Notes
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[1]
Voir http://ftq.qc.ca/entraide-syndicale et http://www.csn.qc.ca/web/csn/reseau-d-entraide.
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[2]
Pour plus de détails, consultez http://www.etape.qc.ca/drogues/depresseurs.htm.
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[3]
Il s’agit d’« arrangements d’acteurs qui permettent de poser les problématiques sociales d’une façon nouvelle et de créer des dispositifs susceptibles de trouver de nouvelles solutions au sein de la collectivité » (Harrisson et Klein, 2007, p. 3).
-
[4]
Par exemple, les formations sur les risques psychosociaux organisées par les services d’éducation des différentes centrales syndicales, les formations offertes par le Collège ftq-Fonds (http://formation-syndicale.ftq.qc.ca/bienvenue-au-college-ftq-fonds) et notre Guide d’animation Psychodynamique du travail en milieu scolaire offert par la csq
(http://www.lacsq.org/documents/sante-et-securite/?tx_airfilemanager_pi1%5Bpath%5D=sante_mentale_travail). -
[5]
Le Programme solve du Bureau international du travail a publiquement reconnu l’originalité de cette démarche (David Gold, Bureau international du travail, Programme solve).
1 Au cours des dernières décennies, les réalités de travail issues de la montée de la flexibilité ont transformé les pratiques syndicales en les élargissant. Devant l’intensification du travail, la mondialisation et l’idéologie néolibérale, la psyché des travailleurs et travailleuses s’est trouvée fragilisée au point d’inciter les syndicats québécois à mettre en place une vaste structure d’entraide et de prévention en matière de santé mentale au travail. C’est au départ les problèmes d’alcoolisme et de toxicomanie qui ont nécessité cette intervention syndicale (Rhéaume et Chenel, 1998 ; Bacharach, Bamberger et Sonnenstuhl, 1996), mais avec le temps des initiatives destinées à prévenir à la source des problèmes tels que l’épuisement, la détresse ou la dépression ont aussi vu le jour. L’expérience de représentants syndicaux pour mieux comprendre comment se structure en ce moment l’action syndicale dans ce domaine est ainsi devenue un objet d’étude à partager (Deslauriers, 2016).
2 L’évolution de l’action syndicale dans l’accompagnement des membres ne s’est pas faite toute seule : des militants, des élus locaux et des représentants syndicaux ont résolument demandé aux dirigeants de soutenir le développement de ce réseau qui comprend aujourd’hui des milliers de travailleurs et travailleuses ordinaires, répartis dans des centaines de milieux de travail des secteurs privés et publics [1]. Ces derniers œuvrent au quotidien dans la prévention de situations à risque non pas en pratiquant un dépistage d’individus fautifs, mais en venant en aide discrètement à leurs collègues, avant que de plus graves méfaits n’apparaissent.
3 Cet article montrera que les syndicats québécois ont été particulièrement sensibles aux problématiques liées à l’abus ou à la dépendance à l’alcool et aux drogues. Ce texte a un double objectif. D’abord, montrer des liens entre l’organisation du travail et l’apparition ou le développement d’une consommation problématique de substances psychoactives, consommation qui peut être comprise comme un effet pervers d’une organisation du travail qui fait fi des valeurs humaines d’équilibre et de socialité. Ensuite, présenter cette forme d’expérience sociale, l’entraide syndicale, destinée à venir en aide aux salariés. Pour ce faire, nous nous appuierons en bonne partie sur les données et analyses de notre thèse de doctorat (Deslauriers, 2016) qui décrit la nature de certaines réalisations syndicales québécoises en complémentarité de l’entraide, telles que la défense des membres au plan juridique, la négociation de clauses de convention collective et des initiatives concrètes en vue de transformer et de corriger des situations organisationnelles, à la source de souffrances. Pour les fins de cet article, nous nous attarderons seulement sur l’action des réseaux d’entraide en matière d’addictions.
Organisation du travail et consommation de substances psychoactives : des liens à mettre en évidence
4 À l’époque fordiste, la consommation abusive d’alcool ou de drogues était le plus souvent problématisée (Maranda et Morissette, 2002a) comme étant d’origine personnelle, non reliée à l’organisation du travail. La dépendance à l’alcool était vue comme le résultat d’une perte de contrôle d’individus ayant des troubles de la personnalité, sans relation avec le travail, même si plusieurs des rites entourant la consommation prenaient place dans le travail. En effet, sous l’égide de l’organisation du travail fordiste, l’alcool a longtemps servi de récompense pour l’exécution d’un travail pénible physiquement et a été utilisé pour compenser le peu d’espace laissé à la subjectivité (Negura, Maranda et Deslauriers, 2016 ; Maranda, 1998).
