Notes
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[1]
Professeur à l’Université Paris IV-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir, www. population-demographie. org.
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[2]
Dont la troupe sénégalaise a été perturbée par le drame de Dankori (en 1899, deux capitaines semblent avoir été atteints d’une syphilis au stade terminal accompagnée de méningoencéphalite. Saisie par la démence, toute la troupe perdit le contrôle d’elle-même, pillant et massacrant tout sur son passage).
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[3]
Qui restera sous administration militaire française jusqu’en 1965.
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[4]
Selon les données du recensement de 1993, le Tchad avait alors précisément dénombré 6 279 931 habitants.
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[5]
Cf. Gérard-François Dumont, Les populations du monde, Paris, Éditions Armand Colin, 2e éd., 2004.
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[6]
« La population des continents et des États », Population & Avenir, n° 685, novembre~décembre 2007.
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[7]
Cf. Joseph Tubiana (éd.), L’identité tchadienne. L’héritage des peuples et les apports extérieurs, Paris, L’Harmattan, 1994.
-
[8]
Nous considérerons les régions dans leurs périmètres géographiques antérieurs à l’augmentation de leur nombre en 2002 et en 2008, comme indiqué dans le tableau de la répartition ethnique.
-
[9]
Au Tibesti se trouve l’altitude maximum de 3415 m., sur le volcan de l’Emi Koussi.
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[10]
Cf. Gérard-François Dumont, (dir), Mahamat Bicheri Ahmat, « La construction d’un État à partir d’ethnies différentes. Le cas du Tchad », Paris, CID, avril 2005.
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[11]
Songeons à la formulation concernant la répartition religieuse au Burkina Faso : 50 % de chrétiens, 50 % de musulmans et 100 % d’animistes.
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[12]
Cf. Gérard-François Dumont, « Pour le développement humain : le beurre ou les canons ? » Population et Avenir, n° 675, novembre-décembre 2005.
1Tout État, vaste ou petit, développé ou non, dictatorial ou démocratique, se définit d’abord par un territoire et une population. Le Tchad se singularise d’abord par son positionnement géographique et sa grande superficie. Sa population se caractérise par un faible peuplement moyen et, en ce début du XXIe siècle, par une forte croissance démographique dans un contexte de fécondité encore élevée, celle-ci étant en partie corrélée avec une forte mortalité infantile. Mais cette population présente de fortes différences régionales de densité auxquelles s’ajoute une répartition en une multitude d’ethnies qui, depuis l’indépendance, rivalisent pour l’accès ou le maintien au pouvoir étatique plutôt que d’unir leurs forces en faveur du développement du pays.
L’importance stratégique d’un vaste trait d’union entre les deux Afrique
2État de l’Afrique centrale, dont les territoires ont été, pour certains d’entre eux, colonies françaises depuis le début du xxe siècle, le Tchad accède à l’indépendance le 11 août 1960. Vingtième pays au monde par la superficie (1 284 000 km2 ), c’est le cinquième plus grand d’Afrique après le Soudan, l’Algérie, le Congo-Kinshasa et la Libye. Ce vaste pays est situé au cœur de l’Afrique, dans une zone qui partage l’Afrique arabe de l’Afrique noire. Il forme donc un large carrefour de civilisations entre l’Afrique septentrionale et l’Afrique subsaharienne.
3Cette situation stratégique explique en partie la volonté de conquête française dans le dessein d’établir une continuité territoriale entre ses possessions d’Afrique septentrionale, d’Afrique occidentale et d’Afrique équatoriale. En 1900, ce sont d’ailleurs trois colonnes armées provenant de chacune des trois parties de l’empire colonial français en Afrique qui se dirigent vers le lac Tchad. Ainsi, la France engage trois expéditions par trois itinéraires différents mais convergents, et qui symbolisent l’omniprésence française en Afrique. Le premier itinéraire, appelé Sud-Nord, part de Brazzaville et a été précédemment exploré puisque Émile Gentil, sur un vapeur monté sur place, le Léon-Blot, a navigué sur le lac dès 1897. Le deuxième, Ouest-Est, dit Afrique Centrale, part du Sénégal, et le dernier, Nord-Sud, de l’Algérie. Contrairement au premier, les deux derniers traversent des zones nouvelles ou très mal connues. Après bien des péripéties, de véritables exploits et des drames, les trois expéditions se rejoignent au début de l’année 1900 à l’est du Lac. Le 22 avril, une bataille a lieu à Kousseri, ville du Nord-Cameroun arrosée par le fleuve Logone, et la soudure est faite entre les différents territoires africains de la France, malgré la mort du commandant Lamy, qui dirigeait les forces françaises. Celui-ci fut d’ailleurs tué le même jour que Rabah, seigneur de la guerre au Soudan et trafiquant d’esclaves et, donc, jusque-là sultan du Bornou, en Afrique centrale. Ne pouvant s’attarder, la mission Nord repart rapidement, avec ses Kabyles, vers Brazzaville et Matadi, port de l’actuelle République démocratique du Congo, où elle embarque le 23 octobre 1900, soit exactement deux ans après son départ d’Ouargla (Algérie). Quant à la mission Afrique centrale [2], elle repart également sans tarder vers l’Ouest (vers Zinder, actuellement deuxième ville la plus peuplée du Niger). Seule la mission Nord-Sud, sous les ordres d’Émile Gentil, demeure sur place et fonde, le 29 mai 1900, Fort Lamy (aujourd’hui N’Djamena, capitale du Tchad). Un certain nombre de fortins sont installés, mais la région du Ouaddaï résiste jusqu’en 1909, ainsi que le Nord [3] (Borkou, Ennedi et Tibesti). En revanche, les populations du Sud du Tchad, victimes de razzias esclavagistes perpétrées par des trafiquants islamisés du Nord, accueillent assez favorablement la présence française, qui les protège des rezzous. En 1910, le Tchad est rattaché à l’Afrique Équatoriale Française avant de devenir, dix ans plus tard, une colonie.
