Notes
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[1]
Machu Laure, Les conventions collectives du Front populaire. Constructions et pratiques du système français de relations professionnelles, thèse de d’histoire contemporaine sous la direction de Catherine Omnès, Université de Paris Nanterre, 2011 ; Machu Laure, « La convention collective, fondatrice de nouveaux rapports sociaux et politiques ? », in Gilles Morin, Gilles Richard (dir.), Les deux France du Front populaire, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 199-209.
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[2]
Au lycée, ce document peut être utilisé dans le cadre du programme de Terminale pour traiter le premier chapitre du thème 1, « Fragilité des démocraties, totalitarismes, Seconde Guerre mondiale », consacré aux conséquences de la crise de 1929.
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[3]
Rudischhauser Sabine, « Les conventions collectives, regards croisés sur la fondation des modèles sociaux », in Michèle Dupré et al. (dir.), Trajectoires des modèles nationaux. État, démocratie et travail en France et en Allemagne, Bruxelles, Peter Lang, 2012, p. 157-186.
-
[4]
Prost Antoine, « Les grèves de mai-juin 1936 revisitées », Le Mouvement Social, no 200, juillet-septembre 2002, p. 33-54.
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[5]
Sur ces aspects, voir Omnès Catherine, « Qualifications et classifications professionnelles dans la métallurgie parisienne, 1914-1936 », Revue du Nord, no 15, 2001, p. 307-322.
1Article 1 – Le présent contrat règle les rapports entre employeurs et ouvriers des industries métallurgiques, mécaniques et connexes de la région parisienne […].
2Article 3 – L’observation des lois s’imposant à tous les citoyens, les employeurs reconnaissent la liberté d’opinion ainsi que le droit pour les travailleurs d’adhérer librement et d’appartenir à un syndicat professionnel constitué en vertu du livre III du Code du travail. Les employeurs s’engagent à ne pas prendre en considération le fait d’appartenir ou de ne pas appartenir à un syndicat pour arrêter leur décision en ce qui concerne l’embauchage, la conduite ou la répartition du travail, les mesures de discipline ou de congédiement. Si une des parties contractantes conteste le motif du congédiement d’un travailleur comme ayant été effectué en violation du droit syndical ci-dessus rappelé, les deux parties s’emploieront à reconnaître les faits et à apporter aux cas litigieux une solution équitable. Cette intervention ne fait pas obstacle au droit pour les parties d’obtenir judiciairement réparation du préjudice causé. L’exercice du droit syndical ne doit pas avoir pour conséquence des actes contraires aux lois.
3Article 4 – Dans chaque établissement occupant plus de dix ouvriers, il est institué dans chaque atelier ou fraction d’atelier des délégués ouvriers, titulaires ou suppléants.
4Article 5 – Le délégué est le représentant de son groupe d’ouvriers auprès de la direction. Les délégués ont qualité pour présenter à la direction les réclamations individuelles qui n’auraient pas été directement satisfaites, visant l’application des lois, décrets et règlements du Code du travail, des tarifs de salaires et des mesures d’hygiène et de sécurité.
5Article 6 – Les attributions du délégué sont nettement délimitées à l’article 5 précédent. […]
6Article 8 – Chaque délégué recevra une indemnité égale au salaire moyen perdu du fait de l’exercice de ses fonctions de délégué du personnel avec un maximum de dix heures par mois, sauf cas exceptionnel. Chaque délégué continuera à travailler normalement dans son emploi. Sauf cas exceptionnel, la durée du travail du délégué ne devra pas être inférieure à 75 % de la durée journalière moyenne de sa catégorie. Les délégués ne peuvent en aucun cas être congédiés pour l’exercice de leur fonction […].
7Article 19 – Salaires.
8A. Définition
91) On entend par ouvrier qualifié ou ouvrier professionnel, un ouvrier possédant un métier dont l’apprentissage peut être sanctionné par un CAP et ayant satisfait l’essai professionnel d’usage.