5 En toile de fond, les années 1980 ont donné lieu à une transformation importante de l’organisation du travail et du syndicalisme. La mise en œuvre de la flexibilité dans les entreprises a coïncidé avec une attente des travailleurs d’être plus impliqués dans leur travail. Seulement, avec la montée de la concurrence et de la compétition à l’échelle mondiale, ces aspirations ont dû de plus en plus s’arrimer avec des normes organisationnelles d’excellence et d’investissement de soi (Mercure et Vultur, 2010), voire d’invulnérabilité, ce qui a modifié le rapport au travail. Dorénavant, il faut démontrer un profil de compétences qui met en valeur son initiative, son adaptabilité et ses capacités de communicateur (Gaulejac, 2011). Ceci représente une révolution par rapport au taylorisme puisque le travail n’est plus autant contrôlé de façon rigide, mais conditionné par une idéologie managériale valorisant la motivation personnelle à la base des réussites organisationnelles. Le productivisme découlant de ce type d’organisation flexible fragilise les parcours individuels en les rendant imprévisibles et incertains, car la fonction du système social s’est transformée. En se délestant de responsabilités collectives, il n’a plus la vocation d’intégrer le plus grand nombre en assurant une place à tous, il tend plutôt vers la responsabilisation d’individus dédiés à la réussite de l’entreprise et la maîtrise de leur destin social et professionnel (Dubet, 2009 ; Martuccelli, 2004).
6 En conséquence, les contradictions foisonnent. Les managers actuels prescrivent à la fois l’engagement, la responsabilisation, l’autonomie, l’authenticité tout en retirant des ressources nécessaires (financières et matérielles) pour rencontrer les objectifs fixés. Le sujet est ainsi doublement fragilisé par ces injonctions paradoxales. Il est tenu dans une position sociale précaire tout en étant confronté à des responsabilités qui dépassent souvent son rôle. Ces contraintes peuvent se traduire en une surcharge psychique et une impossibilité de s’inscrire véritablement comme sujet dans le monde. D’où la tentation pour certains de recourir à des drogues aux propriétés psychostimulantes, dont les amphétamines, pour donner cet exemple de drogue qui a gagné énormément en popularité. Les nouvelles formes de domination (Martuccelli, 2004) apparaissent ainsi comme une menace insidieuse à l’identité, armature de la santé mentale au travail (Negura, Maranda et Deslauriers, 2016).
7 Ces pratiques addictives sont de l’ordre de stratégies défensives. Or, elles ont la particularité de se retourner contre soi (Maranda, 2016). Elles sont définies par Dejours et Abdoucheli (1990) comme un processus d’adaptation, de sélection, d’automatismes mis en place pour contenir l’angoisse et endiguer la souffrance au travail. Il peut être en effet tentant de s’automédicamenter avec de l’alcool ou des drogues : pour remplir la mission, pour être plus performant ou pour éviter de ressentir le poids de l’échec lorsque les contraintes sont trop grandes. Ces moyens fallacieux permettent un certain temps de fonctionner malgré les risques inhérents et les coûts potentiels sur le plan psychique, mais à plus long terme les stratégies défensives ne font que taire l’angoisse et la perception du risque inhérent au travail. Elles ne réduisent pas le risque réel et peuvent parfois l’accentuer. Au fil de nos recherches, nous en sommes venus à considérer que, devant une organisation du travail devenue toxique, le dopage au travail apparaît pour certains comme une manière de correspondre à un idéal d’excellence intériorisé (Negura et Maranda, 2013), en phase avec les attentes de performance de la société productiviste et encouragé par des gestionnaires plus désireux d’atteindre des résultats qui les propulseront au sommet de leur hiérarchie que véritablement préoccupés par la qualité du travail. C’est ce que l’on appelle « l’héroïsme perverti » (Rhéaume, 2006) ou le « travail sans qualité » (Sennett, 2000).
