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Article de revue

Frontières dans la tourmente : la talibanisation des zones tribales

Pages 337 à 357

Notes

  • [1]
    CERI-Sciences Po/INALCO.
  • [2]
    Ahmed Rashid les appelle « al-Qaïda central ».
  • [3]
    Depuis 2001 le Pakistan a installé des dizaines de postes de contrôle et la démarcation de la frontière a été réalisée dans certains secteurs. Toutefois, le tracé de la ligne Durand reste contesté par les deux pays et la frontière est toujours poreuse, surtout au Baloutchistan.
  • [4]
    On dénombre au moins 15 millions de Pachtouns en Afghanistan.
  • [5]
    Selon le recensement de 1998, la population des FATA s’élevait à 3138000 habitants, chiffres considérés comme fortement sous-évalués.
  • [6]
    Cf. Robert Nichols. A History of Pashtun Migration 1775-20, Karachi, Oxford University Press, 2008.
  • [7]
    Nous en traitons pas ici du conflit à Swat où les dynamiques sont de nature différentes.
  • [8]
    L’accord sur la ligne Durand fut signé en 1893 et les zones tribales ont été créées dans les années qui ont suivi. De 1849 à 1901, date de la création de la NWFP, les districts de la Frontière faisaient partie du Penjab.
  • [9]
    Les zones tribales ont une superficie de 27000 km2, soit 2, 6 % du territoire pakistanais.
  • [10]
    Créée en 1973.
  • [11]
    Créée en 1951.
  • [12]
    Créée en 1973, Orakzai est la seule zone tribale non-contiguë à la frontière afghane.
  • [13]
    Ces régions tribales contiguës aux zones tribales n’en font pas partie, elles sont rattachées aux districts.
  • [14]
    Selon le principe « diviser pour régner », les Britanniques ont fait en sorte qu’aucune zone tribale ne soit dominée par une seule tribu.
  • [15]
    On dénombre actuellement plus de 35000 malik : 1505 malik et 66 lungi au Nord-Waziristan ; 1321 malik et 137 lungi au Sud-Waziristan.
  • [16]
    L’institution des khassadar revient à un soutien financier aux tribus ; ces derniers perçoivent un salaire de 3000 roupies, soit la moitié du salaire minimum au Pakistan, et ils doivent fournir leurs armes et munitions ; ce salaire étant souvent confisqué par le Political Agent (cf. infra) à titre d’amende.
  • [17]
    Pour plus de détails sur le Political Agent, cf. Humayun Khan, « The Role of the Federal Government and the Political Agent », in Tribal Areas of Pakistan : Challenges and Responses, Pervaiz Iqbal Cheema, Maqsudul Hasan Nuri (éd.), Islamabad Policy Research Institute, Hanns Seidel Foundation, 2005.
  • [18]
    Pour les FCR, cf. Khalid Aziz, « Frontier Crimes Regulation and Administration of the Tribal Areas », ibid. La première version des FCR fut promulguée en 1872 ; la version actuellement en vigueur adoptée en 1901. La Haute Cour de Peshawar devait conclure en 1990 que le système des FCR, appelées black laws par les populations tribales, était contraire à la Constitution, décision confirmée en 1994 par la Cour suprême ; le système est pourtant resté en vigueur. Des réformes limitées ont été introduites en 2009, les partis politiques étant notamment autorisés à avoir des activités dans les FATA ; le président Zardari n’a toutefois pas signé l’ordonnance mettant en application ces réformes. L’abrogation des FCR annoncée par le gouvernement fédéral sans consultation des tribaux reste un objet de débat dans le pays.
  • [19]
    Les tribaux ne peuvent pas faire appel devant les juridictions pakistanaises ; les réformes introduites en 2009 prévoient une instance d’appel séparée dans les FATA, ce qui ne contribue pas à l’intégration de ces zones.
  • [20]
    L’absence de droits de douane a permis un commerce extrêmement lucratif de biens de luxe importés via l’Afghanistan et revendus dans les « Bara markets ».
  • [21]
    Ce chiffre est surévalué ; en réalité le taux d’alphabétisation des hommes varie de 23 % dans l’agence de Khyber à 10 % dans celle d’Orakzai.
  • [22]
    Nous avons développé ces aspects entre autre in FATA-A Most Dangerous Place, Shuja Nawaz (auteur principal), Center for Strategic & International Studies, Washington, janvier 2009, <www.csis.org/publication/fata-most-dangerous-place>.
  • [23]
    Ce plan de réformes prévoyait la représentation des FATA à l’Assemblée provinciale de la NWFP, des élections locales au suffrage universel, la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire, l’autorisation des activités politiques, des amendements aux FCR et la création d’un Secrétariat aux FATA. Seule cette dernière mesure a été appliquée car elle était dans l’intérêt du gouvernement.
  • [24]
    Pour une analyse du changement social, cf. Inam ur Rahim, Alain Viaro, Swat : An Afghan Society in Pakistan. Urbanisation and Change in a Tribal Environment, Karachi, City Press, 2002. Bien que les dynamiques locales soient très différentes selon les cas, on constate des tendances partout analogues dans la transformation de la société tribale depuis le milieu des années 1970.
  • [25]
    On estime que 200000 personnes la franchissent chaque jour.
  • [26]
    L’école de pensée réformatrice associée à la madrasa fondée en 1867 à Deoband (nord de l’Inde) et qui visait à purifier l’islam indien des pratiques « non islamiques », essentiellement le culte des saints et les rites empruntés à l’hindouisme.
  • [27]
    Le riwaj varie d’une tribu à l’autre ; il est moins favorable aux femmes que la shar?‘a, ce qui explique la résistance opposée par les Pachtouns depuis le XIXe siècle à ce que cette dernière soit imposée.
  • [28]
    Selon les définitions données par Jon W. Anderson, le lignage est un groupe localisé et unifié qui peut retracer sa généalogie jusqu’à un ancêtre commun. Un clan est un groupe de personnes se réclamant d’un ancêtre commun sans nécessairement pouvoir retracer sa généalogie ; un clan peut inclure plusieurs lignages.
  • [29]
    Maison des hommes attenante à la maison du malik où sont reçus les étrangers au village et où les hommes se réunissent ; c’est le centre de l’activité politique.
  • [30]
    Les médiateurs sont surtout les sayyid, descendants du Prophète qui se revendiquent comme arabes et donc extérieurs à la société pachtoune. Les mollahs élus au Parlement depuis 1997 ne sont pas sayyd, à une ou deux exceptions près.
  • [31]
    Zulfiqar Ali Bhutto avait déjà envisagé de l’introduire dans les FATA en 1977.
  • [32]
    Les FATA qui dépendent du gouvernement fédéral ne sont pas représentées à l’Assemblée provinciale de la NWFP.
  • [33]
    Ils étaient donc très courtisés par les partis pour former des coalitions et se ralliaient généralement au plus offrant.
  • [34]
    Nous avons dénombré plus de 200 candidats pour un siège dans l’agence tribale de Kurram en 1997 ! La compétition était bien entendu très intense et on cherchait à acheter le désistement des candidats disposant d’une base. On a vu des candidats accepter de se désister en échange d’une fille en mariage, sans compter une somme d’argent.
  • [35]
    Ceci est particulièrement vrai en comparaison avec la société penjabie régie par la hiérarchie des castes. Le système social de Swat, beaucoup moins égalitaire, s’apparente à un système de castes.
  • [36]
    Nous utilisons le terme de propriétaire terrien plutôt que celui de chef tribal pour traduire « khan ». En effet, il n’y a pas dans les zones tribales de chef tribal au sens où on l’entend habituellement, la société étant relativement égalitaire. Dans la société pachtoune, un chef doit constamment démontrer qu’il est digne d’exercer le pouvoir, sous peine de voir ses clients faire allégeance à un autre chef. Par ailleurs, il s’agit de petits propriétaires terriens par rapport à ceux du Pendjab et du Sind en l’absence d’une économie permettant de maintenir des relations de clientélisme.
  • [37]
    Les communiqués rendus publics après les tirs de missiles américains font très souvent état de victimes tchétchènes, mais jamais la présence d’aucun Tchétchène n’a été établie dans les FATA.
  • [38]
    Un sondage effectué récemment au Waziristan établissait le résultat suivant : 50 % au Sud-Waziristan et 45 % au Nord- Waziristan de oui contre seulement 17 % pour l’ensemble des zones tribales à la question « Les étrangers paient-ils un loyer élevé ? ».
  • [39]
    Le terme de « mécréant » utilisé par les autorités pakistanaises présente une forte connotation religieuse ; il vise à délégitimer aux yeux de la population lers combattants qui se définissent comme des moujdahidin.
  • [40]
    Le Pakistan a toléré la présence des taliban afghans perçus comme un atout à préserver pour le jour où les troupes américaines se retireraient d’Afghanistan.
  • [41]
    Les pertes de l’armée pakistanaise dans ces opérations sont plus élevées que les pertes cumulées pendant les guerres contre l’Inde et que les pertes de la coalition en Afghanistan.
  • [42]
    Le fait que les bombardements soient ou non imputables aux Américains n’est pas important, ce qui compte c’est la perception qu’en ont les tribaux. L’armée pakistanaise tente systématiquement de couvrir les Américains, ce qui est loin de convaincre les populations locales.
  • [43]
    Ceci étant aussi valable pour les opérations militaires en Afghanistan et l’entrée de soldats dans les villages, ou pire encore dans les maisons. Le versement de compensations ne met pas fin à l’obligation de vengeance.
  • [44]
    Propos d’un habitant du Nord-Waziristan.
  • [45]
    Le général Orakzai a été le premier gouverneur originaire des FATA, aucun de ses 26 prédécesseurs n’ayant été d’origine tribale.
  • [46]
    Dignitaire religieux (alim) et tribal, héros du jihad des années 1980, lié à l’ISI et à la CIA, actuellement l’un des chefs de l’insurrection contre les troupes de la coalition dans l’Est de l’Afghanistan. Sa maison et sa madrasa au Nord-Waziristan ont été pris pour cible par des bombardements américains, notamment en septembre 2008. Une de ses épouses, sa sœur, sa belle-sœur et huit de ses petits-enfants ont été tués lors de ces attaques.
  • [47]
    Ismaïl Khan. « Pakistan paid militants to surrender. Money used to "repay" Al Qaida debt », The Tribune, 9 février 2005. Ces indemnisations qui n’ont pas été versées aux civils ont servi à l’achat d’armes.
  • [48]
    On estime que 80000 jeunes de 18 à 25 ans sont sans emploi au Waziristan. Une extrapolation à l’ensemble des zones tribales permet de calculer qu’environ 200000 jeunes sont des recrues potentielles pour les taliban locaux. Par ailleurs, les destructions occasionnées par les bombardements ainsi que les blocus répétés ont encore réduit les possibilités d’emploi local.
  • [49]
    Cf. Iqbal Khattak « I did not surrender to the military, says Nek Mohammad », The Friday Times, 30 avril-6 mai 2004.
  • [50]
    Daily Times, 9 février 2005.
  • [51]
    Cf. Irfan Siddiqi, Jang, 18 juin 2004.
  • [52]
    Il prendra une seconde épouse immédiatement après avoir signé l’accord, ce qui est une marque de statut et suppose des dépenses importantes.
  • [53]
    Cf. Mushtaq Yusufzai, « Tribal elders call for raising FATA force », The News, 14 septembre 2006.
  • [54]
    Mariam Abou Zahab, « Pakistan : silence on meurt… », Bakchich info, 10 septembre 2008, <www.bakchich.info/article4967.html>. Les Turi qui forment 40 % de la population de Kurram sont chiites ainsi qu’une partie des Bangash et des Orakzai ; ils sont persécutés depuis des décennies par les Mangal sunnites. Cf. également Mariam Abou Zahab, « Unholy Nexus : Talibanism and Sectarianism in Pakistan’s Tribal Areas », in Laurent Gayer (éd.), Guerre et société en AfPak, CERI, Paris, 2009.
  • [55]
    Plus de 500 membres des forces armées ont été tués et plus de 850 autres blessés lors de 65 attentats-suicides perpétrés de juillet 2007 à l’été 2008. Au cours des huit premiers mois de 2008, le nombre de victimes d’attentats-suicides au Pakistan – 471 dont 312 civils – a dépassé celui de l’Irak – 463 morts – et de l’Afghanistan – 436 morts. Près de 200 personnes ont trouvé la mort en deux semaines au mois d’octobre 2009.
  • [56]
    Seuls 6 districts sur 24 ont été déclarés « normaux » pour les élections de février 2008.
  • [57]
    Cf. Anwarullah Khan, « Crackdown on Militants by Tribal Volunteers », Dawn, 6 octobre 2008.
  • [58]
    Cf. J.M. Ewart, Story of the North West Frontier Province, Lahore, Sang-e Meel, 2000 (1929).

