Notes
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Macaluso rappelle que si les termes « e-gouvernement » (des services en ligne pour les citoyens) et « e-gouvernance » (l’intégration des citoyens dans les processus de décision à travers Internet) sont souvent utilisés comme synonymes, ils ne le sont guère. Le passage de l’e-gouvernement à l’e-gouvernance serait, selon l’auteur, conditionné par les mutations des institutions publiques et l’évolution de la figure du citoyen qui ne serait plus perçu comme consommateur des services administratifs mais comme coproducteur des politiques publiques.
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Les travaux d’Anna Carola Freschi, Anna Fici, Fiorella De Cindio ou bien Stefano Rodotà en constituent une exception.
1Lecture critique des ouvrages suivants : Marinela Macaluso, Democrazia e consultazione on line, Milan, Franco Angeli, 2007 ; Dominique Cardon, Démocratie Internet. Promesses et limites, Paris, Seuil, 2010.
2Le thème de la crise de la démocratie représentative, récurrent en science politique, a pris une actualité nouvelle avec l’avènement d’Internet et plus récemment du Web social (Millerand, Proulx, Rueff, 2010). La question la plus souvent posée dans les divers travaux est de savoir dans quelle mesure la production, la diffusion et la consommation massives d’informations par une multitude d’acteurs influent sur les régimes démocratiques du point de vue de la participation politique des citoyens (Wojcik, 2011). Les premières recherches sur les liens entre Internet et la démocratie étaient marquées par un caractère performatif et présentaient le Web comme un outil susceptible de revivifier la démocratie (Rodotà, 1999) à travers une rupture avec des pratiques antérieures unilatérales et un renouveau fondamental du mode d’action publique. Les études qui ont suivi, davantage appuyées sur des données empiriques, ne s’intéressent plus aux potentialités mais aux pratiques des dispositifs numériques. D’un côté, elles ont apporté un regard critique par rapport aux premières thèses enchantées sur Internet (Loiseau, Wojcik, 2004). De l’autre, elles invitent à relativiser certains constats pessimistes sur le (faible) niveau d’engagement politique des citoyens (Monnoyer-Smith, 2011). Plusieurs chercheurs ont en effet souligné que les pratiques des dispositifs numériques de participation pouvaient permettre une participation politique des citoyens désintéressés des modes de participation dits classiques (Grunberg, Mayer, Sniderman, 2002).
3Ce nouveau contexte médiatique de la participation a conduit les études à la frontière entre la science politique et les sciences de l’information et de la communication. En effet, de nombreuses recherches de ces deux disciplines soulèvent le problème du médium qui dans le contexte de l’érosion de la participation dite conventionnelle engendrerait de nouvelles formes de participation politique. La participation en ligne est-elle un instrument de la démocratie représentative ou bien une forme alternative à ce type de démocratie ? C’est la question soulevée par la lecture croisée de deux ouvrages qui présentent des visions radicalement différentes.
4Le premier livre intitulé Democrazia e consultazione on line et publié en 2007 en italien est resté, faute de traduction en français, très peu connu en France. Son auteur, Marilena Macaluso, est une jeune sociologue de l’Université de Palerme dont les recherches portent sur la « démocratie électronique » promue par les institutions publiques. Récemment, elle a étudié la participation électronique comme moyen d’inclusion des immigrés (Macaluso, Tumminelli, 2011). La seconde publication, Démocratie Internet. Promesses et limites de Dominique Cardon, parue en 2010, a atteint un public bien plus large grâce à une couverture médiatique importante. Dominique Cardon, lui aussi sociologue, s’intéresse davantage aux transformations de l’espace public sous l’effet des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC). Il est auteur de plusieurs articles sur les réseaux sociaux (Cardon, 2011) et a récemment (co)signé un livre intitulé Médiactivistes (Cardon, Granjon, 2010). Outre que la lecture de ces ouvrages permet de faire le point sur l’évolution des connaissances et sur l’orientation des recherches concernant la participation politique sur Internet, elle permet d’identifier deux conceptions de la participation politique en ligne.
