Notes
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[1]
Par le sigle DDJ, je renvoie à l’édition du Seuil, 1959.
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[2]
À part l’article de Patrick Kéchichian, ensuite le Blog d’Assoulines, peu de remous par cette disparition. Les médias succombent aux hypes comme Les Bienveillantes, un Goncourt à court de bon sens, il me semble ! (Voir Kéchichian, « André Schwarz-Bart, écrivain de la Shoah », Le Monde, 2 octobre 2006, en ligne : http://www.lemonde.fr / web / article / 0,1-0,36-819090,0.html)
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[3]
Le phénomène des médias domine sur la qualité intrinsèque et les présupposés idéologiques et esthétiques de l’ouvrage. Débattu par les détracteurs et défenseurs pendant des semaines sur plusieurs sites et blogs, le roman a été significativement reçu avec moins d’égards outre-Manche. Je ne renvoie qu’au Times Literary Supplement : Justin Biplate, « Look on these horrors : the Blood-soaked Nightmares of an S.S. Officer », TLS November 17 (2007) : 21-22.
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[4]
J’emploie à dessein cette orthographe, vu que les termes tels que « négro-américain » et « afro-américain » ne sont plus « political correct » et que même le trait d’union est refusé car il est censé agglutiner deux moitiés irréconciliables (W.E.B. Dubois).
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[5]
Je n’approfondirais pas ici cet aspect de l’écriture schwarz-bartienne car elle a fait l’objet des publications de Francine Kaufmann que je remercie d’ailleurs pour être à l’origine de cette contribution au numéro de Pardès.
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[6]
Dans un entretien téléphonique quatre ans avant sa mort, l’auteur me confia qu’il avait plusieurs manuscrits mais qu’il ne pensait plus à les rendre publics.
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[7]
La critique blessa l’auteur dans son orgueil et sa dignité, d’autant plus qu’il est modeste et voulait rester à l’abri des regards médiatiques. Son changement de cap radical avec un roman historique sur l’esclavage en Guadeloupe, sa co-écriture avec son épouse (Wells 2000), fait unique dans l’histoire des lettres françaises et francophones, ne le sauvent pas de remontrances et de récriminations (Brahimi 1991). Il s’exposa à de nouvelles critiques en publiant Un plat de porc, roman dont le sujet se trouverait, aux yeux de certains critiques, juifs de surcroît, aux antipodes.
Qu’un Juif affabule la diaspora noire et l’esclavage indispose et explique l’accueil mitigé, selon Arnold Rampersad, critique africain-américain qui préfaça des « slave narratives ». Dans l’introduction à la traduction anglaise, Rampersad se demande : « a black writer probably “would have wanted to do it differently” » et « Is Western art finally suited to convey the real experience of this episode ? The answer in this case is, no. » (Je souligne) (A Woman Named Solitude, San Francisco : D.S. Ellis, 1985, XVIII-XIX). -
[8]
Significativement, la traduction anglaise précise : ‘this book is a work of fiction. In making use of historical fact the author referred principally to the following sources : Du Christ aux Juifs de cour : le bréviaire de la haine, by Léon Poliankov ; Ecrits des condamnés à mort, by Michel Borwicz ; L’univers concentrationnaire, by David Rousset ; De Drancy à Auschwitz, by Georges Wellers, ; Tragédie de la Déportation, by Olga Wormser. Non seulement on y trouve une même « bibliographie » à la fin d’Un plat de porc, mais cette traduction anglaise porte encore un exergue absent de l’original :Véritable éclaircissement donc, levant tout doute de « plagiat » à Jaztrum, comme le rappelle Kaufmann (2006). En même temps que dédicace aux anonymes raflés et gazés, l’exergue opère le même devoir de mémoire que Beloved : « To the Sixty Million and More » (Gyssels 2001). Il n’est pas du tout exclu que les destinataires (juifs / américains) à qui The Last of the Just, traduit par Stephen Becker à New York (Atheneum, 1960 ; 1973), s’adresse, aient suivi l’affaire discréditant ce début littéraire.«How am I to toll your deathHow may I mark your obsequies,Vagabond handful of ashesBetween heaven and earth ?M Jaztrum, The Obsequies »
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[9]
De couples d’auteurs illustres, plusieurs exemples existent. Colette et son mari Willy, ou encore Elsa Triolet et Louis Aragon, Ted Hughes et Sylvia Plath, ou même de peintres, Diego Riviera et Frida Kahlo, Max Ernst et Dorotheao Tanning. Lire à ce sujet Féminin / Masculin, couples en création, textes réunis et présentés par Christiane Achour et Michel Rolland, UCG, Texte / Histoire, 2003.
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[10]
« One of the most remarkable aspects of Schwarz-Bart’s novel is his attempt to portray the mentality of his protagonist through the frequent use of a “style indirect libre” in which the language of Africa, rich in imagery and metaphor, is blended with a highly poetic French style. The author uses it as a means to penetrate the psychological wall that separates his readers from Solitude and her people […] » (Weinberg 1972/1973 : 1072)
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[11]
Michael Rothberg, auteur de Traumatic Realism. The Demands of Holocaust Representation (2000), signale l’oubli du roman schwarz-bartien, malgré son « mé-tissage » de différents flux migratoires et histoires de subalternité dans « The Work of Testimony in the Age of Decolonization : Chronicle of a Summer, Cinéma-vérité, and the Emergence of the Holocaust Survivor » (PMLA 119.5 (2004) : 1231-1246).
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[12]
Mot que je m’approprie après Ormerod (2003) d’Edouard Glissant qui par ailleurs réfléchit à son tour sur les analogies et dissemblances entre la Diaspora juive et la Diaspora noire dans son premier essai, Le Discours antillais (1981) : il y souligne que la seconde est pire dans la mesure où la culture du Livre et la religion juives furent maintenues, ensemble avec le nom. Par contre, les « descendants de ceux qui survécurent » aux Antilles sont de ce point de vue des « migrants nus », frappés par la double dépossession : spatiale et temporelle. Patterson souligna avant Glissant à quel point l’esclavage signifia une mort clanique, familiale, culturelle, religieuse, sociale de l’individu africain « transbordé » : « slavery is social death ».
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[13]
Un deuxième roman ayant beaucoup servi Maryse Condé est indéniablement Pluie et vent sur Télumée Miracle : non seulement Tituba y parcourt les différentes étapes de l’initiation à la « séancière », la sorcière, mais encore la triade maternelle est tout à fait pareille : de même que Télumée est élevée par sa grand-mère, de même Tituba le sera par Man Yaya, une mère adoptive, Man Yaya. De même que Télumée, la dernière Lougandor, n’enfantera pas, Tituba à la fin de sa vie, sera enceinte mais ne verra pas sa propre fille…
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[14]
Pareillement, la mort de Solitude, exécutée dès qu’elle a donné vie à sa fille, est évoquée comme une « disparition » brutale et le supplice de Solitude symbolise moins l’aboutissement d’un drame individuel que la tragédie du peuple noir cloué aux chaînes, traité « aux fourmis, traités par le sac, le tonneau, la poudre au cul, la cire, le boucanage, le lard fondu, les chiens, le garrot, l’échelle, le hamac, la brimbale, la boise, la chaux vive, les lattes, l’enterrement, le crucifiement » (LMS 69), sans « dernier repos », tombe à visiter pour les proches. L’épilogue sert donc d’oraison funèbre, d’invitation à méditer et prier pour les innombrables Noirs écartelés et brûlés vifs parce qu’ils avaient la malchance d’appartenir au mauvais camp, celui de leur race.
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[15]
Elle choisit trois ouvrages pour éclaircir son point de vue dans « Facing » Black and Jewish Experience in The Pawnbroker, Higher Ground, and The Nature of Blood, Holocaust and Genocide Studies, 18.1 (Spring 2004) : 46-67.
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[16]
Voir Seymour Menton, Historia Verdadera del Realismo Magico, Mexico : Tierra Firme, 1998.
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[17]
« Además, tanto como El reino de este mundo (1949) de Alejo Carpentier ha cobrado mayor trascendencia ex post facto con el auge de la nueva novela histórica a partir de 1975, el enorme éxito de Cien años de soledad ha contribuido a la revalorización de varias novelas magicorrealistas anteriores : La montaña mágica (1920) de Thomas Mann, La marcha de Radetzky (1932) de Joseph Roth, Sobre los acantilados de mármol (1939) de Ernst Jünger, El desierto de los tártaros (1940) de Dino Buzzati, Retrato de Jennie de Robert Nathan y El último justo (1959) de André Schwarz-Bart », souligne Seymour Menton dans La Novela colombiano, réédité en 2007, p. 356.
