Notes
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[1]
Par exemple au Royaume-Uni (Clarke, 2010 ; Bevir, 2010 ; Norval, 2014) ou en Italie (Moini, 2012 ; Cini, 2012 ; Pellizzoni, 2013).
-
[2]
Aux États-Unis, l’idée que les conflits devraient être résolus par la participation semble prévaloir.
-
[3]
On trouve des expressions similaires, par exemple dans Blondiaux et Fourniau (2011), Gourgu et al. (2013), Melé (2013).
-
[4]
Ce cas est rappelé par G. Pomatto dans ce numéro.
-
[5]
De l’adjectif latin ambo, -ae, -o, qui signifie « l’un et l’autre », « les deux ».
-
[6]
Avec des exceptions importantes, par exemple Polletta, 2015.
-
[7]
Dans ce cas, sous la pression de pétitions et des groupes mobilisés, les élus locaux adoptent des résolutions interdisant l’exploitation du gaz de schiste sur leur commune.
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[8]
Débat public sur le projet de centre de stockage réversible profond de déchets radioactifs en Meuse/Haute-Marne.
1Une des spécificités de la revue Participations est de promouvoir une approche élargie du champ de la participation qui n’exclue pas la question des mouvements sociaux (Neveu, 2011) des conflits et des formes d’engagement non institutionnalisées. Nous avons choisi de proposer un numéro sur les relations entre conflit et participation parce que ce thème, bien que fréquemment évoqué, est souvent traité d’une façon trop simple et, peut-être peut-on ajouter, un peu manichéenne. En effet, la participation est paradoxalement accusée par les uns de brider les conflits, et par les autres d’en favoriser le développement. Il s’agit donc ici d’affronter cette question de façon directe, en tentant de débrouiller un écheveau particulièrement emmêlé. Le sujet semble important, car les processus participatifs sont le plus souvent évalués par rapport aux conflits qu’ils sont censés réprimer ou susciter ; les conflits constituent donc un point de repère fondamental pour analyser (et juger) la participation.
2Pour commencer, il semble nécessaire de préciser la signification que nous attribuons aux deux termes clés de la relation. Les lecteurs de cette revue savent bien que le mot « participation » a une extension sémantique extrêmement large (et ce n’est pas un hasard si le titre de la revue est Participations au pluriel) : on peut participer à plusieurs sortes d’activités : à un parti, à un mouvement, à une association, à une compétition sportive, à une fête de mariage, etc. Ici, nous considérons une signification beaucoup plus restreinte : la participation dont il sera question est celle qui se déploie dans les dispositifs organisés par les institutions publiques afin d’impliquer les citoyens, d’une façon plus ou moins contraignante, dans la prise d’une décision publique. En d’autres termes, nous nous sommes intéressés à ce que Hendrik Wagenaar (2014) appelle invited participation, qu’il oppose à l’uninvited participation. Pour analyser les rapports entre participation et conflit, il faut que les deux termes indiquent des phénomènes clairement distincts. Les situations dans lesquelles les citoyens participent sans avoir été « invités » correspondent à des situations de mobilisation et, le plus souvent, à des cas de participation au ou par le conflit, surtout dans les pays de l’Europe du Sud où les dispositifs participatifs sont normalement mis en place par les institutions publiques (Alarcón, Font, 2014) et où les initiatives bottom-up tendent à revêtir un rôle de contestation (ce qui n’est pas toujours le cas aux États-Unis et au Royaume-Uni). Cette façon de considérer les relations entre conflit et participation est clairement présente dans le titre de l’article d’Emmanuel Martinais dans ce numéro : « Le conflit comme mode de participation ». L’auteur veut dire que le conflit – mené dans le cas qu’il a étudié par « les habitants contestataires de la politique de prévention des risques industriels » – est plus efficace que les mécanismes institutionnels de participation (où les participants sont « invités » par les institutions). À nos yeux, il convient de distinguer clairement les deux phénomènes : la participation institutionnalisée de la participation au ou par le conflit, la participation « invitée » de la participation « non invitée », le « débat d’élevage » du « débat sauvage » (Mermet, 2007). Nous désignerons donc ici par « participation » le premier terme de chaque couple, c’est-à-dire la participation « institutionnalisée », où les citoyens sont « invités » et où se déroule un « débat d’élevage ». Nous appellerons « conflit » la stratégie de groupes mobilisés qui cherchent à peser sur ou à empêcher une décision. C’est cette démarche qui permet de réfléchir sur la relation entre les deux phénomènes.
3Pour ce qui concerne le second terme – le conflit –, les articles présentés dans ce numéro traitent d’un ensemble vaste mais délimité de situations. Il s’agit de conflits qui ont un rapport particulièrement fort avec le territoire, et que l’on peut désigner comme conflits d’aménagement, d’environnement, de localisation ou de proximité. Ces conflits concernent notamment le tracé d’une autoroute (Gianfranco Pomatto), la localisation d’équipements qui produisent des nuisances locales (Jean-Marc Dziedzicki), les risques industriels (Emmanuel Martinais), des infrastructures pour le traitement des déchets (G. Pomatto), l’exploitation du gaz de schiste (Marie-José Fortin et Yann Fournis ; Laura Seguin) ou encore la gestion de l’eau (L. Seguin). Ceci implique que d’autres types de conflits ne sont pas inclus dans cette analyse : par exemple, les conflits de travail, les conflits économiques, les conflits ethniques, les conflits bioéthiques, pour ne pas parler des conflits internationaux. Cette limitation affecte-t-elle la portée de nos conclusions ? La réponse n’est pas facile. Certains types de conflits ont été depuis longtemps institutionnalisés, dans le cadre de procédures que l’on pourrait qualifier de « participatives » dans lesquelles il a été confié aux parties directement concernées la tâche de rechercher une solution au conflit, qui est donc soustraite à l’intervention externe d’une autorité politique ou judiciaire. Dans ces cas (par exemple, les conflits syndicaux ou les conflits internationaux), lutte et participation (ou négociation) s’entremêlent sur des modes largement connus et étudiés. Dans les conflits considérés dans ce texte (conflits d’environnement, d’aménagement, etc.), la création d’instances de participation est beaucoup plus récente et leur institutionnalisation apparaît plus incertaine : les dispositifs participatifs dont on parle ici ont été conçus essentiellement (peut-être même exclusivement) pour affronter ces types de conflits. Il existe d’autres confrontations plus récentes (par exemple celles sur les enjeux bioéthiques) dans lesquelles le recours à des pratiques participatives est encore plus limité et aléatoire (même si des exceptions existent : Abelson et al., 2013). Il est donc important de se concentrer ici sur les conflits que l’on peut définir comme territoriaux ou environnementaux parce que les procédures participatives qui les concernent sont à la fois répandues et peu consolidées. Il s’agit donc de situations d’incertitude qu’il devient nécessaire d’étudier.