Internet : outil de la participation « institutionnalisée » ou réalisation de la « contre-démocratie » ?
5Les relations entre Internet et la crise de la démocratie représentative constituent le point commun des deux livres. Bien qu’ils le formulent différemment, les deux auteurs partent du même constat initial. Macaluso, comme de nombreux autres chercheurs, constate un déclin des formes traditionnelles de la participation politique (l’abstentionnisme électoral, l’affaiblissement des mouvements sociaux et des partis politiques) et souhaite examiner de façon critique une réponse technologique possible à ce fait (p. 13). Cardon ne mentionne pas explicitement la « crise de la représentation » ; néanmoins cette vision sous-tend sa réflexion quand il prône Internet comme « un laboratoire, à l’échelle planétaire, des alternatives à la démocratie représentative » (p. 7).
6Au-delà de ce constat commun, chaque auteur propose une vision radicalement différente de ce qu’est Internet et donc de rapports entre Internet et la crise de la démocratie représentative. Pour Marilena Macaluso, Internet est un nouveau canal de communication, une technologie susceptible d’être utilisée dans le processus de la consultation publique ou bien de la construction des politiques publiques. Dominique Cardon entre en polémique avec ce type de discours qu’il trouve « trop simple » (p. 8) en arguant que ce n’est pas « un média comme les autres » (p.8). Pour lui, appréhender Internet seulement comme l’aboutissement naturel de l’évolution des médias de masse mène à une transposition erronée, à Internet, des modèles développés dans le système des médias traditionnels. Du reste, les deux auteurs ne s’intéressent pas aux mêmes outils. Selon Macaluso, Internet constituerait une réponse à la crise en rendant possible une participation citoyenne dans le processus décisionnel. Elle étudie donc les dispositifs télématiques de type institutionnel. À l’inverse, Cardon laisse les consultations électroniques de côté et s’intéresse en premier lieu à la place des TIC dans l’espace public, notamment aux dispositifs numériques tels que Wikipédia ou Facebook, dispositifs qui n’intéressent que peu Macaluso.
7En ce sens, chaque auteur mobilise une conception différente de la notion de participation. Ce clivage est également présent dans la littérature sur la démocratie participative hors ligne. La participation « institutionnalisée » (Blondiaux, 2008), instaurée par le haut, qui englobe l’accès élargi à l’information et la participation à l’élaboration des normes à l’initiative des institutions publiques s’oppose souvent à une participation spontanée, portée par le bas, que Pierre Rosanvallon appelle « contre-démocratie », caractérisée par une participation permanente à travers un contrôle informel des représentants de la part des représentés (Rosanvallon, 2006). Très discutées, ces deux visions de la participation portent des appellations diverses selon les auteurs et selon les traits caractéristiques mis en avant. À titre d’exemple, Laurent Mermet distingue les débats publics d’« élevage », c’est-à-dire suscités, organisés, institués par les institutions, et les débats « sauvages », donc autonomes, spontanés, « ingérables » (Mermet, 2007). Il étudie les fonctions de chacune de ces formes du débat public. Le premier type de dispositifs serait mis en place, pour permettre au public de s’exprimer mais également pour rendre moins audibles certaines contestations de la politique menée par les institutions. Par opposition, le second donnerait aux citoyens la possibilité de prendre la parole de façon moins encadrée. Nous retrouvons ces deux conceptions et ces deux fonctions dans la vision que Macaluso et Cardon ont de la participation en ligne.
8Macaluso affirme le rôle positif joué par Internet dans l’inclusion citoyenne, considéré comme le garant du renforcement de l’ordre établi par la démocratie représentative. Elle démontre que les dispositifs participatifs en ligne permettent l’absorption des tensions et des conflits sociaux, le partage des risques entre les institutions politiques et les citoyens ainsi qu’une légitimation des actions politiques (p. 256). Cardon, au contraire, perçoit Internet comme une menace pour l’ordre établi, non seulement politique, mais aussi médiatique. Il affirme que « son développement bouleverse notre conception et pratique de la démocratie » (p. 7) en élargissant l’espace public qui incorpore désormais une partie de conversations privées. L’invention d’Internet et la massification de son usage sont considérées par le chercheur comme l’élément principal permettant la participation citoyenne. Pour Macaluso, au contraire, c’est moins l’invention d’Internet que la politique volontariste des institutions publiques qui conditionne la participation citoyenne en ligne.
