par exemple, des dépenses importantes dans les organismes tiers, ce qui fait mécaniquement diminuer la part de bénéficiaires accompagnés par Pôle Emploi dans ces cas-là. Au vu de la restriction tendancielle des budgets des collectivités territoriales (Eydoux, Tuchszirer, 2011), leurs choix apparaissent donc particulièrement politiques : les départements les plus ancrés à droite sont souvent ceux qui s’en remettent le plus au service public de l’emploi alors que les départements de gauche, qui plus est historiquement, internalisent davantage l’accompagnement et/ou en délèguent une partie importante à des prestataires, souvent associatifs.
7 Dans le contexte lyonnais, la mise en place d’un collectif fédérant des associations du secteur de l’insertion [4] invite d’abord à penser le rôle de ces partenaires en contexte métropolitain. En effet, la création de la métropole de Lyon a eu pour conséquence de placer sous l’égide d’une seule et même collectivité à statut particulier les compétences de l’ancien département du Rhône sur le territoire métropolitain et de l’ancienne communauté urbaine [5]. Le Grand Lyon a donc les compétences de l’intervention sociale [6] et du développement économique. Il convient aussi de s’interroger sur les modalités de participation et de mobilisation de ressources de ce collectif à la mise en œuvre d’une compétence légale. En effet, les associations engagées ne jouissent pas toutes des mêmes moyens utiles à la valorisation collective de leurs activités. Ces questionnements amènent inévitablement à l’interrogation en termes d’effets de la participation associative sur les politiques publiques et, inversement, les conséquences des modes de pilotage de l’action publique sur les associations partenaires.
8 Le cas d’étude proposé semble éclairer ces trois questionnements relatifs à la contribution des associations, et donc, de manière élargie, de la société civile, à la démocratie locale. Une analyse territoriale et sectorielle de ces structures apporte donc des réponses quant aux rôles d’associations vis-à-vis d’une collectivité qui les contraint fortement par ses instruments de pilotage. En saisissant les dynamiques de mobilisations associatives, l’article montre l’institutionnalisation (Bacqué, 2005) de leur participation, aboutissant à un encadrement par l’échelon métropolitain des associations. La prise de compétence renforcée et intégrée dans le cas lyonnais se traduit spécifiquement par des modalités rétrécies pour les associations en termes de prise de parole pour faire valoir leurs points de vue dans la mise en œuvre de l’action publique locale.
9 La capacité de ces structures à se faire entendre est analysée dans l’enquête de terrain à partir du discours des responsables et des conseillères en insertion professionnelle elles-mêmes associatives [7]. La trentaine d’entretiens menés avec des actrices associatives intervenant dans l’accompagnement des bénéficiaires du RSA, dans le cadre d’une recherche doctorale, a permis de révéler des dynamiques qui se rapportent à la période étudiée, d’une part, et qui correspondent, d’autre part, à la poursuite d’objectifs politiques dans la mise en œuvre de l’action publique métropolitaine. La confiance que les personnes interrogées nous ont progressivement accordée au fil des entretiens, lesquels se sont déroulés pour la plupart tout au long de l’année 2021, a été indispensable pour garantir une liberté dans leur prise de parole. C’est dans un second temps que les observations ont donc été réalisées, une fois que la relation de confiance était stabilisée.
10 Puisqu’elles interagissent quotidiennement avec l’institution métropolitaine aux échelons des découpages territoriaux, des cadres du Grand Lyon ont été aussi interrogées pour saisir ce que représentaient ces logiques de mises en « flux » [8] des bénéficiaires du RSA du point de vue du financeur.
11 Nous avons enfin réalisé dans une dernière phase de l’enquête une série d’observations non-participantes. Le collectif, que nous appellerons dès lors Rhône Insertion, nous a donné accès en effet aux réunions et aux principaux échanges qu’il a engagé à l’échelle locale avec ATD Quart Monde, le Secours catholique et Aequitaz [9] dans le cadre d’une démarche visant à produire une contre-expertise de terrain face à la collectivité territoriale qui souhaitait alors réformer les parcours d’accompagnement des bénéficiaires du RSA.
Le secteur associatif lyonnais de l’insertion
a. Par exemple, les arrondissements centraux de Lyon (1er, 2e et 4e) constituent une CLI.
12 La première partie revient sur les modalités de soumission des associations aux objectifs et instruments de l’action publique métropolitaine. Si un collectif regroupant une partie des structures a pu être créé, celui-ci ne permet que la formation d’espaces critiques relativement modérés, abordés dans la seconde partie [10]. La synthèse de ces dynamiques individuelles puis collectives des associations dans l’action publique locale contribue enfin à montrer l’encadrement de la voix associative par la collectivité, confinant ainsi leur participation à la vie démocratique à des questions techniques dans un environnement concurrentiel.
En tant que prestataires de services, des associations dominées par les instruments de la politique publique
13 Cette première partie développe une analyse des structures associatives intervenant au titre de l’accompagnement des bénéficiaires du RSA dans la métropole de Lyon, à l’échelle individuelle : leur position de prestataires de services les enjoint à devenir des professionnelles de l’insertion dont les activités seront spécifiées dans un premier temps, avant d’en analyser les raisons dans un second temps.
Être professionnelle pour être dans le jeu
14 La position d’entreprise de l’insertion que les associations adoptent, tantôt revendiquée, tantôt contrainte, ne constitue pas en soi une nouveauté du secteur associatif, habitué de longue date à avoir professionnalisé ses activités pour répondre aux exigences de plus en plus fortes de la puissance publique (Cottin-Marx, 2019). La professionnalisation prend ici une dimension gestionnaire (Boussard, 2008) de rationalisation des activités et des financements, ainsi que de salarisation des emplois, mais aussi de développement de compétences à destination des personnes bénéficiaires des minimas sociaux pour un meilleur accompagnement.
15 Les associations du secteur de l’insertion financées pour l’accompagnement des bénéficiaires du RSA sont dans des dynamiques de gestion entrepreneuriales. Les conventions annuelles qui les unissent à la Métropole dans le cadre de la mise en œuvre (et du suivi ?) du RSA tiennent lieu de quasi-contrats contraignant les associations à « mettre en œuvre un accompagnement favorisant la mobilisation dynamique des bénéficiaires du RSA vers l’activité, mobiliser les moyens nécessaires à l’exécution de l’action subventionnée, dans le respect du cadre du dispositif métropolitain d’accompagnement des [allocataires] » [11]. L’obligation de moyens et non de résultats des structures conventionnées les place dans des logiques de reporting permanents des moyens mis en œuvre au titre des accompagnements : nombre de rendez-vous par bénéficiaire, inscription du bénéficiaire dans des actions dans une logique de parcours d’insertion, ou encore quantité de bénéficiaires accompagnés par référente. Les structures entretiennent une relation ambivalente à ce système car si elles en accusent le caractère chronophage, elles reconnaissent qu’il permet tout de même de ne pas évincer les structures en fonction de leurs seuls résultats en matière d’insertion des bénéficiaires.
16 Les associations conventionnées jonglent par ailleurs entre plusieurs sources de financements sur appels à projets pour pouvoir continuer leurs activités d’accompagnement des bénéficiaires du RSA, car la subvention métropolitaine ne suffit pas à couvrir les frais engagés à ce titre. C’est ce que rapporte cette directrice de structure, constat partagé par plusieurs associations rencontrées dans le cadre de l’enquête :
« Le RSA par exemple est une action pour nous déficitaire […] On est sur de la délégation de service public [12] pour permettre aux gens de manger donc soit les collectivités acceptent cette délégation de services, mais aujourd’hui c’est pas le cas donc on est allés pleurer pour avoir 1 000 balles par-ci, 2 000 balles par-là et sur toutes nos actions c’est ça, c’est aller chercher in fine pour boucler l’année, 1 000 € par-ci, 500 € par-là, c’en est pathétique mais voilà on sait que c’est comme ça, […] c’est usant, tout le temps qu’on passe à faire ça on le passe pas avec les gens. » [13]
18 La gestion entrepreneuriale de ces associations s’explique aussi par le contexte concurrentiel dans lequel elles interviennent. En effet, la multiplication dans l’action sociale des sources potentielles de financements associatifs, par l’outil de l’appel à projets notamment, les enjoint à dédier des moyens humains spécifiques aux seules logiques de réponse, de sorte à pouvoir s’assurer qu’elles répondent effectivement aux critères des puissances publiques. Elles deviennent ainsi des habituées du mode projet et assument agir telles des entreprises, ce qui transparaît parfois dans le discours critique à l’encontre des instances métropolitaines :
« [C’est] un secteur pas reconnu du tout, avec les mêmes règles que les entreprises parce que nous on déclare les charges à l’URSSAF, on paie des machins, on est avec des banques, des machins, on fait exactement le même boulot qu’une entreprise […] moi aussi j’ai des problèmes de recrutement, quand je veux recruter un∙e chargé∙e d’insertion professionnelle, ou un∙e secrétaire ou je ne sais quoi ben je galère, mais je vais pas aller taper sur les boîtes d’insertion en disant “ben alors vous faites pas votre boulot !”. » [14]
20 Le positionnement professionnel adopté de fait par les structures associatives qui interviennent dans l’accompagnement des bénéficiaires du RSA apparaît ainsi comme une condition sine qua non de leur intégration au jeu de l’action publique en matière d’insertion. De ce point de vue, la métropole entretient un contrôle de ces prestataires de services, dont elle contribue à façonner l’action quotidiennement à travers des outils et des espaces. Il s’agit dès lors de comprendre les instruments et les moyens par lesquels les agent∙es en charge du suivi de cette politique au sein de la collectivité parviennent à dompter ces associations plus délégataires que co-décisionnaires du service public.
