Pardès 2012/1 N° 51

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Article de revue

« Il faut savoir passer d'un langage à l'autre. »

Une des dernières interviews d'Emmanuel Levinas en 1992, avec Jacob Golomb et Ephraïm Meïr (inédite en français)

Pages 151 à 165

Notes

  • [1]
    Emmanuel Levinas, Éthique et Infini. Dialogues avec Philippe Nemo, Paris : Arthème Fayard, 1982. Pour la traduction en hébreu voir : Ethika ve-ha’einsofi. Sichot im Philippe Nemo, trad. par Ephraïm Meïr, éd. de Jacob Golomb, Jérusalem : Magnes Press, 1995, p. 89-97.
  • [2]
    Jean-Luc Marion, « Préface générale », dans Emmanuel Levinas, Carnets de captivité, suivi de Écrits sur la captivité et Notes philosophiques diverses, éd. par Rodolphe Calin et Catherine Chalier, Paris : Bernard Grasset/IMEC, 2009, p. I-VII, ici p. IV.
  • [3]
    Ephraïm Meïr, Levinas’s Jewish Thought. Between Jerusalem and Athens, Jérusalem : Magnes Press, 2008 ; id., « Judaism and Philosophy : Each Other’s Other in Levinas », dans Modern Judaism, vol. 30, n° 3, 2010, p. 348-362. Voir aussi l’ouvrage collectif Levinas : Philosophie et judaïsme, éd. par Danielle Cohen-Levinas et Shmuel Trigano, Paris : In Press, 2002, et l’article de David Banon, « Levinas, penseur juif ou juif qui pense », dans Noesis [en ligne], n° 3, 2000, mis en ligne le 15 mars 2004, consulté le 6 novembre 2011. URL : http://noesis.revues.org/index7.html
  • [4]
    Cantique des Cantiques, V, 8. Voir Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, La Haye : Martinus Nijhoff, 1974, p. 181, note 5.
  • [5]
    Merci à Ephraïm Meïr, Rami Carcassonne, Nicolas Weill et Yves Frisch pour leur aide précieuse.
  • [6]
    La ville natale de Levinas, aujourd’hui Kaunas, en Lituanie.
  • [7]
    Voir L’Au-delà du verset : lectures et discours talmudiques, Paris : Édition du Minuit, 1982, p. 223.
  • [8]
    Il s’agit peut-être ici d’une allusion au livre de Vladimir Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien, Paris : Seuil, 1981.
  • [9]
    Voir Honneur aux Maîtres, textes rassemblés par Marguerite Léna, Paris : Critérion, 1991, p. 227-228.
  • [10]
    L’école de l’Alliance israélite universelle, destinée à former des professeurs de français, qui étaient envoyés dans tous les communautés juives des pays de la Méditerranée.
  • [11]
    Allusion à l’article d’Emmanuel Levinas « Le pharisien est absent » dans Difficile Liberté. Essais sur le Judaïsme, Paris : Albin Michel, 2nd version 1976, p. 47-50. Dans cet article Levinas met en relief la figure du « pharisien » qu’il voit attachée à la culture Talmudique, estimée par Levinas, contrairement aux courants de pensées mystiques, comme le chassidisme et la Kabbale dont il se méfiait. Levinas constate dans son article un certain manque vis-à-vis du renouvellement de la culture Talmudique, ainsi conclut-il : « Le pharisien est absent. Ses traits ne sont plus familiers à nos jeunes et sa haute stature ne domine pas nos pauvres débats. », op. cit., p. 48.
  • [12]
    Quant à la relation entre Levinas et Chouchani voir l’article de Shmuel Wygoda « Le maître et son disciple », dans : Cahiers d’études levinassiennes, n° 1, Paris : Éditions Verdier, 2002, p. 149-183. Sur le personnage énigmatique de Chouchani voir le témoignage d’Elie Wiesel dans son livre Legends of our time, New York : Avon, chapitre 10, et Salomon Malka, Monsieur Chouchani : l’énigme d’un maître du xxe siècle, Paris : Lattès, 1994.
  • [13]
    Bien qu’ils se soient rencontrés déjà en 1937, c’est seulement après la guerre que l’amitié étroite entre Levinas et son voisin Henri Nerson s’est nouée. Plus tard, Levinas devait lui dédicacer Difficile Liberté. Essais sur le Judaïsme par ces mots : « Au Docteur Henri Nerson, à l’ami en souvenir d’un enseignement qui exalte cette amitié ». Nerson, que Levinas a surnommé « mon maître quotidien », est mort en Israël en 1980.
  • [14]
    Voir Salomon Malka, Monsieur Chouchani : l’énigme d’un maître du xxe siècle, Paris : Lattès, 1994.
  • [15]
    Professeur, désormais à la retraite, à l’université hébraïque de Jérusalem à la faculté des études juives.
  • [16]
    Ici le futur est usé car l’entretien a eu lieu en 1992, or par contre la traduction en hébreu d’Éthique et Infini était publiée qu’en 1995.
  • [17]
    Levinas entend par là « couche sociale ». Le terme hébreu qui se trouve dans la version hébraïque de cet entretien, publié comme annexe dans la traduction en hébreu d’Éthique et Infini, est Shikhvah.
  • [18]
    Voir Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski, Les Frères Karamazov, Paris : Gallimard [Bibliothèque de la Pléiade], 1952, p. 310.
  • [19]
    Expression prononcée en hébreu par Levinas.
  • [20]
    Dans son interview avec François Poiré, Levinas dit avoir lu L’Étoile de la Rédemption dès 1935 ; voir François Poiré, Emmanuel Levinas – essai et entretiens, Paris : Actes Sud, 1996, p. 147.
  • [21]
    Franz Rosenzweig (1886-1929) a publié son opus magnum Der Stern der Erlösung en 1921. La première traduction française n’a paru qu’en 1982, sous le titre L’Étoile de la Rédemption, Paris : Seuil, trad. par Alexandre Derczanski et Jean-Louis Schlegel. Elle a été rééditée en 2003 au Seuil.
  • [22]
    Levinas a passé l’année universitaire 1928/29 à Fribourg-en-Brisgau où il a suivi les cours d’Edmund Husserl, qui partait à la retraite cette année-là, ainsi que de Martin Heidegger qui venait de prendre la chaire de celui-ci. Voir le témoignage de Levinas sur cette période dans son article « La ruine de la représentation » dans : Emmanuel Levinas, En découvrant l’existence avec Husserl et Heidegger, Paris : Vrin, 1974, p. 125 sq.
  • [23]
    Les notions de « tiers » et de « grec » sont des termes complexes de la philosophie de Levinas qu’il est difficile de développer en détail ici. Pour un lecteur peu familier avec la terminologie levinassienne, il reste toutefois possible de fournir quelques repères. Au-delà de la relation d’un moi à un toi, « le tiers » ouvre la dimension sociale ce qui implique la prise en compte des problèmes de la justice et de la politique en général. Par contre, sous le terme « grec » Levinas entend indiquer une tradition spirituelle, un mode de penser logique qu’il voit cheminer parallèlement avec la tradition hébraïque et la pensée juive. Voir à ces sujets Ephraïm Meïr, Levinas’s Jewish Thought. Between Jerusalem and Athens, Jérusalem, Magnes Press, 2008, ainsi que Pascal Delhom, Der Dritte. Levinas Philosophie zwischen Verantwortung und Gerechtigkeit, Munich, Fink, 2000.

