Couverture de NRP_014

Article de revue

Refaire parler le métier

Le travail d'équipe pluridisciplinaire : réflexivité, controverses, accordage

Pages 97 à 111

Notes

  • [*]
    Bertrand Ravon, professeur des universités, faculté d’anthropologie, de sociologie et de science politique, université Lumière 2/centre Max Weber. bertrand.ravon@univ-lyon2.fr
  • [1]
    Avec la notion de « performation », empruntée à la pragmatique du langage et reprise notamment par la sociologie des sciences de Michel Callon (1999), il s’agit de rappeler que les compte rendus sur le monde ne se limitent pas à le représenter, à le justifier ou à le dénoncer, mais aussi à le réaliser, à le constituer.
  • [2]
    Nombre de réflexions avancées dans cet article n’auraient pu voir le jour sans les perlaborations issues des échanges réguliers que j’ai pu avoir avec E. J., psychiatre-psychanalyste très ouvert aux expérimentations, qui a accepté de superviser un temps mon travail d’animation de différents groupes dits d’analyse de la pratique.
  • [3]
    La notion de controverse est reprise à la sociologie des sciences : elle permet d’insister sur la discussion argumentée qui se déploie entre les protagonistes d’une même situation dès lors que celle-ci est soumise à l’incertitude de sa résolution.
  • [4]
    La notion d’accordage renvoie en première instance à la production d’un accord à propos de situations sujettes initialement à des controverses. L’acception musicale peut également être utile, mais au sens de la mise en harmonie de sons différents, non à celui d’une mise à l’unisson.
  • [5]
    Cette démarche est distincte des perspectives de sociologie clinique (Gaulejac et coll., 2007) centrées sur les articulations entre processus psychiques et processus sociaux.
  • [6]
    Je reprends ici la définition que donne Pascal Duret : « Faire équipe c’est mobiliser un groupe pour parvenir à un but commun explicite dont l’atteinte suppose l’interdépendance d’activités individuelles nécessitant d’être ajustées entre elles » (Duret, 2011, p. 10).
  • [7]
    Telle est la démarche de Bruno Latour lorsqu’il invite à faire de l’objet principal de la sociologie non pas la « société » mais l’ensemble des « associations entre éléments hétérogènes » qui constituent le « social » (Latour, 2006, p. 13 et sq.).
  • [8]
    C’est pourquoi il est important, dès lors qu’on analyse une action, de passer du pourquoi au comment, c’est-à-dire d’une explication des motifs à une compréhension des formes de l’action (Ion, Ravon, 1998).
  • [9]
    Dit autrement, et c’est là l’un des sens étymologiques de la notion de communauté, le commun n’advient pas nécessairement d’une propriété partagée (le sang, le territoire, la génération, etc.), mais au contraire de ce qui lui fait défaut (commun vient de cum munus, littéralement « avec le moins »). C’est la charge ou la dette, qui en tant qu’elle est partagée, produit du commun (Esposito, 2000). C’est en ce sens que la défaite est une expérience du négatif dont la charge redistribue, parfois avec force, le sens du commun.
  • [10]
    « Le collectif de travail est le cadre d’une construction des stratégies d’adaptation aux contraintes de travail mais aussi d’un développement des capacités de transformation, voire de subversion, de ces contraintes » (Lhuilier, 2006, p. 157).
  • [11]
    « […] la qualité du travail au contact du réel est, par nature, définitivement discutable. Et, dans cette perspective, ce qu’on partage déjà est moins intéressant que ce qu’on ne partage pas encore […] La meilleure façon de défendre un métier, c’est encore de s’y attaquer en cultivant les affects, les techniques et les émotions qui le gardent vivant » (Clot, 2010, p. 175).
  • [12]
    Les passages entre guillemets sont issus de mes comptes rendus rédigés après chaque séance.
  • [13]
    Le care recouvre les pratiques qui consistent à prendre soin des personnes vulnérables. Qu’elles soient bénévoles ou salariées, ces pratiques sont majoritairement assumées par des femmes. Les professionnelles du care sont généralement en situation de précarité ; leur métier (souvent du « sale boulot ») est dévalorisé. Enfin, ces pratiques s’appuient sur un jugement moral sensible, plus attaché à ce qui arrive en situation qu’à des principes abstraits universels prédéfinis. Les théories du care permettent de réinterroger les attendus de l’aide à apporter aux personnes fragiles et dépendantes à partir de la question des inégalités de genre, du socle domestique du prendre soin, du rôle des affects et des attachements, des théories de la justice, etc. (Pour une vision d’ensemble, cf. Paperman, Laugier, 2006.)
  • [14]
    J’ai pris ici le parti de retranscrire en grande partie la discussion, de manière à rendre compte de sa tonalité conversationnelle, et de la dynamique dialogique de la production de l’accord.

1« L’équipe ne se parle plus. » C’est par ce diagnostic que la responsable d’un établissement de protection de l’enfance commença à me faire part d’une demande de supervision auprès de professionnels, en l’occurrence des éducateurs, des auxiliaires puéricultrices et des maîtresses de maison, et où sera très vite identifiée une série de tensions entre professions « éducatives » et professions « domestiques » et « de soin ».