4Dans la littérature scientifique, le débat sur les liens entre participation et conflit – en particulier pour ce genre de conflits – présente de forts caractères d’ambiguïté (voilà l’écheveau à démêler) parce que s’entremêlent, d’une façon confuse et jamais explicite, deux dimensions ou deux registres différents : d’un côté une dimension analytique et de l’autre une dimension normative (ou de valeur) (Gourgues et al., 2013). Plus précisément, les textes se présentent au lecteur, de façon explicite, exclusivement dans le registre analytique, mais les choix normatifs ou de valeur, bien que cachés, sont néanmoins perceptibles et conditionnent souvent le récit analytique. Ce chevauchement entre faits et valeurs, assez fréquent dans les sciences sociales, est dans ce cas particulièrement fort parce que les deux termes tendent à évoquer des mondes opposés – le monde sauvage de la lutte et le monde domestiqué du débat organisé (Neveu, 2011) – qui impliquent (ou semblent impliquer) de prendre parti. Ceux qui prennent parti pour le conflit et qui se méfient de la participation (on parle toujours ici de la participation institutionnalisée) ont une position actuellement dominante dans la littérature francophone ; ils sont aussi présents ailleurs [1], mais pas dans tous les contextes [2]. Quand on lit (et cela arrive très souvent) que la participation a pour effet d’« éviter » ou bien de « canaliser », « éradiquer », « apaiser », « atténuer », « réduire », « épuiser », « annihiler » [3] les conflits ou de « clore des controverses difficilement gérables » (Joly, Marris, 2003, p. 196), de « calmer la dynamique sauvage » (Mermet, 2007, p. 374), de « circonscrire la propagation des contestations » (Gaudin, 2013, p. 50), d’« anesthésier le dissentiment » (Algostino, 2008), de « transformer les valeurs des démocrates radicaux en solutions technocratiques » (Bevir, 2010, p. 119), d’être une « technique de gestion des conflits sociaux » (J.-M. Dziedzicki, dans ce dossier), on peut supposer que les auteurs ne se bornent pas – dans la plupart des cas – à formuler un constat, mais qu’ils prennent implicitement parti contre la participation et pour les conflits. Ils se méfient de la participation parce qu’elle tend à brider le conflit et donc la liberté de ceux qui s’opposent au pouvoir. Cette posture peut être commentée sur deux plans différents. D’abord, on peut se demander, sur le plan analytique, si les processus participatifs institutionnels ont effectivement pour effet d’éviter, de canaliser, d’éradiquer, d’apaiser, etc. les conflits, et donc si ces affirmations sont vérifiées dans les faits. Mais on peut aussi se demander, sur le plan des valeurs, si les conflits ne devraient jamais être évités, canalisés, éradiqués, apaisés, etc. et si le « sauvage » devrait toujours l’emporter sur le « domestiqué » – et donc si ces affirmations sont justifiables au niveau normatif. Cet article introductif, construit à partir de notre lecture de la littérature et d’une présentation des textes réunis dans ce numéro, se propose de discuter ces deux dimensions, dans un ordre inversé, en raisonnant d’abord sur le volet normatif et ensuite sur le volet empirique.
La dimension normative : faut-il prendre parti pour les conflits contre la participation ?
Réhabilitation du conflit et démocratie agoniste
5Loïc Blondiaux et Jean-Michel Fourniau ont récemment noté que « l’évolution est allée vers la réhabilitation du conflit » (2014, p. 7). Il ne s’agit pas seulement d’un « retour du conflit […] marqué par la multiplication de travaux prenant au sérieux les luttes, analysant leurs effets et leurs causes et questionnant la signification de leur généralisation » (Melé, 2013), mais en même temps et surtout d’une sympathie croissante pour les contestations et par conséquent d’une dévalorisation de la participation (institutionnalisée). L’article de M.-J. Fortin et Y. Fournis dans ce dossier, qui analyse un processus de mobilisation contre l’exploitation du gaz de schiste en milieu rural au Québec, en offre un exemple probant. Les auteurs commencent par prendre parti contre « la conception classique d’un développement faussement consensuel, où le conflit a longtemps été considéré comme une “mauvaise” forme de participation » et indiquent que « [l]’objet de cet article est de remettre en cause ce biais consensuel en revalorisant la dimension politique, participative et conflictuelle des dynamiques entourant les grands projets énergétiques ».
6La réhabilitation du conflit contre le « biais consensuel » montre le succès de la pensée antagoniste ou agonistique (Lefort, 1986 ; Mouffe, 1999, 2005 ; Laclau, Mouffe, 2001 ; Norval, 2014) et de celle de la « démocratie radicale » (Cini, 2012). Si les auteurs des études sur les conflits ne font pas toujours référence explicitement à ces conceptions de philosophie politique, ils apparaissent cependant en syntonie avec celles-ci. Au cœur de ces théories, il y a l’idée selon laquelle « la société est composée de groupes, chacun d’eux étant porteur d’un projet hégémonique reposant sur une idée de l’intérêt général impossible à concilier avec les autres. L’absence de conflit ne peut donc que souligner la prédominance de la partie la plus forte et, par conséquent, l’anéantissement de l’espace démocratique » (G. Pomatto, dans ce numéro). La réhabilitation des conflits se présente comme une réaction – tout à fait compréhensible – à la pensée unique néolibérale : il y a souvent un fort lien entre la réévaluation des conflits et la dénonciation du néolibéralisme (Abram, 2007 ; Moini, 2012 ; Pellizzoni, 2013). Mais cette position est justifiable seulement si l’on peut soutenir que les conflits constituent, toujours, un défi à l’ordre néolibéral. Dans le cas contraire, il faudrait distinguer entre différents types de conflit, ce que ni les philosophes agonistiques ni les chercheurs partisans des conflits ne font lorsqu’ils traitent du rapport entre conflit et participation.
7En effet, la principale aporie de la théorie agonistique consiste dans le fait qu’elle ne précise pas clairement à quels conflits elle se réfère. Tandis que la théorie antagoniste classique, c’est-à-dire la théorie de la lutte des classes, reposait sur une analyse de la société d’où dérivait l’idée d’un conflit spécifique et fondamental – celui entre le prolétariat et la bourgeoisie –, la théorie agonistique contemporaine reste très vague sur ce sujet. Elle parle génériquement de l’inévitabilité des conflits et de l’impossibilité de les apaiser, mais ne produit aucune analyse de la société ni des clivages autour desquels elle se divise. Si on lit entre les lignes les travaux de Chantal Mouffe (1999, 2005), l’impression persiste qu’elle fait référence à l’existence d’un conflit principal, pas vraiment spécifié (salariés vs capitalistes ? gauche vs droite ?), puisqu’elle parle de groupes qui luttent pour l’hégémonie. Or l’idée qu’existe un clivage fondamental auquel tous les conflits particuliers peuvent être ramenés appartient à la culture politique du xxe siècle. Dans la société liquide (Bauman, 2006) d’aujourd’hui, la situation est beaucoup plus morcelée et fragmentée : on assiste à la multiplication de conflits menés pas des groupes différents sur des divers enjeux. Par exemple – si l’on considère seulement des conflits qui ont une certaine relation avec le territoire –, les habitants qui s’opposent au bruit nocturne des jeunes (c’est l’un des conflits les plus fréquents en contexte urbain) ; les taxis contre la société Uber et, plus généralement, les acteurs de la « vieille économie » contre ceux de la sharing economy ; les autochtones contre les immigrés, les réfugiés, les Roms ; les communautés contre les nuisances redoutées de nouveaux équipements ; mais aussi – pourquoi pas ? – les guerres de camorra qui ensanglantent les rues de Naples. Il est évident que ces conflits ne peuvent pas être rapportés à un seul clivage et qu’ils ne constituent pas, pour la plupart d’entre eux, une révolte contre le pouvoir et l’ordre néolibéral. Ils peuvent tous être considérés, d’une certaine façon, comme des « pratiques de liberté » (Griggs et al., 2014), mais cette liberté peut être exercée contre les plus démunis et peut avoir pour objectif la défense d’intérêts bien particuliers. Pour soutenir que les conflits doivent être laissés libres de s’exprimer sans être gênés par des processus participatifs apaisants, position que certains chercheurs semblent assumer implicitement, il serait nécessaire de trouver un critère permettant de distinguer entre différents types de conflits. Tous les conflits ne mériteraient pas d’être défendus, car ils seraient des « épines dans le pied » du pouvoir.
8Mais même si des critères peuvent être trouvés, il est improbable que l’on puisse séparer nettement les « bons » des « mauvais » conflits. De nombreux conflits présentent des caractères ambivalents parce qu’ils poursuivent des objectifs qui sont politiquement ou moralement justifiables, mais en même temps partiels et unilatéraux (Bobbio, 2011). Les riverains qui se battent contre l’installation d’éoliennes défendent leur paysage et leur territoire, mais en même temps freinent la reconversion énergétique vers l’exploitation des sources renouvelables ; les habitants qui s’opposent à une décharge ont eu parfois l’effet d’inciter les institutions locales à exporter à l’étranger leurs déchets (comme c’est le cas en Italie) avec une hausse des coûts pour l’ensemble de la collectivité. Dans ces cas, il peut sembler raisonnable de soutenir ces mobilisations malgré leur contenu partiel, parce que – face à la puissance de leurs adversaires – il serait important de tordre le bâton de l’autre côté. Mais à un certain moment, l’unilatéralité peut devenir insoutenable et une certaine forme de solution peut être nécessaire.