Quelle participation ?
9Ces conceptions différentes se traduisent dans la délimitation de l’objet des deux recherches et dans les choix méthodologiques et épistémologiques des auteurs. Marilena Macaluso et Dominique Cardon ont construit de manière très différente leur grille analytique. La recherche de Macaluso est basée sur un corpus empirique important composé de 2075 cas de consultations publiques en ligne en Grande-Bretagne, pays-leader dans le domaine, comparé à 56 projets de ce genre en Italie, où ce type de procédures est beaucoup plus rare. Le cadre théorique de référence englobe des théories de la démocratie délibérative mobilisées pour expliquer le passage de l’e-gouvernement à l’e-gouvernance? [1]. La sociologue italienne s’appuie sur deux méthodes : l’analyse des documents officiels et l’ethnographie des sites web des meilleures pratiques. Cet attachement à la recherche empirique s’explique par le fait que Macaluso écrit son ouvrage à un moment où l’usage des TIC, ou plus particulièrement d’Internet pour la participation des citoyens dans les processus décisionnels publics, n’est que modestement étudié en Italie? [2]. Le travail de Macaluso ne contribue cependant à combler cette lacune que de façon partielle, du fait de la faiblesse de la base empirique de sa recherche. Même si elle prend en compte 2075 procédures consultatives en Grande-Bretagne et 56 projets en Italie, elle ne dresse finalement qu’un bref panorama du phénomène. Au lieu d’exploiter le corpus, elle se limite à un compte rendu systématique de l’existence de ces procédures en ligne. De plus, elle ne met pas en question la documentation officielle fournie par les institutions publiques. De même, en étudiant les sites web des consultations électroniques, Macaluso n’analyse guère les usages réels faits des consultations par les institutions ou bien par les citoyens.
10De ce point de vue, l’ouvrage de Cardon illustre une posture différente. Le sociologue analyse les pratiques variées de prise de parole par les « citoyens ordinaires » dans l’espace public élargi par l’invention et la massification d’Internet. Il étudie la participation en ligne dans la perspective historique, en comparant les dispositifs médiatiques de participation actuels aux modalités traditionnelles d’intervention dans l’espace public à travers les médias (des rubriques de lecteurs dans la presse, des auditions radio avec la participation de l’audience). Il étudie ainsi deux types de pratiques. D’un côté, il commente les pratiques citoyennes en ligne qui pourraient être sans doute qualifiées de « politiques » : la gestion des données publiques open data, le suivi d’activités des représentants politiques à travers les dispositifs de la « démocratie coopérative » (ex. nosdeputes.fr, theyworkforyou.co.uk) et la mise en place des procédures de surveillance et de sanction mutualisées dont l’exemple majeur est pour lui Wikipédia (p. 87). De l’autre, il fait référence aux conversations ordinaires qui, de prime abord, n’ont rien en commun avec la participation politique. Souvent éloignées en forme et en contenu de la politique, elles sont d’habitude interprétées comme indicateurs du désengagement politique. Toutefois, l’un des intérêts de l’ouvrage de Cardon est qu’il replace ces conversations dans l’espace public, ce qui selon lui illustre que l’espace public élargi par Internet n’est pas limité à un cercle restreint de citoyens éclairés. Cardon affirme que les sujets de conversation les plus banals sont en effet plus ou moins directement liés à des problèmes politiques comme par exemple l’égalité homme-femme ou bien les politiques locales. Mais bien que sa démonstration soit riche en exemples, on peut regretter qu’elle ne soit pas appuyée sur un protocole de recherche prédéfini ; ce que le caractère dispersé et anonyme des pratiques politiques en ligne n’explique qu’en partie. De ce point de vue, la rigueur scientifique du protocole de recherche est davantage respectée par Macaluso qui, dans la mesure où elle étudie des dispositifs institutionnels, bénéficie des archives et de la documentation mises à disposition par les institutions publiques.