2« C’est le métier qui parle. » Cette expression de sens commun rend compte de la capacité des professionnels à s’appuyer sur leurs expériences passées pour faire face aux situations qui débordent du cadre habituel des interventions. Lorsque le « métier parle » (on dit aussi « c’est l’expérience qui parle »), le professionnel n’a rien à dire de son travail : celui-ci s’accomplit sans la nécessité de l’interroger ou de le justifier.

3À partir de ces deux énoncés qui portent sur le statut de la parole dans le travail, le présent article souhaite interroger les dispositifs de reprise de l’action (dont les dits groupes de supervision, d’analyse de pratiques ou d’analyse institutionnelle) comme des instances essentielles de « performation [1] » de l’équipe. On formulera notamment l’hypothèse selon laquelle « faire équipe » consisterait avant tout à (re)faire parler ensemble le métier de chacun[2].

4Dans un premier temps, l’activité consistant à « faire équipe » sera interrogée comme un processus réflexif, au sens d’une revisite collective et critique des actions passées. Ce qui suppose d’analyser les différents savoirs – professionnels, théoriques et pratiques – engagés dans ces dispositifs de reprise. Je proposerai dans un second temps le récit d’une expérience d’analyse de la pratique en interrogeant la structuration du groupe autour des controverses [3] qui traversent et configurent l’équipe. Je pourrai alors conclure sur le travail d’équipe pluridisciplinaire comme un travail d’accordage [4] qui suppose donc préalablement la coprésence de voix dissonantes ou discordantes.

5La perspective sociologique retenue ici pourra surprendre le lecteur (notamment clinicien), dans la mesure où elle se risque à articuler une démarche pragmatiste (attentive au travail social en actes, et ici aux actes de parole) et une dimension clinique (indissociable de la situation d’intervention auprès d’une équipe de professionnels « en souffrance »). Cependant, je ne m’intéresse pas, dans la foulée de la psychosciologie ou de la psychodynamique du travail, aux processus psychiques des professionnels ou des groupes. Je défends par contre ce que je propose d’appeler une clinique sociologique, articulant sociologie des actions situées et clinique de l’activité (Clot, 2008), particulièrement attentive aux situations de travail problématiques [5]. Le matériau sociologique né de l’exploration collective de la perplexité des professionnels reste clinique, si l’on entend par cette épithète la forme d’un regard porté au « chevet », là où l’activité est empêchée, et qui permet de construire petit à petit, par collection de situations problématiques, un savoir empirique exportable à d’autres situations (Ravon, 2012b).

Le travail de l’expérience

Épreuves et réflexivité

6L’activité qui consiste à « faire équipe [6] » est un objet par excellence de la sociologie pragmatiste, laquelle met au centre de ses explorations les processus de formation et de déploiement des collectifs, à partir de l’analyse des multiples connexions qui les rendent possibles [7]. En ce sens, l’étude des mobilisations pour des causes communes, des regroupements d’individus, des coopérations ou des ajustements entre les membres du collectif observé prend le pas sur celle – beaucoup plus classique – des appartenances ou des intérêts partagés qui expliquerait une fois pour toutes les raisons d’être et de faire équipe : l’équipe n’est pas un donné mais un construit [8]. Autrement dit, on ne peut saisir le « faire équipe » qu’à partir de l’observation de son devenir, de ce que précisément le regroupement en une équipe fait faire au collectif lui-même.

7Toute équipe est en effet particulièrement confrontée à ce qui lui arrive et à ce qu’elle devient. Par exemple et s’agissant du champ sportif, l’esprit d’équipe ne se mesure jamais aussi bien que dans la capacité à faire face aux défaites [9]. Il en est de même pour des équipes de travail confrontées à leurs défaillances. Dans une étude récente sur les actions menées depuis trente ans en direction d’adolescents vulnérables se retrouvant sans solution de prise en charge, nous avons pu ainsi montrer que les collectifs d’intervenants qui continuaient d’agir malgré tout se formaient – à la croisée du travail socio-éducatif, juridique et pédopsychiatrique – à partir d’une part de leur conscience critique aiguë des défaillances et des limites de leurs propres actions dans chacun des domaines considérés, et d’autre part de leur capacité de coordination réflexive (Ravon, Laval, 2012 ; Ravon, 2012a).

8« Faire équipe » supposerait donc l’exercice collectif d’une réflexivité critique. On retrouve ici la figure du praticien réflexif (Schön, 1994), dont l’habileté est de saisir ce qui ne va pas de soi, ce qui résiste, ce qui vient troubler les compréhensions habituelles. Ce qui suppose de savoir tirer les leçons des expériences professionnelles problématiques, de savoir traverser les épreuves de professionnalité (Ravon, 2010). L’issue de ces épreuves peut être négative : l’analyse des situations d’usure montre que l’incapacité à traverser les épreuves, l’incapacité à en tirer des leçons se traduit par un désengagement silencieux. Il est extrêmement difficile de conduire des entretiens avec des professionnels « usés » : « Je ne veux plus en parler. » L’usure des travailleurs sociaux se manifeste non pas par la perte du geste professionnel, mais par celle du sens du métier et donc de la parole. Au contraire, les issues apparaissent positives lorsque l’accès à l’expérience est médiatisé par un acte de parole, en présence ou à l’adresse d’autres professionnels (Ravon et coll., 2008).

