Notes
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[1]
J.-P. Sartre fut quelque temps un « compagnon de route » du PCF. La figure du « compagnon de route » mériterait une étude particulière, car le « compagnon » intellectuel n’est pas le « sympathisant » ouvrier. Connaître exactement le rôle symbolique et pratique du « compagnon » à l’intérieur et à l’extérieur du Parti pourrait éclairer de façon originale le rapport intellectuel/ouvrier au cours des années 1945-1975.
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[2]
J’ai adhéré au Parti communiste français en novembre 1962. J’ignore à quel moment le Parti s’est « désadhéré » de moi, n’en recevant plus de nouvelles depuis des années. N’ayant, pour ma part, jamais manifesté mon désir de le quitter, je m’en considère toujours membre.
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[3]
On aura compris que le mot est pris ici dans son acception courante, sociologique. Il est clair que d’un point de vue anthropologique, toute activité humaine est intellectuelle; un singe est incapable d’enfoncer un clou ou de ranger un placard.
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[4]
Certains cadres, jeunes mais déjà permanents, pouvaient suivre une école d’un an à Moscou. Peu d’étudiants ont, à ma connaissance, suivi cette école.
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[5]
Je n’emploierai pas le terme de « schizophrénie » avancé par Edgar Morin (Autocritique, Le Seuil) car les deux cultures ne s’ignoraient pas réciproquement.
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[6]
Comment oublier cette jeune camarade revenue de l’école de trois mois, et qui m’affirmait : « Kant, c’est facile à comprendre, il suffit de savoir qu’il était assis entre deux chaises. » À quoi bon détruire cette belle assurance : après tout, il était rare qu’on parlât de Kant dans les cercles de l’UJFF (Union des jeunes filles de France) dont elle était responsable.
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[7]
Les instituteurs et professeurs rechignaient souvent à ce travail corporatif, préférant les luttes dans les quartiers, aux côtés des ouvriers ; on devait leur rappeler que l’adhésion à son syndicat est obligatoire pour tout membre du Parti.
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[8]
D’autres universitaires moins zélés étaient tenus à l’œil et tolérés dans les limites de leur prudence ou de leur art de l’esquive : Lucien Sève, Jean-Claude Delaunay, Guy Besse, Michel Verret, et d’autres. Deux intellectuels demanderaient une étude particulière pour leur position atypique à l’intérieur des plus hautes sphères du Parti :Aragon et Jean Kanapa.
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[9]
Les interventions de certains responsables de province (éloignés du tumulte parisien) montrent qu’ils n’avaient pas saisi l’objet précis du Comité central consacrée aux « problèmes idéologiques et culturels ».
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[10]
Ayant eu à faire un cours de philosophie dans une école du Parti, après le Comité central d’Argenteuil, j’avais mis en cause la notion de dialectique généralement admise. À un camarade qui s’en était ému en haut lieu, il fut répondu : « À présent, on peut débattre de ces questions, nous ne tranchons pas. »
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[11]
L’École et la nation, animée par des instituteurs communistes, France-Nouvelle, revue politique qui devint une tribune pour les contestations animée par des universitaires pour l’essentiel.
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[12]
La Nouvelle Critique disparut, remplacée successivement par des journaux sans visée théorique,Révolution, puis Regards. La seule revue qui sauva sa peau fut La Pensée, qui depuis toujours avait observé des principes précurseurs du Comité central d’Argenteuil, et que la direction du Parti laissait faire, à cause de sa fonction de « passerelle » dont on a parlé : jamais aucun intellectuel-cadre n’osa proposer un article dans La Pensée où s’alignaient les noms les plus prestigieux des Universités françaises et étrangères. Personne ne perdait donc rien après le Comité central d’Argenteuil.
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[13]
Les communistes engagés dans les syndicats sur la tendance « unité action » surent assez bien établir une hégémonie efficace, et des contre-feux aux avancées gauchistes.
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[14]
C’est ce que Waldeck Rochet, alors secrétaire général du PCF, aurait répondu à Althusser qui lui demandait ce que les ouvriers pensaient du débat sur l’antihumanisme théorique (in Althusser, L’Avenir dure longtemps, Stock, p. 190).
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[15]
L’un étant le candidat Pompidou et l’autre le candidat Poher, tous deux représentants de la bourgeoisie en ses nuances. Il fallait aux militants une solide conviction du déterminisme des « classes » (au-dessus des combinaisons des partis) pour accepter ce boycott, en totale rupture avec les traditions électorales du PCF.
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[16]
Alors que de nombreux intellectuels abandonnaient le PCF, je dois souligner une exception notable, celle d’Henri Lefebvre, qui souhaitait y être réintégré après en avoir été exclu en 1958. Il demanda que cette réintégration eût l’allure d’une réhabilitation, dans le cadre d’une réception par les dirigeants du PCF. Il ne reçut aucune réponse.
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[17]
J’ai entendu un cadre (membre du Comité central) justifier l’économie de marché en ces termes : « On va bien au marché quand on fait ses courses. » C’était lors de la préparation du XXIIIe Congrès du Parti, le dernier auquel j’ai participé.
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[18]
Ainsi, par exemple, Francis Combes et un groupe d’écrivains lancent les éditions « Le Temps des cerises », Lucien Sève les éditions « La Dispute ».
