Notes
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Si les professionnel·les ont mandat pour améliorer la participation citoyenne aux processus de prise de décision politique et de conception des dispositifs d’action publique par un ensemble de directives européennes et de lois nationales, l’injonction à entreprendre un travail sur les liens nous semble à ce jour moins institutionnalisée. Dans le cas des professionnel·les que les articles de ce dossier étudient, cette injonction se manifeste plus subtilement par des consignes hiérarchiques transmises oralement (Arnoulet, Bical, Haapajärvi), par des formations au « travail social interculturel » (Haapajärvi), des supports pédagogiques dont disposent les intervenant·es (Bical) ou encore par des documents de différents statuts juridiques et pas toujours bien connus par les acteurs et actrices du terrain tels le Contrat urbain de cohésion sociale auquel réfèrent les professionnel·les rencontré·es à Tiercy (Haapajärvi) ou les bilans réalisés par la ville de Stains et du département de Seine–Saint-Denis en circulation parmi les acteurs et actrices institutionnel·les présent·es dans le quartier de Clos Saint-Lazare (Arnoulet).
1 Les politiques sociales que l’État déploie dans les quartiers populaires interviennent aujourd’hui autant sur les liens et les sentiments des citoyen·nes précaires que sur leurs situations sociales et économiques. Au lieu d’améliorer leur accès aux droits, elles cherchent à réformer les relations et les émotions qui attachent les résident·es des quartiers prioritaires les un·es aux autres. Dès lors, elles juxtaposent aux définitions juridiques et sociales de la citoyenneté une vision moralisée de ce statut et refaçonnent profondément les modes d’intervention des professionnel·les du travail social, leurs rapports aux publics précaires ainsi que ce que ces publics peuvent espérer de la part de l’État. Tel est le pari servant de point de départ aux recherches rassemblées dans ce dossier thématique qui interroge, sur des terrains situés en France, les tentatives des travailleurs et travailleuses sociales de résoudre des problèmes sociaux par la transformation de la quantité, de la qualité et de la configuration des relations qui attachent les individu·es précaires les un·es aux autres, mais aussi aux agent·es et aux institutions de l’État – autrement dit, de gouverner par les liens.
2 La transition vers des modes de gouvernement centrés sur les liens exprime une transformation profonde des États sociaux en Europe occidentale. De nouvelles idéologies de welfare – telles que le « welfare communautaire » en Italie (Muehlebach, 2012 ; Marchesi, 2022), « l’État social de proximité » aux Pays-Bas (Duyvendak, Tonkens, 2018 ; Vollebergh, 2022), le « welfare participatif » dans les pays nordiques (Matthies, Uggerhøj, 2014 ; Meriluoto, Litmanen, 2019 ; Sjöberg, Turunen, 2018), « l’État social actif » en Belgique (Franssen, 2008) ou « l’État animateur » en France (Donzelot, 2003) – ne sont plus seulement ou principalement comprises comme une redistribution des ressources matérielles par une régulation étatique : elles visent à produire à l’échelle locale des ressources immatérielles telles que des solidarités vicinales et le sentiment d’une appartenance commune. Ces éléments sont désormais considérés comme des supports indispensables pour l’empowerment individuel et la création de communautés cohésives, finalités poursuivies par les programmes participatifs de politique sociale (Carrel, 2013 ; de Wilde, 2016 ; Duvoux, 2015 ; Nez, Neveu, Garnier, 2023). Or, peu de recherches ont étudié de façon systématique la mise en pratique concrète des techniques relationnelles du travail social, les dynamiques qu’elles engendrent entre les professionnel·les de l’État social et les bénéficiaires, leurs effets sur les personnes ciblées ainsi que sur l’État social lui-même.
3 Ce dossier thématique vise à faire dialoguer les recherches françaises avec les analyses forgées dans d’autres contextes européens pour affiner notre description des causes, des dynamiques et des conséquences des pratiques de gouvernance relationnelle. Pour irriguer ce dialogue, nous avons choisi de reprendre et traduire dans ce dossier l’article « L’État par l’intime » (Intimate States) d’Anick Vollebergh, Anouk de Koning et Milena Marchesi publié en 2021 dans Current Anthropology, qui propose un programme de recherche nuancé pour analyser le fonctionnement de ce mode de protection sociale, qualifié de « gouvernance relationnelle ». À partir d’enquêtes de terrain menées en France, en Italie et aux Pays-Bas, ces anthropologues distinguent trois caractéristiques qui démarquent l’approche relationnelle des modes de travail social classiques : (1) la substitution des interactions « de guichet » par des interventions de proximité au niveau des quartiers où vivent les individus et les groupes ciblés ; (2) la propension à réduire, masquer et effacer les frontières entre les agent·es de l’État et les bénéficiaires, ainsi qu’entre l’État et la société, ce qui contribue à brouiller les rôles et les responsabilités des professionnel·les du travail social et des citoyen·nes précaires ; (3) le recours au travail affectif pour forger des sentiments d’intimité entre les bénéficiaires, mais aussi entre les bénéficiaires et les professionnel·les, perçu comme la condition sine qua non d’interventions sociales plus efficaces que les approches standardisées de l’État social « fordiste » dépeint comme bureaucratique et éloigné de la réalité concrète des populations.
4 Selon cette approche, l’ambition du présent dossier est de mettre en contraste cinq études de cas réalisées sur des dispositifs d’action publique mobilisant des techniques de gouvernance relationnelle en France avec des transformations similaires des politiques sociales en Europe. Nous ouvrons ce dossier par l’article « L’État par l’intime », avec lequel les cinq articles qui suivent entrent en dialogue. Les auteurs et autrices des articles constatent sur leurs terrains de recherche des tendances similaires à celles qui sont mises en exergue par Anick Vollebergh, Anouk de Koning et Milena Marchesi. Mais ils et elles repèrent aussi des différences contextuelles et des dynamiques qui dépassent le centre d’intérêt de cet article programmatique. Il s’agit d’abord d’interroger les spécificités des contextes dans lesquels les enquêtes ont été réalisées, du contexte national, mais aussi de celui des programmes spécifiques et des espaces de leur déploiement, qu’il s’agisse des quartiers populaires, des espaces ruraux ou des programmes d’insertion destinés aux réfugié·es. Par ailleurs, les auteurs et autrices font le choix de se focaliser sur les interactions situées entre les professionnel·les et les bénéficiaires. Ces rencontres sont envisagées comme des espaces de production de la gouvernance relationnelle, dont les effets apparaissent aussi importants que ceux de leur conception « sur papier » par les élites administratives et politiques.