102) On entend par ouvrier spécialisé un ouvrier exécutant sur des machines-outils, au montage, à la chaîne, au four, etc., des opérations qui ne nécessitent pas la connaissance d’un métier, dont l’apprentissage peut être sanctionné par un CAP.
11B. Travaux à l’heure
12Le salaire horaire minimum pour les travaux à l’heure sera conforme au salaire minimum prévu au présent contrat.
13C. Travail aux pièces à la prime ou au rendement
14Les tarifs des travaux exécutés aux pièces, à la prime, à la chaîne ou au rendement devront être calculés de façon à assurer à l’ouvrier ou à l’ouvrière travaillant normalement un salaire supérieur au salaire minimum de sa catégorie. L’ouvrier ou l’ouvrière travaillant aux pièces, à la prime, à la chaîne ou au rendement a la garantie du salaire horaire correspondant à sa catégorie pendant une période considérée comme normale pour permettre son adaptation à un travail nouveau. […]
15D. Jeunes ouvriers
16Au-dessus de dix-huit ans, les jeunes ouvriers et ouvrières professionnels ou spécialisés sont considérés comme adulte et recevront le salaire de leur catégorie à condition de justifier d’une capacité professionnelle suffisante.
17Salaires horaires minima garantis
Manœuvres femmes 4,25 francs
Manœuvres hommes gros travaux 5,40 francs
Manœuvres hommes ordinaires 5 francs
OS Hommes sur machines 6,25 francs
OS Femmes sur machine 5,30 francs
OS Hommes (montage et divers) 6,10 francs
OS Femmes (montage et divers) 4,90 francs
Ouvriers professionnels machines fabrication 7.20 francs
Professionnel d’outillage 7.75 francs
Jeunes : 14 à 15 ans 2 francs / 15 à 16 ans : 4 francs, 16 à 18 ans : 5. […]
19Article 20 – Les employeurs feront connaître leurs besoins de main-d’œuvre aux offices paritaires de placement qui s’efforceront d’y satisfaire ainsi qu’aux syndicats professionnels ouvriers et patronaux […]. Ils pourront en outre recourir à l’embauchage direct. Toutefois, les offres d’embauches par affiche ayant donné lieu à des abus auxquels les parties contractantes désirent mettre fin, il est entendu que ces affiches ne devront être apposées que dans un rayon de dix kilomètres autour de l’entreprise. […]
20Dans les entreprises dont la marche est sujette à des fluctuations, il sera fait appel de préférence, lorsqu’il sera procédé à des réembauchages, aux ouvriers et ouvrières qui auraient été licenciés précédemment pour manque de travail. […]
21Article 21 – La durée du délai-congé réciproque en application présentement sauf cas de faute grave ou de force majeure est équivalente à celle du travail hebdomadaire dans l’entreprise. Dans le cas d’inobservation du délai-congé par la partie qui aura pris l’initiative de la rupture, l’indemnité sera au moins égale au salaire minimum correspondant à la durée hebdomadaire du travail en vigueur prévue par la législation en vigueur. […]
22Article 22 – Les absences justifiées par l’incapacité résultant de la maladie ou d’accident ne constituent pas une rupture du contrat de travail. Toutefois, dans le cas où ces absences imposeraient le remplacement effectif des intéressés, ceux-ci auront droit de préférence au réembauchage.
23Article 25 – Dans tous les cas de réclamations collectives les parties contractantes s’engagent à respecter un délai d’une semaine franche en vue de l’examen en commun desdites réclamations et avant toute mesure de fermeture d’établissement ou de cessation de travail. »
24« Convention collective entre le groupe des industries métallurgiques, mécaniques et connexes de la région parisienne […] et l’Union syndicale des travailleurs de la métallurgie, voiture, aviation, maréchalerie, et similaires de la région parisienne (12 juin 1936) Journal Officiel, 9 janvier 1937, p. 417-419.
