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Article de revue

Le Parlement français et la Première Guerre mondiale

Pages 13 à 30

Notes

  • [1]
    Certains des éléments de cet article reprennent des analyses faites dans notre contribution « Le Parlement dans la tourmente 1914-1940 » in Jean Garrigues (dir.), Histoire du Parlement de 1789 à nos jours, Paris, Armand Colin, 2007.
  • [2]
    Bulletin des lois de la République française, série 12, t. 16, n°383, pp. 338-339.
  • [3]
    C’est la thèse que défend Jules Mont dans un livre paru en 1916, La Défense nationale et notre Parlement, Paris, Librairie académique Perrin, p. 104. Curieux livre, à la fois très critique contre les parlementaires accusés d’incompétence mais qui regrette aussi l’absence d’un Parlement fort, capable de contrôler les pouvoirs du Gouvernement et ceux du commandement militaire.
  • [4]
    Voir Fabienne Bock, Un parlementarisme de guerre, 1914-1919, Paris, Belin, 2002, chapitre 1 « Le débat sur le fonctionnement du régime en temps de guerre (1889-1914) », pp. 19-47.
  • [5]
    Voir Avant-propos de Pierre Avril et Jean Gicquel dans la reproduction du fameux Traité : Eugène Pierre, Traité de droit politique, électoral et parlementaire, Paris, Éditions Loysel, 1989, p. I.
  • [6]
    Du pouvoir législatif en temps de guerre, Paris, 1890 . Eugène Pierre proposait de remplacer les deux assemblées par deux comités (l’un pour la Chambre de 286 membres, l’autre pour le Sénat de 153) siégeant en permanence, sans publicité des débats et se consacrant uniquement à l’examen des textes intéressants la défense nationale. Le texte d’Eugène Pierre est confronté à certaines propositions émises par des parlementaires avant 1914 dans Mermeix, Au sein des Commissions, Paris, Librairie Ollendorf, 1924, pp. 17-18.
  • [7]
    Le décret du 28 octobre 1913 accordait la « conduite des opérations » aux généraux même si la « conduite de la guerre » du point de vue de ses objectifs restait au pouvoir civil. Voir Pierre Renouvin, Les formes du Gouvernement de guerre, Paris, Presses universitaires de France, Publications de la dotation Carnegie pour la paix internationale, 1925, p. 15 et p. 77.
  • [8]
    L’ajournement signifie que les présidents des deux Chambres peuvent décider d’une nouvelle convocation. Cependant, le décret de clôture intervint le 3 septembre. Dès lors, seul le Gouvernement par un nouveau décret pouvait convoquer les Chambres (pour une session extraordinaire) avant le deuxième mardi du mois de janvier, date de la session ordinaire.
  • [9]
    Ce qui sera confirmé lors du vote du 23 décembre 1914 en session extraordinaire : une majorité de 561 députés, socialistes compris, vote six douzièmes provisoires, cas exceptionnel.
  • [10]
    F. Bock, op. cit., p. 47.
  • [11]
    Le gouvernement remanié le 26 août est faussement appelé gouvernement d’Union sacrée : il réalise la réconciliation entre les fractions de l’ancien « parti républicain » du XIXe siècle (d’où l’entrée de deux socialistes, Guesde et Sembat, et de représentants des républicains modérés, de centre droit comme Alexandre Ribot) mais les progressistes, les catholiques, les conservateurs et nationalistes ne sont pas intégrés dans la formule.
  • [12]
    Un exemple peut-être inattendu et qui prouve que la « culture » parlementaire pouvait aller loin à droite : Maurice Barrès. En septembre 1914, il décide de ne pas aller à Bordeaux : dès le 19, il effectue une visite aux champs de bataille de la Marne. Il s’intéresse particulièrement aux conditions d’évacuation des blessés et aux structures de soin qu’il juge défaillantes. Du 4 au 14 octobre, il est dans la partie libre de l’Alsace et en Lorraine en tant que membre fondateur du Secours national. Il tire de ces visites un rapport sur l’imperfection des services sanitaires qu’il adresse au président de la République et au ministre de la Guerre, le 2 novembre. Voir L’Œuvre de Maurice Barrès, annotée par Philippe Barrès, t. 18, Mes Cahiers, Août 1913-Décembre 1918, Librairie Plon (première édition en 1936-1938), Club de l’Honnête Homme, 1968, pp. 215-218.
  • [13]
    Aucune comptabilité n’a été faite cependant, à notre connaissance, du nombre de parlementaires présents à Bordeaux.
  • [14]
    Surtout dans le cas de cumuls de mandats ; s’ils étaient maires par exemple.
  • [15]
    Et son chef de cabinet civil est le sénateur Paul Doumer.
  • [16]
    Le personnel des Assemblées put regagner Paris le 16 novembre pour celui de la Chambre et le 7 décembre pour celui du Sénat. Le Parlement fut convoqué pour une session extraordinaire les 22 et 23 décembre. Voir René Samuel, Le Parlement et la guerre, 1914-1915, Paris, G. Roustan, 1918, pp. 31-33.
  • [17]
    Bainville écrit dans son journal le 12 septembre : « on pense que le gouvernement aura à cœur de rentrer à Paris le plus tôt possible. Son hégire a produit un effet déplorable. » (cf. Jacques Bainville, La Guerre démocratique. Journal 1914-1915, Paris, Bartillat, texte établi, présenté et annoté par Dominique Decherf, 2000, p. 92). La presse de droite glosait sur les supposées largesses prises par certains membres du Gouvernement. Principal visé : Malvy qui aurait passé le plus clair de son temps au restaurant Le Chapon fin. Beaucoup d’historiens reprennent cela mais l’enquête reste à faire.
  • [18]
    Deschanel déclarait : « Je crois bien qu’un des principaux enseignements de cette guerre sera, dans l’avenir, la nécessité d’un contrôle plus fort, plus énergique que jamais. Si le Parlement avait osé, s’il avait su davantage, la France, aujourd’hui, s’en trouverait mieux (Applaudissements prolongés. Les députés se lèvent) ».
  • [19]
    Un compromis est intervenu au printemps 1915 entre le gouvernement Viviani et les groupes parlementaires : le gouvernement renonce au droit de l’exécutif de clore la session parlementaire (les chambres vont décider d’elles-mêmes le temps de vacances, d’ailleurs fort raccourci).
  • [20]
    Compte effectué par le premier bureau du GQG et mentionné par F. Bock, op. cit., p. 59. Jean-Baptiste Duroselle évoque le chiffre de 220 : voir J.-B. Duroselle, La France et les Français 1914-1920, Paris, Éditions Richelieu, 1972, p. 122.
  • [21]
    À titre d’exemple, on peut signaler que, sur les 23 députés mobilisés ou engagés du département de la Seine, 15 ont effectivement rejoint un régiment et que parmi ces 15, 7 ont eu l’expérience de la première ligne. Voir Paul Baquiast, « Héros ou embusqués ? Les parlementaires de la Seine mobilisés et engagés volontaires de la Première Guerre mondiale » in Jean-Marie Mayeur (dir.), Les Parlementaires de la Seine sous la IIIe République, tome 1, Études, Paris, Publications de la Sorbonne, 2001, p. 210. Il faut aussi noter que certains des députés mobilisés ou engagés avaient décidé de se mettre en congé total vis-à-vis de la Chambre, privilégiant ainsi leur devoir militaire : voir Fabienne Bock, Op. cit., p. 114.
  • [22]
    C’est le cas d’une partie des archives des commissions du Sénat.
  • [23]
    Certains extraits de rapports ou d’échanges entre les membres des commissions et les ministres ont été publiés dans Mermeix, Au sein des commissions, Paris, Librairie Ollendorf, 1924.
  • [24]
    Voir Anne Duménil, « La commission sénatoriale de l’armée et les militaires pendant la Grande Guerre » dans Olivier Forcade, Éric Duhamel, Philippe Vial (dir.), Militaires en République, 1870-1962, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999, pp. 313-323.
  • [25]
    Loi Dalbiez du 17 août 1915 dont les résultats furent jugés insuffisants par les parlementaires qui votèrent une nouvelle loi, la loi Mourier du 10 août 1917. Dans cette chasse aux embusqués, les parlementaires, essentiellement de gauche, voulurent placer le Parlement au centre de l’action ; c’était un moyen de répondre à une inquiétude très diffusée dans l’opinion, moyen aussi de disculper les assemblées car beaucoup voyaient dans les parlementaires les premiers des embusqués (du fait du statut accordé aux députés et sénateurs mobilisés). Voir sur cette question Charles Ridel, Les embusqués, Paris, Armand Colin, 2007, surtout le chapitre 4 « La “chasse” aux embusqués », pp. 153-205, et sa contribution infra, pp. 31-45.
  • [26]
    Voir René Samuel, op. cit., p. 129.
  • [27]
    La problématique de Pierre Renouvin concernait beaucoup plus la mise en place des nouvelles administrations liées à l’effort de guerre que le fonctionnement politique des institutions comme le parlement.
  • [28]
    On en voit un exemple dans le contrôle des marchés de guerre (armes, munitions, vêtements et nourriture) conclus entre l’État et des entreprises privées. Plusieurs abus furent dénoncés dans l’une ou l’autre chambre grâce au travail des commissions des Marchés de guerre. Mais que pouvait peser la capacité de travail parlementaire face au chiffre astronomique de 100 000 marchés passés par le ministère de la Guerre entre le début des hostilités et la fin de l’année 1915 ? (chiffre donné en séance à la Chambre par Gallieni le 17 décembre 1915 et cité par Fabienne Bock, op. cit., p. 141, note 29).
  • [29]
    Chiffres cités dans Anne Duménil, ibid., p. 315. Les archives de la commission sont encore conservées au Sénat.
  • [30]
    D’après Mermeix, op. cit., pp. 141-142.
  • [31]
    Le compromis est intervenu sur le principe suivant : dans la zone des armées, les délégués parlementaires n’ont pas l’entière liberté de contrôle, d’enquête et d’information ; ils doivent se plier dans le détail aux ordres reçus de l’État-major. Viviani dans son grand discours du 26 août a eu cette formule : « liberté, illimitée dans la zone de l’intérieur et liberté qui se rétrécit et s’amincit – le Parlement le comprend – à mesure que le contrôle se rapproche du front, c’est-à-dire se rapproche de cette action militaire à laquelle aucun sénateur ni aucun député n’a jamais voulu se mêler ». Cité par Georges Bonnefous, Histoire politique de la Troisième République, tome second, La Grande Guerre (1914-1918), Paris, Presses universitaires de France, 1957, p. 81.
  • [32]
    Voir Général Pédoya (député de l’Ariège), La Commission de l’Armée pendant la Grande guerre. Documents inédits et secrets, Paris, Flammarion, 1921.
  • [33]
    Les parlementaires furent informés des défauts de la mise en défense de Verdun par un parlementaire mobilisé, le lieutenant-colonel Driant (tué au combat le 21 février 1916). C’est ce qui permit au ministre de la Guerre, Gallieni d’écrire à ce sujet à Joffre (le 16 décembre). La position de Joffre était de plus en plus affaiblie et le fut plus encore avec l’organisation du premier comité secret du 16 au 22 juin 1916. Voir Jean-Baptiste Duroselle, Op. cit., p. 132 et p. 138.
  • [34]
    Voir le témoignage de Maurice Viollette (député d’Eure-et-Loir), Journal de guerre 1913-1919, Paris, Office d’édition du livre d’histoire, 1994, p. 112 (il ne s’agit pas à proprement parler d’un « journal » mais d’un récit écrit pendant l’Occupation alors que Maurice Viollette se trouve en résidence surveillée à Redon).
  • [35]
    Les comités secrets scandent la lente mais inexorable crise de confiance politique dont souffre le gouvernement Briand : Briand a obtenu 444 voix contre 80 le 22 juin 1916 puis 360 contre 141 le 7 décembre (troisième comité secret) et 313 contre 135 le 27 janvier 1917 (quatrième comité secret consacré aux affaires d’Orient). La démission de Lyautey, ministre de la Guerre, qui refuse par principe toute interpellation même en comité secret (cinquième comité secret du 14 mars 1917) porte le coup de grâce au gouvernement Briand.
  • [36]
    Même s’il obtient de beaux succès de façade : il a une majorité de confiance de 467 contre 52 le 4 juin 1917 (sixième comité secret) puis de 442 contre 21 le 7 juillet (septième comité secret). Cela ne l’empêche pas d’être contraint à la démission deux mois plus tard.
  • [37]
    Un exemple de la synergie qui lie contrôle parlementaire aux armées et contrôle du Gouvernement par les commissions à Paris : le socialiste Aristide Jobert, ancien collaborateur de la Guerre sociale de Gustave Hervé, a pu se rendre en tant que membre de la commission des comptes définitifs en mission pour enquêter sur les mutineries, à Soissons, à Vailly, à Missy-au-Bois : il en revient plus décidé que jamais à plaider l’amnistie des mutins auprès de ses collègues. Voir A. Jobert, op. cit., p. 157.
  • [38]
    À l’instar de Clemenceau qui y était d’abord favorable. C’est le cas aussi, plus logiquement, de Maurice Barrès, choqué par la remise en cause des chefs militaires et les discussions portant sur les opérations militaires en propre : voir L’Œuvre de Maurice Barrès, op. cit., t. 18, pp. 266-268.
  • [39]
    Il a été nommé membre de la commission au début de la guerre, en janvier 1915, en profitant de l’élargissement de ladite commission. Pour se préparer à assumer une charge de travail accrue, la commission est passée de 27 à 36 membres. Dans le même ordre d’idées, elle s’est subdivisée en plusieurs sous-commissions : explosifs, effectifs, service de santé, armements. Voir Anne Duménil, art. cit., p. 317.
  • [40]
    Reportage, photos à l’appui, dans L’Illustration en janvier 1916 : Clemenceau dans les tranchées de la forêt d’Apremont, avec les poilus. Voir Jean-Baptiste Duroselle, Clemenceau, Paris, Fayard, 1988, p. 597.
  • [41]
    Outre Jean-Baptiste. Duroselle (chap. XIX « 1917 : comment Clemenceau accéda au pouvoir »), voir David Robin Watson, Georges Clemenceau. A Political Biography, Londres, Eyre Methuen, 1974.
  • [42]
    Sur l’impulsion de Painlevé, un statut détaillé de l’exercice du contrôle parlementaire aux armées avait été adopté le 21 octobre 1917. Voir le texte dans général Pédoya, op. cit., p. 42.
  • [43]
    Le 20 novembre 1917, les 11 janvier, 8 mars, 4 juin, 1er août, 6 et 22 novembre, 11 et 30 décembre 1918.
  • [44]
    La confiance est cependant votée par 377 députés contre 110. Sur l’ensemble de l’année (novembre 17-décembre 18), la majorité Clemenceau se situe entre 330 et 370 voix environ. L’opposition se compose des trois quarts du groupe socialiste, parfois plus, et d’une nébuleuse composée de quinze à trente députés radicaux-socialistes, républicains socialistes et radicaux indépendants.
  • [45]
    Maurice Viollette, Op. cit., p. 80.
  • [46]
    Les livres du général Pédoya et de René Samuel sont des exceptions.
  • [47]
    Celui, célèbre, de Pierre Renouvin se consacre significativement à la mutation de l’appareil d’État. Celui de Henri Chardon, L’organisation de la République pour la paix, (Publications de la Dotation Carnegie pour la paix internationale, Presses universitaires de France, 1927, XXVII-163 p.) expose les idées de l’auteur déjà formulées avant guerre, sans tenir compte des leçons de la guerre. Il n’y a que deux ou trois allusions au Parlement. Elles ne sont d’ailleurs pas défavorables, Chardon reconnaissant p. 58 : « Ce n’est un mystère pour personne qu’elles [les commissions parlementaires] ont rendu pendant la guerre des services signalés ; elles ont puissamment contribué au salut du pays ».