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[18]
James Baldwin et Ralph Ellison, mais aussi Ishmael Reed et Toni Morrison, pendant que des auteurs juifs comme P. Roth et Cynthia Ozick plaident inversément pour le rapprochement et l’entendement. Des essais voient enfin la parution par de grands spécialistes de littératures minoritaires et ethniques : Against the Unspeakable, Complicity, the Holocaust, and Slavery in America par Naomi Mandel (UP Virginia, 2007) et chez le même éditeur, Ethnic American Literature : Comparing Chicano, Jewish, and African American Writing, par Dean J Franco. Enfin, je signale l’ouvrage de Bella Brodzki, Can These Bones Live ? Translation, Survival, and Cultural Memory (Stanford UP 2007).
-
[19]
Voir parmi plusieurs entretiens en ligne sur le site web : http://www.salon.com/nov96 /? interview2961111.html
- [20]
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[21]
Voir les travaux de Paul Gilroy, The Black Atlantic, Modernity and Double Consciousness, Cambridge : MA, Harvard UP, 1994, L’Atlantique noir, Ed Kargo, 2003. Ses vues sont par ailleurs reprises dans « The Black Atlantic », in The Holocaust. Theoretical Readings, Neil Levi and Michael Rothberg, 455-460. Paul Gilroy, « Not a Story to Pass On » : Living Memory and the Slave Sublime, in The Black Atlantic : in The Holocaust. Theoretical Readings, Neil Levi & Michael Rothberg, eds., Edinburgh : Edinburgh UP, 2003 : 455-460.
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[22]
« L’appareillage » de deux voix et de deux voies ni identiques, ni symétriques (Brahimi 15) fait d’André un « ghostwriter » que je traduis par « écrivain des ombres ». Depuis Philip Roth, l’expression « ghostwriter » cumule à la fois le devoir de mémoire à l’égard de victimes (in) connues, le quotient autobiographique dans l’écriture juive, et l’influence sidérale d’antécédents littéraires. Depuis Ghostwriter, la formule connaît un grand succès, grâce à son double fictif dans L’écrivain des ombres. Nathan Zückerman est le sosie de l’auteur car lui aussi est à l’écoute des ombres, de ceux et celles dont il se veut la bouche, rendant un visage aux ancêtres. Que, dans une œuvre ultérieure, The Human Stain (2001), porté à l’écran et traduit comme La tache (2005), Roth traite du « passing », le secret génétique de plusieurs Blancs qui en réalité étaient sang-mêlé, confirme davantage encore mon rapprochement avec l’auteur timide et silencieux qui tantôt passait pour un auteur antillais, tantôt pour un auteur juif, mais pas tout à fait… Non seulement la co-écriture atteste de l’exclusivité de l’auteur, mais encore l’analyse autotextuelle des romans de Simone et d’André dévoile à mes yeux la co-écriture (non officielle).
-
[23]
The Nature of Blood comprend trois histoires situées à différents lieux et différents temps. Le premier récit concerne les Juifs de Portobuffole, un quartier de Venise où ils sont ghettoïsés dès le xve siècle, un second fil narratif est le cahier rédigé par Eva Stern, clairement un écho, voire une réécriture du Journal d’Anne Frank, pendant que le troisième récit à la première personne est le récit d’Othello, le Maure de Venise. Par un pareil puzzle postmoderne et postcolonial, l’auteur vise à nous faire réfléchir sur des mémoires conflictuelles, et rompre avec un courant « univoque » des récits de témoignage, dans la mesure où il montre que la vie après Auschwitz pour la rescapée Eva Stern est lourdement hypothéquée. En réalité, elle ne vaut plus rien : toute tentative de fonder une relation, une famille, échoue et la jeune femme ne trouve plus de sens à sa vie sans sa sœur (Margot) et ses parents, tous morts aux camps. La réécriture d’un grand classique de Shakespeare, enfin, met au premier plan celui qui n’avait pas de voix chez l’auteur anglais, et qui nous livre sa version et vision des faits, de la vile trahison et exclusion pour ses services rendus à la République de Venise, tout simplement parce qu’il est noir. Par La nature humaine, titre en français, Phillips m’évoque le récit de Robert Antelme, L’espèce humaine. Il y a en effet synonymie avec le titre d’un autre roman concentrationnaire, La Nature humaine de Caryl Phillips : troublantes analogies dans le processus d’« aliéner » et d’exclure l’Autre, que ce soit dans un passé récent ou lointain, chez nous (Europe), ou en Israël même, font surface dans ces narrations identitaires qui alarment contre toute « doctrine » trop étroitement identitaire. Aussi le Journal d’Anne Frank y apparaît en filigrane : tandis que toutes les lectures de cette autofiction et récit-témoignage innocent puisque infantile insistent sur le dénouement dramatique, Phillips ose montrer que l’Après-Auschwitz pour les survivants ne va guère de soi (Ledent 2002).
« Hope passed over their heads like a star that falls from the sky ».
1Dans Le Dernier des Justes [1], prix Goncourt 1959 attribué à André Schwarz-Bart, je tombe sur cette scène renversante où le protagoniste Ernie Lévy cherche la maison parisienne de sa fiancée, mais apprend le départ de toutes les familles juives qui occupaient l’immeuble. À l’adresse des Engelbaum, il tient alors cette étrange conversation avec la concierge qui lui répond avec ses tics de langue et dans son français de la rue :
« J’voulais vous dire t’à l’heure, explique-t-elle, mais ça me fait mes troisièmes Juifs, et j’préfère laisser monter les gens d’abord. J’suis pas bonne à dire les choses, quoique je sois pas si mauvaise qu’on veut le croire. Voilà. »
Hébété, Ernie porta l’harmonica à sa bouche, un sifflement grêle et déplaisant en sortit.
« C’est qu’y-z-ont marché dessus. Elle me l’a jeté et elle a dit le jeune homme et j’ai compris que c’était vous ; parce que je comprends la vie, moi. Et un de ces messieurs l’a ramassé pour voir ce que c’est. – peut être qu’il pensait que c’était un bijou : ou peut-être simplement pour voir ce que c’est… et il l’a trépigné. Et puis ils sont montés dans le camion. Et… vous savez ce que c’est, quoi !
— Ça ne fait rien, proféra Ernie, ça peut se réparer.
— Et comme elle le regardait avec surprise, il ajouta :
— Ne vous inquiétez pas, madame, tous vos Juifs reviendront.
— D’ailleurs, tous les Juifs reviendront. Tous. »
3Puis, réprimant un frisson :
« Et s’ils ne reviennent pas, il vous restera toujours les noirs, ou les Algériens… ou les bossus.
— Comment que vous dites ?
— Vous avez raison, dit Ernie. Excusez-moi. Vraiment je ne sais pas comment m’excuser ».
5L’énumération des Noirs, des Algériens ou des bossus a de quoi surprendre : elle dénonce le principe du bouc émissaire dans une République française où c’est tour à tour la minorité juive, noire, maghrébine ou encore, d’autres exclus et d’autres marginaux de la société qui sont victimes de mesures d’expulsion ou d’emprisonnement. « Et s’ils ne reviennent pas, il vous restera toujours les noirs, ou les Algériens… ou les bossus », est une de ces phrases anodines par lesquelles l’auteur annonce déjà son regard embrassant tous les déracinés dans la capitale française au moment de l’action sinistre. Ainsi, Ernie tombera même amoureux d’une « de ces jeunes filles du quartier nègre de la Belle-de-Mai dont le chignon porte des peignes de corne dorée, et dont la chevelure haut montée semble tissée de soie noire au-dessus d’un visage en bois des îles » (DDJ 270). De même, dans son roman co-écrit avec sa femme, la Guadeloupéenne Simone Schwarz-Bart, l’auteur prend soin d’allier Mariotte, une Martiniquaise à Moritz Lévy, le frère aîné d’Ernie qu’elle croit apercevoir un jour dans les rues de Paris. Juifs et noirs seront figures de l’exclusion et de l’étranger dans l’œuvre romanesque schwarz-bartienne.
6Avec la mort trop inaperçue [2] d’André Schwarz-Bart (1928-2006), comme ombragée la même année par une « mémoire saturée » (Robin 2003) et un Goncourt aux Bienveillantes, début à mes yeux surclassé de Jonathan Littell [3], je veux interroger ici les échos de l’œuvre schwarz-bartienne chez un certain nombre d’auteurs antillais et africains américains [4].