4Aujourd’hui, le lac Tchad est toujours un lieu de convergence puisque quatre États se partagent sa souveraineté : outre le Tchad, le Cameroun, le Nigeria, et le Niger.
Une forte croissance démographique en dépit d’une mortalité élevée
5Au moment de l’indépendance en 1960, la population du Tchad était estimée à près de 3 millions d’habitants. Presque un demi-siècle plus tard, en 2007, l’estimation indique 10,8 millions d’habitants [4], soit plus qu’un triplement. Si l’on examine les projections de l’ONU, la population pourrait dépasser les 15 millions dans les années 2020 avant de se situer dans une fourchette comprise entre 17,5 et 20,5 millions d’habitants en 2030. En 70 ans, la population du Tchad pourrait donc avoir enregistré une multiplication par sept ou huit, c’est-à-dire avoir connu une transition démographique [5] caractérisée par un multiplicateur transitionnel élevé. En 2007, La population urbaine représente 21 % de la population globale. La ville la plus peuplée du pays est la capitale N’Djamena, avec environ 700 000 habitants, trois autres villes comptant plus de 150 000 habitants : Moundou avec environ 280 000 habitants, dans le Logone occidental, Sarh avec ses 190 000 habitants, dans le Moyen Chari, et Abéché avec ses 187 000 habitants, dans le Ouaddaï.
1. Les perspectives démographiques au Tchad
6L’évolution passée et projetée de la population totale du Tchad ne peut s’ex-pliquer que par un taux d’accroissement naturel élevé, estimé à 3,1 % pour l’année 2007. Un tel niveau s’explique par un taux de natalité resté quasiment stable depuis les années 1950, soit plus de 45 ‰, tandis que la mortalité serait passée de 27 ‰ dans les années 1950 à 16 ‰ dans les années 2000. La population tchadienne est donc caractérisée par sa jeunesse puisque, selon les estimations 2007, 46 % de la population ont moins de 15 ans, et seulement 3 %, 65 ans et plus.
2. Les taux d’accroissement naturel au Tchad
7De tels niveaux de natalité et de mortalité supposent des niveaux également élevés de fécondité et de mortalité infantile. Effectivement, depuis les années 1950, la fécondité serait restée de façon permanente au-dessus de 6 enfants par femme. Son niveau estimé de 2007, 6,5 enfants par femme, serait même légèrement plus élevé que celui des années 1950.
8Une telle évolution peut s’expliquer non par des changements de comportements, mais simplement par une meilleure fertilité en raison de conditions de vie en moyenne meilleures, par exemple en raison de la présence et de l’action de très nombreuses ONG humanitaires, même si les progrès dans le recul de la mortalité restent modérés, comme le mesure notamment le taux de mortalité infantile.
3. La fécondité et la mortalité infantile au Tchad.
9Certes, ce dernier se serait abaissé de 188 décès d’enfants de moins d’un an pour mille naissances dans les années 1950, mais il serait encore à 124 ‰ en 2007. Les statistiques du Population Reference Bureau [6] sont plus optimistes en indiquant un taux de mortalité infantile de 102 ‰ en 2007, ce qui place le Tchad parmi les dix-sept ayant plus de 10 % de leurs nouveau-nés qui meurent avant d’atteindre leur premier anniversaire, pays qui appartiennent tous à l’Afrique, à l’exception de l’Afghanistan. Donc, au regard de son niveau de mortalité infantile, le Tchad se situe parmi les pays les moins avancés alors qu’il dispose de ressources et d’un potentiel important, mais ses ressources sont consumées par les multiples conflits. L’insuffisance ou l’échec du développement du Tchad peut être aussi mesuré par la longévité de la population. Toujours en 2007, l’espérance de vie à la naissance est de l’ordre de 49 ans pour les hommes et de 52 ans pour les femmes.
10Cette population, dont nous venons d’examiner les résultats moyens, se caractérise par une ligne de fracture générale et ancienne, par la diversité de son peuplement selon trois zones, et par une considérable pluralité ethnique.
La ligne de fracture Nord/Sud
11L’une des caractéristiques marquantes de la population tchadienne est le clivage Nord/Sud, ce pays résultant de l’assemblage d’un Nord et d’un Sud très distincts et historiquement antagonistes.
12Les populations du Nord ont connu de grands sultanats, sans doute parce qu’ils ont réussi la centralisation fiscale alors que les chefs du Sud ne surent jamais faire remonter jusqu’à eux les redevances coutumières, qui continuèrent à s’éparpiller entre les chefs de terre, ce qui les empêcha de se doter de vrais moyens militaires [7]. En outre, ces populations du Nord semblent avoir longtemps dominé le pays en pratiquant une politique de razzia au détriment du Sud, appelé pour cela le D?r al-‘Abid, le pays des esclaves. Le Nord possède des populations nomades ou sédentaires et se trouve être largement islamisé tandis que le Sud, moins étendu mais plus peuplé, est majoritairement sédentaire, animiste ou chrétien.
