1Dans l’ovale, un personnage corpulent, fumant le cigare, coiffé d’un haut-de-forme, ayant l’air d’un homme d’affaires  [1]. Derrière lui, des silhouettes passant sur la place Vendôme, un fragment de la colonne et un côté de la place. Cette image fait référence, de manière semble-t-il indirecte, au deuxième chapitre d’un roman d’Alphonse Daudet, « Un déjeuner place Vendôme ». Le Nabab, publié – en feuilleton dans Le Temps, puis chez Charpentier – en 1877, a eu un grand succès et a entraîné des polémiques, notamment de la part de bonapartistes mécontents de l’image donnée d’un certain nombre d’aspects du régime impérial.

2L’illustration n’est pas d’origine, mais figure sur la couverture d’une réédition – chez Flammarion – de 1926. Elle est due à Raymond Renefer – pseudonyme de Jean Constant Raymond Fontanet – né en 1879, connu comme dessinateur, graveur et peintre, notamment pour ses images de la Grande Guerre. L’illustration en elle-même relève pour une part du registre satirique, en montrant un personnage affichant une sorte de réussite « ploutocratique », dans une veine qui n’est pas sans rappeler les caricatures de l’entre-deux-guerres. On pourrait même y voir des connotations antiparlementaires, mais les effets de miroir ne doivent pas être sur-interprétés. Le roman d’Alphonse Daudet est pour une part une transposition de l’histoire d’un étonnant personnage, François Bravay, appelé dans Le Nabab Bernard Jansoulet. D’origine modeste comme son modèle, le personnage principal du roman a fait fortune en Tunisie et il finit par être élu député de la Corse grâce au soutien du duc de Mora (inspiré par Morny). Mais il connaît un échec retentissant.

3Le « vrai » député, François Bravay, dont le secrétaire politique fut Ernest Daudet, frère aîné de l’écrivain, avait pour sa part accédé en quelques années à une très grande richesse en Égypte, auprès de Saïd Pacha. Il se fit élire député du Gard – il était né à Pont-Saint-Esprit en 1817 – en 1863, contre le candidat officiel mais sans être pour autant un véritable opposant et avec le soutien actif du préfet. Invalidé pour corruption à deux reprises, ce rejet réitéré étant rare sous le Second Empire, il ne fut admis à siéger après sa seconde réélection qu’en mars 1865, et sa carrière parlementaire fut des plus brèves. Il démissionna le 9 mars 1869, pour s’occuper de ses affaires en Égypte. Ruiné, il mourut le 7 décembre 1874.

4Si Le Nabab est à certains égards un roman parlementaire, il l’est moins que Son Excellence Eugène Rougon de Zola, paru l’année précédente  [2]. C’est plutôt un roman de l’intrigue, de l’affairisme et de la corruption, au sujet duquel on peut user de plusieurs clés. Et si François Bravay, à travers le personnage qu’il a inspiré, n’est guère représentatif du personnel politique du Second Empire, on peut voir en lui une figure caricaturale du parlementaire invalidé pour usage ostentatoire de sa fortune et pressions électorales. Il en est d’autres sous la III^e République. L’image de 1926 donne à voir, vêtu comme un parvenu, la paupière tombante et l’air cynique, un type encore accentué par rapport à l’original, en un temps de crispations politiques et d’après-guerre – d’où, à la fois, une impression de continuité et un décalage qui n’est pas seulement chronologique. Reste l’image du « nabab », figure de l’homme doté d’une immense richesse, ici très éphémère. Il en est assez peu d’exemples dans l’histoire parlementaire, mais le lecteur a peut-être l’impression que cette figure n’est pas si exceptionnelle.