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[19]
Tendances : la Gauche communiste, la Coordination communiste, les Rénovateurs… Journaux : Le Manifeste, Initiatives communistes, Approches marxistes…
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[20]
Ces intellectuels, communistes quand même, sont nombreux. Parmi les plus connus, on peut songer à Georges Labica, Étienne Bali-bar,Tony Andréani, Michel Vovelle,André Tosel, Samir Amin…
-
[21]
La Pensée, Le Monde diplomatique, La Revue commune…
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[22]
Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat social, livre I, chap. 6.
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[23]
Dont beaucoup ont été ignorés dans le savoir communiste :
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[24]
Sous des formes et des positions différentes, s’inscrivent les travaux en ce sens de Lucien Sève, Georges Labica,Yvon Quiniou.
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[25]
Ce que s’efforcent de faire Immanuel Wallerstein, Étienne Balibar, André Tosel, Dominico Losurdo, Samir Amin.
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[26]
On doit citer Gérard Noiriel, Danièle Tartakowski.
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[27]
Le DVD édité par Regards et la Fondation Gabriel Péri sur « 1956 » et le déboulonnage de Staline, commenté par Roger Martelli, mériterait une large diffusion.
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[28]
« Sur mon chien gourmand et tendre
"Sur ses oreilles dressées
"Sur sa patte maladroite j’écris ton nom
"Liberté"
Paul Eluard, Poésie et Vérité, 1942.
1L’intellectuel communiste, Jean-Paul Sartre [1] l’avait qualifié de « bâtard », enfant instable de la petite bourgeoisie et de la classe ouvrière, une petite bourgeoisie incorrigiblement agrippée à ses maigres privilèges, et une classe ouvrière fascinée par son avenir messianique. Les « bâtards » de ma génération ont connu, au sein de leur famille d’adoption communiste, bien des déchirements, des adultères, des clameurs, et surtout, ils ont vu le départ massif des enfants légitimes, les prolétaires. Certains intellectuels ont quitté le communisme, emporté par la vague, d’autres en ont été rejetés, d’autres y sont restés, soit par habitude paresseuse, soit par intérêt, soit par absence d’autre terre d’accueil à leurs convictions.
2Une chose paraît certaine : si l’intellectuel communiste est un bâtard, la notion d’« intellectuel-communiste » a changé de sens et de contenu au cours des années, comme si l’histoire voulait en rajouter en bâtardise, et la trimballait de pères en mères aux figures changeantes. Je veux dire que l’intellectuel communiste aura d’autres histoires de famille à raconter, selon qu’il aura vécu l’époque Jdanov-Lyssenko, ou l’humanisme moral de Garaudy, Althusser et le Comité central d’Argenteuil, Mai 68, le Programme commun de la gauche, la participation gouvernementale, la descente dans les enfers électoraux.
3Je propose de présenter deux aspects de la question. Le premier sera une sorte de mémoire lacunaire, un retour sur quarante-cinq années d’expériences militantes [2], vues du point de vue qui nous occupe ici, les intellectuels. L’autre aspect sera une réflexion sur les manières d’être communiste, pour quelqu’un qui occupe l’essentiel de son temps à des activités qualifiées d’intellectuelles [3].
4Savoir et culture communiste en 1960. L’étudiant qui adhérait au PCF dans les années 60 devait s’engager dans une double formation intellectuelle. D’une part, il devait acquérir le savoir et la culture dispensés par les écoles, l’Université, afin de disposer des diplômes nécessaires à sa vie future. Mais d’autre part, son adhésion n’était pas un simple engagement pratique (afficher, vendre des journaux, distribuer des tracts). En adhérant au PCF, il devait s’imprégner de la culture et du savoir du Parti. À cette époque, il existait bien une culture et un savoir communistes spécifiques, et on apprenait au Parti des choses qu’on n’apprenait nulle part ailleurs. La culture, d’abord : dans les réunions, on s’accoutumait à une façon critique de voir les événements, de filtrer les informations, de nier les thèmes dominants de l’opinion, de sorte que le Parti était en premier lieu un préservatif efficace contre les slogans radiotélévisés. Cette culture de la cellule renversait l’image convenue du monde, négligeait le monde politicien et recentrait l’actualité sur les questions sociales : la lutte de classe « nationale et internationale » prévalait sur les émois et les déclarations des « grands » de ce monde. Bref, on voyait la politique d’en bas, du point de vue du peuple, comme le conseillait si justement Machiavel.
5L’autre aspect culturel était le « porte-à-porte » qui accompagnait la vente de L’Humanité-Dimanche et auquel tout militant était astreint périodiquement ; c’est là qu’on touchait du doigt la lenteur et la force des mouvements d’opinion, les résistances et les déclics brutaux du peuple, les limites d’une vérité quand elle doit affronter la pesanteur des habitudes. Aucun sondage ne peut remplacer cette connaissance empirique qui s’élabore dans l’écoute, la discussion, que les syndicalistes connaissent bien dans un secteur donné et que le Parti expérimentait au jour le jour dans la population locale. Ceux qui ont, pendant des années, pratiqué le porte-à-porte, sont devenus, je pense, de solides penseurs matérialistes en politique, ils ont appris la réalité matérielle des masses, l’inertie et la dynamique d’un peuple. L’Université ne peut pas donner cette expérience et cette culture.