13À cette ligne de fracture Nord/Sud, s’ajoute une différenciation en trois zones de peuplement.
Les trois zones de peuplement
14Compte tenu de sa population et de sa superficie, la densité du Tchad est faible, inférieure à 10 habitants/km2, 8,4 exactement en 2007. La faiblesse de cette densité moyenne cache toutefois une forte inégalité de la répartition de la population entre les trois zones géo-climatiques. La population tchadienne est donc très inégalement répartie dans l’espace géographique national, sachant que l’occupation humaine obéit notamment aux conditions climatiques.
15Du Nord au Sud, les densités moyennes se présentent selon trois zones distinctes : très basses dans la zone saharienne, assez basses en zone sahélienne et plus élevées dans la zone soudanienne. Il en résulte des densités de population qui peuvent aller de moins de 1 habitant au km2 dans le Nord à plus de 60 dans le Sud, notamment dans la région du Logone occidental. Les trois principales zones de peuplement correspondent à des zones climatiques bien distinctes.
- Dans la moitié Nord du pays, la zone saharienne, qui comprend les régions du BET [8] (Borkou-Ennedi-Tibesti [9] ), est caractérisée par une très faible pluviométrie (moins de 200 mm), parfois nulle. Les potentialités agro-pastorales sont limitées à l’exploitation des oasis et à l’élevage des camelins et des bovins. Cette partie septentrionale de Tchad a une superficie d’environ 500 000 km2, donc autant que la France métropolitaine, pour 500 000 habitants, soit autour de 1habitant/km2. Cette zone saharienne, soit 47 % de la superficie totale du Tchad, abrite seulement 5 % de la population. Y vivent les populations sahariennes, des « Arabes », pasteurs anciennement islamisés, sédentaires ou nomades. Dans cette zone, une typologie possible [10] des populations permet de distinguer quatre catégories. Les Sahariens peuvent se différencier en Kamadja et Libyens. Les semi-sédentaires se différencient en TédaTou, Dôza et Bilia. Les semi-nomades se différencient en Annakaza, Kokorda et Ounia. Enfin, les différents nomades sont les Gaéda, les Gouroa, les Erdiha, les Tébia, les Mourdia, les Borogat, les Arna du Borkou, les Noarma, les Djagada…
- La deuxième zone, couvrant le centre du Tchad, représente 43 % de la superficie du territoire national. Cette zone sahélienne comprend les régions du Batha, du Biltine (limitrophe du Soudan), du Ouaddaï, du Guéra, du Kanem, du Salam?t (limitrophe de la République centrafricaine) et du Chari Baguirmi. Cette zone bénéficiant d’une pluviométrie comprise entre 200 et 800 mm par an, les principales activités y sont l’élevage et les cultures vivrières comme le sorgho, le mil pénicillaire et l’arachide. Cette zone compte environ 2,5 millions d’habitants et une densité moyenne de 8 habitants/km2. Les populations sahéliennes se partagent en sédentaires, semi-sédentaires, semi-nomades et nomades. Sont sédentaires les Kanembou, les Kadjiri, les Tunjur, les Kouka, les Bilala, les Médogo, les Hadjéraï, les Dadjo de l’ouest, les Mas?l?t de l’ouest, les Mesmédjé, les Moubi, les Kadjaksé, les Mouro, les Dagal, les Kibet, les Maba de la montagne, les Marfa et apparentés, les Mas?l?t, les Assongori, les Mararit, les Abou Charib, les T?ma, les Qmir ou les Bornou. Sont semi-sédentaires les Maba, les Daju de l’est, les Mas?l?t d’Am-Dam, les Bakha, les Birguid, Les Bandala, les Zaghawa, les Mimi, les Boudouma, les Kouri, les Daza du Kanem, les Khozam de l’ouest, les Salam?t, les Dagana, les Terdjem et apparentés, les Fellata, les Assalé... Sont semi-nomades les Kréda, les Daza du Manga, les Hassaouna, les Ouled Sliman anciens, les Errégat ou Zébalat, les Béni H?alba, les Arabes Zioud, les Ratanine ou les Charfada. Sont nomades les Missiriés, les Mah??m?d, les Zagh?wa nomades, les Kecherda, les M’Bororo.
- Troisième ensemble géographique, à la superficie beaucoup plus réduite que les précédents, soit environ 10 % de la superficie du Tchad, la zone soudanienne couvre les régions du Mayo Kebbi, limitrophe du Cameroun, du Logone Oriental, du Logone Occidental, de la Tandjilé et du Moyen Chari, limitrophe de la République centrafricaine. Cette zone, caractérisée par une pluviométrie comprise entre 800 et 1200 mm par an, comprend de vastes domaines très fertiles pour les cultures, aussi bien pour les cultures de rente que pour les cultures vivrières (riz, mil pénicillaire, arachide, sorgho), et autres cultures vivrières dont les oléagineux et les tubercules. Elle compte environ 7 millions d’habitants en 2008 et une densité moyenne d’environ 38 hab./km2. Le peuplement est donc plus important dans les cinq régions du Sud, mais néanmoins varié : le Logone Oriental compte une densité de plus de 25 hab./km2, le Mayo Kebbi et la Tandjilé plus de 45 hab./ km2 et le Logone Occidental plus de 95 hab./km2.