1D’évidence, le Parlement de la IIIe République avait tout à redouter d’une guerre [1]. Les risques qui pesaient sur lui étaient nombreux et convergents : la restriction de la liberté et de la publicité de ses débats, au nom du principe du secret, la diminution du temps de ses sessions, la pénurie générale d’informations sur les opérations militaires, la dictature du haut commandement et, plus généralement, le renforcement de l’exécutif. En théorie pourtant, le Parlement avait un moyen simple pour éviter la relégation au rang de simple spectateur : en utilisant la loi sur l’état de siège du 3 avril 1878 [2] il pouvait siéger en permanence et par-là même exercer un contrôle étroit sur les actes du pouvoir exécutif, sanctionner les abus éventuels, participer au premier rang à la mobilisation de la nation et à l’effort de guerre [3], un peu sur le modèle conventionnel. S’il rejeta un tel recours et accepta sa mise à l’écart pendant les cinq premiers mois de la guerre, c’est peut-être qu’une majorité de parlementaires, gauche comprise, avait intériorisé le nationalisme d’avant-guerre, au moins en partie, et accepté ainsi un nouveau partage des tâches entre les pouvoirs publics. La nation ne faisait plus la guerre par l’intermédiaire de son Parlement comme du temps de la République jacobine mais comptait sur la double efficacité du pouvoir exécutif civil et du commandement militaire.