1Le 21 janvier 1992, à l’occasion de la parution en hébreu d’Éthique et Infini d’Emmanuel Levinas, deux chercheurs israéliens, Ephraïm Meïr, le traducteur, et Jacob Golomb, l’éditeur, sont allés rendre visite au philosophe à son domicile parisien afin de réaliser une interview [1]. Cet entretien, publié en annexe de cet ouvrage d’introduction à l’œuvre de Levinas et traduit en français ici pour la première fois, a accompagné la traduction hébraïque. Il avait pour objet de présenter le philosophe au public israélien. Malgré sa réputation en Europe et en Amérique, Levinas, en effet, est resté longtemps peu connu en Israël. S’il l’est devenu, c’est surtout grâce aux traductions d’Ephraïm Meïr – notamment celle d’Éthique et Infini, publiée en 1995. Cela explique l’importance des thèmes concernant l’État d’Israël dans cet entretien. En outre, un passage entier est consacré à la politique et aux problèmes quotidiens entre Juifs israéliens et Palestiniens. Quand Jacob Golomb pose la question de ce qu’il faut faire concrètement dans ce conflit et comment se positionner dans une réalité de plus en plus difficile, la réponse du philosophe est aussi laconique que révélatrice : « Je suis toujours heureux si l’on parle. » Cette réponse est portée par toute la pensée de Levinas et renvoie, d’une certaine manière, à sa motivation première. Car Levinas n’a jamais tenté d’écrire une éthique mais s’est plutôt efforcé de décrire ce qui rend possible l’éthique elle-même. Il accentue l’appel prophétique dans l’État d’Israël même qui était très important pour lui.

2Un autre aspect important de l’entretien concerne le domaine de la « Philosophie et la pensée juive », très actuel dans les débats autour de son œuvre : « Levinas joue-t-il Athènes contre Jérusalem ou au contraire Jérusalem contre Athènes en prétendant parler grec pour dire l’autre Parole, que le grec ne peut dire ? » Ainsi Jean-Luc Marion met-il en lumière, dans sa préface générale de l’édition des Carnets de captivité d’Emmanuel Levinas, l’essentiel de la problématique [2]. De nombreux ouvrages témoignent de l’importance de ce débat dans l’œuvre de Levinas, auquel Ephraïm Meïr a ajouté récemment une contribution [3]. Dans cet entretien, Levinas souligne l’importance de participer au discours philosophique de son temps. Mais il met en évidence qu’il ne souhaite pas cantonner exclusivement les aspects multiples de sa pensée à un cadre strictement universitaire. La richesse de la philosophie levinassienne, qui se nourrit aussi bien des sources hébraïques que de la sagesse grecque, requiert des transitions du discours hébraïque aux cadres plus amples et plus appropriés au dynamisme de cette philosophie, à sa complexité et à ses méandres. Ces transitions, les textes de Levinas les suggèrent avec beaucoup de subtilité et celles-ci dépassent de beaucoup la quatrième de couverture qui se contente d’étiqueter certains textes comme « philosophiques » et d’autres comme « confessionnels », en fonction de l’éditeur. Il suffit de se référer dans ce contexte au chef-d’œuvre qu’est Autrement qu’être ou au-delà de l’essence où Levinas évoque le Cantique des Cantiques. En plein milieu de son développement sur la subjectivité, le verset « Je suis malade d’amour » est cité [4]. Ce mélange de philosophie et de judaïsme, à des points névralgiques de son œuvre, se présente comme constitutif de la pensée de Levinas. Ainsi conclut-il dans son entretien avec Ephraïm Meïr et Jacob Golomb par un : « Il faut savoir passer d’un langage à l’autre. »