1 De nombreux Pakistanais non pachtouns considèrent les Federally Administered Tribal Areas (FATA, zones tribales sous administration fédérale), voire plus généralement la North-West Frontier Province (NWFP, Province de la frontière du Nord-Ouest), comme un « Far West » plus lié à l’Afghanistan qu’au Pakistan. Les zones tribales qui avaient fasciné les Britanniques à l’époque coloniale et que ceux-ci n’étaient jamais parvenus à conquérir sont devenues depuis le 11 septembre 2001 l’espace de regroupement des réseaux d’al-Qaïda  [2] et des taliban afghans et pakistanais. C’est à partir de cette région que les États-Unis, l’Arabie saoudite et le Pakistan ont mené le jihad contre l’URSS dans les années 1980 et que le Pakistan a tenté de peser sur l’évolution intérieure de l’Afghanistan dans les années 1990. Le statut de quasi-autonomie des zones tribales en a fait un sanctuaire pour des groupes opérant au Pakistan et en Afghanistan. La ligne Durand qui s’étend sur 1200 kilomètres et divise les Pachtouns depuis 1893 reste largement virtuelle  [3] et n’a jamais été reconnue par aucun gouvernement afghan comme frontière internationale. Enfin, les opérations militaires menées par l’armée pakistanaise dans les zones tribales depuis 2003 à la suite de fortes pressions américaines ont contribué à déstabiliser la région et favorisé le mouvement de talibanisation des zones tribales qui s’étend désormais aux villes de la NWFP.

2 On estime à 28 millions les Pachtouns pakistanais  [4] dont cinq millions au moins vivent dans les zones tribales  [5]. La moitié de la population des zones tribales vit, de manière permanente ou temporaire, en dehors de ces zones : on compte près de trois millions de Pachtouns, afghans et pakistanais, à Karachi, la plus grande ville pachtoune, et près d’un million dans la péninsule Arabique, notamment dans les Émirats arabes unis  [6]. Sans compter les centaines de milliers de personnes déplacées par les opérations militaires et qui ont rejoint Karachi et les villes de la NWFP ; tout particulièrement les nombreux déplacés à la suite des opérations militaires dans la zone tribale de Bajaur  [7] et dont beaucoup qui étaient rentrés chez eux après que l’armée eut annoncé la fin des opérations ont de nouveau fui la reprise des bombardements et vivent dans des camps qui avaient accueilli les réfugiés afghans dans les années 1980. Par ailleurs, des dizaines de milliers de personnes ont récemment quitté le Sud-Waziristan, fuyant les tirs de drones américains et les bombardements de l’armée pakistanaise qui avaient pour but de préparer le terrain avant une nouvelle offensive au sol

3 La NWFP  [8] est divisée en deux espaces ayant un statut juridique et administratif respectivement différent : les settled areas – Hazara (Abbottabad), Peshawar, Kohat, Bannu, Dera Ismaïl Khan – et les sept zones tribales  [9] – Khyber, Kurram, Nord-Waziristan, Sud-Waziristan, Bajaur  [10], Mohmand  [11], Orakzai  [12] – auxquelles s’ajoutent les « régions frontières » des districts de Peshawar, Kohat, Bannu, Lakki Marwat, Tank et Dera Ismaïl Khan  [13]. Par ailleurs, les anciens États princiers de Dir, Swat et Chitral ainsi que Malakand sont des Provincially Administered Tribal Areas (PATA, zones tribales sous administration provinciale).

4 Les zones tribales ne sont homogènes ni culturellement  [14] ni idéologiquement. On peut diviser les FATA et les régions voisines en trois espaces dans lesquels les dynamiques et les enjeux sont différents : le Sud, c’est-à-dire les deux Waziristan et les districts voisins de Dera Ismaïl Khan et Tank, fief des taliban ; le Centre – Kurram, Khyber, Orakzai – marqué par les conflits confessionnels (sunnites-chiites et intra-sunnites), la dernière zone étant toutefois devenue récemment un bastion des taliban et de leurs alliés pendjabis ; le Nord – Bajaur, Mohmand – bastion du salafisme où l’influence d’al-Qaïda est dominante.

LA STRUCTURE POLITICO-ADMINISTRATIVE

5 Les Britanniques laissaient les tribus gérer leurs propres affaires et en échange celles-ci s’engageaient à maintenir des relations pacifiques avec l’administration coloniale, à ne pas mener de raids dans les settled areas et à ne pas accorder l’asile à des délinquants. Les Britanniques ont réussi à contrôler les tribus par des accords ainsi que par l’octroi d’allocations collectives (muwajib) et individuelles (lungi et maliki)  [15] comme de privilèges et en appliquant le principe de la responsabilité collective et territoriale de la tribu. Lorsque les accords n’étaient pas respectés, les autorités interrompaient le versement des allocations et imposaient un blocus et des amendes ; en cas d’échec de ces mesures, les Britanniques menaient des opérations militaires qui se concluaient dans la quasi-totalité des cas par la signature de nouveaux accords qui rendaient les tribus responsables du maintien de l’ordre ; en échange le gouvernement devait continuer à leur verser des allocations.

6 Après la Partition du sous-continent indien en 1947, le gouvernement pakistanais retira ses troupes des FATA et accorda un statut spécial à ces zones. Jinnah, le promoteur de l’État pakistanais, déclarant en 1948 que le gouvernement n’avait pas l’intention d’intervenir dans les affaires intérieures des tribus. Il allait réaffirmer la politique de versement d’allocations et confirmer les « arrangements existants » aussi longtemps que les tribus resteraient fidèles au Pakistan.

7 Ce système reposant sur des méthodes politiques, juridiques et militaires ne fut pratiquement pas modifié. Le maintien de l’ordre fut confié à des milices tribales (Frontier Corps ou Scouts) encadrées par des officiers de l’armée pakistanaise, ainsi qu’aux khassadar, une police tribale recrutée au sein des tribus  [16] et chargée de la protection des voies de communication. Le gouverneur de la NWFP, depuis 1947 un général en service actif ou à la retraite, gère les zones tribales par l’intermédiaire d’un Secrétariat aux FATA à Peshawar totalement indépendant de l’administration provinciale.

LES MALIK ET LE POLITICAL AGENT

8 Le gouvernement pakistanais a également maintenu le système des malik (notables ou mashar, aussi appelés spingere [barbes blanches]) et des Political Agents mis en place par les Britanniques pour gérer les zones tribales  [17]. Si les autorités coloniales avaient exagéré le mythe de l’autonomie tribale parce que cela servait leurs intérêts, le Pakistan poursuvit sur cette voie pour les mêmes raisons : leur statut particulier garantissait que ces zones-tampon ne faisaient pas partie de l’Afghanistan.

9 Le Political Agent qui représente le gouvernement fédéral est à la fois administrateur et diplomate en ce sens qu’il doit veiller au respect des accords passés avec les tribus. Son rôle s’est progressivement étendu au contrôle des affaires intérieures des tribus ; il intervient en tant que conseiller, voire comme arbitre et peut demander un engagement de bonne conduite ; il dispose, aux termes des Frontier Crime Regulations (FCR)  [18], de toute une série de sanctions  [19] – amendes collectives, blocus économique des tribus récalcitrantes, apposition de scellés sur les magasins leur appartenant même en dehors de la zone tribale, incarcération de proches de délinquants ou de membres de leur tribu en vertu du principe de responsabilité collective et territoriale pour obtenir leur reddition ou garantir le respect d’une décision, et, en dernier ressort, recours à la force. Le Political Agent peut nommer de nouveaux malik et augmenter ou diminuer le montant des allocations versées. Progressivement, le personnage devint distributeur de richesses : il disposait de fonds secrets qu’il pouvait utiliser pour rémunérer des informateurs, acheter des mollahs ou favoriser un malik important ; surtout, c’est lui quiaccordait des permis d’importation de marchandises  [20] et d’exportation de bois de construction, par exemple, un commerce extrêmement lucratif. Le Political Agent gérait également les quotas de recrutement dans l’administration et d’admission dans les établissements d’enseignement ainsi que de visas pour des emplois dans le Golfe. Tous ces avantages ont permis d’acheter la paix sociale pendant des décennies : une minorité influente de bénéficiaires de ces avantages – malik, entrepreneurs, transporteurs, contrebandiers et trafiquants – avaient un intérêt au maintien du statu quo et le Political Agent qui n’avait pratiquement pas à rendre de comptes devint comme un roi dans sa zone.

