Notes
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[1]
L’expression est ici mise entre guillemets afin de souligner qu’elle renvoie habituellement à une conception positive, voire enchantée de l’aide familiale, qui en gomme les aspects les plus difficiles et aliénants (voir notamment Martin, 1996). Afin de ne pas alourdir le texte, les guillemets ne seront plus utilisés par la suite.
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[2]
Les normes de solidarité familiale englobent, selon nous, tout à la fois des normes d’entraide, à savoir les représentations sur les rôles sociaux attendus d’actrices, d’acteurs ou d’institutions (« qui devrait aider les jeunes ? »), et des normes de justice, à savoir des règles plus générales de répartition sur lesquelles devrait reposer une société juste (« une société juste est-elle une société attentive aux besoins de chacun·e ? »).
-
[3]
Le familialisme renvoie à la propension des individus ou d’une société à estimer que c’est à la famille de prendre en charge les personnes vulnérables qui ne sont pas ou plus autonomes (Van de Velde, 2008 ; Charles, 2015).
-
[4]
Pour reprendre la distinction posée par Jean-Hugues Déchaux (2001), le caractère statutaire des relations familiales désigne l’attachement accordé au statut familial de la personne : « J’obéis parce que c’est mon père », « Je rends service parce que c’est la mère de mon mari ». Il se distingue du caractère relationnel, qui renvoie à la qualité du lien interindividuel : « J’aide ma tante parce que j’ai beaucoup d’affection pour elle ».
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[5]
Le critère de besoin renvoie au fait de penser qu’une société juste est avant tout une société qui « garantit les besoins de base pour tous » (EVS, 1999). Ce critère s’oppose, dans les enquêtes sur le sentiment de justice, au critère d’égalité (« une société juste élimine les grandes inégalités de revenus entre les citoyens ») et au critère du mérite (« une société juste reconnaît les gens selon leur mérite »).
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[6]
Par vision matérialiste de la solidarité familiale, nous entendons une vision davantage enracinée dans l’expérience concrète de la prise en charge de la dépendance, et qui ne sous-estime ni les difficultés matérielles ni les aspects affectifs qui sous-tendent les pratiques de solidarité familiale.
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[7]
L’effet breadwinner ne s’observe qu’envers les descendant·e·s (on le verra avec la question Q13e du tableau 2, dans lequel les réponses des hommes et des femmes ne s’avèrent pas significativement différentes). La norme suivie est donc celle du père nourricier vis-à-vis de ses enfants, et non du pourvoyeur d’argent à destination de tous les membres de la famille.
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[8]
Il s’agit là de l’item le plus choisi à la Q14 du tableau 2, ce qui va dans le sens des travaux montrant que cette norme familialiste est assez prégnante en France, se trouvant ainsi positionnée entre les pays d’Europe du Sud, très attachés aux principes d’une obligation filiale, et les pays d’Europe du Nord, où le rôle de l’État et des services publics est davantage valorisé (Van de Velde, 2008 ; Daatland et Herlofson, 2003).
-
[9]
Issue de la tradition de recherche anglo-saxonne, la technique des scénarios a été utilisée dans des enquêtes désormais classiques de la sociologie francophone. Cette technique repose sur l’utilisation de cas, brièvement exposés, de personnages fictifs placés dans des situations particulières, et à propos desquels la personne enquêtée est invitée à se positionner (Finch, 1987). Bien que visant une certaine crédibilité, les scénarios n’ont pas pour ambition d’être interprétés comme des cas réels, mais permettent d’identifier les cadres cognitifs à partir desquels sont construits certains jugements, opinions ou perceptions (Alves et Rossi, 1978). C’est par exemple le cas des scénarios utilisés pour mettre au jour les principes de justice au sein de la famille (Kellerhals et Languin, 2008).
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[10]
L’intitulé exact de la question et des modalités de réponse est présenté dans le tableau 2 (Q14, ISSP 2012).
-
[11]
Pour des raisons d’effectifs, seules les données de l’enquête ISSP ont été mobilisées ici pour les modèles de régression logistique. Les effectifs de l’enquête SOLIGENE (770 individus) se sont avérés trop faibles pour mener une analyse multivariée.
-
[12]
La variable objective n’étant pas directement exploitable dans l’enquête, nous avons sélectionné la variable subjective, qui présente par ailleurs l’intérêt de refléter la classe sociale du ménage (et pas uniquement de l’individu). Les enquêté·e·s devaient répondre à la question suivante : « Dans notre société, il y a des groupes qui sont plutôt au sommet de la société et d’autres qui sont plutôt en bas. Voici une échelle qui va du sommet au bas. Où vous classeriez-vous sur cette échelle ? » (échelle en 10 modalités, 10 indiquant le sommet et 1 indiquant le bas, recodée en trois classes : classe populaire – modalités de 1 à 3 ; classe moyenne – modalités de 4 à 6 ; et classe supérieure – modalités de 7 à 10).
-
[13]
Ce degré d’implication est mesuré dans l’ISSP à partir de la question suivante : « En moyenne, combien de temps par semaine passez-vous personnellement à vous occuper des membres de votre famille (c’est-à-dire des enfants, des personnes âgées, malades ou handicapées) ? ».
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[14]
Sans surprise, le volume d’aide des hommes est bien moindre que celui des femmes. Les données ISSP indiquent que les hommes déclarent consacrer en moyenne 10 heures par semaine à aider les membres de leur famille (médiane de 5 heures), alors que les femmes déclarent y consacrer en moyenne 16 heures par semaine (médiane de 10 heures).
-
[15]
Pour Patrick Savidan, les individus s’investissent dans les solidarités électives ou de proximité, car ils font preuve d’un scepticisme grandissant quant aux capacités d’action de l’État et à son aptitude à dessiner un « horizon d’attente » pour l’avenir. Au pessimisme collectif s’oppose un optimisme individuel quant à la capacité d’action individuelle, fondé sur la solidarité de proximité, c’est-à-dire envers les proches.
1Depuis une vingtaine d’années environ, on observe un regain d’intérêt de la recherche sociologique pour la question des solidarités familiales (Déchaux, 2001 ; Bonvalet et Ogg, 2004 ; Weber, 2005). Celle-ci a notamment produit de nombreuses cartographies empiriques de ce qui est désigné sous le vocable global de « solidarités familiales » [1], soit les multiples formes de services gérés par la famille, en direction de ses propres membres ou de personnes qui en sont proches (Weber, 2015). Ces travaux ont mis en évidence l’implication particulièrement forte des femmes dans ces activités (Blöss, 1997, 2005) en lien avec leur centralité dans la parentèle (Déchaux, 2009), notamment dans les activités envers les personnes âgées dépendantes et les jeunes enfants. Les études sont, en revanche, moins nombreuses en ce qui concerne l’aide aux jeunes adultes. Les recherches ont également montré la mise à contribution des personnes pivots, c’est-à-dire sollicitées à la fois par leurs enfants jeunes adultes – dont l’autonomie peut être freinée en période de crise – et par leurs parents vieillissants (Mallon, 2004 ; Wolff et Attias-Donfut, 2007).