7Autodidacte, André Schwarz-Bart employa de nombreuses sources et consulta de nombreux modèles [5] : évidences qu’il faut rappeler car, à l’époque, elles n’étaient pas moins responsables d’accusations de plagiat qui lui rendaient ombrage au point qu’il cessa d’écrire, carrément [6]. Après trois romans dont deux signés de son nom [7], l’auteur semble se résigner au silence, apparaissant rarement dans les événements littéraires, occasionnellement participant à une activité livresque en Guadeloupe ou en Martinique. Ce qui aujourd’hui est largement accepté, voire revendiqué sous prétexte de cannibalisme littéraire (Condé 2005), à savoir les traces intertextuelles, souleva énormément de discorde il y a cinquante ans [8]. À tel point que le prix Goncourt eut vite un arrière-goût amer, persuadant l’auteur de changer de cap et de réaliser sa saga antillaise, au grand dam de critiques qui épinglent un auteur par sa nationalité, sa langue ou son origine (Case 1985). Les trois romans signés par André Schwarz-Bart seul, Le Dernier des Justes (1958), La Mulâtresse Solitude (1972) et la co-rédaction d’Un plat de porc aux bananes vertes (1967) avec son épouse, romancière et dramaturge d’une seule pièce (Gyssels 2004) Simone Schwarz-Bart [9] constituent néanmoins une œuvre exceptionnelle. Et ceci tant par la thématique audacieuse, passerelle entre littérature de la Shoah et littérature de l’esclavage (Brodzki 1993 ; Scharfman 1995), que par sa forme innovatrice et son style singulier, ses voix narratives voilées de cynisme voltairien et d’humour yiddish, le style indirect libre [10], et le métissage de registres. De roman en roman, l’on trouve des genres de l’oraliture mélangés aux langages savants et à l’encyclopédisme, alternant le ton journalistique avec le merveilleux.
8En contraste avec la réception française, voire francophone, assez maigre et mitoyenne, certains auteurs caribéens et africains américains rendent hommage par des traces intertextuelles aux romans schwarz-bartiens. Ceux-ci se sentent surtout attirés et interpellés par l’originale approche de Schwarz-Bart qui situe la Shoah dans une Histoire globale d’oppression et de domination, qu’il ose donc, sans risque d’amalgame, aborder la traite négrière, également perpétrée par cette Europe impérialiste renforçant ses annexions colonialistes [11], et la persécution des juifs dans au moins sept pays de l’ancienne Europe de l’Est à la péninsule Ibérique, des confins de la Russie et de l’Ukraine à l’Angleterre, où il fait débuter l’Odyssée funeste des Lévy. Son premier roman, chronique de neuf siècles d’histoire ashkénaze et finissant avec la « Solution finale », jeta des étincelles outre-Atlantique et dans d’autres territoires coloniaux, notamment l’Afrique. Mais fruit d’une longue maturation et de plusieurs réécritures de son manuscrit, Le Dernier des Justes porte l’empreinte d’autres grands auteurs que l’autodidacte a « dévorés » pendant ses années parisiennes. À part l’impression de Voltaire et le personnage candide qu’est Ernie Lévy, mais aussi par plusieurs traits, Ti Jean L’Horizon (héros du roman éponyme signé par Simone, en 1979) et Solitude (héros du roman éponyme signé par André, en 1972), tous en quête du meilleur monde possible pour un Noir déporté dans ce Nouveau Monde, André Schwarz-Bart semble moulé par Luis Borgès.
L’inspiration d’A. Schwarz-Bart
9Pour Seymour Menton, notre auteur se serait formé en lisant les chefs-d’œuvre qui dans les années d’après-guerre furent disponibles, dont certains, spécifiquement latino-américains en traduction. Dans la laborieuse genèse du Dernier des Justes, Menton souligne à juste titre Borgès qui dans plusieurs nouvelles, telles que « Emma Zunz », « La muerte y la brujula », « El Aleph » (1919), « Deutsches Requiem » et « El milagro secreto » comprennent des éléments de culture judaïque. Spécialiste du réalisme merveilleux dans les littératures du Nouveau Monde (incluant Toni Morrison, Maryse Condé, et significativement Simone Schwarz-Bart), Menton avance l’hypothèse extraordinaire qu’André Schwarz-Bart serait l’héritier direct de Borgès dont on sait l’aura effectivement sur grand nombre d’auteurs d’expression française, en même temps que le modèle ou l’hypertexte pour Cent ans de Solitude. Non seulement Menton est convaincu que Le Dernier des Justes est un des meilleurs exemples du réalisme magique, mais encore qu’il a directement inspiré le Colombien aux racines caribéennes pour ce qui allait devenir le roman latino-américain probablement le plus célèbre du boom latino-américain. Quant à Borgès, deux nouvelles le confirment dans cette supposition. « Requiem allemand » et « Le miracle secret », et en effet, cette seconde comprend plusieurs passages de facture « schwarz-bartienne ». L’inéluctable piège qui conduit à la mort plus d’un Juste, avec une touche pénétrante d’ironie distanciée, est narré comme suit chez Borgès :
« Le 19, les autorités reçurent une dénonciation ; le même jour, le soir, Jaromir Hdladik fut arrêté. On le conduisit dans une caserne aseptique et blanche, sur la rive opposée du Moldau. Il ne put se défendre d’aucune des accusations de la Gestapo : son nom de famille maternel était Jaroslavski, son sang était juif ; son étude sur Boehme était judaïsante, sa signature allongeait la liste finale d’une protestation contre l’Anschluss. […] deux ou trois adjectifs en lettres gothiques suffirent pour […] le condamner à mort, pour encourager les autres ».
11Schwarz-Bart sut faire sienne cette écriture historicisante entre journalisme et « résumé » d’une histoire autrement énorme, envahissante, « hache » qui faillit détruire chaque narrateur qui s’impose sa narration, en même temps que l’ironie « yiddish ». Ainsi, la succession de débuts de chapitres illustre l’écriture journalistique, perforée de cynisme, alternant reportage historique et implosion de douleur, rage soutenue et pathos contrôlé :
« Le 10 novembre 1938, à 1 h 20 du matin, Joseph Heydrich chef de la Geheime Staatspolizei, annonçait par télégramme aux sections que des démonstrations antijuives “étaient à prévoir” sur tout le territoire du Troisième Reich. À 2 heures du matin, sous la nappe glacée du ciel, un cri strident jaillit en plein centre de Stillenstadt encore lovée dans ses anneaux, et qui brusquement s’étira, se déroula dans les rues, à la lueur de dizaines de flambeaux qui lui faisaient comme autant de pupilles haineuses. »
13Ou encore au tout début du chapitre III :
« Le 11 novembre 1938, plus de dix mille Juifs, dans le seul camp de Buchenwald, étaient reçus avec tous les raffinements d’usage tandis qu’un haut-parleur proclamait : “Tout Juif qui veut se pendre est prié d’avoir l’amabilité de mettre un morceau de papier portant son nom dans sa bouche, afin que nous sachions de qui il s’agit.” »
15Bref, Schwarz-Bart se trouverait entre deux des plus grands du boom latino-américain, J. L. Borgès et Gabriel Garcia Marquez. Certes, l’écrivain juif-polonais semble également comme il l’avoue dans un entretien aux Toumson à l’occasion de la parution de Pluie et vent sur Télumée Miracle avoir puisé chez des Américains comme Steinbeck (Men and Mice), des Russes comme Tchekhov (Ward n° 6 and Other Stories, dans Barnes & Noble Classic Collection m’en donnent la corroboration). Or quant à la facture du Dernier des Justes, c’est bien du Borgès qu’on décèle pour transposer un réel insupportable, une condition existentielle tout à fait insoutenable où les barrières entre réel et irréel se brouillent, préfigurant Cent ans de Solitude (Menton 1998 : 83).
16À côté d’auteurs qu’il aurait « plagiés » comme Madame de Sévigné, des contes hassidiques et jusqu’à la fameuse légende des Justes qu’il aurait en quelque sorte désacralisée par rapport à son origine et sens dans le Talmud, il est clair que l’auteur s’est enrichi par de grands écrivains, qu’il a livré un chef-d’œuvre parcouru d’échos d’autres voix majeures de la littérature française et traduite en français.
Schwarz-Bart, inspirateur d’écrivains africains
17Si Schwarz-Bart s’est inspiré d’autres œuvres, qu’en est-il de ceux qui se sont inspirés de son œuvre ? Le plus illustre est le Malien Yambo Ouologuem.
Yambo Ouologuem
18Le plagiat créatif dans le premier roman du Devoir de violence a fait l’objet de nombreuses études, par Éric Sellin (1971, 1974, 1976), par Mouralis (1984, article repris dans L’Illusion de l’altérité, 2007), l’emprunt de l’incipit et de l’excipit [12] et d’autres critiques, est incontestablement l’héritage le plus net de ce Goncourt 1959, Le Dernier des Justes. Selon l’auteur malien, son éditeur, Le Seuil, lui aurait suggéré de consulter Le Dernier des Justes pour y trouver peut-être des recettes d’écriture, des exemples stylistiques, des idées. Dans Le Devoir de violence, la saga ashkénaze sera comme transposée au territoire africain. À l’instar du début et de la fin schwarz-bartiens, tout l’attrait du début et de la fin du roman malien vient de ce que le narrateur situe l’histoire dans la macro-histoire, le début est un « moment » arbitraire d’une Histoire beaucoup plus ancienne, à vrai dire quasiment impossible à résumer, de ce que le narrateur accentue le fait qu’il est « témoin ».
