Notes
-
[1]
Jean-Yves Camus, « La Nouvelle droite : bilan provisoire d’une école de pensée », La Pensée, n°345, janvier-mars 2006, p. 23. Pour une présentation plus détaillée de l’histoire et de la cartographie de la Nouvelle Droite, voir Stéphane François, Les Néo-paganismes et la Nouvelle Droite (1981-2006), Milan, Archè, 2008, 320 p.
-
[2]
Alain de Benoist date la naissance du GRECE de l’hiver 1967-68. Cf. Collectif, Le mai 68 de la Nouvelle droite, Paris, Le Labyrinthe 1998, p. 14.
-
[3]
Pierre-André Taguieff, Sur la Nouvelle droite, Paris, Descartes et Cie, 1994.
-
[4]
Groupement de Recherche et d’Études pour la Civilisation Européenne.
-
[5]
Pierre-André Taguieff, Sur la Nouvelle droite, Paris, Descartes & Cie, 1994, p. III.
-
[6]
Jean-Yves Camus, L’Extrême droite aujourd’hui, Toulouse, Éditions Milan, 1996, p. 21.
-
[7]
Rudolf Steiner (1861-1925) est un penseur ésotérique croate. Ancien membre de la Société théosophique, il est le créateur de l’« anthroposophie », une approche spiritualiste de l’Homme et de l’univers.
-
[8]
Arne Naess (1912-2009) est un philosophe norvégien et le principal théoricien de l’« écologie profonde » dont il invente l’expression.
-
[9]
Dominique Bourg, « Droits de l’homme et écologie », Esprit, octobre 1992, p. 81.
-
[10]
La « Révolution Conservatrice » est un courant de pensée, avant tout culturel, qui s’est développé en Allemagne après 1918 en opposition à la République de Weimar et qui se caractérisait par un refus de la démocratie et du parlementarisme.
-
[11]
Cf. Louis Dupeux, « La version “Völkisch” de la première alternative », in Louis Dupeux (dir.), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar, Paris, Kimé, 1992, pp. 185-192.
-
[12]
Stéphane François, « L’extrême droite “folkiste” et l’antisémitisme », Le Banquet, CERAP, n° 24, février 2007, pp. 255-269.
-
[13]
Pour une définition de ce concept, cf. Jean Jacob, L’Antimondialisation, op. cit., pp. 21-23.
-
[14]
Cf. www. terreetpeuple. com. Sur les idées identitaires, cf. Stéphane François, « Géopolitique des Identitaires », Les Cahiers rationalistes, juillet-août 2009, n° 601, pp. 19-30.
-
[15]
Charles Champetier, « La droite et l’écologie », in Arnaud Guyot-Jeannin (dir.), Aux sources de la droite. Pour en finir avec les clichés, Lausanne, L’Âge d’Homme, 2000, p. 56.
-
[16]
Ibid., p. 58.
-
[17]
Thomas Keller, Les Verts allemands. Un conservatisme alternatif, Paris, L’Harmattan, 1993.
-
[18]
Klaus Schönekäs, « La “Neue Rechte” en République Fédérale d’Allemagne », Lignes, n° 4, octobre 1988, p. 131.
-
[19]
Robert de Herte, « Les équivoques de l’écologie », repris in Pierre Vial (dir.), Pour une renaissance culturelle, Paris, Copernic, 1979, p. 75.
-
[20]
Cf. Stéphane François, Les néo-paganismes et la Nouvelle Droite (1980-2006)., op. cit. ; À contre-courant. Antimodernité, Nouvelle droite et ésotérisme, à paraître.
-
[21]
Robert de Herte, « La fin de l’idéologie du progrès », Éléments, n°79, janvier 1994, p. 3.
-
[22]
Ibid., p. 3.
-
[23]
Ibid., p. 3.
-
[24]
Serge Champeau, « L’idéologie altermondialiste », Commentaires, n°107, automne 2004, p. 704.
-
[25]
René Guénon (1886-1951) est une figure importante de l’ésotérisme contemporain. Il est surtout connu pour avoir conceptualisé son propre système métaphysique fondé sur la notion de « Tradition primordiale ». Dès ses premiers livres, il rejeta la modernité et le positivisme. Il eut une influence considérable à la fois sur les milieux traditionalistes et maçonniques et sur les milieux artistiques et littéraires.
-
[26]
Mircea Eliade, La Nostalgie des origines, Paris, Gallimard, 1971, p. 112.
-
[27]
« Comment peut-on être païen ? Entretien avec Alain de Benoist », Élément, n° 89, juillet 1997, p. 13.