2Les motivations ou les raisons mêmes des solidarités familiales ont toutefois été moins souvent explorées, alors qu’il s’agit d’une question de recherche essentielle. S’intéressant aux relations entre générations, Thierry Blöss se demande ainsi : « Qu’est-ce qui fait que, dans la lignée, certains sont plus solidaires que d’autres, ont un sentiment plus aigu de soumission au devoir d’obligation familiale, sont plus enclins à respecter les règles de l’échange inégal, à supporter les injustices de la solidarité, manifestent apparemment un sens du sacrifice plus développé ? » (2005 : 79). Ce relatif désintérêt de la recherche pour la question des normes de solidarité familiale [2] tient, selon nous, à trois raisons. Tout d’abord, une connaissance fine des obligations légales envers ses parent·e·s (entendu ici comme les membres de sa parenté) est indispensable pour les chercheur·e·s qui s’intéressent à cette question des solidarités familiales (envers les plus jeunes comme les plus âgé·e·s). Or, en France, ces obligations s’inscrivent dans un système particulièrement complexe (Chauvière et Messu, 2003 ; Everaert-Dumont, 2006 ; Barbier et Théret, 2009), notamment parce qu’il repose en partie sur des cas de jurisprudence dont les ressorts ne sont pas nécessairement faciles à appréhender pour des non-juristes. Ensuite, il existe une relative défiance à l’égard des déclarations des aidant·e·s, celles-ci étant parfois suspectées d’occulter, par des mécanismes plus ou moins conscients, la réalité de ce que les aidant·e·s font effectivement au quotidien. Cette défiance est plus particulièrement marquée quand elle est mesurée dans un questionnaire statistique, car les réponses qu’il propose sont soupçonnées de sous-estimer ou de déformer (en se focalisant uniquement sur certains aspects de la prise en charge) le travail effectif au quotidien (Billaud et Gramain, 2014). De ce fait, la question des normes et des principes de solidarité familiale est souvent évacuée comme un aspect secondaire, moins important que la description et l’analyse des pratiques concrètes des individus. Au mieux remarque-t-on que l’implication des aidant·e·s dans le travail effectif de prise en charge des parent·e·s les plus vulnérables est vécue comme un « allant de soi » (Petite, 2005), probablement façonné par des normes morales et des principes de justice, sans toutefois qu’une exploration empirique systématique ait été menée pour les identifier. Cet aspect subjectif de l’engagement est finalement assez peu pris en compte au regard de l’abondance de la littérature sur les pratiques objectives des solidarités familiales.
3Or, il nous semble au contraire que dans une perspective féministe, l’analyse des principes auxquels adhèrent les femmes et les hommes, et de l’éventuelle distance entre ces principes et ce qui se passe au quotidien, est essentielle pour comprendre comment les inégalités de genre se perpétuent et se reproduisent dans la famille. Cette recherche s’inscrit donc également dans une démarche militante, dans la mesure où le désintérêt pour les normes de solidarité familiale amène à perpétuer un discours sur un engagement féminin naturel (parce que les femmes auraient un sens de la morale plus élevé et/ou parce qu’elles ne se poseraient même pas la question !), au lieu de comprendre ce qui sous-tend effectivement leur implication. Dans cet article, nous sommes parties de la question suivante : au-delà des obligations juridiques, l’entraide familiale est-elle perçue par toutes et par tous comme un devoir ? Dans quelle mesure adhèrent-elles/ils à une vision familialiste [3] de la prise en charge de la dépendance ? En particulier, les opinions des femmes et des hommes, inégalement impliqué·e·s dans les pratiques d’entraide, varient-elles à ce sujet ?
4L’originalité de cet article est double : il s’agit de comparer les réponses issues de trois enquêtes (voir l’encadré) menées sur des échantillons représentatifs de la population à des questions sur les normes d’entraide (vis-à-vis des ascendant·e·s et des descendant·e·s), que les enquêté·e·s soient concerné·e·s ou non par des pratiques de solidarité familiale, tout en s’intéressant à la fois aux différences entre femmes et hommes et à l’hétérogénéité des situations observée pour chaque sexe.
5Nous montrerons ainsi, dans une première partie, que les différences normatives entre les hommes et les femmes ne sont pas symétriques concernant l’aide aux ascendant·e·s et aux descendant·e·s : si les opinions se rejoignent concernant l’aide aux descendant·e·s, les hommes semblent toutefois plus exigeants sur ce qui convient d’être fait envers leurs proches plus âgé·e·s, alors même qu’ils participent moins à leur prise en charge dans la famille. Pour reprendre une expression familière, on en arrive presque au paradoxe suivant : « Ce sont ceux qui en parlent le plus qui en font le moins ». La seconde partie de cet article, consacrée à l’analyse des caractéristiques sociales (niveau de diplôme, situation conjugale et parentale, etc.) pouvant faire varier l’exigence morale, montrera que les attentes plus fortes des hommes en matière d’entraide familiale sont liées au fait qu’ils sont moins impliqués dans les contraintes matérielles et quotidiennes de l’aide familiale, mais également à leur attachement plus fort au caractère statutaire [4] des relations familiales.
Les enquêtes mobilisées sur les normes d’entraide
L’enquête SOLIGENE (Solidarités entre générations) vise à comprendre l’articulation entre les pratiques d’entraide des individus vis-à-vis des ascendant·e·s et des descendant·e·s, les normes de solidarité et les principes de justice sociale. Créée dans le cadre du projet ELIPSS (Étude longitudinale par internet pour les sciences sociales), l’enquête s’est déroulée en février 2014 auprès d’un échantillon de 1000 individus (770 individus sans les non-répondant·e·s) représentatif de la population française. Le questionnaire était auto-administré sur tablette tactile. Outre des questions issues d’enquêtes nationales ou internationales (dont la European Values Survey 2008) et des questions originales, l’enquête intègre des scénarios afin de permettre aux enquêté·e·s de réfléchir à partir de cas concrets, tout en les incitant à prendre position face à des dilemmes moraux.
La quatrième vague de l’enquête European Values Survey (EVS) a également été mobilisée dans cet article : lancées à la fin des années 1970 par le Groupe européen d’étude sur les systèmes de valeurs (European Value System Study Group – EVSSG), les enquêtes EVS s’intéressent, depuis la première vague de 1981, aux valeurs des Européen·ne·s dans des domaines tels que le travail, la religion, la politique et la société. Au total, 47 pays ont participé à la quatrième vague, qui s’est déroulée entre 2008 et 2010. L’échantillon final comprend 66 281 Européen·ne·s, dont 3071 Français·e·s âgé·e·s de 18 ans et plus.
L’enquête Family and Changing Gender Roles de l’International Social Survey Program (ISSP) est la troisième source de données utilisée ici : elle vise à mesurer les attitudes des enquêté·e·s de 41 pays vis-à-vis des rôles perçus et souhaités des hommes et des femmes au sein de la famille et dans le monde professionnel, tout en les interrogeant sur leurs propres pratiques et sur la répartition des tâches au sein du ménage. La quatrième vague de l’enquête, réalisée en 2012 auprès de 61 754 participant·e·s de 18 ans et plus, a été retenue ici.