3Avec la publication de cet entretien en français, avec dix-neuf ans de retard, le lecteur francophone a désormais accès à l’une des dernières interviews accordée par Levinas. Ainsi l’espoir se réalise de renouveler la discussion sur certains enjeux toujours actuels de cette philosophie et de les éclairer d’une lumière nouvelle.

L’Entretien

4La transcription de l’interview ainsi que la plupart des notes ont été assurées par Silvia Richter à partir de la traduction en hébreu[5]. Elle a adjoint aux notes qu’elle a traduites des commentaires nécessaires à la compréhension.

5Les langues utilisées au cours de l’interview ont été l’hébreu et le français. Ephraïm Meïr et Jacob Golomb ont d’abord tâtonné ne sachant laquelle employer pour ce dialogue avec Emmanuel Levinas. Le français a fini par s’imposer.

L’État d’Israël et la terre d’Israël

6jacob golomb : Que représentent l’État d’Israël et le sionisme à vos yeux ? De quel message sont-ils selon vous porteurs ?

7emmanuel levinas : Mon point de vue sur le sujet n’a rien de nouveau. J’avais peur que tout Israël disparaisse. Dieu nous en préserve. Le sionisme est la survie du Judaïsme.

8ephraïm meïr : Vous avez dit aussi qu’avant de connaître Israël vous avez cru que Kovno [6] était morte, mais que maintenant, après votre visite, vous savez que Kovno est éternelle. Qu’avez-vous voulu dire par cela ?

9emmanuel levinas : Ah oui. Je voulais dire qu’à mes yeux ce que j’ai entendu par le Judaïsme – je suis un peu Lituanien – c’est ça que j’ai retrouvé là-bas : tous les petits gestes, les petits mouvements – mais tout cela n’a pas un caractère pittoresque, je parle de l’essentiel.

10ephraïm meïr : Si je disais qu’Israël se fonde plus sur les livres juifs que sur les couches géographiques ou biologiques [7] – est-ce que j’aurais convenablement résumé votre opinion ?

11emmanuel levinas : Mon opinion n’a rien à voir effectivement avec celle de ceux qui croient que l’homme pousse sur la terre. Je n’attache pas à la « terre » une valeur suprême. Il y a dans le judaïsme une distance à l’égard de la terre ; c’est la langue, les livres qui dans une place, un espace, sont un signe, une condition.

12ephraïm meïr : C’est tout à fait le contraire de l’idée de Lebensraum [espace vital].

13emmanuel levinas : Dans ce sens-là, j’y ai trouvé ce que j’appelais « Lituanie ».

14jacob golomb : Vilna la Jérusalem de Lituanie. Cela ne correspond guère à l’ambition de Herzl.

15emmanuel levinas : C’est le « je-ne-sais-quoi [8] ». Il se trouve, quand on se promène en Israël, qu’on se dise « ici s’est arrêté Isaïe », c’est une émotion. C’est très bête, comme chez les enfants. Je vais vous raconter une histoire. En France a été publiée une brochure commémorative [9] où des gens qui ont une certaine situation décrivent leurs rencontres avec leurs premiers maîtres, ceux qui leur ont donné une direction dans la vie. J’y ai rapporté la vie du professeur Moshe Schwab, qui a enseigné le grec à Jérusalem. C’était un Juif allemand qui a découvert le Judaïsme – Ostjudentum – pendant la Guerre de quatorze. Il était sioniste et était venu à Kovno pour diriger le lycée, le Gymnasium. Il était également professeur d’allemand. C’est le souvenir le plus éblouissant. À son avis, il fallait lire le Faust de Goethe avec l’enthousiasme de quarante degrés de fièvre. Nous finissions le Faust. Nous lisions Dichtung und Wahrheit où Goethe raconte sa jeunesse à Francfort. Il raconte des images d’Italiens pas très brillantes qui se trouvaient dans la maison de ses parents. On était très étonné : il n’y a pas d’Italiens, rien que des gens d’ici. Où sont-ils ? Comment c’est possible ? Schwab disait : Goethe « hat sie in seine Unsterblichkeit mitgenommen », il les a entraînés dans son immortalité. Le fait qu’ils étaient dans la vieille maison de Goethe à Francfort et qu’il en avait parlé dans son Dichtung und Wahrheit, c’est toute la puissance de la culture. Donc, tout ce que je vous ai raconté jusqu’à maintenant sur la puissance d’Israël et sur nos livres antiques n’exclut pas cette présence de l’Europe à partir de Goethe et Schiller, c’est-à-dire toute la puissance de la culture, toute la puissance de Goethe et de Schiller, toute la puissance de l’Europe. En 1950, je me suis rendu en Israël et j’y ai retrouvé le professeur Moshe Schwab qui a enseigné le grec à l’université hébraïque à Jérusalem ! Si vous racontez cela à ses enfants en Israël, c’est une bonne nouvelle.