Types de conflit
9Les agonistes aiment utiliser des termes forts pour indiquer que les conflits sont nécessaires et inapaisables. Ils les décrivent comme « inéradicables » (Mouffe, 2005, passim) et comme « irréductible[s] » (Freund, 1983, p. 172). Or la signification de ces termes n’est pas claire. S’ils veulent dire que toute société est toujours traversée par des conflits, c’est vrai, mais banal. S’ils veulent dire que chaque conflit est destiné à ne jamais se terminer, c’est faux. L’histoire a été marquée par de nombreux conflits qui paraissaient éternels et qui se sont épuisés ; c’est le cas – par exemple – des conflits entre catholiques et protestants qui ont dévasté l’Europe entre les xvie et xviiie siècles et dont aujourd’hui on n’a plus aucune trace (sauf peut-être en Irlande du Nord). Loïc Blondiaux (2008b, p. 136) a écrit que les « théories [de la démocratie participative ou délibérative] nous semblent avoir, jusqu’à présent, peu ou mal pensé la question du conflit », mais on peut bien dire aussi, inversement, que les théories agonistiques ont peu ou mal pensé la manière dont les groupes en lutte peuvent sortir de l’état d’hostilité réciproque.
10Albert Hirschman (1994) a distingué les conflits qui peuvent être apaisés et qu’il nomme conflits « plus-ou-moins » (more-or-less), des conflits inapaisables, c’est-à-dire des conflits « ou-ou » (either-or). Les premiers reposent sur des enjeux divisibles (c’est le cas, par exemple, des luttes économiques et syndicales) ; les seconds ont des objets indivisibles et ne se terminent qu’avec la victoire d’une partie sur l’autre (c’est le cas des luttes autour de valeurs non négociables, par exemple celles sur l’avortement ou entre cultures différentes). En réalité cette distinction semble un peu rigide. Le caractère négociable ou non négociable d’un confit n’est pas un facteur objectif, mais il relève plutôt de la façon selon laquelle les parties conçoivent leur position et la présentent publiquement : un conflit non négociable peut devenir négociable si les parties commencent à reconnaître la nécessité de débloquer la situation (et vice-versa). Il peut arriver que, même dans un différend typiquement « ou-ou » comme celui entre les partisans et les opposants de l’avortement, on puisse entamer un processus de dialogue ou de négociation entre les parties qui, sans modifier leurs positions fondamentales frontalement opposées, ouvre la voie à une collaboration destinée à améliorer le service sanitaire pour les adolescentes enceintes [4] (Forester, 2012). D’ailleurs, même A. Hirschman, à la fin de son essai, déclare soupçonner « que la catégorie des conflits non négociables du type “ou-ou” est une étiquette trop simple pour une vaste gamme de problèmes nouveaux et peu familiers qui apparaissent difficiles à gérer » (1994, p. 216).
11Or il semble que chez les auteurs agonistiques les conflits appartiennent tous au type « ou-ou » et qu’aucune négociation n’est possible ou souhaitable, en dehors de la possibilité de compromis tactiques, provisoires et instables. Ils ignorent une importante tradition de pensée, d’origine surtout pragmatiste, selon laquelle les conflits peuvent être constructifs (Follet, 1925) s’ils arrivent à repérer, par la négociation (ou par la délibération), des solutions créatives qui réussissent à intégrer les raisons de toutes les parties prenantes. Il arrive souvent, en effet, que les positions des parties se présentent comme diamétralement opposées, mais que leurs intérêts ne soient pas totalement incompatibles et donc que l’on puisse aboutir à des accords qui génèrent des configurations inédites, avec des avantages réciproques (mutual gains) (Fisher, Ury, 1982 ; Susskind et al., 1999). Dans cette conception, dealing with differences, gérer les différences devient la tâche fondamentale (Forester, 2009). Pour John Forester, « il est parfois possible de réconcilier des engagements non négociables le plus souvent sans trop d’angoisse » (2014, p. 138). Pour Jane Mansbridge et al., « on pourrait dire que les solutions intégratives “dissolvent” un conflit ou montrent qu’un conflit qui avait été perçu comme réel n’était qu’apparent » (2010, p. 71).
12Il est intéressant de remarquer que les penseurs agonistiques conçoivent la fin d’un conflit comme « apaisement », c’est-à-dire comme une renonciation à combattre, à défendre ses intérêts et ses idéaux, en quelque sorte comme une défaite ou un pas en arrière, tandis que pour les pragmatistes il s’agirait plutôt d’un pas en avant, d’une solution innovante qui enrichit les relations sociales et améliore la démocratie. Même Loïc Blondiaux, qui pourtant manifeste une attitude critique vis-à-vis de la pensée agonistique, soutient que la participation institutionnalisée renvoie « à une ambition de prévention et de réduction des conflits sociaux » (2008b, p. 138). On peut se demander pourquoi l’auteur parle de « prévention » et de « réduction » et pas de « dépassement » ou de « résolution ». Il est vrai que la négociation aboutit rarement à la résolution complète du conflit, mais il est possible d’identifier, dans des situations différentes, des formes d’ententes partielles (qui peuvent rester implicites) sur certains enjeux et pas sur d’autres, avec certaines parties et pas avec d’autres ou des accords sur le cadrage des différends (Torrekens, 2012 ; G. Pomatto dans ce numéro).
13Pour les pragmatistes, les conflits ne sont pas figés, mais ils se transforment dans le processus de négociation ou de délibération. Ils ne sont pas « inéradicables ». Ils sont transformables et peuvent être dépassés, même partiellement. Les conflits qui ne se transforment pas risquent, au contraire, de s’éterniser en des oppositions ossifiées, en recouvrant des situations de lutte pour la lutte, bien évoquées par Simmel ([1903] 1995), qui « deviennent indépendant[e]s de leurs causes initiales et risquent de continuer même après que ces causes soient devenues insignifiantes ou aient été oubliées » (Deutsch, 1973, p. 351). Naturellement, sur le plan empirique cette résolution innovante des conflits n’arrive pas toujours ; pour les grands conflits, il s’agit d’une issue difficile à construire. Mais sur le plan normatif, il faut tenir compte aussi de cette possibilité, car l’alternative – les conflits figés – n’est pas particulièrement alléchante.
La participation et les luttes
14Les études sur les mouvements et les textes agonistiques présentent la participation (institutionnalisée) comme le contraire de la lutte : si on cherche le consensus, on nie le conflit. Cette attitude « binaire » (Neveu, 2011, p. 205) n’a pas de fondement. La démocratie agonistique et la démocratie délibérative « ont un important aspect en commun : elles cadrent la démocratie comme une forme de lutte » (Watkins, 2012, p. 2) : aucune de ces conceptions ne nie ou ne méprise le conflit ; il s’agit plutôt de différences dans son traitement. La première souhaite que les luttes soient laissées libres de se développer jusqu’au bout ; les approches fondées sur la délibération et la négociation souhaitent, au contraire, un rapport direct et paritaire entre les porteurs de positions opposées afin d’aboutir à une intégration de leurs points de vue par le dialogue ou par l’échange. D’ailleurs, les dispositifs participatifs « n’ont de chance d’exister politiquement que s’il existe un conflit préalable ou que s’ils parviennent à susciter par eux-mêmes de la conflictualisation » (Blondiaux, 2008b, p. 144) et « quand tout le monde est d’accord dès le début ou quand les gens ne se préoccupent pas d’exprimer un désaccord, la délibération ne peut pas émerger » (Talpin, 2011, p. 144).