25******
26À l’été 1936, un puissant mouvement social permet d’obtenir une série d’avantages – augmentations de salaires, semaine de quarante heures, congés payés, etc. – qui représentent une nette embellie de la condition ouvrière. Si elles ne sont pas incluses dans le programme du Rassemblement populaire, les 5 000 conventions collectives signées dans la foulée des grèves sont l’un des acquis majeurs de la période [1]. Accords collectifs destinés à fixer à la fois les conditions de travail (salaires minima, tarification des heures supplémentaires, prescriptions relatives à l’hygiène et à la sécurité, etc.) et les relations entre patrons et ouvriers (création de commissions mixtes, de délégués d’atelier, etc.), les conventions collectives excluent la décision unilatérale du patron ou en tout cas l’individualisation de la négociation qui lui permettrait de dicter les conditions de travail. Elles sont donc un frein à l’arbitraire patronal ainsi qu’un outil pour unifier les conditions de travail et de rémunération.
27Dès la seconde moitié du xixe siècle, des tarifs et des contrats collectifs sont conclus dans des secteurs bien particuliers, notamment dans le bâtiment ou dans l’univers de la fabrique collective. Si la négociation collective ne date donc pas des années trente, le Front populaire représente a priori une étape importante pour son développement. Non seulement la vague de négociation inédite permet d’en généraliser le principe, mais la loi du 24 juin 1936 créé la convention collective de branche, qui permet d’étendre une convention signée à l’ensemble des entreprises et des salariés d’un secteur ou d’une région, y compris à ceux qui ne l’ont pas signée. Dans ce mouvement d’ensemble, la convention collective de la métallurgie parisienne est importante à plusieurs titres. Premier texte signé, quelques jours à peine après l’Accord Matignon, elle est envoyée par le ministère du Travail à ses inspecteurs, et, de fait, de nombreux textes s’en inspirent. Elle fait ainsi figure de convention modèle d’autant que la puissante Union des Industries métallurgiques et minières, dont le Groupe des industries métallurgiques, mécaniques et connexes de la région parisienne est membre, définit la ligne de l’ensemble du patronat en matière de politique sociale.
28Revenir sur le texte conclu dans la métallurgie le 12 juin 1936 permet donc de comprendre la manière dont les acteurs se sont saisis de la convention collective, ainsi que la portée des accords conclus [2].
29Il s’agit ici d’analyser l’apport de la convention collective à l’approfondissement de la démocratie sociale. Son impact sur la condition ouvrière, c’est-à-dire à la fois l’amélioration des conditions de travail et sa contribution à la construction d’un ordre salariale seront ensuite examinés.
Acteurs, champ et limite de la démocratie sociale
Acteurs et échelle de la négociation : naissance de la convention collective de branche
30La convention est signée par deux syndicats : il est important de le souligner parce que ce type d’accord n’a pas toujours été la forme dominante. Avant-guerre, 43 % seulement des accords collectifs sont négociés par un syndicat ouvrier, et 25 % par un syndicat patronal. Accord privé, la convention collective est publiée au Journal Officiel puisqu’elle a été étendue par le ministère du Travail. La loi du 24 juin 1936 permet en effet à l’État d’étendre une convention conclue par les syndicats les plus représentatifs à l’ensemble des salariés d’une branche d’activité. Est ainsi confié aux syndicats le soin de réglementer les conditions de travail d’un vaste ensemble de salariés qui outrepasse le cercle des adhérents. En leur attribuant de nouvelles fonctions qui vont au-delà de la défense des intérêts de leurs membres, la loi reconnaît la légitimité des syndicats, et en particulier de la CGT, à représenter l’ensemble des ouvriers. Cette reconnaissance est facilitée par le raz-de-marée syndical de l’été 1936.