Des contrôles par des instruments toujours plus contraignants
21 Le rapprochement, dans le cas lyonnais, de l’ancienne communauté urbaine et du département du Rhône a induit des réorganisations institutionnelles qui ont affecté en bout de chaîne les structures associatives. Les directrices rencontrées évoquent souvent des difficultés liées au passage à la Métropole de la gestion du Fonds social européen, qui finance les Plans locaux d’insertion par l’emploi (PLIE) [15]. Historiquement gérés par une association adossée à la Ville de Lyon mais indépendante, les trois PLIE du territoire métropolitain ont été absorbés dans une nouvelle structure au statut juridique de groupement d’intérêt public (GIP), alors que l’attribution de leurs fonds a été centralisée par la direction de l’Insertion du Grand Lyon. Les anciennes salariées des trois PLIE ont donc été embauchées par ce nouveau GIP mais se sont vues attribuer de nouvelles missions de mise en réseau des acteurs.
22 Au-delà de la complexité technique de ces financements et réorganisations, les conséquences pour les professionnel·les de terrain ont touché à la disparition des référentes PLIE territoriales qui étaient leurs interlocutrices au quotidien en matière de gestion du dispositif mais surtout d’accompagnement des publics. C’est ce que rapporte une directrice d’association, après avoir souligné que le passage à la Métropole avait tout de même permis de réduire les délais de financements pour les associations :
« Moi ça fait dix-huit ans que je suis à [nom de la structure] donc, le gros changement, on l’a vu effectivement en 2015 quand la Métropole est arrivée. […] Après moi je trouve qu’on a un peu perdu peut-être sur la partie proximité par rapport au PLIE, en fait, peut-être qu’il y avait des instances où on parlait des dossiers, il y avait peut-être plus de proximité qui était gérée du fait des PLIE, peut-être qu’on a un peu perdu. » [16]
24 En ce sens, le passage à la Métropole et les réorganisations institutionnelles qu’elle a induites ont introduit une mise à distance des structures associatives quant à leur participation à la régulation de ce dispositif complémentaire à l’accompagnement des bénéficiaires du RSA. En effet, la quasi-totalité des structures associatives rencontrées cumulent des financements au titre de l’accompagnement des bénéficiaires du minima social et des publics ciblés par l’ancien PLIE, aujourd’hui appelé dispositif « Itinéraire Emploi renforcé » (IER) [17]. Ce changement d’échelle propre au fait métropolitain renseigne donc en partie les conséquences de la stratégie du Grand Lyon d’appui sur des associations locales qu’elle contribue à maintenir en position de subalterne. Un constat qui avait déjà été partagé par Vincent Lebrou et Luc Sigalo Santos (2018) dans leur étude localisée de la gestion du Fonds social européen, qui tendait notamment à montrer que la redéfinition locale des rôles bureaucratiques aboutissait à la survalorisation d’une rigueur budgétaire stricte dans l’ensemble des compétences professionnelles légitimes. En ce sens, les petites associations qui n’ont pas systématiquement les moyens d’une professionnalisation de leurs salarié∙es deviennent de fait disqualifiées symboliquement dans leurs relations avec les représentantes des institutions. Le « dispositif FSE » devient alors un mode de financement pour les structures initiées et à la trésorerie suffisamment conséquente pour absorber les remboursements des frais engagés à année + 2.
25 Le second élément permettant de déceler une forme de gouvernement des associations réside dans la mobilisation d’instruments d’action publique (Lascoumes, Le Galès, 2005). Si l’appel à projets a été érigé depuis quelques années comme un des instruments emblématiques de l’action publique, c’est qu’il constitue un moyen efficace pour sélectionner les partenaires des collectivités. Le Grand Lyon distribue les fonds européens par cet outil-là et contrôle de manière stricte l’utilisation de ces fonds par les associations. Les structures ne pouvant pas répondre scrupuleusement aux procédures contraignantes se voient contraintes au retrait ou à la non-sollicitation de ce financement européen.
26 Un autre instrument à la disposition de la collectivité est la convention pour la mise en œuvre de l’accompagnement des bénéficiaires du RSA, qu’un grand nombre d’autres départements gèrent par marché public. Le fonctionnement par conventionnement permet une souplesse du côté de la collectivité dans la mesure où la réglementation sur les marchés publics impose des contraintes qui nécessitent une ingénierie particulière (services de juristes en interne, contrôle des flux tous les ans, etc.). Certaines collectivités ont fait le choix de passer par les marchés publics pour l’accompagnement de leurs bénéficiaires du RSA et cela a souvent pour conséquence de réduire le nombre de structures choisies, et ce au profit des plus solides financièrement. Les marchés publics assurent aux structures une stabilité de la dotation pendant cinq ans, mais la reconduction du marché au terme de celui-ci est incertaine. Les conventions grand-lyonnaises apparaissent plus stables dans le temps en matière de quantité.
27 Les conventionnements mis en place par la Métropole relèvent de logiques contraignantes similaires aux appels à projets pour des associations qui ne peuvent envisager leurs activités qu’à un horizon annuel. Ces structures sont financées à hauteur de 500 € par an et par place d’accompagnement, un montant qu’elles jugent dérisoire au regard des dépenses engendrées pour réaliser ces parcours d’insertion, compte tenu de l’obligation de moyens qu’elles ont. Ces deux instruments contribuent à une mise en concurrence discrète des structures de l’insertion par la nécessité qu’ils induisent de se plier à des objectifs d’innovation sociale valorisés par les collectivités. La métropole de Lyon garantit ainsi la pérennité de structures saines financièrement, suffisamment professionnalisées pour trouver les financements par elles-mêmes, et mettant en œuvre les moyens adéquats pour répondre aux exigences de sorties du dispositif RSA, afin de pouvoir faire valoir auprès du grand public des réussites en matière d’insertion professionnelle. Elle se positionne alors en arbitre d’une concurrence entre associations qui profitent aux plus importantes, mais ne garantit pas la diversité des intervenants sur le territoire.
28 Dans ce contexte, les associations vont chercher à défendre collectivement la nécessité de leur intervention, par la création d’un réseau regroupant des adhérents hétérogènes. À travers ce réseau, elles cherchent à se positionner comme un seul acteur légitime dans la co-production de l’action publique locale.
En tant que « contre-pouvoir », un collectif à critique modérée
29 Cette seconde partie aborde l’organisation des associations à une échelle plus collective, démontrant ainsi qu’on ne peut les réduire à de simples prestataires de la collectivité. En effet, la création d’une structure locale quelques années après la mise en œuvre du RMI en 1988, fédérant les associations qui interviennent dans le secteur, avait pour ambition initiale de lutter contre la diminution des subventions attribuées par le conseil général du Rhône [18]. Alors qu’il avait été créé de sorte à contester une décision publique, le réseau paraît plus systématiquement associé à la prise de décision publique aujourd’hui, soit près de trente ans après sa création. Cela peut s’assimiler à la trajectoire des associations d’usagers et usagères de drogue à Marseille qu’analyse Gwenola Le Naour (2005), car le collectif est resté très actif auprès d’abord du département du Rhône puis de la métropole de Lyon depuis 2015. Ce deuxième temps vise à qualifier les modalités d’action du collectif qui se veut un « contre-pouvoir » [19] aux institutions, en particulier depuis la création de la métropole de Lyon.