15C’est le conflit qui nourrit la délibération, comme Bernard Manin (2005) le soutient depuis longtemps. Récemment, André Bächtiger et Marlène Gerber (2014) ont cherché à démontrer, y compris sur le plan empirique, la supériorité de la « contestation vigoureuse » sur la « conversation entre gentlemen » dans des mini-publics. La délibération – selon la formule de Philippe Urfalino (2005) – « n’est pas une conversation » : elle implique un différend entre positions opposées. On peut objecter que dans des expériences réelles, le conflit est parfois tenu à l’écart et que l’on préfère miser sur une coopération harmonieuse, mais Laura Seguin – dans ce numéro – expose le cas d’un mini-public sur la gestion des eaux en Poitou-Charentes, formé par des citoyens tirés au sort, dans lequel « les animateurs […] ont […] amené les participants à appréhender les conflits d’usage de l’eau sur leur territoire » par un jeu de rôle où chacun incarnait un usager. Ils ont donc fait une expérience du conflit qui leur a servi à saisir plus clairement les nœuds du problème. Cet exemple ne révèle pas seulement que l’horizon des facilitateurs n’est pas toujours aussi funèbre, ni leurs pratiques aussi standardisées, que ne le suggère la critique popularisée par certains chercheurs (Bonaccorsi, Nonjon, 2012), mais surtout il montre que l’appréhension du conflit peut être le point de départ de la délibération et que souvent il l’est : dans les jurys citoyens, les sondages délibératifs ou (en France) les conférences de citoyens, les participants écoutent, avant tout, les témoignages d’experts ou d’activistes qui exposent et argumentent leurs positions opposées.
16En conclusion, les procédures participatives et délibératives ne sont pas nécessairement « fondées sur une conception fonctionnaliste qui n’envisage le conflit que comme une menace pour l’ordre social » (comme le soutiennent certains chercheurs) (Gourgues et al., 2013, p. 16) et elles ne font pas « de son évitement ou de sa réduction une finalité » (ibid., p. 17). Pour certains acteurs (par exemple les élus), c’est souvent le cas, mais on ne peut pas dire que l’appréciation négative du conflit est une attribution intrinsèque des procédures participatives qui, au contraire, dans la plupart des cas, prennent les conflits au sérieux et cherchent à trouver des solutions même partielles, ou tout simplement à aboutir à un encadrement partagé des différends ou à « clarifier le conflit » (Mansbridge et al., 2010, p. 93).
17On pourrait donc conclure que, sur le principe, il n’y a rien de condamnable à vouloir éviter ou réduire les conflits. Il n’y a en effet aucune raison de soutenir que tous les conflits doivent être maintenus ou protégés. Le maire de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur qui a réussi à éviter le conflit sur l’installation d’un parc solaire a plus de mérite que son collègue qui l’a laissé éclater dans sa commune grâce à ses manœuvres maladroites (Baggioni, 2014). Le problème n’est donc pas de savoir si le conflit a été évité ou réduit, mais comment cela a été fait, si la nature du conflit permettait cette conclusion, si les porteurs d’intérêts ou de visions différentes ont eu une égale possibilité de faire entendre leur voix, si le résultat intègre les points de vue de tous les participants, etc. Il est donc nécessaire de mener une analyse fine des processus et des mécanismes qui ont été mis en place pour comprendre si le conflit a été dépassé ou étouffé, si la solution a été créative ou répressive, si les positions des opposants ont été écoutées et considérées ou si l’on a cherché à les manipuler. Les processus de participation sont ambivalents, comme plusieurs auteurs l’ont souligné (Blondiaux, 2008a ; Gaudin, 2013). Mais si nous parlons d’ambivalence, nous devons prendre au sérieux le préfixe « ambi- » qui indique la possibilité d’une bifurcation [5] et mettre en évidence le fait que les expériences concrètes peuvent pencher d’un côté ou de l’autre.
18Cette analyse fine est souvent négligée par les chercheurs travaillant sur les mouvements sociaux et les conflits qui ne prennent pas suffisamment en considération le déroulement des processus participatifs [6]. Il est rare que conflits et participation soient traités avec le même soin. Si l’on dirige l’attention sur les luttes, la participation passe en arrière-plan. C’est le cas, dans ce numéro, de l’article de M.-J. Fortin et Y. Fournis sur le gaz de schiste au Québec. Les auteurs suivent d’une façon très précise l’évolution des protestations et les résultats qu’elles ont obtenus, mais ils n’accordent pas la même attention aux processus participatifs, qui ont été organisés dans la même période et sur le même sujet par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Sur ce point, les chercheurs finissent par voir les réunions gérées par le BAPE exclusivement comme une scène dont les mouvements peuvent profiter pour poursuivre leurs objectifs. Mais ils disent peu de choses du déroulement de ces processus, rien sur les objectifs de ses organisateurs, ni sur les résultats qu’ils ont obtenus. Un peu différente est l’approche de E. Martinais, deuxième auteur à tenir une posture « agonistique » dans ce dossier. Celui-ci montre que les processus participatifs organisés d’en haut dans le cadre des Comités locaux d’information et de concertation (CLIC) ont souffert d’une faible représentativité des communautés affectées et que c’est l’auto-organisation des riverains (intégrés dans un réseau national) – c’est-à-dire la participation non invitée – qui a permis d’obtenir des résultats partiels mais importants, qui sans cette mobilisation, longue et passionnée, n’auraient pas été acquis. L’auteur conclut en notant que « le conflit apparaît ici comme une forme de participation à part entière », et que lorsque la participation institutionnalisée « est unanimement vécue comme une mascarade par les associations de défense, la contestation reste la seule issue possible ». Ici l’auteur propose un modèle classique, c’est-à-dire celui de la pression des groupes organisés sur les décideurs. Il est évident que la combinaison lutte-pression est la seule ressource qu’ont les citoyens qui sont déçus par le fonctionnement biaisé de la « participation » officielle, mais ceci signifie seulement que la participation dans ce cas ne « fonctionne » pas, au point qu’elle ne réussit même pas à réduire les conflits (qui au contraire éclatent, nous reviendrons sur ce cas). Mais l’on peut considérer que l’auto-organisation, la lutte et la pression sont des mécanismes coûteux pour les citoyens qui les mettent en œuvre. Les dispositifs participatifs devraient servir à résoudre les problèmes liés à la gestion des risques sans obliger les citoyens à un éprouvant processus organisationnel. En somme, les deux articles qui adoptent le plus clairement une posture « agonistique » dans ce dossier (M.-J. Fortin et Y. Fournis ; E. Martinais) plaident pour considérer la participation par le conflit comme une forme de participation. Ils soutiennent donc que le modèle de la pression est plus efficace à intégrer les objectifs des opposants dans les politiques publiques que celui de la participation institutionnalisée. Toutefois, il n’est pas possible à partir de ces deux cas de construire une généralisation ; on ne peut pas toujours dire que les conflits sont plus efficaces pour les opposants que les processus participatifs. Ils l’ont été dans le cas étudié par E. Martinais et peut-être dans celui traité par M.-J. Fortin et Y. Fournis, mais il y a d’autres situations dans lesquelles l’ouverture d’un débat public, d’un budget participatif ou d’une conférence des citoyens a permis de donner la parole à des intérêts marginaux et mal organisés, quand le conflit était faible.
19D’ailleurs, les conflits ne sont pas toujours opposés aux processus participatifs : ils peuvent les aider et les enrichir, comme Francesca Polletta (2015) le montre très bien dans son étude sur le grand town meeting organisé à New York sur le thème de la reconstruction à Ground Zero. Elle observe que l’intervention des activistes dans un forum délibératif peut avoir l’effet d’exposer les participants à des points de vue qui autrement n’auraient pas été représentés, et d’ailleurs même les organisateurs du processus délibératif doivent adopter une posture militante pour faire pression sur les institutions afin que les conclusions du forum soient prises en compte dans l’arène politique ou administrative.