Halakha et Aggada

16jacob golomb : J’ai une question à vous poser, concrète et provocatrice. Vous connaissez les sabbarim, provocateurs. En 1972, je vous ai entendu parler au kibbouts Nir Etsion : vous avez parlé de la Halakha et de la Shoah. Quel rapport pensez-vous que l’on puisse établir entre la Halakha et la Shoah ? En d’autres termes, est-il encore possible de croire en Dieu après Auschwitz ?

17emmanuel levinas : Il y a beaucoup de couches dans la question que vous posez. La Halakha est importante et l’on ne peut l’ignorer. Je pense que l’Aggada dans le Talmud est plus ouverte, mais je suis sûr que c’est possible de trouver dans la Halakha autant d’humanité que j’en trouve chez Rachi. À l’École normale israélite orientale [10] j’ai un cours, une heure tous les shabbat, en français, sur la parasha (péricope hebdomadaire) avec Rachi et je fais toujours le lien avec un passage pertinent tiré de la Guemara et du Midrash.

18ephraïm meïr : En outre, vous avez développé une conception très favorable quant au pharisien qui « est absent [11] ».

19emmanuel levinas : C’est vrai, le pharisien est absent.

20ephraïm meïr : Vous croyez donc à cette combinaison de la loi et de la liberté ?

21emmanuel levinas : Oui, et je crois en particulier à la finesse de pensée, aux pensées fines de toutes sortes. Il y a eu à cet égard un événement important dans ma vie : Monsieur Chouchani [12] a été dans cette maison et dans un autre lieu où il avait une chambre. Il m’a donné des leçons deux fois par semaine, de neuf heures du soir jusqu’à une heure non définie. Je n’ai pas le droit de parler de lui car il représente un monde entier. J’ai appris de lui tout ce que l’on peut lidrosh, commenter, tout ce qu’on doit lidrosh, commenter. Il était un grand homme.

22ephraïm meïr : Si je me souviens bien, il vous a dit qu’il faut étudier la Halakha comme vous étudiez l’Aggada ?

23emmanuel levinas : J’ai parlé tout à l’heure de la Halakha et de l’Aggada. Il était généralement à Paris et il y a des gens qui l’ont connu.

24ephraïm meïr : Vous avez fait sa connaissance après la guerre ?

25emmanuel levinas : Oui, j’avais un ami intime, le Dr. Nerson [13], sa mémoire soit bénie. C’est lui qui avait introduit Chouchani chez nous [14]. C’était un homme difficile et rigoureux. Son apparence physique était même parfois repoussante, comme un clochard, seulement extérieurement (Dieu merci !). Chouchani nous a quittés une première fois et a disparu, pour retourner en Israël. Mais, là non plus, il n’est pas resté. Je me souviens qu’un jour on a sonné à la porte à onze heures du soir. Qui est là ? C’est moi ! Il était revenu ! Par la suite il a disparu en Amérique.

26ephraïm meïr : Où Shalom Rosenberg [15] était en contact avec lui…

27emmanuel levinas : Cela a été un événement dans une vie.

28ephraïm meïr : En quoi la rencontre avec Chouchani vous a-t-elle transformé ?

29emmanuel levinas : Cette rencontre a changé mon attitude à l’égard de la Halakha. Il y a l’idée des amis perdus comme ça.

« Éthique et Infini »

30jacob golomb : Je voudrais qu’à l’occasion de la première traduction en hébreu d’un de vos livres il soit possible de formuler des enjeux importants – du point de vue existentiel – pour l’Israélien moderne et pour le lecteur érudit. Magnes a vendu plus d’un demi-million de livres de la série « Les classiques philosophiques ». C’est une maison d’édition très connue. C’est du reste chez cet éditeur que sera publiée [16] la traduction en hébreu d’Éthique et Infini.

31emmanuel levinas : Cet ouvrage-là est d’abord facile. Non pas tant parce qu’il est court que parce que l’argumentation est très facile à suivre et concrète, tout au long du livre. C’était une interview radiophonique pour la chaîne France Culture.

32ephraïm meïr : Serait-il correct de dire qu’Éthique et Infini constitue une sorte d’introduction à votre pensée ?

33emmanuel levinas : Oui. Il a été traduit en plusieurs langues.

Politique

34jacob golomb : L’Israélien d’aujourd’hui s’intéresse au problème éthique dans sa relation aux Palestiniens. D’un côté il est prêt à reconnaître que le Juif – par exemple, un Juif éthiopien – représente l’« autre », un membre de la famille, et qu’il est important. Le Juif israélien éprouve un sentiment de responsabilité absolu envers les autres Juifs : Tout Israël est responsable les uns pour les autres [kol Israël arevim ze laze]. Or, à seulement quelques kilomètres de chez moi habitent des Arabes palestiniens. Dois-je ressentir la même mesure de responsabilité envers eux, qui sont mes voisins, qu’envers des Juifs de Russie ou d’Éthiopie ?

35emmanuel levinas : Je n’ai pas de réponse à cela. C’est la souffrance. On ne peut pas le comprendre, pas de notre part, même pas de leur part.