L’union fait-elle vraiment la force ?
30 En tant que groupement d’associations, le collectif agit depuis sa création comme une instance de consultation entre associations d’une part (échange d’informations et de pratiques) mais surtout vis-à-vis des financeurs d’autre part. Les créatrices du réseau que nous avons pu rencontrer expliquent ce double objectif initial dès la création du RMI en 1988 :
« La question démarre sur : Rocard lance sa loi en décembre 1988. Et on se dit : comment on oblige, comment le département du Rhône installe le I de RMI, soit la question des parcours d’insertion de ces nouveaux publics qu’on ne connaissait pas du tout. […] Et le truc, c’était, on se disait : comment va-t-on faire pour pouvoir mettre en œuvre ce I ? Ce I étant de la compétence du département en charge de ces publics. […] On était tous en train de se dire : qu’est-ce qu’on fait, qu’est-ce qu’on invente ? Qu’est-ce que c’est que de suivre quelqu’un dans le “I” de l’insertion ? Quelle est la part du travail du travailleur social ? […] C’était tout ça. Et en face, on a Michel Mercier, président du département du Rhône, qui comprend à l’époque tout le département, [… qui ne] veut rien faire ou [qui] veut faire le minimum. » [20]
32 À l’origine, la création de ce réseau est donc liée aux enjeux de la création du RMI et de l’augmentation du chômage à la fin des années 1980. Il rassemble initialement diverses structures, que ce soit des associations qui œuvrent pour le retour à l’emploi de personnes en situation d’« exclusion » dans les quartiers de l’Est lyonnais, des centres sociaux, des fédérations régionales de valorisation du fait associatif ou encore des structures historiques de lutte contre la pauvreté telles que les Petits Frères des Pauvres ou le Foyer Notre-Dame des Sans-Abri [21]. Cette composition initiale évolue et se stabilise à partir de la fin des années 1990, période qui correspond au moment de la diversification des financements associatifs. Le retrait des fédérations et des associations qui ne sont pas financées pour l’accompagnement des bénéficiaires du RMI s’explique par le resserrement des enjeux internes au collectif sur les modalités de financement du secteur associatif intervenant au titre du RMI. Cela peut donc s’analyser en cohérence avec le développement et la massification du recours aux instruments de l’action publique en matière de partenariats entre collectivités territoriales et associations.
33 Son mode de participation est majoritairement institutionnalisé, au sens proposé par Marie-Hélène Bacqué (2005), lui-même issu de la sociologie des mouvements sociaux, qui retient le passage d’une contestation politique à un projet, impliquant « une hiérarchisation du pouvoir interne [… et l’insertion] dans des partenariats institutionnels réglés ». En effet, les modes d’action du collectif ont évolué entre la fin des années 1990 et 2020 puisque, si les interpellations et manifestations devant la préfecture du Rhône étaient de mise au moment de sa création, la routinisation des partenariats avec les pouvoirs publics a donné lieu à des participations beaucoup plus conventionnelles du collectif à compter des années 2000. C’est principalement par des consultations régulières initiées par la métropole de Lyon sur des sujets touchant à la mise en œuvre du RSA et des dispositifs d’insertion qu’on peut alors qualifier le collectif d’institutionnalisé. On retrouve comme caractéristiques dans les associations qu’il fédère un ancrage local souvent fort, à l’échelle de quartiers spécifiques ou de communes par exemple, des valeurs associatives portées sur le temps long par leurs responsables (qu’on peut déceler dans leurs discours et dans l’attachement à la mise en œuvre de certaines actions constitutives du projet associatif [22]) et enfin une politisation (Lagroye, 2003) des responsables associatives engagées dans ce collectif. Il faut souligner la forte féminisation du secteur associatif dans l’insertion sur le territoire lyonnais : les responsables associatives engagées dans le collectif (présidence, vice-présidence, trésorerie) sont toutes des femmes [23]. Les opportunités dans la réalisation de l’enquête de terrain ont conduit à rencontrer les membres engagés dans ce collectif qui fédère de nombreuses associations financées au titre de l’accompagnement des bénéficiaires du RSA. Pourtant, toutes n’y adhèrent pas : le collectif fédère une trentaine d’adhérents sur une soixantaine de structures financées au total pour divers types de dispositifs d’accompagnements des allocataires du RSA. Il convient aussi de souligner que les principales structures engagées dans le collectif elles-mêmes notent une difficulté de mobilisation des associations adhérentes au collectif.
34 Pour qualifier de manière plus précise et exposer le type d’actions engagées par le collectif à l’égard de l’institution métropolitaine, sa présidente, aussi responsable associative, évoque par exemple des moments marquants :
« On a évité qu’on passe en marché public en […] 2008 peut-être, on commençait à répondre et puis on a fait casser le truc en disant que, on n’avait pas à passer en marché public, c’est vrai qu’on avait été entendus. […] Il y a eu, sur le cahier des charges du RSA, on a fait baisser, on a fait assouplir le cahier des charges, requalifier l’accompagnement des différentes étapes de l’accompagnement et de valoriser cet accompagnement-là, des moments comme ça où il y a des fortes mobilisations quand on veut nous imposer des changements, des gros changements qui seraient pas favorables. »
36 Les temps de la mobilisation du collectif semblent donc se rapporter principalement à des enjeux de mise en œuvre de changements notables par l’institution. En cela, le collectif apparaît comme un moyen utile aux associations pour défendre leurs intérêts directs dans le cas de décisions qui porteraient préjudice à leurs pratiques professionnelles. Le cas mentionné par la présidente du collectif concernant le marché public, une décision prise à l’époque du conseil départemental du Rhône, atteste du contre-pouvoir formé par les associations. Pourtant, depuis le passage à la métropole de Lyon, le cas de mobilisations importantes du collectif se fait plus rare, alors que la critique, en interne, des pratiques institutionnelles et administratives se poursuit dans ce réseau d’associations vigilantes :
« Donc visiblement c’est déjà défini qui fait le RSA jeune, mais là on va monter au créneau avec le collectif [Rhône Insertion] pour dire “qu’est-ce que c’est que cette histoire ?”. Surtout ils ont contacté des structures type éducation populaire type [nom d’une structure du réseau] qui connaissent les problématiques de jeunesse, [nom d’une structure hors réseau de taille importante] moi je sais pas… plutôt mammouth, ça fait partie de la short list […] Soit on joue le jeu d’un appel d’offres, soit on distribue les cartes à ceux qui crient fort. » [24]
38 Cette citation fait apparaître une contestation d’une responsable associative quant à l’attribution des subventions liées à la mise en place récente (printemps 2021) du revenu de solidarité jeunes [25] : elle reproche à la collectivité de ne pas avoir été transparente dans le choix des structures qui allaient accompagner les jeunes bénéficiaires. L’évolution de l’action du collectif va de pair avec la professionnalisation des associations qui ont accepté d’investir un rôle de plus en plus technique vis-à-vis de la collectivité, rôle qui les a enjoint à s’inscrire dans des marchés aux subventions et aux appels à projets de plus en plus concurrentiels. Les ressources mobilisées dans le cadre d’une participation institutionnalisée touchent à la formulation d’arguments opposés aux décisions descendantes, dans le cadre d’une expertise associative revendiquée par les membres du collectif.
39 Dans la lignée des travaux d’Yves Lochard et Maud Simonet-Cusset (2016) sur la construction de savoirs associatifs, on observe que le collectif entend donner une tonalité différente à ses argumentations par la mobilisation des travaux de recherche en sciences sociales, voire des chercheurs et chercheuses elles et eux-mêmes. Comme l’expliquent les auteurs et autrices précités, l’interpénétration des mondes académiques et associatifs octroie des ressources supplémentaires pour constituer « un mode d’engagement dans le monde politique, une forme de mobilisation » [26]. Nous prenons comme exemple pour illustrer cette dynamique à notre échelle locale la sollicitation par le collectif lui-même, quelques mois après la réalisation de la campagne d’entretiens, pour une collaboration entre nous-même et le collectif. Nous avons assisté en effet, dans le cadre d’observations non-participantes [27], aux réunions du collectif pour donner des suites à un séminaire organisé entre les structures adhérentes, ATD Quart Monde et le Secours catholique d’un côté, et des bénéficiaires du RSA de l’autre côté. Notre présence aux réunions a ensuite suscité l’intérêt de la présidente du collectif [28], qui nous a alors expliqué avoir fait appel à plusieurs reprises par le passé à des chercheurs et chercheuses de différentes disciplines académiques (sciences de gestion et sociologie principalement) [29] dans le cadre de collaborations pour donner une profondeur réflexive aux séminaires organisés par le collectif à destination de ses adhérents. Notre collaboration s’inscrit donc dans la lignée de ce souhait d’avoir des savoirs mobilisables par le réseau afin qu’il puisse, comme cela a été alors formulé par sa présidente, « peser » dans les débats qu’il a engagés lui-même avec la Métropole. Lors de l’observation de la réunion de présentation du séminaire aux cadres et élu·es du Grand Lyon, le rappel historique des chercheurs et chercheuses mobilisées par le passé est d’ailleurs fait dans une volonté explicite d’allier aux ressources de l’expertise associative de terrain des ressources scientifiques pour crédibiliser les démarches face à l’arène institutionnelle elle-même.