Des morales différenciées : les normes de solidarité envers les plus jeunes et les plus âgé·e·s
6Que ce soit dans la prise en charge des jeunes enfants ou dans celle des personnes âgées dépendantes, l’assignation des femmes aux tâches du care est fréquemment justifiée au nom de compétences compassionnelles, souvent perçues dans les représentations communes comme le propre de la nature féminine (Paperman et Laugier, 2005). Comme le montre par exemple Sibylle Gollac (2014), l’indifférence visible pour un·e parent·e dans une situation difficile est d’autant plus réprouvée moralement qu’elle est le fait d’une femme : la distance émotionnelle masculine est davantage tolérée, voire admise.
7Cette plus grande compassion féminine est régulièrement annexée à un sens de la morale familiale plus élevé chez les femmes que chez les hommes (Gilligan, 1982), qui pousserait davantage celles-ci à s’impliquer dans l’aide apportée à leurs proches vulnérables. Dans les enquêtes qualitatives ou ethnographiques, c’est d’ailleurs souvent cette exigence morale que les aidantes évoquent elles-mêmes pour justifier l’inégale distribution des charges dans la famille, ce qui tendrait à montrer l’intériorisation par les femmes de devoirs genrés. Dans les enquêtes quantitatives, cela se manifeste aussi par une plus forte adhésion des femmes au critère du besoin [5] (Forsé et Parodi, 2016).
8Au-delà des justifications apportées dans le contexte spécifique de l’action ou des conceptions très générales du juste, qu’en est-il quand on cherche à analyser les principes de solidarité familiale, tels qu’ils peuvent être interrogés et saisis dans le cadre d’enquêtes statistiques portant sur les normes d’entraide ? Retrouve-t-on des attentes féminines plus fortes que celles des hommes ? Femmes et hommes établissent-elles/ils la même hiérarchie morale des personnes qui doivent prioritairement être aidées dans la famille ?
9En distinguant les modalités de réponse des hommes et des femmes pour une dizaine de questions sur les normes d’entraide dans les enquêtes citées (voir l’encadré), nous montrerons que femmes et hommes portent deux morales familiales différenciées, notamment en ce qui concerne la prise en charge des personnes âgées dépendantes. Cette analyse vise donc plus particulièrement à discuter les thèses qui affirment que les femmes ont un sens de la morale familiale plus élevé, plus absolu, plus magnanime que les hommes, et soulignera au contraire comment l’expérience concrète de la prise en charge de la dépendance amène les femmes à développer une vision matérialiste [6] de la solidarité familiale, qui les distingue sur ce point des hommes.
Aider ses enfants : une norme familiale qui dépasse les clivages de genre
10Le tableau 1 reprend cinq affirmations issues des enquêtes concernant l’investissement et le soutien que les parents sont supposés apporter à leurs enfants. Ces items questionnent donc les normes de solidarité familiale envers les descendant·e·s, dont il a été montré, à travers différentes études, qu’elle prend dans les faits des formes multiples. L’aide la plus visible concerne les dons d’argent (héritage ou avance sur héritage), mais ce soutien financier et matériel se manifeste également par l’ouverture d’un compte bancaire alimenté dès le plus jeune âge au gré des anniversaires, des réussites scolaires, des fêtes de fin d’année (Herpin et Verger, 1996), par le financement du permis de conduire ou des études (Castell, Portela et Rivalin, 2016), par les restes du plat dominical que l’étudiant·e emporte le dimanche soir, etc.
Réponses comparées des femmes et des hommes aux questions concernant les normes de solidarité envers les descendant·e·s*
Enquêtes source | Questions | Réponses femmes | Réponses hommes | Significativité |
---|---|---|---|---|
SOLIGENE | Q13a*. Les grands-parents doivent s’occuper de leurs petits-enfants si les parents ne sont pas en mesure de le faire | 80,7 % | 83,9 % | ns |
SOLIGENE | Q13b*. Les parents doivent aider financièrement leurs enfants si ceux-ci ont des difficultés financières | 82,0 % | 89,8 % | p < 0,05 |
SOLIGENE | Q13c*. Si leurs enfants adultes en ont besoin, les parents doivent modifier leur propre vie afin de pouvoir les aider | 47,7 % | 49,6 % | ns |
SOLIGENE | Q10*. Selon vous, en France, la solidarité envers les jeunes c’est l’affaire avant tout… (une seule réponse possible) 1. De l’État et des collectivités locales 2. Des familles 3. Des associations 4. Des assurances, des mutuelles ou autres organismes privés | 57,3 % | 60,6 % | ns |
EVS 2008 | Q50. Laquelle des deux affirmations suivantes correspond le mieux à votre opinion en ce qui concerne la responsabilité des parents à l’égard de leurs enfants ? 1. Le devoir des parents est de faire de leur mieux pour leurs enfants, même aux dépens de leur propre bien-être 2. Les parents ont leur vie à eux, et on ne doit pas leur demander de sacrifier leur propre bien-être au bénéfice de leurs enfants | 79,8 % | 81,1 % | ns |
Réponses comparées des femmes et des hommes aux questions concernant les normes de solidarité envers les descendant·e·s*
* Les questions ont été reprises ou inspirées d’autres enquêtes.Note méthodologique : le tableau présente les pourcentages d’adhésion à la question posée (ou à l’item en gras qui a été le plus choisi parmi ceux proposés). Chaque question Q13a à Q13c de l’enquête SOLIGENE présentait une échelle de quatre réponses possibles : « d’accord », « plutôt d’accord », « plutôt pas d’accord » et « pas d’accord ». Les pourcentages représentent la somme des réponses « tout à fait d’accord » et « d’accord ». Les autres pourcentages représentent la part d’enquêté·e·s ayant opté pour l’item le plus choisi, en gras. La colonne « significativité » indique si les différences de réponse entre les hommes et les femmes sont statistiquement significatives (au-dessus du seuil de 5 %) ou non.
Note de lecture : 80,7 % des femmes et 83,9 % des hommes interrogés dans l’enquête SOLIGENE ont répondu être « d’accord » ou « tout à fait d’accord » avec la proposition « Les grands-parents doivent s’occuper de leurs petits-enfants si les parents ne sont pas en mesure de le faire ». Les réponses des hommes et des femmes à cette question ne sont pas significativement différentes (ns = non significatif).
11Ce soutien familial à la fois financier, matériel et moral, quoique source d’inégalités entre les jeunes (Papuchon, 2014 ; Le Pape et Tenret, 2016), est peu questionné par les parents eux-mêmes, qui justifient l’aide apportée par le caractère supposé universel et naturel de l’amour filial, et valorisent une norme de soutien affichée par certains comme inconditionnelle. Dans les réponses que nous avons analysées, cette norme de soutien se traduit par une forte valorisation des efforts et des sacrifices que peut demander l’éducation des enfants : 79,8 % des femmes et 81,1 % des hommes répondant à l’enquête EVS 2008 estiment ainsi que le devoir des parents est de faire de leur mieux pour leurs enfants, même aux dépens de leur propre bien-être. Ces pourcentages semblent cependant décliner quand il s’agit de modifier sa propre vie pour aider un enfant adulte, puisqu’ils atteignent 47,7 % parmi les femmes et 49,9 % parmi les hommes dans l’enquête SOLIGENE (voir le tableau 1). Ce résultat rejoint celui d’une étude qualitative (Le Pape, Portela et Tenret, 2016) qui montrait que les hommes comme les femmes adhèrent très fortement à l’idéal de l’amour parental, dans lequel les parents sont censés puiser leurs forces (et leurs économies) pour aider leurs enfants.