10 Bien que le gouvernement pakistanais ait régulièrement exprimé sa volonté d’œuvrer au développement économique des FATA, il n’y a pas eu depuis 1947 un quelconque plan ou stratégie à long terme d’élaboré. Les gouvernements pakistanais n’avaient pas investi dans les FATA avant le 11-Septembre ; les indices de développement humain sont y très bas : un taux d’alphabétisation officiel de 30 % pour les hommes  [21] et de 3 % pour les femmes ; un revenu par habitant inférieur de moitié au niveau national, 70 % de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté ; un manque d’infrastructures patent. Ces zones sont restées isolées du Pakistan et leurs habitants ont l’impression d’être traités en citoyens de seconde zone  [22].

11 L’introduction d’institutions de gouvernement local aux titre du Devolution Plan (projet de décentralisation) et le plan de réformes des FATA annoncé en janvier 2002 par le président Musharraf  [23] ont été ajournés en raison de la « guerre contre la terreur », le gouvernement estimant qu’une structure de gouvernement centralisée était préférable pour mener des opérations militaires.

LES CHANGEMENTS SOCIOPOLITIQUES DEPUIS LES ANNÉES 1970

12 La société pachtoune est souvent représentée à tort comme figée dans le temps et appliquant un code d’honneur immuable, alors que la région a connu des bouleversements sociopolitiques au cours des 30 dernières années. Les changements des dynamiques sociales remontent aux années 1970 au cours desquelles les tribaux, à la recherche d’emplois, ont commencé à émigrer en grand nombre vers Karachi puis vers le Golfe, ce qui a permis à des lignages mineurs de s’enrichir et de contester la hiérarchie de pouvoir. Le libéralisme économique des années 1980, le boom de la contrebande sous le régime de Zia- ul-Haq et les transferts de fonds des émigrés – bénéficiant essentiellement aux catégories défavorisées de la société rurale – ont permis à des groupes tribaux émergents d’accumuler des richesses investies dans la construction de maisons et de magasins ainsi que dans l’acquisition de terres et d’armes  [24]. Les inégalités sociales traditionnelles basées sur les valeurs pachtounes de l’hospitalité et de l’honneur (cf. infra) ont été remplacées par des inégalités fondées sur l’argent qui ont profondément transformé la société tribale. Les migrants, et surtout les plus jeunes, ont pris conscience tant de leur statut dans la société pakistanaise que des inégalités et ils ont commencé à réclamer les mêmes droits que les autres Pakistanais. On observe dès le milieu des années 1970 l’émergence d’un leadership religieux prêt à contester le système politique hérité de l’époque coloniale. C’est ainsi qu’en 1973, dans l’agence tribale de Kurram, Allama Arif Hussain Hussaini, dignitaire chiite, a pris la tête d’un mouvement de jeunes Turi – tribu entièrement chiite – contre les malik et le Political Agent. Au Waziristan, au milieu des années 1970, Maulana Noor Mohammad a établi son autorité sur les Wazirs et contesté le leadership traditionnel. Rétrospectivement, cette affaire annonçait les bouleversements sociopolitiques que le Waziristan connaît depuis 2001.

13 Durant le jihad afghan des années 1980, les flux de dollars et d’armes ainsi que la contrebande, le trafic de drogue, les enlèvements contre rançon, les vols de voitures, entre autres activités, ont été des sources supplémentaires de revenus. Tout ceci entraînant une polarisation de la société plutôt que l’adaptation à un contexte nouveau.

14 La déstructuration de l’autorité tribale a commencé dans les années 1980 quand l’armée pakistanaise, ou plutôt l’Inter-Services Intelligence (ISI, services de renseignement), a marginalisé les malik et utilisé les mollahs pour unir les tribus contre l’URSS. L’islam a été instrumentalisé pour faire contrepoids au nationalisme pachtoun, dominant dans les années 1960 et 1970 et perçu comme une menace pour l’État pakistanais, tout particulièrement après la sécession du Bangladesh en 1971. L’affaiblissement progressif des institutions rurales traditionnelles et l’évolution de la situation politique en Afghanistan ont permis l’autonomisation de groupes religieux. La ligne Durand est devenue une « frontière ouverte »  [25] et l’installation de réfugiés afghans dans les zones tribales a profondément affecté l’équilibre démographique et confessionnel ainsi que la structure de pouvoir. En outre, les camps d’entraînement et les madrasa déobandies  [26] financées par des donateurs arabes ont promu le militantisme religieux dans une société traditionnellement « laïque ». La société pachtoune perçue traditionnellement comme égalitaire est progressivement devenue une société de classe. Les divisions tribales sont stables, mais l’autorité ne l’est pas : un chef doit constamment prouver qu’il est digne d’exercer le pouvoir. Le processus de changement social a entraîné l’apparition de quatre catégories, ce qui contribuait à la fragmentation de la société tribale. Les leaders traditionnels qui s’étaient alliés à l’administration pour défendre leurs intérêts ont été discrédités – s’ils demeurent respectés, leur rôle et leurs opinions sont de plus en plus contestés. La nouvelle classe émergente enrichie par la contrebande et l’économie de guerre – entrepreneurs, commerçants, transporteurs, négociants en bois de construction, trafiquants d’armes et de drogue – ont, dans certains cas, aquis le titre de malik, ce qui leur permettait de poursuivre leurs activités et de s’enrichir encore davantage grâce à l’économie informelle. La classe moyenne éduquée – médecins, ingénieurs, enseignants du secondaire, journalistes, étudiants, militaires et bureaucrates en fonction ou retraités – est opposée au statu quo et souhaite l’introduction de réformes politiques. Enfin la grande masse des tribaux ordinaires – paysans, métayers, ouvriers agricoles, travailleurs des secteurs du transport et des services, artisans – veut un changement des structures politiques et économiques qui la privent de ses droits fondamentaux et de toute opportunité de mobilité sociale. Les taliban ont réussi à exploiter ces divisions de classe et le ressentiment populaire contre les malik corrompus, seuls bénéficiaires du système.

LE PASHTUNWALI

15 Le Pashtunwali est fondamentalement un code d’honneur qui ne doit pas s’entendre comme un phénomène transcendant et immuable, mais au contraire en tant qu’un code flexible et constamment réinterprété au cours des 30 dernières années. Ce système a des avantages et des inconvénients : il garantit une certaine stabilité tout en étant source de complications dans une société en transition.

16 Ce mélange de principes islamiques et de riwaj [27] (tradition, coutume locale) a profondément influencé l’islam deobandi tel qu’il est vécu dans les régions pachtounes. C’est ainsi que nous définissons l’islam pachtoun tel qu’il est actuellement vécu comme une adhésion stricte aux valeurs tribales mêlée à la rigidité textuelle et au puritanisme des Deobandi.

17 Le Pashtunwali définit des normes de comportement pour l’individu et la tribu : pour être reconnu comme pachtoun, il faut non seulement parler le pachto mais aussi et surtout se comporter en pachtoun. Le lignage  [28] est important ; c’est lui qui définit l’identité pachtoune et confère les privilèges pachtouns, comme le droit de posséder de la terre, de porter une arme et de s’exprimer dans la jirga (assemblée tribale). En vertu de cette tradition, le mollah n’est pas pachtoun puisqu’il ne possède pas de terre, ne porte pas les armes et ne participe pas à la. jirga.

18 L’honneur (namus) englobe le comportement des femmes (tor, littéralement noir, l’honneur des femmes) et leur protection, la défense des pauvres et de ceux qui cherchent refuge, mais aussi la défense de la terre pachtoune des zones tribales considérée comme sacrée et en purdah (voilée) comme les femmes.

19 L’un des principes essentiels est le concept de vengeance (badal), quels qu’en soient le coût et les conséquences. La vengeance est une obligation individuelle et collective qui n’est limitée ni dans le temps ni dans l’espace. Un Pachtoun qui ne se venge pas n’est pas un Pachtoun. Après le 11 septembre 2001, de nombreux tribaux n’ont pas compris que les étrangers capturés au Pakistan soient livrés aux autorités américaines ; ils pensaient qu’il fallait les remettre aux familles des personnes tuées afin que la justice soit vraiment rendue.

20 Le deuxième élément important est l’hospitalité (melmastia) ou protection de la vie, des biens et de l’honneur de tout invité sans que la réciprocité soit attendue. Ce principe pose des problèmes énormes comme on l’a vu dans le cas des étrangers qui bénéficiaient du melmastia des Ahmedzai Wazirs. Si ceux-ci les avaient livrés au gouvernement, toute la tribu aurait été déshonorée pour des générations. Ce principe s’applique quand un individu qui a commis une infraction dans un settled district cherche refuge (panah) auprès d’une tribu, tout Pachtoun devant l’accueillir et le protéger même s’il s’agit de l’un de ses ennemis. Renoncer à accorder l’hospitalité sous pression extérieure démontre qu’on n’est pas maître de la situation, ce qui n’est pas pachtoun. Al-Qaïda a exploité ce principe en présentant Oussama Ben Laden et ses compagnons comme des musulmans persécutés qui cherchaient refuge et devaient être protégés.

