Notes
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[1]
Ce court texte est adapté d’un propos oral partagé à l’occasion de l’anniversaire des dix ans de la revue Participations, célébré le mardi 7 juin 2022, à l’établissement Le Lieu-Dit, Paris 20e. Je remercie Marie-Hélène Sa Vilas Boas et Jeanne Demoulin corédactrices en chef de la revue pour l’invitation à proposer cette réflexion. Je remercie Jean-Michel Fourniau, Julien Talpin et Paula Cossart pour leurs commentaires constructifs sur une première version.
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[2]
http://www.revue-participations.fr/wp-content/uploads/sites/40/2020/09/manifeste.pdf (accès le 13/01/2023).
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[3]
Cet article est le plus cité parmi ceux relevés (x350, 27/an) via la requête : « Titre : décloison* » dans Google Scholar. Il a été remis au centre d’échanges récents lors d’une table ronde du congrès de l’Association française de science politique, « Décloisonner la sociologie de l’engagement : pourquoi et avec quels profits ? », animée par Julien Talpin et Emmanuelle Bouilly, voir : https://www.afsp.info/congres/congres-2022/sections-thematiques/st-61/ (accès le 13/01/2023).
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[4]
Dans la suite de sa constitution en « objet sociologique à part entière », pour reprendre les mots de l’éditorial qui ouvre le numéro que Politix consacrait aux « Dispositifs participatifs » (Blondiaux, Cardon, 2006). Loïc Blondiaux a récemment repris ce propos d’un « participatif en actes » renvoyant à « à une multitude de phénomènes distincts » (Blondiaux, 2022), à l’occasion d’un bilan vingt ans après la parution de l’article séminal sur l’impératif délibératif (Blondiaux, Sintomer, 2002).
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[5]
On relèvera possiblement quelques manques à cet égard : pas (encore) de numéro sur les budgets participatifs, les Indignés, les Gilets jaunes, et plus généralement : la démocratie sanitaire ou la démocratie environnementale et la justice climatique. Ou encore, au titre du décloisonnement disciplinaire : l’étude des mouvements sociaux, les sciences de l’éducation, géographie, études urbaines et théorie politique, dont on perçoit qu’elles puissent être cloisonnées dans d’autres espaces de publication spécialisés à l’ancrage plus disciplinaire, mais qui fonderaient un dialogue fructueux avec les études sur la participation et la démocratie.
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[6]
En ligne : https://www.dicopart.fr/ (accès le 13/01/2023). 1re édition, 2013, I. Casillo, R. Barbier, L. Blondiaux, F. Chateauraynaud, J.-M. Fourniau, R. Lefebvre, C. Neveu, D. Salles. 2e édition, 2022, G. Petit, L. Blondiaux, I. Casillo, J.-M. Fourniau, G. Gourgues, S. Hayat, R. Lefebvre, S. Rui, S. Wojcik, J. Zetlaouï-Léger.
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[7]
Un objectif affiché dans le rapport du 23 septembre 2019 du groupe de travail Financement de la recherche, Loi de programmation pluriannuelle de la recherche, par Antoine Petit, Sylvie Retailleau, Cédric Villani. En ligne : https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/loi_programmation_pluriannuelle/45/9/RAPPORT_FINAL_GT1_-_Financement_de_la_recherche_1178459.pdf (accès le 13/01/2023).
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[8]
Cette portion de l’espace des recherches rejoint l’agenda du GIS Démocratie et Participation sur les expérimentations démocratiques et les recherches démocratiques. En ligne : https://www.participation-et-democratie.fr/presentation-du-gis (accès le 13/01/2023).
1 La célébration du dixième anniversaire de la revue Participations [1] a été l’occasion de partager une ébauche de réflexion sur « l’évolution et le décloisonnement des recherches sur la démocratie ». Sans ambition exhaustive ou définitive en la matière, ce texte restitue cette réflexion située, à partir d’une décennie d’expérience de jeune chercheur en science politique. Il s’agit d’évoquer des évolutions à travers la perspective d’une dynamique de décloisonnement-cloisonnement qui serait constitutive d’un domaine de recherche sur la démocratie et la participation – un espace qui s’est structuré, mais demeure assez largement en quête de repères, d’espaces et de sens pour s’affirmer comme champ de recherche thématique transdisciplinaire. Des espaces communs ont structuré ce champ en France, en premier lieu le groupement d’intérêt scientifique (GIS) Démocratie et Participation (au travers de conférences, séminaires, journées doctorales) et la revue Participations. Dès la naissance de la revue en 2011, son manifeste marque cette volonté : « Si un champ spécifique de recherches s’est récemment dessiné, il a encore tendance à être perçu, dans beaucoup de disciplines, en particulier en France, comme relativement périphérique. C’est à une structuration plus dynamique de ce champ d’études ainsi qu’à une mise en relief de sa fécondité et de sa richesse que veut contribuer la revue. » [2] Nous proposons ici de revenir sur ce programme.