12Le caractère consensuel de cette position est particulièrement visible dans le tableau 1, dans lequel les pourcentages d’accord avec les propositions apparaissent très élevés, quelles que soient les questions posées. Relevons aussi que les différences de réponses entre femmes et hommes ne sont presque jamais significatives. La seule exception concerne le soutien financier : 82,0 % des femmes contre 89,8 % des hommes estiment que les parents doivent aider financièrement leurs enfants si ceux-ci ont des difficultés financières. Cette différence pourrait s’expliquer par le fait qu’il est ici question d’une norme d’aide financière, à laquelle les hommes, en tant que breadwinners soucieux d’assumer leurs responsabilités, adhéreraient davantage que les femmes [7].
Morale familiale statutaire versus morale familiale relationnelle : des conceptions genrées de la prise en charge des personnes âgées dépendantes
13Si les différences genrées concernant les normes d’aide envers les plus jeunes, dans la famille, sont peu marquées, les modalités du soutien à apporter aux plus âgé·e·s, et plus particulièrement aux personnes âgées, sont en revanche plus clivées. Ce résultat est peu étonnant quand on connaît l’implication des femmes dans l’entraide familiale. La littérature économique et sociologique a bien montré qu’elles sont proportionnellement plus impliquées que les hommes dans la prise en charge des parent·e·s vulnérables de leur famille et qu’elles s’investissent plus intensément, à la fois en termes de temps et de charge émotionnelle (Billaud et Gramain, 2014).
14On pourrait donc penser que cet investissement important produit – ou est lui-même motivé par – un plus fort degré d’exigence morale de la part des femmes : parce qu’elles y consacrent plus de temps, les femmes seraient davantage enclines à exiger une plus forte implication familiale dans la prise en charge des personnes âgées (ne serait-ce que pour justifier et légitimer leur propre rôle). Cette plus forte exigence morale pourrait également être liée à un modèle de justice qui serait spécifique aux femmes, souligné par plusieurs recherches. Carol Gilligan (1982) propose ainsi de distinguer l’éthique des droits propre aux hommes de l’éthique du care propre aux femmes, cette dernière intégrant une composante compassionnelle plus marquée et adossée à une conception du juste plus empathique et attentive aux autres. Ainsi, selon ces théories, que ce soit pour justifier leur position ou par cohérence avec un système de valeurs orienté vers l’aide à autrui, les femmes pourraient être plus enclines que les hommes à valoriser le principe de la prise en charge familiale des parent·e·s âgé·e·s et/ou dépendant·e·s.
15Pourtant, d’un point de vue purement déclaratif, cette exigence ne va pas dans le sens attendu et remet en question l’hypothèse d’une morale féminine familiale plus compassionnelle et absolue. Ce sont en effet les hommes qui sont les plus prompts à revendiquer une prise en charge familiale dès lors qu’il s’agit, dans le principe, d’aider un·e parent·e âgé·e dépendant·e : 36,9 % déclarent que ce sont les membres de la famille qui doivent s’impliquer pour aider quotidiennement une personne âgée qui n’est plus autonome, contre 31,4 % des femmes (voir le tableau 2, ISSP 2012) [8]. Pour les hommes davantage que pour les femmes, cette exigence semble ne pas dépendre de la qualité de la relation entretenue avec l’aidé·e. Les réponses à la question Q9 de l’enquête SOLIGENE (tableau 2) montrent en effet que les hommes sont les premiers à valoriser une approche statutaire de l’aide apportée : 81,0 % d’entre eux pensent qu’on doit toujours aider ses parents, même si les relations ne sont pas bonnes, contre 72,3 % des femmes. Pour autant, les hommes comme les femmes défendent le principe d’un amour filial, indépendant de la qualité des actes de ses parents. Par exemple, leurs réponses à la question Q49 de l’enquête EVS 2008 (« Avec laquelle de ces deux opinions êtes-vous le plus d’accord ? 1 – Quels que soient les qualités et les défauts de ses parents, on doit toujours les aimer et les respecter ; 2 – On n’a pas le devoir de respecter et d’aimer ses parents quand ils ne l’ont pas mérité par leur comportement et leur attitude ») ne s’écartent pas significativement. Ce n’est donc pas tant la valorisation du lien de filiation qui distingue les hommes et les femmes que leur vision de l’aide familiale, les hommes se représentant davantage cette aide comme un soutien inconditionnel qui n’a pas à être lié à la qualité de la relation.
Réponses comparées des femmes et des hommes aux questions concernant les normes de solidarité envers les ascendant·e·s*
Enquêtes source | Questions | Réponses femmes | Réponses hommes | Significativité |
---|---|---|---|---|
SOLIGENE | Q13e*. Les enfants doivent aider financièrement leurs parents si ceux-ci ont des difficultés financières** | 73,7 % | 78,4 % | ns |
SOLIGENE | Q13f*. Les enfants doivent accueillir chez eux leurs parents si ceux-ci ne sont plus en mesure de vivre seuls** | 46,4 % | 50,7 % | p < 0,05 |
SOLIGENE | Q7*. Quand un parent âgé est gravement malade ou affaibli, c’est d’abord le devoir de ses enfants de s’occuper de lui | 91,8 % | 91,9 % | ns |
SOLIGENE | Q8*. Et laquelle de ces deux affirmations suivantes correspond le mieux à votre opinion en ce qui concerne la responsabilité des enfants adultes quand leurs parents ont besoin d’une aide de longue durée ? 1. Les enfants adultes doivent fournir l’aide que nécessitent leurs parents, même aux dépens de leur propre bien-être 2. Les enfants adultes ont leur vie à eux, et on ne doit pas exiger qu’ils sacrifient leur propre bien-être à celui de leurs parents | 52,6 % | 60,3 % | p < 0,05 |
SOLIGENE | Q9. Et quand les relations avec les parents ne sont pas bonnes, avec laquelle de ces deux opinions êtes-vous le plus d’accord ? 1. Même si les relations avec ses parents ne sont pas bonnes, on doit toujours les aider 2. On n’a pas le devoir d’aider ses parents quand les relations avec eux ne sont pas bonnes | 72,3 % | 81,0 % | p < 0,01 |
EVS 2008 | Q49. Avec laquelle de ces deux opinions êtes-vous le plus d’accord ? 1. Quels que soient les qualités et les défauts de ses parents, on doit toujours les aimer et les respecter 2. On n’a pas le devoir de respecter et d’aimer ses parents quand ils ne l’ont pas mérité par leur comportement et leur attitude | 75,4 % | 74,0 % | ns |
EVS 2008 | Q51. Et laquelle des deux affirmations suivantes correspond le mieux à votre opinion en ce qui concerne la responsabilité des enfants adultes lorsque leurs parents ont besoin d’une aide de longue durée ? 1. Les enfants adultes doivent fournir l’aide que nécessitent leurs parents, même aux dépens de leur propre bien-être 2. Les enfants adultes ont leur vie à eux, et on ne doit pas exiger qu’ils sacrifient leur propre bien-être à celui de leurs parents | 52,8 % | 58,8 % | p < 0,01 |
ISSP 2012 | Q14. Concernant les personnes âgées qui ont besoin d’aide dans leur vie quotidienne, par exemple pour faire leurs courses, le ménage, la lessive etc., qui, selon vous, devrait principalement fournir cette aide ? 1. Les membres de la famille 2. Les services publics 3. Les organismes sans but lucratif (associations caritatives, religieuses) 4. Les organismes privés fournissant ce type d’aide | 31,4 % | 36,9 % | p < 0,01 |
Réponses comparées des femmes et des hommes aux questions concernant les normes de solidarité envers les ascendant·e·s*
* Les questions ont été reprises ou inspirées d’autres enquêtes.Note méthodologique : le tableau présente les pourcentages d’adhésion à la question posée (ou à l’item en gras qui a été le plus choisi parmi ceux proposés). Chaque question Q13e, Q13f et Q7 de l’enquête SOLIGENE présentait une échelle de quatre réponses possibles : « d’accord », « plutôt d’accord », « plutôt pas d’accord » et « pas d’accord ». Les pourcentages représentent la somme des réponses « d’accord » et « plutôt d’accord ». Les autres pourcentages représentent la part d’enquêté·e·s ayant opté pour l’item le plus choisi, en gras.