19Dans les deux cas, le narrateur se porte garant d’être le porte-parole d’une histoire inénarrable par sa cruauté et son tragique. L’auteur débutant africain francophone copiera donc début et fin du modèle : Yambo Ouologuem termine Le Devoir de violence (1968, p 207) sur cette phrase : « Souvent il est vrai, l’âme veut rêver l’écho sans passé du bonheur. Mais jeté dans le monde, l’on ne peut s’empêcher de songer que Saïf, pleuré trois millions de fois, renaît sans cesse à l’Histoire, sous les cendres chaudes de plus de trente Républiques africaines… Ce soir, tandis qu’ils se cherchaient l’un l’autre jusqu’à ce que la terrasse fût salie des hauteurs noirâtres de l’aurore, une poussière chut d’en haut sur l’échiquier ; mais à cette heure où le regard de Nakem vole autour des souvenirs, la brousse comme la côte était fertile et brûlante de pitié. Dans l’air, l’eau et le feu, aussi, la terre des hommes fit n’y avoir qu’un jeu… »
20De même que le narrateur schwarz-bartien pressent une présence, regarde les étoiles chuter du ciel, métaphore initiée dans les premières phrases du roman et tout au long du récit du Dernier des Justes avec toute l’irradiation de l’Étoile juive, marqueur d’une humanité bafouée, de même Le Devoir de violence finit sur cette manifestation d’une lumière qui viendrait rappeler le passé, déranger même un quotidien.
21L’auteur malien débutant provoqua en fait ceux mêmes qui lui avaient recommandé de se renseigner auprès d’auteurs à succès et de romans couronnés. Ouologuem chercha délibérément à provoquer par cette appropriation et « injonction » (Miller 1983) toute une « République de lettres » française dans laquelle il voulait entrer mais à condition qu’il soit à la hauteur de certains modèles, aussi autodidactes soient-ils. Non seulement l’analogie entre le destin juif et le destin noir releva de l’outrage, mais encore l’auteur démystifie sa propre historie précoloniale, avant l’invasion des Européens comme une époque barbare, où les Africains pratiquaient l’esclavage. Dans L’Illusion de l’altérité, Bernard Mouralis souligne à juste titre que le Juif et le Noir sont posés ici l’un comme figure de l’autre (Mouralis 2006 : 545). De surcroît, l’auteur renonce à l’idée qu’il y ait un peuple élu. Il montre par ailleurs que les Africains, avant l’arrivée des Européens, pratiquaient déjà la guerre et la sédition. De surcroît, certains de ces tortionnaires descendaient de Juifs. En d’autres mots, Ouologuem rompt une fois pour toutes avec une Afrique précoloniale idéalisée dans le regard de certains Européens. Polémique et contesté, l’affaire de plagiat a rompu la carrière de Ouologuem bien que son calque d’André Schwarz-Bart lui ait valu le prix Renaudot en 1968. Il publiera après Lettre à la France nègre, un petit livre incendiaire qui, comme son titre l’indique, règle son différend avec la France, en même temps qu’il vient à bout de son complexe de colonisé français.
22André Schwarz-Bart va la répéter pour son roman africain : cette fois-ci, s’attelant à l’esclavage, il fera de même. Tissant des liens entre présence noire et présence juive dans la société européenne, il frappe encore que, abstraction faite de la co-écriture qu’est Un plat de porc aux bananes vertes (1967), une similarité frappante dans la forme et le style des deux romans signés par André Schwarz-Bart retienne notre attention. Les incipit et les excipit, sont assez identiques :
« Nos yeux reçoivent la lumière d’étoiles mortes. Une biographie de mon ami Ernie tiendrait aisément dans le deuxième quart du xxe siècle ; mais la véritable histoire d’Ernie Lévy commence très tôt, vers l’an mille de notre ère, dans la vieille cité anglicane de York. Plus précisément : le 11 mars 1185. »
« Il était une fois une petite négresse appelée Bayangumay. Elle était apparue sur terre vers 1750, dans un paysage calme et compliqué de delta, en une contrée où se mêlaient les eaux claires d’un fleuve, les eaux vertes d’un océan, les eaux noires d’un marigot – et où l’âme était encore immortelle, dit-on. »
25L’on ne saurait passer outre la phénoménale incidence des deux débuts respectifs : c’est le narrateur qui nous présente son personnage principal au carrefour de deux axes temporels, l’éternel et le réel. Le temps historique et les temps immémoriaux de la légende et des mythes. En même temps, les deux incipit emploient une date pour asseoir solidement l’ancrage fictif dans l’historicité : le défi de ne pas retomber dans une banalité de la représentation par une écriture purement historicisante a été relevé par l’auteur qui réussit à faire participer l’audience aux traumatismes de ses personnages (Stratton 87).
26Que Schwarz-Bart se mette dans la peau de l’historien juif face à l’innommable de l’histoire de la diaspora juive en Europe, qu’à plusieurs reprises il soit en proie au « délire de l’exhaustivité » (Ricœur 522), est clairement énoncé dans des digressions métalittéraires. « Le cœur multiplié du monde », et malgré les « nombreuses versions qui circulent dans les juiveries du xiiie siècle », les Justes se sont exemplifiés à alléger la souffrance des leurs, s’il le fallait… en les égorgeant, tel le premier Juste ici représenté, Yom Tov Lévy. Ayant de ses propres mains « sacrifié » d’innocents Juifs pour échapper au pogrom ordonné par l’évêque anglican. Soit se convertir, soit mourir, tel est l’impossible choix dicté à tant et tant d’émules et de croyants juifs. Ayant échappé à ce bain de sang, il est dit que Yom Tov Lévy descendait en droite ligne de ce Juste. Or, ayant mal égorgé son cadet, Salomon Lévy aurait survécu à sa blessure et continué la lignée (DDJ 13) :
« Ici, nous atteignons le point où l’histoire s’enfonce dans la légende, et s’y engloutit ; car les données précises manquent et les avis des chroniqueurs divergent. Selon les uns, Salomon Lévy se trouvait parmi les quelque trente enfants qui reçurent le baptême chrétien au milieu du massacre. Selon d’autres, mal égorgé par son père, il aurait été sauvé par une paysanne qui le remit à des Juifs du comté voisin »
28Même chose dans La Mulâtresse Solitude. Figure historique, Solitude est une des rares héroïnes féminines que comptent les Antilles françaises : d’où l’adaptation au théâtre par Patrick Chamoiseau, d’où la référence dans Soufrières, le deuxième roman du Guadeloupéen Daniel Maximin, à une dramaturgie qui mettrait en scène la vie mouvementée de cette femme esclave enceinte au moment du rétablissement de l’esclavage en Guadeloupe. Enceinte, elle fut pendue après avoir délivré son enfant. Bien qu’il ait fouillé les archives ayant trait à Solitude, ainsi que les cahiers de vente et registres d’esclaves ce souci de fidélité historique, ce besoin de cautionner le fictif se mesurent à l’embarras exprimé dès que le narrateur perd la trace de son personnage : « Ces années sont obscures et leur chronique incertaine » (LMS 74). Ailleurs, c’est à la mémoire du peuple qu’il fait confiance pour rétablir le cours exact de la vie de Solitude :
« Selon une tradition orale, encore vivace sous la Côte-sous-le-Vent, du côté des pitons de Deshaies, c’est vers l’âge de onze ans que la petite fille de Bayangumay tourna en zombi-cornes. […] On sait […] que l’enfant fut vendue et livrée le 8 février 1784, en la bonne ville de Basse-Terre de Guadeloupe. »
30On le voit bien, l’œuvre s’appuie parallèlement sur l’Histoire et la mémoire populaire ; elle compile la version et la vision antillaises du passé à partir de documents historiques, d’une part ; de contes et de légendes populaires, d’autre part. Cette formule va devenir une recette dans les nombreux avatars des « slave narrative » dans la littérature antillaise : ainsi, Moi, Tituba, emprunte à La Mulâtresse Solitude non seulement la coutume de La Pariade comme funeste origine de la protagoniste Tituba, mais encore le début.