8 En conséquence, les produits consommés sont adaptés aux contextes ou aux situations. Dans les milieux déqualifiés, on consomme des produits stimulants pour dépasser les limites du corps et réussir à remplir des commandes physiques très exigeantes. Dans les milieux hautement qualifiés, ces mêmes stimulants permettent de rester plus alerte, de travailler plus longtemps malgré le manque de sommeil. Dans tous les cas, cette stratégie défensive est périlleuse puisque la dépendance peut s’installer insidieusement, réduire les performances et amener les travailleurs et travailleuses vers le chemin de l’exclusion.
9 Les collectifs de travail ont longtemps joué un rôle de régulation quant aux pratiques d’alcoolisation, car ils permettaient de donner du sens au travail, grâce à la convivialité entourant les modes de consommation. Des normes implicites, pas toujours respectées, régissaient les produits consommés, les moments où ils l’étaient et la quantité utilisée (Negura, Maranda et Deslauriers, 2016 ; Merle et Le Beau, 2004). L’individualisation du rapport au travail et l’affaiblissement au quotidien de ces normes collectives représentent de nos jours la perte d’une barrière de protection devant les conduites extrêmes marquées par la polyconsommation et les risques qu’elles peuvent représenter par rapport à la santé, voire à la vie.
10 Lorsque l’individu est confronté à une éventualité d’échec, la stratégie ultime, et sans doute légitime, consiste à vouloir sauver sa peau (Dejours, 2008). Le retrait apparaît ainsi souvent comme la meilleure solution. Certains cherchent à changer d’emploi, à prendre des congés ou s’abstiennent de participer à des activités sociales où la tentation de boire ou d’utiliser des produits serait trop forte (Genest, Leclerc et Maranda, 2005). D’autres, tout en demeurant dans le même emploi, se retirent sur le plan psychique ; le recours à des produits catégorisés comme « dépresseurs du système nerveux [2] » tels que l’alcool, les médicaments somnifères ou les opiacés les aide à se couper de la pénibilité tout en restant physiquement présents au travail, du moins jusqu’à ce que les effets soient trop visibles. Une de nos recherches (Deslauriers, Maranda et Negura, 2013) a révélé la nature de dynamiques de retrait de cet ordre où des produits dépresseurs ont été utilisés dans les parcours de vie de travailleurs et travailleuses. Dans certains cas, la prise de substances psychoactives paraissait être en résonance symbolique avec une blessure identitaire profonde, de dénigrement notamment, où les situations de tensions au travail rappelaient de près ou de loin des abus subis durant l’enfance ou l’adolescence. Pour d’autres, la prise d’alcool représentait une façon de lutter contre une perte de sens consécutive d’un événement traumatisant ou d’une injustice survenue dans l’exercice du travail : un conflit organisationnel attribué à de mauvaises relations interpersonnelles, du harcèlement psychologique, de la violence au travail. C’est une réponse qui a permis de se couper temporairement du monde, de tolérer des situations autrement inacceptables au plan moral, mais sans voir pour autant de possibilités d’agir sur le réel, à la source des souffrances.
11 Ainsi, la consommation d’alcool et de drogues peut être une stratégie dilatoire de type défensif : une forme d’automédication pour garder la souffrance à distance devant une tâche ou une mission trop difficile à réaliser avec les moyens fournis. Cependant, elle est aussi le reflet d’une impuissance d’agir sur le travail où durer et endurer par nécessité peuvent sembler les seules solutions à court terme, ce qui participe au maintien des situations problématiques. Devant ces impasses individuelles, une aide collective apparaît nécessaire pour briser le cycle de la souffrance pathogène.
L’entraide syndicale en milieu de travail
12 Au tournant des années 1980, alors que récessions et réorganisations structurelles du travail provoquaient des bouleversements, les syndicats ont dû reconnaître l’ampleur des problèmes d’alcoolisme ou de toxicomanie chez leurs membres. Cette période a aussi été marquée par une forte remise en question du rapport aliénant au travail qui prédominait avec l’organisation fordiste. Le développement des réseaux d’entraide en milieu de travail s’est inscrit dans ce mouvement large d’une montée des préoccupations humaines dans les milieux de travail.