Note de lecture : 73,7 % des femmes et 78,4 % des hommes interrogés dans l’enquête SOLIGENE ont répondu être « d’accord » ou « tout à fait d’accord » avec la proposition « Les enfants doivent aider financièrement leurs parents si ceux-ci ont des difficultés financières ». Les réponses des hommes et des femmes à cette question ne sont pas significativement différentes (ns = non significatif).
16On pourrait donc émettre l’hypothèse que les femmes adhèrent davantage à une vision relationnelle de l’aide familiale (c’est l’engagement affectif qui fonde la relation d’aide), tandis que les hommes concevraient plutôt l’aide comme relevant d’une morale familiale statutaire, indépendante de la force et de la qualité des sentiments. Ce résultat rejoint d’autres travaux de sociologie de la famille qui suggèrent une certaine sacralisation de l’institution familiale par les hommes (Déchaux, 2012). Les femmes auraient quant à elles une vision plus relationnelle de la famille, privilégiant la qualité des relations interindividuelles, sur laquelle elles annexeraient en quelque sorte leur investissement dans un rôle d’aidante. La revendication d’une morale familiale statutaire qui, pour les hommes, serait supérieure à l’intensité des sentiments expliquerait également qu’ils valorisent davantage que les femmes une aide familiale inconditionnelle, même si celle-ci doit se faire aux dépens de la qualité de vie de l’aidant·e. En effet, 58,8 % d’entre eux, contre 52,8 % des enquêtées, ont répondu que les enfants adultes doivent fournir l’aide que nécessitent leurs parents, même aux dépens de leur propre bien-être (voir le tableau 2, EVS 2008). On peut émettre l’hypothèse que les sacrifices consentis par les hommes le sont d’autant plus aisément qu’ils restent largement théoriques, étant bien moins confrontés à la pénibilité des tâches quotidiennes de l’aide familiale. En effet, s’ils en assurent ponctuellement la partie gratifiante – par exemple, la prise en charge de l’aide administrative ou financière (Billaud et Gramain, 2014) –, ils sont nettement moins confrontés que les femmes au caractère routinier et accaparant de l’aide familiale.
Privilégier l’aide ascendante : une exigence masculine qui se confirme dans les situations de dilemme moral
17Nous proposons ici de discuter du dilemme moral qui peut se poser lorsque ascendant·e·s et descendant·e·s ont conjointement besoin de l’aide de leur famille. L’un de ces groupes est-il privilégié par rapport à l’autre ? Par ailleurs, femmes et hommes gèrent-elles/ils différemment ce type de situation ? L’enquête SOLIGENE permet d’aborder ces questions à partir d’un scénario qui contextualise le dilemme moral auquel les enquêté·e·s sont invité·e·s à réfléchir [9]. Le scénario reprend une situation plausible pour une femme appartenant à la génération pivot, prise entre les demandes de son fils jeune adulte et de son père dépendant, et qui agit sous contrainte : « Mme Faure a 50 ans et ses revenus sont limités. Son père lui demande de l’aider à payer la maison de retraite, tandis que son fils lui demande de l’aider à payer ses études. Elle ne peut pas aider les deux à la hauteur de ce qu’ils demandent. À qui doit-elle donner la priorité ? ».
18L’analyse des réponses à cette question (voir le tableau 3) révèle une prédominance de la norme d’égalité pour une majorité des enquêté·e·s, conformément à la hiérarchie des principes mise en évidence par Michel Forsé et Maxime Parodi (2006) dans leur théorie empirique de la justice sociale : suivant de près le principe de besoin, c’est le principe d’égalité qui est mis en avant par les enquêté·e·s, quelles que soient leurs caractéristiques sociales. En effet, dans le scénario, on observe que plus de 60 % des personnes invitées à trancher sur ce que doit faire Mme Faure choisissent la modalité « à tous les deux de manière égale ». Elles semblent donc considérer les demandes du père et du fils comme également légitimes. Cette posture égalitaire peut témoigner aussi bien de la difficulté à donner la priorité à une génération par rapport à une autre que du refus d’établir une telle priorité, mais quoi qu’il en soit, elle est partagée par les femmes et les hommes enquêtés. Cependant, ce n’est pas le cas lorsqu’il y a arbitrage entre le père et le fils, les répondants tendant à privilégier l’aide envers l’ascendant : 16,1 % d’entre eux, contre 11,2 % des femmes, considèrent que Mme Faure doit donner la priorité à son père aux dépens de son fils (voir le tableau 3).
Réponses comparées des femmes et des hommes au scénario concernant l’arbitrage entre aide aux ascendants et aux descendants
Énoncé de la question et des modalités de réponse | Réponses femmes | Réponses hommes |
---|---|---|
Q20. Mme Faure a 50 ans et ses revenus sont limités. Son père lui demande de l’aider à payer la maison de retraite, tandis que son fils lui demande de l’aider à payer ses études. Elle ne peut pas aider les deux à la hauteur de ce qu’ils demandent. À qui doit-elle donner la priorité ? » (une seule réponse possible). | ||
1. Plus à son père qu’à son fils | 11,2 % | 16,1 % |
2. Plus à son fils qu’à son père | 18,0 % | 18,6 % |
3. À tous les deux, de manière égale | 62,7 % | 60,6 % |
4. À aucun des deux | 8,0 % | 4,7 % |
Réponses comparées des femmes et des hommes au scénario concernant l’arbitrage entre aide aux ascendants et aux descendants
Note de lecture : 11,2 % des femmes et 16,1 % des hommes ont répondu que la protagoniste du scénario devait plus aider son père que son fils. Cette différence est tendanciellement significative sur le plan statistique (test du chi-deux significatif à 10 %).19Ces résultats renvoient probablement à la façon dont les hommes et les femmes se représentent leur position dans la famille. Les travaux d’Olivia Samuel (2009) ont d’ailleurs montré des différences significatives à ce sujet : les hommes sont proportionnellement plus nombreux que les femmes à se revendiquer comme « enfant de », ce qui peut amener à penser que l’identité familiale masculine se construit davantage en référence à la lignée et au statut de fils. À l’inverse, les femmes revendiquent davantage que les hommes leur statut de mère ou de grand-mère pour se définir. Ces conceptions différenciées de sa propre position dans la famille jouent probablement un rôle dans les arbitrages qu’effectuent les femmes et les hommes en situation de dilemme moral. Mais elles sont loin de structurer toutes leurs réponses à ce type de dilemme, puisque tant les enquêtées que les enquêtés ont résolu le dilemme qui leur a été soumis en soutenant de manière égale ascendant et descendant.
