Couverture de PARL2_HS17

Article de revue

La réglementation urbaine sur les porcs à Mexico au XVIIIe siècle

Pages 143 à 150

Notes

  • [1]
    AGN, abasto y panaderías, vol. 8, exp. 16, fs. 260-300. AGN, bandos, vol. 16, exp. 48, fs. 115. AGN, indiferente virreinal, caja 129, exp. 31, fs. 1. AGN, indiferente virreinal, caja 1797, exp. 26, fs. 1. AGN, indiferente virreinal, caja 3015, exp. 6, fs. 1. AGN, indiferente virreinal, caja 6615, exp. 32, fs. 1. AHDF, ayuntamiento, bandos, caja 92, exp. 66. AHDF, ayuntamiento, policía: salubridad, zahurdas, vol. 3687, exp. 12, fs. 12.
  • [2]
    Sur le rôle des cochons pendant la conquête et les premiers temps de la colonisation, Matesanz José, « Introducción de la ganadería en Nueva España (1521-1535) », Historia Mexicana, vol. 14/4, abril-junio de 1965, p. 533-566 ; del Río Moreno José, « El cerdo. Historia de un elemento esencial de la cultura castellana en la conquista y colonización de América (siglo XVI) », Anuario De Estudios Americanos, no 53/1, 1996, p. 13-35 et Gómez Gómez Mauricio Alejandro, « Cerdos y control social de pobres en la provincia de Antioquia, siglo XVIII », Anuario Colombiano de Historia Social y de la Cultura, vol. 43, no 1, p. 31-59, 2016.
  • [3]
    Bejarano Ignacio (ed.), Actas del cabildo de la Ciudad de México, México, edición del Municipio Libre, 1889, p. 106, 108, 114 et 124.

Règlement sur les porcs à Mexico du 17 février 1792 du vice-roi Revillagigedo

1 « Don Juan Vicente de Güémez Pacheco de Padilla Horcasitas y Aguayo, comte de Revilla Gigedo, lieutenant général des armées royales, vice-roi, gouverneur et capitaine général de la Nouvelle-Espagne […].

2 Il est opportun de renouveler les mesures importantes prises par les commissions de police et des poids et mesures de cette très noble ville contenues dans les règlements des 22 décembre 1756 et 28 septembre 1778. J’ordonne que soit observé et appliqué ce qui y est prescrit dans l’un et dans l’autre règlements […].

3 Le premier est de la teneur suivante : “Les propriétaires des commerces de charcuterie de cette ville ont fait état à ce tribunal [Commission municipale de police des poids et mesures] du désordre total qu’il y a dans la vente de viandes et autres produits dérivés des porcs et des abus pernicieux consécutifs à leur vente au détail toute l’année dans les rues, places, couvents, auberges et autres parages où sont consommés des porcs entretenus dans les ordures, des bouillies infâmes et autres immondices et dépôts sauvages, se trouvant dans les rues ou élevés dans les recoins et les faubourgs de cette ville grâce aux avances faites par les nombreux revendeurs qui abondent dans ce commerce illicite ; il en résulte non seulement une tromperie pour le public et un préjudice pour les marchands de porcs, mais le plus grave est que cela occasionne des maladies dans le voisinage en raison de la toxicité de ces viandes et que cela génère des bénéfices parmi ceux qui introduisent ces produits en sortant sur les chemins pour les intercepter, les acheter et les stocker dans les auberges ou les entrepôts pour les revendre au détail, avec tromperie et sans autre forme de jugement que de regarder leurs propres intérêts. Tout cela se commet en totale contravention avec les ordonnances royales et les ordres supérieurs émis pour le bon gouvernement et le fonctionnement de ce commerce et contre les lois et les droits qui l’interdisent formellement sous de graves peines. C’est la raison pour laquelle la requête a été traitée par le Procureur général de cette ville qui ordonne que ces résolutions soient accomplies et c’est ainsi que le décide ce tribunal après avoir consulté et obtenu l’approbation du très Excellent vice-roi, gouverneur et capitaine général de la Nouvelle-Espagne. Le décret supérieur du 10 décembre (1756) confirme la décision de la commission des Poids et Mesures et ordonne son observation. Et, afin d’être appliquée comme elle se doit, les magistrats ont dit qu’à partir de maintenant, aucune personne, quels que soit son état, sa qualité et sa condition, ne pourra sortir par les chemins, chaussées et les alentours pour acheter et revendre aucune viande de porcs ou de cochons de lait, ni aucun autre produit dérivé de charcuterie, ni ne pourra les tuer, les commercialiser et les revendre dans cette ville, dans ses rues, sur les places et les étals, dans les couvents, les ranchs et les débits ni dans aucun autre parage mais devront égorger les cochons seulement dans les établissements enregistrés dans le règlement sur les charcuteries. Ceux qui introduisent les porcs depuis Toluca, Puebla ou d’autres juridictions ne peuvent non plus, au titre d’encomenderos, avoir des étals publics ou cachés nulle part étant donné que la vente au détail de viande et de charcuterie doit se faire précisément au pont du Palais royal, comme de coutume ; et s’il arrivait qu’il n’y ait pas de place en raison de l’affluence, ils le feront à côté ou là où le collecteur de la Plaza Mayor leur assignera une place. Avant de les vendre au détail, les conducteurs de troupeaux de porcs devront alors d’abord passer au Tribunal des Poids et Mesures avec un billet délivré par la Douane royale. Tout cela doit être strictement observé sous les peines contenues dans les ordonnances et résolutions supérieures avec perte des produits qui seront confisqués et une amende de 50 pesos qui sera affectée au tribunal et au dénonciateur en plus des peines supplémentaires, selon la contravention. Et afin que nul n’ignore ces dispositions, ce règlement sera publié et affiché aux endroits habituels et dans d’autres endroits opportuns, et les dénonciateurs rendront compte aux magistrats de ce tribunal de ceux qui contreviendraient à ce règlement”.