21 Toutefois, le melmastia a pour but de protéger les plus faibles au sein de la tribu – soutenir les faibles renforce l’honneur. Cette règle ayant des limites s’agissant des étrangers : lorsqu’un étranger est source de conflit ou provoque une guerre, il doit partir. Le melmastia a cependant changé de nature, l’hospitalité n’étant plus gratuite comme dans les années 1980 ; après 2001, les Arabes et les Ouzbeks ont payé, souvent fort cher, pour être accueillis dans les FATA. Le melmastia a été détourné par des « entrepreneurs tribaux » et des délinquants qui y ont trouvé un moyen de s’enrichir rapidement.

22 Autre principe majeur, celui du nanawati (littéralement entrée). C’est l’acte par lequel la partie la plus faible dans un conflit se rend au domicile de l’ennemi pour solliciter son pardon. En cas d’acceptation, on renonce au badal. Être magnanime envers son ennemi est une marque de dignité et ne pas accorder son pardon dans de telles conditions est contraire à l’honneur pachtoun.

23 Le respect de ces valeurs est assuré par l’évocation du déshonneur (peghor), pression constante sur les hommes et les femmes pour les obliger à se comporter en Pachtouns.

24 Enfin le tarburwali (rivalité entre cousins) domine la politique tribale et explique les alliances.

REDÉFINITION DE LA JIRGA ET NOUVEAU STATUT DES MOLLAHS

25 La jirga est le mécanisme régulateur amené à prendre des décisions contraignantes sur des questions spécifiques et en cas de conflit. Traditionnellement il s’agissait d’une institution dominante dont personne ne contestait les décisions ; la négociation permettait de trouver une solution aux conflits en évitant un bain de sang et les vendettas qui s’ensuivent. La jirga n’est pas un moyen d’acquérir du pouvoir, mais le contexte dans lequel le pouvoir acquis ou consolidé par d’autres moyens peut s’exercer. Cette institution a elle aussi changé de nature.

26 Traditionnellement, tous les membres d’une tribu peuvent participer à la jirga et s’exprimer. La jirga qui n’est pas une institution permanente se déroule à l’air libre afin que ceux qui n’y participent pas puissent suivre les débats. Les participants forment un cercle, ce qui symbolise leur égalité. Il n’y avait autrefois dans la plupart des cas pas de place pour le mollah qui restait à l’extérieur du cercle, priait pour le succès de la jirga et était garant du respect des décisions prises.

27 Le concept de jirga a évolué depuis les années 1980, l’institution perdant toute crédibilité d’être devenue un outil entre les mains du Political Agent et d’avoir été de plus en plus marquée par la corruption. La jirga est artificielle ; elle n’est plus égalitaire mais manipulée par l’État et par des malik riches et corrompus. Qui plus est, depuis 2003, le Political Agent n’est plus autonome et il doit s’en remettre à l’armée pour prendre des décisions.

28 Traditionnellement, le mollah avait dans la société pachtoune un statut inférieur. Dans le village pachtoun, la mosquée est voisine de la hujra [29], centre de l’activité politique tribale. Cette juxtaposition dans l’espace symbolise l’unité entre le Pashtunwali et l’islam, la hujra étant un contrepoids à la mosquée. Le mollah subordonné au notable tribal qui assurait sa subsistance et avait le monopole de l’activité politique intervenait comme médiateur  [30] entre deux parties en conflit. Dans des circonstances exceptionnelles, quand la menace venait d’un ennemi non musulman, le mollah appelait au jihad et prenait la tête du lashkar (armée) tribal, mais son rôle était transitoire ; une fois le conflit terminé, il rentrait dans la mosquée. De nouvelles opportunités – suffrage universel, intervention américaine et vide politique – lui ont permis de rejeter son rôle traditionnel et de passer de la mosquée à la hujra.

29 Les mollahs participent désormais aux jirga et jouent un rôle de médiateur entre l’armée et les militants. Les garanties de bonne conduite autrefois accordées par la tribu sont fournies par les mollahs. Des jirga ont été tenues à l’intérieur de madrasa et, dans certains cas comme celle de Mir Ali (Nord-Waziristan) en avril 2006 à laquelle ont assisté 10000 tribaux, seuls des mollahs ont pris la parole ; on ne peut donc plus parler de jirga au sens traditionnel.

30 Dans le système traditionnel, les mollahs qui n’avaient pas accès à des ressources propres ne pouvaient pas se constituer un réseau de clientèle politique. Le mollah qui a maintenant accès à des ressources peut affronter le chef tribal dans la hujra et le Political Agent représentant l’État au chef-lieu du district ; il est devenu le point d’attraction politique et défie le chef tribal, l’armée et les États-Unis.

L’ÉMERGENCE D’UN LEADERSHIP ALTERNATIF APRÈS LE 11 SEPTEMBRE 2001

31 L’introduction en 1996 du suffrage universel dans les FATA avait pour but d’intégrer ces dernières au Pakistan  [31]. Les partis politiques restaient toutefois interdits, mais les partis religieux, et plus particulièrement la Jamaat-i-Ulema-i-Islam (JUI), sont bien implantés depuis des décennies grâce à leur réseau de mosquées et de madrasa. Le JUI a une bas très stable dans le sud de la NWFP (Tank, Dera Ismaïl Khan fief de Maulana Fazlur Rehman) et au Waziristan. Jusqu’en 1996, les députés à l’Assemblée nationale  [32], théoriquement indépendants  [33], étaient choisis par la jirga, les malik disposant donc d’une influence politique qui leur permettait de s’enrichir. La participation des tribaux aux élections législatives de 1997 – 500000 électeurs, 33 % de participation – a sonné le glas du pouvoir et de l’autorité des malik : le nombre de candidats était très élevé  [34] ; huit députés à l’Assemblée nationale ont été élus, sept d’entre eux pour la première fois. Dans le modèle idéal, un Pachtoun qui se présente aux élections se met dans une situation où il permet à d’autres de décider de son destin, ce qui est contraire à la culture tribale. Perdre, c’est se mettre en danger face à son rival. La défaite d’un candidat est une insulte pour son clan qui suppose une vengeance ; mais quelle doit être la cible : le candidat élu, les électeurs ou le gouvernement qui a truqué le scrutin ?

32 La marginalisation des malik n’est pas seulement liée à l’introduction du suffrage universel, elle résulte en fait de la politique menée dans les années 1980 dans les zones pachtounes. Le général Zia-ul-Haq n’a pas réalisé l’impact sur les relations de pouvoir traditionnelles de la socialisation de quelque 500000 jeunes pendant le jihad afghan dans les madrasa et aux côtés des moudjahidin afghans plutôt que dans le système traditionnel. La société pachtoune est relativement égalitaire  [35], mais les malik avaient en vertu du système un pouvoir sur les tribaux. Pendant le jihad afghan, ils ont délégué la responsabilité des combats aux jeunes qui, après le retrait soviétique, ont refusé de retrouver leur statut subordonné en arguant que c’étaient eux qui avaient combattu les Russes et non les malik.

33 Les malik n’ont pas soutenu les taliban afghans, car ceux-ci n’étaient pas assez bien nés ; ils incarnaient la revanche des pauvres ruraux, jeunes ou issus de lignages mineurs – les kashar (groupes tribaux émergents) – sur les khan (propriétaires terriens)  [36] et malik – les mashar ou notables. En revanche, ils ont soutenu, au moins dans un premier temps, l’intervention américaine parce qu’ils espéraient qu’elle apporterait le rétablissement de l’ordre tribal.

34 Comme en Afghanistan, un leadership alternatif, plus charismatique et qui a accès à des ressources considérables, est apparu à la suite de la guerre et a rempli le vide. Les élections d’octobre 2002 qui ont coïncidé avec la réémergence des taliban ont porté le coup de grâce à la base de pouvoir des malik ; des mollahs liés au JUI, plus jeunes et de statut moins élevé, ont été élus à l’Assemblée nationale. Un suffrage qui était à la fois une affirmation ethnique et un référendum anti-américain.

35 Après l’intervention américaine en octobre 2001, des militants étrangers (arabes et ouzbeks essentiellement  [37]) et des taliban qui fuyaient l’Afghanistan ont pénétré au Waziristan. Certains d’entre eux avaient déjà noué des liens étroits avec les Ahmedzai Wazirs dans les années 1990, voire plus tôt.

36 Certains « entrepreneurs tribaux » ont compris que l’hébergement des militants d’al-Qaïda pouvait être une activité extrêmement lucrative. Ils ont loué des habitations et des terrains et fourni de la nourriture à des prix exorbitants  [38], ce qui était aussi un moyen de gagner de l’influence. Ils ont été rapidement rejoints par des délinquants attirés par le flux d’argent arabe et qui ont adopté la rhétorique des taliban.

OPÉRATIONS MILITAIRES ET ACCORDS DE PAIX

37 À partir de 2002, l’armée pakistanaise a mené des opérations militaires au Sud-Waziristan à la suite de fortes pressions américaines et dès lors que l’approche traditionnelle de la carotte et du bâton et des lashkars tribaux eut échoué. L’armée pakistanaise lança sa première opération le 27 juin 2002 et ce furent une cinquantaine d’opérations au cours desquelles quelque 400 « mécréants »  [39] furent tués et plus de 700 autres, étrangers pour la plupart  [40], capturés et livrés moyennant finances aux autorités américaines. Plus de 1200 soldats pakistanais ont été tués entre 2002 et 2008 [41] et plus de 1500 autres blessés. Les opérations de l’armée pakistanaise se sont accompagnées d’incursions américaines  [42] qui continuent à faire de nombreuses victimes civiles et ont radicalisé la population tribale laquelle a eu l’impression que l’État n’était pas capable de la protéger ni de faire respecter sa souveraineté.

38 Les opérations militaires mal préparées et où la population a payé un lourd tribut – blocus économique, fermeture des bazars et des écoles, arrestations, exode massif vers les villes – ont fait perdre aux malik le peu de pouvoir et d’influence sur les tribus qui leur restait. En effet, elles ont été menées alors que les malik étaient englués dans des négociations avec l’administration politique et furent donc perçues comme une trahison et un viol des traditions – on ne lance pas une opération militaire durant des négociations et on ne recourt à la force que si toutes les autres méthodes ont échoué. Mais en pénétrant dans les FATA, l’armée pakistanaise « violait le purdah tribal ». Comme les femmes, la terre pachtoune est en purdah et l’entrée de l’armée en zone tribale a été perçue comme une atteinte à l’honneur qui doit être vengée  [43]. Les opérations militaires en Afghanistan et dans les FATA ont été dénoncées, y compris par les nationalistes pachtouns, comme un « génocide sur les Pachtouns » et la population tribale a, dans un premier temps, soutenu les taliban qui « suivent la vraie voie de l’islam et essaient de protéger leur nation pachtoune »  [44]. L’armée était vue comme menant une guerre pour le compte des États-Unis.