L’appel au décloisonnement dans l’affirmation de nouvelles voies de recherche
2 Appeler au décloisonnement est loin d’être un geste singulier. Il revient fréquemment au sein de sous-champs disciplinaires qui cherchent aussi par là à s’affirmer. À partir d’une rapide recherche d’occurrences, on trouve ainsi mention de décloisonner la ou les « sociologie[s] de l’engagement militant » (Sawicki, Siméant, 2009) [3], la « sociologie du travail et des mobilisations collectives » (Giraud, 2009), l’« analyse des politiques publiques » (Hassenteufel, Smith, 2002), ou encore les « études électorales » (Gombin, Rivière, 2014). Le lien aux sciences politiques de ces décloisonnements les mieux référencés dans la recherche francophone semble marqué et s’explique sans doute alors par la relative jeunesse de leurs repères disciplinaires et par un rapport pluriel aux cadres théoriques et méthodologiques (Cohen, 2017). Ils portent la marque d’une spécialisation par sous-champ thématique, plutôt que par la méthode ou le cadre théorique. Ici, l’appel au décloisonnement peut donc aussi contribuer à circonscrire des espaces thématiques, en affirmant l’existence préalable d’un espace cohérent.
3 L’appel au décloisonnement est aussi directement vécu par des chercheur·es qui doivent se positionner dans un espace de recherche, selon une logique de carrière scientifique qui nourrit une tension entre tradition disciplinaire et spécialisation thématique. On relève en effet des appels fréquents depuis les études sur la démocratie et la participation à dialoguer plus et mieux avec la sociologie de l’action publique, de l’action collective et de l’engagement, du travail et des professions et avec la sociologie électorale. Cela n’empêche pas de considérer qu’il y a bien un certain cloisonnement, en tout cas la perception d’un périmètre spécifique, constitué par des chercheur·es et des praticien·nes spécialistes de la démocratie participative et délibérative. Cette pluri- ou interdisciplinarité vient aussi avec des (dés)accords de façade. Il reste que les étiquettes « démocratie et participation » peuvent renvoyer à des références bien différentes selon qu’on les saisit du point de vue de la théorie politique, de la sociologie critique ou des sciences de l’environnement. Et au sein de la théorie politique et sociale, la lutte de définition autour du référent « démocratie » rend compte d’un concept par essence disputé (Gallie, 1956) et aux implications multiples (Hayat, 2020).
4 Comme pour tout domaine d’étude constitué d’emblée comme interdisciplinaire et pluridisciplinaire, le cas des recherches sur la démocratie et la participation diffère à certains égards. Au-delà des perspectives de théorie politique ou de sciences sociales du politique, qui font de l’enjeu démocratique une préoccupation première, la plasticité de la thématique « participative » ouvre en effet l’espace des recherches à bien d’autres préoccupations disciplinaires. La « participation » présente une flexibilité interprétative qui la voit être différemment saisie et mobilisée dans différents espaces sociaux (recherche, enseignement, collectivités territoriales, champ professionnel…) et selon différents prismes disciplinaires (science politique, anthropologie, géographie, urbanisme, philosophie…).
Le programme décloisonné comme intention première des études sur la démocratie et la participation
5 Le « programme décloisonné » est une intention première de la structuration des sciences sociales sur la démocratie et la citoyenneté. Dès le premier numéro de Participations, Loïc Blondiaux et Jean-Michel Fourniau évoquent en quoi « travailler sur la participation ne signifie jamais travailler exclusivement sur la participation. Cet objet constitue une entrée, un moment souvent privilégié, pour analyser un secteur social, ou les transformations de la société […] derrière l’objet participatif se cache une infinité d’autres objets ». Ils en appellent à « banaliser l’objet » (Blondiaux, Fourniau, 2011, p. 23) [4].