2Si les deux chambres eurent un début de guerre pour le moins difficile, elles surent pourtant réagir assez vite et s’organiser de manière remarquable à partir du mois de janvier 1915, dès leur retour en session ordinaire. C’est là l’un des apports fondamentaux de la thèse de Fabienne Bock : l’invention d’un « parlementarisme de guerre » qui permit aux deux assemblées de se replacer au cœur de l’effort de guerre. Et, si l’on fait le bilan en 1918, le Parlement avait incontestablement apporté une contribution de premier plan à la Victoire ; par le contrôle exercé sur les services administratifs et notamment les services de l’administration militaire, par son œuvre législative illustrée par la « chasse » aux embusqués, par le maintien d’un débat politique qui permit l’évolution des orientations politiques (par exemple la définition de buts de guerre modérés) et l’ajustement de la composition des gouvernements, par son esprit général de mobilisation enfin. D’ailleurs, le simple fait d’avoir évité tout écroulement ou tout changement du régime, contrairement à ce qui s’était passé lors des guerres d’invasion précédentes (en 1814 et 1815 puis en 1870), signale le rôle décisif du Parlement en temps de guerre. La guerre n’avait pas accouché d’une monarchie ni même d’une forme plus ou moins républicaine de dictature temporaire de salut public.

3Le problème, c’est que ce bilan, plutôt à l’avantage des assemblées, ne fut jamais véritablement établi. Ni par les contemporains, ni vraiment par la suite. À elles seules, les actions du parlement ne firent pas sens ; elles contredisaient un changement général de la « culture politique » des Français, un changement aussi diffus et difficile à saisir que redoutable par ses effets ; l’esprit public n’était plus favorable au parlementarisme. Face aux chefs militaires, face au pouvoir exécutif emmené par Clemenceau, le Parlement avait perdu une bataille essentielle : celle de son image. C’est donc dans ce contraste entre la « réussite » de son parlementarisme de guerre et la dégradation de son image publique qu’il faut tenter de comprendre la place du Parlement entre 1914 et 1918.

L’épreuve des premiers mois

4L’effacement volontaire fut la première épreuve à laquelle dut faire face le Parlement. Cette mise en retrait apparaît d’abord comme la rançon d’un échec ; celui de 25 ans de débats sur les moyens de préparer le régime parlementaire à l’éventualité d’une guerre. Un quart de siècle de discussions qui n’avaient abouti à aucun résultat [4]. Les propositions avaient pourtant été nombreuses puisque même le fameux Eugène Pierre, secrétaire général de la Chambre des députés pendant quarante longues années de 1885 à 1925 [5], avait avancé la sienne en 1890, sans plus de succès que les autres [6]. Il y avait là comme un impensé de la tradition républicaine. En bonne théorie démocratique le pouvoir civil devait primer le pouvoir militaire, mais, faute d’avoir rien prévu le Parlement laissait dans la pratique une très large latitude au commandement militaire en cas de conflit [7].

5Certes l’effacement parlementaire reposait sur l’hypothèse d’une guerre courte, et c’était dans ce cadre que la majorité des députés et des sénateurs acceptait la « dictature » de l’état-major. Ce fut dans ces circonstances que l’esprit d’Union sacrée entraîna les deux assemblées au début de la guerre. Lors de la séance du 4 août, elles votèrent non seulement leur ajournement [8] mais aussi le renoncement à tout véritable contrôle sur les dépenses de guerre [9]. Les chambres voulaient montrer l’exemple du sacrifice et les parlementaires pratiquaient une forme d’autocensure en acceptant de se retirer de la scène politique ; ils avaient intériorisé l’antiparlementarisme qui avait fortement progressé avant la guerre [10]. Ajoutons que la critique du parlementarisme par des parlementaires eux-mêmes venait surtout des rangs de la droite ; conservateurs, anciens révisionnistes et nationalistes mêlés. Le spectacle des divisions inhérent au régime parlementaire devait attendre, selon eux, le retour de la paix.

6Il ne faudrait cependant pas exagérer l’image d’un effondrement des assemblées. Cet effacement était de nature plus publique que politique ; bon nombre de parlementaires continuèrent d’agir en coulisses et alimentèrent la traditionnelle marmite à rumeurs. Leurs critiques étaient d’ailleurs dirigées aussi bien contre le Gouvernement [11] que contre le commandement militaire. Ils n’attendaient pas la fin des hostilités pour tenter d’intervenir au cœur de l’effort de guerre [12]. Si, sur le plan symbolique, les services de la Chambre et du Sénat avaient dû obéir aux injonctions de l’état-major et quitter la capitale pour Bordeaux, il semble bien que la fuite forcée ne concernait pas la majorité des députés et sénateurs [13]. Certains étaient retournés dans leur circonscription pour se placer au milieu de leurs concitoyens et jouer le rôle d’organisateur civil et de lien entre la population et les autorités militaires [14]. D’autres préférèrent rester à Paris pour former des contre-pouvoirs. Deux groupes en particulier se constituèrent, celui des « représentants de Paris » et celui des « départements envahis » ; ils revendiquaient haut et fort le droit de rester dans la capitale et d’agir pour la défense nationale soit auprès de Gallieni, le gouverneur militaire de Paris (qui comptait aussi autour de lui des députés mobilisés [15] et se posait en rival de Joffre), soit pour organiser une collecte en faveur des réfugiés. Les enjeux symboliques étaient au cœur de la démarche : les parlementaires ne voulaient pas laisser le champ libre aux militaires, car ils estimaient que leur place était auprès de leurs concitoyens. Lieu même où s’incarnait la nation politique, le Parlement n’aurait pas dû céder face à la peur d’une invasion ennemie. Dès que cela fut possible, les assemblées s’empressèrent de regagner Paris [16].

7Il semble que la rancœur des parlementaires à l’égard de l’état-major fut largement partagée, bien au-delà de la gauche nostalgique du modèle de la Convention. Selon plusieurs témoignages, la fuite à Bordeaux raviva l’antiparlementarisme alors que les assemblées n’avaient guère eu le choix [17]. Aussi, le président de la Chambre, Paul Deschanel, un modéré par excellence, n’hésita pas à s’en prendre à la dictature de Joffre dès son discours de rentrée à la Chambre, le 14 janvier 1915 [18].

8L’atout maître des assemblées pendant ces mois difficiles fut les retombées de la lutte menée par le Gouvernement contre la « dictature » de Joffre. Dans ce combat, le pouvoir exécutif avait besoin d’un allié et donc des assemblées pour faire pression sur le commandement militaire. Le Parlement en retira plusieurs avantages que cela soit sur le statut des députés mobilisés, sur la mise en place du contrôle parlementaire aux armées ou bien encore sur la renonciation par le pouvoir exécutif du droit de clôture des sessions [19]. C’est aussi ce qui explique le long bras de fer qui aboutit à la démission finale en octobre 1915 du ministre de la Guerre, Millerand, critiqué pour la protection rigide qu’il offrait aux militaires contre les intrusions des civils. Tous ces succès parlementaires prouvaient que, bien loin de voir le pouvoir exécutif se renforcer au détriment du pouvoir législatif, la guerre avait pour conséquence le renforcement commun des deux pôles du pouvoir civil face au pouvoir des militaires. La culture parlementaire qui unissait gouvernants et membres des assemblées jouait à plein, même si elle était plus accentuée à gauche qu’à droite.