39 La débacle de Kalusha en mars 2004 a changé la dynamique, obligeant l’armée pour sauver la face à conclure des accords de paix avec les militants (les taliban locaux) dont le pouvoir apparaissait du coup légitimé : « Nous savons que nous pouvons combattre l’armée pakistanaise et la vaincre, cela nous rend plus forts ». L’armée était également confrontée à des désertions, les soldats refusant de combattre leurs frères pachtouns. Par ailleurs, les opérations militaires ont renforcé le clivage entre les pro- et les anti-américains en son sein. Elle a donc adopté une attitude plus conciliante dans le cadre d’une stratégie visant à marginaliser les taliban dans les FATA par le développement économique.

40 Des accords entre l’armée et les tribaux du Sud-Waziristan ont été signés à Shakai en avril 2004 avec Nek Mohammad et à Sararogha avec Baitullah Mehsud en février 2005. Aux termes de ces accords, les tribaux s’engageaient à ne pas aider les militants étrangers, à ne pas attaquer les agents de l’État non plus que les infrastructures et à ne pas entraver les projets de développement. En retour le gouvernement accordait aux militants l’amnistie. Ces accords n’ont pas été respectés, l’armée insistant sur l’enregistrement des étrangers présents dans les zones tribales, ce que les tribaux ne pouvaient évidemment pas accepter.

41 Dans les trois cas, l’armée a traité directement avec les militants, laissant de côté les malik et le Political Agent alors que tout le système politique était centré sur eux. Elle a cédé aux revendications des taliban en démantelant ses postes de contrôle et en s’engageant à ne pas se mêler des affaires intérieures des tribus en échange de l’engagement des taliban de ne plus attaquer les représentants de l’État, militaires et fonctionnaires de l’administration civile. Il s’agissait d’un retour à la politique traditionnelle, ce qui était en contradiction avec la volonté d’intégrer les FATA dans le Pakistan.

42 À partir de 2005, l’armée a lancé des opérations au Nord-Waziristan où, selon le principe des vases communicants, les militants chassés du Sud-Waziristan avaient trouvé refuge. Les taliban ont alors occupé les zones tribales, l’une après l’autre, chaque attaque de l’armée les amenant à trouver un nouveau territoire où ils ont imposé leur vision du monde. Le nombre de combattants étrangers a également augmenté, plusieurs centaines d’Ouzbeks ayant rejoint les FATA après les massacres d’Andijan en 2005.

43 En mai 2006, face aux résultats désastreux des opérations militaires, le général Musharraf a nommé le général Ali Jan Orakzai gouverneur de la NWFP  [45]. Ce dernier avait pour tâche d’obtenir un cessez-le-feu avec les taliban et de reconstruire le système tribal détruit par les opérations militaires. Le général Orakzai s’était opposé en 2002 aux opérations militaires après avoir permis le déploiement de troupes en décembre 2001 à Tirah (Agence de Khyber) et dans certaines zones de la Kurram en négociant avec des jirga. En mai 2006, dans un message passé inaperçu, Maulana Jalaluddin Haqqani  [46] appelait les tribus à ne pas combattre l’armée pakistanaise pour ne pas servir les intérêts américains. La méthode Orakzai, fondée sur les négociations – le principe étant que les tribaux ne cèdent jamais à la force, qu’il fallait négocier et convaincre – a débouché sur l’accord, très controversé, signé en septembre 2006 avec les Utmanzai Wazirs du Nord-Waziristan et les taliban locaux. Le gouvernement fut accusé de capituler face aux militants et d’acheter la paix en échange de la talibanisation des FATA, prix à payer pour obtenir le respect de la trêve. Les perspectives de paix ont été cependant réduites à néant par le bombardement d’une madrasa à Bajaur le 30 octobre 2006, à la veille de la signature d’un accord de paix sur le modèle des accords du Waziristan. Ce bombardement fut suivi, le 8 novembre 2006, par l’attentat-suicide contre un centre de formation de l’armée à Dargai, première d’une longue série d’attaques visant l’armée pakistanaise.

44 Les opérations militaires ont favorisé l’émergence de ces nouveaux acteurs, jeunes hommes charismatiques qui ont combattu en Afghanistan et qui, étant donné leur âge et les lignages mineurs auxquels ils appartiennent, n’ont aucun statut tribal et remettent en cause la hiérarchie tribale. Le mouvement des taliban pakistanais est à la fois l’expression d’un conflit de classe et d’un conflit de génération. Leur pouvoir et leur légitimité reposent sur leur capacité à combattre et sur une richesse récemment acquise – argent arabe ou ouzbek, compensations exorbitantes versées par l’armée pakistanaise à l’occasion de la signature des accords de paix (Nek Mohammad a reçu 530000 dollars et Baitullah Mehsud 20 millions de dollars, versés officiellement afin que puissent être remboursées les dettes contractées envers al-Qaïda ou à titre de compensation pour les destructions de biens civils pendant les combats)  [47]. L’armée pensait que payer les taliban les discréditerait en donnant l’impression qu’ils avaient combattu pour de l’argent et non pour le jihad. Or l’argent a permis à ceux-ci de renforcer leurs réseaux de clientèle : les jeunes tribaux désœuvrés  [48] qui rejoignent les taliban reçoivent un salaire mensuel de 15000 roupies et ont accès à des armes modernes. Qui plus est, être talib est une activité qui confère pouvoir et respect dans une société où les commerçants et les fonctionnaires sont considérés comme faibles.

LE NOUVEAU LEADERSHIP OU COMMENT DES MOLLAHS « PÉRIPHÉRIQUES » SE PRÉSENTENT COMME LES DÉFENSEURS DES VALEURS PACHTOUNES

45 Le transfert de la structure de pouvoir – de l’administration politique à l’armée et des malik aux militants – ainsi que le nouveau statut des mollahs comme arbitres entre les tribus et l’État ont installé les taliban locaux dans un rôle de leaders alternatifs. Les accords passés avec l’armée ont consacré leur pouvoir. L’accord de Shakai avec Nek Mohammad n’était pas une reddition de ce dernier : dans la tradition tribale, celui qui se rend va sur le territoire du groupe rival. À Shakai, c’est l’armée qui est venue rencontrer Nek Mohammad dans une madrassa de la Jamaat-i-Ulema-i-Islam (Maulana Fazlur Rehman, JUI-F) : « Je ne suis pas allé chez eux, ils sont venus chez moi. Cela indique clairement qui s’est rendu à qui »  [49]. Quant à Baitullah Mehsud, il a déclaré après l’accord de Sararogha : « Ma tête peut être coupée mais je ne la courberai devant personne, elle ne se courbe que devant Dieu cinq fois par jour »  [50]. Les militants ont décrit les accords de Shakai et de Sararogha comme une « réconciliation », ce qui veut dire dans le code tribal accepter le groupe rival comme aussi puissant et légitime. Les armes n’ont pas été remises à l’armée mais « offertes ». En concluant des accords avec les militants, l’armée leur a donné une légitimité et leur a permis de consolider leur pouvoir sur un territoire. Les partis religieux, et tout particulièrement la JUI-F, espéraient qu’en laissant les zones tribales aux taliban, ils protégeraient leurs bases de soutien dans les settled areas de la talibanisation. Les autorités pensaient également, à tort, que les FATA talibanisées seraient une menace pour le président Karzai et pour les États-Unis, mais que le Pakistan serait épargné.

46 La société tribale s’est restructurée autour des militants qui ont réussi là où le gouvernement et les institutions traditionnelles avaient échoué à apporter la justice sociale et à maintenir l’ordre. Ceux-ci ont capitalisé sur la colère de la population face à l’anarchie généralisée, à la criminalité et à la corruption des institutions traditionnelles et ils sont devenus une autorité morale alternative plus accessible et efficace. La structure tribale a été remplacée par une structure religieuse surimposée elle-même fondée sur une interprétation locale de la shar?‘a qui accorde une grande importance au riwaj. Les taliban locaux ont mis en place des tribunaux de la shar?‘a qui rendent la justice et règlent les différends, rôle traditionnellement dévolus à la jirga et au Political Agent, mais que ces derniers étaient de plus en plus incapables de remplir. Les tribaux sont favorables à ces tribunaux de la shar?‘a qui leur permettent d’échapper à l’application des FCR et au pouvoir discrétionnaire du Political Agent ; la justice est qui plus est rendue rapidement et gratuitement. Le nouveau leadership qui est parvenu à capter le mécontentement est apparu comme le défenseur légitime des intérêts tribaux. Un exemple parmi d’autres de cette dynamique est l’appel lancé le 25 juin 2007 par les tribus Marwat aux taliban pour qu’ils agissent contre les criminels. En effet, les taliban sont particulièrement efficaces pour obtenir la libération des personnes enlevées contre rançon. En échange, ils ont demandé aux tribus de lutter contre les activités immorales, ce dont sinon ils se chargeraient. Les tribus rendent le gouvernement responsable de la montée de la criminalité ; les Pachtouns considèrent que si la justice, l’égalité et la sécurité sont absentes, c’est à cause de l’ingérence du gouvernement dans leur vie ; il est donc logique qu’ils se tournent vers les taliban pour ramener l’ordre : « Au moins les taliban sont des nôtres ».

47 Dans bien des cas, le soutien aux taliban est motivé par la peur et l’intimidation comme en témoignent les décapitations de malik pro-gouvernementaux (plus de 600 depuis 2002) et de présumés espions pour le compte du gouvernement pakistanais ou des États-Unis.

NEK MOHAMMAD OU LE HÉROS PACHTOUN IDÉAL

48 « Il était beau comme un prince grec, de grands yeux, les joues brillantes, les lèvres dures comme le marbre, de longs cheveux noirs épais »  [51].