40 Le regroupement des structures permet une mise en réseau qui sert de répertoire d’action par une veille sur les conditions d’exercice de leurs activités. L’exacerbation des critiques formulées par les responsables associatives de structures moyennes, investies dans le collectif, entend s’appuyer notamment sur des ressources académiques pour rendre légitime leur intervention face à la collectivité. Le contenu de ces critiques est inséparablement lié à une forme de militantisme revendiqué, en tout cas par les membres du bureau du réseau, qui sont aussi les actrices les plus actives de celui-ci. Mais la création de consensus autour de leurs revendications les plus militantes semble parfois difficile, surtout lorsqu’il s’agit de contester des décisions métropolitaines constamment plus verticales et opaques que horizontales et transparentes.
Un collectif souvent associé mais peu écouté ?
41 Loin de constituer un contre-pouvoir uniforme et aux revendications systématiquement partagées par tous ses membres, le collectif Rhône Insertion demeure conscient des limites d’une telle participation à l’action publique. En s’inscrivant le plus souvent dans une forme de contestation certes groupée mais encadrée par le pouvoir métropolitain, le collectif assoit sa légitimité face aux pouvoirs publics en renvoyant l’image d’un acteur qui fédère, qui représente la voix des associations. Cette logique, à la manière d’une fédération, n’intègre pourtant pas directement les retours des bénéficiaires du RSA. En effet, ces personnes sont invitées à donner leurs avis et à réfléchir à l’amélioration de l’action publique en matière d’insertion dans le cadre d’un Groupement d’évaluation et de participation pour l’inclusion (GEPI) mis en place par la Métropole depuis 2021. Le nombre d’arènes auxquelles le collectif est convié ne semble pas constituer un problème pour sa présidente :
« Oui, on est associés, on est associés à tout, on est associés, on n’a jamais été autant associés, de tout, du collectif, de l’associatif… Alors [le collectif] encore plus dans des instances, mais bon moi j’ai l’impression que oui, ça légitime les décisions qui sont prises. Alors quand on contribue ben, on dit des trucs pis finalement on voit que c’est pas ça qui est retenu et à un moment, ça je l’avais déjà dit à [l’élu en charge de l’insertion], à un moment on va se retirer et on communiquera que par écrit. » [30]
43 Néanmoins le collectif reste méfiant face aux risques d’une telle participation, qui prendrait, dans un cas extrême, davantage la forme d’une caution concertative (et d’un moyen de légitimer les décisions prises par la direction de l’Insertion) : « Bon après il faut faire gaffe vu qu’on est dans toutes les consultations, c’est de pas se faire manipuler en disant [Rhône Insertion] était d’accord, ils étaient là, c’est un petit peu… le danger du truc quoi. » [31]
44 En tant que collectif participant à des temps officiels de co-construction de la politique publique, Rhône Insertion espère en retour a minima une écoute, et au mieux une prise en compte de ses intérêts. Pourtant, sur un certain nombre de dossiers, les lignes bougent peu en matière de pilotage de la politique publique. Le collectif reproche par exemple de manière annuelle à la collectivité le montant trop faible de la subvention attribuée par place dans le cadre des conventions d’accompagnement des publics bénéficiaires du RSA, montant qui n’a pas évolué depuis une vingtaine d’années. Ces conventions prévoient un financement de 500 € annuels par place d’accompagnement (et non par personne accompagnée car les mouvements en association sont importants, le financement par place permet de fixer une quantité annuelle stable) : « La subvention ça n’a pas changé depuis Mathusalem, on est toujours à 500 € la place, sur laquelle va naviguer 1,3 personne en moyenne, 500 € ça fait des années, des années qu’on est toujours plafonnés à 500 € par an. Par AN ! Donc voilà c’est peanuts. » [32]
45 Ceci questionne les structures sur leurs gestions administratives et financières internes et la qualité de leurs accompagnements :
« Parce qu’en plus nous, […] sur le RSA, c’est un ETP [équivalent temps plein] c’est 100 places, voilà, donc 500 € la place autant vous dire que ça couvre à peine le salaire, alors nous on essaie de s’y tenir mais je sais qu’il y a des structures qui disent ouvertement qu’elles ne peuvent pas tenir ce ratio-là, financièrement elles ne peuvent pas, donc c’est une réalité aussi. Quand on accompagne 120 personnes par mois, en termes d’accompagnement ça interpelle aussi, […] voilà donc après c’est un peu la dérive du système. » [33]
47 Pourtant, si la contestation de ces 500 € constitue un point d’accord entre toutes les structures adhérentes, la non-évolution du point de vue budgétaire des conventions questionne les responsables associatives aux profils les plus politisés du collectif sur ce pilotage par instruments de la part de la Métropole. La mise en concurrence semble être un des enjeux qui favorisent le développement de projets associatifs plus individualistes mais surtout inscrivant les associations dans des relations toujours plus hiérarchisées avec la collectivité :
« Aujourd’hui moi je trouve que [Rhône Insertion] a un regard bienveillant de la Métropole mais effectivement ça peut changer. Mais malgré tout l’idée c’est de rester dans une position un peu critique […] mais aujourd’hui tout le monde se soumet en même temps, tout le monde ferme sa gueule, tout le monde se soumet, et tout le monde, presque, a peur. » [34]
49 Le groupement d’associations intervenant au titre de l’accompagnement des bénéficiaires du RSA autorise donc une représentation des intérêts a minima de ces structures. Il permet, grâce à une mobilisation de quelques responsables associatives aux profils similaires, d’occuper les espaces de co-construction de la politique publique d’un point de vue collectif mais souvent temporaire. Cela semble constituer une ressource visible non négligeable pour des structures de tailles petites ou moyennes qui, seules, ne peuvent pas se permettre d’entrer en contestation frontale avec les instruments de pilotage de la collectivité. Le revers de cette participation institutionnalisée semble être une insatisfaction des associations quant au fait de parvenir à faire modifier certaines décisions par leur action collective.
50 L’analyse de ces mobilisations associatives vis-à-vis de la Métropole renseigne donc sur les tentatives d’investissement d’espaces de contestations par les structures, mais surtout, sans chercher à réifier leurs activités militantes, sur les manières dont en retour la collectivité contribue au moins aussi temporairement à les encadrer.
Un encadrement des espaces critiques par l’échelon métropolitain
51 Après avoir vu les capacités d’action des associations à l’échelle du collectif, il s’agit dans cette dernière partie d’évoquer les limites de ce rapport de force. Dans quelle mesure ces interactions avec les pouvoirs publics révèlent en réalité un moyen pour la collectivité de marginaliser le collectif et de contenir les critiques ? C’est ce que cette dernière partie tâchera d’éclairer à l’aune des dynamiques présentées dans les deux parties précédentes. Il conviendra alors de qualifier les relations qui s’instaurent entre la collectivité et ces associations prises en tant qu’opposants potentiels : les dispositifs techniques, notamment, participent d’un encadrement (Cefaï et al., 2012) des possibilités de contestation de l’action publique pour les associations.
La marginalisation du collectif
52 En dépit des mobilisations collectives des associations vis-à-vis de la Métropole, les relations qui s’instaurent entre les opérateurs et leur financeur sont à géométrie variable. Nous l’avons décrit, si le collectif a réussi à conserver un rôle, depuis sa création, d’interlocuteur privilégié représentant les intérêts des structures qui y adhèrent, il fait face à des difficultés de mobilisation des acteurs d’une part et d’infléchissement des décisions d’autre part. Ce contexte laisse un sentiment de frustration aux responsables associatives investies dans le collectif, dans un système de mise en concurrence visant à gouverner le secteur associatif.