9Parmi les succès remportés par les assemblées, l’un fut décisif à bien des égards : celui qui permettait aux parlementaires mobilisés de participer pleinement à la vie des assemblées sans être tenus de rester à leur poste dans les armées. Placés à des échelons et sur des théâtres d’opération extrêmement divers, les parlementaires mobilisés – au nombre de 235 en février 1915 [20] – devinrent une source essentielle d’information sur le déroulement des opérations militaires, même si la majorité d’entre eux se trouvait à l’arrière, en position relativement protégée, plutôt que sur le front [21]. Avec le nouveau cours pris par la guerre, sa durée, son intensité, l’ampleur effroyable des pertes, les parlementaires ne pouvaient plus se contenter d’attendre la fin de la dictature provisoire accordée à l’état-major au mois d’août 14. Ils invoquaient de plus en plus leur responsabilité morale devant le pays. Ils continuaient de se rassembler dans de larges majorités lors des scrutins publics en séance mais, dans les couloirs et très probablement au sein des groupes, ils discutaient de plus en plus les décisions de l’état-major et remettaient en cause les faiblesses du Gouvernement (outre celle du ministre de la Guerre, Alexandre Millerand celle du ministre des Affaires étrangères, Delcassé jusqu’en octobre 1915).

10Ce fut dans ce contexte que les députés mobilisés purent jouer un rôle essentiel. L’ensemble du personnel parlementaire – à commencer par les personnages « consulaires » du régime placés à la croisée des réseaux politiques et militaires – put tirer profit de ces informations et les transformer en moyen de pression pour intervenir dans la définition même de la conduite de la guerre. De l’expédition d’Orient à laquelle Joffre était hostile jusqu’à la critique des offensives meurtrières, le personnel parlementaire et politique sut reprendre du poil de la bête face au pouvoir militaire entre l’année 1915 et la crise de 1917. Jouant sur les dissensions tactiques et stratégiques entre chefs militaires (le conflit Joffre-Sarrail par exemple), les politiques intégrèrent dans les jeux de pouvoir et d’influence la hiérarchie militaire beaucoup plus que celle-ci ne put s’imposer au milieu politico-parlementaire et tenter de le « militariser » (comme ce fut le cas en Allemagne).

11Mais pour pouvoir revenir sur le devant de la scène, après les mois de dictature de l’état-major, le Parlement devait trouver des solutions nouvelles. Il devait pouvoir innover et faire sentir son poids. Ce fut l’enjeu de l’année 1915, à partir de la réunion des chambres en session ordinaire, au mois de janvier.

Inventer un nouveau régime parlementaire

12Pendant les deux années où fonctionna le « parlementarisme de guerre » (F. Bock), les assemblées tentèrent et réussirent partiellement un remarquable processus d’adaptation aux conditions inédites posées par la guerre, guerre longue, totale, mobilisatrice de la nation entière.

13Ce « parlementarisme de guerre » se caractérisa par deux éléments : la montée en puissance du rôle des commissions et le retour en force du contrôle politique exercé par les chambres sur le Gouvernement ; le premier élément intervenant à partir de 1915, le second entre 1916 et 1917 par l’organisation des comités secrets.

14Des études exhaustives et détaillées manquent encore aujourd’hui pour juger du rôle exact des commissions parlementaires pendant la guerre et surtout de l’efficacité de leur travail. Certaines archives ont d’ailleurs tout simplement disparu [22]. Deux points cependant paraissent établis. Les commissions parlementaires jouèrent un rôle dans le contrôle de l’effort de guerre. Les deux commissions de l’Armée, à la Chambre et au Sénat, produisirent des rapports techniques détaillés, portant aussi bien sur les munitions, les armes de toutes sortes, les dysfonctionnements des services de santé et de ravitaillement que sur des questions relevant du commandement militaire (la répartition des effectifs entre l’armée du front et une armée de réserve, la question des troupes coloniales, le renforcement de l’armée d’Orient etc.) [23]. Les commissions allèrent même plus loin : elles obligèrent les services administratifs du ministère de la Guerre à prendre des sanctions contre des fonctionnaires jugés défaillants [24]. Et dans le cas de la chasse aux « embusqués », la commission de l’Armée joua un rôle décisif pour la confection du texte de la loi [25] ; elle batailla ferme contre le ministère de la Guerre (Millerand) persuadé que ses circulaires étaient suffisamment efficaces et qui refusait de passer par une loi [26].

15Si l’ensemble de ce travail fut à la fois considérable et remarquable, il resta cependant largement méconnu du grand public. Certains comme le général Pédoya, président de la commission de l’Armée de la Chambre jusqu’au début de 1917, tentèrent de le faire connaître, mais en vain. Pour bien juger de la force du parlementarisme de commission, il aurait fallu mettre en balance les interventions des commissions parlementaires d’un côté et la puissance des administrations de guerre de l’autre, ensemble de comités, consortiums et commissions baptisées par Pierre Renouvin « formes du Gouvernement de guerre » [27]. En ce sens, si le travail de Fabienne Bock a apporté une lumière décisive sur la capacité du Parlement à tirer son épingle du jeu, il n’en reste pas moins que la croissance des organismes de guerre avait considérablement renforcé l’État administratif. La montée en puissance de celui-ci fut bien plus spectaculaire que la capacité d’adaptation des assemblées parlementaires, toujours prises par les enjeux de pure politique et gênées par la pauvreté de leur personnel administratif [28]. La guerre a poussé l’État à se moderniser, à prendre contact avec les représentants de la société civile (milieux patronaux et syndicalistes) et à jeter les prémices d’une nouvelle gouvernance. Face à la conversion de l’ancien État libéral, les assemblées se sont donc retrouvées sous-dimensionnées par rapport à l’ampleur de la tâche et au besoin de contrôler un État devenu protéiforme.

16Les assemblées pouvaient en revanche mieux gérer le registre plus classique du contrôle politique exercé sur les ministres et sur les gouvernements successifs. Là aussi, on retrouve en première ligne le rôle des commissions. Elles multiplièrent les auditions des présidents du Conseil et des ministres ou sous-secrétaires d’État. C’étaient elles qui assuraient la survie du droit d’interpellation (même si certaines interpellations continuaient d’avoir lieu en séance). De décembre 1914 à novembre 1918, la seule commission sénatoriale de l’Armée procéda à 125 auditions de membres du Gouvernement. En témoigne l’importance de ses archives avec 22 volumes de procès-verbaux et 2 cartons de procès-verbaux d’auditions [29]. De son côté la commission de l’Armée de la Chambre entendit 42 fois le ministre de la Guerre ou le président du Conseil entre janvier 1915 et novembre 1916. Elle publia 64 rapports tous envoyés au Gouvernement [30]. Enfin, grâce au compromis défini à l’été 1915 (de juin à août) entre les groupes de gauche et Viviani, les commissions furent les instruments privilégiés du contrôle parlementaire aux armées. Ce fut parmi elles que l’on choisit les parlementaires autorisés à mener des enquêtes d’information. Certaines de ces investigations eurent lieu dans les usines de l’arrière mais d’autres purent se dérouler sur place. L’objectif était de vérifier la bonne utilisation des armes et des munitions [31]. En janvier 1915, la commission de l’Armée de la Chambre se contentait de demander un droit de contrôle auprès des administrations centrales à Paris et auprès des usines de l’arrière. Une fois les rapports sur les armes et les munitions publiés, elle réclama au début du mois de mai un contrôle sur place des programmes d’armement dont elle estimait partager la paternité.

17Les conditions concrètes des missions parlementaires continuèrent d’être l’objet d’un bras de fer constant avec le GQG mais le principe était dorénavant acquis. Le pouvoir civil, aiguillonné par le Parlement, l’avait imposé au commandement militaire. À partir de juillet 1916, le système se stabilisa : la commission de l’Armée avait le droit de désigner 20 délégués permanents chargés tour à tour des différentes missions. L’un des plus actifs parmi eux fut Abel Ferry, député des Vosges et neveu de Jules Ferry, mort en septembre 1918 dans l’exercice de ses fonctions. Sous l’impulsion de Painlevé, un véritable statut de l’exercice du contrôle parlementaire aux armées fut adopté le 21 octobre 1917 ; il marquait l’aboutissement des efforts (mais aussi des compromis) des parlementaires [32]. Ce n’était pas la Convention mais ce n’était pas rien non plus.