11Ces choix de nature méthodologique sont sans doute également déterminés par le caractère du public visé par chaque auteur. Macaluso s’adresse aussi bien au milieu scientifique qu’aux professionnels de la consultation politique en vue de définir les conditions qui déterminent une consultation électronique réussie. Par conséquent, une analyse scientifique se mélange dans ce livre avec une posture normative et un ton pédagogique, chers aux cabinets de consultants et aux manuels de participation publique. En revanche, l’ouvrage de Cardon a pour objectif une vulgarisation des résultats scientifiques concernant Internet et la participation. Il s’adresse donc à un public plus large, plutôt non initié et peut-être même sceptique quant aux liens entre Internet et démocratie. Différence de public qui se traduit aussi dans le volume des ouvrages ; celui de Dominique Cardon étant trois fois moins long de celui de Macaluso.
12Ces différences méthodologiques traduisent une conception différente de la notion de « participation ». Macaluso s’appuie sur la définition sociologique classique de Verba, Nie et Kim (1972) et entend la participation comme « activité des citoyens privés dans le but d’influencer le choix du gouvernement ou les décisions qui sont prises par le gouvernement » (p. 80). En adoptant cette définition restreinte, elle se focalise nettement sur les formes institutionnalisées de la participation. Selon cette auteure, une consultation des citoyens via le web ainsi que d’autres initiatives en amont de l’inclusion sociale et technologique (diffusion des infrastructures et de l’accès à de nouvelles technologies) pourraient se révéler un instrument utile pour la co-construction des politiques publiques. Tout en gardant une approche critique, elle cherche à identifier les obstacles cognitifs et méthodologiques qui émergent de cette pratique politique. D’ailleurs, la consultation électronique est définie par Macaluso comme stratégie de recherche qui permet d’élargir la base informative sur laquelle les décisions publiques sont prises et qui engage les citoyens ainsi que d’autres porteurs d’intérêts dans le processus de la co-construction des politiques publiques à travers la communication directe avec les représentants politiques et avec l’administration (p. 96). L’inclusion n’est cependant pas le but en soi de cette pratique. Elle vise plutôt la réduction des conflits sociaux autour des problèmes définis et leurs solutions et l’augmentation de la transparence des décisions politiques. La consultation électronique devient ainsi une forme de participation permettant de manifester la désapprobation sans mettre en danger la structure administrative ou représentative (p. 15).
13Par opposition à ce type de posture, Cardon affirme que « les internautes débattent rarement sur commande. La manière dont ils se saisissent d’informations pour créer des controverses reste le plus souvent imprévisible » (p. 83). Il adopte une définition large de la participation qui ne se limite pas aux tentatives des institutions publiques pour élargir les possibilités d’expression citoyenne ; initiatives qu’il qualifie d’ailleurs de « décevantes ». Selon lui, leurs effets sont mineurs puisqu’ « elles ne parviennent à mobiliser qu’une fraction minime de citoyens très concernés » (p. 84). Or, à l’inverse, selon lui, la participation en ligne est caractérisée par l’auto-organisation des internautes qui prend la forme d’une gouvernance décentralisée et horizontale (p. 77) et mène à une coproduction des données alternatives aux processus décisionnels classiques. Wikipédia en est pour lui l’exemple par excellence. Toutefois en prônant le caractère indépendant et alternatif de la participation électronique, Cardon ne prend pas en considération l’émergence de nouveaux acteurs d’Internet comme par exemple Apple ou Google qui tentent d’imposer leur domination en créant de nouveaux rapports de forces.