Maryse Condé
31La Guadeloupéenne Maryse Condé reconnaît l’importance de Simone Schwarz-Bart comme auteure qui a réussi à rendre la voix des opprimés, de surcroît féminine. Pour son cinquième roman, Moi, Tituba, sorcière… noire de Salem, publié en 1986, elle s’inspire à la fois du best-seller de Simone [13] et de La Mulâtresse Solitude. Sa réécriture de la vie turbulente et pleine de péripéties de la figure historique Tituba Indien traite du procès le plus « scandaleux » qu’ait connu la jeune Amérique, à savoir celui des sorcières de Salem. À la demande de son éditeur, Mercure de France, d’offrir l’histoire d’une héroïne locale (Phaff 1993), Condé sort de l’oubli cette figure historique que Breslaw avait pourtant déjà documentée dans son Tituba, Relutant Witch. Devlish Indians and Puritan Fantasies (1996). Comme André Schwarz-Bart avait déjà consacré un roman à l’héroïne de la Guadeloupe, ladite Mulâtresse Solitude, Condé voue donc un roman à Tituba Indien, inculpée de sorcellerie et esclave originaire de la Barbade. Riche en péripéties, la vie de Tituba se prolonge là où les archives terminent, à savoir la vente de la prisonnière à un quelconque acquéreur après la fin des procès de Salem. La romancière poussa la fantaisie très loin lorsqu’elle s’imagine Tituba achetée par un Juif qui tombera amoureux de sa servante au point d’abdiquer sa foi. Tituba vivra avec un commerçant juif victime des mesures discriminatoires dans le Nouveau Monde. L’injustice prend des formes d’intolérance de plus en plus ouvertes : ils doivent payer plus de taxes, sont enterrés à part, et surtout, leurs biens sont souvent la proie ou la cible d’attaques antisémites. La maison du commerçant juif brûlera et Tituba s’échappera sauve avec Benjamin qui perd tous ses enfants dans le sinistre.
32Moi, Tituba, sorcière… noire de Salem intègre ainsi la lutte des esclaves pour leur liberté à celle des Juifs qui furent discriminés dans la colonie puritaine. Benjamin Cohen d’Azevedo rendra par ailleurs la liberté à celle qu’il a achetée et reprendra contact avec son épouse morte grâce à la « magie » de Tituba. Le portrait de ce deuxième maître de la femme de couleur est une caricature comme pour mieux détruire les stéréotypes imputés dans la propagande antisémite européenne d’avant la Seconde Guerre mondiale :
« Mon Dieu ! quel homme ! Petit, le dos déformé par une bosse qui pointait à hauteur de son épaule gauche, le teint couleur d’aubergine et le visage dévoré par de grands favoris roux qui se mêlaient à une barbe en pointe. »
34Dans ce « mock-epic », la diaspora noire est comparée à celle des Juifs, mais avec moins de succès, semble-t-il. C’est une tentative de régler le « conflit des mémoires » qui commence à faire rage dans le débat public en France à l’époque, et qui risque aussi le danger de la « saturation de mémoire », comme le dit Régine Robin (Robin 2003). L’exemple discret de Schwarz-Bart qui, dès Le Dernier des Justes, avait parlé pour d’autres groupes opprimés, notamment les Algériens et les handicapés, puis, en établissant par des paratextes l’effort de situer la Shoah dans une histoire génocidaire. Dans La Mulâtresse Solitude notamment [14]), cela est réalisé par l’Épilogue où un narrateur en errance visite les ruines de l’Habitation Danglemont où moururent 300 esclaves insurgés et voit tout à coup, spectres dérangeant son esprit, les « ruines humiliées » de Varsovie :
Ressentant un léger goût de cendre, l’étranger fera quelques pas au hasard, tracera des cercles de plus en plus grands autour du lieu de l’Habitation. Çà et là, sous de larges feuilles mortes, dorment encore des moellons projetés au loin par l’explosion et déterrés, enterrés à nouveau et redéterrés par la houe innocente des cultivateurs : il heurtera l’un d’eux du pied. Alors, s’il tient à saluer une mémoire, il emplira l’espace environnant de son imagination ; et, si le sort lui est favorable, toutes sortes de figures humaines se dresseront autour de lui, comme font encore, dit-on, sous les yeux d’autres voyageurs, les fantômes qui errent parmi les ruines humiliées du Ghetto de Varsovie.
36S’il ne va guère de soi de rapprocher des holocaustes et des génocides, l’intention de l’auteur correspond à une démarche profondément humanitaire, mémorielle et commence seulement aujourd’hui à être enfin défendue ouvertement. Wendy Zierler s’interroge à son tour sur la pertinence de « comparer » ou d’extrapoler en analysant précisément des fictions où diaspora noire et diaspora juive s’entremêlent, où les auteurs consciemment entretissent les deux tragédies : « My Holocaust Is Not Your Holocaust » [15] examine des romans africains américains (Beloved), caribéens (The Nature of Blood, 1997) et américains (Cynthia Ozick, soulignons qu’elle est classée et considérée comme « American », alors que de souche juive et clairement appartenant à cette littérature judéo-américaine).
Gabriel García Márquez
37Le deuxième exemple d’affinité surprenante, voire d’inspiration manifeste du Dernier des Justes est Cent ans de Solitude du Colombien García Márquez. En effet, son best-seller Cien Anos de Solitud (1967) aurait emprunté beaucoup au Dernier des Justes : plusieurs caractéristiques à la fois formelles (chronique familiale, long livre fleuve), stylistiques (alternance d’un narrateur-historien et d’un chroniqueur de famille), et de contenu plaident pour cette étonnante intertextualité qui peut-être, seul Garcia Marquez pourra nous le dire, relève de la « mémoire de lecture » inconsciente. C’est surtout le réalisme magique, la figure archétypique de la matriarche, la ville « légendaire », la dyade des frères, la chronique familiale, etc., qui se retrouvent transposés dans le Macondo de ce roman que le grand romancier a pu lire pendant son exil parisien. Selon Seymour Menton [16], le Bildüngsroman qu’est aussi en effet Le Dernier des Justes est repris par García Márquez, de même que le « chronotope » de Stillenstadt aurait donné l’exemple pour Macondo, pendant que les figures titulaires comme la matriarche et le patriarche se correspondraient : à Mutter Judith ressemblerait Mutter Ursula, tandis que le grand-père d’Élie Lévy, Mardochée, livre le modèle pour Buendia également érudit et propriétaire d’une énorme bibliothèque. Il y aurait ensuite les deux frères antipodiques en tout ; Élie et Jacob sont aussi différents l’un de l’autre, bien que frères, que le seront les Buendia. Il y a ensuite les motifs réalistes merveilleux comme les insectes (mouches, papillon), animaux (le chat, animal emblématique du réalisme merveilleux, qu’il se « déroule » au Nouveau Monde ou ailleurs). L’hypothèse de Menton tient la route à relire la fin du roman qui nous lègue en quelque sorte le « devoir de mémoire » en évoquant aussi la solitude qui y rime avec l’innommable « présence » sentie par le narrateur ayant terminé l’odyssée macabre d’Ernie et de tous les Lévy et de tous les Juifs :
« Parfois, il est vrai, le cœur veut crever de chagrin. Mais souvent aussi, le soir de préférence, je ne puis que m’empêcher de penser qu’Ernie Lévy, mort six millions de fois, est encore vivant, quelque part.
Je ne sais où… Hier, comme je tremblais de désespoir au milieu de la rue, cloué au sol, une goutte de pitié tomba d’en haut sur mon visage, mais il n’y avait nul souffle dans l’air, aucun nuage dans le ciel… Il n’y avait qu’une présence. »
39Pareil passage rime assez bien avec la fin rêveuse d’Aureliano et le livre-témoignage à une cité rasée à la fin de Cent ans de solitude :
alors commença à se lever le vent, tiède et tout jeunet, plein de voix du passé, des murmures des géraniums anciens, de soupirs de désillusions encore antérieures aux plus tenaces nostalgies. Il n’y fit pas attention […]
41Et de même que la fin hisse le livre au rang de « monument », de même lisons-nous :
Alors [Aureliano] sauta encore des lignes pour devancer les prophéties et chercher d’arriver au vers final, il avait compris qu’il ne sortirait jamais de cette chambre […] tout ce qui y était écrit demeurait depuis toujours et resterait à jamais irrépétible, aux lignes condamnées à cent ans de solitude, il n’était pas donné sur terre de seconde chance.
43Mais surtout il y a les passages textuellement proches, comme lorsque Aureliano le second voyage dans un train plein de cadavres, scène très « frappante » dans le dernier Livre du roman schwarz-bartien aussi :
Puis il souleva la dépouille du gamin et la déposa avec une douceur infinie au-dessus du monceau grandissant d’hommes juifs, de femmes juives, d’enfants juifs que les cahots du train bringuebalaient dans leur dernier sommeil.
45Réécriture dans Cent ans de Solitude :
José Arcadio le Second voulait fuir ce cauchemar et se traîna de wagon en wagon dans le sens de la marche du train, et à la faveur des éclairs qui s’allumaient soudain il voyait les morts hommes, les morts femmes et les morts enfants qu’on emmenait pour précipiter à la mer comme des régimes de bananes au rebut.