36jacob golomb : Il y a des Israéliens qui sentent que le sionisme a perdu sa raison d’être éthique si nous devons être agressifs envers eux.

37emmanuel levinas : C’est difficile de résoudre. Je n’ai aucune sagesse.

38jacob golomb : Vous n’êtes pas un sorcier.

39emmanuel levinas : Je suis toujours heureux si l’on parle.

40ephraïm meïr : Le dialogue.

41jacob golomb : Il faut parler. Entretiens de paix.

42emmanuel levinas : J’ai vu aussi une relation négative de la part israélienne, mais il y a à côté de cela…

43jacob golomb : Il y a aussi les Israéliens qui sentent encore de la responsabilité vis-à-vis leurs voisins.

44emmanuel levinas : On a fait la paix avec l’Égypte.

45jacob golomb : Quand Sadate est venu en Israël, on le vit soudain en Israël : on a senti comme les jours du Messie.

46ephraïm meïr : Vous avez apprécié que Sadate soit venu en Israël ?

47emmanuel levinas : Oui.

48jacob golomb : Du point de vue éthique, l’attitude vis-à-vis des Palestiniens est importante comme envers les Juifs.

49emmanuel levinas : Bien sûr. Ils ont plus de problèmes maintenant que les Juifs. Je n’ai pas de sagesse. Je suis tout à fait dépourvu d’idées. Il n’y a pas de couche [17] avec laquelle il y a possibilité de parler.

50jacob golomb : Aussi manque de réponse est réponse.

51emmanuel levinas : Je n’ai pas de sagesse.

52jacob golomb : Mais on attend, il y a de l’espoir.

Révélation et sainteté

53ephraïm meïr : En quel sens votre philosophie représente-t-elle une réponse à Auschwitz ou à cette idée du Lebensraum (espace vital) ? Car chez vous, la non-violence occupe une place centrale, la splendeur du visage de l’Autre qui justifie le « je ». Est-ce que votre philosophie est en quelque sens une façon de répondre à la violence de l’histoire ?

54emmanuel levinas : Je ne sais pas qu’en ce sens ma philosophie puisse être considérée comme une réponse. Pour qu’elle puisse jouer ce rôle, je devrais être capable de recruter une armée. L’humain commence dans la relation avec le visage de l’autre.

55ephraïm meïr : Est-ce que la révélation vient du visage ?

56emmanuel levinas : Oui, la révélation vient d’autrui. L’abord du visage c’est la responsabilité. Par conséquent, quand je regarde un visage qui passe avant moi, je suis celui qui est responsable, c’est-à-dire je suis l’élu.

57ephraïm meïr : C’est l’élection fonctionnelle.

58emmanuel levinas : L’unicité du moi – du « je » – n’est pas donnée au savoir ; le « je » est donné dans sa responsabilité. Et ici, nous ne sommes pas loin du Dostoïevski, un vrai sage [talmid chakham], que je suis habitué à citer : « Nous sommes tous coupables de tout et de tous devant tous, et moi plus que les autres [18]. » C’est très important car le « je » s’affirme et se prononce soi-même ni par une contemplation théorétique ni par une action intellectuelle. Il se prononce par sa proximité à l’autre. Le « je » commence dans la sainteté. L’autre passe devant moi. La proximité n’est pas une sorte de sentiment ; elle commence par le visage. L’unicité du visage, l’unicité de cet appel, la non-réciprocité de la relation, c’est le contraire du « ce qui est pour toi est pour moi ».

59ephraïm meïr : Donc nous ne sommes pas dans la réciprocité dont parle Martin Buber.

60emmanuel levinas : Dans la réciprocité il y a une récompense, récompense du commandement, schar mitsva. Ricœur disait : « Et alors il n’y a rien du tout pour moi », je répondais : « Rien du tout. » C’est gratuit. C’est l’entrée dans la sainteté.

61ephraïm meïr : Vous recourrez à des termes difficiles comme « otage » ou « substitution ».

62emmanuel levinas : La sainteté – la Kedousha –, être saint, cela est gratuit. Par contre si on dit que ce que je dois à l’autre équivaut à ce que lui me doit à moi, alors on est dans l’égalité.

63ephraïm meïr : C’est-à-dire que la religion juive, « religion pour adultes » selon vos propres termes, est une religion qui met au centre la sainteté, la Kedousha, au sens où, pour elle, l’éthique y est centrale. Dans ce contexte vous avez même dit que l’athéisme est plus proche du judaïsme que la participation mythique aux dieux.

64emmanuel levinas : Oui, j’ai bien dit cela. De manière générale, la relation avec autrui est sainte, et cela est gratuit ; il y a cette supériorité de la sainteté. Cette supériorité de la sainteté n’a absolument rien en commun avec la mentalité « mida neged mida »[19] (mesure pour mesure).

65ephraïm meïr : En conséquence, ce qu’il demande de moi, je ne dois pas le demander de lui.

66emmanuel levinas : C’est comme ça dans la Torah.

67ephraïm meïr : À la suite de ce que nous avons dit, votre conception du Judaïsme est une conception anti-romantique, il n’y a pas de réciprocité.

68emmanuel levinas : La réciprocité n’a pas le dernier mot. Au nom d’autrui, il y a des concessions possibles.