-
[28]
Ibid., p. 13.
-
[29]
GRECE (Alain de Benoist et Charles Champetier), Manifeste pour une renaissance européenne. À la découverte du GRECE. Son histoire, ses idées, son organisation, Paris, 2000, p. 92.
-
[30]
Ibid., p. 92.
-
[31]
Lynn White Jr., « Les racines de notre crise écologique », Krisis, n°15, septembre 1993, pp. 66-67.
-
[32]
I Jean II, 15-16.
-
[33]
Jacques Marlaud, « Introduction à la religion européenne de la nature », Interpellations, Paris, Dualpha, 2004, pp. 410-412.
-
[34]
Alain de Benoist, « Écologie et religion », Éléments, n°79, janvier 1994, p. 18.
-
[35]
Alain de Benoist, « Objectif décroissance » et « Quand il n’y aura plus de pétrole », Éléments, n° 119, hiver 2005-2006, pp. 28-40. Voir aussi du même auteur, Demain, la décroissance. Penser l’écologie jusqu’au bout, Paris, E/dite, décembre 2007.
1La Nouvelle Droite est l’une des écoles de pensée les plus intéressantes du paysage politique de la droite française. « Ni parti politique, ni cénacle littéraire ; ni société secrète, ni énième avatar d’une “internationale fasciste” qui n’existe pas » [1], elle a pour principal intellectuel et théoricien, depuis près de quarante ans, Alain de Benoist. Si elle a marqué la vie culturelle de la droite non-conformiste depuis 1968, l’expression « Nouvelle Droite » elle-même est d’abord utilisée par ses adversaires lors d’une campagne médiatique extrêmement virulente pendant l’été 1979.
2Du fait de sa longévité (elle est née au cours de l’hiver 1967-1968 [2]), elle a connu plusieurs évolutions, voire plusieurs renouvellements de sa doctrine. Ces évolutions doctrinales, que nous évoquerons ultérieurement, ne sont pas toujours visibles de prime abord. Pierre-André Taguieff distingue cinq thèmes importants, se chevauchant ou se succédant, dans le discours de la Nouvelle Droite [3] : premièrement, la dénonciation de l’héritage judéo-chrétien et de son avatar les droits de l’homme ; deuxièmement, la critique de « l’utopie égalitaire », un thème central dans les années 1970 ; troisièmement, l’éloge du paganisme repensé comme la véritable religion des Européens avec pour corollaire la « référence, fondatrice et normative, à “l’héritage indo-européen” » ; quatrièmement, la critique de l’économisme, de la vision marchande du monde et de l’utilitarisme libéral, un thème déjà présent dans les années 1970 mais qui devient majeur et qui se radicalise à partir de la décennie suivante ; enfin, l’ethnodifférentialisme radical qui apparaît dans la seconde moitié des années 1970 qui évolue dans les années 1990 vers un relativisme culturel inspiré de Claude Lévi-Strauss. Les membres de la Nouvelle Droite ont aussi beaucoup varié. Certains des plus connus furent Alain de Benoist, Dominique Venner, Pierre Vial, Jean Varenne, Jean Haudry, Guillaume Faye, Robert Steuckers, Jean Mabire, Jean-Claude Valla, etc. Ses principales revues sont Éléments et Nouvelle École.
La Nouvelle Droite est considérée par beaucoup d’observateurs extérieurs comme foncièrement païenne. Cette évolution est liée à une autre, tout aussi importante : l’abandon du positivisme, de l’occidentalisme et de l’individualisme, au profit d’une vision holiste, antimoderne et écologiste, fut l’une de ses évolutions majeures à compter de la seconde moitié des années 1970. En effet, nous estimons, à la suite de l’analyse des différents corpus néo-droitiers (c’est-à-dire les textes – revues, ouvrages, discours publiés – depuis le début des années 1970), que son évolution écologiste est sincère et, surtout, liée au renouvellement doctrinal de celle-ci au cours des années 1980.
La Nouvelle Droite et le néo-paganisme
3La structure la plus connue de la Nouvelle Droite est le GRECE [4]. Celui-ci est un groupe de réflexion qui a longtemps été situé à l’extrême droite révolutionnaire et européiste avant de s’en éloigner lors du départ, au milieu des années 1980, de ses éléments les plus radicaux, vers le Front national (Jean Mabire, Pierre Vial, Jean Varenne, Jean Haudry). Le GRECE est né des cendres d’un groupuscule/revue, Europe-Action, une revue animée par Dominique Venner.