47Si Menton a raison en prétendant que : « Le Dernier des Justes […] no solo es el mejor exemplo francés del realismo magico sino que también ofrece un enlace inesperado con Borges y García Marquez » (Menton 1998 : 81), l’on mesure les implications phénoménales de pareille « révision » : toute l’histoire littéraire du boom serait à refaire, ou du moins devrions-nous remettre en question les places fulgurantes d’un Garcia Márquez au sommet des spécialistes du réalisme magique : posant directement la question à l’auteur de Historia Verdadera, lui suggérant qu’il pose à son tour la question à Márquez qu’il connaît bien, Menton me dit ne pas oser lui poser pareille question. J’en cherche donc confirmation dans les rares entretiens donnés par l’auteur colombien et traduits en français. Dans À la rencontre de Garcia Márquez, Juan Gustavo Cobo Borda enquête sur ses sources et l’auteur reconnaît : Prix Nobel en 1982, l’auteur lui avoue qu’il était un lecteur vorace et qu’il écrivait sous l’impulsion de qui venait de lui passer dans les mains, surtout La Métamorphose de Kafka (Cobo Borda 2000 : 148). Dans Cent ans de Solitude, chronique étalée sur plusieurs générations de Buendia, il y aurait donc transposition de Stillenstadt et de Zémyock, havres de paix avant que la folie antisémite ne détruise la communauté juive, à Macondo. Si l’on ne peut parler de plagiat créatif comme à propos du Devoir de violence, force est de constater qu’il y a imitation au niveau de la forme et du contenu, sans qu’on atteigne la réécriture par ailleurs typiquement postcoloniale (exemples-types, Omeros (1990) de Walcott).
48Les lieux, personnages, par exemple, correspondent : de même que l’ancêtre Mardochée, avec sa force physique, ressemble au colonel fondateur de la dynastie des Buendia, de même les longues conversations sur le Talmud et la culture juive annoncent les échanges entre le colonel et son José Arcadio Segundo dans le quartier magique de Melquiades (traduction K G de « Entre Borgés y García Márquez », Menton 1998 : 95).
49En guise de conclusion de cette révélation éclatante que nous apprend donc la lecture de l’Historia verdadera del Realismo Magico, confirmée encore par nos échanges mèls avec l’auteur, il y a ample raison pour dépoussiérer Le Dernier des Justes, pré-texte à la célébrité sans faille du « premier » roman du réalisme magique latino-américain, et l’impact du roman schwarz-bartien devrait être revu, comme le souligne Menton dans son essai de 1978 [17]. Revoir l’histoire littéraire s’impose donc, eu égard aux nombreux romans qui sont venus graviter autour de l’archétype de l’écrivain latino-américain : « réalisme magique et anti-impérialiste militant » : Heinrich Böll, Octavio Paz, Susan Sontag et V.S. Naipaul, Günther Grass et Guillermo Carbrera Infrante (« Gravitation autour de García Márquez » (Cobo Borda 2000 : 56).
Daniel Maximin
50Dans Soufrières, non seulement La Mulâtresse Solitude est dit être le livre de chevet d’Elisa, la jeune Antillaise devenue muette le jour où elle a vu son frère abattu par balles dans une manifestation indépendantiste dans l’île, mais aussi une pièce de théâtre mise en scène par une troupe de jeunes acteurs guadeloupéens.
51Par l’insertion de cette référence, le romancier hisse donc le romancier adoptif au rang de celui qui a fourni un « capital symbolique » important, un patrimoine culturel proprement antillais.
52Que, de plus, la figure de la muette soit désignée comme lectrice de ce roman ineffable, de cette mémoire ineffaçable, est loin d’être gratuit. De fait, Elisa est littéralement l’amputée de voix, emmurée dans une solitude qui me rappelle le personnage sans voix qu’était Solitude. Maximin a d’abord pu s’inspirer de ce personnage enfermé dans un mutisme apparemment inguérissable. Or, cette servitude exemplaire, stratagème pour montrer à la mère qu’il lui est possible de jouer ce rôle « métis », perd sa raison d’être le jour où Solitude apprend que sa mère marronne a donné naissance à un enfant « aussi noir et joli qu’une graine d’icaque » (LMS, 72). C’est alors que Solitude, « perdue en pays blanc » (LMS, 66), sombre dans la léthargie, « tourn [e] en zombie ». Comme « le Dernier des Justes », ces personnages évoluent en introvertis blessés à vif, leur sensibilité à vif par les circonstances terribles dans lesquels ils grandissent. Manquant d’amour et d’affection, les esclaves, comme les enfants juifs en milieu allemand (l’épisode de l’école de Monsieur Krémer dans DDJ), ils vont rêver de vengeance mais se savent impuissants devant tant d’injustices et tant d’inégalités. Aux moments les plus difficiles de sa servitude, l’esclave Solitude songe à se rebeller, à devenir « autre », désireuse de « faire le mal « et de « tourner en chien « (LMS, 72-73). Comme Ernie Lévy s’imaginant Chien, Mouche, Solitude mélange du jus de manioc dans l’eau des poules, acte « sorcier » qui la bannira définitivement de la « grande case ». Atrocement seule, sans attaches avec qui que ce soit, la « zombi-corne » doute de sa propre « humanité » :
« Solitude se sentit de plus en plus légère, une simple bulle d’eau, traversée par de vagues reflets lumineux.
54[…]
[Elle] n’était plus, elle était comme si elle n’avait jamais été. »
56Illuminée sur sa non-identité, elle refuse d’être la cocotte des Blancs tout en sachant que cela ne lui fera pas regagner la mère. D’ores et déjà, elle fera le mal en « faveur de son [propre] plaisir » et non pour faire montre de « fidélité » à ses malfaiteurs (LMS, 72). Se cantonnant en un no man’s land entre Noirs et Blancs, elle se baptise, en un geste accusateur, d’un nom qui reproche aux autres de l’avoir rendue telle qu’elle est, et qui indique le passage irréversible vers le néant, la perte de soi. Par le nom Solitude, elle dénonce que, quelle que soit la coloration de sa peau, l’Antillais s’esseule dans une solitude protectrice, rempart contre les attaques d’un moins foncé que soi.
John Edgar Wideman
57Dans The John Edgar Wideman Stories, le narrateur relate une histoire d’enlèvement dans la guerre du Moyen-Orient, et réfléchit sur le sort des otages, choisis par les terroristes dans le conflit israélo-palestinien :
Les Lamed-Vov sont les otages de Dieu. Sans eux, l’humanité suffoquerait dans un long cri d’agonie. Elle apprenait cela d’un roman français dans lequel on prétendait qu’ils appartenaient à une vieille légende talmudique. Les Lamed-Vov sont des éponges qui absorbent toute la souffrance humaine. Elle pensait bien que Diane Arbus, la photographe morte, pourrait en être une. […] Selon le roman, mille ans ne suffiraient pas pour diluer l’agonie que chacun des Lamed-Vov endure.
59Est-ce que l’auteur talentueux du Cattle Killing (1997), de Sent for you Tonight (1998), Fever et Am I the Prisoner of my Brother ? a lu Le Dernier des Justes, prix Goncourt 1959 d’André Schwarz-Bart ? J’en pressens l’évidence et en trouve confirmation dans une étude de Adam Zachary Newton, Facing Black and Jew : Literature as Public Space in Twentieth-Century America (1999) dans lequel il illustre combien Wideman s’inscrit dans toute une lignée d’auteurs [18] qui ont tenté l’entente et l’harmonie entre deux groupes minoritaires avec cette différence près que, comme le souligna déjà Fanon, le Juif peut dissimuler sa judéité.
60Dans son roman The Cattle Killing, Wideman avait rapproché l’épidémie de fièvre qui ravagea Philadelphie et Haïti [19] : la maladie était imputée aux esclaves noirs récemment arrivés dans le pays avec leurs maîtres fuyant la révolte d’esclaves en 1793.
61Quoique le narrateur fasse allusion à « a French novel », je ne connais d’autre roman construit sur la légende talmudique. Dans Le Dernier des Justes, brillamment traduit en anglais avec des éclaircissements quant aux sources employées par l’auteur (ce qui manque dans l’original et a porté discrédit sur l’auteur jugé « plagiaire »), Ernie rêve dans un état second qu’un rabbi le marie avec Golda. Un dialogue entre un vénérable Ancien et le jeune Elie souligne l’élection millénaire des Juifs, et l’endurance des Lamed-Wav :
« Mais tu le sais bien, mon bon Schmuel, que le cœur juif doit crever mille fois pour le plus grand bien des nations. C’est pour ça que nous sommes élus, ne le sais-tu pas ?