17Au total, la majeure partie de la population du Tchad est concentrée dans les zones fertiles, au sud des fleuves Logone et Chari, ainsi que dans les zones urbaines, où vivent 23 % des Tchadiens. Autrement dit, on constate une très forte concentration dans les régions méridionales, outre la capitale N’Djamena.
18Une troisième approche de la diversité tchadienne consiste à souligner les variétés ethniques déjà approchés dans l’étude des trois zones car la pluralité ethnique ne se constate pas seulement à l’échelle du pays mais également à celle de chacune de ses régions.
LA CLASSIFICATION DES POPULATIONS DU TCHAD
LA CLASSIFICATION DES POPULATIONS DU TCHAD
Le kaléidoscope ethnique
4. La répartition ethnique au Tchad
19Le Tchad est en effet composé de très nombreux groupes ethniques, sans doute plus d’une - centaine, dont la recension est difficile.
20Certes, comme précisé ci-des-sus, les ethnies du Sud, essentiellement sédentaires, sont en conséquence plus faciles à étudier que celle du centre, sahéliennes, et du Nord, sahariennes. Proposons d’abord une vue d’ensemble de leur répartition et de leur géographie.
5. Estimation de la population des principales ethnies
21Cette répartition met en évidence le fait qu’aucune ethnie n’est majoritaire. Néanmoins, elle donne l’impression que les Sara du Sud pèsent d’un poids démographique certes minoritaire, mais non négligeable.
22Leur importante proportion relative doit être corrigée par le fait que cette ethnie est elle-même composée de différents groupes et que les territoires du Sud, où elle vit, comportent également de nombreuses autres ethnies.
6. Les principales ethnies et leur géographie au Tchad
Les variétés ethniques à l’échelle régionale
23Après cette présentation générale, une analyse géographique plus fine peut être conduite à l’échelle des régions afin de situer les ethnies dans les différentes régions du pays. On sait que la vaste étendue du pays a pu justifier l’augmentation du nombre de régions, à l’exemple de l’ancienne région Borkou-Ennedi-Tibesti (dont nous avons vu que sa superficie égalait celle de la France), divisée en trois nouvelles régions : le nombre en a été porté à 22 en 2008. Mais le choix de l’analyse effectuée ici est celui des quatorze régions, avant les nouveaux découpages des années 2002 et 2008, d’autant que ces derniers posent de nouveaux problèmes de délimitation des communautés ethniques.
24L’étude de l’implantation des différentes ethnies dans les diverses régions conduit à distinguer deux types géographiques : certaines ethnies ne vivent que sur une partie du territoire du Tchad tandis que d’autres habitent à la fois au Tchad et dans des pays voisins, la géographie de l’ethnie couvrant alors éventuellement une partie de la frontière tchadienne avec tel ou tel pays.
7. La répartition ethnique au Tchad selon les régions
25En raison des diversités ethniques, mais aussi à l’intérieur des diverses ethnies, se profile une variété linguistique encore plus grande que celle des ethnies.
Les diversités linguistiques, reflet majorant les variétés ethniques
26Les différences ethniques peuvent être appréhendées par le biais des diversités linguistiques, même si ces dernières ne font que témoigner de différences culturelles encore plus grandes. Le nombre exact de dialectes ne peut être connu avec exactitude parce que chaque groupe ethnique correspond à un dialecte et que, dans chaque groupe ethnique, existent plusieurs sous-groupes ethniques avec d’autres dialectes qui les caractérisent.
27Dans un pays faiblement peuplé, la très grande pluralité linguistique rend la communication difficile, d’autant plus que le Tchad ne dispose pas de langue partagée. En effet, au français, seule langue officielle depuis les premières heures de la colonisation, s’est ajouté l’arabe, d’après la constitution de 1993, mais tous deux ont une faible audience parmi les populations. D’ailleurs, il est difficile pour ces populations de comprendre l’intérêt que présentent ces deux langues officielles si leur adoption implique d’abandonner leurs dialectes, généralement sans alphabet et sans audience en dehors de la région ou du village d’origine, mais qui font partie de leur identité. Cette diversité linguistique, caractéristique de la population tchadienne, conduit à dénombrer plus de 130 langues, dont seulement 18 sont parlées par 50 000 locuteurs ou plus. La plupart des langues de ce pays ne sont donc parlées que par un petit nombre de locuteurs.
28L’apprentissage des deux langues officielles (arabe classique et français) à l’école pose des problèmes, puisque ce sont des langues secondes pour tout élève tchadien. 10 % seulement des Tchadiens parlent l’arabe tchadien comme langue maternelle alors que sans doute la moitié de la population l’utilise comme langue seconde ou véhiculaire. Mais l’arabe classique enseigné dans les écoles n’est pratiquement pas parlé. En général, les Tchadiens parlent davantage l’arabe dialectal (mais peu le français) dans le Nord du pays. Par contre, dans le Sud, où l’on trouve les villes et les gros villages, le français est plus répandu comme langue seconde car c’est la langue de travail du gouvernement et des affaires.