53 Les associations œuvrant dans les politiques d’insertion, dans leur plus grande hétérogénéité, recouvrent aussi quelques structures de taille beaucoup plus importante, qui ne font pas partie de Rhône Insertion. Notre choix a été d’analyser les modalités d’associations à la politique publique du collectif, mais il faut relever aussi que ces autres structures existent et sont financées au même titre que les autres pour l’accompagnement des bénéficiaires du RSA. La concurrence induite par les instruments de gouvernance des associations crée dès lors des facilités pour ces plus grosses structures qui ont en interne des services dédiés pour répondre aux appels d’offres et marchés publics, mais qui peuvent aussi se permettre de ne pas être dépendantes vis-à-vis de la subvention pour l’accompagnement des bénéficiaires du RSA. Une conseillère en insertion professionnelle d’une de ces grosses structures nous confiait en entretien :
« Au niveau de [nom de la structure] on a un service de communication très présent, qui fait de la communication effectivement de l’aspect, comment dire, évènementiel, sur le territoire, mais on a aussi deux personnes qui sont dédiées à la recherche de financements extérieurs et de partenariats. […] Ce qu’il faut savoir c’est qu’il y a des services qui ne sont pas viables financièrement, tels que le service insertion pro. Voilà, il ne ramène rien. C’est un modèle économique à prendre en compte, il faut prendre en compte tous les aspects, aspect qui est malheureusement une réalité, on apporte beaucoup aux personnes mais ça ne fait pas tourner la machine. » [35]
55 Cet état de fait interroge les principales responsables au sein du réseau Rhône Insertion car ces questions de taille et de financements associatifs contribuent à favoriser une autonomie de ces structures importantes, les plaçant bien souvent en position plus confortable vis-à-vis des institutions :
« Là, nous, on est petits à côté des gros mammouths, […] petits par la taille, et puis après l’idée c’est quand même d’avoir une petite identité, une petite spécificité qui permet, sur des enjeux de pauvreté ou en tout cas d’éviter les désaffiliations, de pouvoir maintenir de la proximité avec des personnes en précarité. […] Et qui dit petit dit aussi beaucoup de partenariats et la nécessité d’être bien critiques sur des choses et en même temps actifs et, avec d’autres structures qui ont des identités complémentaires. Les institutions, c’est autre chose, en effet, on verra qu’on a un lien particulier avec la Métropole qu’on n’a pas avec la Région. » [36]
57 Le retournement du stigmate s’opère ici par la valorisation de la proximité sous-tendue dans cet extrait d’entretien. Elle oppose deux types d’associations que seraient les structures importantes (telles que celle dont est issue la conseillère de la citation d’entretien précédente) et les membres de Rhône Insertion. Entre les associations elles-mêmes, à un niveau horizontal, on observe donc des différences de financements, de masse salariale, de projets, qui favorisent des relations asymétriques dans la gestion du RSA. Quand les associations qui font partie du collectif Rhône Insertion revendiquent leur appartenance à ce collectif de manière à pouvoir se mobiliser pour défendre leurs intérêts, les grosses structures qui cumulent les domaines d’intervention sont en position de quasi-industries du social. Elles ont ainsi le vent en poupe auprès d’institutions desquelles elles sont proches par la multiplication des sources de financements mais aussi par les rapports de proximité entre acteurs et actrices individuelles et aux ressources multiples.
58 Du point de vue des relations verticales entre les associations du collectif et la collectivité, on observe aussi la même dynamique d’asymétrie des relations, en particulier dans le contexte des réorganisations institutionnelles découlant de la construction métropolitaine d’une part et du contexte de la crise sanitaire à compter de mars 2020 d’autre part. Dans le pilotage de la politique du RSA par le Grand Lyon, il existe des instances territoriales (regroupant plusieurs arrondissements ou communes) dans lesquelles les associations sont parfois invitées ou non, mais qui permettent des temps d’échange sur des situations individuelles pour lesquelles les associations n’ont pas de pouvoir décisionnaire. L’instance technique, une des trois réunions mensuelles de pilotage, était un moment d’échange privilégié entre les référentes de parcours RSA, autour des pratiques pour des professionnelles qui rencontraient des difficultés avec certain·es bénéficiaires, mais aussi pour savoir les actions mises en place sur le territoire. Or, ces instances ont été révisées par la Métropole de sorte qu’elles ne soient plus que le moment d’évoquer les situations complexes, et leur composition a été revue pour ne plus associer systématiquement tous les référentes de tous les opérateurs mais seulement quelques-unes triées sur le volet. Une cadre territoriale évoque la difficulté de tenir ces instances en période de crise sanitaire, particulièrement lors des périodes de confinement du printemps et de l’automne 2020 :
« L’[instance] c’était vraiment un lieu ressource, les référents prenaient vraiment plaisir à se voir, à échanger ensemble, à rencontrer les nouveaux partenaires, les nouvelles actions, […] à réfléchir ensemble sur des situations complexes et on avait instauré une bonne instance […] c’était riche. Et puis j’avais toujours un temps de pause au milieu de la réunion, de l’[instance], on a la chance de faire notre réunion à [nom du quartier où se déroule les réunions] où il y a une cour intérieure et ce moment informel, mine de rien il était, enfin moi il fait vraiment partie du boulot, ce moment où ils peuvent échanger un peu, comment ça va dans ta structure, qu’est-ce qu’il s’y passe, etc. Donc c’était un moment plutôt plaisant de rencontre et là on est en train de mettre une croix dessus. » [37]
60 On voit bien ici la portée limitée qu’une telle participation des associations avait alors, restreignant leur participation à des instances non décisionnelles, qui ont depuis été de plus réformées. Ces instances ne font pas partie d’une obligation légale en matière de gouvernance du RSA mais les cheffes de services sociaux de la Métropole sur les territoires veulent les maintenir pour endosser leur rôle de « coordination du dispositif RSA » [38]. Depuis le milieu d’année 2021 en effet, ces instances territoriales ont été modifiées afin de se tenir en comités plus réduits et de ne plus inviter systématiquement une représentante de chaque structure intervenant sur le territoire. Elles se concentrent dorénavant uniquement sur l’examen de situations individuelles d’allocataires du RSA catégorisées comme complexes, c’est-à-dire nécessitant l’analyse de plusieurs professionnelles pour statuer sur les différentes possibilités à offrir à la personne.
61 Cet exemple de mise à distance des opérateurs dans le pilotage de la politique publique pourrait être étoffé d’autres conséquences directes de ces réorganisations institutionnelles, telles que le choix métropolitain de revoir les instances d’orientation des bénéficiaires du RSA [39]. En effet, le Grand Lyon a mis en place en 2021 une expérimentation avec deux grosses structures de la Métropole, pour revoir ces instances d’orientation et favoriser la circulation d’informations à destination des personnes bénéficiaires du RSA. La responsabilisation (Arrignon, 2016) de ces dernières, accentuée par la mise en place de ces nouvelles modalités d’orientation, est mise en œuvre par un rapprochement direct de l’institution et de ses bénéficiaires qui doivent se rendre aux informations collectives, se renseigner sur les parcours et se soumettre à un « entretien flash » pour être orientés dans un parcours.
62 De la sorte, la poursuite des objectifs du Programme métropolitain d’insertion par l’emploi a en effet contribué à une mise à distance des opérateurs partenaires du Grand Lyon dans la mise en œuvre du RSA. On assiste donc à une double dynamique déficitaire pour les associations étudiées : d’un point de vue horizontal vis-à-vis des grosses structures qui ont les faveurs de l’institution et d’un point de vue vertical par un écartement progressif des associations dans le pilotage de la politique publique elle-même.
La segmentation des espaces de participation
63 Les éléments avancés pour démontrer l’asymétrie des rapports de force entre associations elles-mêmes, et entre elles et leur financeur, favorisent une segmentation des espaces de parole permis, autorisés par l’institution. Par « segmentation », il faut entendre « séparation des arènes dans lesquelles les associations peuvent s’exprimer » : arènes techniques d’une part, dans lesquelles les opérateurs sont invités pour parler des dossiers spécifiques d’allocataires du RSA, et arènes stratégiques, voire politiques d’autre part, dans lesquelles les associations ne sont que très peu invitées. En effet, plus que de brider totalement les associations dans leurs activités ou leurs prises de parole, la Métropole permet la critique en institutionnalisant une forme de participation du collectif, mais la restreint à des enjeux techniques, de sorte à maîtriser le caractère démocratique de la politique publique.