63Dans Fever, Wideman revient sur la légende pour appuyer la mission de souffrance que certains « élus » africains américains doivent assumer. Évoquant d’autres destinées tragiques, juives notamment, situées dans le ghetto d’Anvers et d’autres capitales de l’Europe, le narrateur souligne les circonstances similaires et la peau noire comme « a badge of shame », le masque du Mal également imposé au Juif :
À Amsterdam, je vendais des diamants, Allen. À Barcelone, ils m’ont cueilli des poils de barbe pour en faire des « fétiches » contre leurs ennemies. Il y avait des nuits de dongeon où le manteau de la souffrance était la seule possession pour me protéger du froid mortel. J’ai maudit le nom de Dieu pour m’avoir choisi, pour avoir choisi mon peuple pour être massacrés et cocufiés. As-tu entendu des Lamed-Vov, les Trente-six Justes qui sont élus pour souffrir la douleur que l’homme ne peut supporter ? Sauveurs de trucs, Allen.
65Pour Wideman, la crise actuelle opposant Sionistes et Palestiniens est similaire en ce que les Israéliens se comportent comme des Juifs fascistes, à la façon dont Hannah Arendt l’écrit à propos de Walter Benjamin déchiré entre Sionisme et communisme [20], dans son « Introduction » aux Illuminations de W Benjamin.
66La frontière entre les Justes et les Injustes se brouille. La distinction entre gens de couleur et gens blancs est impossible, de même que pour Wideman, « l’idée selon laquelle tous les Juifs seraient blancs est aussi fausse et donc combattue que celle qui a été conservée dans la mémoire de la plupart des gens, à savoir que toutes les victimes du Nazisme furent juives, gitanes, homosexuelles ou communistes ». Il rappelle que des Noirs aussi furent gazés et que le conflit actuel israélo-palestinien intensifie le différend qui oppose particulièrement aux États-Unis les Juifs orthodoxes et les adeptes de Louis Farakhan prêchant ouvertement l’antisémitisme. En choisissant un protagoniste israélien de couleur, il instruit son lecteur que des Juifs comprennent des individus de couleur, brouillant systématiquement les frontières de « race », classe, sexe et de nationalité comme de langue et de religion. Dans Valéria, un rescapé de l’Holocauste finit par raconter à sa femme de ménage africaine américaine en Floride qu’il doit sa vie sauve à l’action courageuse d’une jeune femme noire qui le protégea de son corps des bottes des nazis voulant la mort du garçon juif.
L’écrivain des ombres, nom et renom
67Empruntant l’expression « ghost writer » à Philip Roth, je l’applique à André Schwarz-Bart qui, malgré une œuvre romanesque assez réduite, laissa quelques étincelles particulièrement marquantes, traces indélébiles dans quelques-uns des auteurs majeurs de la diaspora noire aujourd’hui. Précurseur dans l’effort de voir plus loin que son propre parcours et profil d’auteur, citant Buber pour défendre le dialogue de cultures et de religions, tissant un fil entre l’Atlantique noir et la dissémination juive bien avant d’autres [21], Schwarz-Bart brille telle une étoile, de toute sa force. Il y a un demi-siècle, il imagina un espace de dialogue interethnique et lança un plaidoyer pour ce qu’on appelle aux États-Unis « Cross-Ethnic Studies » (Meyer 19), si bien que l’auteur minoritaire est devenu exemplaire pour un mombre croissant d’auteurs désireux de brouiller les pistes des identités meurtrières. Comme James Baldwin, Styron et Schwarz-Bart sont précurseurs d’une approche transculturelle et transethnique, voire transgénérique. « Exilé de la Shoah » (Scharfman 1995, Brodzki 1983) comme de nombreuses anthologies et essais fondateurs des lettres antillaises (Lettres créoles, par Chamoiseau et Confiant, 1991 ; et F.I. Case, 1985, etc.), André Schwarz-Bart céda la place d’honneur à Simone Schwarz-Bart, et fit de son ex-femme sa première héritière [22]. Sa générosité et son amour ont fait qu’il a refusé le renom au point de céder son nom à son épouse.
Bibliographie
Bibliographie
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Notes
-
[1]
Par le sigle DDJ, je renvoie à l’édition du Seuil, 1959.
-
[2]
À part l’article de Patrick Kéchichian, ensuite le Blog d’Assoulines, peu de remous par cette disparition. Les médias succombent aux hypes comme Les Bienveillantes, un Goncourt à court de bon sens, il me semble ! (Voir Kéchichian, « André Schwarz-Bart, écrivain de la Shoah », Le Monde, 2 octobre 2006, en ligne : http://www.lemonde.fr / web / article / 0,1-0,36-819090,0.html)
-
[3]
Le phénomène des médias domine sur la qualité intrinsèque et les présupposés idéologiques et esthétiques de l’ouvrage. Débattu par les détracteurs et défenseurs pendant des semaines sur plusieurs sites et blogs, le roman a été significativement reçu avec moins d’égards outre-Manche. Je ne renvoie qu’au Times Literary Supplement : Justin Biplate, « Look on these horrors : the Blood-soaked Nightmares of an S.S. Officer », TLS November 17 (2007) : 21-22.
-
[4]
J’emploie à dessein cette orthographe, vu que les termes tels que « négro-américain » et « afro-américain » ne sont plus « political correct » et que même le trait d’union est refusé car il est censé agglutiner deux moitiés irréconciliables (W.E.B. Dubois).
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[5]
Je n’approfondirais pas ici cet aspect de l’écriture schwarz-bartienne car elle a fait l’objet des publications de Francine Kaufmann que je remercie d’ailleurs pour être à l’origine de cette contribution au numéro de Pardès.
-
[6]
Dans un entretien téléphonique quatre ans avant sa mort, l’auteur me confia qu’il avait plusieurs manuscrits mais qu’il ne pensait plus à les rendre publics.
-
[7]
La critique blessa l’auteur dans son orgueil et sa dignité, d’autant plus qu’il est modeste et voulait rester à l’abri des regards médiatiques. Son changement de cap radical avec un roman historique sur l’esclavage en Guadeloupe, sa co-écriture avec son épouse (Wells 2000), fait unique dans l’histoire des lettres françaises et francophones, ne le sauvent pas de remontrances et de récriminations (Brahimi 1991). Il s’exposa à de nouvelles critiques en publiant Un plat de porc, roman dont le sujet se trouverait, aux yeux de certains critiques, juifs de surcroît, aux antipodes.
Qu’un Juif affabule la diaspora noire et l’esclavage indispose et explique l’accueil mitigé, selon Arnold Rampersad, critique africain-américain qui préfaça des « slave narratives ». Dans l’introduction à la traduction anglaise, Rampersad se demande : « a black writer probably “would have wanted to do it differently” » et « Is Western art finally suited to convey the real experience of this episode ? The answer in this case is, no. » (Je souligne) (A Woman Named Solitude, San Francisco : D.S. Ellis, 1985, XVIII-XIX). -
[8]
Significativement, la traduction anglaise précise : ‘this book is a work of fiction. In making use of historical fact the author referred principally to the following sources : Du Christ aux Juifs de cour : le bréviaire de la haine, by Léon Poliankov ; Ecrits des condamnés à mort, by Michel Borwicz ; L’univers concentrationnaire, by David Rousset ; De Drancy à Auschwitz, by Georges Wellers, ; Tragédie de la Déportation, by Olga Wormser. Non seulement on y trouve une même « bibliographie » à la fin d’Un plat de porc, mais cette traduction anglaise porte encore un exergue absent de l’original :Véritable éclaircissement donc, levant tout doute de « plagiat » à Jaztrum, comme le rappelle Kaufmann (2006). En même temps que dédicace aux anonymes raflés et gazés, l’exergue opère le même devoir de mémoire que Beloved : « To the Sixty Million and More » (Gyssels 2001). Il n’est pas du tout exclu que les destinataires (juifs / américains) à qui The Last of the Just, traduit par Stephen Becker à New York (Atheneum, 1960 ; 1973), s’adresse, aient suivi l’affaire discréditant ce début littéraire.«How am I to toll your deathHow may I mark your obsequies,Vagabond handful of ashesBetween heaven and earth ?M Jaztrum, The Obsequies »
-
[9]
De couples d’auteurs illustres, plusieurs exemples existent. Colette et son mari Willy, ou encore Elsa Triolet et Louis Aragon, Ted Hughes et Sylvia Plath, ou même de peintres, Diego Riviera et Frida Kahlo, Max Ernst et Dorotheao Tanning. Lire à ce sujet Féminin / Masculin, couples en création, textes réunis et présentés par Christiane Achour et Michel Rolland, UCG, Texte / Histoire, 2003.