6 De ce point de vue, la démocratie participative constitue « une réalité […] pratique » et un « champ d’expérimentations localisées » (Gourgues, 2013, p. 21), qui s’incarnent dans des pratiques, des institutions et des imaginaires (Neveu, 2022). Mais ce domaine d’étude a aussi comme particularité d’être accolé à des pratiques professionnelles (Blondiaux, Fourniau, Mabi, 2016), qui organisent un marché lucratif (Mazeaud, Nonjon, 2018), un espace scientifique (Blatrix, 2012) et des pratiques d’intermédiarités réflexives (Ferrando y Puig, Petit, 2016).
7 Cette perspective sur l’objet, théorique et pratique, peut être complétée par un regard porté sur le champ de recherche, ainsi que le notent Marie-Hélène Bacqué et Yves Sintomer. Avant les années 1990, « dans le monde francophone notamment, le thème, peu reconnu, constituait plutôt une dimension annexe dans le champ de disciplines comme les études urbaines ou restait d’abord lié à celui des mouvements sociaux », avant de revenir davantage en « sciences politiques et en anthropologie politique » (Bacqué, Sintomer, 2011, p. 10). Lorsqu’il et elle écrivent, en 2011, on a affaire à des « recherches arrivées à maturité », avec l’acquisition d’une place variable mais réelle au sein de plusieurs disciplines, et une forte présence de recherches coopératives et interdisciplinaires. Une nuance de taille, que les dix ans passés n’ont pas infirmée, est notable : « [L]es postes d’universitaires offerts au recrutement sur la thématique tardent encore à se multiplier » (Bacqué, Sintomer, 2011, p. 10).
Dix ans de publication entre décloisonnement et cloisonnement
Mais, d’un autre côté, on a aussi des numéros qui contribuent à cloisonner, c’est-à-dire à délimiter le champ, avec des approches centrées sur les mondes de la participation eux-mêmes (la professionnalisation, la marchandisation ou l’internationalisation et la circulation des procédures), ou sur des dispositifs participatifs particuliers (conseils citoyens, tirage au sort, town meetings, référendum…). Dans ces derniers cas, on a donc bien pour effet de délimiter un certain périmètre empirique en affinité avec les théories de la démocratie participative et délibérative [5]. À ce titre, la participation constitue bien un champ qui est en partie construit par son observation et sa pratique.
8 Une publication éditée par le GIS Démocratie et Participations, le Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation [6], dessine aussi un espace de recherches décloisonnées sur la démocratie, son sommaire allant de l’autogestion au droit de l’environnement, des émotions politiques au logement social, du management participatif à la démocratie radicale, sans pour autant souffrir d’incohérence par rapport à sa ligne éditoriale. Le DicoPart vise à rendre compte, à partager, mais aussi à structurer les enjeux, les débats et les apports des recherches dans ce domaine d’étude dans l’espace francophone, pour toutes les disciplines des sciences humaines et sociales. Cette position s’accorde avec l’idée que la participation est devenue un thème structurant des sciences sociales, qui a irrigué autant des approches de théorie politique que des perspectives sociologiques. La diversité des mots et de leurs usages dans différents contextes fait en quelque sorte du décloisonnement une évidence constitutive d’un lieu commun pour les recherches sur la participation.
9 Ces tendances dont témoigne la création de la revue Participations ne sont pas propres à la France : le Journal of Deliberative Democracy, comme la section thématique « Democratic innovations » du consortium européen de recherches politiques (ECPR), sont fondés à la même époque. Ainsi, dans différents pays, les liens entre recherche et pratique de la participation se forgent dans un élan similaire. Ici, on peut se demander si établir une revue ou créer un groupement de recherches thématiques et interdisciplinaires sont des pratiques qui impliquent une ambition nomologique, au sens d’une recherche de lois qui permettent d’établir une discipline, ou bien si la seule référence à l’objet (hors des cadres théoriques et méthodologiques) suffit à faire espace de recherche.