29De plus, quelques autres langues véhiculaires viennent s’ajouter à cette complexité. Ainsi, dans la région de Sarh, le sara sert de langue véhiculaire mais, plus au nord, le long du fleuve Chari, on parle le baguirmi. Mais la langue véhiculaire la plus populaire est l’arabe tchadien, la langue des nomades commerçants qui voyagent partout dans le pays ; dans les marchés de la région du Ouaddaï, l’arabe tchadien, comme au Guéra et à N’Djamena, est très usité. Cependant la situation s’avère complexe car il existe beaucoup de variétés dialectales en arabe tchadien, certaines d’entre elles ressemblant à l’arabe libyen, d’autres à l’arabe soudanais. Dans les régions du Sud, les ethnies communiquent à l’aide d’un dialecte, le ngambaye, malgré les accents particuliers et distinctifs à chaque groupe.
30Enfin, la pluralité tchadienne doit être aussi considérée à l’aune du fait religieux.
Les différenciations religieuses
31Nous avons évoqué ci-dessus la diversité religieuse qui, dans une certaine mesure, recouvre la fracture Nord-Sud, l’islam étant venu du nord, véhiculé par des migrations ou des marchands arabes, alors que la chrétienté est venue du sud, base de l’installation des Européens pendant la période coloniale.
8. La répartition selon les religions au Tchad
32Les estimations possibles conduisent à chif-frer l’islam comme la religion de la moitié de la population, et la chrétienté pour le tiers de la population, le reste relevant notamment de religions animistes. Mais, en fait, les pratiques et croyances religieuses peuvent être diversifiées, marquées parfois sous le sceau d’un certain syncrétisme [11].
Un carré de diversité
33Au total, l’éventuelle stabilité institutionnelle d’un véritable État tchadien suppose la capacité de trouver un équilibre et de valoriser la complémentarité entre quatre paramètres de géographie humaine marqués chacun par des diversités interdisant à l’un des groupes humains du pays de pouvoir durablement s’imposer aux autres. Synthétisons donc ce que nous appellerons un carré des diversités tchadiennes.
34D’abord, le Tchad se situe sur la zone de diversité religieuse entre l’islam venu du nord et des religions animistes traditionnelles dont certaines se sont orientées spirituellement vers la chrétienté introduite durant la période coloniale.
35Le deuxième ensemble du carré des pluralités tchadiennes se caractérise par une multiplicité d’ethnies, dont chacune est toujours très minoritaire au plan national et même souvent au plan régional. Chaque ethnie est le résultat d’une histoire particulière, ayant une géographie spécifique pouvant même induire un sentiment territorial transfrontalier : les membres d’une ethnie tchadienne peuvent en effet se sentir plus proche d’habitants d’un pays limitrophe que des membres d’une autre ethnie tchadienne dont ils sont pourtant les voisins.
9. Le carré des diversités tchadiennes
36Le troisième ensemble est linguistique, avec une diversité de dialectes encore plus large que celle des ethnies, diversité qui ne s’approprie aucune des deux langues officielles, d’autant que le niveau d’analphabétisme reste très élevé.
37Demeure enfin une diversité économique encore importante selon les modes de vie sédentaires, nomades ou semi-nomades qui proviennent eux-mêmes de la façon dont chaque ethnie ou sous-ethnie s’est organisée, au sein de ce vaste pays, pour assurer la vie de ses familles, de ses clans ou de ses tribus.
38La résolution de cette quadrature pour le bien commun supposait surmonter les tensions et les obstacles en résultant. Or, l’histoire du Tchad, depuis l’indépendance, est celle d’un État qui ne parvient pas à se construire, ne réussissant pas à mettre en place des institutions pérennes capables de réguler les rapports de force. Il convient de préciser que cette instabilité quasi permanente du Tchad depuis son indépendance ne peut se réduire à l’héritage de la colonisation car les profonds antagonismes présents sur les territoires correspondant aujourd’hui à l’État tchadien existaient bien avant la période coloniale.
39Précisons quelques étapes illustrant l’instabilité permanente de ces rapports de force, et qui s’expliquent par la géopolitique passée et présente des populations comme des groupes humains, au Tchad et, plus généralement, dans la région.
L’instabilité permanente des rapports de force
40Après le 11 août 1960, date de l’indépendance, le premier président, dirigeant du Parti progressiste tchadien (PPT), François Tombalbaye, reconduit le français comme langue officielle. La rivalité séculaire se ravive entre le Sud, dominé jusqu’à la colonisation française, et le Nord, région où l’administration militaire française n’a jamais cessé de s’exercer durant toute la période coloniale. Or, pendant cette période, les seuls Tchadiens à avoir pu (et voulu) profiter de l’enseignement français et occuper des postes de responsabilité ont été ceux du Sud, francophiles et chrétiens. Les populations, en majorité chrétienne, du Sud ont profité de la présence française car elles ont accueilli favorablement la scolarisation. En revanche, les populations musulmanes ont souvent refusé celle de leurs enfants. Ainsi, les plus gros efforts ont été fournis pour développer le Sud, plus peuplé et jugé fertile, d’où l’installation des grandes sociétés de l’époque (CotonTchad, Sonasut-Banda, Huilerie, Société des Textiles du Tchad (STT), Brasseries du Logone, Manufacture des Cigarettes du Tchad (MCT), des écoles et des centres de santé, alors que, ni au centre ni au Nord, aucune grande industrie n’a été envisagée. C’est pourquoi les sudistes ont été également formés dans les domaines de l’administration et de l’armée tandis que les nordistes se sont intéressés de manière classique à l’élevage, à la pêche, à la chasse et à l’agriculture.