Les variations du principe de solidarité familiale. L’exemple du principe de prise en charge des personnes âgées dépendantes dans la famille
20Cette seconde partie de l’article porte plus spécifiquement sur le principe de la prise en charge des personnes âgées dépendantes par la famille, dans la mesure où c’est celle qui clive le plus les déclarations des femmes et des hommes. Afin d’expliquer pourquoi ces derniers défendent davantage ce principe, tout en explorant les facteurs qui peuvent faire varier la force de cette exigence morale chez les enquêté·e·s, nous avons réalisé plusieurs analyses multivariées permettant de comparer les effets de différentes variables explicatives. Des modèles de régressions logistiques mobilisant les données de l’enquête ISSP 2012 ont été réalisés, portant sur la probabilité de considérer les membres de la famille comme devant prioritairement prendre en charge « les personnes âgées qui ont besoin d’aide dans leur vie quotidienne » [10]. Outre les effectifs assez importants qui rendent possible une analyse multivariée [11], cette enquête présente l’intérêt de pouvoir confronter les normes des répondant·e·s à leur implication effective dans la famille.
Adhérer à un modèle familialiste de la prise en charge des personnes âgées dépendantes : des effets de genre mais pas seulement
21La première régression logistique porte sur le rôle souhaité de la famille dans l’aide apportée aux personnes âgées dépendantes. Les variables explicatives sont le sexe et l’âge déclarés, le niveau d’études, la classe sociale subjective [12], la situation matrimoniale, le statut parental (appréhendé ici par le nombre d’enfants de moins de 18 ans présent·e·s dans le foyer) et, enfin, le nombre d’heures (en tranches) passées à s’occuper des membres de la famille nécessitant une aide [13]. D’autres variables, dont on sait qu’elles ont une influence sur les représentations de la solidarité familiale, n’ont pas pu être introduites, car elles n’étaient pas présentes dans l’enquête. C’est le cas par exemple de la configuration du réseau familial de l’enquêté·e, dont Sylvie Renaut et Jim Ogg (2008) ont montré l’impact sur les représentations (notamment la taille de la fratrie, ou le fait d’avoir un·e parent·e âgé·e en vie plutôt que des parents âgés décédés). C’est également le cas du type de fonctionnement conjugal, celui-ci orientant les décisions en matière de solidarité familiale (Kellerhals et Languin, 2008). Ou encore, des indicateurs relatifs à l’origine ethnique ou culturelle pourraient aussi avoir une incidence sur les normes familiales.
22Tout d’abord, le tableau 4 permet de constater que l’effet du sexe se maintient lorsqu’il est contrôlé par les différentes variables explicatives retenues. Le sexe est donc une variable significative pour expliquer les normes d’entraide attendues de la famille : toutes choses égales par ailleurs, les hommes sont plus favorables que les femmes à ce que l’aide aux personnes âgées soit prise en charge par les membres de la famille. Ainsi, ce résultat vient confirmer celui présenté dans la première partie de l’article : sur le principe, les hommes adhèrent davantage à une vision familialiste de la prise en charge des personnes âgées qui ont besoin d’aide.
Résultats du modèle de régression logistique sur la probabilité de considérer les membres de la famille comme devant prendre en charge les personnes âgées
Résultats du modèle de régression logistique sur la probabilité de considérer les membres de la famille comme devant prendre en charge les personnes âgées
Significativité : *** : p < 0,001 ; ** : p < 0,01 ; * : p < 0,05 ; + : p < 0,1Note de lecture : toutes choses égales par ailleurs, le fait d’être une femme fait baisser significativement la probabilité de considérer que les personnes âgées devraient être prises en charge par les membres de la famille (coefficient négatif et significatif à 5 %).
23Par ailleurs, outre un effet du sexe, d’autres dimensions sociales sont à explorer pour mesurer le degré de familialisme des individus. C’est le cas de l’investissement hebdomadaire dans la famille : plus le nombre d’heures passées à s’occuper des autres membres de la famille est élevé, plus les enquêté·e·s ont tendance à mettre en avant l’importance de la famille dans la prise en charge des personnes âgées dépendantes. Ce résultat peut s’expliquer de deux manières. Premièrement, les personnes les plus impliquées seraient celles qui adhèrent le plus à cette norme d’entraide, ce qui expliquerait leur bonne volonté : leur rôle d’aidant·e leur paraîtrait naturel. Deuxièmement, on peut supposer que ces aidant·e·s constatent, par pragmatisme, que l’aide aux personnes âgées revient de facto aux proches du cercle familial. Elles/ils tireraient alors de ce constat une norme d’action à suivre, légitimant ainsi leur propre engagement personnel. Le statut parental est également significatif, mais il a un effet inverse : plus les enquêté·e·s ont un nombre élevé d’enfants vivant dans le foyer, moins il est probable qu’elles/ils défendent une vision familialiste de l’aide aux personnes âgées dépendantes. Du fait de leur situation familiale, les enquêté·e·s sont sans doute déjà fortement sollicité·e·s par leurs enfants, ce qui rendrait leur adhésion au principe d’une prise en charge des aîné·e·s par la famille plus difficile.
24Enfin, le niveau de diplôme marque un effet tendanciel : les personnes enquêtées les plus diplômées semblent se distinguer de celles qui sont peu ou pas diplômées par leur moindre valorisation de la famille dans la prise en charge des personnes âgées vulnérables. On peut émettre l’hypothèse que c’est parce que leurs ressources sociales, culturelles et économiques leur permettent d’externaliser et de déléguer ce travail de soin à des professionnel·le·s (Bonvalet et Ogg, 2004 ; Molinier, 2013).
25En revanche, l’âge, la situation maritale et la classe sociale subjective ne jouent pas de manière significative sur les réponses données. Pour la classe sociale subjective, l’absence de significativité est probablement liée à l’effet déclaratif de cette variable, par laquelle l’individu identifie lui-même sa propre position sociale. Il est probable qu’il y ait bien un effet de la classe sociale, que l’on peut ici appréhender au travers du diplôme.
Des mécanismes d’exigence différents pour les femmes et pour les hommes ?