64 Si l’on cherche à qualifier davantage les enjeux sur lesquels le collectif Rhône Insertion peut être associé au pilotage de la politique du RSA, il est notable de constater que les sujets sont principalement techniques. Au-delà du rôle peu déterminant que le collectif porte dans les décisions relatives à la mise en œuvre de la politique publique, on s’aperçoit aussi que les enjeux portent bien souvent sur des questions plus techniques que profondément politiques. C’est ce qu’évoque un conseiller en insertion professionnelle d’une structure du réseau au sujet d’un logiciel mis en place pour la Métropole afin de centraliser les informations sur les bénéficiaires du RSA et leurs parcours :
« Les règles du nouveau logiciel ne sont pas claires […] [Rhône Insertion] alerte, et moi j’alerte sur les consignes qui ne sont pas claires puisqu’on me dit c’est mieux de générer les contrats d’engagement via le logiciel, qui parfois dysfonctionne, mais quand on passe une heure de diagnostic avec la personne et qu’en fait tout ce qu’on a tapé n’est pas enregistré, et qu’on doit tout recommencer, […] des fois c’est un peu étrange la manière dont on commence l’accompagnement avec cette lourdeur administrative à un moment où la personne vient surtout chercher de l’écoute. » [40]
66 Dans cet exemple de remontée de terrain par le collectif, l’enjeu concerne donc l’utilisation d’un outil numérique dont les associations doivent se servir mais qui dysfonctionne. Un enjeu des plus importants pour le suivi des bénéficiaires et pour l’amélioration des pratiques professionnelles, mais qui ne concerne pas une critique à destination de valeurs, de représentations, ou encore des orientations politiques métropolitaines. On pourrait doubler cet exemple d’une autre alerte formulée par une des responsables associatives engagées dans le collectif, cette fois-ci au sujet de l’implantation d’une structure concurrente, de très grande taille, et au statut non associatif :
« Nous en termes de structures engagées […], en tout cas engagées au sein de [Rhône Insertion] il faut qu’on soit un peu ronchonchon sur des trucs, c’est quoi ça ? Pareil, là, il y a un énorme projet qui arrive sur Lyon qui s’appelle Rebondir, qui va être porté par une structure qui vient de Paris, qui fait 33 millions de chiffre d’affaires, pourquoi ? Ben ça, c’est mon petit doigt qui me dit, c’est une structure de Paris […] j’appelle [la présidente du collectif], parce qu’elle préside, je lui dis t’es au courant, que pasa, il faut qu’on interpelle [le directeur de l’Insertion à la Métropole]. » [41]
68 Sur ce point, le rôle du collectif permet aussi de veiller à avoir les informations concernant les nouveaux projets et potentiels nouveaux acteurs de l’insertion. S’il ne peut probablement pas empêcher l’installation de cette importante structure parisienne, le collectif aura au moins permis d’informer ses membres quant au développement de certaines activités. Il s’agit en cela, à nouveau, d’une veille stratégique sur des enjeux de défense de leurs propres terrains d’intervention. Derrière cette alerte du collectif, un système de valeur majoritairement contre une « industrialisation de la pauvreté » [42] se profile, mais dans les espaces de dialogue ouverts avec la collectivité, les enjeux relèvent de questions précises d’organisation et de mise en œuvre des conventions, à l’image de la mobilisation redondante du collectif contre le coût de la place d’accompagnement évoqué ci-dessus (les 500 € de la colère).
69 La segmentation des espaces démocratiques ouverts par la Métropole à l’égard des associations intervenant dans l’accompagnement des bénéficiaires du RSA se décèle donc dans la veille du collectif sur des enjeux principalement techniques, ce qui s’explique notamment par la gouvernance associative mise en place par des instruments financiers et des réorganisations institutionnelles. Mais cette parcellisation des prises de parole associatives se ressent aussi dans le discours de la présidente du collectif, qui regrette que la construction de l’action collective ne puisse pas aller plus loin :
« J’ai des adhérents aussi qui vont revendiquer que des problèmes de gestion, parce qu’on est aussi sur le volet du financement de nos structures, on n’est pas sur la question du sens, d’ailleurs la question du sens elle est très dure à travailler, moi parce que j’ai mes convictions associatives, que pour moi c’est une vraie richesse, du milieu associatif. » [43]
71 L’intégration des enjeux gestionnaires et financiers par les structures elles-mêmes contribue en effet à restreindre leur mobilisation car ces associations, qui partagent toutes le caractère d’être de taille petite ou intermédiaire, sont donc dépendantes des financements métropolitains. Au-delà de leur constitution en collectif qui permet d’avancer groupées sur des enjeux dans l’arène institutionnelle, les associations ne mobilisent un discours purement critique à l’encontre de la Métropole qu’à travers des prises de paroles qui se font à titre individuel, le plus souvent de la part des responsables investies elles-mêmes dans Rhône Insertion. En outre, ces discours critiques prennent place le plus souvent dans des espaces confinés ou discrets de discussion : entre responsables lors des réunions du collectif, ou en entretien, lorsque l’enregistrement est coupé.
72 Pour autant, lors de notre enquête, un évènement du collectif sur des enjeux nettement plus structurants a eu lieu au mois d’avril 2022. En effet, les membres des associations ont organisé un groupe de travail entre elles, aidées par trois autres associations nationales plutôt orientées sur le plaidoyer [44]. Lors de cette journée, les associations devaient venir avec une personne ayant bénéficié ou bénéficiant du RSA, afin de relever toutes les étapes et difficultés que les allocataires rencontrent depuis la première demande. L’organisation d’un tel temps d’échange ne relève pas d’obligations ni des structures opératrices de la Métropole, ni des associations nationales, mais l’idée était de faire le point sur des « parcours du combattant » (Aequitaz, Secours catholique, 2020) de personnes déjà en situation de précarité, pour pouvoir ensuite aller plaider devant la collectivité en faveur de propositions qui émaneraient de ce groupe de travail collectif.
73 Cette initiative a reçu un accueil plutôt conciliant de la part des représentant∙es administratives et politiques de l’institution, qui étaient en demande des conclusions conjointes du séminaire entre professionnelles et allocataires. La majorité de gauche et écologiste de la Métropole depuis juin 2020 se positionne en effet régulièrement en faveur d’actions marquées pour la lutte contre la précarité notamment depuis la crise sanitaire (créations d’appels à projets supplémentaires pour la grande exclusion pendant la crise, mise en place d’un revenu de solidarité pour les jeunes de moins de 25 ans). Lors de la présentation de ces conclusions par les associations à la Métropole, la réunion a consisté, pour l’institution représentée alors par ses cadres et sa vice-présidente élue, à rassurer les structures sur la nécessité de leurs activités de terrain mais à réaffirmer la quasi-impossibilité d’accéder à leurs demandes notamment en matière financière. Celles-ci consistaient (encore une fois) en une revalorisation du montant par place d’accompagnement, basée sur une étude chiffrée du coût réel de l’accompagnement structure par structure.
74 Les agentes des services métropolitains de la collectivité en charge de ces conventions annuelles semblent pleinement conscientes des avantages et limites de ce mode de fonctionnement. Elles confient en entretien qu’en comparaison avec les marchés publics qui sont plus « contraignants » juridiquement et techniquement mais autorisent une programmation sur cinq ans, le conventionnement permet une souplesse et un niveau de technicité moins élevé pour elles-mêmes. En contrepartie de ce choix historique de la collectivité de subventionner par conventions, ce sont de multiples associations qui sont financées, permettant de « répartir le gâteau » [45] mais surtout de pouvoir accompagner des publics aux profils très divers. Car à l’inverse, les marchés publics introduisent une catégorisation des bénéficiaires du RSA en « lots » selon les problématiques rencontrées (personnes souffrant d’addictions, mères isolées, etc.) et mettent donc l’accent sur des cibles au lieu d’un accompagnement plus inconditionnel. Les modalités de financement par conventions assurent donc une distribution équitable, mais surtout politique des ressources métropolitaines. Cela assure à la collectivité une légitimité de son action publique tout en permettant de maintenir les potentiels mécontentements associatifs internes, par relativisme et comparaison aux autres modalités de financements. Le cas du marché public parisien d’accompagnement des bénéficiaires du RSA est par exemple régulièrement pris en exemple du côté institutionnel comme du côté associatif pour souligner la diversité que permet le système lyonnais, largement dépendant au sentier emprunté dans les années 1980.