13 Les syndicats québécois ont convenu de jouer un rôle actif dans la prévention des problèmes de santé mentale au travail, y compris en ce qui concerne les dépendances (alcool, drogues, jeu compulsif). Les participants rencontrés au cours de notre thèse présentant l’étude d’initiatives et de réalisations syndicales sur la lutte contre les problèmes de santé mentale au travail (Deslauriers, 2016) ont permis de documenter cette action collective. D’autres recherches (Harrisson et Chaari, 2014 ; Dufour-Poirier et Bourque, 2013 ; Maranda et Morissette, 2002b ; Rhéaume et Chenel, 1998 ; Sylvestre et Rhéaume, 1994) avaient suivi l’évolution de ce mouvement auparavant. Par initiatives, nous entendons des innovations qui modifient des pratiques en vue de dépasser des problèmes sociaux rencontrés au travail.
14 L’approche du récit de vie, plus précisément du récit de vie de la pratique syndicale (Rhéaume, 2008 ; Bertaux, 2006), est apparue la plus appropriée pour retracer les interrelations des dimensions sociales, collectives et individuelles présentes dans l’action, de façon à voir concrètement comment les acteurs-sujets contribuent à la construction d’un monde social (Dubet, 2009). Nous avons sélectionné, pour notre thèse (Deslauriers, 2016), des participants ayant occupé des fonctions syndicales pendant au moins cinq ans et bénéficiant d’une reconnaissance de leurs pairs pour leur contribution dans ce domaine. Au total, onze hommes et neuf femmes ont décrit, pendant plus de quarante heures d’entretien, leur expérience. Parmi les différentes initiatives répertoriées dans notre recherche, l’une d’elle est considérée sur le plan international comme une innovation sociale [3] marquante : les réseaux d’entraide en milieu de travail.
15 La démarche d’entraide pratiquée par les syndicats québécois s’est inspirée, tout en s’en distinguant, des programmes de « Union counsellors » qui se sont développés aux États-Unis dans les années 1970 (Sylvestre et Rhéaume, 1994 ; Dufour-Poirier et Bourque, 2013). Le « choc pétrolier » avait poussé à la hausse les coûts de l’énergie et de la production et provoqué une importante crise économique. C’est en premier lieu pour faire face aux problèmes d’alcoolisme et de toxicomanie, ainsi que pour lutter contre les effets négatifs du chômage associés à cette crise, que les réseaux d’entraide ont été mis sur pied.
16 Les réseaux d’entraide syndicaux poursuivent une triple mission : Écoute, référence, prévention. La vie quotidienne au travail est animée par des pairs entraidants qui apportent leur soutien aux collègues en difficulté. Les thèmes sur lesquels ils sont appelés à intervenir sont nombreux. Ils peuvent être liés à des difficultés en apparence personnelles (alcoolisme et toxicomanie, séparation, endettement, dépression) ou toucher des problèmes propres au travail (harcèlement psychologique, détresse suite à un accident de travail, tensions entre collègues, etc.). L’approche d’écoute est axée sur le contact humain plus que professionnel. Elle met en place un rapport de proximité entre les gens au quotidien. Une formation de base, dispensée par des coordonnateurs régionaux répartis aux quatre coins du Québec, permet de constituer un bassin de ressources publiques, professionnelles, communautaires, et de référer les travailleurs en difficulté vers des intervenants pouvant leur venir en aide, selon le besoin. Il peut aussi s’agir d’accompagner des collègues à des rencontres du réseau des Alcooliques anonymes (A.A., N.A, etc.). Bon nombre de pairs entraidants ont d’ailleurs eux-mêmes vécu des problèmes de cet ordre et ont trouvé un point de salut dans ces réseaux. Au-delà de l’aide apportée quotidiennement par les pairs, les réseaux d’entraide œuvrent aussi en prévention en animant une vie intellectuelle autour de la question générale de la santé mentale au travail : rédaction de bulletins d’information, organisation d’ateliers, conférences ou formation sur divers thèmes (par exemple : le stress, l’alcoolisme, la santé psychologique, etc.).
17 Les réseaux d’entraide peuvent s’apparenter, à première vue, aux Programmes d’aide aux employés (pae) développés eux aussi dans les années 1980 en Amérique du nord. Ils n’ont cependant pas du tout les mêmes visées. Jacques Rhéaume (1993) indiquait que l’objectif de ces programmes, implantés par les employeurs, était d’augmenter la performance économique des entreprises par une réduction des coûts liés aux absences. La définition qu’en fait André Savoie montre clairement cette orientation productiviste à la base de l’existence de ces pae : « [Un pae] désigne tout programme systématique et planifié en vue d’assurer une assistance professionnelle aux employés qui éprouvent des problèmes reliés à l’abus d’alcool ou de drogues, qui sont affectés par des troubles d’ordre émotif ou qui traversent une période de crise (matrimoniale, familiale, financière ou légale) dont l’effet est de perturber leur rendement au travail » (Savoie, 1989, p. 113).