26Une fois constaté l’effet robuste du sexe, nous avons souhaité identifier les variables les plus discriminantes pour expliquer les différences au sein de la catégorie des femmes et au sein de celle des hommes. L’idée est de dépasser une vision trop binaire des normes des femmes et des hommes, en montrant ce qui fait varier les principes déclarés pour chaque sexe. En effet, les inégalités de genre ne peuvent se comprendre sans tenir compte du contexte dans lequel agissent les individus. Les travaux de recherche sur la prise en charge des personnes âgées dépendantes ont bien montré que ce sont souvent des effets de configuration familiale, combinés à des caractéristiques socio-économiques individuelles, qui aboutissent au sur-investissement de certaines femmes. Par exemple, quand les enfants sont fils ou filles uniques, les comportements d’aide sont très uniformes entre hommes et femmes. De même, ce sont davantage les personnes sans conjoint·e, sans enfant et qui ne travaillent pas qui sont le plus souvent impliquées dans la prise en charge quotidienne des personnes âgées dépendantes, ce qui permet à certaines femmes, actives, plus diplômées que les autres membres de la fratrie, de s’extraire des tâches les plus pénibles et les plus routinières (Billaud et Gramain, 2014). L’effet de la situation familiale et professionnelle est-il également perceptible quand on analyse la variabilité des normes des hommes, d’une part, et de celles des femmes, d’autre part ? Nous avons procédé à deux autres régressions logistiques afin de voir si ce sont les mêmes variables qui font varier l’exigence morale chez les hommes et chez les femmes [14].
27Pour chaque régression par sexe, les mêmes variables explicatives que celles de la première régression (à l’exception du sexe) ont été introduites. Concernant les femmes, on constate que les plus aidantes demeurent les plus enclines à estimer que l’aide aux personnes âgées devrait principalement être prise en charge par les membres de leur famille (voir le tableau 5). Leurs principes sont donc fortement corrélés à leur implication dans la famille, ce qui n’est pas le cas pour les hommes. Ce résultat accrédite, selon nous, la thèse d’une morale féminine ancrée dans le quotidien et le vécu des relations familiales. Leur expérience est déterminante dans leur perception du rôle attendu de la famille envers les plus vulnérables.
Résultats comparés pour les femmes et les hommes des modèles de régression logistique sur la probabilité de considérer les membres de la famille comme devant prendre en charge les personnes âgées
Résultats comparés pour les femmes et les hommes des modèles de régression logistique sur la probabilité de considérer les membres de la famille comme devant prendre en charge les personnes âgées
Significativité : *** : p < 0,001 ; ** : p < 0,01 ; * : p < 0,05 ; + : p < 0,1Note : la table des hommes comprend 851 individus (dont 59 valeurs manquantes pour la variable expliquée) ; la table des femmes comprend 1 558 individus (dont 86 valeurs manquantes pour la variable expliquée). Les valeurs manquantes sur les variables explicatives ont été introduites comme modalités spécifiques dans la régression. Elles ne sont pas indiquées dans le tableau pour en faciliter la lecture.
Lecture : toutes choses égales par ailleurs, le niveau d’études n’a pas d’influence significative, chez les hommes comme chez les femmes, sur le fait de considérer que les personnes âgées devraient être prises en charge par les membres de la famille.
28Pour les hommes, aucune des variables introduites dans la régression n’apparaît significative (voir le tableau 5). Si s’impose une certaine prudence méthodologique (liée à la plus faible taille de l’échantillon), il nous semble que cette absence de significativité renforce la thèse d’une morale familiale statutaire masculine. En effet, alors qu’il est significatif pour les femmes, le volume d’aide apportée n’influe pas sur les représentations des hommes. Pour le dire autrement, leur degré d’exigence n’est pas lié à leur investissement effectif dans la famille. Par ailleurs, leurs principes semblent moins liés à leurs caractéristiques sociales. Diplômés ou pas, parents ou non, les hommes paraissent s’arc-bouter sur une norme familialiste, qu’ils portent envers et contre tout.
Conclusion
29Dans un contexte d’inégalités sociales croissantes, qui se traduit à la fois par un « traitement étatique de la solidarité familiale défaillante » (Chauvière et Messu, 2003 : 333) et par une « vigoureuse réappropriation individuelle de la question de la solidarité » (Savidan, 2015 : 198) [15], tout semble porter les individus à se prononcer en faveur d’un attachement fort au rôle de la famille, que ce soit à travers ce qui est attendu des parents pour leurs enfants en voie d’autonomisation, ou des enfants pour leurs parents vieillissants. Toutefois, ce principe de solidarité familiale n’est pas unanime : dans les exploitations statistiques que nous avons menées, le sexe, l’investissement domestique (notamment le temps consacré aux membres de la famille, en particulier quand il y a plusieurs enfants) ou encore le niveau de diplôme font varier les rôles attendus de chacun·e en matière de prise en charge des personnes les plus vulnérables. En particulier, pour les hommes et pour les femmes, dont la différence d’implication au quotidien n’est plus à démontrer, (ré)affirmer l’importance de la famille ne présente pas le même enjeu. Quoique le lien entre pratiques et normes ne soit pas observé en situation dans cet article, les normes déclarées dans les grandes enquêtes que nous avons mobilisées font apparaître plusieurs résultats intéressants, qui permettent de mieux comprendre comment se reproduisent et se légitiment les inégalités de genre dans la famille.
30Ainsi, bien que moins impliqués dans les tâches répétitives et parfois usantes de l’aide apportée aux parent·e·s les plus vulnérables, les hommes se montrent plus exigeants que les femmes sur le principe d’une prise en charge familiale dans les situations de dépendance. Comme nous l’avons montré dans la première partie, ce principe de solidarité familiale pourrait s’expliquer tout à la fois par une vision plus statutaire des liens familiaux et par une moindre implication des hommes dans la réalité quotidienne du soin, ces derniers ne mesurant pas – ou minimisant – le caractère épuisant du soutien apporté. Tout en se tenant à bonne distance des tâches les plus régulières de soin ou d’entretien domestique, les hommes ont une exigence morale qui contribue probablement à accroître la pression sur leurs femmes, leurs sœurs ou leurs mères. Prétextant leur activité professionnelle, leur malaise dans les situations de proximité physique et/ou relationnelle, ils n’en restent pas moins attentifs à ce que le travail de prise en charge des parent·e·s dépendant·e·s reste dans la famille. Il en va plus particulièrement de leur engagement de bon fils que leurs parents soient aidé·e·s et accueilli·e·s, dans la mesure du possible, dans le giron familial. C’est sans doute pourquoi les effets de configuration familiale (en particulier la taille et la composition de la fratrie) sont si déterminants dans la cartographie de l’aide apportée : loin d’être désengagés de ces questions familiales, l’implication des hommes, plus faible et plus irrégulière, combinée à leur exigence morale, ne fait que renforcer les attentes normatives qui pèsent sur les femmes.
31C’est d’ailleurs ce qui pourrait expliquer que le volume d’aide apportée n’influence pas, toutes choses égales par ailleurs, les représentations masculines de la solidarité familiale. Ce principe de solidarité semble imperméable à ce qui se joue dans les faits, contrairement aux femmes, pour qui une plus forte valorisation de la solidarité familiale est significativement corrélée à une plus grande implication quotidienne. Comme il a déjà été souligné (Déchaux, 2009), l’engagement moral et affectif des femmes dans la famille renforce leur implication matérielle, qui elle-même consolide les relations, de sorte que cette spirale des sentiments participe à entretenir leur dévouement auprès des parent·e·s vulnérables.