75 Il n’en demeure pas moins que le collectif semble s’être saisi d’enjeux plus politiques, moins techniques, sans y avoir été invité, et en se mettant en relation avec des associations de plaidoyer nationales pour construire aussi une parole qui aurait plus d’impact et de légitimité. Ce séminaire mené collectivement peut apparaître comme une exception dans la mesure où, si l’idée émane initialement du collectif seul, celui-ci a souhaité se faire accompagner par Aequitaz pour ses prises de position fortes et ses actions menées dans différents départements contre un RSA sous contreparties. Après la crise sanitaire et les différentes recompositions organisationnelles de l’insertion dans la Métropole, le collectif voulait « redonner du sens » à son action pour pouvoir « interpeller » la collectivité ultérieurement.
76 Les suites de ce séminaire organisé au printemps 2022 ont été plus complexes, en revanche, dans la tentative de construction d’un consensus : les revendications plus techniques des associations du collectif n’ont pas forcément trouvé un écho fort chez les associations de plaidoyer qui étaient dans la démarche. Plus encore, ces dernières ont demandé le retrait d’une revendication spécifique – le passage à une déclaration mensuelle de ressources pour les allocataires plutôt que trimestrielle – avant l’envoi du rapport co-signé par toutes les parties prenantes à la collectivité. En cause, l’idée selon laquelle la mensualisation des déclarations favoriserait encore plus les ruptures de droits, le non-recours et contribuerait davantage à la complexité des parcours. L’activation de ressources expertes par le collectif se traduit donc par un relatif échec qui révèle un positionnement de sauvegarde de leurs intérêts de la part des structures.
77 La segmentation des espaces de discussion ouverts aux associations dans le cadre de la mise en œuvre du RSA semble donc être une conséquence des outils et instruments utilisés par la collectivité. Ces derniers servent à organiser la mise en concurrence des structures entre elles d’une part, et à concevoir une participation institutionnalisée et technicisée d’autre part. En permettant au collectif de s’inscrire dans les arènes publiques de mise en œuvre de la politique, la Métropole s’assure une légitimité et une adhésion des acteurs du secteur au sens large, qui demeurent néanmoins conscients des limites d’une telle participation.
78 La formulation de critiques et de mobilisations à l’encontre de l’action publique métropolitaine semble donc confinée à des espaces privés, empêchant alors une voice (Hirschman, 1995) des acteurs associatifs vers des espaces médiatiques notamment (le coût de l’engagement dans une telle démarche serait en effet important et surtout très incertain, la « menace » de la non-reconduction des financements faisant office d’épée de Damoclès pour les structures). Ces stratégies d’encadrement des contestations par l’institution, qu’elles soient intentionnelles ou non, découlent donc particulièrement des dispositifs techniques permettant de financer et de faire participer les associations dans la mise en œuvre de l’action publique. Elles ont aussi pour effet corollaire de maintenir le manque de consensus entre les adhérentes du collectif, séparées entre celles qui pensent que la voice doit suffire pour garder une place de choix auprès de la collectivité et les adhérentes (membres du bureau plutôt) qui seraient favorables à une action plus visible, mais aussi plus tranchée, et surtout plus fréquente pour « rétablir un rapport de force » qui leur soit plus favorable.
Conclusion
79 Cet article s’est donc penché sur les modalités de participation d’associations à la mise en œuvre de l’action publique locale. Au niveau de chacune d’entre elles, elles semblent dominées par les instruments de contrôle et les réorganisations institutionnelles liées à la poursuite des objectifs du premier plan métropolitain d’insertion. À titre collectif, la création depuis les années 1990 d’un groupement d’associations pour faire valoir leurs points de vue auprès de la collectivité financeuse (Conseil départemental puis Métropole) a permis la résistance à quelques décisions mais surtout l’institutionnalisation du collectif lors des temps d’échange convoqués par la Métropole. La construction métropolitaine lyonnaise a donc abouti à une segmentation des espaces démocratiques pour ses partenaires associatifs, qui se voient associés ou ne s’autorisent une participation que sur des enjeux purement techniques, favorisant dès lors un confinement des espaces critiques (Desage, Guéranger, 2011) à l’encontre de la métropolisation.
80 Ce cas d’étude renseigne donc sur la participation effective d’associations financées par l’institution métropolitaine pour prendre en charge une partie des publics précaires que la collectivité a l’obligation légale d’accompagner [46]. Loin d’avoir permis de nouveaux espaces de participation citoyenne, le fait métropolitain aurait plutôt restreint la parole associative par un pilotage plus contraignant et des instruments de mise en concurrence des structures. Il contribue en effet en une mise à distance des associations par de multiples réorganisations institutionnelles et la redéfinition des priorités de l’agenda métropolitain, davantage tourné vers la mise en activité des bénéficiaires du RSA, que seuls les partenariats avec les acteurs privés sont supposés réaliser. A minima, la dynamique de métropolisation de la politique d’insertion a eu pour effet de poursuivre un statu quo territorial : l’enjeu pour la collectivité nouvelle semble être davantage le maintien des équilibres associatifs locaux. En effet, l’institution agit plutôt en faveur de la poursuite de la politique locale de soutien aux associations, plutôt que dans une logique de contrôle accru de celles-ci qui en disqualifierait une partie. Les récents positionnements du président de la métropole de Lyon attestent d’une volonté politique d’opposition à la politique gouvernementale qui prévoit le vote de la loi sur le plein emploi, incluant l’obligation de la réalisation de quinze à vingt heures d’activité hebdomadaire pour les allocataires du RSA [47].
81 Cet article ambitionnait donc, à travers un cas d’étude original, de comprendre les dynamiques d’encadrement des associations par les collectivités territoriales. Cette enquête révèle que les institutions publiques participent du cadrage des activités associatives mais surtout de leurs possibilités d’expression dans la construction locale de l’action publique. Le moyen privilégié se trouve alors dans les instruments du pilotage de la politique publique par les services métropolitains, qui contraignent fortement la pérennité des structures et les maintiennent en situation inférieure de prestations de service. Même avec une intervention de groupe de ces associations auprès de la collectivité, qu’on peut assimiler à une action collective, elles demeurent largement encadrées par une participation purement technique dans laquelle la Métropole réalise un double objectif : encadrer les critiques de ces associations et assurer le caractère démocratique de son action publique. Le renforcement et l’intégration des compétences métropolitaines a donc spécifiquement pour conséquence un encadrement des modalités de participation des associations, qui poussent alors les décideurs et décideuses publics à trouver de nouvelles voies de légitimation de leur action, via l’institutionnalisation de groupes d’évaluation par les destinataires de l’action publique.
82 This article looks at the processes involved in the democratic management of associations at the local level in the context of the implementation of a public policy. The case of the Revenu de solidarité active (tax credits – RSA) and the support provided to its beneficiaries by various associations, referred to as “operators” by the local government, highlights the ways in which the local government, created in 2015, manages to dominate the voluntary sector. Above all, the metropolis uses management instruments that are binding on the organizations to steer their activities and arbitrate between all those involved. Meanwhile, though the formation of a collective of associations may have enabled them to defend their interests at the local level, its institutionalization in the decision-making arena has led them to moderate their criticisms. As a result, the participation of associations in general in democratic life at the local level has been marginalized and even exploited by a local authority seeking legitimacy.
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Mots-clés éditeurs : Action publique, Métropoles, Collectivités territoriales, Action sociale, Insertion, Associations, Gouvernance
Date de mise en ligne : 22/05/2024
https://doi.org/10.3917/parti.038.0115Notes
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[1]
Le nombre de salarié∙es du monde associatif étant de 1,8 million de personnes, soit autant que la fonction publique territoriale ; notre cas d’étude est plutôt représentatif de ces dynamiques dans la mesure où le choix de la collectivité territoriale peut être analysé comme un choix politique de confier une part assez importante de l’accompagnement des bénéficiaires du RSA au secteur associatif (environ un tiers).
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[2]
Ces expériences sont menées particulièrement depuis le passage à une métropole de coalition de gauche et écologiste. Il s’agit d’une obligation légale depuis la loi sur le RSA de 2008 mais la collectivité ne la mettait pas en œuvre de manière régulière. La mobilisation des bénéficiaires du RSA dans ce groupe de participation, dorénavant institutionnalisé, peut être analysée comme une quête de légitimité par une métropole ayant perdu la confiance de ses partenaires associatifs notamment.