6À côté de cette culture, le Parti dispensait un savoir didactique dans ses écoles de niveaux progressifs (depuis l’école de cellule jusqu’à l’école centrale de Choisy-le-Roi). On commençait par apprendre à rédiger des textes, à interpréter la lecture des rapports politiques…, et on finissait par des cours sur la plus-value chez Marx, la situation internationale, l’histoire sociale de la France, le matérialisme historique et dialectique… L’école de Choisy-le-Roi, qui durait un ou trois mois (selon le niveau visé), formait les cadres supérieurs [4] du Parti et son programme était impressionnant : à côté de questions de politique et de stratégie, on trouvait des cours sur l’esthétique et l’histoire de l’art, la linguistique, l’épistémologie…, autant de sujets revisités à partir de positions originales et introuvables ailleurs. On comprend qu’un cadre communiste, non intellectuel universitaire, pût, au sortir de cette formation, rapide mais très complète, avoir un sentiment de fierté légitime, étant capable de « parler » sur de nombreux sujets, y compris avec des spécialistes, et ayant l’illusion d’avoir réponse à tout, ayant acquis sur tout la bonne réponse.
7Mais cette épaisseur culturelle du Parti, qui donnait force et profondeur au discours du responsable politique, plongeait l’intellectuel universitaire dans une sorte de dualité, presque de duplicité [5]. L’intellectuel, sitôt qu’il était responsable à quelque niveau dans le Parti, pouvait constater un décalage entre son savoir universitaire et son savoir communiste; le premier était généralement plus soucieux de vérification, de comparaisons, de nuances et de démonstration, le second plus soucieux d’engagement, de justification, d’approbation (aller à l’essentiel, ne pas « enc… les mouches »). L’opposition entre la « science bourgeoise » et la « science prolétarienne » n’ayant plus cours, l’intellectuel n’était pas sommé de choisir mais contraint de composer. Au sein du Parti, parmi ses camarades, il mettait son savoir en sourdine s’il heurtait les assurances du savoir communiste, et afin de ne pas affaiblir le Parti en jetant inutilement le trouble, il se taisait ou même acquiesçait à des affirmations qu’il n’eût jamais tolérées d’un étudiant même débutant. Par souci d’efficacité, l’intellectuel communiste était tenu de respecter la culture communiste dans le cadre de son militantisme [6].
8Ce respect n’était pas nécessairement douloureux, d’autant que certains « grands intellectuels » communistes faisaient fonction d’intermédiaires entre les deux mondes. Côté Parti, on ne les lisait guère, mais ils décoraient la façade ; côté Université, ils rassuraient les étudiants communistes et les autres intellectuels moins célèbres, prouvant qu’on peut être communiste et grand savant reconnu dans la société. Dans ce contexte la revue La Nouvelle Critique et surtout La Pensée jouaient un rôle déterminant de fausse passerelle : peu lues par les cadres et jamais par les ouvriers, elles alimentaient la fierté et la réflexion des intellectuels engagés dans le Parti ou gravitant autour de lui.
9Quant aux intellectuels sans responsabilités dans le Parti, simples militants, ils étaient poussés vers les syndicats (instituteurs, professeurs) et l’action culturelle (Maisons des jeunes dans les quartiers populaires) ; souvent mal à l’aise dans le Parti, leur activité extérieure leur évitait les conflits [7]. Sinon, on savait les marginaliser (« ils planent ») ou les exclure (ils sont « retournés à leur classe »).
10On doit noter, pour conclure sur cette première période, que certaines disciplines ne figuraient pas dans le tableau d’honneur décoratif : l’économie, la philosophie marxiste, l’histoire contemporaine. Sur ces sujets directement en prise avec le savoir communiste, les écarts, fussent-ils méthodologiques, n’étaient pas recevables. Un grand philosophe, un grand économiste, un grand historien (contemporain) reconnus par le Parti comme tels étaient toujours soit membres de la direction politique, soit responsables d’une « commission » ; et leurs travaux ne pouvaient contredire les positions pratiques ou théoriques établies. Parmi ces « grands » organiques et universitaires, on trouvait par exemple : Garaudy en philosophie, Barjonet et Boccara en économie, Elleinstein et Hinker en histoire contemporaine [8].
11Le règne des spécialistes,le déclin du savoir communiste. C’est dans ce contexte, dans ce complexe, qu’éclata l’effet Althusser. Ce philosophe communiste sut, avec un sens tactique admirable, réaménager les rapports entre le Parti et les intellectuels, en procédant par étapes et en respectant la culture communiste, pour y insérer de nouvelles conceptions sur le rapport entre le pouvoir et le savoir à l’intérieur du Parti. Il savait l’art délicat de couler le vin neuf dans les vieux fûts.