4Encore actuellement, le GRECE refuse le libéralisme politique d’essence anglo-saxonne ainsi que le modèle occidental qui en découle et défend le différentialisme culturel. Son anticonformisme pose le problème de sa classification dans le champ de la science politique et/ou de l’histoire des idées :
« la “Nouvelle droite” est assimilée à l’extrême droite par nombre de journalistes, écrit Pierre-André Taguieff, stigmatisée en tant que néo-nazie par certains militants antifascistes, rejetée par la droite libérale pour son anti-américanisme radical, dénoncée comme procommuniste ou crypto gauchiste par les dirigeants lepéniste ou certains idéologues traditionalistes catholiques, accusée de fournir des armes idéologiques à la droite conservatrice, soupçonnée de faire partie d’une internationale “national-bolchevique”, suspectée enfin de vouloir séduire l’intelligentsia de gauche en lui ouvrant largement les colonnes de ses revues. […]. La confusion est manifeste. » [5]
6Cette confusion est d’autant plus manifeste qu’il est difficile de situer le GRECE dans un champ politique précis : d’un côté, il rejette le nationalisme, le libéralisme et les « valeurs marchandes », le métissage, l’ordre moral et les intégrismes religieux ; de l’autre, il fait l’éloge du fédéralisme, de l’européisme et du différentialisme culturel. Enfin, les positions idéologiques de ses membres évoluent, au point, parfois de se renverser. Certains de ses responsables sortent de l’ornière de l’extrême droite [6] tandis que d’autres, au contraire, s’y enracinent plus fortement tels Robert Steuckers, Guillaume Faye, Pierre Vial, Jean Mabire ou Jean Haudry, pour ne citer que quelques exemples. Malgré ces évolutions contradictoires, les grécistes et les ex-grécistes, en partageant un nombre certain de références doctrinales communes, ont donné à la Nouvelle Droite son identité.
7La Nouvelle Droite est souvent perçue comme foncièrement païenne. Il est donc nécessaire de définir le néopaganisme. Celui-ci se fonde sur le refus, parfois virulent, des valeurs et des dogmes monothéistes. Il se caractérise par une conception panthéiste et/ou polythéiste de la religion. À l’origine du néopaganisme, il y a une fascination et une idéalisation des paganismes antiques et de celui des sociétés traditionnelles. Ses origines sont d’ailleurs si diverses qu’il est impossible de les résumer dans cet article. Toutefois, nous pouvons dire que le néopaganisme est indéniablement un héritier du romantisme, notamment dans son refus des Lumières. Assez présent en Europe, il est par contre resté marginal en France, jusqu’au moment où la Nouvelle Droite l’utilisa pour justifier l’inégalitarisme (le christianisme devenant un « bolchevisme de l’Antiquité »), l’élitisme et le différentialisme le faisant ainsi connaître auprès du grand public au cours des années 1980.
8Ce néopaganisme se caractérise aussi par la forte prégnance d’un certain type de discours écologiste issu, tout comme le néopaganisme, de l’ésotérisme occidental contemporain. En effet, Antoine Faivre a montré que l’idée de « nature vivante » est l’un des quatre éléments constitutifs du discours ésotérique avec les correspondances, l’imagination et les médiations et enfin l’expérience de la transmutation. De fait, les ésotéristes se sont intéressés très tôt à l’écologie ou, du moins à une proto-écologie, comme ce fut le cas au début du XXe siècle avec Rudolf Steiner [7], le fondateur de l’« anthroposophie », qui a réfléchi à une agriculture respectant les réciprocités et les interactions entre l’homme, l’animal, la plante et la Terre.
L’écologie désirée par les néopaïens est une « écologie profonde » (deep ecology). Celle-ci s’oppose à « l’écologie superficielle » (shallow ecology), selon les critères forgés par le philosophe panthéiste norvégien Arne Naëss [8], pour qui cette dernière se limite à une simple gestion de l’environnement et vise à concilier préoccupation écologique et production industrielle sans remettre en cause les fondements des sociétés occidentales. Selon Naëss, l’anthropocentrisme issu de la Bible, en considérant l’homme comme le centre du monde et comme supérieur aux autres formes de la nature, est à l’origine du désastre écologique actuel. Pour Naëss, au contraire, l’homme n’est que l’une des nombreuses formes de la réalité vivante, sans valeur supérieure. Selon Dominique Bourg, les partisans de l’écologie profonde sont « […] conduits à rejeter la conséquence même de cette élévation [de l’homme au-dessus de la nature et de l’individu au-dessus du groupe], à savoir la proclamation des droits de l’homme. Ils s’en prennent encore à la religion judéo-chrétienne, accusée d’avoir été à l’origine de l’anthropocentrisme, à l’esprit scientifique analytique et donc inapte à la compréhension de la nature comme totalité, et enfin aux techniques, accusées de tous les maux. Rien de ce qui est moderne ne semble trouver grâce à leurs yeux. » [9] Un tel discours ne peut qu’attirer les néo-droitiers qui rejettent l’occidentalisme, caractérisé par le libéralisme politico-économique et le consumérisme, synonyme d’une modernité honnie.