31Conclue à l’échelle d’une région et pour l’ensemble des ouvriers et des ouvrières d’un secteur – ici la métallurgie – le texte est représentatif des accords signés pendant l’été 1936. Alors que la plupart des contrats collectifs signés avant-guerre ne concernaient qu’une localité, les accords du Front populaire témoignent d’une nette préférence pour l’échelle régionale mais aussi d’un refus des conventions nationales qui demeurent exceptionnelles. Alors que les conventions d’avant-guerre épousent des métiers particuliers – dans le bâtiment, les menuisiers, les charpentiers, les maçons, les plombiers, etc. relèvent de textes séparés – les accords du Front populaires couvrent l’ensemble des salariés d’un secteur particulier. La délimitation de l’espace de négociation n’est pas anodine : le remplacement des conventions locales par des conventions régionales permet par exemple de supprimer les écarts de salaires existant d’une ville à l’autre. Elle est étroitement liée à l’évolution des structures syndicales. Pour les ex-unitaires qui dirigent la Fédération, l’industrie, et non le métier, est désormais le cadre adéquat pour conduire la lutte et les négociations. De même, c’est la figure de l’OS ou du métallo, et non plus celle du mécanicien ou de l’opticien, qui fonde l’identité professionnelle des ouvriers métallurgistes. Ces conceptions inspirent la réorganisation des structures syndicales qui suit la réunification.
Des partenaires sociaux ?
32Si le texte souligne la place prise par les syndicats dans la négociation des conventions collectives, force est de constater que de telles relations ne semblent pas destinées à s’inscrire dans la durée. Conclue pour un an, la convention « se renouvellera […] pour une période indéterminée, sauf dénonciation dans les conditions prévues par l’article 31 m du Livre 1er du titre II du Code du Travail ». En droit, le renouvellement pour une période indéterminée signifie que l’une des deux parties peut à tout moment dénoncer la convention. À l’inverse, lorsque la convention est conclue pour une durée déterminée, il faut l’accord de l’autre partie pour la rompre. En Allemagne, dès le début du xxe siècle, la promotion de la paix sociale passe par la conclusion de conventions collectives à durée déterminée et la mise en place de commissions mixtes permanentes pour régler les conflits liés à leur application [3]. Ici, les signataires se bornent « en cas de réclamations collectives », à « respecter un délai d’une semaine franche en vue de l’examen en commun desdites réclamations et avant toute mesure de fermeture d’établissement ou de cessation de travail ». Ce type de clause consiste avant tout à retarder le déclenchement du conflit, mais aucune sanction ne semble prévue si le délai n’est pas respecté. Ces lacunes reflètent en partie la manière dont patrons et ouvriers envisagent les conventions collectives. Pour les unitaires, elles servent avant tout à consolider le résultat des grèves, et non à instaurer une paix sociale durable.
L’émergence d’un contre-pouvoir au sein des usines ?
33La contestation de l’arbitraire patronal, dont les armes sont l’amende et le congédiement, est un des motifs majeurs du mouvement de grève avec occupation d’usines qui se déclenche dès le mois de mai 1936 [4]. Pour les ex-unitaires, le « contrat collectif » précédé par l’élaboration d’un cahier de revendication permet avant tout d’établir un contrôle ouvrier sur les conditions de travail. À l’inverse, le patronat, traumatisé par les occupations d’usine qu’il considère comme une atteinte inacceptable à la propriété privée, entend préserver, voire réaffirmer son autorité, ainsi que sa liberté d’organiser et de contrôler le travail.
34L’instauration des délégués ouvriers et la reconnaissance du droit syndical (article 3) représentent un acquis majeur qui ouvre la voie à un rééquilibrage des relations sociales dans l’entreprise, au profit des ouvriers. La convention accorde l’élection de délégués d’ateliers qui ont pour fonction de représenter « [leur] groupe auprès de la direction » et de présenter les « réclamations individuelles ». Réclamés par les patrons lors de la signature des accords Matignon, ces délégués ne sont pas nommés par les syndicats comme l’aurait souhaité la CGT. Leurs attributions sont nettement bornées, contrairement aux réclamations des syndicats qui auraient souhaité notamment que les délégués puissent contrôler les licenciements et les embauches. Les délégués ne peuvent être licenciés dans le cadre de « l’exercice de leur fonction » (article 8). Toutefois, un patron prêt à y mettre le prix peut tout à fait se débarrasser d’un délégué trop revendicatif. En cas de licenciement, il revient au licencié de prouver devant les tribunaux qu’il a été licencié en raison de son activité – ce qui s’avère pratiquement impossible. S’il réussit, l’employeur sera condamné à verser des dommages et intérêts mais ne peut être contraint de le reprendre. La convention encadre et restreint donc le rôle du délégué.