12Althusser empruntait à l’Université son vocabulaire (coupe d’essence, efficace de la structure, diachronie et synchronie, épistémologique…) et des références modernes en 1960 (Lévi-Strauss, Canguilhem, Bachelard, Foucault), ce qui le plaçait à l’abri des cadres et des militants étrangers à ce monde; de plus, il n’abordait pas de questions directement politiques. D’autre part, il activait la culture communiste, usant de thèmes et d’évidences en cours dans la formation des cadres (le marxisme philosophie scientifique, le mouvement ouvrier international, la dialectique matérialiste, les classiques du marxisme : Marx, Engels, Lénine…). D’une certaine manière, il réconciliait les deux cultures écarte-lées, permettait aux intellectuels d’être communistes à l’Université et universitaires dans leur cellule. Parler du structuralisme n’était pas un frein aux tâches immédiates et n’interdisait pas la lutte de classes. Et s’y connaître en lutte sociale et en conflit idéologique pouvait aider à parler aux étudiants des positions philosophiques de John Locke,Voltaire ou Foucault, car le déterminisme historique avait cessé d’être un credo pour devenir un concept opératoire (surdétermination, déplacement de la contradiction principale…).
13En un point, cependant, le vin neuf déborda du vieux fût, entraînant l’ivresse des polémiques : « l’antihumanisme théorique » entrait en collision avec l’humanisme et la morale marxistes affirmés par Roger Garaudy, alors maître et gardien de la philosophie communiste. Les débats furent étranges, mais on peut affirmer que la majorité des intellectuels, ceux qui n’avaient pas de pouvoir à défendre dans l’appareil, étaient séduits par le discours althussérien qui déliait le marxisme de toute autre autorité que la raison. Ces intellectuels étaient ceux qui animaient les revues, les commissions, ceux à qui ce discours donnait un avantage nouveau face aux cadres détenteurs de la seule culture communiste. Des cadres souvent désemparés devant cette nouvelle arrogance impunie, comme le montra le Comité central d’Argenteuil, réuni pour établir un modus vivendi après cette redistribution des places [9].
14Le Comité d’Argenteuil laissait aux intellectuels universitaires un champ d’action et de parole beaucoup plus vaste qu’auparavant, en dépit des restrictions traditionnelles concernant l’économie, l’histoire et la philosophie, restrictions qui n’eurent pas de conséquences notables [10].
15La culture communiste à la base resta inchangée mais le savoir communiste se rapprocha vite du savoir universitaire, marginalisant du même coup les militants « autodidactes » formés par le Parti, privés du pouvoir de répression mais pas encore prêts à utiliser un discours qu’ils n’avaient pas appris à manier. Plusieurs revues changèrent de style, des maniérismes nouveaux venus d’ailleurs s’y établissaient, qui effaçaient le savoir communiste antérieur, lui faisant perdre son pouvoir démonstratif. Au cours des quinze années suivantes, ces revues ont disparu [11] ou ont fait l’objet de remaniements qui les ont rapprochées de la culture communiste, abandonnant la « théorie [12] ».
16Althusser avait montré que la vérité d’une théorie, fût-elle marxiste, n’appartient à personne, qu’elle relève de la raison et de l’expérimentation, non de l’autorité. Le Parti aurait pu, dans son Comité central d’Argenteuil, rendre à l’ensemble des militants le droit de réfléchir sur les questions théoriques, associant ainsi, dans un même travail de la preuve, les deux savoirs du Parti, communiste et universitaire. Il choisit une autre voie, celle d’autoriser les seuls universitaires (« les spécialistes » dit le texte d’Argenteuil) à débattre : cette liberté nouvelle engendra une dynamique notable dans les milieux académiques mais réduisit le savoir communiste au silence. Le Marx des communistes négligeait le Parti pour faire son entrée triomphale à l’Université. Quelques années plus tard, une citation de Marx en réunion de section laissait les cadres indifférents et faisait sourire les nouveaux adhérents ; c’était « ringard » (nouveau concept en vogue chez les permanents, qui stigmatisait le savoir communiste désormais obsolète). Et pendant ces années, l’Université résonnait des débats sur le « jeune Marx », la « rupture épistémologique », le « fétichisme », lancés par mille voix d’étudiants qui ignoraient tout du communisme.
17Cette période, loin d’être un moment de rapprochement entre ouvriers et universitaires, fut celle de l’éloignement. Mai 68 en donne une image assez fidèle. Dans les universités, les écoles, les lycées, les communistes se sentaient assez libres d’organiser leurs arguments, en prise avec le milieu, sans craindre des rappels à l’ordre désagréables ; en même temps, leur culture communiste leur donnait une supériorité évidente : ils savaient « sentir » une salle de réunion, isoler un contradicteur gauchiste, ménager des alliances, proposer des actions et faire voter des textes [13]… La place des communistes dans les instances du pouvoir universitaire au sortir des luttes en témoigne. Mais du côté ouvrier, les intellectuels communistes n’étaient pas audibles, et il n’y eut jamais de véritable rencontre.
18Le programme commun, la fin de la culture communiste. Après 1968, les débats théoriques reprennent de plus belle. Mais pendant que les intellectuels se penchent sur les questions de l’école de classe, du statut du sujet dans l’histoire, des théories de l’idéologie, etc., les ouvriers, qui « s’en foutent [14] », sont mobilisés sur la question du programme commun à imposer aux socialistes, la candidature de Jacques Duclos aux présidentielles. Sur ces questions de stratégie politique, la culture communiste fut déterminante. Le haut niveau d’éducation politique des militants, leur pratique d’intervention dans les entreprises, les quartiers, leur mépris des combines politiciennes amenèrent un succès électoral communiste saisissant : en 1969 Duclos faisait 22 % des voix, le Parti avait la force de boycotter le second tour des présidentielles (« blanc bonnet et bonnet blanc [15] »), le Parti socialiste ridiculisé devait se résoudre à négocier et accepter un « Programme commun de gouvernement » en 1972.