18 Or, l’entraide syndicale s’éloigne fortement de cette vision. Les pairs aidants interviewés par Rhéaume (1993) et observés lors de nos travaux sont plutôt en opposition aux logiques de contrôle et de sanction de tels programmes issus du management et des ressources humaines. Les objectifs formels des réseaux d’entraide confirment cette différence : viser le mieux-être des membres, prodiguer une aide d’égal à égal, assurer le volontariat et la confidentialité et privilégier la prévention (Rhéaume et Chenel, 1998).
19 L’entraide touche au plus près le « micro » : le vécu individuel de la souffrance. Elle reflète une relation signifiante, quoique lourde à porter parfois (Maranda et Morissette, 2002b), qui s’établit entre des acteurs syndicaux sensibles et des travailleurs affectés par des problèmes au quotidien. Sans ce travail d’entraide, le lien social qui constitue la nature même du syndicalisme est menacé. Dans les réseaux d’entraide, ce lien se fait d’abord dans la dyade, mais s’élargit dans les collectifs d’entraide et de parole, qui permettent de prendre conscience de sa condition comme travailleur et de la façon dont l’organisation du travail agit à travers et contre soi. La mise en commun de la parole crée ensuite un lieu d’action politique essentiel au mouvement syndical. Notons cependant, comme le souligne Danilo Martuccelli (2004), que la prise de conscience des risques et des éléments déterminants de l’organisation du travail ne signifie pas nécessairement une plus grande possibilité de contrôle sur sa vie. Encore faut-il voir des sorties possibles de ces déterminants, sans quoi le sentiment de domination sera vécu de façon encore plus aiguë, l’individu étant conscient des contraintes du système et de ses limites sans se percevoir un pouvoir d’agir. En ce sens, bien que l’entraide soit une piste d’action porteuse en prévention des problèmes de santé mentale au travail, elle ne pourrait être la seule voie privilégiée pour faire face aux contraintes structurelles qui s’imposent aux individus : elle doit être intégrée dans une action collective conséquente.
L’expérience sociale de l’entraide syndicale
20 Nos résultats et analyses soutiennent que l’entraide et l’action syndicale en santé mentale au travail s’inscrivent dans une logique inverse de l’impuissance et de la domination. Elles s’attardent à ouvrir de nouveaux espaces d’action pouvant assouplir les déterminismes sociaux et assurer un travail signifiant. Dans le cadre de notre thèse, nous nous sommes appuyé sur la théorie de l’expérience sociale (Dubet, 2009, 1994) pour mieux comprendre la nature de ce travail syndical. L’auteur distingue trois logiques à la fois complémentaires et en tension dans l’action : l’intégration, la stratégie et la subjectivation. La logique de l’intégration renvoie à l’action programmée par la socialisation. La stratégie réfère à une action utilitaire orientée vers des fins particulières. La subjectivation renvoie, quant à elle, à l’activité critique de l’acteur sur sa propre pratique. Ces trois logiques d’action se combinent et s’opposent dans une expérience sociale définie comme « la présence de plusieurs logiques [et] l’activité du sujet qui les articule » (Dubet, 2009, p. 175). Comment l’entraide syndicale organisée participe-t-elle à cette lutte sociale ? Elle recrée un tissu social viable pour des travailleurs en difficulté et assure une plus grande intégration dans la structure de la société. Elle amène à la conscience des liens entre les problèmes de santé mentale au travail et certaines sources provenant de l’organisation du travail ; elle ouvre des espaces de subjectivation en validant le rapport individuel à la souffrance.