L’écologie néo-droitière, une écologie conservatrice
9La Nouvelle Droite a des liens de filiation avec des mouvements issus du romantisme politique qui étaient eux-mêmes proches des premiers milieux écologistes, tels certains courants de la « Révolution Conservatrice » allemande [10], grande référence néo-droitière, comme le Lebensreform (le mouvement de réforme de la vie) et les premiers alternatifs allemands de la fin du XIXe siècle, aux discours souvent marqués par les thèses néopaïennes, en vogue à cette époque. Ces premiers mouvements se sont aussitôt présentés comme un refus du monde moderne et industriel qui émergeait alors : ils s’opposaient à l’urbanisation et à l’industrialisation de l’Allemagne au nom du risque de décadence spirituelle de celle-ci. En retour, ils prônaient un retour à la vie paysanne et la pratique du naturisme, du végétarisme et des médecines douces. Il s’agissait donc d’une forme de réaction, voire de conservatisme [11]. D’ailleurs, l’un des pères de l’écologie allemande, au sens scientifique et philosophique du terme, Ernst Haeckel était membre de l’Alldeutscher Verband (l’« association pangermaniste »), un mouvement nationaliste, et membre fondateur en 1904 d’une structure panthéiste, la Ligue moniste allemande.
10Il existe aussi une écologie d’extrême droite issue d’une dissidence du GRECE et évoluant au sein de la nébuleuse identitaire, que j’ai appelé dans un autre article le courant « folkiste » [12]. Sa pensée se caractérise par les traits suivants : refus de la mégalopole à l’avantage de la vie dans des communautés villageoises ; éloge et défense des particularismes régionaux ; attrait pour les activités folkloriques souvent de nature païenne (célébration du solstice d’été, sapin de Noël, veillée, arbre de mai, costumes régionaux, etc.) ; éloge du naturisme et des médecines naturelles ; refus du christianisme universaliste destructeur des particularismes culturels locaux ; prône le régionalisme ; refuse le métissage au nom de la préservation des identités. Elle promeut donc un mode de vie autarcique, antimoderne, respectant les identités régionales et folkloriques, assez proche, dans un sens, du « biorégionalisme » [13], le racisme différentialiste en plus. Ce courant est surtout représenté en France par le groupuscule Terre et peuple, fondé par trois vieux militants de l’extrême droite issus de la Nouvelle Droite : Pierre Vial, Jean Haudry et Jean Mabire. L’extrémisme politique se ressent dans le discours écologique. Ainsi, Pierre Vial, dans un éditorial, « Le feu de l’enfer », publié sur le premier site Internet du groupuscule identitaire Terre et Peuple [14], réclame la peine de mort pour les pyromanes qui font partir en fumée chaque année des milliers d’hectares de forêt. Évidemment, cette forme de discours écologiste s’oppose violemment aux valeurs « de gauche ». Cependant, nous ne trouvons aucun des thèmes ouvertement d’extrême droite, ni cette violence dans les différents discours écologistes néo-droitiers.
11La plupart des thèmes écologistes ont appartenu ou appartiennent encore à un univers de référence plus conservateur que libéral. En effet, l’écologie est l’héritière du romantisme plutôt que celle des Lumières. « Que l’on songe, par exemple, écrit assez justement le néo-droitier Charles Champetier, aux vertus de la vie naturelle célébrées face aux vices de la vie urbaine, à l’idée de nature conçue comme un ordre harmonieux, au refus du progrès, à la réaction esthétique contre la laideur de la société industrielle, à la métaphore de l’“organique” opposé au “mécanique” ou du “vivant” face à l’abstrait, à l’éloge de l’enracinement et des petites communautés… » [15] Par conséquent, « […] la terre apparaît ici comme donatrice primordiale de l’élément nourricier et ordonnatrice d’un mode de civilisation traditionnelle que la révolution industrielle n’aura de cesse de transformer en un “monde perdu” dont le romantisme eut, le premier, la nostalgie. » [16]
Thomas Keller a d’ailleurs mis en évidence les références conservatrices, voire « révolutionnaires-conservatrices », des Grünen, les Verts allemands [17]. Les idées « révolutionnaires-conservatrices » se sont diffusées au sein de la Nouvelle Droite allemande, son héritière directe, la Neue Rechte, puis chez les Grünen. La Neue Rechte a en effet défendu dans les années 1970 un Wertkonservatismus (« conservatisme spirituel ») prônant la protection de la nature, la défense d’un environnement naturel, intact, une vie enracinée avec une alimentation saine… Une partie de la Neue Rechte s’est dissoute, en 1980, dans la première organisation des Verts et a participé à l’élaboration du programme des Verts [18]. La revue du parti, Die Grünen, fut même contrôlée durant un temps par les néo-droitiers allemands.