19Las! Cette victoire politique sonna le glas de la culture communiste qui l’avait portée. Après la signature du Programme commun, la culture et le savoir communistes firent place à l’assimilation rapide du Programme de gouvernement, qui remplaçait aussi bien la lutte des classes que la théorie de la plus-value, sans parler de la dictature du prolétariat, dont, précisément, on ne parlait plus. Dans l’urgence d’une prise prochaine du pouvoir, le Parti formait des cadres sur base d’amnésie marxiste et communiste. Le PCF autopro-clamé « parti de gouvernement » négligeait sa culture de luttes sociales.
20Dans cette même période, beaucoup d’intellectuels communistes venaient de Mai 68 et avaient rejoint le Parti impressionnés par sa capacité à occuper les postes du pouvoir universitaire. C’étaient des bâtards d’un type nouveau, enfants du gauchisme et de l’arrivisme, et le PCF, parti dominant d’une gauche prometteuse, leur ouvrait une belle carrière, universitaire ou politique. La rupture du Programme commun (1978), quelques années plus tard, à la veille d’élections législatives annoncées triomphales, les plongea dans le désespoir et ouvrit une crise dans leurs rapports avec la direction du Parti. Celle-ci toléra d’abord ces intellectuels qui s’exprimaient dans la presse nationale ou à la radio, rédigeaient des pamphlets et donnaient des leçons (bonnes ou mauvaises, de droite ou de gauche). Finalement Georges Marchais fustigea « les intellectuels assis derrière leur bureau », puis inaugura une nouvelle méthode d’exclusion (contre ceux qui « s’étaient mis d’eux-mêmes en dehors du Parti »). Il faut dire que les cadres du Parti, privés de savoir et de culture communistes, n’étaient plus guère en mesure de mener l’offensive sur le terrain : pendant six ans ils avaient répété les « propositions » du Programme commun, qui devaient répondre à tout, sans besoin de théorie, de réflexion ou d’écoute d’autrui. L’échec électoral qui ouvrait la crise ne faisait qu’exhiber la béance entre la culture sans politique des universitaires et la politique sans culture du Parti.
21La suite était prévisible. Le Parti ayant montré ses faiblesses politiques devant les analyses théoriques qui lui étaient opposées, il renonça progressivement à la théorie au lieu de la réinvestir, et à l’hémorragie des intel-lectuels [16] succéda l’abandon déclaré de la culture communiste (dictature du prolétariat, centralisme démocratique, État de classe…) ; enfin Lénine et Marx furent écartés des références. On a pu lire, au cours des années, des textes qui parlaient des « gens », qui échangeaient la lutte des classes contre le construire ensemble, etc., qui bradaient la solidarité internationale pour hurler avec les loups, traitant Milosevich de « criminel de guerre », ou saluant l’annexion de la RDA par sa voisine la RFA en termes de « printemps de Berlin ». Entre le discours du Journal de 20 heures télévisé et celui du Parti communiste, la différence n’était pas fort perceptible [17].
22Le temps des derniers bâtards? Quelques intellectuels qui sont restés marxistes se lancent alors dans l’édition pour sauver ce qui peut l’être de cette pensée qui se fit monde [18]. D’autres, avec des militants ouvriers, syndicalistes, tentent de s’organiser en tendances, diffusent des journaux, organisent des réunions [19]. D’autres encore, amers et désabusés, règlent des comptes avec leurs espérances, écrivent leurs Confessions. Néanmoins, pendant au moins une génération encore, il semble que le savoir et la culture communistes ne sont pas totalement anéantis, qu’ils perdurent à travers les travaux, de type universitaire mais encore en prise avec l’exigence de prendre parti au sein de la pensée [20]. Ils perdurent aussi dans des revues anciennes ou nouvelles [21]. Le PCF n’est plus le propriétaire de la culture communiste, ni même le locataire, et ce sont, paradoxalement, des intellectuels universitaires qui se trouvent gardiens de la maison désertée. Bâtards et squatters, occupants sans titre, chargés d’une famille aux parents négligents et aux enfants ingrats, les « intellectuels-communistes » semblent n’exister que par le grand besoin qu’ils ont d’eux-mêmes.