20En outre, de nombreux conflits pourraient se voir adresser les mêmes critiques que celles adressées à la participation institutionnalisée : la surreprésentation des classes moyennes, la non-implication des groupes populaires, l’effet ségrégatif, l’élitisme. La lutte est une voie nécessaire quand la participation est faible, biaisée, mal organisée ou inexistante, et elle peut être utile pour renforcer les processus délibératifs. Mais elle n’est pas nécessairement la solution alternative à la participation.
La dimension empirique : que font les conflits à la participation ? que fait la participation aux conflits ?
21Après avoir identifié les dimensions normatives explicitement ou implicitement présentes dans les évaluations de la participation à partir des conflits, nous aborderons à présent l’analyse des relations entre dispositifs de participation et mobilisations d’opposants à partir de travaux empiriques. Pour cela, nous proposons d’abord de réfléchir en termes d’effets croisés. Que font les conflits aux dispositifs de participation ? Les dispositifs de concertation ont-ils un effet sur le déroulement des conflits ? Comment rendre compte de ces processus ? Nous revenons ensuite sur les positions qui identifient du conflit au sein des dispositifs de participation et de la participation au sein des mobilisations collectives.
La place des conflits dans les dispositifs de participation
22Pour saisir plus précisément les relations entre participation et conflit, nous commencerons par distinguer les types de dispositifs de participation. Il n’est pas possible de tenir un discours général englobant toutes les procédures participatives. En effet, tous les dispositifs n’accordent pas la même place aux groupes mobilisés. Il ne s’agit pas ici de proposer une typologie d’ensemble, mais de s’intéresser aux principales familles de dispositifs, en se focalisant sur celles qui sont analysées dans les textes présents dans ce numéro.
23Les différents types de mini-publics utilisant le tirage au sort sont conçus pour ne pas laisser de place aux collectifs mobilisés et même, théoriquement, pour contourner les acteurs ayant des intérêts dans la question traitée. Or, lorsqu’ils sont fermés aux débats et controverses locales, ils courent le risque d’apparaître comme déconnectés de la situation sur laquelle ils doivent se prononcer, sur le modèle d’un « focus group », traitant d’une question sans percevoir les modalités de leur connexion avec le contexte local (Barbier, Bedu, 2015 ; Parkinson, 2006). À l’opposé, dans certains cas, les jurys citoyens sont conçus comme des « arbitres » pour trancher une question controversée, ils sont alors pensés par leurs promoteurs comme « une contre-expertise de la société civile » alternative à celle construite par les associations (Barbier, Bedu, 2015, p. 4). Les mêmes auteurs et notamment Carolyn Hendriks (2002, 2011) ont mis en évidence les fortes critiques en légitimité ou en compétence que les associations locales ou environnementales portent sur les participants.
24Par l’analyse d’une conférence de citoyens traitant de la gestion de l’eau en Poitou-Charentes, l’article de Laura Seguin, dans ce dossier, montre que lorsque les dispositifs sont ancrés sur un territoire, il est difficile de trouver des participants totalement détachés de la question traitée. Sur une thématique particulièrement conflictuelle dans cette région, la controverse est réintroduite par la présence d’un agriculteur dans le panel (sélectionné du fait de son statut de retraité !). Lorsqu’ils sont utilisés au niveau local, d’autres travaux empiriques montrent la grande difficulté de ces dispositifs à s’extraire des situations de conflits, et la nécessité dans laquelle se trouvent les organisateurs de programmer des réunions d’information ouvertes à tous. Or les participants ont souvent beaucoup de mal à passer l’épreuve de la mise en public de leurs positions (Barbier, Bedu, Buclet, 2009).
25Analysant les usages des jurys citoyens, Rémi Barbier et Clémence Bedu considèrent que ceux-ci peuvent gagner en légitimité et accroître leurs effets s’ils réussissent à densifier « les connexions établies avec le monde social ». La présence d’un conflit peut être considérée comme assurant des « prises » pour les avis citoyens et, inversement, un contexte local très peu conflictuel peut être « dépourvu de “prises” de participation » (Barbier, Bedu, 2015).
26Or la place du conflit peut être plus directe. Un jury citoyen a été conçu avec une fonction d’arbitrage dans le contexte très conflictuel d’un projet de réalisation d’une usine de gazéification des déchets des tanneries dans la petite ville toscane de Castelfranco di Sotto (G. Pomatto dans ce numéro). Cinquante citoyens tirés au sort se prononcèrent contre l’implantation de l’usine et proposèrent comme alternative une usine de traitement des déchets à froid. Dans la mesure où l’entreprise ne renonça pas à son projet, les conclusions de ce jury de citoyens sont devenues un des arguments des opposants, dès lors appuyés par la commune et la province. Avec le soutien de la région, l’entreprise réussit, malgré un important contentieux, à construire l’installation. Dans ce cas, l’étude de G. Pomatto montre la constitution d’un groupe d’opposants à l’intérieur du jury qui met en place une stratégie de contrôle des débats. Ce processus analysé en termes de « colonisation du jury » a été rendu possible par les concessions procédurales qui avaient été accordées aux opposants lors des débats sur l’organisation du jury citoyen, assurant une forte présence des riverains immédiats du site.
27À l’opposé de ces processus, le Bureau des audiences publiques sur l’environnement (BAPE) a promu un modèle québécois de l’enquête et des audiences publiques, conçu dans l’objectif d’être la « porte d’entrée des citoyens dans le processus d’autorisation des projets », et donc pour laisser s’exprimer les oppositions aux grands projets afin d’améliorer l’analyse de leurs impacts. Le BAPE, dans le cas analysé par M.-J. Fortin et Y. Fournis, a pris en charge une commission d’enquête sur le développement durable de l’industrie des gaz de schiste, puis une évaluation environnementale stratégique et une deuxième enquête consacrée à la mise en discussion de cette évaluation. L’article de M.-J. Fortin et Y. Fournis illustre des phénomènes assez répandus d’adaptation de la mobilisation aux règles du débat. Pour occuper tous les espaces ouverts, être présents dans toutes les réunions et diversifier les prises de parole, les membres du collectif se répartissent les rôles et les questions. Dans l’analyse des stratégies des opposants au gaz de schiste qui est présentée ici, les réunions organisées par le BAPE semblent constituer seulement un espace à investir, au même titre que des assemblées représentatives à différentes échelles dont ils réussissent à « forcer les ordres du jour » [7]. Cet article décrit des opposants qui, d’une certaine façon, jouent sur deux tableaux. D’une part, ils utilisent toutes les possibilités offertes en adaptant leur forme d’expression aux règles d’échange. D’autre part, ils inventent des modalités de présence dans le débat pour faire entendre leur position ou donner corps à la mobilisation : par exemple, en déposant théâtralement une pétition pour introduire le public absent au sein de l’instance de participation. Dans ce cas, pour les auteurs, la participation et les politiques environnementales permettent d’offrir un cadre pour l’expression des oppositions.
28En France, la procédure de débat public, issue d’une tentative de sortir du blocage de la décision dans le cas du TGV Méditerranée et initiée en partie sur le modèle du BAPE (Simmard et al., 2006), a été conçue comme une scène d’échange sur l’opportunité et les impacts des projets d’aménagement. L’objectif est le recueil de toutes les opinions, ce qui laisse une place aux opposants. Cependant, les règles de fonctionnement sont davantage centrées sur l’égalisation des droits à parler que sur la mise en capacité des opposants. Les associations mobilisées contre des projets peuvent s’insurger d’être placées sur le même plan que d’autres participants, même si, le plus souvent, elles semblent apprécier la reconnaissance de leur parole et les éléments de procédure qui peuvent atténuer les asymétries entre les maîtres d’ouvrage et les groupes affectés (les cahiers d’acteurs ou éventuellement la possibilité de mobiliser une contre-expertise) (Revel et al., 2007). Souvent, les auteurs des comptes rendus des débats publics semblent regretter l’incapacité de la procédure à impliquer dans le débat d’autres personnes que celles déjà mobilisées. Au-delà des tentatives de construction localisée de la confiance entre acteurs (Leborgne, 2006), l’un des effets des débats publics organisés en France a bien été de « permettre l’exercice de la “critique civique” par un public concerné » (Fourniau, 2015).