5 Les interrogations que nous soulevons émanent de deux dynamiques collectives de recherche. Dans un premier temps, la proximité de leurs thèmes et terrains de recherche sur les femmes immigrées visées par des dispositifs participatifs dans les quartiers populaires de Paris et Helsinki a conduit Linda Haapajärvi et Olivia Vieujean à organiser un atelier de recherche intitulé « Participations, solidarités, inégalités » dans le cadre de l’axe « Inégalités et Solidarités » du Centre Maurice Halbwachs au printemps 2021. L’objectif de cette rencontre était de questionner l’approche participative des politiques sociales et de comprendre comment s’est opéré un déplacement de la conception du welfare basé sur les droits vers une approche axée sur la participation. Ensuite, en mai 2022, des journées d’étude internationales ont été organisées en collaboration avec Flávio Eiró et Anick Vollebergh au Centre Maurice Halbwachs. Cet évènement visait à croiser les perspectives européennes et à approfondir la réflexion sur les transformations de l’État social dans les divers contextes nationaux abordés dans les travaux présentés – à savoir la France, la Finlande, les Pays-Bas et la Hongrie. Ces journées d’étude ont été structurées autour de trois axes principaux. En premier lieu, il s’agissait d’explorer les pratiques concrètes du « gouvernement par les liens » pour comprendre comment celles-ci se manifestent dans différents contextes européens. Ensuite, nous avons porté une attention particulière à la manière dont les populations ciblées s’approprient les dispositifs qui interviennent dans le tissu relationnel local. Enfin, une réflexion a été menée sur les manières dont les acteurs et actrices, les situations et les pratiques qui concourent à la gouvernance relationnelle participent à la recomposition de l’État social « par le bas » et de la production d’effets d’exclusion, en dépit de la dimension explicitement égalitaire et inclusive des programmes participatifs de welfare.
6 Les cinq articles que rassemble ce dossier prolongent et approfondissent les analyses menées dans le cadre de ces deux dynamiques collectives de recherche. Un enrichissement mutuel entre les différentes perspectives conceptuelles et empiriques sur la gouvernance relationnelle que mobilisent ces articles et l’article « L’État par l’intime » nous semble possible et fécond. Pour le mettre au jour, cette introduction s’inspire de l’invitation de Thomas Bierschenk et Jean-Pierre Olivier de Sardan (2014) à étudier l’État en tant que « lieu de contention » entre des idées normatives concurrentes – un effort toujours inachevé, en cours de reconstruction et de remodelage. Les terrains investis par les auteurs et autrices dont nous présentons le travail font apparaître des conceptions concurrentes de l’État : un État « wébérien », bureaucratique, rationnel et froid, et un État plus proche des populations, horizontal et chaleureux, un État prompt à s’inviter dans l’intimité de leur vie ordinaire (Haapajärvi, 2023 ; Vollebergh, de Koning, Marchesi, 2021). Cette orientation va de pair avec l’approche de la citoyenneté théorique et méthodologique des sociologues ayant contribué à ce dossier et qui consiste à saisir, par la méthode ethnographique, les pratiques et les situations concrètes par lesquelles est imaginée, tissée et débattue la trame relationnelle de la « citoyenneté ordinaire » (Carrel, Neveu, 2014). Tirant bénéfice de cette tension, les articles du dossier portent un regard résolument processuel et relationnel sur l’État (Barrault-Stella, 2021) tout comme sur la citoyenneté (Clarke et al., 2014 ; Neveu et al., 2011), et proposent une vision nuancée des institutions et des politiques étatiques en tant que processus de bricolage permanent, jamais entièrement le produit de l’une de ces idées normatives, mais plutôt lieu de rencontre entre des forces productrices distinctes, parfois antagoniques. Sur ces terrains, les professionnel·les semblent subir des injonctions contradictoires entre leurs responsabilités administratives et managériales et leur élan à sortir du bureau, à se lier aux citoyen·nes précaires et à produire des transformations en agissant sur les liens et les sentiments. Les bénéficiaires aussi naviguent dans un paysage institutionnel complexe avec des besoins et des désirs multiples : au quotidien, leurs quêtes de sociabilités bien réelles se mêlent très souvent avec des visées plus stratégiques telles que la recherche d’accès à des ressources et des opportunités tangibles d’argent et d’emploi. Les interactions ordinaires entre les professionnel·les et les bénéficiaires apparaissent alors comme un lieu d’effondrement des stratégies préméditées, comme un lieu de rencontre des pratiques discrétionnaires des professionnel·les et des techniques subversives des bénéficiaires, aboutissant à d’innombrables adaptations mutuelles (Dubois, 2008 ; Eiró, 2019 ; Rice, 2012). Nous examinerons ces interactions en tant que lieu où se produisent des effets imprévus sur les dispositifs mis en œuvre, sur les liens à réformer et sur la relation en évolution entre l’État et les citoyen·nes.
7 Cette introduction aborde ces différentes directions de recherche. Elle expose d’abord, à l’échelle européenne, l’émergence de la gouvernance relationnelle en tant que remède à la concentration spatiale des inégalités socio-économiques et ethnoraciales. Nous présentons dans un deuxième temps notre approche de la gouvernance relationnelle, appuyée sur l’idée du gouvernement par les liens. Enfin, nous interrogeons l’immatérialisation du welfare que produit le mouvement vers les techniques relationnelles du travail social : une transformation profonde de l’État social pourtant peu documentée et conceptualisée jusqu’ici. L’analyse intersectionnelle apparaît comme une lentille efficace pour analyser des techniques relationnelles du travail social et leur dimension profondément genrée, jusqu’ici omise au profit des analyses centrées sur les catégorisations de classe et de race. L’introduction aboutit enfin à une interrogation concernant la transformation qu’induit le gouvernement par les liens sur la nature du contrat social au sein des sociétés européennes.