-
[10]
« One of the most remarkable aspects of Schwarz-Bart’s novel is his attempt to portray the mentality of his protagonist through the frequent use of a “style indirect libre” in which the language of Africa, rich in imagery and metaphor, is blended with a highly poetic French style. The author uses it as a means to penetrate the psychological wall that separates his readers from Solitude and her people […] » (Weinberg 1972/1973 : 1072)
-
[11]
Michael Rothberg, auteur de Traumatic Realism. The Demands of Holocaust Representation (2000), signale l’oubli du roman schwarz-bartien, malgré son « mé-tissage » de différents flux migratoires et histoires de subalternité dans « The Work of Testimony in the Age of Decolonization : Chronicle of a Summer, Cinéma-vérité, and the Emergence of the Holocaust Survivor » (PMLA 119.5 (2004) : 1231-1246).
-
[12]
Mot que je m’approprie après Ormerod (2003) d’Edouard Glissant qui par ailleurs réfléchit à son tour sur les analogies et dissemblances entre la Diaspora juive et la Diaspora noire dans son premier essai, Le Discours antillais (1981) : il y souligne que la seconde est pire dans la mesure où la culture du Livre et la religion juives furent maintenues, ensemble avec le nom. Par contre, les « descendants de ceux qui survécurent » aux Antilles sont de ce point de vue des « migrants nus », frappés par la double dépossession : spatiale et temporelle. Patterson souligna avant Glissant à quel point l’esclavage signifia une mort clanique, familiale, culturelle, religieuse, sociale de l’individu africain « transbordé » : « slavery is social death ».
-
[13]
Un deuxième roman ayant beaucoup servi Maryse Condé est indéniablement Pluie et vent sur Télumée Miracle : non seulement Tituba y parcourt les différentes étapes de l’initiation à la « séancière », la sorcière, mais encore la triade maternelle est tout à fait pareille : de même que Télumée est élevée par sa grand-mère, de même Tituba le sera par Man Yaya, une mère adoptive, Man Yaya. De même que Télumée, la dernière Lougandor, n’enfantera pas, Tituba à la fin de sa vie, sera enceinte mais ne verra pas sa propre fille…
-
[14]
Pareillement, la mort de Solitude, exécutée dès qu’elle a donné vie à sa fille, est évoquée comme une « disparition » brutale et le supplice de Solitude symbolise moins l’aboutissement d’un drame individuel que la tragédie du peuple noir cloué aux chaînes, traité « aux fourmis, traités par le sac, le tonneau, la poudre au cul, la cire, le boucanage, le lard fondu, les chiens, le garrot, l’échelle, le hamac, la brimbale, la boise, la chaux vive, les lattes, l’enterrement, le crucifiement » (LMS 69), sans « dernier repos », tombe à visiter pour les proches. L’épilogue sert donc d’oraison funèbre, d’invitation à méditer et prier pour les innombrables Noirs écartelés et brûlés vifs parce qu’ils avaient la malchance d’appartenir au mauvais camp, celui de leur race.
-
[15]
Elle choisit trois ouvrages pour éclaircir son point de vue dans « Facing » Black and Jewish Experience in The Pawnbroker, Higher Ground, and The Nature of Blood, Holocaust and Genocide Studies, 18.1 (Spring 2004) : 46-67.
-
[16]
Voir Seymour Menton, Historia Verdadera del Realismo Magico, Mexico : Tierra Firme, 1998.
-
[17]
« Además, tanto como El reino de este mundo (1949) de Alejo Carpentier ha cobrado mayor trascendencia ex post facto con el auge de la nueva novela histórica a partir de 1975, el enorme éxito de Cien años de soledad ha contribuido a la revalorización de varias novelas magicorrealistas anteriores : La montaña mágica (1920) de Thomas Mann, La marcha de Radetzky (1932) de Joseph Roth, Sobre los acantilados de mármol (1939) de Ernst Jünger, El desierto de los tártaros (1940) de Dino Buzzati, Retrato de Jennie de Robert Nathan y El último justo (1959) de André Schwarz-Bart », souligne Seymour Menton dans La Novela colombiano, réédité en 2007, p. 356.
-
[18]
James Baldwin et Ralph Ellison, mais aussi Ishmael Reed et Toni Morrison, pendant que des auteurs juifs comme P. Roth et Cynthia Ozick plaident inversément pour le rapprochement et l’entendement. Des essais voient enfin la parution par de grands spécialistes de littératures minoritaires et ethniques : Against the Unspeakable, Complicity, the Holocaust, and Slavery in America par Naomi Mandel (UP Virginia, 2007) et chez le même éditeur, Ethnic American Literature : Comparing Chicano, Jewish, and African American Writing, par Dean J Franco. Enfin, je signale l’ouvrage de Bella Brodzki, Can These Bones Live ? Translation, Survival, and Cultural Memory (Stanford UP 2007).
-
[19]
Voir parmi plusieurs entretiens en ligne sur le site web : http://www.salon.com/nov96 /? interview2961111.html
- [20]
-
[21]
Voir les travaux de Paul Gilroy, The Black Atlantic, Modernity and Double Consciousness, Cambridge : MA, Harvard UP, 1994, L’Atlantique noir, Ed Kargo, 2003. Ses vues sont par ailleurs reprises dans « The Black Atlantic », in The Holocaust. Theoretical Readings, Neil Levi and Michael Rothberg, 455-460. Paul Gilroy, « Not a Story to Pass On » : Living Memory and the Slave Sublime, in The Black Atlantic : in The Holocaust. Theoretical Readings, Neil Levi & Michael Rothberg, eds., Edinburgh : Edinburgh UP, 2003 : 455-460.
-
[22]
« L’appareillage » de deux voix et de deux voies ni identiques, ni symétriques (Brahimi 15) fait d’André un « ghostwriter » que je traduis par « écrivain des ombres ». Depuis Philip Roth, l’expression « ghostwriter » cumule à la fois le devoir de mémoire à l’égard de victimes (in) connues, le quotient autobiographique dans l’écriture juive, et l’influence sidérale d’antécédents littéraires. Depuis Ghostwriter, la formule connaît un grand succès, grâce à son double fictif dans L’écrivain des ombres. Nathan Zückerman est le sosie de l’auteur car lui aussi est à l’écoute des ombres, de ceux et celles dont il se veut la bouche, rendant un visage aux ancêtres. Que, dans une œuvre ultérieure, The Human Stain (2001), porté à l’écran et traduit comme La tache (2005), Roth traite du « passing », le secret génétique de plusieurs Blancs qui en réalité étaient sang-mêlé, confirme davantage encore mon rapprochement avec l’auteur timide et silencieux qui tantôt passait pour un auteur antillais, tantôt pour un auteur juif, mais pas tout à fait… Non seulement la co-écriture atteste de l’exclusivité de l’auteur, mais encore l’analyse autotextuelle des romans de Simone et d’André dévoile à mes yeux la co-écriture (non officielle).
-
[23]
The Nature of Blood comprend trois histoires situées à différents lieux et différents temps. Le premier récit concerne les Juifs de Portobuffole, un quartier de Venise où ils sont ghettoïsés dès le xve siècle, un second fil narratif est le cahier rédigé par Eva Stern, clairement un écho, voire une réécriture du Journal d’Anne Frank, pendant que le troisième récit à la première personne est le récit d’Othello, le Maure de Venise. Par un pareil puzzle postmoderne et postcolonial, l’auteur vise à nous faire réfléchir sur des mémoires conflictuelles, et rompre avec un courant « univoque » des récits de témoignage, dans la mesure où il montre que la vie après Auschwitz pour la rescapée Eva Stern est lourdement hypothéquée. En réalité, elle ne vaut plus rien : toute tentative de fonder une relation, une famille, échoue et la jeune femme ne trouve plus de sens à sa vie sans sa sœur (Margot) et ses parents, tous morts aux camps. La réécriture d’un grand classique de Shakespeare, enfin, met au premier plan celui qui n’avait pas de voix chez l’auteur anglais, et qui nous livre sa version et vision des faits, de la vile trahison et exclusion pour ses services rendus à la République de Venise, tout simplement parce qu’il est noir. Par La nature humaine, titre en français, Phillips m’évoque le récit de Robert Antelme, L’espèce humaine. Il y a en effet synonymie avec le titre d’un autre roman concentrationnaire, La Nature humaine de Caryl Phillips : troublantes analogies dans le processus d’« aliéner » et d’exclure l’Autre, que ce soit dans un passé récent ou lointain, chez nous (Europe), ou en Israël même, font surface dans ces narrations identitaires qui alarment contre toute « doctrine » trop étroitement identitaire. Aussi le Journal d’Anne Frank y apparaît en filigrane : tandis que toutes les lectures de cette autofiction et récit-témoignage innocent puisque infantile insistent sur le dénouement dramatique, Phillips ose montrer que l’Après-Auschwitz pour les survivants ne va guère de soi (Ledent 2002).