10 Pourtant, le domaine de recherche reste loin de se conformer à un modèle de studies thématiques interdisciplinaires, du fait justement des attaches liées aux formations théoriques et pratiques de ses agent·es et de ses acteurs et actrices, illustrant une « résilience des disciplines » (Heilbron, Gingras, 2015). Il y a d’ailleurs probablement un bénéfice à conserver un ancrage disciplinaire, pour contenir le risque d’un rapport uniquement instrumental, voire superficiel, à la littérature et à l’objet, au profit d’approches empiristes descriptives sans cumulativité conceptuelle et cohérence théorique. Ainsi, un décloisonnement supplémentaire serait d’explorer les différents courants théoriques qui irriguent les travaux sur la participation. Les fondateurs du GIS Démocratie et Participation notaient à ce propos : « [T]out se passe comme si les chercheurs sur la participation travaillaient dans des bibliothèques séparées, dont les catalogues ne se recouvriraient aucunement. Aucune source théorique commune ou figure tutélaire ne s’impose » (Blondiaux, Fourniau, 2011, p. 12).
Moyens de la recherche sur la participation et la démocratie
11 Dans un autre éditorial de la revue Participations était remarquée l’absence en France de laboratoire centralement dédié à la question démocratique, notamment sous ses formes délibérative et participative (Blondiaux, Fourniau, 2014). Ainsi, pour trouver des centres explicitement dédiés à des enjeux de gouvernance démocratique, délibérative et participative, il faut décloisonner vers l’international, par exemple l’Angleterre, la Suisse, la Belgique, l’Australie, les États-Unis ou l’Allemagne, avec des réseaux unifiés à travers la référence aux « innovations démocratiques », qui organisent des programmes de recherche et allouent des financements. L’observation reste assez largement valide, même au regard du développement du GIS Démocratie et Participation depuis 2009, qui ne compense pas l’absence d’équipes pérennes et de moyens dédiés dans des laboratoires. Si on prend la liste des unités mixtes de recherche liées au CNRS en France, le terme démocratie n’apparaît jamais dans les intitulés. Il n’y a pas de « centre d’études démocratiques » (comme il en existe pour la religion, la ville, le travail, les transports, l’entreprise…). Dans l’espace francophone plus large, on trouve des initiatives récentes de centres sur la démocratie ou la pluralité démocratique en Suisse (Genève) ou en Belgique (Leuven, Liège) tandis qu’à Montréal, le centre pour l’étude de la citoyenneté démocratique reste subordonné à la « chaire de recherche en démocratie électorale ».
12 Le financement par projets pourrait-il être alors l’espace d’accueil des recherches interdisciplinaires sur la démocratie ? Si on en trouve quelques traces, elles ne sont pas forcément significatives. Dans le moteur de recherche de l’ANR, le terme « démocratie » ressort une centaine de fois (121) sur les quinze ans indexés, et « démocratie participative » seulement deux fois, en 2011 et 2014, sur des programmes liés à l’habitat ; « démocratie délibérative » n’a qu’une seule occurrence. On peut réitérer l’opération au niveau européen sur la période 2014-2020 (Horizon 2020) : democracy : 403 ; participatory democracy : 83 ; deliberative democracy : 5, pour constater une plus forte diffusion du vocable, mais qui demeure toute relative. Si l’on regarde plus précisément dans le contexte français ce qu’il en est dans l’appel à projets générique pour les sciences sociales de l’ANR, on constate qu’aucun des sept axes proposés ne comporte le terme « démocratie ». Le terme revient deux fois dans des listes de « mots-clés associés », dans un axe « institutions » entre « droit » et « expertises » (classique) et dans un axe « interface numérique » entre « scénarisation pédagogique » et « éco-conception des services numériques » (innovant).
13 Dans la centaine de résultats de projets de recherche financés en France mentionnant le terme « démocratie », en se limitant aux résultats affichant une pertinence haute, on constate une certaine hétérogénéité. La liste passe de la démocratie technique, la démocratie industrielle, à la démocratie parlementaire, partisane, sondagière, sanitaire. Le résultat de la requête laisse une impression de recherches thématiques cloisonnées, bien loin d’une perspective pluridisciplinaire convergente sur un même objet. Parmi les projets les plus exclusivement centrés sur la thématique démocratique, théorique ou empirique, on trouve deux titres marqués par une perspective de comparaison internationale : un programme franco-allemand « La démocratie et ses avenirs : entre gouvernance et contre-espace public », ainsi qu’un projet entre Bordeaux, Bruxelles et Bologne sur le « caractère socialement situé des conceptions de la démocratie ».