18Le rôle des commissions dans le contrôle politique avait cependant des limites. Par rapport à un véritable débat d’interpellation, les auditions en commission ne permettaient pas la mise en jeu du mécanisme de responsabilité politique des membres du Gouvernement. Les critiques pouvaient nourrir une atmosphère de crise, entraîner une diminution de la confiance, mais l’abcès n’était jamais véritablement crevé. Un débat en commission ne pouvait avoir la fonction classique d’une crise ministérielle du temps de paix.

19De plus, le rôle des grandes commissions (l’Armée, les Affaires étrangères, le Budget) entraînait les frustrations des parlementaires de second rang. Face à des événements de première gravité, le contrôle par les commissions s’avérait impuissant. Le Parlement en tant qu’institution globale risquait d’apparaître comme incapable de reprendre son rôle d’incarnation de la Patrie en danger, celui d’une « nation assemblée » assez forte pour tancer et sanctionner gouvernants et généraux défaillants. Lors de la bataille de Verdun commencée le 21 février 1916 et qui dura dans sa phase la plus active jusqu’au mois de juin, les parlementaires voulurent à la fois obtenir une information accessible à tous et poser la question de la responsabilité du Gouvernement. Ils voulaient pouvoir faire le bilan de ce gigantesque combat et surtout juger les fautes commises dans la phase de préparation illustrée notamment par la mauvaise mise en défense du site et de la région [33]. Au début de la bataille, Briand obtint un ajournement des interpellations tout en devant concéder la promesse d’organiser un débat une fois l’engagement terminé [34]. Très vite, on se dirigea vers la formule des comités secrets. Le premier eut lieu entre le 16 et le 22 juin 1916.

20Ce fut par cette organisation des comités secrets que de véritables débats d’interpellation purent enfin avoir lieu. Leurs résultats furent importants. Ils contribuèrent directement à l’affaiblissement du gouvernement Briand puis finalement à sa chute [35], de même pour ses successeurs, Ribot [36] et Painlevé. En ce sens, les comités firent rejouer les divisions politiques et favorisèrent le retour à l’indispensable formation des majorités politiques : ils furent le prélude à l’émergence d’une majorité nouvelle, séparée des socialistes, et sur laquelle Clemenceau pu s’appuyer de manière beaucoup plus efficace que ses prédécesseurs. Mais par ses « succès » même, les assemblées butaient constamment sur la limite qui empoisonna tout le parlementarisme de guerre : comment exercer un rôle efficace en termes de contrôle du Gouvernement, ce qui passait forcément pas des discussions, des divisions et des risques de crise politique, tout en essayant de conserver l’image d’un Parlement patriote et fidèle à l’Union sacrée ? Le Parlement qui faisait du vrai et du bon travail échoua à le faire savoir : il échoua sur le plan de l’image.

21Au total, les comités secrets qui purent satisfaire un moment la soif d’informations des parlementaires, se retournèrent virtuellement contre le régime parlementaire tout entier. La campagne de la presse de droite le faisait bien sentir. Les comités avaient à la fois rythmé et accéléré, de juin 1916 à octobre 1917, le double affaiblissement du Gouvernement et du pacte politique de l’Union sacrée. Les votes publics qui les concluaient masquaient la faiblesse des combinaisons ministérielles. Soulevant la question des buts de guerre, des mutineries [37], des propositions de paix et du coût humain exorbitant de la guerre, la succession des comités aboutit à la rupture de l’Union sacrée avec le départ des socialistes (à l’automne 1917 mais déjà en partie au printemps) et à la première crise ministérielle enregistrée à la suite d’un vote de rejet de la question de confiance posée par le gouvernement Painlevé le 13 novembre 1917. Fait significatif, le vote portait sur l’ajournement de plusieurs interpellations ; il dévoilait au grand jour la division interne des principaux groupes politiques (républicains de gauche, radicaux, radicaux-socialistes). En ce sens, le parlementarisme semblait avoir rétabli à cette date tous ses « droits », y compris celui de la dispersion et de la confusion politique, mais il le faisait dans l’atmosphère de crise morale qui caractérisait le pays en 1917.

22Bien des parlementaires, députés ou sénateurs, confrontés au risque de la défaite militaire doublée d’une crise du régime, devinrent hostiles aux comités secrets [38], s’ils ne l’étaient pas depuis le départ. Certains, surtout à droite, rejetaient les revendications maximalistes du contrôle parlementaire aux armées. Pour toutes ces raisons, le rôle du Parlement dans cette guerre, qui avait changé de visage en 1917, se devait d’être redéfini sur de nouvelles bases. Ce fut là le cœur de l’expérience Clemenceau.

Y a-t-il eu une « dictature » Clemenceau ?

23Il faut commencer par se méfier des idées-reçues quand on aborde le cas Clemenceau. Son gouvernement de guerre entre 1917 et 1918 ne fut pas une expérience anti-parlementaire. Car, jusque-là, le Tigre avait été une sorte de super parlementaire de guerre, très éloigné de l’attitude de la droite demandant respect et obéissance envers le commandement militaire, interprétant l’Union sacrée comme une chape de plomb posée sur le droit de discussion et de division. Clemenceau fut, entre 1914 et 1917, un champion des commissions parlementaires, un partisan et praticien du contrôle aux armées, un défenseur du droit pour les chambres de siéger en permanence. Il fut en fait le premier à profiter du « parlementarisme de guerre » pour y trouver les fondements de sa nouvelle popularité puis pour accéder au pouvoir.

24En cumulant la présidence de la commission des Affaires étrangères et celle de l’Armée (élu en remplacement de Freycinet, sénateur de la Seine, le 5 novembre 1915 [39]), Clemenceau avait participé au renforcement du rôle des commissions, notamment par l’intermédiaire des auditions des ministres. Grâce à ces fonctions, il avait pu bénéficier, plus qu’un autre, de la possibilité d’obtenir des informations militaires sur place. Il avait effectué de nombreuses visites aux armées et sa popularité auprès des poilus commença dès cette époque [40]. Grâce à son autorité personnelle et à ses bonnes relations avec certains chefs militaires, il avait obtenu des facilités pour se rendre dans la zone de l’avant si jalousement protégée par le GQG. D’ailleurs, Clemenceau avait constamment dénoncé les lenteurs et les erreurs des « bureaux ». Là aussi, il s’agissait d’une ancienne tradition parlementaire, plutôt située à gauche : considérer que le Parlement est le seul organe capable d’insuffler l’énergie du patriotisme au reste de la nation alors que l’Administration, engluée dans l’inertie et l’inefficacité, en est incapable. Comme beaucoup d’autres parlementaires, Clemenceau avait notamment pris pour cible les lenteurs des services de santé du ministère de la Guerre. Il avait pris fait et cause pour toutes les mesures susceptibles d’améliorer la condition du soldat.

25Clemenceau à la tribune du Sénat n’avait jamais reculé devant la nécessité de porter sur la place publique la critique du haut commandement, sauf quand les opérations militaires étaient en cours. Il n’avait pas hésité à demander des sanctions rapides et sévères contre les généraux considérés comme médiocres. Là aussi, il s’agissait d’une thématique qui rejoignait l’action parlementaire des groupes de gauche au moment où la droite considérait que rien ne devait affaiblir l’image des chefs militaires. Une fois au pouvoir, avec l’aide du général Mordacq, Clemenceau mit en pratique ce qu’il avait préconisé (retraite forcée pour les généraux jugés trop âgés, sanctions prises après le succès des offensives allemandes du printemps 1918).