14Comme les deux auteurs définissent différemment la participation en ligne, ils désignent également deux figures différentes des participants. Dans le cas de la consultation électronique étudiée par Macaluso, il est possible de distinguer deux groupes d’acteurs. Le premier est constitué des acteurs institutionnels qui mettent en place les dispositifs de consultation. Puisque l’ouvrage s’adresse en partie à ce type d’acteurs, Macaluso consacre le chapitre 3, c’est-à-dire un quart de son livre, aux conditions d’une consultation électronique réussie, et notamment à la dimension technique de la conception des dispositifs. Sur ce point, l’auteure affirme clairement son point de vue en se focalisant, parmi bien d’autres conditions, sur les compétences que doivent posséder les organisateurs des consultations électroniques pour qu’elles soient efficaces. Selon elle, ils doivent employer des instruments adaptés à la consultation électronique, s’appuyer sur les modes de recherches flexibles et définir une structure contrôlable et renouvelable de la consultation. En ce sens, elle plaide, plus ou moins explicitement, pour une professionnalisation des acteurs publics en charge de la participation des citoyens. Le second groupe d’acteurs étudié par Macaluso est constitué des citoyens amenés à la fois à co-construire les politiques publiques et à en bénéficier. En s’appuyant principalement sur la notion de « fracture numérique » qui évoque les compétences différenciées des citoyens à utiliser Internet, Macaluso constate que l’accès des citoyens aux procédures de la consultation en ligne est inégalitaire. Or la notion de « fracture numérique » ne doit pas occulter le fait que ces inégalités dans la capacité des individus et des groupes à participer n’est pas spécifique à Internet, mais qu’elles constituent une caractéristique principale de la participation politique – le « cens caché » évoqué par Daniel Gaxie (1978).
15De façon remarquable, cette distinction entre acteurs institutionnels et citoyens ordinaires est absente de l’ouvrage de Dominique Cardon. Les participants constituent pour lui un seul groupe homogène d’individus actifs, compétents en informatique, capables de s’auto-organiser et de créer sur Internet leurs propres espaces de participation. Ce présupposé d’égalité parmi les internautes est un des principes d’Internet où, selon l’auteur, les participants ne seraient pas jugés en fonction de leurs caractéristiques socio-économiques mais sur ce qu’ils produisent et disent (p. 78-80). Est ainsi évacuée la question des inégalités qu’Internet fait émerger entre les individus capables de participer en ligne et les autres (la « fracture numérique »). La « démocratie Internet » apparait ainsi comme une « démocratie des actifs qui risque toujours de laisser sur le bord de la route les silencieux et les non-connectés » (p. 100) ; on pourrait d’ailleurs arguer que, de ce point de vue, Internet ne fait pas disparaitre la représentation politique mais qu’elle tend à substituer aux représentants élus des geeks installés derrière leur ordinateur.
16Dans les deux ouvrages, la société civile est clairement séparée de l’État. Chez Macaluso, les consultations en ligne visent à réduire cette séparation, mais ne conduisent jamais à sa négation complète. Dans le cas de la « démocratie Internet » étudiée par Cardon, cet écart est accru. Les citoyens sont présentés comme un groupe homogène où tous agiraient de la même façon et pour les mêmes raisons. La « démocratie Internet » donne l’image d’une société désireuse de participer à la construction des politiques publiques ou de s’émanciper et de se libérer de la domination des centres de pouvoirs étatique, économique et médiatique. Au final, concentrés sur l’étude générale des pratiques, les deux ouvrages ne prennent en considération ni les motifs de la participation en ligne ni le sens que les participants donnent à cette pratique ni les caractéristiques sociologiques des individus engagés ou non.
Internet : de la modernisation de l’action publique à la transformation démocratique ?
17Si les deux auteurs voient ainsi dans les nouvelles formes de participation électronique une réponse possible au déclin de la participation citoyenne traditionnelle, ils ne sont d’accord ni sur leur place ni sur leur nature. Selon Marilena Macaluso, ces nouveaux modes de participer (limités pour elle aux consultations électroniques) sont créés à l’intérieur des institutions politiques par elles-mêmes. Certes, elles élargissent l’accès des citoyens aux processus décisionnels mais, avant tout, elles se révèlent utiles pour les institutions publiques qui décident de s’en servir. Elles permettent donc aux institutions de légitimer davantage les décisions prises et partager le risque de la mise en place des politiques publiques. De ce point de vue, Internet permet d’élargir l’espace de participation institutionnalisé et sert les intérêts aussi bien des citoyens que des institutions publiques.