49 Nek Mohammad, archétype du kashar qui conteste la hiérarchie tribale, avait toutes les qualités, y compris physiques, du héros pachtoun. Sa biographie que nous avons reconstituée à partir d’articles parus dans la presse en ourdou après sa mort est intéressante, car la personnalité de Nek Mohammad est représentative de la génération socialisée dans le contexte du jihad et qui a combattu aux côtés des taliban avant de former le noyau des taliban pakistanais.

50 Né en 1975 dans une famille Wazir Yargulkhel (clan des Zalikhel) pauvre de Kalusha (Wana), son père étant un « petit malik ». Lui ne manifestait pas d’intérêt pour les études et se distinguait par son indiscipline. Le jour où, frappé par son professeur, il a quitté la madrasa, les élèves s’attendaient à le voir revenir armé. Il part ensuite pour Dera Ismaïl Khan où il est scolarisé jusqu’au premier cycle du secondaire. Pour faire face à ses problèmes financiers, il vole la voiture d’un Mehsud. Il ouvre ensuite un petit magasin dans le bazar de Wana, mais n’est pas plus doué pour le commerce que pour les études. C’est alors qu’un mollah de Wana recrute des jeunes tribaux qui seront entraînés dans un camp de réfugiés avant d’aller combattre aux côtés des taliban. Nek Mohammad, pauvre et désœuvré, part pour l’Afghanistan ; il ne va pas dans un camp car il ne supporterait pas la discipline. Lié à Saifullah Mansur, il combat à Shahi Kot et passe commandant de la brigade du Waziristan au sein des forces taliban.

51 En novembre 2001, saisissant l’occasion d’améliorer sa situation financière et d’utiliser ses réseaux taliban, il devient le meilleur soutien des étrangers qui se replient à Wana. L’arrivée des Arabes s’accompagne d’un flux d’argent. Nek Mohammad, petit voleur de voiture à l’adolescence, arrive à Kalusha avec six pick-ups neufs et beaucoup d’argent. En décembre 2003, il aurait eu 44 voitures neuves dont certaines blindées ; il en vend plusieurs et met les autres à la disposition de ses invités.

52 Les médias ont commencé à parler de lui lors de l’opération menée contre les étrangers en mars 2004, ses voitures blindées ayant permis à des Arabes et à des Ouzbeks de s’enfuir. Il voulait devenir célèbre et adorait donner des interviews par téléphone, ce qui allait causer sa perte.

53 En avril 2004, le général Safdar Hussain s’est rendu à Shakai pour signer un accord avec Nek Mohammad. Cet accord ne sera pas respecté, le gouvernement affirmant que les étrangers devaient se faire enregistrer, ce que Nek Mohammad refuse en arguant du fait que cette condition ne figure pas dans l’accord. Accepter une telle clause eût été contraire aux valeurs tribales. Mais cet accord lui conférait une légitimité (cf. supra)  [52].

54 Nek Mohammad a été tué par un drone américain le 18 juin 2004. Il a rejoint le panthéon des héros pachtouns ; pour les tribaux, « Nek Mohammad a vécu en pachtoun et il est mort en pachtoun ». Nek Mohammad rappelait les héros pachtouns de l’époque coloniale qui affrontaient les Britanniques. Ses successeurs – Abdullah Mehsud, Baitullah Mehsud, Hakimullah Mehsud – sont, bien qu’ayant un profil similaire, beaucoup plus liés à des réseaux étrangers aux FATA et font preuve d’une brutalité nettement plus marquée.

LA REDÉFINITION DE L’IDENTITÉ PACHTOUNE

55 Les taliban pakistanais ont instrumentalisé les symboles culturels pour mobiliser les tribaux. On a assisté ces dernières années à une reformulation de ce que signifie être pachtoun : le nationalisme ethnique pachtoun a été remplacé par une politique de l’identité religieuse. En soutenant les taliban et en s’identifiant à eux, les tribaux réaffirment qui ils sont et ce qu’ils pensent devoir être : « Les taliban sont honorables, ils combattent pour l’umma ». En accueillant les militants étrangers et en refusant de les livrer aux autorités, les Wazirs ont à l’inverse « pachtounisé » le jihad et sont devenus de meilleurs Pachtounes : « Dans nos coutumes et nos traditions, on peut mourir, mais on n’imagine même pas de livrer nos invités à leur ennemi. Les tribaux ont combattu les forces de sécurité de leur pays pendant près de trois ans au Nord-Waziristan, mais ils n’ont pas fait de compromis sur leurs traditions »  [53].

56 Mieux : affronter l’armée pakistanaise a fait d’eux de meilleurs musulmans et de meilleurs Pakistanais. En mars 2006, l’armée a diffusé des tracts au Waziristan pour appeler les tribaux à se méfier des étrangers et de leurs sympathisants locaux présentés comme des agents indiens et des alliés des juifs et des hindous. Pour justifier leur appel au jihad contre l’armée pakistanaise musulmane, les militants ont répondu en accusant les soldats pakistanais d’être des agents américains « utilisés par les États-Unis contre leurs frères » et le président Musharraf de s’être allié à des infidèles. Ceci leur permettait de légitimer leur combat contre une armée musulmane en affirmant qu’ils se défendaient contre les attaques des munafiqin (hypocrites) et qu’ils étaient donc de meilleurs musulmans que ceux qu’ils affrontaient.

57 Référence constante tant dans les zones tribales que dans le sud et l’est de l’Afghanistan, ces tribaux, membres d’une société fondée sur la mémoire, s’inscrivent dans l’histoire et la culture du jihad propres à leur région et dont ils veulent faire partie : ils ont combattu les Anglais ; ils ont mené le jihad au Cachemire en 1948 ; ils ont affronté les Indiens en 1965 et en 1971 ; ils ont accueilli les moudjahidin dans les années 1980. Fidèle à leur tradition, ils sont toujours des patriotes et ont comme par le passé répondu aux appels à la défense du pays. Ils affirment qui plus est être les gardiens des frontières idéologiques du Pakistan, une mission jadis dévolue à l’armée à partir de Zia-ul-Haq, ce qui fait d’eux de meilleurs Pakistanais.

LA TALIBANISATION DE LA NWFP

58 Tous se souviennent des images de pendaison de bandits dont les corps ont été traînés dans les rues de Wana en décembre 2005. Depuis début 2006, la campagne de moralisation s’est étendue aux autres zones tribales et aux villes des settled areas pour atteindre les faubourgs de Peshawar en juin 2007. Les médias se font quotidiennement l’écho de lettres de menaces et d’attaques contre des commerçants accusés d’« activités non- islamiques ».

59 Les principales cibles sont les barbiers et les boutiques de vidéo et de DVD qui vendent de la musique et des films occidentaux et indiens. Les barbiers reçoivent des lettres leur intimant de ne plus raser leurs clients et la plupart d’entre eux obtempèrent. Les boutiques de vidéo et de DVD qui continuent à fonctionner malgré les avertissements sont détruites la nuit par des incendies ou des attentats à l’explosif qui ne font généralement que des dégâts matériels.

60 Les écoles de filles sont également visées, surtout à Swat : les militants obligent élèves et enseignantes à porter le chaderi plutôt que « le hijab noir à la mode », soit l’abaya, forme traditionnelle arabe du hijab dont le port s’est répandu au Pakistan ces dernières années et qui symbolise la modernité. De nombreux parents n’envoient plus leurs filles à l’école par crainte des attaques et des écoles de filles ont fermé leurs portes.

61 Sans compter la prolifération de radios pirates dont la portée n’excède souvent pas quelques kilomètres et qui sont utilisées par les mollahs tant pour répandre des idées sectaires que pour appeler au jihad.

62 Les taliban locaux perçoivent des taxes à l’entrée des bazars ainsi que sur les camions et les stations-service et ils imposent des amendes en cas de vol et de meurtre, selon le riwaj local.

63 Après le tremblement de terre d’octobre 2005, les jihadistes actifs au Cachemire et les membres de groupes extrémistes sunnites interdits – Millat-e Islamia Pakistan (MIP, ex-Sipah-e-Sahaba), Jaish-e-Mohammad et Lashkar-e Jhangvi – qui s’étaient repliés dans l’Azad Kashmir ont trouvé refuge dans les zones tribales. Ces combattants endurcis ont rejoint les taliban locaux avec lesquels ils partagent l’anti-chiisme de l’islam deobandi et ils se sont livrés à des massacres de chiites dans les zones tribales de Kurram  [54] et d’Orakzai ainsi que dans les régions de Kohat et de Dera Ismaïl Khan. Ils ont été rejoints en 2006 par des jihadistes arrêtés en décembre 2003 après les tentatives d’assassinat du président Musharraf et qui avaient été remis en liberté. Plusieurs centaines d’entre eux se sont installés au Waziristan, dans la Basse-Kurram et la zone d’Orakzai.

L’ATTAQUE CONTRE LA MOSQUÉE ROUGE, UN TOURNANT

64 Le conflit a changé de nature après l’assaut contre la Mosquée rouge d’Islamabad en juillet 2007 à la suite duquel les militants ont proclamé le jihad contre l’armée pakistanaise. Les attentats visant l’armée, la police et les forces paramilitaires se sont multipliés  [55] tant dans les zones tribales et la NWFP  [56] que dans les villes du Pendjab et à Islamabad. L’assaut contre la Mosquée rouge a également mis au jour le lien entre militants pachtouns et pendjabis.

65 En décembre 2007, exploitant le vide causé par la transition prolongée entre le régime de Musharraf et la mise en place d’un gouvernement démocratique, Baitullah Mehsud a annoncé la formation du Tehrik-e Taliban Pakistan (TTP, Mouvement des taliban du Pakistan), basé au Sud-Waziristan et regroupant une trentaine de groupes actifs dans les zones tribales. Objectifs déclarés de ce mouvement, l’application de la shar?‘a, l’unité contre les forces de l’OTAN, le jihad défensif contre l’armée pakistanaise et le refus de tout accord de paix avec le gouvernement pakistanais. Toutefois les rivalités tribales font obstacle à l’unité entre des groupes qui ont des agendas locaux et régionaux et sont soumis aux pressions de tribus peu désireuses d’être entraînées dans des conflits plus larges et de voir leur territoire transformé en champ de bataille. Même si des taliban du Waziristan ont participé aux combats à Swat, la plupart de ces groupes sont de nature tribale et maintiennent des structures de commandement séparées.