Le tournant écologique de la Nouvelle Droite
12Toutefois, la Nouvelle Droite ne s’est pas toujours intéressée à l’écologie, et a longtemps fait l’éloge de la technique et du caractère prométhéen de la civilisation européenne. Dans les années 1970, Alain de Benoist refusait le catastrophisme écologique tout en reconnaissant la dégradation effective de l’environnement depuis le début du XXe siècle et la responsabilité de la société marchande. Celui-ci jugeait et jaugeait l’écologie via le discours néo-malthusien d’un René Dumont. La Nouvelle Droite d’alors soutenait que les écologistes idéalisaient la nature, dans une optique rousseauiste. Alain de Benoist écrit alors, sous le pseudonyme de Robert de Herte :
« […] les écologistes ne retiennent de la “nature” que les aspects rêvés correspondant à leur désir. Les mêmes qui nous pressent instamment d’en revenir à la “nature”, sont aussi ceux qui refusent des faits de nature aussi élémentaires que la sélection, l’inégalité, la hiérarchie - en affirmant que ces notions, propres à tout système vivant, ne sont pas extrapolables au milieu humain. Et ce sont encore les mêmes qui prétendent que l’on peut, à volonté, modifier l’homme en agissant sur son milieu - et, par-là, le désengager des “pseudo-fatalités biologiques”. Le mouvement écologique réussit ainsi le tour de force de tomber en même temps dans l’erreur de la croyance en la toute-puissance du milieu, et dans les errements “ultra-naturalistes” du matérialisme biologique. » [19]
14À l’époque, Alain de Benoist considérait que la pensée écologique était la conséquence d’un complexe de culpabilité provenant du christianisme. Pour la Nouvelle Droite des années 1970, marquée par le positivisme, la nature reste la propriété de l’Homme. Il peut et doit donc la faire fructifier et la mettre en valeur, l’anthropiser, mais en respectant une certaine modération la préservant de la tentation prométhéenne.
15La position néo-droitière s’est renversée à la fin des années 1980, avec la prégnance grandissante du discours antimoderne [20] au sein de la Nouvelle Droite. C’est alors qu’elle développe un discours écologiste, observant que depuis 1945, l’humanité « pacifique » a plus dévasté la planète que les deux guerres mondiales réunies. Selon Alain de Benoist, sous le pseudonyme de Robert de Herte, « […] l’écologie signe la fin de l’idéologie du progrès : l’avenir, désormais, est plus porteur d’inquiétudes que de promesses. Du même coup, les projets sociaux ne peuvent plus résulter d’une attente optimiste des “lendemains qui chantent”, mais appelle une méditation sur les enseignements du présent comme sur ceux du passé. » [21] En effet, une succession de catastrophes industrielles de grande ampleur (Seveso, Bhopal, Tchernobyl) a hypothéqué la confiance des Occidentaux envers « l’idéologie du Progrès », l’avenir radieux se transformant en un futur assombri par les périls à venir, les risques de dérapages scientifiques et industriels se multipliant. Dans le même mouvement, le modèle occidental de développement, fondé sur l’exploitation intensive et extensive des ressources, a été dénoncé comme mode de destruction de la planète, avec, par exemple, le réchauffement climatique.