Du guichet au quartier, des droits aux liens : transformations des paysages de la gouvernance
8 À rythme et à intensité variables, les pays d’Europe occidentale ont investi dans les modes de gouvernance relationnelle pour faire face à trois mutations sociales d’ampleur : l’effritement de la société salariale de l’après-guerre, la ségrégation de l’espace urbain et la constitution des minorités raciales et religieuses. Dans le contexte britannique, cette tendance s’est exprimée dès les années 1990 par le principe de « gouvernement par la communauté », comme formulé par Nikolas Rose (1996) : il mettait notamment en avant le phénomène de la « mort du social » acté par le déplacement de l’idée de la citoyenneté de ses registres classiques, social et national, vers les communautés locales et les conceptions morales de ce statut. Dans une optique libérale de « community cohesion », les citoyen·nes britanniques appartenant à des groupes locaux ont été responsabilisé·es pour la protection de chacun·e contre les aléas de la vie (Ratcliffe, 2012). Dans le contexte de l’État social italien, Andrea Muehlebach (2012) a souligné l’interrelation entre les réformes néolibérales de l’État et la moralisation de la citoyenneté, en mettant l’accent sur la promotion d’un récit éthique qui justifie le retrait relatif de l’État de ses responsabilités sociales et économiques par la mise en avant du bénévolat auprès des individus précaires et des quartiers stigmatisés. Aux Pays-Bas, des réformes similaires ont été menées au nom du développement des interventions sociales de « proximité » mises en pratique au sein des quartiers populaires par des travailleurs et travailleuses sociales possédant une connaissance intime de la vie quotidienne des populations, voire partageant cette condition (de Koning 2015). Enfin, dans les pays nordiques, dont le régime « universaliste » de welfare a traditionnellement fonctionné selon le principe « tout le monde contribue, tout le monde bénéficie » (Kildal, Kuhnle, 2005), les années 2000 ont témoigné de la prolifération des méthodes « participatives » du travail social selon la double promesse d’inclusion des publics vulnérables dans les processus de prise de décision et de leur « maintien en activité », si ce n’est sur le marché d’emploi pour la production des richesses nationales, au sein des quartiers et de communautés cohésives (Haapajärvi, 2021 ; Klarenbeek, Weide, 2020).
9 En dépit de grandes variations nationales, la restructuration de l’État social en Europe a conduit à une décentralisation des politiques sociales des agences nationales vers des organisations locales et à une externalisation de la production des services sociaux vers le secteur associatif et les associations bénévoles – souvent via des procédures basées sur le marché telles que les appels à projets et les appels d’offres concurrentiels (Hély, 2009 ; Cottin-Marx, 2019 ; Newman, Clarke, 2009 ; Muehlebach, 2012 ; Nicholls, 2006). Autrement dit, ces transformations consacrent un changement d’échelle et de moyens d’intervention : des « guichets » des administrations sociales vers les quartiers d’habitation, des droits sociaux vers les liens interpersonnels. Cette reconfiguration du bien-être est soutenue par une idéologie de l’humanisation de l’État social : il s’agirait de le rendre plus proche, durable et réactif aux besoins locaux, en remplaçant le formalisme bureaucratique froid du guichet social par des activités et des espaces reposant sur des relations de soin et d’autonomisation plus horizontales et informelles (Vollebergh et al., 2021 ; Duyvendak, Tonkens, 2018 ; Newman, Clarke, 2009). Cela s’accompagne d’une nouvelle moralisation de la citoyenneté, dans laquelle les citoyen·nes sont sollicité·es et s’engagent à orienter leurs affects moraux de solidarité, de soin et de compassion envers leurs concitoyen·nes et la réémergence de la socialité locale (Muehlebach, 2012, p. 18). Les chercheurs et chercheuses critiques ont souligné que ces nobles idéologies de bien-être ont toutefois été accompagnées de réductions budgétaires dans les services publics, ainsi que d’un régime de plus en plus conditionnel et punitif régissant l’accès aux prestations sociales et au logement social, alors qu’une part de plus en plus importante de la population vit dans la précarité et la pauvreté (Ahlqvist, Moisio, 2014 ; Dubois, 2014 ; Koch, James, 2022 ; Koch, 2015). Dans ce cadre, les principes moraux tels que la proximité, le soin et la solidarité au sein des nouveaux régimes de bien-être agissent comme un masque visant à dissimuler et à rendre plus acceptable la réalité amère du démantèlement de l’État social. Selon cette interprétation, la gouvernance relationnelle agit soit comme un mode cruel de subjectivation, incitant les professionnel·les, les bénévoles et les bénéficiaires des prestations sociales à accepter l’inacceptable (Arts, van den Berg, 2019), soit comme une « dépossession avec accolade » (Glick Schiller, 2021, p. 756) orchestrée politiquement.
10 Dans le contexte français, la notion de « lien social » a fédéré les recherches sur les politiques sociales qui, depuis les années 1980, ciblent les individu·es précaires non seulement comme citoyen·nes que des droits sociaux protègent individuellement, mais aussi comme habitant·es de leur quartier (Astier, 2007 ; Donzelot, 2003 ; Tissot, 2007). Cette orientation des politiques sociales exprime un changement profond de la façon dont le lien social a été conceptualisé au sein des sciences sociales françaises. Serge Paugam (2008) envisage le lien social comme une métaphore qui réfère à ce qui fait tenir ensemble une société : les composants matériels et moraux de l’ensemble des solidarités qui relient les un·es aux autres les personnes, les groupes et les institutions. Cette définition mobilise à la fois l’idée de l’intégration de la société nationale – d’une division du travail juste et d’une régulation normative efficace – ainsi que de l’individu à la société nationale par la protection matérielle et la reconnaissance sociale. C’est dans ce double sens, institutionnel et individuel, que le lien social serait menacé par l’effritement de la société salariale. Et c’est l’idée d’une menace de désintégration qui a fait place à une intervention sociale territorialisée, depuis les « guichets » et les interactions bureaucratiques standardisées vers les quartiers, conçus comme « cellules de base de la société » (Astier, 2007 ; Donzelot, 2004 ; Tissot, 2007) où les solidarités pourraient se développer de façon plus naturelle qu’à l’échelle abstraite de la société nationale (Rose, 1996). Les modes de gouvernance relationnelle renvoient en arrière-plan la dimension matérielle des solidarités sociales et agissent uniquement sur les sentiments d’appartenance et la participation des populations à l’échelle locale. Ils révèlent ainsi une conception des liens comme solidarités incarnées par des relations strictement interpersonnelles et participatives : chacun·e doit prendre part à la vie commune, mettre en avant son activité et sa volonté de contribuer au bien commun, en contrepartie de ce qu’il ou elle reçoit des autres et surtout de l’État (Astier, 2007 ; Paugam, 2011). Parler de liens plutôt que de lien dénote l’abandon du lien social comme concept abstrait : il s’agit de mettre en avant son caractère pluriel, proposant une signification davantage incarnée par la personne et son inscription dans des relations émotionnelles et affectives concrètes.