69ephraïm meïr : Vous concevez les préceptes liturgiques comme une discipline rigoureuse qui tend vers la justice. Qu’entendez-vous par là ? Est-ce qu’il y a dans le judaïsme une particularité au-delà de l’universalisme ? Par exemple, quand je vous compare avec les monothéistes éthiques du xixe siècle, comme Hermann Cohen par exemple, vous, vous mettez justement l’accent sur la loi, c’est-à-dire la pratique religieuse.

70emmanuel levinas : Chez Hermann Cohen l’accent est mis sur l’universalisme. Chez moi, au contraire, l’essentiel est le modèle de l’unicité. Cela n’est pas du tout la même chose. Hermann Cohen est kantien. Or, au contraire, ce que je fais n’est pas kantien.

71ephraïm meïr : C’est-à-dire que ce que vous faites est le contraire de Kant.

72emmanuel levinas : C’est le contraire. Chez moi le « je » est interpellé particulièrement.

73ephraïm meïr : Il s’agit de l’hétéronomie ?

74emmanuel levinas : Oui, c’est la révélation. Et, pratiquement, l’appel du visage a trait à Dieu. J’ai dit tout cela dans mes livres.

Rosenzweig et Heidegger

75ephraïm meïr : Je voudrais vous poser une question que je me pose depuis longtemps qui concerne votre relation avec Franz Rosenzweig. Dans Totalité et Infini vous dites que Rosenzweig vous a influencé profondément.

76emmanuel levinas : J’ai connu l’œuvre de Rosenzweig avant la guerre [20].

77ephraïm meïr : L’avez-vous connu ?

78emmanuel levinas : Pas personnellement. Mais l’existence de Rosenzweig m’était connue. J’ai lu L’Étoile de la Rédemption[21] avant la guerre. Ce qui me plaît chez Rosenzweig est le contact concret avec le Judaïsme et, en plus, sa conception du passé comme création, du présent comme révélation et de l’avenir comme rédemption. Or le salut n’est pas l’avenir. C’est parce qu’il y a la rédemption qu’il y a un avenir. La temporalité même chez Rosenzweig donne à penser à partir de la relation qui forme le passé, le présent et le futur.

79ephraïm meïr : Il parle aussi du judaïsme comme « catégorie d’être ».

80emmanuel levinas : Oui, mais j’ai une certaine méfiance à l’égard de l’« être » à cause de Heidegger. Heidegger a été un très grand événement dans ma vie. Pendant une année j’ai suivi ses cours [22]. J’ai eu l’impression d’entendre Platon ou Aristote. Avant Heidegger, j’avais pensé la même chose de Bergson, mais ce n’est pas cela.

81ephraïm meïr : Revenons encore un peu à Rosenzweig, si vous le voulez. Il y a chez Rosenzweig une conception de la révélation comme orientation qui est chez vous l’orientation envers l’autre ; c’est une conception de la révélation qui y voit quelque chose qu’il faut faire, c’est-à-dire un commandement. Chez Rosenzweig on trouve un « tu aimeras », alors que chez vous, le « tu ne tueras point » domine. Rosenzweig conçoit la révélation comme rupture de l’histoire. Chez vous aussi il y a une distance vis-à-vis de l’histoire.

82emmanuel levinas : Oui, mais Rosenzweig n’a jamais été mon modèle sur ce thème. Je sens une proximité avec lui en particulier pour tout ce qui concerne la concrétude de l’histoire biblique, parce qu’elle est plus claire que les abstractions théologiques après la Shoah.

Paroles des Sages

83ephraïm meïr : Le Talmud et le Midrash représentent pour vous des écrits liés à la Bible, des écrits qui revivifient, pour ainsi dire, le texte biblique, portant témoignage de sa vitalité…

84emmanuel levinas : Il faut lire la Bible à travers ces écrits, quelle que soit la position des historiens proprement dite, cela m’est absolument égal. Personnellement, j’ai plutôt tendance à m’orienter en fonction des Midrashim que de la Halakha.

85ephraïm meïr : Voulez-vous dire par là que les Midrashim constituent une invitation à participer à la révélation ?

86emmanuel levinas : Oui. C’est par exemple mon petit cours que je donne à l’école de l’Alliance israélite universelle. Je discute toujours huit ou neuf versets, et j’apporte ensuite le commentaire Rashi qui éclaire deux ou trois points que j’élabore. Ces interprétations procurent toujours une très grande joie.

Philosophie et pensée juive

87ephraïm meïr : Il y a les écrits juifs du professeur Levinas et il y a les textes philosophiques. Vous les publiez dans deux maisons d’édition différentes.

88emmanuel levinas : C’est vrai ! J’ai choisi intentionnellement deux éditeurs différents. Je crois que le langage, la terminologie que j’utilise dans les essais philosophiques est avant tout celui de l’histoire de la philosophie et non celui de la religion. On voit donc que je n’ignore pas l’histoire de la philosophie. Le discours philosophique est un discours humain important.

89ephraïm meïr : Pourtant dans vos écrits juifs vous parlez également de la pluralité, de l’au-delà de l’être…

90emmanuel levinas : Oui, dans un autre contexte. Bien sûr on peut philosopher uniquement en termes du Talmud. Mais mon discours s’adresse à un public doté d’une formation philosophique.