16La Nouvelle Droite prend conscience dans les années 1990 que l’écologie est devenue l’un des enjeux importants de notre époque :
« Certes, écrit Alain de Benoist dans un éditorial signé Robert de Herte, on peut toujours discuter des méfaits réels ou supposés du nucléaire, de la réalité du “trou” dans la couche d’ozone ou de l’aggravation de l’“effet de serre”. Mais on ne peut nier la désertification et la baisse des rendements agricoles, les retombées acides, la détérioration des couches phréatiques, la réduction de la biodiversité, la déforestation et le recul des terres arables. On ne peut nier la baisse des stocks de pêche, la disparition de l’humus et des couvertures végétales, les terres livrées au ruissellement, les rivières transformées en égouts, l’épuisement des ressources minières, le “matraquage” des sols suite à l’usage intensif des engrais chimiques Hans Jonas disait que “la véritable menace que porte en elle la technologie fondée sur les sciences naturelles ne réside pas dans tant dans ses moyens de destruction que dans son paisible usage quotidien” (Libération, 12-13 novembre 1992, p. 32). Les dégâts se constatent en effet dans la vie quotidienne, avec les pollutions qui touchent aussi bien les habitats que les espèces, les fertilisants chimiques dont les surplus sont véhiculés par les eaux, les pesticides, les nitrates, les déchets industriels. Mais l’ampleur du phénomène est aussi planétaire. » [22]
Selon Alain de Benoist, « L’écologisme naît de cette claire conscience que le monde d’aujourd’hui est un monde “plein”, qui porte de part en part la marque de l’homme : plus de frontière à repousser, plus d’ailleurs à conquérir. Toutes les cultures humaines interagissent avec l’écosystème terrestre ; toutes sont à même de constater que l’expansion illimitée, la croissance économique posée comme fin en soi, l’exploitation sans cesse accélérée des ressources naturelles nuisent aux capacités de régénération de cet écosystème. À cela s’ajoute, dans les pays développés, la disparition de l’agriculture comme mode de vie principal d’existence, qui a pour conséquence de dissocier la temporalité humaine, irréversible, de celle des cycles et des saisons. » [23]
18Cette évolution est perceptible dès 1994, date à laquelle se ressent l’influence d’écologistes radicaux, tel le Britannique Edwards « Teddy » Goldsmith, l’animateur de la revue The Ecologist. Le rapprochement aurait été facilité par le fait que Goldsmith incarne une écologie et un antimondialisme conservateurs. Au début des années 2000, Alain de Benoist se met aussi à s’intéresser à d’autres militants écologistes et antimondialistes proches des positions de Goldsmith, comme l’Américain Peter Berg ainsi qu’au concept de « biorégionalisme », un concept qui rejoint le régionalisme enraciné du GRECE. À ce titre, Serge Champeau voit dans l’éloge du biorégionalisme et des communautés autosubsistantes la persistance d’un « imaginaire du romantisme réactionnaire du début du XIXe siècle » [24]. Ce qui peut expliquer la convergence idéologique entre la Nouvelle Droite, aux positions antimodernes se référant à la Révolution Conservatrice allemande, et les théoriciens du biorégionalisme.
Une écologie antichrétienne
19Le tournant écologiste de la Nouvelle Droite s’est fait durant les années 1980 sous l’influence conjointe de la Révolution Conservatrice allemande, du néopaganisme, de l’ésotérisme guénonien [25] et des systèmes holistes traditionnels. En effet, la Nouvelle Droite reprend à son compte les thèses de l’historien des religions Mircea Eliade sur le caractère « cosmique » des religions traditionnelles, c’est-à-dire païennes [26]. Un tel système reconnaît le caractère « vivant » de la nature. Il reconnaît aussi l’existence des lieux « sacrés » prédestinés, propices à la célébration des cultes. En outre, la conception cyclique du temps force les hommes à se mettre en harmonie avec le monde. Dans cette perspective, non anthropocentrique, la Terre et l’univers sont perçus comme un grand tout harmonieux auquel l’homme est associé par son être même.