4 Le décret expédié en 1778 par la commission des poids et mesures est de la teneur suivante : “Étant donné ce qu’a rapporté Monsieur le Procureur général don Francisco María de Herrera à la commission de police du 22 août (1778) à propos des préjudices, ornières, bourbiers et dommages commis dans les rues pavées par l’abondance de porcs lâchés dans les rues et les parages publics de cette capitale, la Commission a réitéré et publié à nouveau le règlement du 23 août 1770. Étant donné que notre principale préoccupation est de veiller à la propreté publique, au dégagement des rues et d’éviter les dommages préjudiciables à la santé, au bien public et aux rues nouvellement et soigneusement pavées ; étant donné que les cochons abondamment lâchés dans les rues avec leurs poux et leurs tiques saccagent tout sur leur passage en fouissant le pavé ce qui provoque mares et bourbiers, nous avons consulté le Très Excellent Vice-roi de ce royaume qui, par son décret supérieur du 2 août, a émis un règlement qui réitère la législation antérieure et interdit formellement à quiconque, quels que soient son état, sa qualité et sa condition, d’avoir des cochons dans les rues et les parages publics sous peine de perdre ses bêtes et d’une amende de cinq pesos versée aux travaux publics. Et, afin que le décret soit bien appliqué, tout habitant pourra librement tuer l’animal et l’emporter sans que le propriétaire ne puisse récupérer la viande car le fait d’être en dehors de la maison et de divaguer dans les espaces publics enlève au propriétaire tout droit sur l’animal qui appartient au premier qui le trouve.

5 Et si le propriétaire tentait de le récupérer hardiment avec insultes et coups auprès de celui qui l’aurait enlevé, cette commission engagera contre ce dernier une procédure en lui appliquant une peine dans toute sa rigueur. Les membres du tribunal donnent commission à tous les habitants et les ministres du tribunal royal afin qu’ils surveillent et veillent à ce que cette mesure soit bien appliquée. Afin qu’elle soit connue de tout un chacun, cette mesure sera imprimée et affichée aux endroits habituels dans les rues. Fait à Mexico le 28 septembre 1778”.

6 Mais étant donné que les circonstances actuelles sont différentes de celles où les règlements antérieurs ont été publiés, je déclare que les sites où la vente des produits de charcuterie autorisés en dehors des établissements enregistrés doit se faire sur la place du Volador comme cela est signalé dans le nouveau règlement sur les marchés. Par parages publics, il faut comprendre tous les alentours de cette ville. J’interdis par conséquent que ces ventes se fassent ensemble ou en masse et, pas au-delà de ce que pourrait consommer une famille afin d’éviter la revente. La commission confisquera ce qui sera vendu dans les auberges et tout autre secteur extérieur aux endroits définis. J’interdis formellement l’élevage de cochons dans cette capitale à l’intérieur de l’octroi et dans tout autre parage public où il faut inclure les faubourgs et les environs. Il sera uniquement permis d’élever ces animaux à l’extérieur de la limite fiscale dans de petits enclos. Ceux qui seront appréhendés en train de vagabonder dans la ville pourront être attrapés par quiconque. Les propriétaires en perdront la propriété et je leur ordonne, dans un délai d’un mois, de les vendre ou de les égorger. Afin que le règlement soit connu de tout un chacun, observé et appliqué, il sera imprimé et affiché aux endroits habituels et des exemplaires distribués aux commissions de police et des poids et mesures pour son application et pour leur connaissance aux magistrats au civil comme au criminel du Tribunal royal. México 17 février 1792. »

7 Ce règlement imprimé se trouve en plusieurs exemplaires dans plusieurs fonds aux Archives Générales de la Nation (AGN) ainsi qu’aux Archives historiques de la Ville de Mexico (AHCM) [1]. Retranscription et traduction élaborées par Arnaud Exbalin.