23Sur l’« identité communiste ». Quand je parle de « communistes », qu’il s’agisse ou non d’intellectuels, je ne parle pas de cette « identité communiste » dont on nous a abreuvés au cours de la dernière décennie, reprenant le discours du chrétien qui se demande : « Qu’est-ce que ça veut dire, pour moi, être chrétien? » Pour le chrétien qui s’adresse à Dieu, transcendance vis-à-vis de laquelle il fixe son être et l’épingle sur le tableau des choses absolues, cette question a un sens, et l’introspection « Qui suis-je? » est une extrospection fondée en objectivité, garantie par Dieu. Pour un communiste, c’est une question insensée : être communiste n’est pas une essence, une identité, c’est un combat. Rousseau l’a bien expliqué, à la question : « Qu’est-ce qui fait qu’un peuple est un peuple ? », il ne faut pas répondre par une analyse des qualités mais par la description d’un acte : un peuple ne se confond pas avec l’idée qu’il peut se faire de lui-même mais s’exprime dans sa capacité d’exister, c’est-à-dire dans le combat rassemblé qu’il oppose à un ennemi [22]. Les communistes, comme le peuple de Rousseau, n’existent que par le combat spécifique qu’ils mènent. Un combat qui conserve à travers les conjonctures des caractères identifiables : être communiste pendant l’occupation allemande, pendant la guerre d’Indochine, celle d’Algérie, pour le désarmement, pour la paix au Vietnam, etc., conserve un caractère de refus du capitalisme et de l’impérialisme, adapté à chaque situation. Être communiste n’est pas une manière de vivre pour moi, c’est une exigence de survivre pour la majorité des hommes. Quelqu’un qui ne combat pas l’agression de l’OTAN contre la Yougoslavie cesse à l’instant d’être communiste, quels que soient ses titres à y prétendre. En ce sens, le PCF se trouve sur la pente qui l’éloigne du communisme et fait de lui un parti populaire, social, démocratique, qui n’affronte pas le capitalisme et l’impérialisme, mais se borne à en dénoncer les « abus » (l’ultralibéralisme, les massacres, la torture).
24D’ailleurs, quand on en vient à se demander : « Qu’est-ce qui fait mon identité communiste? », c’est qu’on cesse de l’être, qu’on a déposé les « armes » au profit d’un miroir. Les Palestiniens ne se demandent pas ce qui fait leur identité de Palestiniens, ils la portent dans les pierres de leurs enfants, ils la disent dans le bruit de leurs fusils.
25Revenons aux intellectuels : quel combat peut occuper aujourd’hui un intellectuel s’il se veut communiste? Je l’ai dit, le combat communiste dépend des conjonctures ; la situation aujourd’hui est désespérée, au sens où l’on ne peut dégager aucun possible qui favorise l’organisation d’une politique cohérente et globale. Le désespoir, c’est quand le temps appartient aux autres, à ceux qui nous menacent. En d’autres termes, nous nous trouvons en situation de résistance, la pire chose qui puisse arriver à un être, puisque cela signifie qu’il doit lutter pour sa survie, en s’efforçant de créer un environnement nouveau (politique, naturel, affectif…) qui lui permette de persévérer dans son être. Il existe dans l’histoire des moments terribles où il n’est pas besoin d’espérer pour entreprendre, il suffit de désespérer.
26Devenus par la faiblesse des choses les gardiens du savoir marxiste et communiste, les intellectuels peuvent s’orienter vers divers types de combats communistes. Le premier est de lutter contre l’inertie confortable dans laquelle se sont établis les dirigeants du Parti, installés dans l’attente de jours meilleurs ou de strapontins ministériels, abandonnant l’horizon des luttes, même quand ils sortent d’une victoire qui permettrait de les structurer : ce fut le cas lors des référendums sur Maastricht et plus encore sur la Constitution européenne. Certains intellectuels (universitaires ou intellectuels organiques du Parti) ont choisi ce difficile travail et participent aux instances du Comité national, s’efforcent d’ameuter les indécis ou les indifférents, affaiblis dans leur tâche par l’absence de culture communiste qui les rend quelquefois inaudibles (traités de « nostalgiques » par les amnésiques majoritaires).
27La lutte communiste est aussi le travail théorique : Marx n’a pas fini de nous en apprendre. Le savoir communiste géré par le Parti avait transformé la théorie de Marx en puissance effective, au prix de simplifications, d’oublis, de refoulements. Ce tri avait permis, je le répète, la construction d’un intellectuel collectif, ciment d’une culture et d’une pratique. L’édifice s’est dispersé et il nous reste Marx, ses écrits, ses commentateurs [23]. Pour penser le temps actuel et pour mener les luttes anticapitalistes à venir, il faudra mener deux types de travaux complémentaires : approfondir la lecture du marxisme, et penser le réel en marxistes.
28On a dit que Marx est un penseur du XIXe siècle. Il serait surprenant qu’il le fût du XVe ou du XXIIIe ! Quand on a dit ça, on n’a strictement rien dit. Quand Platon avance l’idée que la politique doit être en rapport avec la justice, faut-il répondre que Platon est un penseur du IVe siècle avant Jésus-Christ? La belle réponse! Quand Hobbes dit que la souveraineté de l’État est fondée sur sa force organisatrice et non sur le droit, faut-il le renvoyer à la honte d’avoir vécu au XVIIe siècle? Marx a pensé dans le cadre du grand essor du capitalisme industriel et il a entrevu la suite naissante du capitalisme financier. Il a proposé une théorie générale de l’histoire fondée sur la « lutte des classes » et une théorie générale de la société fondée sur la production et la reproduction économique. Il a formulé des analyses (contradictoires) sur le terrain de la philosophie. Tout cela au moment où s’ouvrait le « monde » (la mondialisation) capitaliste dont il décelait la logique et les principes dynamiques. Faut-il inhumer tout cela?