20Entérinant cette conception, Alain de Benoist affirme que « L’écologie est évidemment très proche du paganisme, en raison de son approche globale des problèmes de l’environnement, de l’importance qu’elle donne à la relation entre l’homme et le monde, et aussi bien sûr de sa critique de la dévastation de la Terre sous l’effet de l’obsession productiviste, de l’idéologie du progrès et de l’arraisonnement technicien. » [27] Cependant, il prend ses distances avec les partisans de l’écologie profonde qui commettent, selon lui, « l’erreur, symétriquement inverse de l’humanisme cartésien, de dissoudre de façon réductionniste la spécificité humaine dans le reste du vivant. » [28]
21Cette influence se retrouve dans le Manifeste du GRECE publié en 2000, largement écrit par Alain de Benoist et Charles Champetier. Celui-ci prend en effet position « Pour une écologie intégrale, contre la démonie productiviste », les auteurs se positionnant en faveur d’une écologie radicale qui « doit aussi en appeler au dépassement de l’anthropocentrisme moderne et à la conscience d’une co-appartenance de l’homme et du cosmos » [29]. Car « […] cette transcendance immanente fait de la nature un partenaire, non un adversaire ou un objet. Elle ne gomme pas la spécificité de l’homme, mais lui dénie la place exclusive que lui avaient attribuée le christianisme et l’humanisme classique. À l’hubris économique et au prométhéisme technicien, elle oppose le sens de la mesure et la recherche de l’harmonie. » [30]
22Fidèle à son antichristianisme, la Nouvelle Droite voit l’origine du désastre écologique dans la Bible. Pour asseoir un tel discours, elle se réfère à la thèse de l’historien américain Lynn White Jr., publiée pour la première fois en 1967 dans Science et republiée en 1993 dans Krisis, la revue d’Alain de Benoist :
« Le christianisme a hérité du judaïsme, non seulement la conception d’un temps linéaire, qui ne se répète pas, mais également un impressionnant récit de la création du monde. […] Dieu a conçu tout cela explicitement au bénéfice de l’homme et pour lui permettre de faire régner sa loi : il n’est rien dans le monde physique résultant de la création qui ait d’autres raisons d’existence que de servir les fins humaines. […] Le christianisme, surtout dans sa forme occidentale, est la religion la plus anthropocentrique que le monde ait connue. […] Non seulement le christianisme, en opposition absolue à l’ancien paganisme comme aux religions de l’Asie (exception faite peut-être du zoroastrisme), instaure un dualisme entre l’homme et la nature, mais insiste également sur le fait que l’exploitation de la nature par l’homme, pour satisfaire à ses fins propres, résulte de la volonté de Dieu. » [31]
24L’historien et sociologue Pierre Bérard, membre fondateur du GRECE, défend lui aussi cette thèse en rappelant que dans le monde de la Bible, l’asservissement de la nature désacralisée est un devoir qui s’inscrit dans le plan divin : « N’aimez pas le monde, ni les choses du monde. Si quelqu’un aime le monde, il n’a pas l’amour du Père » [32]. Ce propos est aussi défendu par l’ancien président du GRECE, Jacques Marlaud [33]. Nous pourrions multiplier les exemples…
Toutefois, Alain de Benoist, sceptique vis-à-vis du panthéisme néopaïen, met en garde contre le confusionnisme de certains païens : « On ne redira jamais assez, par exemple, que l’ancien paganisme indo-européen ne s’est jamais ramené à une simple “religion de la nature” (il ne peut être pensé hors de la nature, mais il ne se réduit pas à un naturalisme) et que, de surcroît, le culte de la Terre-Mère appartient à une autre tradition que la sienne (tradition tellurique, chtonienne, qu’il a dans une large mesure supplanté). En ce sens, la resacralisation de la nature prônée par certains écologistes renvoie moins au sacré païen “classique” qu’à une tradition hermétique mettant surtout l’accent sur le lien entre l’homme et la nature, le microcosme et le macrocosme […] » [34]. Alain de Benoist se démarque donc radicalement des néo-païens pratiquants de la Nouvelle Droite, au profit d’une conception anti-moderne et anti-capitaliste, conservatrice dans un sens, de l’écologie. Son évolution se concrétisera en 2006 dans un dossier d’Éléments intitulé : « Le salut par la décroissance. Pour empêcher le capitalisme de pourrir la planète ». Les articles de ce dossier sont écrits par Alain de Benoist qui est devenu au cours des années 2000 un ardent défenseur de la théorie de la décroissance et d’une certaine frugalité [35].
Mots-clés éditeurs : néo-paganisme, droite radicale, écologie, ésotérisme, « écologie profonde »
Mise en ligne 01/01/2010
https://doi.org/10.3917/parl.012.0132Notes
-
[1]
Jean-Yves Camus, « La Nouvelle droite : bilan provisoire d’une école de pensée », La Pensée, n°345, janvier-mars 2006, p. 23. Pour une présentation plus détaillée de l’histoire et de la cartographie de la Nouvelle Droite, voir Stéphane François, Les Néo-paganismes et la Nouvelle Droite (1981-2006), Milan, Archè, 2008, 320 p.
-
[2]
Alain de Benoist date la naissance du GRECE de l’hiver 1967-68. Cf. Collectif, Le mai 68 de la Nouvelle droite, Paris, Le Labyrinthe 1998, p. 14.
-
[3]
Pierre-André Taguieff, Sur la Nouvelle droite, Paris, Descartes et Cie, 1994.
-
[4]
Groupement de Recherche et d’Études pour la Civilisation Européenne.
-
[5]
Pierre-André Taguieff, Sur la Nouvelle droite, Paris, Descartes & Cie, 1994, p. III.
-
[6]
Jean-Yves Camus, L’Extrême droite aujourd’hui, Toulouse, Éditions Milan, 1996, p. 21.