35De manière générale, elle n’entame que faiblement le pouvoir patronal sur l’organisation du travail. On remarque ainsi que l’employeur continue de contrôler l’accès à la qualification. Selon le texte, l’ouvrier qualifié est « celui qui possède un métier dont l’apprentissage peut être sanctionné par un CAP et ayant satisfait à l’essai professionnel d’usage ». Pour être reconnu ouvrier qualifié, il faut passer l’essai professionnel dont les modalités sont définies unilatéralement par l’employeur. Véritable verrou patronal, le maintien de cet essai est expressément demandé par le GIM. Enfin, l’autonomie de l’employeur en matière d’embauche et de congédiement est pratiquement intacte (articles 20 à 22). Aucune pratique de closed-shop n’est imposée, et le patron n’est tenu que de contacter les « offices de placement » non d’y recourir exclusivement. La pratique de l’embauchage direct est maintenue.
Une amélioration de la condition ouvrière
36L’espoir d’une amélioration de la condition ouvrière est l’un des moteurs des grèves de 1936. Les salaires bien sûr, mais aussi la suppression ou la majoration des heures supplémentaires, la garantie de la pause casse-croûte, l’octroi de douches, de lavabo, de WC ou d’effets de protection : toutes ces clauses occupent à côté de la revendication du contrôle ouvrier ou de la reconnaissance du droit syndical une place non négligeable dans les cahiers de revendications, puis dans les conventions collectives. Toutes ces revendications ne sont pas forcément abordées : rien ne figure dans l’accord du 12 juin 1936 sur l’hygiène et la sécurité par exemple.
De confortables augmentations de salaires
37Lors de la négociation de l’Accord Matignon, la faiblesse des salaires ouvriers dans certains secteurs choque jusqu’aux patrons. Aussi, l’article 4 de l’Accord Matignon accorde-t-il non seulement une hausse des salaires réels comprise entre 7 et 15 %, mais aussi un rajustement des salaires anormalement bas que doivent réaliser les conventions collectives. L’Accord Matignon et, à sa suite, les conventions collectives s’inscrivent ainsi dans une politique revalorisation générale du pouvoir d’achat destinée à relancer l’économie. En signant la convention du 12 juin 1936, le patronat de la métallurgie parisienne concède une hausse uniforme de 22 % sur les salaires pratiqués en janvier 1936. Les salaires conventionnels sont supérieurs aux taux pratiqués en 1930 : d’environ 40 % pour les OS et de 10 % pour les professionnels d’outillage. Or, entre 1930 et 1936, le coût de la vie à Paris recule de 18 %. Le gain en pouvoir d’achat est donc ici compris entre 70 % pour les OS, et 35 % pour les professionnels.
Desserrer la contrainte du rendement
38Quelle que soit sa forme, le salaire au rendement permet de contrôler et d’intensifier le rythme du travail ouvrier. Dans les usines de la région parisienne, le salaire au temps est réservé à une minorité de professionnels et de manœuvres. L’article 19c apporte quelques améliorations, mais laisse une grande marge de manœuvre au patron pour son application. En effet, les barèmes de salaires minima expriment seulement la valeur du taux d’affûtage. Les syndicats ouvriers ne réussissent pas à installer, comme certains l’exigeaient, un véritable salaire de garantie puisque la convention collective ne fixe pas le pourcentage de marge entre les salaires minima horaires et les salaires des ouvriers payés aux pièces. Les patrons ont opposé un refus très ferme à cette exigence.