11 Mais comment la restauration des liens interpersonnels est-elle mise en pratique dans les nouveaux contextes de la gouvernance relationnelle auxquels s’intéresse ce dossier ? De quelle manière la gouvernance relationnelle reconfigure-t-elle les rapports entre l’État et les citoyen·nes précaires, les professionnel·les et les bénéficiaires du welfare ? Que doivent les un·es aux autres, les citoyen·nes à l’État et vice versa quand l’épicentre du social se déplace de la collectivité nationale au voisinage ? Que parviennent à produire concrètement les programmes de gouvernance relationnelle ?
Ce que gouverner par les liens veut dire
12 Les cinq articles de ce dossier se distinguent des travaux passés par un déplacement du regard de la genèse et des idées normatives qui jalonnent les interventions centrées sur les liens, vers les interactions situées dans lesquelles sont mises en pratique les techniques relationnelles du travail social. Les cinq articles ont en commun d’envisager le gouvernement par les liens comme un mode de protection sociale ayant pour but de lutter contre les inégalités sociales par la transformation des relations qui connectent les individu·es marginalisé·es les un·es aux autres et aux agent·es et institutions de l’État. Au lieu de viser l’individu, ses conduites, ses valeurs et normes ou encore ses émotions, le gouvernement par les liens cherche à résoudre des problèmes sociaux urgents – la précarité, le non-accès aux droits, l’insécurité, l’isolement social – par la production de certains types d’articulations de l’individu et du collectif. Il s’agit d’un mode de gouvernement profondément relationnel qui cherche à résoudre des problèmes sociaux en les abordant à hauteur des liens concrets noués entre des personnes en chair et en os et qui, ce faisant, investit ces liens d’un pouvoir de transformation sociale.
13 Les littératures française et européenne ont ceci en commun qu’elles ont principalement étudié les modes de gouvernance relationnelle dans les quartiers populaires des grandes villes. Tout comme les banlieues françaises (Epstein, 2013 ; Hammouche, 2012 ; Tissot, 2007), les achterstandsbuurten néerlandais (Uitermark, 2014), les periferies italiennes (Marchesi, 2021 ; Muehlebach, 2012) et les estates britanniques (Fortier, 2010, 2016) ont servi de site d’expérimentation aux nouveaux modes de travail social, car c’est dans ces espaces que l’interaction de la pauvreté avec la diversité raciale et religieuse des populations européennes est perçue comme nocive à la qualité du tissu social local. C’est ainsi dans les quartiers populaires qu’un ensemble de professionnel·les du travail social – formé·es aux tâches de l’animation, de l’accompagnement, de l’éducation ou encore de la médiation – s’attèle quotidiennement à produire des liens plus nombreux et plus denses entre les habitant·es socialement et racialement marginalisé·es de ces zones. Deux articles de ce numéro poursuivent cette tendance marquante des travaux passés : Violette Arnoulet et Linda Haapajärvi mettent au jour les tentatives de solidification des liens entre les femmes immigrées résidant dans des « quartiers prioritaires » situés en Île-de-France. Les trois autres articles étendent quant à eux l’analyse vers des contextes de mise en pratique de la gouvernance relationnelle dont les sciences sociales se sont peu emparées. En analysant les ateliers d’informatique organisés par une association à laquelle l’État délègue la prévention de la fracture numérique en milieu rural, Chloé Devez dépeint la petite commune étudiée comme tout autant sujette à des inégalités territoriales que les banlieues pauvres des métropoles. Dans ces espaces aussi, le travail sur les liens forme alors une étape cruciale de la mise en œuvre des politiques publiques destinées aux personnes en situation de « fracture numérique » – qui au fond n’est jamais seulement numérique, mais est aussi sociale et souvent genrée. Enquêtant auprès des ateliers soft skills qu’organise une start-up fondée par des étudiant·es d’une prestigieuse école de commerce parisienne pour favoriser l’insertion professionnelle des réfugié·es, Ulysse Bical décentre le regard habituellement posé sur la gouvernance relationnelle : loin d’apparaître comme une intervention endogène au monde du travail social, les interventions sur les liens et les émotions émanent aussi des méthodes managériales par lesquelles les entreprises capitalistes tentent d’améliorer leur productivité (Illouz, 2006 ; Salman, 2021). L’article de Tessa Bonduelle souligne, enfin, qu’au sein des centres d’accueil des demandeurs d’asile, le travail sur les liens apparaît avant tout comme un idéal lointain, un horizon inatteignable en raison de la fragilité structurelle du secteur associatif auquel les politiques publiques sont désormais sous-traitées.
14 En changeant l’échelle d’intervention, la gouvernance relationnelle a créé des « métiers flous », dont les objectifs sont indéterminés et orientés vers la résolution de problèmes publics à portée générale (Jeannot, 2005). Ces réseaux complexes et des responsabilités professionnelles ambiguës vis-à-vis des publics (Vollebergh, de Koning, Marchesi, 2021) impliquent les professionnel·les du welfare dans la planification détaillée de rassemblements locaux, dans le recrutement des participant·es par leurs réseaux personnels et dans l’orchestration de modes de sociabilités horizontales et informelles, autrement dit dans la création de « publics intimes » qui ouvrent aux interventions à la fois les pratiques privées des participant·es et les cadres moraux des liens interpersonnels qu’il est question de réformer (Marchesi, 2022). Parmi les articles de ce dossier thématique, cette propension à brouiller les frontières entre les professionnel·les et les bénéficiaires est particulièrement présente sur les terrains de Chloé Devez, Violette Arnoulet et Linda Haapajärvi. Chloé Devez met en évidence la position charnière de deux animatrices de l’association Informatique pour tous sans laquelle la lutte contre la fracture numérique ne serait pas possible à l’échelle locale : militantes associatives locales de longue date, elles sont capables de porter la casquette de « partenaires institutionnelles » et ainsi d’obtenir des financements et des locaux pour les ateliers, mais aussi de mobiliser leur connaissance du terrain et de ses habitant·es pour recruter des participant·es aux ateliers qu’elles organisent. Violette Arnoulet forge une contribution originale par rapport aux recherches existantes en montrant comment les deux animatrices associatives, anciennes militantes communistes, mettent en pratique leur pouvoir d’agir politique dans un contexte institutionnel assez peu favorable à une telle démarche (Nez, Neveu, Garnier, 2023), parviennent à politiser la cause des « femmes du quartier » et choisissent d’agir autant dans le sens de l’accès aux droits du public féminin local que de l’animation des sociabilités féminines, leur mandat initial. Enfin, alors que les recherches précédentes se sont concentrées sur la perspective des professionnel·les, Linda Haapajärvi met l’accent sur les « tactiques de participation » des femmes immigrées ciblées par des interventions sur les liens qui les attachent à leur voisinage et leur quartier. Outre la mise en évidence de l’autonomie des bénéficiaires et de la multiplicité des projets qu’elles parviennent à asseoir sur les dispositifs d’action publique, son article argumente contre une vision normative du brouillage des catégories comme forcément problématique : c’est précisément le flou entre les rôles et les responsabilités des professionnel·les et des bénéficiaires, entre les registres administratifs et intimes qui permet aux femmes immigrées de se ménager une marge de manœuvre au sein des programmes qui les visent et, parfois, de les utiliser pour avancer des objectifs qui dépassent les intentions institutionnelles. Ces contributions montrent ainsi comment en atténuant les situations de domination (Siblot, 2006), la proximité, autant sociale que relationnelle, donne aussi à voir la marge de manœuvre des publics émanant du gouvernement par les liens.