29L’expérience d’intégration à Gênes de la procédure de débat public dans le contexte institutionnel italien, analysé par G. Pomatto, est ici directement liée à un conflit qui perdurait depuis de nombreuses années. L’objectif était ici de débattre de cinq alternatives de tracé pour la nouvelle section de l’autoroute dénommée « Gronda », permettant de doubler en amont l’autoroute littorale existante. Les débats se concluront par la réalisation d’une synthèse des positions puis par la décision de modification du tracé par le maître d’ouvrage pour limiter les nuisances et l’impact sur les constructions existantes. Il ne s’agit pas ici de la construction d’un accord mais de la définition par le maître d’ouvrage d’un tracé « plus acceptable socialement » même s’il est moins efficace en termes d’ingénierie des transports et plus coûteux (G. Pomatto). Néanmoins, les propositions d’alternatives à l’autoroute n’ont pu être prises en compte. Dans un contexte très polarisé, les opposants, méfiants au début du processus, ont ensuite trouvé un intérêt à intégrer le débat, en particulier pour avoir accès à des informations jusque-là confidentielles. Par ailleurs, cette expérience permit d’impliquer dans la discussion des résidents affectés qui n’avaient pas rejoint les opposants. Leur présence et leur connaissance du terrain ont rendu possible, dans le cadre du débat, des « ébauches de délibérations » (Bobbio, 2013) conduisant les ingénieurs du maître d’ouvrage à concevoir la possibilité et l’intérêt d’une modification du tracé. Dans ce type de dispositif, la scène de débat n’est pas fermée et il existe la possibilité qu’une diversification du public puisse avoir lieu. La référence au cas de Gênes permet d’ouvrir la réflexion sur des effets qui ne sont pas forcément liés à une délibération commune de l’ensemble des parties prenantes. Ces effets ne concernent pas nécessairement tous les participants : certains acteurs développent des relations coopératives dans un contexte qui reste conflictuel.
30La place du conflit est bien sûr centrale dans le cas de dispositifs qui sont créés spécifiquement pour prendre en charge une négociation liée à une mobilisation locale. C’est le cas, toujours dans le texte de G. Pomatto, de la commission liée à l’installation d’une infrastructure pour déchets urbains à Gênes, qui avait pour objectif de permettre un échange entre les parties prenantes. Le travail de cette commission resserrée a permis, selon l’analyse de G. Pomatto, une négociation qu’il définit d’« intégrative », c’est-à-dire qui a rendu possible une solution à somme positive et un changement de vision sur les équipements nécessaires. Le même auteur montre aussi que les solutions portées par la commission ne sont possibles que grâce à l’instauration d’un « nouveau climat » plus coopératif lié à un changement de position de la municipalité. La mise en place de comités ad hoc réunissant les parties en présence est souvent utilisée pour construire des échanges négociés avec des succès divers. Dans le cas de conflits liés au bruit dans le centre de ville de Tours, un comité de suivi d’une « charte du bien vivre » a été pérennisé instituant un canal pour les plaintes relayées par une association de résidents mobilisés, qui trouva ainsi les conditions du maintien d’une vigilance et un lieu d’échanges avec les pouvoirs publics. Cette instance permit à l’association de résidents de maintenir sa présence comme interlocuteur des pouvoirs publics pendant de nombreuses années (Melé, 2004). Il est ainsi possible d’identifier, dans certains cas, un lien non contradictoire entre conflit et participation. Certains groupes mobilisés demandent la mise en place d’instances de participation et de négociation, les enjeux de reconnaissance sont ici fortement présents pour des acteurs, des associations et des collectifs qui souhaitent être pris en compte comme interlocuteurs des pouvoirs publics, être reconnus comme « acteurs légitimes de la gouvernance urbaine » (Lama-Rewal, 2012).
31Jean-Marc Dziedzicki rappelle dans ce numéro que Réseau Ferré de France a multiplié des « séquences de participation », sous la forme de dispositifs d’information et d’échanges, au-delà du cadre légal et que ces moments « accompagnent les étapes de conduite des études de ses projets ferroviaires les plus controversés avant et après des débats publics ». Tout se passe comme s’il était important de maintenir un canal d’échange ouvert avec les populations affectées. Or l’instauration de ces dispositifs n’est pas suffisante pour (re)construire la confiance, et le maître d’ouvrage doit affronter le soupçon de la manipulation.
32Au-delà de l’institutionnalisation ou de la standardisation des dispositifs (Blondiaux, 2008a), il faut peut-être traiter à part les procédures mises en place au nom de la généralisation de la participation dans des domaines conflictuels, mais dont l’application pourrait être qualifiée de « simulacre ». Dans certains domaines, il est difficile de considérer que les procédures instaurées au nom de la participation n’atteignent pas leurs objectifs, car aucune tentative n’a été vraiment mise en œuvre ou alors sous une forme bien éloignée de leurs buts affichés. Souvent les groupes mobilisés, lorsqu’ils réussissent à être autour de la table, font simplement l’expérience de la fermeture du système d’action publique, de situations dans lesquelles tout semble déjà joué. E. Martinais considère dans ce numéro que, pour le domaine des risques industriels, ce qui a pu être décrit comme un renouvellement de l’offre de participation par « introduction d’un principe d’association dans la procédure d’élaboration des Plans de prévention des risques technologiques (PPRT) », et par la création des Comités locaux d’information et de concertation (CLIC), n’affronte pas directement la question des conflits mais s’attache surtout à « la production d’un riverain responsable, intégré dans la prise en compte du risque et de sa gestion » devant permettre d’améliorer la sécurité tout en renforçant l’acceptabilité des sites industriels. Ces dispositifs et en particulier les CLIC semblent utilisés par les services de l’État essentiellement pour mettre en place leurs objectifs et remplir les obligations légales. Emmanuel Martinais note que pour la grande majorité des PPRT, la prise en compte de l’avis du public s’effectue au cours d’une seule réunion. Dans le domaine de la gestion des déchets, les Commissions locales d’information et de surveillance (CLIS), au fonctionnement très administratif, peuvent difficilement être considérées comme des instances de reconstruction de la confiance (Rocher, 2006). Claudia Cirelli a montré, dans le cas du conflit lié à l’extension de la décharge de Vienne, que celle-ci n’avait été réunie que trois fois au cours des neuf années de la controverse (Cirelli, 2013).
33Même lorsque les procédures laissent une place aux opposants, certains groupes mobilisés peuvent refuser les règles des échanges (Rui, 2006), ou construire une critique procédurale depuis l’extérieur des dispositifs, pour justifier leur refus de participer. C’est le cas dans l’article de M.-J. Fortin et Y. Fournis avec la composition du comité multipartite pilotant l’étude environnementale stratégique, mais aussi en France lors des débats publics sur les nanotechnologies ou sur Cigéo [8].
34Pour traiter des relations entre conflit et participation, nous avons donc distingué les modalités concrètes de mise en place de dispositifs au nom de la participation, mais il semble aussi nécessaire d’introduire un deuxième plan d’analyse qui prend en compte les modes de régulation liés aux objets du conflit.
Participations, conflits et modes de régulation
35En effet, les relations entre conflit et dispositifs de participation ne peuvent pas être abordées seulement par la place théorique réservée aux opposants dans le design des procédures, il s’agit bien de saisir leurs effets concrets et leurs modalités d’application. Or celles-ci dépendent en particulier du domaine d’action publique lié aux enjeux des conflits. L’article de M.-J. Fortin et Y. Fournis souligne l’importance dans le cas du gaz de schiste des modalités spécifiques de régulation liées au « régime minier ». Les effets d’un dispositif participatif peuvent être différents selon le domaine et les types d’objets supports du conflit. Les dispositifs sont utilisés dans un cadre particulier de régulation laissant plus ou moins de place aux différents acteurs locaux et aux populations affectées. Celui-ci, marqué par un cadre juridique, une place particulière des pouvoirs publics, mais aussi des formes de cadrages et d’arguments disponibles, définit le rôle et l’identité des acteurs, l’intensité des concertations préalables, les possibilités ou l’absence de « prise » pour les opposants (Chateauraynaud, 2011), mais aussi des modalités spécifiques d’inscription sur le territoire.