26De tous ces points de vue, Clemenceau avait donc fait sienne l’idée selon laquelle le Parlement, par la publicité de ses débats, par la qualité de son contrôle exercé sur l’action du Gouvernement, y compris sur les aspects les plus techniques des mesures administratives, par la mise en jeu constante des responsabilités tant gouvernementales que militaires, était et devait être le cœur de la démocratie en guerre. La raison immédiate de son avènement appartient elle aussi pleinement à l’histoire parlementaire, tout en le rapprochant cette fois des groupes de droite (et même de la campagne menée par l’Action française et la presse de droite depuis l’extérieur du Parlement). Selon ses principaux biographes [41], son discours au Sénat du 22 juin joua le rôle décisif : ses violentes attaques dirigées contre le ministre de l’Intérieur Louis Malvy, accusé de protéger des milieux pacifistes et révolutionnaires, d’entretenir des relations bienveillantes avec eux, provoquèrent, un mois plus tard, la démission de celui-ci. De là une longue crise politique et ministérielle qui dura plus de deux mois, affaiblissant le gouvernement Ribot, débouchant ensuite sur l’échec du gouvernement Painlevé.

27Le Clemenceau « parlementaire » des années 1914-1917 ne devint pas du jour au lendemain un « dictateur » antiparlementaire. Président du Conseil, il continua de jouer le jeu du contrôle des commissions qu’il avait tant défendu. Il accepta de se rendre à de nombreuses auditions. Il continua de défendre le contrôle parlementaire aux armées qui, du reste, était mieux accepté par les militaires, le modus operandi étant dorénavant bien défini [42]. Surtout, après avoir récusé la procédure des comités secrets (qui avait fini par décevoir de nombreux parlementaires), il ne cessa de mettre en jeu sa responsabilité politique devant le Parlement, en séance publique. Pour la seule Chambre des députés, entre novembre 1917 et la fin de l’année 1918, huit débats de politique générale furent suivis d’un vote de confiance [43]. Cette mise en jeu n’allait d’ailleurs pas sans risques, le résultat n’étant pas forcément gagné d’avance. Le 4 juin 1918, le Gouvernement se présentait devant la Chambre alors qu’une nouvelle offensive allemande jetait à nouveau l’effroi dans tous les esprits [44]. Il fallut une grande performance oratoire de Clemenceau pour l’emporter et obtenir le vote de confiance

28Cependant, il faut bien le reconnaître, « l’expérience » Clemenceau introduisait aussi une nouveauté. Celle-ci reposait sur la combinaison d’un fait majoritaire (une majorité politique d’Union sacrée restreinte) et d’une popularité personnelle du président du Conseil auprès de l’opinion publique. Clemenceau pouvait ainsi gouverner sa majorité d’une manière nouvelle. Il utilisait la question de confiance comme une forme de chantage politique : les assemblées parlementaires n’osaient prendre le risque de renverser un président du Conseil aussi populaire. Clemenceau utilisait ainsi la question de confiance pour faire voter les projets de loi préparés par son gouvernement et pour faire repousser sine die les interpellations les plus gênantes. C’était aussi un moyen qui lui permettait de discipliner en permanence sa majorité politique unie par le combat contre les socialistes et contre les tentations pacifistes.

29Ceci dit, l’histoire ne se termine pas là. L’expérience Clemenceau ne marque pas le début d’une sorte de longue montée en puissance du pouvoir exécutif et d’une longue descente aux enfers du Parlement. Car, dès 1919, les assemblées prirent leur revanche. À la suite des longs mois de disette parlementaire correspondant à la conférence de la Paix et à la mainmise de l’exécutif sur le déroulement des négociations, la majorité montra plusieurs signes d’affaiblissement. Contrairement à ce que l’on écrit souvent, les élections de novembre 1919 ne furent pas une sorte de plébiscite centré sur la personne et la politique de Clemenceau. Au lendemain des élections législatives, la principale revendication de la majorité du Bloc national, elle même très composite, fut la restauration des droits du Parlement, manière indirecte de s’attaquer au Tigre et à son entourage. Clemenceau dut subir en l’espace de quelques mois, entre novembre 1919 et janvier 1920, à la fois la réduction de sa majorité puis, en forme d’estocade finale, l’échec de sa candidature à l’élection présidentielle, le vote étant secret. L’heureux élu, Paul Deschanel, avait été pendant toute la guerre, comme président de la Chambre, le défenseur des droits du Parlement.

30En conclusion, le bilan que l’on peut faire du Parlement dans l’épreuve de la guerre est fortement contrasté. Il est certainement important de dire, après le travail de Fabienne Bock, que les assemblées parlementaires surent faire le dos rond face au risque d’une dictature de guerre. Mieux que cela : elles parvinrent à s’adapter aux conditions nouvelles et à inventer un « parlementarisme de guerre » ; elles eurent à leur actif plusieurs succès notables comme le contrôle sur l’armement par les commissions, le contrôle sur place auprès des armées et la définition de buts de guerre modérés par l’entremise des débats en comités secrets. Plusieurs parlementaires gardèrent le souvenir et la fierté de ce que le Parlement avait fait pour assurer et stimuler l’effort de guerre, tel Maurice Viollette qui écrivait quinze ans après les faits : « Il n’est pas douteux que nous ne nous sommes tirés d’affaire en 1915 que sous les mises en demeure répétées de la Chambre et du Sénat » [45].

31Ceci dit, il ne faudrait pas qu’une « réhabilitation » du rôle du Parlement devienne à son tour une cause d’aveuglement historiographique. Car, aussi notable que soit la réussite du travail parlementaire, elle doit aussi être confrontée au travail de transformation et de modernisation de l’État administratif. Ces mutations interviennent en dehors du Parlement, et dérouleront leurs conséquences contre le Parlement dans les deux décennies suivantes ; elles transforment le régime parlementaire bien avant les changements de Constitution de 1946 et de 1958. Enfin, il ne faut surtout pas négliger l’impact des facteurs liés à l’opinion publique. Le fait que le Parlement ait vraiment « travaillé » pendant la guerre tout en n’étant pas crédité de ce rôle doit être considéré comme significatif en lui-même. Le Parlement a perdu la bataille des images. Il souffrait d’ailleurs dès avant 1914 d’un déficit de légitimité intellectuelle. Les juristes, les essayistes ou les journalistes de l’époque ne se bousculèrent pas pour faire un bilan de l’œuvre du Parlement en guerre, soit pour en restaurer l’image, soit pour tenter de dégager un jugement équitable [46]. Il est significatif que les publications de la Dotation Carnegie pour la paix n’aient pas prévu ou pas réalisé un volume consacré à l’œuvre de la représentation nationale [47]. Nulle part ou presque on trouverait dans l’après-guerre, un éloge ou une défense du Parlement. Les propositions de réforme des institutions étaient déjà foisonnantes à cette époque mais elles allaient toutes dans le sens d’un renforcement de l’exécutif ou d’une transformation du Parlement sur le modèle de la représentation des intérêts.

32On ne peut donc plus dire que la Première Guerre mondiale ait marqué le retrait ou le déclin du Parlement. Mais on doit souligner combien l’idée du régime parlementaire, régime de la prise de décision par l’acceptation de la discussion et de la division, avait dorénavant perdu de son aura. À droite, on disait que le régime avait gagné la guerre malgré le Parlement (le Parlement étant d’ailleurs coupable du manque de préparation ayant coûté l’invasion du territoire de 1914). À gauche, on cherchait à regagner le terrain perdu dans la confusion de l’Union sacrée et de son prolongement voulu par le Bloc national : le temps de guerre, à tous égards, ne pouvait être érigé en référence politique positive. Dans les centres, le centre-droit comme le centre-gauche, accaparés par les fonctions gouvernementales et les jeux parlementaires, l’éloge public du parlementarisme dont ils étaient pourtant les grands bénéficiaires n’était plus de mise. Malgré quelques tentatives isolées, les assemblées ne profitèrent pas des leçons du parlementarisme de guerre (par exemple pour confirmer et approfondir le renforcement des commissions) ; elles ne surent pas se moderniser et laissèrent la modernisation institutionnelle se faire contre elles. Elles finirent par sombrer en 1940.

33On s’explique dès lors que le Parlement de 14-18 soit tombé dans l’oubli en dépit de son rôle incontestable. Cet oubli est prolongé aujourd’hui par la rareté des travaux historiques. Il reste bien des choses à éclaircir par exemple sur le rôle des commissions, sur l’impact et le déroulement des comités secrets, sur la place de parlementaires les plus en vue de la période (des biographies politiques d’Abel Ferry, de Renaudel, de Dalbiez ou d’autres manquent encore), sur le rôle des parlementaires dans leur circonscription (relations avec les autorités militaires, rôle dans les différents organismes d’aide et de secours) ou sur le décompte exact et détaillé des parlementaires soldats (type de participation à la guerre, durée etc.). Amis de l’histoire politique et parlementaire, à vos claviers !