41En conséquence, aussitôt après l’indépendance, l’ethnie des Sara, à majorité chrétienne, confirme et assure son emprise sur l’administration et l’armée nationale du Tchad. Les musulmans du Nord, plus arabisés, jugent cette situation comme leur étant préjudiciable. Le président François Tombalbaye poursuit donc une politique plus favorable au Sud, où vivent des populations chrétiennes et animistes, qu’au Nord, de confession majoritairement musulmane. Cette politique, qui minore la place des populations nordistes, suscite rapidement des rébellions et le Tchad, à peine décolonisé, se trouve déchiré par des conflits armés internes qui retardent son développement et son essor économique. Au fil des années, les pouvoirs continuent d’axer leurs efforts vers les « canons » [12], consacrant de ce fait les richesses à l’achat des armes ou à l’enrichissement personnel illicite.
42Comme dans la plupart des régimes africains des années 1960,1970 et 1980, le seul moyen de parvenir au pouvoir semble le recours aux coups d’État. Le Tchad n’échappe pas à la règle. En 1962, Tombalbaye supprime les partis politiques en laissant le PPT seul au pouvoir. Dès 1963, Tombalbaye réprime durement une révolte des musulmans du Nord puis, à partir de 1965, les troubles dégénèrent en quasi-guerre civile. En 1966, un Front de Libération Nationale du Tchad (FROLINAT ), qui voit le jour au Soudan, rassemble des musulmans du Nord et du Centre-Est, mais également des opposants de toutes régions fortement influencés par le nassérisme. Son objet est de lutter contre le régime sudiste considéré comme discriminant les populations musulmanes du Nord, du Centre et de l’Est. Mais, peu de temps seulement après sa création, le Frolinat éclate en plusieurs mouvements. Les Toubous font sécession et forment une deuxième armée au sein de laquelle les Forces Armées Populaires (FAP), commandées par Goukouni Weddeï, sont appuyées par la Libye tandis que les Forces Armées du Nord (FAN), dirigées par Hissène Habré, sont soutenues par le Soudan. En avril 1969, l’armée française intervient contre une rébellion et, indirectement, contre la Libye, dont le nouveau dirigeant, le colonel Kadhafi, revendique des droits sur la bande d’Aozou, bande de terres de 104 000 km2 (comprenant la ville d’Aozou) située à l’extrême nord du Tchad.
43Les années 1970 voient une nouvelle pomme potentielle de discorde à la suite de la découverte d’une importante réserve de pétrole. Mais, compte tenu de l’instabilité politique, les investisseurs étrangers ne peuvent que suspendre leurs financements en vue de l’exploitation pétrolière. En 1973, la Libye annexe la bande d’Aozou et, en 1975, un coup d’État militaire aboutit à la mort du président Tombalbaye et à l’installation du général Félix Malloum, un Sara, à la tête de l’État. En juin 1977, les rebelles nordistes lancent une nouvelle offensive à laquelle s’oppose l’armée tchadienne avec l’aide logistique française. Mais l’État tchadien reste en pleine dérive, miné notamment par la corruption. L’année suivante, l’arabe devient la langue co-officielle avec le français, et la question linguistique revient depuis régulièrement sur le devant de la scène politique nationale, assimilée par certains à l’expansion de l’islam dans le contexte d’une présence nouvelle d’intégristes. En 1978, le nouveau dirigeant du pays parvient à rallier Hissène Habré, qu’il nomme Premier ministre. Mais, le 12 février 1979, leur alliance est rompue. Des combats opposent l’armée gouvernementale (Forces Armées Tchadiennes FAT) aux forces d’Hissène Habré, lesquelles s’emparent de N’Djamena. En mars de la même année 1979, la guerre gagne le Sud. Sous la pression de la France, des accords sont conclus à Kano, au Nigeria. Ils instituent un Gouvernement d’Union Nationale de Transition (GUNT), dirigé par Goukouni Weddeï, comprenant onze organisations politico-militaires. La Libye est tenue à l’écart de ces accords.
44Après les nombreux affrontements des deux décennies précédentes, les années 1980 sont encore plus violentes. En 1980, Hissène Habré, qui reproche à Goukouni Weddeï ses liens avec la Libye qu’il considère comme agresseur, se retire du GUNT et ses forces s’emparent de plusieurs quartiers de la capitale. En 1981, après que Goukouni Weddeï ait annoncé la fusion du Tchad avec la Libye, une force d’interposition est constituée au sommet panafricain de Nairobi et intervient avec l’appui de la France. En 1982, les Forces Armées du Nord (FAN) reprennent la capitale et Hissène Habré devient chef de l’État tchadien. Goukouni Weddeï, appuyé toujours par les Libyens, forme un gouvernement rival dans le Nord, que Hissène Habré ne reprend qu’en 1987 avec l’aide la France.
45Donc, à compter de 1979, le Tchad est dirigé par des hommes du Nord : Goukouni Weddeï (1979-1982), puis Hissène Habré (1982-1990), dont la dictature fait des milliers de victimes. Ces dirigeants ont conquis leur présidence par la force et exercé leurs prérogatives en s’appuyant sur leur ethnie d’origine, forcément très minoritaire dans leur pays. Dans cette même décennie 1980, le colonel Kadhafi, après avoir annexé la bande d’Aozou en 1973, en profite pour occuper le nord du Tchad entre 1983 et 1987, même si les Forces armées françaises contiennent les Libyens en 1983 sur une « ligne rouge ». En 1989, un complot contre Hissène Habré est déjoué. L’un de ses principaux instigateurs est Idriss Déby, alors Conseiller militaire du Chef de l’État. Réfugié en Libye, il forme le Mouvement Patriotique du Salut dont les troupes parviennent, après un an de harcèlement, à chasser Habré du pouvoir sans que la France intervienne.