91ephraïm meïr : Dans Totalité et Infini vous utilisez pourtant de temps en temps des mots qui choquent le lecteur philosophique : existence shabbatique, le Dieu invisible, la conversion de l’âme… des mots qui appartiennent à un contexte religieux.

92emmanuel levinas : Je ne voulais pas mettre ces choses exclusivement dans un cadre académique. Il faut savoir passer d’un langage à l’autre.

En guise de conclusion : le tiers et le grec [23]

93emmanuel levinas : Les choses que je vous ai racontées aujourd’hui sur la sainteté conservent leur clarté si elles sont formulées dans le langage philosophique. C’est particulièrement vrai s’il est question du point spécial où la constitution du « je » prend place. Il y a deux manières sur lesquelles les êtres sont constitués. La première, très importante, commence avec la justice, de laquelle nous n’avons pas du tout parlé. Il y a le genre, l’espèce, et l’individu : les catégories logiques, c’est-à-dire les catégories grecques, qui sont des catégories politiques par excellence. L’État commence à exister quand il y a trois personnes. L’autre manière d’être constitué concerne l’unicité du « je ». Son unicité réside dans ce qu’a de concret l’acte de réponse. La vraie responsabilité est la responsabilité où personne ne peut me remplacer. Dans la responsabilité, je suis « interpellé » comme « je ». Dans ma responsabilité à moi, personne ne peut me remplacer. Le problème n’est pas : il y a deux – et après il y a trois. Ma responsabilité pour l’autre s’il reste seul porte atteinte au tiers qui est aussi mon autre. Voilà l’essence du problème. La possibilité de retourner de la responsabilité à la justice est la démocratie. C’est un paradoxe, n’est-ce pas ? Le problème politique concret peut se poser par cela.

94ephraïm meïr : Est-ce que vous voudriez dire que l’État d’Israël serait une occasion de réaliser cette justice dans le sens dont parlent les textes saints ?

95emmanuel levinas : Certainement. S’il n’y avait pas cette chose extérieure, l’État d’Israël serait mis en question constamment. L’appel prophétique est un appel à la responsabilité, à l’unicité de la personne. Israël n’est pas du tout une chose fermée : il y a le Judaïsme et il y a le grec avec l’État et tout ce qu’il entraîne. Dans la Torah même on trouve cela car malgré toute l’opposition de Samuel, Saul a obtenu de lui le royaume…

96ephraïm meïr : C’est le grec.

97emmanuel levinas : Oui, c’est le moment grec (rire). C’est ce qui scandalise, n’est-ce pas, si on lit ce passage-là pour la première fois.

98ephraïm meïr : Vous écriviez également que la tradition juive doit être traduite sans cesse en grec. Pouvez-vous préciser ?

99emmanuel levinas : Je veux dire que la tradition juive doit être traduite dans une langue politique et scientifique. Je ne voudrais pas prétendre que le grec soit seulement politique ; le grec fait signe aussi vers les sciences et les sciences aussi ne parlent pas du « je et tu ». On parle de l’ordre du général, pas de l’unique.

100ephraïm meïr : Et la signification vient de l’ordre de l’unique ?

101emmanuel levinas : Oui. Si le point de départ est le visage, on peut venir au moment où il faut absolument concevoir le moment politique.