15 Enfin, si les travaux français s’alignent avec les arguments de l’article « L’État par l’intime » en ce qui concerne l’effort des professionnel·les pour mettre en jeu leur personne et entretenir des relations rapprochées aux bénéficiaires comme condition du travail social (Astier, 2007 ; Hammouche, 2012), relativement peu de recherches réalisées dans ce contexte se sont penchées sur les pratiques concrètes que suppose le gouvernement par les liens. Quelques exemples les mettent toutefois en lumière : dans les quartiers prioritaires, les professionnel·les en charge de la mise en pratique des dispositifs participatifs du welfare cherchent à connecter les mères immigrées les unes aux autres en insistant sur la commensalité et l’atmosphère familiale (Chevallier, 2019 ; de Wilde, 2016 ; Haapajärvi, 2021, 2022a) ou à disqualifier de la vie publique locale les mobilisations des minorités ethnoraciales et religieuses par souci d’agir contre le « communautarisme » (Haapajärvi, 2022b ; Mohammed, Talpin, 2018). Ces travaux permettent de repérer deux techniques cruciales du gouvernement par les liens : le tri entre les relations à encourager ou à disqualifier, le tri entre les modes de relationnalité à promouvoir ou à proscrire. Dans le sillage de ces exemples, Ulysse Bical montre comment les animateurs des ateliers soft skills tentent de préparer les hommes réfugiés demandeurs d’emploi à entretenir des relations appropriées à leurs collègues supposément non immigré·es, ceci en leur apprenant à effectuer un dosage correct d’intimité et de distance, en les alertant contre des comportements qui pourraient être interprétés comme « communautaristes » ou « machistes » et en les incitant à éviter la conflictualité, même devant des atteintes (racistes) contre leur personne. De façon sensiblement différente, Chloé Devez constate des effets de tri moins volontaires. Les animatrices associatives, retraitées non immigrées ancrées dans la commune depuis longtemps, parviennent en effet à mobiliser des participantes avec lesquelles elles partagent ces caractéristiques, tout en peinant à attirer vers les ateliers d’informatique des publics qui s’écartent de ce profil et de ces réseaux de sociabilités, notamment des immigré·es récent·es, bien souvent en situation de fracture numérique. Ces articles contribuent ainsi aux travaux précédents qui mettent en évidence le pouvoir social et politique des liens, c’est-à-dire la façon dont ces formes relationnelles promues par les dispositifs de gouvernance relationnelle contribuent à la (re)production des rapports de forces et des effets d’exclusion, selon des principes de division multiples, de classe, de sexe et de race.
Brouillage des rôles et confusions autour de la valeur de la gouvernance relationnelle
16 Alors que les travaux précédents se sont concentrés sur la pratique relationnelle de la gouvernance, nous proposons à travers les cinq études de cas de ce dossier d’interroger les ressources, matérielles et immatérielles, que mettent en circulation les liens ainsi produits. Quelle place reste-t-il à la prise en compte des besoins matériels dans les programmes qui cherchent à répondre à la précarité et aux inégalités par le renforcement des liens interpersonnels ? Est-ce que les agent·es qui mettent en pratique ces programmes parviennent à répondre aux besoins de protection matérielle des personnes précaires en même temps qu’ils et elles œuvrent à forger des liens et des émotions ? Comment est-ce qu’ils et elles articulent la distribution d’aides financières, sous différentes formes et réciprocités affectives ? Est-ce qu’ils et elles doivent arbitrer entre les deux et participer à leur insu au démantèlement de l’État social (Forbess, 2022) ? Nous posons l’hypothèse que les programmes de gouvernance relationnelle contribuent à l’immatérialisation du welfare au sens où les politiques sociales invisibilisent les problèmes socio-économiques concrets auxquels font face les personnes – chômage, pauvreté, non-accès aux droits – au profit d’un travail portant davantage sur les sentiments qui les lient. Quelle est la réponse des bénéficiaires à cette mutation des politiques ? Ces questions comportent des enjeux cruciaux dans un contexte où les rôles sont brouillés et où les travailleurs et travailleuses sociales reçoivent l’injonction de nouer des relations empreintes d’intimité, d’empathie et de réciprocité avec les publics – avec qui ils et elles partagent certains traits d’une appartenance et d’une précarité de condition, au-delà de distances sociales persistantes (Barthélemy-Stern, 2007 ; Lafore, 2020 ; Siblot, 2006) bien que variables selon les contextes, comme le soulignent les articles de ce numéro et les autrices de « L’État par l’intime » (Vollebergh et al., 2021, p. 747-748). Comment sont alors négociées la signification et la valeur des liens ? Qui « produit » et qui « consomme » l’État social ?