8 Inconnu des sociétés précolombiennes, le porc a été introduit dans les Amériques dès le second voyage de Christophe Colomb (1493) dans l’île d’Hispaniola. Il proliféra avec une étonnante rapidité dans la Caraïbe et constitua la base carnée du régime alimentaire des Européens. Contrairement aux armes à feu, aux chevaux et aux chiens de guerres, les porcs n’appartiennent pas à la trilogie victorieuse des chroniques de la conquête du Nouveau Monde où ils sont rarement cités. Pourtant sans les porcs, les soldats de Cortés et de Pizarro n’auraient pu subsister. Ils jouèrent un rôle déterminant – et sous-estimé par les historiens spécialistes de l’époque coloniale – lors des expéditions militaires, des sièges, des fondations urbaines et plus généralement pendant toute la colonisation castillane du Nouveau Monde [2]. Le cochon est un animal qui s’acclimate facilement ; omnivore, il se nourrit de ce qu’il trouve en fouissant le sol, adore le maïs qui abonde grâce au tribut versé par les Indiens et a l’avantage de suivre la troupe y compris dans les régions montagneuses. Dans les villes des Indes espagnoles, son abondance fut si précoce et si commune que les échevins durent légiférer en matière de police comme en témoignent les comptes rendus des décisions municipales (Actas de cabildo) de 1526-1527, soit cinq ans après le siège de Tenochtitlan [3]. Cette réglementation, de teneur très comparable à celle en vigueur dans les Castilles et dans les métropoles européennes à la même période, a une longue histoire dans les villes des Indes.

9 Le règlement que nous proposons d’étudier a été émis par le second comte de Revillagigedo le 17 février 1792. Il vient renouveler deux décrets antérieurs publiés par la commission municipale de police et des poids et mesures de 1756 et de 1778 qui sont retranscrits dans le texte normatif de 1792. Le vice-roi dans les Indes espagnoles est le premier représentant du monarque dans les Amériques, ici le royaume de la Nouvelle-Espagne. À partir de la deuxième moitié du xviiie siècle, il intervient régulièrement dans les attributions policières de la municipalité et donc des animaux (porcs, chevaux, chiens, vaches laitières). Ce document confirme le rôle croissant du vice-roi en la matière, attestant de la percée d’une conception royale de l’ordre urbain dans une ville traditionnellement gouvernée par les différents tribunaux des corps constitués.

10 Le règlement porte sur la présence de cochons gyrovagues dans les rues de Mexico et sur la vente au détail de produits issus de la découpe du porc. Pour des raisons de place je me limiterai à aborder trois aspects du document.

11 Le premier aspect saillant de la réglementation policière est la place circonscrite accordée aux suidés dans la ville. Un bon cochon est un animal enfermé dans les maisons, dans des enclos ou alors un animal mort découpé prêt à être consommé. Les autorités urbaines cherchèrent par tous les moyens à limiter ses déplacements dans les rues et à interdire la vaine pâture comme dans les villes européennes. Point d’exotisme, ni de dimension raciale dans cette législation coloniale puisque les décrets et les peines (amende et confiscation de l’animal divagant) s’appliquent à tous les habitants indépendamment de leur qualité, comprendre leur « race ». Les trois règlements (1756, 1778, 1792) insistent tous sur les désordres occasionnés par les troupeaux de porcs : parasites, poux et tiques qui contaminent le voisinage et les autres animaux domestiques (dont les prestigieux chevaux du Roi), dommages occasionnés sur la voirie et les murs (le règlement de 1778 insiste sur le pavement neuf des rues), bourbiers créés par les animaux pour se recouvrir de fanges et pestilences des déjections. Les cochons vivants devaient être enregistrés à l’entrée des guérites qui ponctuaient la limite fiscale de l’octroi où les propriétaires payaient des droits pour être ensuite conduits sur des lieux de vente assignés et spécifiés dans la réglementation : la Plaza Mayor, le pont du Palais royal, puis à partir de 1790 la Plaza del Volador ou alors dans les commerces de charcuterie organisés en corporation, avec ses droits et privilèges, où la viande était transformée et la graisse récupérée.