10. Calendrier de l’histoire politique du Tchad depuis l’indépendance
L’espoir déçu des années 1990
46Après cette éviction d’Hissène Habré, dirigeant particulièrement sanguinaire, par Idriss Déby, grâce au soutien des guerriers de l’ethnie zagh?wa, à laquelle il appartient, les années 1990 apparaissent relativement plus apaisées. Une question délicate se pose car, pour défendre l’intégrité territoriale, une véritable armée nationale doit être mise sur pied à partir des groupes politico-militaires ayant reçu des encadrements dans divers pays, ce qui pose un vrai problème d’interopérabilité entre les forces. En 1992, des commissions sont mises sur pied pour présenter le nouveau format de la future armée et examiner des méthodes de démobilisation. La conférence nationale souveraine (CNS), tenue en 1993 à N’Djamena, permet d’adopter une nouvelle constitution de la République, ainsi que des textes réglementaires nécessaires à l’édification d’un État de droit et des libertés. Il s’agit aussi de jeter les nouvelles bases nécessaires au décollage économique du pays. Une phase transitoire de trois ans est fixée pour l’organisation des élections présidentielles et législatives. En 1994, un nouvel élément propice à la stabilisation du Tchad intervient : à la suite d’une décision de la Cour internationale de justice de La Haye, la Libye rend la bande d’Aozou au Tchad.
47En 1996, Idriss Déby promulgue une charte nationale garantissant la liberté d’expression, le multipartisme et une nouvelle constitution. Les premières élections démocratiques ont effectivement lieu dans ce Tchad meurtri par trois décennies de guerres. Idriss Déby est élu président de la République. Son parti, le Mouvement Patriotique du Salut (MPS), remporte les élections législatives de 1997. Son ancien adversaire au deuxième tour des présidentielles, le général Kamougué, dévient le président de l’Assemblée nationale.
48Néanmoins, le climat se dégrade à la fin de l’année 1996 avec l’enlèvement de Français dans le Sud par les Forces Armées pour la république Fédérale (FARF), qui entendent protester contre la mainmise du Nord musulman sur les institutions. Mais, en mai 1998, les rebelles déposent les armes. Dans le même temps, un rapprochement spectaculaire est amorcé avec la Libye, symbolisé par la visite du colonel Kadhafi à N’Djamena en mars 1998. En mai 2001, Idriss Déby est reconduit à la présidence du pays avec plus de 60 % des suffrages.
49Dans les années 2000, enfin, compte tenu d’une stabilité relative, la Banque mondiale accepte de cofinancer (à hauteur de 13 %), sous conditions d’un encadrement de la redistribution de la rente pétrolière, l’oléoduc nécessaire à l’évacuation du pétrole brut par le Cameroun ; les compagnies pétrolières acceptent d’investir. Le Tchad intègre en 2004 le club des pays producteurs de pétrole en mettant sur le marché ce produit qui pourrait contribuer à son développement. La gestion de cette rente, entourée de mécanismes exceptionnels d’une certaine transparence demandés par la Banque mondiale, doit permettre d’engager des actions en faveur des secteurs prioritaires comme l’éducation, la santé, les microprojets porteurs pour les collectivités locales et les groupements des femmes ; une partie de la rente (10 %) doit être préservée pour les générations futures. À priori, des garde-fous sont donc mis en place pour l’usage de la rente pétrolière.
Les conflits tchadiens attisés par la conflictualité régionale
50Mais ces derniers vont vite sauter dès le milieu des années 2000 car les tensions ne sont pas véritablement apaisées, tandis que s’exercent toujours des facteurs déséquilibrants dus à des pays limitrophes. D’une part, le pactole pétrolier ne peut que susciter de vives convoitises. D’autre part, le Darfour, qui a historiquement joué le rôle de sanctuaire pour des oppositions aspirant à renverser le pouvoir à N’Djamena, longtemps éclipsé par les conflits du voisinage, devient à son tour un point focal aggravant la conflictualité régionale. Car la porosité des frontières de l’espace sahélien et la forte interdépendance des États qui le composent révèlent d’inévitables interférences géopolitiques entre les champs soudanais et tchadien.
51Les interrelations entre la géopolitique et les situations ou évolutions géodémographiques s’exercent dans tous les États. Le cas tchadien s’avère particulièrement complexe, avec une centaine d’ethnies et plus de deux cents dialectes. Chaque groupe humain privilégie ses propres aspirations et a du mal à envisager une construction nationale qui pourrait bénéficier à tous. Pourtant, cette diversité ethnique est une richesse culturelle, mais qui n’a jamais été valorisée à cause des situations conjoncturelles que le pays a traversées depuis son indépendance. L’opposition entre le Nord musulman et le Sud animiste et chrétien menace toujours l’unité nationale. Les antagonismes ethniques, opposant par exemple Toubou du Tibesti, Arabes transhumants du centre, Noirs plus ou moins christianisés du Sud, comme la fracture Nord-Sud, s’expriment par des guerres civiles à répétitions et un permanent « imbroglio politique » où s’entremêlent des conflits armés d’autant plus confus que les renversements d’alliance sont fréquents, avec aussi des chefferies traditionnellement hostiles à la démocratie et un « banditisme généralisé ». En fait, les effets conjugués des conflits civils et des guerres incessantes se traduisent par des institutions non stabilisées et des infrastructures souvent dégradées. La démocratie pluraliste que l’on a escompté voir s’installer au Tchad dans les années 1990 s’est révélée un trompe-l’œil, que la possession de pétrole ne semble pas devoir calmer. Composé par une multitude de groupes humains qui ne parviennent pas à s’entendre sur des objectifs communs, le Tchad n’a fait preuve de caractère unitaire depuis son indépendance que dans la définition politique et géographique des instances internationales.