14 Par contraste, la recherche doctorale produit beaucoup de projets sur la « démocratie » et la « participation ». Alice Mazeaud et Magali Nonjon ont bien identifié ce fait dans leur livre sur le marché de la démocratie participative : les recherches doctorales sont à la fois « traceurs et moteurs de l’impératif participatif » (Mazeaud, Nonjon, 2018). À ce jour, dans theses.fr, le mot « démocratie » figure dans le titre de plus de 600 thèses de toutes disciplines (en particulier en science politique, droit, philosophie et sociologie) et de plus de 2 200 si on étend la recherche au résumé. Quant à la « démocratie participative », elle se trouve dans le titre de 262 thèses, dont 217 soutenues.
15 Ainsi, les recherches sur la démocratie et la participation soutiennent davantage l’entrée dans la carrière scientifique que son maintien et son prolongement, suggérant une reprise en main disciplinaire au fil des étapes d’un parcours sélectif, avec en outre une tendance à la concentration des moyens de recherche et d’emploi scientifiques [7].
Les études démocratiques comme science politique
16 Pour résumer à grands traits l’espace des recherches sur la démocratie et la participation, il semble possible de distinguer deux pôles : l’un repose sur une définition restreinte et légitimiste de ces termes, quand pour l’autre, les phénomènes « démocratiques » et « participatifs » prennent des formes plus diffuses et alternatives (expérimentations démocratiques, recherches participatives…) [8]. Pour le premier pôle, les conceptions rattachées à des espaces centraux de chaque discipline semblent en affinité, tandis que pour le second, la référence se fait avec un appel à une certaine inventivité transdisciplinaire.
17 On aurait alors un continuum, entre une singulière « Participation démocratique », la plus légitime et la plus naturalisée, encore souvent rattachée aux formes électorales, et des formes plurielles de « participations démocratiques ». Mais même au sein de ces dernières, on pourra situer un courant dominant, autour de la gouvernance démocratique et des dispositifs participatifs, et des courants alternatifs, autour des expériences et mobilisations. Enfin, il faudrait aussi inclure l’ensemble des « recherches participatives » qui incitent à questionner la légitimité à organiser des « recherches sur la démocratie », quand le champ de la recherche ne constitue pas nécessairement un espace des plus démocratiques. Dès lors, la difficulté à faire place à certains objets ou certaines approches est aussi le reflet de ces cadres. Dans ces glissements se rejoue une hiérarchie des objets, des pratiques et des disciplines, entre elles et en leur sein (Renisio, 2015 ; Heilbron, Bokobza, 2015).
18 En partant de là, un décloisonnement additionnel des recherches sur la démocratie et la participation semble se jouer dans leur rapport à l’activisme démocratique (direct, participatif ou délibératif, profane ou professionnel, local ou supranational). Plutôt que de s’en saisir comme objet, cloisonné ou banalisé, il faudrait s’y inclure comme en étant nécessairement partie prenante. À part des enjeux de cadrage et de financement de la recherche scientifique, toute organisation d’un espace de production de savoirs critiques sur l’idéal et la pratique démocratique permet de questionner la prétention des autorités instituées à se rendre indiscutables, au titre de leur qualité « démocratique » revendiquée ou présumée. Il faut, bien au contraire, pouvoir rendre la politique discutable, autant qu’il faudrait rendre la réalité inacceptable (Boltanski, 2008). Nos recherches permettent donc d’interroger et de critiquer la réalisation de l’idéal démocratique, et ce d’autant plus en faisant œuvre de réflexivité critique vis-à-vis de nos propres démarches politiques et scientifiques (O’Miel et al., 2017).
19 La recherche d’espaces communs pour les recherches sur la démocratie et la participation pose l’enjeu de construire la légitimité de l’objet, sans se retrouver pour autant dans un entre-soi sclérosant. À ce titre, le décloisonnement vaut sans doute au-delà des seuls enjeux de recherche et d’appartenance disciplinaire ou théorique, pour signifier également le fait d’aller vers les acteurs et actrices, praticien·nes et citoyen·nes. Dans cette perspective, toute étude de la démocratie et de la participation se constitue et s’entend comme science politique. D’où l’idée exigeante de tenir ensemble cloisonnement scientifique et décloisonnement politique. C’est un effet potentiellement concret de la tentative de faire exister des recherches décloisonnées sur la démocratie : rendre disponible, accessible et légitime l’idée que la « démocratie » et la « participation » pourront toujours être autre chose que ce qui nous est donné comme tel, autant en termes de conditions sociales que d’imaginaires politiques.