29Depuis vingt-cinq ans déjà des fossoyeurs s’affairent et recouvrent Marx et bien d’autres sous les gravats de l’irrationalisme systématique ; arguant du refus du « réductionnisme », ils réduisent la raison au désordre, le langage au bruit et l’ordre au chaos. Ces « postmodernistes » font de l’histoire humaine, et même de la réalité physique, une agrégation insensée d’événements. Marx gît là-dessous, en bonne compagnie d’ailleurs, aux côtés de Descartes, Hegel, Freud… Autour de la pierre tombale, sont appelés à la danse, parfois malgré eux, Nietzsche, Schopenhauer, Feyera-bend, Prigogine, voire Thom, Derrida ou Foucault. Ce travail de décérébration doit être pris au sérieux, analysé, combattu. Pour mener la contre-offensive rationnelle il n’y a pas, pour l’instant, de meilleurs penseurs matérialistes que Marx et ses commentateurs. Les faire connaître, désenfouir les problèmes qu’ils évoquent et les difficultés qu’ils contiennent, c’est la tâche première des intellectuels communistes [24].
30Il faut, par ailleurs, expérimenter le marxisme, mettre ses outils au travail : on verra bien ainsi ce qui passe et ce qui casse. Être un intellectuel communiste, c’est s’efforcer de comprendre le réel après Marx avec les outils du marxisme, en forgeant aussi de nouveaux outils au cours de ce processus de connaissance [25].
31Il y a une autre tâche, qui est celle de la réactivation de la culture communiste perdue. Non par « devoir de mémoire », mais parce que cette culture est le seul modèle qui pourra permettre l’émergence de nouvelles résistances, de nouvelles avancées, peut-être. Il ne sert à rien de se lamenter sur l’inorganisation des étudiants anti-CPE et leurs inconséquences idéologiques : où prendraient-ils des modèles de cohérence ? Il faut donner à connaître les luttes populaires et révolutionnaires, celles du Front populaire de 1936, de la Libération, de Mai 68, de Lip et de Longwy… Ce travail d’historien sur la vie ouvrière, ses luttes et la culture qui a accompagné ces moments doit se poursuivre et être diffusé [26]. En ce sens, l’analyse des archives du PCF menée par la Fondation Gabriel Péri constitue un combat pour le communisme [27].
32Enfin, on ne doit pas négliger l’histoire, la littérature, la philosophie, et laisser la Grèce antique, Napoléon, Molière, Hume ou Delacroix… aux mains des seuls spécialistes positivistes. Ce ne sont pas là des choses indifférentes même si elles paraissent éloignées de l’actualité. Il n’est pas indifférent d’occuper une place marxiste au sein du savoir universitaire, et d’y asseoir des modes de pensées que l’Université ne produit pas par elle-même.
33Ce sont là, certes, des combats d’arrière-garde, de résistance. Comment faire autrement, tant que le communisme n’aura pas d’avant-garde et tant que le Parti qui le représente par son nom n’aura pas eu le courage d’oublier quelque temps les fausses urgences électorales pour proposer une perspective de rupture avec le capitalisme triomphant ?
34Sur les oreilles de mon chien, j’écris ton nom, liberté; si, en 1942, sous l’occupation allemande, les oreilles d’un chien ont pu porter, au sein du désespoir, les espoirs de la liberté [28], alors, l’existence d’un parti nommé « communiste » devrait suffire pour crier encore que le capitalisme ne sera pas éternel, pourvu qu’on ne s’y habitue pas, pourvu qu’on ait l’audace de n’y point chercher sa dérisoire place au soleil froid qu’il nous propose, pourvu que les oreilles du Parti ne soient pas sourdes. Dans les oreilles de mon Parti, je crie ton nom… communisme. ?
Notes
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[1]
J.-P. Sartre fut quelque temps un « compagnon de route » du PCF. La figure du « compagnon de route » mériterait une étude particulière, car le « compagnon » intellectuel n’est pas le « sympathisant » ouvrier. Connaître exactement le rôle symbolique et pratique du « compagnon » à l’intérieur et à l’extérieur du Parti pourrait éclairer de façon originale le rapport intellectuel/ouvrier au cours des années 1945-1975.
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[2]
J’ai adhéré au Parti communiste français en novembre 1962. J’ignore à quel moment le Parti s’est « désadhéré » de moi, n’en recevant plus de nouvelles depuis des années. N’ayant, pour ma part, jamais manifesté mon désir de le quitter, je m’en considère toujours membre.
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[3]
On aura compris que le mot est pris ici dans son acception courante, sociologique. Il est clair que d’un point de vue anthropologique, toute activité humaine est intellectuelle; un singe est incapable d’enfoncer un clou ou de ranger un placard.
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[4]
Certains cadres, jeunes mais déjà permanents, pouvaient suivre une école d’un an à Moscou. Peu d’étudiants ont, à ma connaissance, suivi cette école.
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[5]
Je n’emploierai pas le terme de « schizophrénie » avancé par Edgar Morin (Autocritique, Le Seuil) car les deux cultures ne s’ignoraient pas réciproquement.