66 Le gouvernement issu des élections législatives de février 2008 avait exprimé son intention de mettre fin aux opérations militaires et de privilégier les négociations « selon les coutumes tribales » pour ramener le calme dans les FATA et démarrer les projets de développement. Mais il n’a pas été en mesure de résister aux pressions des États-Unis qui, confrontés à la montée de l’insurrection en Afghanistan, continuaient de reprocher au Pakistan de ne rien faire pour empêcher les infiltrations de taliban dans le pays voisin, voire de les faciliter, et voulaient des résultats rapides. C’est ainsi que début août 2008, au lendemain de la visite du premier ministre Yusuf Raza Gilani à Washington, l’armée a lancé une offensive de grande ampleur à Bajaur. Les opérations qui ont fait de très nombreuses victimes civiles et des centaines de milliers de déplacés semblaient, à en juger par les vidéos diffusées début octobre 2008 qui dénonçaient les dirigeants pakistanais et appelaient l’armée à rejoindre les taliban, avoir porté un coup au TTP et à al-Qaïda. Toutefois, les bombardements se poursuivaient à Bajaur et à Mohmand à l’automne 2009 et de nombreux civils rentrés chez eux ont dû quitter leur foyer pour la deuxième voire la troisième fois.

67 Alors que le Pakistan avait jusqu’alors établi une distinction entre al-Qaïda, les taliban afghans et les taliban locaux, les autorités ont par ailleurs affirmé à partir de l’été 2008 que le TTP était une extension d’al-Qaïda.

68 Les États-Unis ont renforcé leurs attaques dans les FATA après l’entrée en fonction du président Obama ; les tirs de missiles par drones et l’intervention de troupes américaines au Waziristan ayant entraîné une multiplication des attentats-suicides. En outre, les taliban locaux ont concentré leurs attaques sur les voies d’approvisionnement des troupes de la coalition et occupé avec l’aide de militants pendjabis et ouzbeks l’agence d’Orakzai, passage obligé entre Peshawar et le sud de la NWFP.

69 L’opinion pakistanaise qui considérait les opérations dans les FATA comme une guerre menée pour le compte des États-Unis a évolué après la médiatisation des exactions commises à Swat. L’armée bénéficie désormais d’un consensus, certes fragile, pour mener ses opérations. Elle a lancé une nouvelle offensive au Sud-Waziristan en octobre 2009 à la suite de la multiplication des attentats-suicides, notamment au Pendjab, consécutivement à la mort de Baitullah Mehsud abattu par un tir de drone au mois d’août 2009. Si cette opération est couronnée de succès, elle ne mettra pas pour autant fin à la tourmente que traversent les FATA. Un notable mehsud ne nous disait-il pas dès l’été 2005 : « Même si tous les étrangers quittaient les zones tribales, la paix ne serait pas rétablie car une partie de la population s’est radicalisée et ce sont les gens comme moi qui seraient pris pour cible ».

CONCLUSION

70 Les taliban ont réalisé la construction symbolique d’un espace culturel et politique. Comme d’autres groupes radicaux, ils constituent dans les FATA un mouvement identitaire qui présente toutes les caractéristiques des mouvements sociaux. Ceux-ci apparaissent dans des sociétés en transition quand le contrat social est soumis à des pressions internes et externes. Les dynamiques observées dans les FATA ne sont pas différentes de celles observées dans d’autres contextes au Pakistan ou ailleurs. Des entrepreneurs politico-religieux doués de charisme et ayant accès à des ressources ont su saisir les changements d’opportunité et profiter du vide ; ils ont manipulé des symboles culturels et identitaires pour mobiliser la population en utilisant leurs réseaux.

71 Quoi qu’en pense le gouvernement il n’est pas possible d’arrêter un mouvement social et de rétablir l’ancien système que les opérations militaires ont contribué à détruire. Le contrat social est brisé et il ne sera pas possible de faire rentrer les malik de leur exil ou de former les plus agressifs de leurs fils à pendre la relève comme l’envisagent certains responsables politiques.

72 Depuis septembre 2008, des tribus soutenues par le gouvernement ont levé des lashkar à Bajaur, Dir et Swat, entre autres, pour affronter les taliban et les chasser de leur territoire. Il faut toutefois se garder de voir là une solution à la talibanisation de la région ; ces alliances temporaires avec un acteur externe tendent surtout à obtenir un avantage dans un conflit souvent très local, chaque tribu ayant sa propre dynamique et ses propres intérêts. Le lashkar salarzai, la tribu dominante de Bajaur, est un exemple d’une tribu qui souhaite avant tout réaffirmer son statut face aux taliban décrits par un notable local comme « d’origine modeste et [qui] ne sont pas en mesure d’affronter le lashkar »  [57].

73 Au-delà d’un soutien aux taliban afghans, les taliban pakistanais veulent déstabiliser l’État et imposer leur vision de l’islam à la société pakistanaise. L’instabilité n’a jamais été aussi grande dans la région. La sécurité du Pakistan, de l’Afghanistan et de toute la région dépend de l’évolution de la situation dans les FATA au cours des prochains mois.

74 Ainsi que l’écrivait J.M. Ewart en 1929 : « Personne ne peut dire de quoi demain sera fait. Mais après tout ce n’est pas nouveau dans la Frontière »  [58].

figure im1
N.W.F.P. / F.A.T.A. - Humanitarian Projected Scenario 2010
21 December 2009
A F G H A N I S TA N
1 Remaining IDPs : 400,000
(In Camps : 40,000 Chitral JAMMU AND KASHMIR
Living with
Hosting Communities : 360,000)
2 Expected New IDPs from
Tribal Areas : 150,000
Upper
3 Remaining IDPs : 250,000 Dir Kohistan
(In Camps : 50,000 Swat
Living with
Lower
Hosting Communities : 200,000)
Dir Shangla Batagram
Bajaur !
!!!!!!!
Mohmand Malakand !
PA !
Buner Mansehra !!!
1
!!!!!!!  !
!
!!!  !
Charsadda Mardan
N.W.F.P. Swabi Abbottabad
Khyber Haripur
Agency Peshawar Nowshera
Kurrum Orakzai PesFhRawar !!
!!!
F. A . T. A .!!!!!
!!!!!!!
!!!!!!!!!!!!!!!
Agency Agency FR Kohat ISLAMABAD
Hangu Kohat
!!!
!!
!
!!
!
!!
!!!
FR
!!!!!!!
!
!!
!!
!
!!!  !
!
!
!!  !
FR Bannu Karak PUNJAB
North lakki
Waziristan Marwat Bannu
Agency
Lakki
Marwat
South FRTank Districts
Waziristan
Agency Tank Host Districts
Areas of IDPs Origin ?
Areas of IDPs Origin (Expected in 2010)
Disclaimers :
D.I. Khan The designations employed and the
CHINA
presentation of material on this map do not
FR wimhpaltysoetvheer onextphreespsaiorntof othfe Saneycretaorpiaintioonf !!!!!!!!!!!!!
D.i.khan the United Nations concerning the legal status AFGHANISTAN !!!!
!!
!
!!!
!
of any country, territory, city or area or of its !!
authorities, or concerning the delimitation of
its frontiers or boundaries.
Dotted line represents approximately the Line
of Control in Jammu and Kashmir agreed PAKISTAN
BA L O C H I STA N uJapmonmbuyaInnddiaKaasnhdmPirakhiasstann.oTtyheetfibneaelnstaagtureseodf
upon bytheparties. IRAN INDIA
Map Doc Name :
PAK069_PHRP_Hum_Proj_Scenario_A4_Portrait_21122009
0 50 100 150km