36On pourrait élargir cette notion et considérer que la place laissée aux conflits et aux groupes mobilisés ne dépend pas seulement du design participatif, mais bien du contexte d’action créé par un régime particulier d’action publique qui ouvre des opportunités spécifiques. L’article d’E. Martinais illustre aussi ce phénomène dans le cas d’un autre contexte d’action. On pourrait évoquer ici un régime des risques industriels pour caractériser les cadres de relation entre les acteurs et la place des dispositifs de participation mis en place. C’est aussi le cas des travaux que nous avons réalisés sur la localisation des infrastructures de traitement des déchets (Bobbio, Melé, 2015), qui illustrent les particularités de ce domaine de l’action publique.
37Les relations entre conflit et participation ne peuvent donc être décrites de manière générale. Elles doivent être pensées en fonction du régime sectoriel des activités qui instaure un contexte institutionnel spécifique. Ce contexte institutionnel joue un rôle important. Il est caractérisé par les modalités des relations entre acteurs dans chaque contexte national, par les particularités des différents régimes sectoriels liés à l’objet des débats, mais aussi par les positions des acteurs institutionnels locaux. L’évolution des positions des représentants des collectivités, leurs postures plus ou moins favorables aux échanges avec les associations environnementales ou les groupes mobilisés, les relations de confiance que les représentants peuvent tisser, jouent un rôle fondamental dans ce qui se passe à l’intérieur des dispositifs et sur leur capacité de connexion et d’influence sur les décisions publiques. De plus, certains domaines d’action publique sont caractérisés par la présence d’associations structurées avec des relais locaux qui peuvent contribuer à rendre possible l’émergence de « contre-pouvoirs délibératifs » issus des échanges mis en place au sein des dispositifs (Fung, Wright, 2005).
La participation renforce-t-elle le conflit ? Ou inversement ?
38S’il n’est pas possible d’apporter une réponse générale à la question de savoir si la participation peut déclencher ou renforcer les conflits, il faut souligner que c’est une croyance très répandue chez les élus et les porteurs de projets qui redoutent les effets négatifs liés à ce qui apparaît comme l’ouverture des processus de décision, ou comme l’entrée dans une aire d’incertitude et de perte de contrôle. Une étude des processus de décision liés à la localisation d’infrastructures de traitement des déchets a pu mettre en évidence, dans les contextes très différents de la France, de l’Italie et du Mexique, une volonté généralisée chez les porteurs de projet d’avancer le plus possible dans le secret pour stabiliser des coalitions de projet avant toute ouverture de débat, celle-ci étant le plus souvent limitée aux dispositifs strictement obligatoires (Bobbio, Melé, 2015). Guillaume Gourgues, Sandrine Rui et Sezin Topçu (2013, p. 13) ne disent pas autre chose lorsqu’ils notent que « faute d’adhérer au projet politique de la démocratie participative, soit à l’idée d’un partage (même minime) des capacités de décision, les élus œuvreraient en réalité au sabordage des dispositifs qu’ils ont eux-mêmes à élaborer et mettre en œuvre, à force d’en anticiper le potentiel subversif ».
39Dans aucune des situations analysées dans ce numéro, il n’est possible de dire que ce sont les dispositifs qui ont déclenché les conflits. La crainte du conflit, les tentatives de secret plus que l’ouverture d’espace de participation semblent attiser les oppositions. Bien sûr, dans de nombreux cas, comme le montrent les travaux présentés dans ce numéro, les dispositifs peuvent constituer des scènes et offrir des « prises » aux opposants, des formes de connexion avec le monde institutionnel et, dans deux des cas analysés par G. Pomatto, renforcer les conflits.
40À l’opposé, les études concrètes ont bien du mal à montrer la fonctionnalité des dispositifs de participation comme formes de construction de l’acceptation des projets. L’idée que les dispositifs de participation constituent des technologies performantes d’acceptabilité sociale semble une croyance partagée par des groupes mobilisés sur des enjeux et à des échelles différentes. C’est le cas, on l’a vu, de la perception généralisée des mini-publics, alors même qu’ils peuvent produire localement des recommandations qui renforcent les opposants. C’est aussi le cas des débats publics qui, dans certains domaines (nanotechnologies, déchets nucléaires), sont aujourd’hui dénoncés comme simulacres au service de l’acceptabilité sociale dans une stratégie de conflictualisation affichée par certains groupes. Pour le collectif grenoblois Pièces et main-d’œuvre, cette radicalité de la dénonciation des dispositifs prend la forme d’argumentations construites dans le cadre d’un projet de politisation de la place des technologies dans la société.
41Souvent, l’ouverture d’un débat constitue la seule manifestation concrète d’un projet ou d’une politique publique, la seule incarnation localisée de décisions publiques. La dénonciation des dispositifs mis en place apparaît alors comme la seule « prise » possible pour les opposants. Il est en effet difficile de s’opposer à un projet qui n’a pas commencé, par manque de point d’appui contentieux ou lorsqu’il n’y a pas de décision à critiquer.
42Dans ce numéro, J.-M. Dziedzicki souligne l’importance pour les porteurs de projets et les aménageurs de faire face à la suspicion de manipulation qui pèse sur les dispositifs mis en place. Cette suspicion de manipulation est présente même lorsque les porteurs de projets ont le sentiment d’être conduits à participer à un dispositif qu’ils ne contrôlent pas et dont ils craignent les effets sur le déroulement du projet. G. Pomatto considère qu’il ne suffit pas d’identifier une intention manipulatrice pour que celle-ci ait effectivement cet effet. S’il est possible qu’il y ait volonté d’instrumentalisation, le résultat n’est pas toujours celui escompté, car un espace de débat a été ouvert. À l’opposé, si certains groupes mobilisés cherchent à utiliser la participation, ils ne réussissent pas forcément. Dans certains cas, des solutions innovantes peuvent provenir de l’ouverture de l’espace de débat.
43Il ne suffit pas qu’une réforme procédurale affiche une intention justifiant l’instauration d’un dispositif par un effet attendu sur la dynamique des conflits pour que celui-ci soit effectif. S’il est possible d’identifier, au sein des évolutions législatives, un rôle attribué à certaines procédures qui peuvent être rendues obligatoires dans l’objectif de renforcer la légitimité des politiques publiques par la participation, en particulier dans le cas de situations controversées (risques, gestion des déchets…), cela ne signifie pas que la mise en œuvre concrète des dispositifs produit localement un contexte de confiance conduisant à une meilleure acceptation sociale des politiques publiques et des projets.
Le conflit dans la participation/la participation dans le conflit
44Jusqu’ici, nous l’avons vu, nous avons réservé le terme « conflit » à la stratégie de groupes mobilisés. Dans une autre acception, le conflit, comme modalité d’interaction interpersonnelle, n’est pas absent des échanges au sein des dispositifs participatifs. Dans cette optique, Loïc Blondiaux identifiait, au sein des processus de participation, trois figures du conflit, qui peuvent prendre la forme de l’expression d’« opinions déraisonnables », de « discours et positions qui n’acceptent pas les règles du jeu » ou de l’affirmation « d’identités politiques non négociables » (Blondiaux, 2008b).
45Les échanges au sein de dispositifs participatifs et les pratiques d’assemblées ont pu être conceptualisés comme des exécutoires au conflit et à la violence de la rue, un lieu où les « opinions peuvent s’exprimer publiquement, plutôt que de se faire entendre dans la rue ou par l’action » (Cossart, Talpin, Keith, 2012, p. 23). Comme des travaux historiques l’ont montré (cf. en 2012 le numéro de Participations sur ce sujet), il existe une dimension conflictuelle des expériences participatives.