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[6]
Comment oublier cette jeune camarade revenue de l’école de trois mois, et qui m’affirmait : « Kant, c’est facile à comprendre, il suffit de savoir qu’il était assis entre deux chaises. » À quoi bon détruire cette belle assurance : après tout, il était rare qu’on parlât de Kant dans les cercles de l’UJFF (Union des jeunes filles de France) dont elle était responsable.
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[7]
Les instituteurs et professeurs rechignaient souvent à ce travail corporatif, préférant les luttes dans les quartiers, aux côtés des ouvriers ; on devait leur rappeler que l’adhésion à son syndicat est obligatoire pour tout membre du Parti.
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[8]
D’autres universitaires moins zélés étaient tenus à l’œil et tolérés dans les limites de leur prudence ou de leur art de l’esquive : Lucien Sève, Jean-Claude Delaunay, Guy Besse, Michel Verret, et d’autres. Deux intellectuels demanderaient une étude particulière pour leur position atypique à l’intérieur des plus hautes sphères du Parti :Aragon et Jean Kanapa.
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[9]
Les interventions de certains responsables de province (éloignés du tumulte parisien) montrent qu’ils n’avaient pas saisi l’objet précis du Comité central consacrée aux « problèmes idéologiques et culturels ».
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[10]
Ayant eu à faire un cours de philosophie dans une école du Parti, après le Comité central d’Argenteuil, j’avais mis en cause la notion de dialectique généralement admise. À un camarade qui s’en était ému en haut lieu, il fut répondu : « À présent, on peut débattre de ces questions, nous ne tranchons pas. »
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[11]
L’École et la nation, animée par des instituteurs communistes, France-Nouvelle, revue politique qui devint une tribune pour les contestations animée par des universitaires pour l’essentiel.
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[12]
La Nouvelle Critique disparut, remplacée successivement par des journaux sans visée théorique,Révolution, puis Regards. La seule revue qui sauva sa peau fut La Pensée, qui depuis toujours avait observé des principes précurseurs du Comité central d’Argenteuil, et que la direction du Parti laissait faire, à cause de sa fonction de « passerelle » dont on a parlé : jamais aucun intellectuel-cadre n’osa proposer un article dans La Pensée où s’alignaient les noms les plus prestigieux des Universités françaises et étrangères. Personne ne perdait donc rien après le Comité central d’Argenteuil.
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[13]
Les communistes engagés dans les syndicats sur la tendance « unité action » surent assez bien établir une hégémonie efficace, et des contre-feux aux avancées gauchistes.
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[14]
C’est ce que Waldeck Rochet, alors secrétaire général du PCF, aurait répondu à Althusser qui lui demandait ce que les ouvriers pensaient du débat sur l’antihumanisme théorique (in Althusser, L’Avenir dure longtemps, Stock, p. 190).
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[15]
L’un étant le candidat Pompidou et l’autre le candidat Poher, tous deux représentants de la bourgeoisie en ses nuances. Il fallait aux militants une solide conviction du déterminisme des « classes » (au-dessus des combinaisons des partis) pour accepter ce boycott, en totale rupture avec les traditions électorales du PCF.
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[16]
Alors que de nombreux intellectuels abandonnaient le PCF, je dois souligner une exception notable, celle d’Henri Lefebvre, qui souhaitait y être réintégré après en avoir été exclu en 1958. Il demanda que cette réintégration eût l’allure d’une réhabilitation, dans le cadre d’une réception par les dirigeants du PCF. Il ne reçut aucune réponse.
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[17]
J’ai entendu un cadre (membre du Comité central) justifier l’économie de marché en ces termes : « On va bien au marché quand on fait ses courses. » C’était lors de la préparation du XXIIIe Congrès du Parti, le dernier auquel j’ai participé.
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[18]
Ainsi, par exemple, Francis Combes et un groupe d’écrivains lancent les éditions « Le Temps des cerises », Lucien Sève les éditions « La Dispute ».
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[19]
Tendances : la Gauche communiste, la Coordination communiste, les Rénovateurs… Journaux : Le Manifeste, Initiatives communistes, Approches marxistes…
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[20]
Ces intellectuels, communistes quand même, sont nombreux. Parmi les plus connus, on peut songer à Georges Labica, Étienne Bali-bar,Tony Andréani, Michel Vovelle,André Tosel, Samir Amin…
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[21]
La Pensée, Le Monde diplomatique, La Revue commune…
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[22]
Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat social, livre I, chap. 6.
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[23]
Dont beaucoup ont été ignorés dans le savoir communiste :
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[24]
Sous des formes et des positions différentes, s’inscrivent les travaux en ce sens de Lucien Sève, Georges Labica,Yvon Quiniou.
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[25]
Ce que s’efforcent de faire Immanuel Wallerstein, Étienne Balibar, André Tosel, Dominico Losurdo, Samir Amin.
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[26]
On doit citer Gérard Noiriel, Danièle Tartakowski.
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[27]
Le DVD édité par Regards et la Fondation Gabriel Péri sur « 1956 » et le déboulonnage de Staline, commenté par Roger Martelli, mériterait une large diffusion.
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[28]
« Sur mon chien gourmand et tendre
"Sur ses oreilles dressées
"Sur sa patte maladroite j’écris ton nom
"Liberté"
Paul Eluard, Poésie et Vérité, 1942.