-
[7]
Rudolf Steiner (1861-1925) est un penseur ésotérique croate. Ancien membre de la Société théosophique, il est le créateur de l’« anthroposophie », une approche spiritualiste de l’Homme et de l’univers.
-
[8]
Arne Naess (1912-2009) est un philosophe norvégien et le principal théoricien de l’« écologie profonde » dont il invente l’expression.
-
[9]
Dominique Bourg, « Droits de l’homme et écologie », Esprit, octobre 1992, p. 81.
-
[10]
La « Révolution Conservatrice » est un courant de pensée, avant tout culturel, qui s’est développé en Allemagne après 1918 en opposition à la République de Weimar et qui se caractérisait par un refus de la démocratie et du parlementarisme.
-
[11]
Cf. Louis Dupeux, « La version “Völkisch” de la première alternative », in Louis Dupeux (dir.), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar, Paris, Kimé, 1992, pp. 185-192.
-
[12]
Stéphane François, « L’extrême droite “folkiste” et l’antisémitisme », Le Banquet, CERAP, n° 24, février 2007, pp. 255-269.
-
[13]
Pour une définition de ce concept, cf. Jean Jacob, L’Antimondialisation, op. cit., pp. 21-23.
-
[14]
Cf. www. terreetpeuple. com. Sur les idées identitaires, cf. Stéphane François, « Géopolitique des Identitaires », Les Cahiers rationalistes, juillet-août 2009, n° 601, pp. 19-30.
-
[15]
Charles Champetier, « La droite et l’écologie », in Arnaud Guyot-Jeannin (dir.), Aux sources de la droite. Pour en finir avec les clichés, Lausanne, L’Âge d’Homme, 2000, p. 56.
-
[16]
Ibid., p. 58.
-
[17]
Thomas Keller, Les Verts allemands. Un conservatisme alternatif, Paris, L’Harmattan, 1993.
-
[18]
Klaus Schönekäs, « La “Neue Rechte” en République Fédérale d’Allemagne », Lignes, n° 4, octobre 1988, p. 131.
-
[19]
Robert de Herte, « Les équivoques de l’écologie », repris in Pierre Vial (dir.), Pour une renaissance culturelle, Paris, Copernic, 1979, p. 75.
-
[20]
Cf. Stéphane François, Les néo-paganismes et la Nouvelle Droite (1980-2006)., op. cit. ; À contre-courant. Antimodernité, Nouvelle droite et ésotérisme, à paraître.
-
[21]
Robert de Herte, « La fin de l’idéologie du progrès », Éléments, n°79, janvier 1994, p. 3.
-
[22]
Ibid., p. 3.
-
[23]
Ibid., p. 3.
-
[24]
Serge Champeau, « L’idéologie altermondialiste », Commentaires, n°107, automne 2004, p. 704.
-
[25]
René Guénon (1886-1951) est une figure importante de l’ésotérisme contemporain. Il est surtout connu pour avoir conceptualisé son propre système métaphysique fondé sur la notion de « Tradition primordiale ». Dès ses premiers livres, il rejeta la modernité et le positivisme. Il eut une influence considérable à la fois sur les milieux traditionalistes et maçonniques et sur les milieux artistiques et littéraires.
-
[26]
Mircea Eliade, La Nostalgie des origines, Paris, Gallimard, 1971, p. 112.
-
[27]
« Comment peut-on être païen ? Entretien avec Alain de Benoist », Élément, n° 89, juillet 1997, p. 13.
-
[28]
Ibid., p. 13.
-
[29]
GRECE (Alain de Benoist et Charles Champetier), Manifeste pour une renaissance européenne. À la découverte du GRECE. Son histoire, ses idées, son organisation, Paris, 2000, p. 92.
-
[30]
Ibid., p. 92.
-
[31]
Lynn White Jr., « Les racines de notre crise écologique », Krisis, n°15, septembre 1993, pp. 66-67.
-
[32]
I Jean II, 15-16.
-
[33]
Jacques Marlaud, « Introduction à la religion européenne de la nature », Interpellations, Paris, Dualpha, 2004, pp. 410-412.
-
[34]
Alain de Benoist, « Écologie et religion », Éléments, n°79, janvier 1994, p. 18.
-
[35]
Alain de Benoist, « Objectif décroissance » et « Quand il n’y aura plus de pétrole », Éléments, n° 119, hiver 2005-2006, pp. 28-40. Voir aussi du même auteur, Demain, la décroissance. Penser l’écologie jusqu’au bout, Paris, E/dite, décembre 2007.