12 Le second aspect important concerne justement le commerce de la viande. La chose est connue, tout est bon dans le cochon, toute chair et éléments de ses entrailles est consommée, ses tendons servent à faire de la colle, sa peau grillée est consommée, et sa graisse sert à frire (le saindoux) mais aussi à éclairer (suif) les maisons et les très nombreux couvents – près de la moitié du foncier à Mexico appartenait aux ecclésiastiques à la fin du xviiie siècle. L’élevage et le commerce de la viande de porc sont donc une donnée essentielle de l’économie domestique, qui enrôlait une grande quantité de métiers (conducteurs, pâtres, équarrisseurs, bouchers, saleurs, fondeurs de graisse, cuisiniers, vendeurs ambulants au détail). Le règlement de 1756 s’en prend aux regatones, c’est-à-dire aux petits revendeurs qui court-circuitaient l’approvisionnement, captaient les troupeaux de porcs venant de Toluca et Puebla, régions traditionnelles d’élevage porcin, les achetaient avant de les introduire dans la ville, les égorgeaient et les débitaient pour vendre la charcuterie aux coins de rue, s’affranchissant ainsi à la fois du monopole des charcutiers et des droits de douane. L’élevage et le commerce des porcs relevaient essentiellement des populations pauvres de la capitale. Un cochon adulte de 100 à 120 kg, facile à élever, à nourrir et à garder, peut subvenir à une famille pendant plusieurs mois. Les cochons gyrovagues, cibles de la réglementation urbaine, appartenaient en majorité à des familles vivant dans les faubourgs de la ville, ce qui m’amène à aborder le troisième aspect de la réglementation.

13 Le règlement de 1792 encourage les populations à faire la police en éliminant eux-mêmes les cochons divaguant : « tout habitant pourra librement tuer l’animal et l’emporter sans que le propriétaire ne puisse le récupérer ». Cette disposition n’est pas une « invention biopolitique » des Lumières puisqu’elle apparaît déjà dans les premières mesures municipales de 1526. Le règlement précise que le propriétaire perd son pouvoir de domination sur l’animal si celui-ci divague librement. Il va plus loin que la réglementation du xvie siècle, en prévoyant de châtier le propriétaire qui chercherait à récupérer son animal. On imagine sans peine les conflits suscités par une telle mesure et les excès commis pendant les battues aux porcs gyrovagues. Mais dans une ville notoirement sous-dotée en main-forte et en auxiliaires de police, la solution retenue par le vice-roi fut de reporter l’exercice du contrôle social sur le voisinage en encourageant les dénonciations puisqu’un tiers des amendes revient aux dénonciateurs (50 pesos représente quatre mois de salaire d’un garde nocturne) et en déléguant l’exercice de la violence légitime.

14 La disparition des cochons du paysage animal n’est finalement pas une spécificité européenne et les polices municipales des cités du Nouveau Monde, à l’image de Mexico, participèrent, elles aussi, via une réglementation policière de plus en plus contraignante, au processus de contention animale dans les villes.


Date de mise en ligne : 13/10/2022

https://doi.org/10.3917/parl2.hs17.0143

Notes

  • [1]
    AGN, abasto y panaderías, vol. 8, exp. 16, fs. 260-300. AGN, bandos, vol. 16, exp. 48, fs. 115. AGN, indiferente virreinal, caja 129, exp. 31, fs. 1. AGN, indiferente virreinal, caja 1797, exp. 26, fs. 1. AGN, indiferente virreinal, caja 3015, exp. 6, fs. 1. AGN, indiferente virreinal, caja 6615, exp. 32, fs. 1. AHDF, ayuntamiento, bandos, caja 92, exp. 66. AHDF, ayuntamiento, policía: salubridad, zahurdas, vol. 3687, exp. 12, fs. 12.
  • [2]
    Sur le rôle des cochons pendant la conquête et les premiers temps de la colonisation, Matesanz José, « Introducción de la ganadería en Nueva España (1521-1535) », Historia Mexicana, vol. 14/4, abril-junio de 1965, p. 533-566 ; del Río Moreno José, « El cerdo. Historia de un elemento esencial de la cultura castellana en la conquista y colonización de América (siglo XVI) », Anuario De Estudios Americanos, no 53/1, 1996, p. 13-35 et Gómez Gómez Mauricio Alejandro, « Cerdos y control social de pobres en la provincia de Antioquia, siglo XVIII », Anuario Colombiano de Historia Social y de la Cultura, vol. 43, no 1, p. 31-59, 2016.
  • [3]
    Bejarano Ignacio (ed.), Actas del cabildo de la Ciudad de México, México, edición del Municipio Libre, 1889, p. 106, 108, 114 et 124.

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