Notes

  • [1]
    Emmanuel Levinas, Éthique et Infini. Dialogues avec Philippe Nemo, Paris : Arthème Fayard, 1982. Pour la traduction en hébreu voir : Ethika ve-ha’einsofi. Sichot im Philippe Nemo, trad. par Ephraïm Meïr, éd. de Jacob Golomb, Jérusalem : Magnes Press, 1995, p. 89-97.
  • [2]
    Jean-Luc Marion, « Préface générale », dans Emmanuel Levinas, Carnets de captivité, suivi de Écrits sur la captivité et Notes philosophiques diverses, éd. par Rodolphe Calin et Catherine Chalier, Paris : Bernard Grasset/IMEC, 2009, p. I-VII, ici p. IV.
  • [3]
    Ephraïm Meïr, Levinas’s Jewish Thought. Between Jerusalem and Athens, Jérusalem : Magnes Press, 2008 ; id., « Judaism and Philosophy : Each Other’s Other in Levinas », dans Modern Judaism, vol. 30, n° 3, 2010, p. 348-362. Voir aussi l’ouvrage collectif Levinas : Philosophie et judaïsme, éd. par Danielle Cohen-Levinas et Shmuel Trigano, Paris : In Press, 2002, et l’article de David Banon, « Levinas, penseur juif ou juif qui pense », dans Noesis [en ligne], n° 3, 2000, mis en ligne le 15 mars 2004, consulté le 6 novembre 2011. URL : http://noesis.revues.org/index7.html
  • [4]
    Cantique des Cantiques, V, 8. Voir Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, La Haye : Martinus Nijhoff, 1974, p. 181, note 5.
  • [5]
    Merci à Ephraïm Meïr, Rami Carcassonne, Nicolas Weill et Yves Frisch pour leur aide précieuse.
  • [6]
    La ville natale de Levinas, aujourd’hui Kaunas, en Lituanie.
  • [7]
    Voir L’Au-delà du verset : lectures et discours talmudiques, Paris : Édition du Minuit, 1982, p. 223.
  • [8]
    Il s’agit peut-être ici d’une allusion au livre de Vladimir Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien, Paris : Seuil, 1981.
  • [9]
    Voir Honneur aux Maîtres, textes rassemblés par Marguerite Léna, Paris : Critérion, 1991, p. 227-228.
  • [10]
    L’école de l’Alliance israélite universelle, destinée à former des professeurs de français, qui étaient envoyés dans tous les communautés juives des pays de la Méditerranée.
  • [11]
    Allusion à l’article d’Emmanuel Levinas « Le pharisien est absent » dans Difficile Liberté. Essais sur le Judaïsme, Paris : Albin Michel, 2nd version 1976, p. 47-50. Dans cet article Levinas met en relief la figure du « pharisien » qu’il voit attachée à la culture Talmudique, estimée par Levinas, contrairement aux courants de pensées mystiques, comme le chassidisme et la Kabbale dont il se méfiait. Levinas constate dans son article un certain manque vis-à-vis du renouvellement de la culture Talmudique, ainsi conclut-il : « Le pharisien est absent. Ses traits ne sont plus familiers à nos jeunes et sa haute stature ne domine pas nos pauvres débats. », op. cit., p. 48.
  • [12]
    Quant à la relation entre Levinas et Chouchani voir l’article de Shmuel Wygoda « Le maître et son disciple », dans : Cahiers d’études levinassiennes, n° 1, Paris : Éditions Verdier, 2002, p. 149-183. Sur le personnage énigmatique de Chouchani voir le témoignage d’Elie Wiesel dans son livre Legends of our time, New York : Avon, chapitre 10, et Salomon Malka, Monsieur Chouchani : l’énigme d’un maître du xxe siècle, Paris : Lattès, 1994.
  • [13]
    Bien qu’ils se soient rencontrés déjà en 1937, c’est seulement après la guerre que l’amitié étroite entre Levinas et son voisin Henri Nerson s’est nouée. Plus tard, Levinas devait lui dédicacer Difficile Liberté. Essais sur le Judaïsme par ces mots : « Au Docteur Henri Nerson, à l’ami en souvenir d’un enseignement qui exalte cette amitié ». Nerson, que Levinas a surnommé « mon maître quotidien », est mort en Israël en 1980.
  • [14]
    Voir Salomon Malka, Monsieur Chouchani : l’énigme d’un maître du xxe siècle, Paris : Lattès, 1994.
  • [15]
    Professeur, désormais à la retraite, à l’université hébraïque de Jérusalem à la faculté des études juives.
  • [16]
    Ici le futur est usé car l’entretien a eu lieu en 1992, or par contre la traduction en hébreu d’Éthique et Infini était publiée qu’en 1995.
  • [17]
    Levinas entend par là « couche sociale ». Le terme hébreu qui se trouve dans la version hébraïque de cet entretien, publié comme annexe dans la traduction en hébreu d’Éthique et Infini, est Shikhvah.
  • [18]
    Voir Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski, Les Frères Karamazov, Paris : Gallimard [Bibliothèque de la Pléiade], 1952, p. 310.
  • [19]
    Expression prononcée en hébreu par Levinas.
  • [20]
    Dans son interview avec François Poiré, Levinas dit avoir lu L’Étoile de la Rédemption dès 1935 ; voir François Poiré, Emmanuel Levinas – essai et entretiens, Paris : Actes Sud, 1996, p. 147.
  • [21]
    Franz Rosenzweig (1886-1929) a publié son opus magnum Der Stern der Erlösung en 1921. La première traduction française n’a paru qu’en 1982, sous le titre L’Étoile de la Rédemption, Paris : Seuil, trad. par Alexandre Derczanski et Jean-Louis Schlegel. Elle a été rééditée en 2003 au Seuil.
  • [22]
    Levinas a passé l’année universitaire 1928/29 à Fribourg-en-Brisgau où il a suivi les cours d’Edmund Husserl, qui partait à la retraite cette année-là, ainsi que de Martin Heidegger qui venait de prendre la chaire de celui-ci. Voir le témoignage de Levinas sur cette période dans son article « La ruine de la représentation » dans : Emmanuel Levinas, En découvrant l’existence avec Husserl et Heidegger, Paris : Vrin, 1974, p. 125 sq.
  • [23]
    Les notions de « tiers » et de « grec » sont des termes complexes de la philosophie de Levinas qu’il est difficile de développer en détail ici. Pour un lecteur peu familier avec la terminologie levinassienne, il reste toutefois possible de fournir quelques repères. Au-delà de la relation d’un moi à un toi, « le tiers » ouvre la dimension sociale ce qui implique la prise en compte des problèmes de la justice et de la politique en général. Par contre, sous le terme « grec » Levinas entend indiquer une tradition spirituelle, un mode de penser logique qu’il voit cheminer parallèlement avec la tradition hébraïque et la pensée juive. Voir à ces sujets Ephraïm Meïr, Levinas’s Jewish Thought. Between Jerusalem and Athens, Jérusalem, Magnes Press, 2008, ainsi que Pascal Delhom, Der Dritte. Levinas Philosophie zwischen Verantwortung und Gerechtigkeit, Munich, Fink, 2000.
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