21 Le travail d’entraide au quotidien, sur le plancher, exercé par des pairs sur une base d’égal à égal, reconstruit en effet des espaces collectifs souvent fragilisés ou perdus. En tissant des liens humains concrets avec des collègues sur la base d’un souci pour la condition de l’autre, les pairs entraidants agissent eux-mêmes comme un liant social. La posture d’égal à égal tenue par ces pairs met en place une « relation de complicité » entre les travailleurs (Rhéaume et Chenel, 1998, p. 16) et sort des rapports hiérarchiques présents dans le travail. L’authenticité qui la traverse et l’implication des pairs aidants dans l’intervention construisent un climat favorable à l’établissement de relations réciproques marquées par une ouverture à la réalité de l’autre. Il s’agit, comme le soulignent Jean Sylvestre et Jacques Rhéaume (1994, p. 383), d’une « relation d’accompagnement et de soutien qui se développe au sein même des interactions quotidiennes et dans l’esprit de la solidarité propre au mouvement syndical ». Les réseaux d’entraide en milieu de travail permettent aussi une socialisation de la souffrance. Telle que définie par François Hervé (1998), la souffrance au travail est un sentiment qui relève de l’intime et porte un caractère indicible. Elle est habituellement vécue dans l’espace privé, même si ses racines peuvent s’étendre à l’organisation du travail et aux autres collègues. Par leur écoute active et leur travail de sensibilisation autour de la montée des problèmes de santé mentale au travail, les membres des réseaux d’entraide contribuent à développer un vocabulaire public pour traiter ces questions et tiennent des espaces de discussion pour les intégrer dans les préoccupations collectives des travailleurs. Par exemple, dans les assemblées générales, des points à l’ordre du jour permettent de socialiser une situation, tel l’épuisement professionnel, et de donner un sens collectif à ce qui est vécu individuellement.
22 Sur le plan stratégique, le travail d’information et de sensibilisation réalisé par les pairs entraidants représente une force concrète de conscientisation des travailleurs. Ces dernières années, la démystification des tabous liés à l’alcoolisme, à la dépression, au burnout, au stress, etc., a permis à de nombreux travailleurs de reconnaître de telles conditions et de se documenter sur la genèse des risques professionnels qui conduisent parfois à des addictions. Ces liens ne sont pas automatiques, mais les efforts de la formation syndicale et les contributions des chercheurs universitaires pour les démontrer de manière quantitative et qualitative semblent avoir ouvert une voie de conscientisation en ce sens [4].
23 Enfin, au regard de la subjectivation, la présence des réseaux d’entraide en milieu de travail redonne une légitimité et une dignité à l’expérience humaine de la pénibilité à une époque où l’on tente de camoufler la vulnérabilité inhérente de l’existence humaine. Par le contact humain créé avec les travailleurs en difficulté et la posture d’accueil préservée dans la relation, les pairs entraidants en milieu de travail animent un lieu où l’authenticité permet de faire reconnaître, dans un rapport à autrui, la réalité difficile du travail. Cette reprise de contact avec la subjectivité et la reconnaissance de la réalité souffrante rendent possible le développement d’une distance critique avec l’organisation du travail. Ainsi, l’entraide syndicale interpelle l’intégration, la stratégie et la subjectivation de façon complémentaire.
24 Or, lorsqu’il parle de ces logiques de l’expérience sociale, François Dubet (2009) décrit une distanciation de plus en plus grande et tendue, rendant le travail de l’acteur central pour atteindre une cohésion sociale nécessaire au vivre ensemble. Pour Dubet, la cohésion sociale renvoie à l’idée de compromis permettant d’articuler à la fois intégration, stratégie et subjectivation de façon cohérente, ce qui représente un défi potentiellement mis à mal quand règne l’utilité au nom de l’économie. Les transformations politiques actuelles et la prédominance de l’idéologie néolibérale tendent à accorder à la logique de la stratégie une place surdéterminante aux dépens des deux autres. Cette réalité se reflète ici dans la propension à consommer des drogues de performance pour rencontrer les normes de productivité attendues ; à preuve, la montée phénoménale des amphétamines facilement accessibles. Pour rendre possible la cohésion sociale, il apparaît nécessaire que des acteurs se mobilisent, élaborent et défendent un modèle de société au nom de valeurs ou de principes fondamentaux, un principe unificateur de l’expérience. Ici, c’est la notion de dignité, en tant que valeur intrinsèque de l’être humain, qui semble transparaître. Lorsque les syndicats mettent en place des espaces collectifs d’entraide qui permettent l’identification à un nous, lorsqu’ils cherchent à augmenter le pouvoir d’agir des travailleurs ou qu’ils les amènent à se positionner comme sujets actifs et critiques de l’organisation du travail dans des lieux de reconnaissance mutuelle, ils rappellent que l’être humain n’est pas qu’une ressource dans les rouages du travail et qu’il ne doit pas être traité comme tel.