32Nos résultats contribuent ainsi à montrer que le lien entre pratiques et conceptions normatives de l’entraide familiale n’est pas aussi simple qu’il y paraît : ce n’est pas uniquement parce que les femmes en font plus qu’elles défendent de facto l’importance de la famille dans la prise en charge des proches, notamment des ascendant·e·s. Si celles qui sont fortement impliquées mettent en avant plus que les autres l’importance de la famille (sans doute pour légitimer leur action), il n’en reste pas moins que les femmes sont globalement moins portées que les hommes à défendre une aide familiale inconditionnelle. Au contraire, ces derniers semblent adopter, indépendamment de ce qu’ils font au quotidien ou de leurs caractéristiques sociales, une vision surplombante, voire dominante du principe de solidarité familiale. Les inégalités entre les femmes et les hommes ne sont donc pas seulement une affaire de pratiques : elles trouvent leurs fondements dans une vision archaïque et statutaire des relations familiales qui légitime que chacun·e reste à sa place.
Bibliographie
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Notes
-
[1]
L’expression est ici mise entre guillemets afin de souligner qu’elle renvoie habituellement à une conception positive, voire enchantée de l’aide familiale, qui en gomme les aspects les plus difficiles et aliénants (voir notamment Martin, 1996). Afin de ne pas alourdir le texte, les guillemets ne seront plus utilisés par la suite.
-
[2]
Les normes de solidarité familiale englobent, selon nous, tout à la fois des normes d’entraide, à savoir les représentations sur les rôles sociaux attendus d’actrices, d’acteurs ou d’institutions (« qui devrait aider les jeunes ? »), et des normes de justice, à savoir des règles plus générales de répartition sur lesquelles devrait reposer une société juste (« une société juste est-elle une société attentive aux besoins de chacun·e ? »).
-
[3]
Le familialisme renvoie à la propension des individus ou d’une société à estimer que c’est à la famille de prendre en charge les personnes vulnérables qui ne sont pas ou plus autonomes (Van de Velde, 2008 ; Charles, 2015).
-
[4]
Pour reprendre la distinction posée par Jean-Hugues Déchaux (2001), le caractère statutaire des relations familiales désigne l’attachement accordé au statut familial de la personne : « J’obéis parce que c’est mon père », « Je rends service parce que c’est la mère de mon mari ». Il se distingue du caractère relationnel, qui renvoie à la qualité du lien interindividuel : « J’aide ma tante parce que j’ai beaucoup d’affection pour elle ».
-
[5]
Le critère de besoin renvoie au fait de penser qu’une société juste est avant tout une société qui « garantit les besoins de base pour tous » (EVS, 1999). Ce critère s’oppose, dans les enquêtes sur le sentiment de justice, au critère d’égalité (« une société juste élimine les grandes inégalités de revenus entre les citoyens ») et au critère du mérite (« une société juste reconnaît les gens selon leur mérite »).
-
[6]
Par vision matérialiste de la solidarité familiale, nous entendons une vision davantage enracinée dans l’expérience concrète de la prise en charge de la dépendance, et qui ne sous-estime ni les difficultés matérielles ni les aspects affectifs qui sous-tendent les pratiques de solidarité familiale.
-
[7]
L’effet breadwinner ne s’observe qu’envers les descendant·e·s (on le verra avec la question Q13e du tableau 2, dans lequel les réponses des hommes et des femmes ne s’avèrent pas significativement différentes). La norme suivie est donc celle du père nourricier vis-à-vis de ses enfants, et non du pourvoyeur d’argent à destination de tous les membres de la famille.
-
[8]
Il s’agit là de l’item le plus choisi à la Q14 du tableau 2, ce qui va dans le sens des travaux montrant que cette norme familialiste est assez prégnante en France, se trouvant ainsi positionnée entre les pays d’Europe du Sud, très attachés aux principes d’une obligation filiale, et les pays d’Europe du Nord, où le rôle de l’État et des services publics est davantage valorisé (Van de Velde, 2008 ; Daatland et Herlofson, 2003).
-
[9]
Issue de la tradition de recherche anglo-saxonne, la technique des scénarios a été utilisée dans des enquêtes désormais classiques de la sociologie francophone. Cette technique repose sur l’utilisation de cas, brièvement exposés, de personnages fictifs placés dans des situations particulières, et à propos desquels la personne enquêtée est invitée à se positionner (Finch, 1987). Bien que visant une certaine crédibilité, les scénarios n’ont pas pour ambition d’être interprétés comme des cas réels, mais permettent d’identifier les cadres cognitifs à partir desquels sont construits certains jugements, opinions ou perceptions (Alves et Rossi, 1978). C’est par exemple le cas des scénarios utilisés pour mettre au jour les principes de justice au sein de la famille (Kellerhals et Languin, 2008).
-
[10]
L’intitulé exact de la question et des modalités de réponse est présenté dans le tableau 2 (Q14, ISSP 2012).
-
[11]
Pour des raisons d’effectifs, seules les données de l’enquête ISSP ont été mobilisées ici pour les modèles de régression logistique. Les effectifs de l’enquête SOLIGENE (770 individus) se sont avérés trop faibles pour mener une analyse multivariée.
-
[12]
La variable objective n’étant pas directement exploitable dans l’enquête, nous avons sélectionné la variable subjective, qui présente par ailleurs l’intérêt de refléter la classe sociale du ménage (et pas uniquement de l’individu). Les enquêté·e·s devaient répondre à la question suivante : « Dans notre société, il y a des groupes qui sont plutôt au sommet de la société et d’autres qui sont plutôt en bas. Voici une échelle qui va du sommet au bas. Où vous classeriez-vous sur cette échelle ? » (échelle en 10 modalités, 10 indiquant le sommet et 1 indiquant le bas, recodée en trois classes : classe populaire – modalités de 1 à 3 ; classe moyenne – modalités de 4 à 6 ; et classe supérieure – modalités de 7 à 10).
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Ce degré d’implication est mesuré dans l’ISSP à partir de la question suivante : « En moyenne, combien de temps par semaine passez-vous personnellement à vous occuper des membres de votre famille (c’est-à-dire des enfants, des personnes âgées, malades ou handicapées) ? ».
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Sans surprise, le volume d’aide des hommes est bien moindre que celui des femmes. Les données ISSP indiquent que les hommes déclarent consacrer en moyenne 10 heures par semaine à aider les membres de leur famille (médiane de 5 heures), alors que les femmes déclarent y consacrer en moyenne 16 heures par semaine (médiane de 10 heures).
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Pour Patrick Savidan, les individus s’investissent dans les solidarités électives ou de proximité, car ils font preuve d’un scepticisme grandissant quant aux capacités d’action de l’État et à son aptitude à dessiner un « horizon d’attente » pour l’avenir. Au pessimisme collectif s’oppose un optimisme individuel quant à la capacité d’action individuelle, fondé sur la solidarité de proximité, c’est-à-dire envers les proches.