Bibliographie
Bibliographie
- Bacqué Marie-Hélène, Sintomer Yves (dir.), 2011, La démocratie participative. Histoire et généalogie, Paris, La Découverte.
- Blatrix Cécile, 2012, « Des sciences de la participation : paysage participatif et marché des biens savants en France », Quaderni. Communication, technologies, pouvoir, 79, p. 59-80, DOI:10.4000/quaderni.612.
- Blondiaux Loïc, 2022, « Le participatif en actes : quel avenir pour l’injonction à la participation ? », Questions de communication, 41, p. 73-86, DOI:10.4000/questionsdecommunication.28823.
- Blondiaux Loïc, Cardon Dominique, 2006, « Dispositifs participatifs », Politix, 75, p. 3-9, DOI:10.3917/pox.075.0003.
- Blondiaux Loïc, Fourniau Jean-Michel, 2011, « Un bilan des recherches sur la participation du public en démocratie : beaucoup de bruit pour rien ? », Participations, 1, p. 8-35, DOI:10.3917/parti.001.0008.
- Blondiaux Loïc, Fourniau Jean-Michel, 2014, « Éditorial », Participations, 10, p. 5-11, DOI:10.3917/parti.010.0005.
- Blondiaux Loïc, Fourniau Jean-Michel, Mabi Clément, 2016, « Introduction. Chercheurs et acteurs de la participation : liaisons dangereuses ou collaborations fécondes ? », Participations, 16, p. 5-17, DOI:10.3917/parti.016.0005.
- Blondiaux Loïc, Sintomer Yves, 2002, « L’impératif délibératif », Politix, 57, p. 17-35, DOI:10.3406/polix.2002.1205.
- Boltanski Luc, 2008, Rendre la réalité inacceptable : à propos de « La production de l’idéologie dominante », Paris, Demopolis.
- Cohen Antonin, 2017, « Pour une socio-histoire de la science politique. Introduction », Revue française de science politique, 67 (1), p. 7-12, DOI:10.3917/rfsp.671.0007.
- Ferrando y Puig Judith, Petit Guillaume, 2016, « Les usages de la réflexivité dans l’entreprise participative. Un enjeu identitaire aux implications pratiques, théoriques et marchandes », Participations, 16, p. 19-43, DOI:10.3917/parti.016.0019.
- Gallie Walter Bryce, 1956, « Essentially Contested Concepts », Proceedings of the Aristotelian Society, 56, p. 167-198.
- Giraud Baptiste, 2009, « Des conflits du travail à la sociologie des mobilisations : les apports d’un décloisonnement empirique et théorique », Politix, 86, p. 13-29, DOI:10.3917/pox.086.0013.
- Gombin Joël, Rivière Jean, 2014, « Vers des convergences interdisciplinaires dans le champ des études électorales ? », L’Espace Politique. Revue en ligne de géographie politique et de géopolitique, 23, DOI:10.4000/espacepolitique.3047.
- Gourgues Guillaume, 2013, Les politiques de la démocratie participative, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble.
- Hassenteufel Patrick, Smith Andy, 2002, « Vers un décloisonnement de l’analyse des politiques publiques ? La diversité des débats nationaux », Revue française de science politique, 52 (1), p. 3, DOI:10.3917/rfsp.521.0003.
- Hayat Samuel, 2020, Démocratie, Paris, Anamosa.
- Heilbron Johan, Bokobza Anaïs, 2015, « Transgresser les frontières en sciences humaines et sociales en France », Actes de la recherche en sciences sociales, 210, p. 108-121, DOI:10.3917/arss.210.0108.
- Heilbron Johan, Gingras Yves, 2015, « La résilience des disciplines », Actes de la recherche en sciences sociales, 210, p. 4-9, doi :10.3917/arss.210.0004.
- Mazeaud Alice, Nonjon Magali, 2018, Le marché de la démocratie participative, Vulaines-sur-Seine, Éditions du Croquant.
- Neveu Catherine, 2022, Expérimentations démocratiques : pratiques, institutions, imaginaires, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion.