Notes

  • [1]
    CERI-Sciences Po/INALCO.
  • [2]
    Ahmed Rashid les appelle « al-Qaïda central ».
  • [3]
    Depuis 2001 le Pakistan a installé des dizaines de postes de contrôle et la démarcation de la frontière a été réalisée dans certains secteurs. Toutefois, le tracé de la ligne Durand reste contesté par les deux pays et la frontière est toujours poreuse, surtout au Baloutchistan.
  • [4]
    On dénombre au moins 15 millions de Pachtouns en Afghanistan.
  • [5]
    Selon le recensement de 1998, la population des FATA s’élevait à 3138000 habitants, chiffres considérés comme fortement sous-évalués.
  • [6]
    Cf. Robert Nichols. A History of Pashtun Migration 1775-20, Karachi, Oxford University Press, 2008.
  • [7]
    Nous en traitons pas ici du conflit à Swat où les dynamiques sont de nature différentes.
  • [8]
    L’accord sur la ligne Durand fut signé en 1893 et les zones tribales ont été créées dans les années qui ont suivi. De 1849 à 1901, date de la création de la NWFP, les districts de la Frontière faisaient partie du Penjab.
  • [9]
    Les zones tribales ont une superficie de 27000 km2, soit 2, 6 % du territoire pakistanais.
  • [10]
    Créée en 1973.
  • [11]
    Créée en 1951.
  • [12]
    Créée en 1973, Orakzai est la seule zone tribale non-contiguë à la frontière afghane.
  • [13]
    Ces régions tribales contiguës aux zones tribales n’en font pas partie, elles sont rattachées aux districts.
  • [14]
    Selon le principe « diviser pour régner », les Britanniques ont fait en sorte qu’aucune zone tribale ne soit dominée par une seule tribu.
  • [15]
    On dénombre actuellement plus de 35000 malik : 1505 malik et 66 lungi au Nord-Waziristan ; 1321 malik et 137 lungi au Sud-Waziristan.
  • [16]
    L’institution des khassadar revient à un soutien financier aux tribus ; ces derniers perçoivent un salaire de 3000 roupies, soit la moitié du salaire minimum au Pakistan, et ils doivent fournir leurs armes et munitions ; ce salaire étant souvent confisqué par le Political Agent (cf. infra) à titre d’amende.
  • [17]
    Pour plus de détails sur le Political Agent, cf. Humayun Khan, « The Role of the Federal Government and the Political Agent », in Tribal Areas of Pakistan : Challenges and Responses, Pervaiz Iqbal Cheema, Maqsudul Hasan Nuri (éd.), Islamabad Policy Research Institute, Hanns Seidel Foundation, 2005.
  • [18]
    Pour les FCR, cf. Khalid Aziz, « Frontier Crimes Regulation and Administration of the Tribal Areas », ibid. La première version des FCR fut promulguée en 1872 ; la version actuellement en vigueur adoptée en 1901. La Haute Cour de Peshawar devait conclure en 1990 que le système des FCR, appelées black laws par les populations tribales, était contraire à la Constitution, décision confirmée en 1994 par la Cour suprême ; le système est pourtant resté en vigueur. Des réformes limitées ont été introduites en 2009, les partis politiques étant notamment autorisés à avoir des activités dans les FATA ; le président Zardari n’a toutefois pas signé l’ordonnance mettant en application ces réformes. L’abrogation des FCR annoncée par le gouvernement fédéral sans consultation des tribaux reste un objet de débat dans le pays.
  • [19]
    Les tribaux ne peuvent pas faire appel devant les juridictions pakistanaises ; les réformes introduites en 2009 prévoient une instance d’appel séparée dans les FATA, ce qui ne contribue pas à l’intégration de ces zones.
  • [20]
    L’absence de droits de douane a permis un commerce extrêmement lucratif de biens de luxe importés via l’Afghanistan et revendus dans les « Bara markets ».
  • [21]
    Ce chiffre est surévalué ; en réalité le taux d’alphabétisation des hommes varie de 23 % dans l’agence de Khyber à 10 % dans celle d’Orakzai.
  • [22]
    Nous avons développé ces aspects entre autre in FATA-A Most Dangerous Place, Shuja Nawaz (auteur principal), Center for Strategic & International Studies, Washington, janvier 2009, <www.csis.org/publication/fata-most-dangerous-place>.
  • [23]
    Ce plan de réformes prévoyait la représentation des FATA à l’Assemblée provinciale de la NWFP, des élections locales au suffrage universel, la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire, l’autorisation des activités politiques, des amendements aux FCR et la création d’un Secrétariat aux FATA. Seule cette dernière mesure a été appliquée car elle était dans l’intérêt du gouvernement.
  • [24]
    Pour une analyse du changement social, cf. Inam ur Rahim, Alain Viaro, Swat : An Afghan Society in Pakistan. Urbanisation and Change in a Tribal Environment, Karachi, City Press, 2002. Bien que les dynamiques locales soient très différentes selon les cas, on constate des tendances partout analogues dans la transformation de la société tribale depuis le milieu des années 1970.
  • [25]
    On estime que 200000 personnes la franchissent chaque jour.
  • [26]
    L’école de pensée réformatrice associée à la madrasa fondée en 1867 à Deoband (nord de l’Inde) et qui visait à purifier l’islam indien des pratiques « non islamiques », essentiellement le culte des saints et les rites empruntés à l’hindouisme.
  • [27]
    Le riwaj varie d’une tribu à l’autre ; il est moins favorable aux femmes que la shar?‘a, ce qui explique la résistance opposée par les Pachtouns depuis le XIXe siècle à ce que cette dernière soit imposée.
  • [28]
    Selon les définitions données par Jon W. Anderson, le lignage est un groupe localisé et unifié qui peut retracer sa généalogie jusqu’à un ancêtre commun. Un clan est un groupe de personnes se réclamant d’un ancêtre commun sans nécessairement pouvoir retracer sa généalogie ; un clan peut inclure plusieurs lignages.
  • [29]
    Maison des hommes attenante à la maison du malik où sont reçus les étrangers au village et où les hommes se réunissent ; c’est le centre de l’activité politique.
  • [30]
    Les médiateurs sont surtout les sayyid, descendants du Prophète qui se revendiquent comme arabes et donc extérieurs à la société pachtoune. Les mollahs élus au Parlement depuis 1997 ne sont pas sayyd, à une ou deux exceptions près.
  • [31]
    Zulfiqar Ali Bhutto avait déjà envisagé de l’introduire dans les FATA en 1977.
  • [32]
    Les FATA qui dépendent du gouvernement fédéral ne sont pas représentées à l’Assemblée provinciale de la NWFP.
  • [33]
    Ils étaient donc très courtisés par les partis pour former des coalitions et se ralliaient généralement au plus offrant.
  • [34]
    Nous avons dénombré plus de 200 candidats pour un siège dans l’agence tribale de Kurram en 1997 ! La compétition était bien entendu très intense et on cherchait à acheter le désistement des candidats disposant d’une base. On a vu des candidats accepter de se désister en échange d’une fille en mariage, sans compter une somme d’argent.
  • [35]
    Ceci est particulièrement vrai en comparaison avec la société penjabie régie par la hiérarchie des castes. Le système social de Swat, beaucoup moins égalitaire, s’apparente à un système de castes.
  • [36]
    Nous utilisons le terme de propriétaire terrien plutôt que celui de chef tribal pour traduire « khan ». En effet, il n’y a pas dans les zones tribales de chef tribal au sens où on l’entend habituellement, la société étant relativement égalitaire. Dans la société pachtoune, un chef doit constamment démontrer qu’il est digne d’exercer le pouvoir, sous peine de voir ses clients faire allégeance à un autre chef. Par ailleurs, il s’agit de petits propriétaires terriens par rapport à ceux du Pendjab et du Sind en l’absence d’une économie permettant de maintenir des relations de clientélisme.
  • [37]
    Les communiqués rendus publics après les tirs de missiles américains font très souvent état de victimes tchétchènes, mais jamais la présence d’aucun Tchétchène n’a été établie dans les FATA.
  • [38]
    Un sondage effectué récemment au Waziristan établissait le résultat suivant : 50 % au Sud-Waziristan et 45 % au Nord- Waziristan de oui contre seulement 17 % pour l’ensemble des zones tribales à la question « Les étrangers paient-ils un loyer élevé ? ».
  • [39]
    Le terme de « mécréant » utilisé par les autorités pakistanaises présente une forte connotation religieuse ; il vise à délégitimer aux yeux de la population lers combattants qui se définissent comme des moujdahidin.
  • [40]
    Le Pakistan a toléré la présence des taliban afghans perçus comme un atout à préserver pour le jour où les troupes américaines se retireraient d’Afghanistan.
  • [41]
    Les pertes de l’armée pakistanaise dans ces opérations sont plus élevées que les pertes cumulées pendant les guerres contre l’Inde et que les pertes de la coalition en Afghanistan.
  • [42]
    Le fait que les bombardements soient ou non imputables aux Américains n’est pas important, ce qui compte c’est la perception qu’en ont les tribaux. L’armée pakistanaise tente systématiquement de couvrir les Américains, ce qui est loin de convaincre les populations locales.
  • [43]
    Ceci étant aussi valable pour les opérations militaires en Afghanistan et l’entrée de soldats dans les villages, ou pire encore dans les maisons. Le versement de compensations ne met pas fin à l’obligation de vengeance.
  • [44]
    Propos d’un habitant du Nord-Waziristan.
  • [45]
    Le général Orakzai a été le premier gouverneur originaire des FATA, aucun de ses 26 prédécesseurs n’ayant été d’origine tribale.
  • [46]
    Dignitaire religieux (alim) et tribal, héros du jihad des années 1980, lié à l’ISI et à la CIA, actuellement l’un des chefs de l’insurrection contre les troupes de la coalition dans l’Est de l’Afghanistan. Sa maison et sa madrasa au Nord-Waziristan ont été pris pour cible par des bombardements américains, notamment en septembre 2008. Une de ses épouses, sa sœur, sa belle-sœur et huit de ses petits-enfants ont été tués lors de ces attaques.
  • [47]
    Ismaïl Khan. « Pakistan paid militants to surrender. Money used to "repay" Al Qaida debt », The Tribune, 9 février 2005. Ces indemnisations qui n’ont pas été versées aux civils ont servi à l’achat d’armes.
  • [48]
    On estime que 80000 jeunes de 18 à 25 ans sont sans emploi au Waziristan. Une extrapolation à l’ensemble des zones tribales permet de calculer qu’environ 200000 jeunes sont des recrues potentielles pour les taliban locaux. Par ailleurs, les destructions occasionnées par les bombardements ainsi que les blocus répétés ont encore réduit les possibilités d’emploi local.
  • [49]
    Cf. Iqbal Khattak « I did not surrender to the military, says Nek Mohammad », The Friday Times, 30 avril-6 mai 2004.
  • [50]
    Daily Times, 9 février 2005.
  • [51]
    Cf. Irfan Siddiqi, Jang, 18 juin 2004.
  • [52]
    Il prendra une seconde épouse immédiatement après avoir signé l’accord, ce qui est une marque de statut et suppose des dépenses importantes.
  • [53]
    Cf. Mushtaq Yusufzai, « Tribal elders call for raising FATA force », The News, 14 septembre 2006.
  • [54]
    Mariam Abou Zahab, « Pakistan : silence on meurt… », Bakchich info, 10 septembre 2008, <www.bakchich.info/article4967.html>. Les Turi qui forment 40 % de la population de Kurram sont chiites ainsi qu’une partie des Bangash et des Orakzai ; ils sont persécutés depuis des décennies par les Mangal sunnites. Cf. également Mariam Abou Zahab, « Unholy Nexus : Talibanism and Sectarianism in Pakistan’s Tribal Areas », in Laurent Gayer (éd.), Guerre et société en AfPak, CERI, Paris, 2009.
  • [55]
    Plus de 500 membres des forces armées ont été tués et plus de 850 autres blessés lors de 65 attentats-suicides perpétrés de juillet 2007 à l’été 2008. Au cours des huit premiers mois de 2008, le nombre de victimes d’attentats-suicides au Pakistan – 471 dont 312 civils – a dépassé celui de l’Irak – 463 morts – et de l’Afghanistan – 436 morts. Près de 200 personnes ont trouvé la mort en deux semaines au mois d’octobre 2009.
  • [56]
    Seuls 6 districts sur 24 ont été déclarés « normaux » pour les élections de février 2008.
  • [57]
    Cf. Anwarullah Khan, « Crackdown on Militants by Tribal Volunteers », Dawn, 6 octobre 2008.
  • [58]
    Cf. J.M. Ewart, Story of the North West Frontier Province, Lahore, Sang-e Meel, 2000 (1929).
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