52Au total, la question tchadienne peut se caractériser par trois éléments. Le premier réside dans les difficultés de construction d’un État, alors que dominent des rivalités ethniques, la fracture Afrique blanche/Afrique noire consécutive à la traite des esclaves, des guerres de pouvoir, tandis que la domination coloniale a parfois inversé des hiérarchies traditionnelles. Le deuxième élément est la militarisation permanente et globalement croissante des acteurs tchadiens, étatiques et non étatiques. La renouvellement constant de situations conflictuelles induit notamment une militarisation irrésistible de ceux qui tiennent l’État, indéfiniment acculés à des postures défensives, soit contre les rébellions intérieures, soit contre les agressions extérieures. C’est ainsi que la rente pétrolière tchadienne, malgré les précautions prises qui devaient lui permettre d’être destinée au « beurre », donc au développement, finance des « canons », donc des budgets militaires accrus. Ce contexte général ne peut déboucher que sur le troisième élément : le maintien du Tchad parmi les pays les plus pauvres du monde, soumis à la dégradation de son économie, à la précarisation des ressources agricoles comme à la faiblesse ou à l’usure des infrastructures éducatives et sociales. Et le détournement des ressources pétrolières, au profit des dépenses militaires et des clans au pouvoir, ne peut qu’exacerber les frustrations et les revendications.
53Il faudra donc des trésors de volonté politique pour qu’existe un jour un véritable État tchadien au service du développement de sa population.
Bibliographie
Éléments bibliographiques
- Afrique contemporaine, revue trimestrielle (La Documentation Française)
- AFP Afrique, bulletin quotidien d’Afrique – Agence France Presse
- CEAN, Centre d’Etude d’Afrique Noire : dossier de presse du centre de documentation
- Jean Chapelle, Nomades Noirs du Sahara. Les Toubous, Paris, Éditions l’Harmattan, 1981
- Jean Chapelle, Le peuple tchadien. Ses racines et sa vie quotidienne, Paris, Éditions l’Harmattan, 1981
- Gérard-François Dumont, Démographie politique. Les lois de la géopolitique des populations, Paris, Ellipses, 2007
- Gérard-François Dumont, Les populations du monde, Paris, Éditions Armand Colin, deuxième édition, 2004
- Jean-Paul, Gourévitch, La France en Afrique. Cinq siècles de présence, vérités et mensonges, Paris, Le Pré aux Clercs, 2004
- Victor Emmanuel Largeau, À la naissance du Tchad 1903-1913. Pour mieux connaître le Tchad, Saint-Maur-des-Fossés, Éditions Sépia, 2001
- Albert Le Rouvreur, Sahariens et Sahéliens du Tchad, Paris, Berger-Levrault, 1962
- Joseph Tubiana (éd.), L’identité tchadienne. L’héritage des peuples et les apports extérieurs, Paris, L’Harmattan, 1994
Notes
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[1]
Professeur à l’Université Paris IV-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir, www. population-demographie. org.
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[2]
Dont la troupe sénégalaise a été perturbée par le drame de Dankori (en 1899, deux capitaines semblent avoir été atteints d’une syphilis au stade terminal accompagnée de méningoencéphalite. Saisie par la démence, toute la troupe perdit le contrôle d’elle-même, pillant et massacrant tout sur son passage).
-
[3]
Qui restera sous administration militaire française jusqu’en 1965.
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[4]
Selon les données du recensement de 1993, le Tchad avait alors précisément dénombré 6 279 931 habitants.
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[5]
Cf. Gérard-François Dumont, Les populations du monde, Paris, Éditions Armand Colin, 2e éd., 2004.
-
[6]
« La population des continents et des États », Population & Avenir, n° 685, novembre~décembre 2007.
-
[7]
Cf. Joseph Tubiana (éd.), L’identité tchadienne. L’héritage des peuples et les apports extérieurs, Paris, L’Harmattan, 1994.
-
[8]
Nous considérerons les régions dans leurs périmètres géographiques antérieurs à l’augmentation de leur nombre en 2002 et en 2008, comme indiqué dans le tableau de la répartition ethnique.
-
[9]
Au Tibesti se trouve l’altitude maximum de 3415 m., sur le volcan de l’Emi Koussi.
-
[10]
Cf. Gérard-François Dumont, (dir), Mahamat Bicheri Ahmat, « La construction d’un État à partir d’ethnies différentes. Le cas du Tchad », Paris, CID, avril 2005.
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[11]
Songeons à la formulation concernant la répartition religieuse au Burkina Faso : 50 % de chrétiens, 50 % de musulmans et 100 % d’animistes.
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[12]
Cf. Gérard-François Dumont, « Pour le développement humain : le beurre ou les canons ? » Population et Avenir, n° 675, novembre-décembre 2005.