17 Les professionnel·les du « gouvernement par les liens » s’imposent comme des pivots de la relation que les pouvoirs publics nouent avec les bénéficiaires de ce travail social précarisé : ce sont les vecteurs essentiels de l’accès aux droits (Lafore, 2014) et de la distribution des ressources aux populations vulnérables (Koch, James, 2022). En matière d’accès à des ressources et des opportunités vitales – logement, santé, emploi –, les travailleurs et travailleuses sociales agissent main dans la main avec de nouveaux acteurs et nouvelles actrices du travail social qui tentent de cartographier et de collectiviser les besoins du territoire (Chopart, 2000 ; Ravon, Ion, 2012 ; Voléry, 2008 ; Marchesi, 2022) et d’y répondre par la production et la diffusion locale des ressources immatérielles telles que les affects et les émotions (Virat, Lenzi, 2018). Dans ce dossier, l’article de Chloé Devez montre combien les « conseillères numériques » sont des intermédiaires incontournables et personnifiées entre l’État et les individu·es précaires. Loin de dispenser des compétences purement techniques, elles informent les participant·es des ateliers d’informatique sur leurs droits et fournissent des efforts soutenus pour former de petits groupes soudés dont chaque membre peut prendre ses marques devant un État davantage dématérialisé. C’est également le cas des animatrices de l’association de femmes qu’a étudiées Violette Arnoulet qui, en plus de produire des sociabilités féminines, consacrent leurs efforts à obtenir les ressources qu’elles considèrent les mieux adaptées aux besoins spécifiques des femmes. Les responsables des associations étudiées par Tessa Bonduelle revendiquent de pouvoir faire un travail plus « humain » et procèdent pour cela à différentes adaptations des objectifs qui leur sont donnés, et en suivant leurs propres normes organisationnelles, malgré les défis posés par la décomposition de l’État social. Autrement dit, l’accès à ces ressources indispensables, d’une diversité éclairante, ainsi que leur circulation au sein des relations concrètes, sont largement médiatisés par la participation sociale locale.
18 L’ambiguïté que nous souhaitons explorer ici renvoie à la position des acteurs et actrices de la gouvernance relationnelle dans le circuit de distribution des ressources matérielles. Bien qu’incité·es à produire des liens et des affects [1], ces professionnel·les font directement face aux besoins matériels des bénéficiaires, souvent sans avoir les moyens d’y répondre. Alors que leur formation, le plus souvent dans les métiers de l’animation, les tient à distance des formes les plus bureaucratiques de l’aide sociale, ils et elles n’en consacrent pas moins de temps aux tâches administratives (Cottin-Marx, Paradis, 2020). Auprès des usagers et usagères, même les travailleurs et travailleuses sociales ayant un diplôme d’État en arrivent à se considérer comme « extérieurs à l’État » tant leurs missions professionnelles s’éloignent des pratiques classiques du travail social (Tuckett, 2022 ; Ballière, 2011 ; Grimard, Zwick Monney, 2016). Ce paradoxe est particulièrement fort parmi les travailleurs et travailleuses associatives et les bénévoles, ces intermédiaires du travail social dont il est attendu qu’ils et elles développent une certaine proximité ou une complicité avec les bénéficiaires tout en préservant des formes de distanciation jugées nécessaires du point de vue de leur professionnalisme (Autès, 2013 ; Muehlebach, 2012). Ces relations paradoxales ont été décrites comme des pédagogies affectives empreintes de cynisme (Arts, van den Berg, 2019) : les professionnel·les de la gouvernance relationnelle ont pris soin de prémunir les citoyen·nes d’un État social dépecé et d’un marché du travail instable, tout en leur inculquant un certain ethos individuel d’optimisme infaillible, qui seul saurait les maintenir en état d’orientation active vers l’emploi.
19 L’analyse d’Ulysse Bical renseigne sur cette pédagogie paradoxale déployée par les bénévoles étudiant en école de commerce à destination des réfugié·es en quête d’emploi. Tessa Bonduelle, pour sa part, explore son envers : une socialisation au pessimisme et à la résignation des demandeurs et demandeuses d’asile, dont les perspectives d’accès aux papiers, au logement et à l’emploi sont sombres. Nous constatons toutefois que si ces pédagogies semblent parfois reproduire et légitimer les rhétoriques néolibérales de l’austérité et de l’hyperconcurrence, elles comportent également des traces de critique en faisant référence à des ordres moraux alternatifs : la frustration des intervenant·es d’associations quant à leur impossibilité de fournir un accueil efficace aux demandeurs et demandeuses d’asile (Bonduelle), les efforts de politisation des interventions auprès des femmes des quartiers populaires par les intervenantes issues de ce même monde (Arnoulet) et la tolérance affichée par les travailleuses sociales envers les appropriations alternatives des dispositifs participatifs des femmes immigrées (Haapajärvi).
20 Enfin, la délégation de la gouvernance relationnelle à un ensemble hétérogène d’agent·es – travailleurs et travailleuses sociales, animateurs et animatrices, conseillers et conseillères, intervenant·es d’associations et bénévoles – pose frontalement la question de la valeur du travail qu’elle requiert. Dans le contexte des politiques qui adoptent les liens interpersonnels en tant que moyen et finalité d’intervention sociale, quelles pratiques sont appréhendées, désignées et récompensées comme du travail ? À l’échelle des interactions, qui travaille et qui bénéficie, qui produit et qui consomme ? Nous proposons d’invoquer la notion du « travail gratuit », qui désigne des activités (re)productives non rémunérées et non contraintes (Beverungen, Böhm, Land, 2015), pour analyser les ambiguïtés de la production de la gouvernance relationnelle. Ce prisme analytique a permis aux chercheurs et chercheuses en sciences sociales de décloisonner les catégories permettant d’appréhender le travail en repartant de ses différentes manifestations au sein du monde associatif (Hély, 2009 ; Simonet, 2008, 2010). Il nous semble également utile pour informer l’examen des formes nouvelles d’activité déployées par la gouvernance relationnelle, qui questionnent les frontières du travail (Dujarrier, 2021) et de l’État. Dans ce domaine, l’impératif du « désintéressement » (Bourdieu, 2022) génère un processus de gratuitisation du travail (Simonet, 2018) qui se manifeste par l’appel désormais courant au « travail bénévole » (Simonet, 2010), mais aussi au « travail des usagers » (Cohen, 2023), au « travail de subsistance » des classes populaires (Collectif Rosa Bonheur, 2019) ou à la participation des « femmes du quartier » en réponse aux injonctions activatrices (Vieujean, 2022).
21 Ce prisme est efficace pour questionner la façon dont le floutage des contours du travail social recouvre différents registres de l’engagement politique et de l’engagement affectif, ce qui, à l’échelle des relations interindividuelles, génère des valorisations confuses et contradictoires. Dans ce dossier, les conseillères numériques du milieu rural (Devez) et les animatrices d’un quartier populaire de Stains (Arnoulet) mettent au service des dispositifs qu’elles pilotent leur propre personne et leur réseau de sociabilités, leur temps de loisir et leurs déplacements privés dans le territoire concerné, à tel point qu’il devient impossible de dire où commencent et où s’arrêtent leurs responsabilités professionnelles. Si les femmes qui font la cuisine au « café des résidents » observé par Linda Haapajärvi parviennent à tirer un profit économique de ces ateliers, leur travail – achat des ingrédients, préparation et service des repas, nettoyage – est une condition sine qua non. Sans ce travail gratuit, le café, la commensalité et les sociabilités qu’elles maintiennent cesseraient d’exister. Mais l’analyse de Haapajärvi montre aussi que la gratuité du travail des participantes n’est pas une fatalité : la démarche de celles que l’on rabat trop souvent sur une position de réceptrices passives des politiques publiques apparaît ici comme une forme de « braconnage » de la gouvernance relationnelle qui tâche de convertir les préceptes de la participation en ressources concrètes, en argent nécessaire pour payer le loyer, remplir le réfrigérateur et acquérir des titres de transport pour les enfants.