Le délai-congé
39La convention impose un délai-congé, c’est-à-dire l’équivalent du préavis de licenciement, d’une durée équivalente à la durée hebdomadaire du travail dans l’entreprise. Le Front populaire concrétise ainsi ce qui avait été refusé par les patrons, en 1903 puis en 1933, c’est-à-dire l’allongement et l’unification de la durée du délai-congé par le biais des contrats collectifs. Le délai-congé avait fait l’objet d’une première loi en 1928. Désormais, seules les conventions collectives – et non le règlement d’atelier rédigé unilatéralement par l’employeur – pouvaient déroger à l’obligation du délai-congé. L’application de la loi est le début d’une bataille juridique, qui va jusqu’à la Cour de Cassation, opposant précisément les deux parties signataires de la convention. Patrons et ouvriers ne sont pas d’accord sur la durée du délai-congé découlant des usages : les premiers prétendent qu’elle est d’une heure, les seconds d’une semaine. La signature de la convention du 12 juin 1936 tranche donc l’affrontement judiciaire en faveur des ouvriers.
Segmentation de la main-d’œuvre et construction d’un ordre salarial
40Pour les militants, les classifications représentent le principal apport des conventions collectives qui codifient, classent et hiérarchisent des centaines de postes ou de métiers. Les accords du Front populaire marquent l’abandon quasi définitif des tarifs qui établissent le prix des produits fabriqués au profit d’une classification des travailleurs. Loin d’être le reflet exact de l’organisation du travail, les classifications sont le fruit d’un rapport de force ou d’un compromis sur les critères qui fondent les hiérarchies salariales. La convention du 12 juin 1936 introduit une triple segmentation selon la qualification, le sexe et l’âge.
Les écarts selon la qualification
41Au début du siècle, les hiérarchies en vigueur distinguent les « professionnels » des « non-professionnels » ou encore les ouvriers de métier des petites mains. Entre ces catégories, les écarts sont importants : un compagnon gagne au moins le double du manœuvre. Progressivement, apparaissent de nouvelles catégories comme celle de manœuvre spécialisé. La tripartition ouvrier qualifié / ouvrier spécialisé/ manœuvre présente à l’article 19 témoigne d’une complexification des critères qui définissent la qualification. Telle qu’elle est définie par l’article 19, cette dernière repose ici à la fois sur le métier et le poste occupé. Ainsi, la convention distingue les ouvriers professionnels qui possèdent un métier, et les ouvriers spécialisés qui exécutent une tâche. L’ouvrier spécialisé se définit par sa position dans la division du travail résultant de la rationalisation comme le reflètent les catégories génériques d’« OS montage et divers » ou d’« OS sur machines » qui remplacent la catégorie unique de « manœuvre spécialisé ». Les premiers sont affectés sur les chaînes de montage pour effectuer des travaux manuels simples, les seconds travaillent sur machine. Ce qui les distingue est donc bien le rapport à la machine. Exigée par les patrons, la création de ces deux catégories contribue à inférioriser les travaux exécutés par les OS. La qualification ne définit pas seulement le type de poste que l’ouvrier est appelé à occuper, elle détermine également son salaire, et pour l’employeur le coût de la main-d’œuvre. Ici, l’accord reproduit les écarts de salaire en vigueur avant le Front populaire et préserve ainsi les salaires des ouvriers professionnels [5].
Les écarts selon le sexe
42La convention collective institutionnalise la ségrégation sexuelle. D’une part, la préférence donnée au CAP comme voie d’accès à la qualification désavantage les femmes car il n’existe pas de CAP féminins dans la métallurgie. C’est un recul puisque dans l’entre-deux-guerres, les femmes avaient investi les métiers masculins comme celui de soudeur, de fraiseur ou encore de régleur. Toutefois, l’aggravation de la division sexuelle que manifeste la convention ici étudiée, ne doit pas masquer le mouvement de promotion que représentent les conventions collectives pour les ouvrières employées dans d’autres secteurs ou d’autres régions. L’établissement des barèmes de salaire permet aussi de rendre visible la variété des postes occupés et des tâches effectuées par les femmes confortant ainsi l’élargissement de la gamme des métiers féminins au sein des usines. Enfin, si la convention laisse subsister à poste égal des écarts de salaires compris entre 18 %, pour le poste de manœuvre, et 24 % pour le poste d’OS, elle contribue aussi, sous l’effet du rajustement des « salaires anormalement bas » ou de la pratique des augmentations dégressives, à les comprimer. Ainsi, la convention de la métallurgie parisienne revient à l’abattement décidé par l’État pendant le premier conflit mondial, les écarts importants d’avant-guerre sont définitivement abolis.