Mots-clés éditeurs : pouvoir exécutif et pouvoir législatif (relations entre), première guerre mondiale, Troisième République, Parlement

Date de mise en ligne : 05/01/2009

https://doi.org/10.3917/parl.010.0013

Notes

  • [1]
    Certains des éléments de cet article reprennent des analyses faites dans notre contribution « Le Parlement dans la tourmente 1914-1940 » in Jean Garrigues (dir.), Histoire du Parlement de 1789 à nos jours, Paris, Armand Colin, 2007.
  • [2]
    Bulletin des lois de la République française, série 12, t. 16, n°383, pp. 338-339.
  • [3]
    C’est la thèse que défend Jules Mont dans un livre paru en 1916, La Défense nationale et notre Parlement, Paris, Librairie académique Perrin, p. 104. Curieux livre, à la fois très critique contre les parlementaires accusés d’incompétence mais qui regrette aussi l’absence d’un Parlement fort, capable de contrôler les pouvoirs du Gouvernement et ceux du commandement militaire.
  • [4]
    Voir Fabienne Bock, Un parlementarisme de guerre, 1914-1919, Paris, Belin, 2002, chapitre 1 « Le débat sur le fonctionnement du régime en temps de guerre (1889-1914) », pp. 19-47.
  • [5]
    Voir Avant-propos de Pierre Avril et Jean Gicquel dans la reproduction du fameux Traité : Eugène Pierre, Traité de droit politique, électoral et parlementaire, Paris, Éditions Loysel, 1989, p. I.
  • [6]
    Du pouvoir législatif en temps de guerre, Paris, 1890 . Eugène Pierre proposait de remplacer les deux assemblées par deux comités (l’un pour la Chambre de 286 membres, l’autre pour le Sénat de 153) siégeant en permanence, sans publicité des débats et se consacrant uniquement à l’examen des textes intéressants la défense nationale. Le texte d’Eugène Pierre est confronté à certaines propositions émises par des parlementaires avant 1914 dans Mermeix, Au sein des Commissions, Paris, Librairie Ollendorf, 1924, pp. 17-18.
  • [7]
    Le décret du 28 octobre 1913 accordait la « conduite des opérations » aux généraux même si la « conduite de la guerre » du point de vue de ses objectifs restait au pouvoir civil. Voir Pierre Renouvin, Les formes du Gouvernement de guerre, Paris, Presses universitaires de France, Publications de la dotation Carnegie pour la paix internationale, 1925, p. 15 et p. 77.
  • [8]
    L’ajournement signifie que les présidents des deux Chambres peuvent décider d’une nouvelle convocation. Cependant, le décret de clôture intervint le 3 septembre. Dès lors, seul le Gouvernement par un nouveau décret pouvait convoquer les Chambres (pour une session extraordinaire) avant le deuxième mardi du mois de janvier, date de la session ordinaire.
  • [9]
    Ce qui sera confirmé lors du vote du 23 décembre 1914 en session extraordinaire : une majorité de 561 députés, socialistes compris, vote six douzièmes provisoires, cas exceptionnel.
  • [10]
    F. Bock, op. cit., p. 47.
  • [11]
    Le gouvernement remanié le 26 août est faussement appelé gouvernement d’Union sacrée : il réalise la réconciliation entre les fractions de l’ancien « parti républicain » du XIXe siècle (d’où l’entrée de deux socialistes, Guesde et Sembat, et de représentants des républicains modérés, de centre droit comme Alexandre Ribot) mais les progressistes, les catholiques, les conservateurs et nationalistes ne sont pas intégrés dans la formule.
  • [12]
    Un exemple peut-être inattendu et qui prouve que la « culture » parlementaire pouvait aller loin à droite : Maurice Barrès. En septembre 1914, il décide de ne pas aller à Bordeaux : dès le 19, il effectue une visite aux champs de bataille de la Marne. Il s’intéresse particulièrement aux conditions d’évacuation des blessés et aux structures de soin qu’il juge défaillantes. Du 4 au 14 octobre, il est dans la partie libre de l’Alsace et en Lorraine en tant que membre fondateur du Secours national. Il tire de ces visites un rapport sur l’imperfection des services sanitaires qu’il adresse au président de la République et au ministre de la Guerre, le 2 novembre. Voir L’Œuvre de Maurice Barrès, annotée par Philippe Barrès, t. 18, Mes Cahiers, Août 1913-Décembre 1918, Librairie Plon (première édition en 1936-1938), Club de l’Honnête Homme, 1968, pp. 215-218.
  • [13]
    Aucune comptabilité n’a été faite cependant, à notre connaissance, du nombre de parlementaires présents à Bordeaux.
  • [14]
    Surtout dans le cas de cumuls de mandats ; s’ils étaient maires par exemple.
  • [15]
    Et son chef de cabinet civil est le sénateur Paul Doumer.
  • [16]
    Le personnel des Assemblées put regagner Paris le 16 novembre pour celui de la Chambre et le 7 décembre pour celui du Sénat. Le Parlement fut convoqué pour une session extraordinaire les 22 et 23 décembre. Voir René Samuel, Le Parlement et la guerre, 1914-1915, Paris, G. Roustan, 1918, pp. 31-33.
  • [17]
    Bainville écrit dans son journal le 12 septembre : « on pense que le gouvernement aura à cœur de rentrer à Paris le plus tôt possible. Son hégire a produit un effet déplorable. » (cf. Jacques Bainville, La Guerre démocratique. Journal 1914-1915, Paris, Bartillat, texte établi, présenté et annoté par Dominique Decherf, 2000, p. 92). La presse de droite glosait sur les supposées largesses prises par certains membres du Gouvernement. Principal visé : Malvy qui aurait passé le plus clair de son temps au restaurant Le Chapon fin. Beaucoup d’historiens reprennent cela mais l’enquête reste à faire.
  • [18]
    Deschanel déclarait : « Je crois bien qu’un des principaux enseignements de cette guerre sera, dans l’avenir, la nécessité d’un contrôle plus fort, plus énergique que jamais. Si le Parlement avait osé, s’il avait su davantage, la France, aujourd’hui, s’en trouverait mieux (Applaudissements prolongés. Les députés se lèvent) ».
  • [19]
    Un compromis est intervenu au printemps 1915 entre le gouvernement Viviani et les groupes parlementaires : le gouvernement renonce au droit de l’exécutif de clore la session parlementaire (les chambres vont décider d’elles-mêmes le temps de vacances, d’ailleurs fort raccourci).
  • [20]
    Compte effectué par le premier bureau du GQG et mentionné par F. Bock, op. cit., p. 59. Jean-Baptiste Duroselle évoque le chiffre de 220 : voir J.-B. Duroselle, La France et les Français 1914-1920, Paris, Éditions Richelieu, 1972, p. 122.
  • [21]
    À titre d’exemple, on peut signaler que, sur les 23 députés mobilisés ou engagés du département de la Seine, 15 ont effectivement rejoint un régiment et que parmi ces 15, 7 ont eu l’expérience de la première ligne. Voir Paul Baquiast, « Héros ou embusqués ? Les parlementaires de la Seine mobilisés et engagés volontaires de la Première Guerre mondiale » in Jean-Marie Mayeur (dir.), Les Parlementaires de la Seine sous la IIIe République, tome 1, Études, Paris, Publications de la Sorbonne, 2001, p. 210. Il faut aussi noter que certains des députés mobilisés ou engagés avaient décidé de se mettre en congé total vis-à-vis de la Chambre, privilégiant ainsi leur devoir militaire : voir Fabienne Bock, Op. cit., p. 114.
  • [22]
    C’est le cas d’une partie des archives des commissions du Sénat.
  • [23]
    Certains extraits de rapports ou d’échanges entre les membres des commissions et les ministres ont été publiés dans Mermeix, Au sein des commissions, Paris, Librairie Ollendorf, 1924.
  • [24]
    Voir Anne Duménil, « La commission sénatoriale de l’armée et les militaires pendant la Grande Guerre » dans Olivier Forcade, Éric Duhamel, Philippe Vial (dir.), Militaires en République, 1870-1962, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999, pp. 313-323.
  • [25]