Le genre de la gouvernance relationnelle
22 En s’inscrivant dans les tissus relationnels locaux, qui mettent l’accent sur la capacité de l’individu·e à s’inscrire dans des dynamiques de sociabilité, les techniques concrètes de la gouvernance relationnelle s’appuient sur des assignations catégorielles, tant administratives qu’ordinaires. Il importe de les examiner pour comprendre les différentes formes de régulation étatique en jeu ainsi que les variations des expériences et des inégalités vécues par les personnes ciblées (Dandurand, Jenson, Junter, 2002). Si l’approche intersectionnelle a montré combien les relations entre travailleurs et travailleuses sociales et bénéficiaires étaient organisées selon certains rapports de pouvoir (Serre, 2012 ; Lahyiete, 2020), nous proposons ici d’explorer ces dynamiques dès lors qu’elles sortent du guichet et s’insinuent dans les liens interpersonnels que les professionnel·les entreprennent de réguler. Il apparaît que la gouvernance relationnelle s’inscrit dans les paysages déjà tracés de l’État social. Les femmes, à la fois dispensatrices et cibles historiques de l’intervention sociale (Jenson, 2011 ; Letablier, 2009), restent les actrices et les destinataires privilégiées de la gouvernance relationnelle par sa vocation à travailler « sur » ou « avec » les populations en marge du marché du travail et à mobiliser, en les brouillant, plusieurs régimes de valorisation du travail.
23 Ce dossier met alors en évidence une différence fondamentale entre les dispositifs participatifs des politiques sociales qui visent à lutter contre l’exclusion sociale par la réforme des liens interpersonnels et d’autres dispositifs participatifs, par exemple ceux de la démocratie participative. De fait, ces derniers sont à tel point implicitement pensés comme « masculins » qu’il a fallu soigneusement documenter et prouver leur saisie bien réelle par les femmes (Paoletti, Rui, 2015). La gouvernance relationnelle cible, elle, majoritairement les femmes et les enfants. Appuyés sur le « contrat sexuel » classique qui construit l’homme en tant que « travailleur » et la femme en tant que « ménagère » (Pateman, 2010), les programmes de gouvernance relationnelle s’adressent de façon prioritaire aux femmes, en particulier immigrées, sans emploi et en charge de jeunes enfants, autrement dit à des populations dont l’intégration sociale n’est pas pensée principalement en termes d’activité professionnelle et de politiques sociales contributives. Dans ce dossier, les articles de Violette Arnoulet et Linda Haapajärvi confirment cette tendance historique, tout en la transposant dans le contexte des quartiers populaires du tournant du xxi e siècle, où les mesures de gouvernance relationnelle sont taillées pour les femmes et en particulier les femmes immigrées. Les deux articles montrent que les liens qui attachent ces femmes à leur voisinage sont envisagés autant comme un moyen de traiter des problématiques féminines, de santé et de parentalité en particulier, que d’agir pour atténuer la distance des femmes vis-à-vis des normes, valeurs et pratiques des classes moyennes françaises. La dimension genrée apparaît aussi dans le travail de Chloé Devez. Les personnes en situation de fracture numérique – sans ordinateur personnel, sans compétences informatiques – sont plus souvent des femmes que des hommes. Or, l’autrice montre aussi que la dimension genrée du phénomène et les trajectoires personnelles et militantes des animatrices locales revêtent leur intervention d’une finalité émancipatrice : en équipant les femmes des zones rurales de moyens techniques, de mots de passe et de maîtrise de l’informatique, les animatrices tâchent de diminuer le contrôle masculin sur leur liberté de citoyennes numériques.
24 Mais ce dossier contient également deux articles analysant des dispositifs qui mobilisent des techniques de gouvernance relationnelle taillées pour des publics majoritairement masculins et étrangers. Ceux-ci imposent de mobiliser une approche intersectionnelle pour l’analyse des politiques sociales contemporaines. Ulysse Bical montre en effet comment les réfugié·es demandeurs et demandeuses d’emploi sont socialisé·es aux codes comportementaux présumés des firmes françaises par des interventions à la fois très précises et fortement culturalisées, tournées vers le contrôle de leurs pulsions sexuelles et de leur recherche supposée d’entre-soi communautaire. Aux antipodes des dispositifs qui visent les femmes avec des ateliers de couture ou de cuisine dans une atmosphère feutrée, ces ateliers de soft skills ouvrent très peu d’opportunités aux participant·es pour développer des relations aux autres ou pour témoigner de leurs propres expériences : ils sont dotés d’un haut niveau de technicité – organisation en modules, mobilisation de dispositifs standardisés – et prennent place dans une dynamique de transmission verticale. Tessa Bonduelle suggère quant à elle une différence encore plus marquante entre les dispositifs qui visent les femmes et ceux qui ciblent les hommes : les mesures de politique publique développées pour les hommes étrangers, à l’instar des mesures d’accueil des demandeurs d’asile, n’interviennent quasiment pas sur leur vie affective ou leurs pratiques relationnelles. En contexte de contraintes budgétaires, ces programmes sont réduits à la gestion efficace des flux et à l’orientation des hommes vers les « guichets » appropriés. En résulte une frustration chez les intervenant·es, dont certain·es cultivent l’idéal d’une pratique professionnelle plus « humaine », axée sur la personne entière, sa situation juridique et socio-économique et ses relations aux autres.