- O’Miel Julien, Gourgues Guillaume, Mazeaud Alice, Nonjon Magali, Parizet Raphaëlle, 2017, « Une sociologie critique de la démocratie participative est-elle utile ? », Participations, 19, p. 221-242, DOI:10.3917/parti.019.0221.
- Renisio Yann, 2015, « L’origine sociale des disciplines », Actes de la recherche en sciences sociales, 210, p. 10-27, DOI:10.3917/arss.210.0010.
- Sawicki Frédéric, Siméant Johanna, 2009, « Décloisonner la sociologie de l’engagement militant. Note critique sur quelques tendances récentes des travaux français », Sociologie du Travail, 51 (1), p. 97-125, DOI:10.1016/j.soctra.2008.12.006.
Notes
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[1]
Ce court texte est adapté d’un propos oral partagé à l’occasion de l’anniversaire des dix ans de la revue Participations, célébré le mardi 7 juin 2022, à l’établissement Le Lieu-Dit, Paris 20e. Je remercie Marie-Hélène Sa Vilas Boas et Jeanne Demoulin corédactrices en chef de la revue pour l’invitation à proposer cette réflexion. Je remercie Jean-Michel Fourniau, Julien Talpin et Paula Cossart pour leurs commentaires constructifs sur une première version.
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[2]
http://www.revue-participations.fr/wp-content/uploads/sites/40/2020/09/manifeste.pdf (accès le 13/01/2023).
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[3]
Cet article est le plus cité parmi ceux relevés (x350, 27/an) via la requête : « Titre : décloison* » dans Google Scholar. Il a été remis au centre d’échanges récents lors d’une table ronde du congrès de l’Association française de science politique, « Décloisonner la sociologie de l’engagement : pourquoi et avec quels profits ? », animée par Julien Talpin et Emmanuelle Bouilly, voir : https://www.afsp.info/congres/congres-2022/sections-thematiques/st-61/ (accès le 13/01/2023).
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Dans la suite de sa constitution en « objet sociologique à part entière », pour reprendre les mots de l’éditorial qui ouvre le numéro que Politix consacrait aux « Dispositifs participatifs » (Blondiaux, Cardon, 2006). Loïc Blondiaux a récemment repris ce propos d’un « participatif en actes » renvoyant à « à une multitude de phénomènes distincts » (Blondiaux, 2022), à l’occasion d’un bilan vingt ans après la parution de l’article séminal sur l’impératif délibératif (Blondiaux, Sintomer, 2002).
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[5]
On relèvera possiblement quelques manques à cet égard : pas (encore) de numéro sur les budgets participatifs, les Indignés, les Gilets jaunes, et plus généralement : la démocratie sanitaire ou la démocratie environnementale et la justice climatique. Ou encore, au titre du décloisonnement disciplinaire : l’étude des mouvements sociaux, les sciences de l’éducation, géographie, études urbaines et théorie politique, dont on perçoit qu’elles puissent être cloisonnées dans d’autres espaces de publication spécialisés à l’ancrage plus disciplinaire, mais qui fonderaient un dialogue fructueux avec les études sur la participation et la démocratie.
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[6]
En ligne : https://www.dicopart.fr/ (accès le 13/01/2023). 1re édition, 2013, I. Casillo, R. Barbier, L. Blondiaux, F. Chateauraynaud, J.-M. Fourniau, R. Lefebvre, C. Neveu, D. Salles. 2e édition, 2022, G. Petit, L. Blondiaux, I. Casillo, J.-M. Fourniau, G. Gourgues, S. Hayat, R. Lefebvre, S. Rui, S. Wojcik, J. Zetlaouï-Léger.
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[7]
Un objectif affiché dans le rapport du 23 septembre 2019 du groupe de travail Financement de la recherche, Loi de programmation pluriannuelle de la recherche, par Antoine Petit, Sylvie Retailleau, Cédric Villani. En ligne : https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/loi_programmation_pluriannuelle/45/9/RAPPORT_FINAL_GT1_-_Financement_de_la_recherche_1178459.pdf (accès le 13/01/2023).
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Cette portion de l’espace des recherches rejoint l’agenda du GIS Démocratie et Participation sur les expérimentations démocratiques et les recherches démocratiques. En ligne : https://www.participation-et-democratie.fr/presentation-du-gis (accès le 13/01/2023).