    Loi Dalbiez du 17 août 1915 dont les résultats furent jugés insuffisants par les parlementaires qui votèrent une nouvelle loi, la loi Mourier du 10 août 1917. Dans cette chasse aux embusqués, les parlementaires, essentiellement de gauche, voulurent placer le Parlement au centre de l’action ; c’était un moyen de répondre à une inquiétude très diffusée dans l’opinion, moyen aussi de disculper les assemblées car beaucoup voyaient dans les parlementaires les premiers des embusqués (du fait du statut accordé aux députés et sénateurs mobilisés). Voir sur cette question Charles Ridel, Les embusqués, Paris, Armand Colin, 2007, surtout le chapitre 4 « La “chasse” aux embusqués », pp. 153-205, et sa contribution infra, pp. 31-45.
  • [26]
    Voir René Samuel, op. cit., p. 129.
  • [27]
    La problématique de Pierre Renouvin concernait beaucoup plus la mise en place des nouvelles administrations liées à l’effort de guerre que le fonctionnement politique des institutions comme le parlement.
  • [28]
    On en voit un exemple dans le contrôle des marchés de guerre (armes, munitions, vêtements et nourriture) conclus entre l’État et des entreprises privées. Plusieurs abus furent dénoncés dans l’une ou l’autre chambre grâce au travail des commissions des Marchés de guerre. Mais que pouvait peser la capacité de travail parlementaire face au chiffre astronomique de 100 000 marchés passés par le ministère de la Guerre entre le début des hostilités et la fin de l’année 1915 ? (chiffre donné en séance à la Chambre par Gallieni le 17 décembre 1915 et cité par Fabienne Bock, op. cit., p. 141, note 29).
  • [29]
    Chiffres cités dans Anne Duménil, ibid., p. 315. Les archives de la commission sont encore conservées au Sénat.
  • [30]
    D’après Mermeix, op. cit., pp. 141-142.
  • [31]
    Le compromis est intervenu sur le principe suivant : dans la zone des armées, les délégués parlementaires n’ont pas l’entière liberté de contrôle, d’enquête et d’information ; ils doivent se plier dans le détail aux ordres reçus de l’État-major. Viviani dans son grand discours du 26 août a eu cette formule : « liberté, illimitée dans la zone de l’intérieur et liberté qui se rétrécit et s’amincit – le Parlement le comprend – à mesure que le contrôle se rapproche du front, c’est-à-dire se rapproche de cette action militaire à laquelle aucun sénateur ni aucun député n’a jamais voulu se mêler ». Cité par Georges Bonnefous, Histoire politique de la Troisième République, tome second, La Grande Guerre (1914-1918), Paris, Presses universitaires de France, 1957, p. 81.
  • [32]
    Voir Général Pédoya (député de l’Ariège), La Commission de l’Armée pendant la Grande guerre. Documents inédits et secrets, Paris, Flammarion, 1921.
  • [33]
    Les parlementaires furent informés des défauts de la mise en défense de Verdun par un parlementaire mobilisé, le lieutenant-colonel Driant (tué au combat le 21 février 1916). C’est ce qui permit au ministre de la Guerre, Gallieni d’écrire à ce sujet à Joffre (le 16 décembre). La position de Joffre était de plus en plus affaiblie et le fut plus encore avec l’organisation du premier comité secret du 16 au 22 juin 1916. Voir Jean-Baptiste Duroselle, Op. cit., p. 132 et p. 138.
  • [34]
    Voir le témoignage de Maurice Viollette (député d’Eure-et-Loir), Journal de guerre 1913-1919, Paris, Office d’édition du livre d’histoire, 1994, p. 112 (il ne s’agit pas à proprement parler d’un « journal » mais d’un récit écrit pendant l’Occupation alors que Maurice Viollette se trouve en résidence surveillée à Redon).
  • [35]
    Les comités secrets scandent la lente mais inexorable crise de confiance politique dont souffre le gouvernement Briand : Briand a obtenu 444 voix contre 80 le 22 juin 1916 puis 360 contre 141 le 7 décembre (troisième comité secret) et 313 contre 135 le 27 janvier 1917 (quatrième comité secret consacré aux affaires d’Orient). La démission de Lyautey, ministre de la Guerre, qui refuse par principe toute interpellation même en comité secret (cinquième comité secret du 14 mars 1917) porte le coup de grâce au gouvernement Briand.
  • [36]
    Même s’il obtient de beaux succès de façade : il a une majorité de confiance de 467 contre 52 le 4 juin 1917 (sixième comité secret) puis de 442 contre 21 le 7 juillet (septième comité secret). Cela ne l’empêche pas d’être contraint à la démission deux mois plus tard.
  • [37]
    Un exemple de la synergie qui lie contrôle parlementaire aux armées et contrôle du Gouvernement par les commissions à Paris : le socialiste Aristide Jobert, ancien collaborateur de la Guerre sociale de Gustave Hervé, a pu se rendre en tant que membre de la commission des comptes définitifs en mission pour enquêter sur les mutineries, à Soissons, à Vailly, à Missy-au-Bois : il en revient plus décidé que jamais à plaider l’amnistie des mutins auprès de ses collègues. Voir A. Jobert, op. cit., p. 157.
  • [38]
    À l’instar de Clemenceau qui y était d’abord favorable. C’est le cas aussi, plus logiquement, de Maurice Barrès, choqué par la remise en cause des chefs militaires et les discussions portant sur les opérations militaires en propre : voir L’Œuvre de Maurice Barrès, op. cit., t. 18, pp. 266-268.
  • [39]
    Il a été nommé membre de la commission au début de la guerre, en janvier 1915, en profitant de l’élargissement de ladite commission. Pour se préparer à assumer une charge de travail accrue, la commission est passée de 27 à 36 membres. Dans le même ordre d’idées, elle s’est subdivisée en plusieurs sous-commissions : explosifs, effectifs, service de santé, armements. Voir Anne Duménil, art. cit., p. 317.
  • [40]
    Reportage, photos à l’appui, dans L’Illustration en janvier 1916 : Clemenceau dans les tranchées de la forêt d’Apremont, avec les poilus. Voir Jean-Baptiste Duroselle, Clemenceau, Paris, Fayard, 1988, p. 597.
  • [41]
    Outre Jean-Baptiste. Duroselle (chap. XIX « 1917 : comment Clemenceau accéda au pouvoir »), voir David Robin Watson, Georges Clemenceau. A Political Biography, Londres, Eyre Methuen, 1974.
  • [42]
    Sur l’impulsion de Painlevé, un statut détaillé de l’exercice du contrôle parlementaire aux armées avait été adopté le 21 octobre 1917. Voir le texte dans général Pédoya, op. cit., p. 42.
  • [43]
    Le 20 novembre 1917, les 11 janvier, 8 mars, 4 juin, 1er août, 6 et 22 novembre, 11 et 30 décembre 1918.
  • [44]
    La confiance est cependant votée par 377 députés contre 110. Sur l’ensemble de l’année (novembre 17-décembre 18), la majorité Clemenceau se situe entre 330 et 370 voix environ. L’opposition se compose des trois quarts du groupe socialiste, parfois plus, et d’une nébuleuse composée de quinze à trente députés radicaux-socialistes, républicains socialistes et radicaux indépendants.
  • [45]
    Maurice Viollette, Op. cit., p. 80.
  • [46]
    Les livres du général Pédoya et de René Samuel sont des exceptions.
  • [47]
    Celui, célèbre, de Pierre Renouvin se consacre significativement à la mutation de l’appareil d’État. Celui de Henri Chardon, L’organisation de la République pour la paix, (Publications de la Dotation Carnegie pour la paix internationale, Presses universitaires de France, 1927, XXVII-163 p.) expose les idées de l’auteur déjà formulées avant guerre, sans tenir compte des leçons de la guerre. Il n’y a que deux ou trois allusions au Parlement. Elles ne sont d’ailleurs pas défavorables, Chardon reconnaissant p. 58 : « Ce n’est un mystère pour personne qu’elles [les commissions parlementaires] ont rendu pendant la guerre des services signalés ; elles ont puissamment contribué au salut du pays ».

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