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[3]
Article L262-27 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) : « Le bénéficiaire du revenu de solidarité active a droit à un accompagnement social et professionnel adapté à ses besoins et organisé par un référent unique » ; et article L263-1 du CASF : « Le conseil départemental délibère avant le 31 mars de chaque année sur l’adoption ou l’adaptation du programme départemental d’insertion. Celui-ci définit la politique départementale d’accompagnement social et professionnel, recense les besoins d’insertion et l’offre locale d’insertion et planifie les actions d’insertion correspondantes. »
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[4]
Nous prenons le parti dans cet article d’analyser le secteur de l’insertion comme lié à la distribution du RSA. Traditionnellement, on appelle « compétence insertion » la capacité des départements à verser le RSA et à en accompagner ses bénéficiaires.
-
[5]
Loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM).
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[6]
Protection maternelle infantile (PMI), RSA, Aide sociale à l’enfance (ASE), personnes handicapées (Maison départementale des personnes handicapées), allocation personnalisée d’autonomie (APA) et EHPAD.
-
[7]
Il s’agit de professions majoritairement féminisées : conseillère en économie sociale et familiale, conseillère en insertion professionnelle, assistante sociale.
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[8]
https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/communique-de-presse/en-juillet-le-nombre-dallocataires-du-rsa-remonte-legerement. Dans le discours des agentes de la métropole de Lyon, le travail d’orientation des personnes bénéficiaires du RSA, primo-arrivantes ou déjà passées dans le dispositif, doit permettre d’enclencher rapidement le parcours vers l’insertion professionnelle. Le vocabulaire de ces agentes pour désigner les parcours des allocataires se rapporte à celui de la mise en mouvement, du retour à l’activité. Parallèlement le champ lexical des agentes pour désigner les activités des professionnelles de l’insertion est proche de la production avec des indicateurs de suivi pour chaque allocataire, que les professionnelles gèrent dans des « portefeuilles » ou des « files actives ».
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[9]
Association nationale créée en 2012 « pour affirmer notre pouvoir d’agir et contribuer à un monde plus juste et plus doux », elle expérimente des actions politiques fondées sur une recherche de solutions se voulant à l’écoute des problématiques réelles des personnes sans voix.
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[10]
Ce collectif étant à des périodes différentes régulièrement consulté par les agentes du département, les responsables de structures qui sont investies dans celui-ci sont identifiées par la collectivité. Elles adoptent de fait des positions moins radicales que lors des réunions du collectif, par peur des « sanctions ».
-
[11]
Extrait d’une convention de subvention annuelle unissant une association et la métropole de Lyon.
-
[12]
Le terme est ici employé par l’enquêtée dans un sens générique mais pas juridique : la forme de contractualisation entre les associations et la Métropole est bien la convention, pas la DSP.
-
[13]
Entretien avec une responsable d’association, 28 avril 2021.
-
[14]
Entretien avec une responsable d’association, 19 avril 2021.
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[15]
Dispositif financé par l’Union européenne dans le cadre du Fonds social européen (FSE), qui s’adresse aux personnes éloignées de l’emploi et met en place un accompagnement renforcé pour lequel la personne doit impérativement donner son accord.
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[16]
Entretien avec une responsable associative, 27 mai 2021. Le caractère probable mais non affirmé de cette critique, qu’on relève avec la triple mention du mot « peut-être », est à analyser sous l’angle de la vigilance de l’enquêtée, entretenue au début de la phase de terrain.
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[17]
Au-delà d’un changement de nom du dispositif des PLIE, les modalités appelées « renforcées » d’accompagnement des personnes éloignées de l’emploi dans le cadre des PLIE sont restées inchangées. C’est davantage sur la gouvernance institutionnelle publique que des changements ont été introduits avec une reprise en main par la Métropole des trois anciens PLIE, auparavant indépendants et aux mains des élu·es locaux.
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[18]
Conseil général du Rhône alors présidé par Michel Mercier, élu local de centre droit, depuis 1990.
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[19]
Entretien avec une responsable associative, 19 mai 2022.
-
[20]
Entretien avec une des créatrices du collectif Rhône Insertion, 25 avril 2023.
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[21]
Archives privées du réseau Rhône Insertion, fin des années 1980.
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[22]
On peut citer à titre d’exemple une structure associative œuvrant historiquement, et identifiée dans l’action sociale comme telle, pour l’insertion des femmes par la culture. Elle accompagne des publics éloignés de l’emploi par l’accès à la confiance en soi en mettant en place des ateliers chant ou théâtre.
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[23]
De manière générale, le travail social regroupe des métiers particulièrement féminisés (voir Bayer, 2023).
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[24]
Entretien avec une responsable associative 1, 27 avril 2021.
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[25]
Ouverture d’un droit similaire au RSA pour les 18-25 ans par la métropole de Lyon.
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[26]
Il n’est alors pas rare d’entendre dans des échanges informels avec les membres du bureau du collectif des noms de sociologues cités pour appuyer les propos ou des critiques formulées par le monde académique et reprises par ces membres, qui se disent pour la plupart sensibles aux théories des sciences sociales.
-
[27]
Entre juillet 2022 et janvier 2023.
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[28]
Directrice d’une structure moyenne très implantée territorialement et présidente du réseau, cette assistante sociale de formation a repris un master en sociologie après une vingtaine d’années d’exercice.
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[29]
Un séminaire organisé avec l’Observatoire des non-recours aux droits et services (ODENORE), ou encore avec Jean-Louis Laville.
-
[30]
Entretien avec une responsable associative, 19 mai 2022.
-
[31]
Ibid.
-
[32]
Entretien avec une responsable associative 2, 27 avril 2021.
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[33]
Entretien avec une responsable associative, 27 mai 2021.
-
[34]
Entretien avec une responsable associative, 28 avril 2021.
-
[35]
Entretien avec une conseillère en insertion professionnelle, 24 mars 2021. La structure qui embauche cette salariée est une association loi 1901 qui lutte contre le mal-logement. Elle se compose de diverses entités régionales et d’une fédération nationale reconnue d’utilité publique les regroupant. Créé à Lyon en 1985, ce mouvement est inspiré du catholicisme social. Son activité s’organise en trois secteurs : le logement accompagné, le médico-social et l’hébergement d’urgence et l’accueil de réfugié·es.
-
[36]
Entretien avec une responsable associative, 27 avril 2021. Le lien avec la Région s’est effacé dans le cas de cette association, aussi organisme de formation, après la diminution drastique des financements en matière de formation professionnelle.
-
[37]
Entretien avec une cadre territoriale du Grand Lyon, 27 mai 2021.
-
[38]
Entretien avec une cadre territoriale du Grand Lyon, 11 mai 2021.
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[39]
Il s’agit d’instances dans lesquelles les dossiers de primo-accédant∙es au RSA se voient attribuer un·e référent·e de parcours, c’est-à-dire un conseiller ou une conseillère qui va les accompagner dans leurs démarches d’insertion. Historiquement, ces instances associaient sur les territoires la cadre et la secrétaire du Grand Lyon, un·e responsable de Pôle Emploi et les opérateurs et opératrices qui souhaitaient venir.
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[40]
Entretien avec un conseiller en insertion professionnelle, 13 avril 2021.
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[41]
Entretien avec une responsable associative, 27 avril 2021. L’appel à projets dont il est fait mention dans cet extrait a en effet été accordé à une structure, sur les neuf qui ont été sélectionnées, dont l’implantation locale n’était pas habituelle sur le territoire lyonnais. Il s’agit d’un montage financier entre deux importantes structures franciliennes spécialisées dans la recherche d’emploi et dans le secteur de l’insertion par l’activité économique. Il faut relativiser le fait qu’il ne s’agit que d’un des neuf dispositifs retenus par la Métropole.
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[42]
Ibid.
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[43]
Entretien avec une responsable associative, 19 mai 2022.
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[44]
ATD Quart Monde, le Secours catholique et Aequitaz (l’association rédactrice du rapport « Sans contreparties, pour un revenu minimum garanti », octobre 2020). Associations qui ne reçoivent pas de financements pour l’accompagnement des bénéficiaires du RSA.
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[45]
Échanges informels avec des cadres du Grand Lyon, décembre 2022.
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[46]
Loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion.
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[47]
Communiqué de presse « Trois collectivités de gauche et écologistes expliquent pourquoi elles expérimenteront l’accompagnement rénové des allocataires du RSA. Opposés au RSA sous condition, nous défendons le droit à un meilleur accompagnement », 24 avril 2023, conseils départementaux de Loire-Atlantique et d’Ille-et-Vilaine, et métropole de Lyon.