Conclusion
25 L’entraide a des racines profondes dans les fondements mêmes du syndicalisme (Bacharach, Bamberger et Sonnenstuhl, 1996) et pourrait permettre de le revitaliser. Or, comme le pensait Durkheim (1893), et au contraire de ceux qui croient que la solidarité naît d’élans altruistes, c’est la nécessité qui incite les uns et les autres à se venir en aide mutuellement. Aujourd’hui la nécessité commande que le travail puisse s’exercer sans fragiliser le rapport à soi et au monde et empêcher que la prise de substances psychoactives ne devienne une norme banalisée pour être performant. Le défi des syndicats est de développer des pratiques en vue de prévenir des situations où les risques professionnels incitent à utiliser de tels moyens artificiels pour soutenir les rythmes exigés par une organisation productiviste du travail. C’est du moins dans cette optique que se situent nos travaux dans l’étude des liens entre organisation du travail et conduites addictives. À ce titre, les réseaux d’entraide en milieu de travail sont considérés comme une importante innovation sociale, d’ailleurs montrée en exemple par le Bureau international du travail [5] ; cette vaste réalisation mériterait à notre avis d’être mieux connue.
26 Aussi, par le développement des réseaux d’entraide en milieu de travail, le syndicalisme québécois tend à s’ouvrir au vécu subjectif de la souffrance au travail et aux aspirations des travailleurs, ce qui incite les syndicats à travailler dans le sens d’une plus grande adéquation entre la productivité des entreprises et la qualité de vie au travail. La discussion dialectique dans les espaces collectifs, que ce soit par des collectifs de parole animés dans les réseaux d’entraide, des assemblées générales ou des groupes de formation, soutient un outil de la pensée essentiel pour conjuguer les différentes subjectivités individuelles et construire une intersubjectivité sur laquelle peuvent s’appuyer des revendications collectives. C’est par cette voie que devient possible l’établissement de réels rapports de reconnaissance, actifs et authentiques. Cette ouverture à la subjectivité constitue sans doute l’un des atouts majeurs du mouvement syndical québécois. Elle lui permet de rester connecté avec les problématiques vécues par les travailleurs et d’imaginer des pistes d’action à même de les résoudre. Le défi est maintenant d’intégrer cette ouverture dans une pratique cohérente à travers le mouvement. En effet, l’entraide en milieu de travail pose un problème important pour l’action syndicale : comment, à partir d’une pratique qui s’intéresse à l’intime et au particulier, devient-il possible de remonter vers des considérations sociales capables de mobiliser des collectifs autour d’une action d’envergure ? Ce transfert ne va pas de soi et ne peut s’opérer par le seul travail d’entraide au quotidien. Il nécessite une mise en débat des conditions qui sont à la source des difficultés vécues par les travailleurs, une tâche qui relève généralement de la militance à laquelle les pairs entraidants ne s’identifient souvent que peu ou pas du tout (Deslauriers, 2016). Poursuivre le travail de rapprochement entre les réseaux d’entraide, les réseaux de santé et sécurité du travail et les exécutifs syndicaux apparaît donc une voie porteuse pour dynamiser l’action syndicale en santé mentale au travail.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : dopage au travail, syndicats, réseaux d’entraide, Santé mentale au travail
Date de mise en ligne : 11/05/2016
https://doi.org/10.3917/nrp.021.0085Notes
-
[1]
Voir http://ftq.qc.ca/entraide-syndicale et http://www.csn.qc.ca/web/csn/reseau-d-entraide.
-
[2]
Pour plus de détails, consultez http://www.etape.qc.ca/drogues/depresseurs.htm.
-
[3]
Il s’agit d’« arrangements d’acteurs qui permettent de poser les problématiques sociales d’une façon nouvelle et de créer des dispositifs susceptibles de trouver de nouvelles solutions au sein de la collectivité » (Harrisson et Klein, 2007, p. 3).
-
[4]
Par exemple, les formations sur les risques psychosociaux organisées par les services d’éducation des différentes centrales syndicales, les formations offertes par le Collège ftq-Fonds (http://formation-syndicale.ftq.qc.ca/bienvenue-au-college-ftq-fonds) et notre Guide d’animation Psychodynamique du travail en milieu scolaire offert par la csq
(http://www.lacsq.org/documents/sante-et-securite/?tx_airfilemanager_pi1%5Bpath%5D=sante_mentale_travail). -
[5]
Le Programme solve du Bureau international du travail a publiquement reconnu l’originalité de cette démarche (David Gold, Bureau international du travail, Programme solve).