46Par ailleurs, dans de nombreux cas, les collectifs qui acceptent d’intégrer des échanges organisés au sein de dispositifs de participation peuvent poursuivre de l’extérieur la stratégie du conflit impliquant actions collectives et contentieux. Pour le cas du gaz de schiste, M.-J. Fortin et Y. Fournis montrent l’importance pour les comités de poursuivre les actions de sensibilisation, de mobilisation et, dans le même temps, de participer aux débats et consultations ouverts par le BAPE. C’est aussi le cas pour le débat public de Gênes, où les opposants expriment leur position à la fois dans les assemblées et dans des manifestations de rue.
47L. Seguin, dans ce numéro, identifie un processus d’apprentissage du conflit par la participation, elle souligne le rôle de conflictualisation, au sens de reconnaissance des clivages et de politisation, que peuvent avoir les échanges au sein des dispositifs participatifs. Soulignons néanmoins que ce qui est appelé ici conflictualisation correspond à la « dimension conflictuelle des enjeux », et non à la stratégie du conflit adopté par des groupes mobilisés.
48Inversement, il est possible de chercher la participation dans le conflit. Des formes spécifiques de délibération ou des expériences peuvent voir le jour au sein des collectifs d’opposants ou des mouvements sociaux. Les deux aspects sont présents dans le cas du collectif ardéchois Stop au gaz et huile de schiste analysé par L. Seguin dans ce numéro. Ce collectif, qui regroupe élus locaux, associations et syndicats, organise en son sein de nombreux échanges, réunions et assemblées mettant en débat les stratégies d’action et la construction du cadre de la mobilisation. Il développe aussi de nombreuses actions de communication et prend en charge un « forum citoyen sur la transition énergétique ».
49Il existerait donc comme le soulignent M.-J. Fortin et Y. Fournis non seulement des « usages agonistiques de la participation » (Blondiaux, 2008b), mais aussi des « usages participatifs du conflit […] visant à faire valoir une demande de participation en forçant les espaces de négociation ». Comme le note L. Seguin, à partir des positions du collectif 07, le conflit peut aussi être « stratégie de débat » et constituer un espace dans lequel sont en tension des positions d’acteurs davantage tournées vers le débat et d’autres portant des stratégies de conflictualisation.
Conclusion : relativiser l’opposition entre conflit et participation
50La discussion sur la dimension normative du rapport entre conflits et participation développée dans la première partie de cet article, et celle sur la dimension empirique exposée dans la seconde partie tendent à converger sur un point important : elles montrent qu’il faut relativiser l’opposition entre conflit et participation. La participation (institutionnalisée) n’est pas toujours l’ennemi du conflit, comme le redoutent les agonistes. Le conflit n’est pas toujours l’ennemi de la participation, comme le redoutent les élitistes. Les soupçons des uns et des autres sont parfois justifiés, comme G. Pomatto le montre dans ce numéro. Il arrive en effet que les activistes cherchent à instrumentaliser la participation, et que la participation soit mise en place pour éviter ou pour manipuler les conflits. Mais, dans certains cas, on peut noter une sorte de synergie plutôt que d’opposition entre les deux phénomènes. D’un côté, les conflits peuvent nourrir la participation, lui donner du sens ; de l’autre côté, la participation peut offrir un débouché aux conflits, les renforcer ou leur suggérer des solutions. Il s’agit d’une conclusion semblable à celle à laquelle parvient Catherine Neveu quand, à propos des relations entre participation et mouvements sociaux, elle propose « de dépasser une vision binaire attribuant un ensemble de vices ou de vertus, selon les points de vue, à l’un ou l’autre, et qui reste du même coup prisonnière d’alternatives trop simplistes pour rendre compte de la richesse des phénomènes à l’œuvre » (2011, p. 205). C’est aussi la même conclusion à laquelle parvient Francesca Polletta lorsqu’elle affirme, à la fin de son étude, que « l’activisme et la délibération ne sont pas seulement compatibles ; parfois ils sont même nécessaires l’un à l’autre » (2015, p. 240).
51Il est intéressant de noter que sous la plume de plusieurs auteurs de ce numéro (M.-J. Fortin et Y. Fournis ; E. Martinais ; L. Seguin) a émergé une position conduisant à saisir ensemble « conflits et participation » comme des modalités différentes et imbriquées de mise en débat des projets et problèmes publics. Dans cette optique, l’analyse des effets des dispositifs devrait être recontextualisée pour prendre en compte l’ensemble des controverses locales sur un projet. Saisir des dispositifs participatifs à partir de la question du conflit conduirait donc à (re)contextualiser la participation, à ne pas considérer seulement le fonctionnement interne des dispositifs, pour saisir la façon dont certains moments de participation peuvent être insérés au sein du processus de mise en débat. Dans le même temps, il faudrait recontextualiser aussi l’analyse des luttes en ne se limitant pas à étudier les mouvements comme s’ils étaient des monades autosuffisantes, mais en considérant également leurs rapports – très souvent ambivalents et variables dans le temps – avec les institutions et les espaces de consultation et de débat. C’est la proposition de L. Seguin dans ce numéro. En étudiant deux cas, elle met en évidence un double phénomène d’apprentissage : des contestataires qui ont appris la participation d’une part, des participants à un mini-public qui ont appris le conflit d’autre part. On retrouve la même position aussi dans une partie de la littérature qui insiste sur la nécessité de reconnaître la pluralité des espaces et des formes de débat (Girard, Le Goff, 2010 ; Silver, Scott, Kazepov, 2010).
52Ceci dit, s’il paraît utile de considérer que les conflits et la participation contribuent ensemble à la mise en débat local des projets, il ne faut pas aplatir les deux phénomènes, ni négliger qu’ils le font d’une manière différente et que cela entraîne des tensions inévitables. Les mobilisations construisent des stratégies de pression dans un échange, le plus souvent pensé – surtout au commencement du conflit – comme un jeu à somme nulle. La participation vise à construire en quelque sorte l’entente entre les parties ou des jeux à somme positive. Notre souhait est que l’on puisse mener des recherches qui soient capables d’analyser simultanément et avec le même soin la dynamique des luttes et celle des dispositifs participatifs mais surtout les relations entre les deux, sans prendre a priori parti pour l’un ou pour l’autre. Sur le plan normatif, nous avons vu qu’il n’y a aucune raison pour préférer le « sauvage » au « domestiqué ». Sur le plan empirique, nous avons constaté que, dans la réalité, il était possible d’observer toutes les combinaisons possibles de luttes et de participation avec des effets fort différents. Ce qui est intéressant est bien d’étudier la contribution du « sauvage » et du « domestiqué » à la construction et à la gestion des problèmes publics, et non le chemin solitaire de chacun d’eux.
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Mots-clés éditeurs : agonistique, délibération, participation, conflit
Date de mise en ligne : 22/01/2016
https://doi.org/10.3917/parti.013.0007Notes
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[1]
Par exemple au Royaume-Uni (Clarke, 2010 ; Bevir, 2010 ; Norval, 2014) ou en Italie (Moini, 2012 ; Cini, 2012 ; Pellizzoni, 2013).
-
[2]
Aux États-Unis, l’idée que les conflits devraient être résolus par la participation semble prévaloir.
-
[3]
On trouve des expressions similaires, par exemple dans Blondiaux et Fourniau (2011), Gourgu et al. (2013), Melé (2013).
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[4]
Ce cas est rappelé par G. Pomatto dans ce numéro.
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[5]
De l’adjectif latin ambo, -ae, -o, qui signifie « l’un et l’autre », « les deux ».
-
[6]
Avec des exceptions importantes, par exemple Polletta, 2015.
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[7]
Dans ce cas, sous la pression de pétitions et des groupes mobilisés, les élus locaux adoptent des résolutions interdisant l’exploitation du gaz de schiste sur leur commune.
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[8]
Débat public sur le projet de centre de stockage réversible profond de déchets radioactifs en Meuse/Haute-Marne.