18Dominique Cardon perçoit la place et l’usage d’Internet autrement. Selon lui, Internet dépasse l’espace politique institutionnalisé, puisqu’il permet une émancipation des publics jadis sous contrôle du pouvoir centralisé. De fait, il ne peut se révéler efficace dans le cadre indiqué par Macaluso car il constitue lui-même une expérience de la démocratie comme autogestion, incompatible, selon l’auteur, avec les structures de la démocratie représentative. Mais Internet peut-il être toujours présenté de manière aussi nette comme un contre-pouvoir ? Les travaux portant sur la participation électronique dans le contexte autoritaire (Arsène, 2011) montrent que les formes de participation « spontanées » sont à analyser en relation au type de régime, au contexte judiciaire et au statut des dispositifs institutionnalisés de participation. De plus, comme le démontre par exemple Scott Wright, l’usage et le statut d’un dispositif de participation sont fortement conditionnés par son design et sa configuration (Wright, Street, 2007) et donc le choix de certaines fonctionnalités plutôt que d’autres représente déjà un facteur de la canalisation des pratiques « sauvages ». La participation électronique du point de vue de Macaluso est donc entendue comme inclusion des citoyens dans la mise en place de politiques publiques. Internet y est réduit à un instrument au service de la démocratie représentative tandis que, pour Cardon, il n’est pas seulement un nouveau médium de communication mais également un facteur crucial d’élargissement de l’espace public qui transformerait la nature de la démocratie.
19Somme toute, avec le développement du web 2.0 et le regain d’intérêt de la participation en ligne comme objet de recherche, Internet est d’un côté vu comme un simple assemblage d’instruments participatifs et de l’autre comme un univers de nouvelles formes de la participation. Sont-elles vraiment deux visions incompatibles ? Comme l’affirme à juste titre Laurent Mermet (2007) à propos du débat public, dans un pays où la parole est libre, les deux types de participation coexistent. Les cadres de la participation organisée par des institutions publiques spécialisées cohabitent avec les formes de participation qui se développent de façon spontanée : prises de parole, protestations, mais aussi forums internet, discussions sur les réseaux sociaux, etc. Par conséquent, étudier les formes de participation de type top-down n’a de sens que lorsqu’on les replace dans le contexte de la vie publique qui prévoit la place pour d’autres dispositifs de participation, qui peuvent, certes, paraître alternatifs, mais qui jusqu’à présent fonctionnent dans le cadre de la démocratie représentative. Comme l’écrit Catherine Neveu, « il est tout aussi nécessaire de ne pas limiter la question de la “participation” aux seuls dispositifs constitués par les institutions, qu’elles soient locales et nationales ; en effet, celle-ci se déploie aussi dans d’autres espaces et selon d’autres modalités, y compris au sein de mouvements ou de collectifs peu visibles ou se tenant volontairement à distance des dites institutions » (Neveu, 2011, p. 205). La prise au sérieux des deux types de participation est d’autant plus nécessaire qu’ils entrent en relation dialectique les uns avec les autres car le développement des formes de participation en ligne est incité par les formes de participation « sauvage » et vice versa. Cette dialectique de l’instituant et l’institué, déjà abordée dans le cadre de la participation politique hors ligne (Blatrix, 2007), reste un enjeu à développer dans le champ de la démocratie électronique.
Bibliographie
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Notes
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[1]
Macaluso rappelle que si les termes « e-gouvernement » (des services en ligne pour les citoyens) et « e-gouvernance » (l’intégration des citoyens dans les processus de décision à travers Internet) sont souvent utilisés comme synonymes, ils ne le sont guère. Le passage de l’e-gouvernement à l’e-gouvernance serait, selon l’auteur, conditionné par les mutations des institutions publiques et l’évolution de la figure du citoyen qui ne serait plus perçu comme consommateur des services administratifs mais comme coproducteur des politiques publiques.
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[2]
Les travaux d’Anna Carola Freschi, Anna Fici, Fiorella De Cindio ou bien Stefano Rodotà en constituent une exception.