25 Ensemble, les articles de ce numéro soulignent alors des différences importantes dans la nature du rapport que l’État français entretient aux femmes et aux hommes immigré·es ou minoritaires, imaginé·es selon les figures dichotomiques et racialisées de femmes « victimes » et d’hommes « oppresseurs » (Guénif-Souilamas, Macé, 2004). Alors que l’État invite les femmes à tisser des liens rapprochés et personnalisés aux professionnel·les du welfare, il montre un visage plus ferme aux hommes qu’il continue à traiter principalement avec des mesures de contrôle ou de bureaucratie standardisées. Et quand bien même des mesures de gouvernance relationnelle viennent viser les hommes, les rapports entre les professionnel·les et les bénéficiaires restent relativement distanciés et distendus, empreints des préjugés de genre et de race. Contrairement aux femmes, les hommes sont mal disposés à s’appuyer sur des relations personnalisées pour obtenir des faveurs et des ressources précieuses, ou susciter de la compassion de la part des fonctionnaires grâce au partage d’expériences susceptibles de favoriser l’empathie. Cette différence a des répercussions sur le traitement que reçoivent les hommes et les femmes, et en conséquence, sur les ressources dont ils et elles disposent pour faire face aux inégalités et pour utiliser les services sociaux dans leurs propres intérêts (Herman, 2011). Les articles du dossier ouvrent ainsi des pistes pour les travaux futurs qui examineraient de près les conséquences de la nature genrée des politiques sociales sur les citoyennetés masculines en construction dans les marges de la société française.
26 Enfin, les articles de ce dossier viennent confirmer la tendance à l’instrumentalisation des compétences émotionnelles et relationnelles des femmes au service de la gouvernance de proximité (Newman, Tonkens, 2011). Alors que l’emploi et les modes de relationnalité propres au monde des entreprises figurent comme l’horizon ultime des mesures qui visent les hommes réfugiés ou demandeurs d’asile (Bical, Bonduelle), les femmes sont envisagées à la fois en tant que cibles et actrices prioritaires du gouvernement par les liens. Mais ces nouvelles opportunités ne sont bien souvent qu’une pâle copie des emplois féminins créés dans le contexte historique de l’expansion des secteurs de l’éducation et de la santé qui avaient ouvert aux femmes de classe moyenne un accès au statut valorisé de professionnelles et l’indépendance sociale et financière (Jenson, Sineau, 1998 ; Lewis, 1998). Les articles de Chloé Devez et de Violette Arnoulet témoignent de l’opportunité que les transformations les plus récentes dans le champ de la protection sociale – délégation au secteur associatif, gouvernance relationnelle – ont constitué pour les « conseillères numériques » et pour « les femmes du quartier », qui affirment leur place dans le monde professionnel « à partir de » leurs propres engagements préalables. Or, il s’agit de contrats précaires et mal rémunérés.
27 Dans ces paysages de la gouvernance relationnelle, l’activation des femmes les plus précaires s’inscrit dans un nouveau circuit du travail féminin qu’on est tenté de qualifier de chaîne locale de care, en transposant ainsi l’idée d’Arlie Hochschild (2003) de l’échelle globale à l’échelle de la proximité. Ce faisant, nous souhaitons mettre en avant la diminution de la valeur économique et symbolique du travail au fur et à mesure que l’on progresse, depuis le travail social ancré dans la sphère publique du quartier et dans les institutions qui participent à sa régulation (centres sociaux, maisons de quartier) jusqu’aux interventions dans l’intimité des sociabilités vicinales ou de la vie familiale. En cela, la critique féministe des politiques sociales (Letablier, 2009 ; Périvier, 2016) fait face aux limitations du marché de l’emploi et à l’assignation des femmes racialisées de classe populaire aux tâches subalternes du care, dans cette zone grise de l’« assistance activatrice » (Vieujean, 2022). En effet, les usagères des politiques publiques qu’un marché de l’emploi saturé désigne comme passives (Collectif Rosa Bonheur, 2017) s’en trouvent décidément très productives : les émotions et les relations privées qu’elles sont sommées de développer sont valorisées dans la sphère publique, selon un régime de travail volontaire qui croise l’informalité du travail relationnel, l’engagement désintéressé pour autrui et la rémunération de l’emploi vers lequel les usagères sont incitées à s’activer. La double production de l’État social, le brouillage des rôles et des responsabilités par l’horizontalité des rapports entre professionnel·les et bénéficiaires, camoufle alors mal les rapports de pouvoir à l’œuvre, qu’ils soient de classe, de genre ou de race.
Un nouveau contrat social par les liens de proximité ?
28 Les transformations des politiques sociales européennes exposées précédemment mettent en évidence l’émergence d’un nouveau contrat social à travers les liens de proximité. Les articles de ce numéro révèlent plusieurs éléments clés de cette évolution : le recours par les professionnel·les aux techniques de gouvernement relationnel et la fluctuation de la valeur dans des directions contradictoires, qui trouble les rôles occupés par les individu·es au sein de la chaîne du travail social associatif, ainsi que l’euphémisation des rapports de pouvoir, qui renforce paradoxalement ces mêmes rapports en fonction des assignations de genre, de classe et de race.
29 En envisageant les travailleurs et travailleuses sociales en tant qu’intermédiaires dans un circuit de valorisation de biens matériels et immatériels, nous sommes en mesure d’appréhender les contours d’un nouveau contrat social au sein de la communauté locale, soutenu par des liens intimes. Ces liens d’appartenance esquissent de nouvelles articulations entre l’individuel et le collectif qui se forgent dans l’espace public, brouillant les distinctions entre les différentes formes d’activité et leur valeur : registres d’interactions public versus privé, travail rémunéré versus bénévolat, ressources matérielles versus immatérielles. Les articles de ce dossier explorent la manière dont les acteurs et actrices à l’œuvre dans la gouvernance relationnelle négocient la valeur de leur engagement et de leur travail, mettant en évidence la reconfiguration profonde des registres moraux et politiques du rapport entre l’État et les citoyen·nes précaires.
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Notes
-
[1]
Si les professionnel·les ont mandat pour améliorer la participation citoyenne aux processus de prise de décision politique et de conception des dispositifs d’action publique par un ensemble de directives européennes et de lois nationales, l’injonction à entreprendre un travail sur les liens nous semble à ce jour moins institutionnalisée. Dans le cas des professionnel·les que les articles de ce dossier étudient, cette injonction se manifeste plus subtilement par des consignes hiérarchiques transmises oralement (Arnoulet, Bical, Haapajärvi), par des formations au « travail social interculturel » (Haapajärvi), des supports pédagogiques dont disposent les intervenant·es (Bical) ou encore par des documents de différents statuts juridiques et pas toujours bien connus par les acteurs et actrices du terrain tels le Contrat urbain de cohésion sociale auquel réfèrent les professionnel·les rencontré·es à Tiercy (Haapajärvi) ou les bilans réalisés par la ville de Stains et du département de Seine–Saint-Denis en circulation parmi les acteurs et actrices institutionnel·les présent·es dans le quartier de Clos Saint-Lazare (Arnoulet).