Jeunes travailleurs et apprentis
43À l’instar des femmes, les jeunes travailleurs sont souvent représentés comme des catégories surexploitées. Ils peuvent avoir un double statut : celui d’apprenti ou de jeunes ouvriers à la production. Si les seconds doivent, selon les termes de la loi Astier, suivre des cours professionnels, ils ne bénéficient pas du contrat d’apprentissage qui détaille le contenu de la formation et impose de passer le CAP. Les apprentis forment le vivier des ouvriers qualifiés, tandis que les jeunes travailleurs se destinent à devenir OS. Rappelons toutefois que le CAP n’est pas strictement nécessaire pour devenir ouvrier qualifié, et qu’il ne garantit pas, à lui seul, d’occuper un tel poste.
44La convention collective confirme l’idée d’une infériorisation de la main-d’œuvre juvénile. Les jeunes travailleurs sans contrat d’apprentissage sont doublement pénalisés : pour déterminer leur salaire, les conventions collectives se réfèrent uniquement à leur âge déniant la difficulté des travaux qu’ils exécutent aussi bien que la valeur de l’expérience liée à leur ancienneté dans la profession. Quant aux apprentis de la métallurgie, la réglementation de leurs conditions de travail n’est pas précisée d’emblée, mais fait l’objet d’un additif à ce premier texte. À la fin de son apprentissage, le jeune touche 70 % du salaire du manœuvre ordinaire. Les conditions salariales sont donc nettement inférieures à celles des jeunes gens employés à la production qui, dès leurs 16 ans, sont rémunérés au même taux que le manœuvre. Ces caractéristiques révèlent l’attitude prudente du patronat de la métallurgie parisienne vis-à-vis de l’apprentissage qui tout en déplorant la crise de celui-ci ne s’engage pas dans la construction d’un véritable système de formation.
45•
46L’analyse de la convention collective de la métallurgie permet de comprendre la signification et la portée des accords conclus durant le Front populaire. En décalage avec les attentes manifestées par certains, la convention échoue à instaurer le contrôle ouvrier sur les conditions de travail comme à pacifier les relations industrielles. Relevant les salaires, elle marque une nette amélioration des conditions de travail. Mais elle n’élimine pas la fatigue que représente par exemple l’intensification du travail. La contribution la plus sûre et la plus durable demeure la construction d’un ordre salarial fondé sur la qualification, le sexe et l’âge.
Notes
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Machu Laure, Les conventions collectives du Front populaire. Constructions et pratiques du système français de relations professionnelles, thèse de d’histoire contemporaine sous la direction de Catherine Omnès, Université de Paris Nanterre, 2011 ; Machu Laure, « La convention collective, fondatrice de nouveaux rapports sociaux et politiques ? », in Gilles Morin, Gilles Richard (dir.), Les deux France du Front populaire, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 199-209.
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[2]
Au lycée, ce document peut être utilisé dans le cadre du programme de Terminale pour traiter le premier chapitre du thème 1, « Fragilité des démocraties, totalitarismes, Seconde Guerre mondiale », consacré aux conséquences de la crise de 1929.
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[3]
Rudischhauser Sabine, « Les conventions collectives, regards croisés sur la fondation des modèles sociaux », in Michèle Dupré et al. (dir.), Trajectoires des modèles nationaux. État, démocratie et travail en France et en Allemagne, Bruxelles, Peter Lang, 2012, p. 157-186.
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[4]
Prost Antoine, « Les grèves de mai-juin 1936 revisitées », Le Mouvement Social, no 200, juillet-septembre 2002, p. 33-54.
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[5]
Sur ces aspects, voir Omnès Catherine, « Qualifications et classifications professionnelles dans la métallurgie parisienne, 1914-1936 », Revue du Nord, no 15, 2001, p. 307-322.