Vers une clinique sociologique de l’activité

9Les spécialistes psys du fonctionnement groupal des dispositifs d’analyse de la pratique ont d’ailleurs très bien montré le travail de la parole comme opérateur essentiel de reprise réflexive des situations : pas de processus associatifs sans le travail intersubjectif de la parole (Kaës, 1994), pas de communauté thérapeutique sans communication des affects (Fustier, 1999), pas de restauration de la professionnalité sans épreuve par la parole de la conflictualité et de la réciprocité (Gaillard, 2008), pas d’expérience du plaisir à penser ensemble sans le risque de la prise de parole (Henri-Menassé, 2009), pas de vie d’équipe sans arrimage de la parole de chacun aux autres membres du groupe (Rouzel, 2010). Cependant, ces analyses, précisément parce qu’elles sont orientées vers le sujet du groupe, tendent à occulter l’objet du travail de description fine que mènent les praticiens réflexifs en parlant de leurs activités ainsi que de leur capacité à formuler des diagnostics et des préconisations : mener l’enquête à propos de situations problématiques traversées, s’attarder sur les moments de trouble et de perplexité rencontrés sur le terrain, identifier les problèmes pratiques auxquels ils ont été confrontés. Vu sous cet angle, le groupe d’analyse de la pratique n’est pas tant un groupe de parole qu’un collectif de travail [10] ; il ne s’agit pas tant de faire parler l’équipe que de faire parler le métier, le sujet de la parole renvoyant davantage au métier et à ses conditions d’exercice qu’au professionnel, à sa subjectivité et à sa place dans le groupe.

10Cette perspective (qu’on pourrait nommer microsociologie de l’activité) n’est pas antagoniste mais complémentaire de celle pratiquée par les cliniciens psys. Le matériau d’analyse n’est pas le transfert et le contre-transfert à l’œuvre dans des pratiques relationnelles pourvoyeuses d’affects, mais l’activité professionnelle en tant qu’elle est affectée, en tant qu’elle est empêchée. Ce faisant, l’attention n’est pas tant portée à la conflictualité propre aux situations analysées qu’aux controverses à propos des conceptions que les professionnels ont de leur métier [11].

Une équipe pluridisciplinaire au travail

Le rôle des controverses entre travail domestique et travail éducatif

11Il y a environ trois ans, la directrice d’une structure d’hébergement de jeunes enfants en attente de placement me sollicite pour animer un groupe d’analyse de la pratique auprès de l’ensemble des personnels de l’établissement, direction comprise. Plus d’une vingtaine de salariés sont concernés : directrice, chef de service, secrétaire, psychologues, cuisinière, maîtresses de maison, veilleuses de nuit, éducatrices de jeunes enfants, auxiliaires puéricultrices, éducateurs spécialisés, moniteurs-éducateurs, à l’exclusion de l’homme d’entretien. La directrice pointe d’emblée le problème : « L’équipe ne se parle plus. » Outre le caractère problématique de l’usage de la tournure pronominale réflexive de l’énoncé (une équipe peut-elle se parler ?), se pose déjà la question d’une équipe conjuguée au singulier, qui parlerait d’une seule voix, dont la parole serait unifiée. Or je découvre une équipe profondément divisée. D’une part, la distribution des salariés autour de la grande table de réunion montre un regroupement des professionnels par familles de métier, distribution qui ne changera ensuite pas souvent. Cette distribution des places semble recouper au moins trois lignes de clivage : entre l’équipe de direction et le personnel ; entre les professionnels s’occupant des enfants de moins de 3 ans et ceux intervenant auprès des enfants plus grands ; entre les spécialistes de l’éducatif (psychologues, éducateurs, moniteurs-éducateurs, éducateurs de jeunes enfants) et ceux du soin et des tâches domestiques (auxiliaires puéricultrices, veilleuses de nuit, maîtresses de maison, cuisinières). D’autre part, le silence de plomb qui m’accueille vient signaler un autre clivage, explicitement rapporté au licenciement un an auparavant pour maltraitance – jugé abusif pour certains – d’un des collègues éducateurs parmi les plus expérimentés de l’équipe.

12L’entrevue préalable avec la directrice m’avait fait prendre conscience de la difficulté de la tâche, et conduit à entrer en douceur, à ménager la prise de parole des professionnels. Je commençai donc la première séance par une sorte de petit cours de sociologie du travail social et de ses épreuves professionnelles. Je pus alors enchaîner sur la spécificité de la méthode que je souhaitais mettre en place, en insistant sur la dimension sociologique et néanmoins clinique de mon regard. J’indiquais ma volonté de ne pas « psychologiser » les situations analysées au sens de ne pas souhaiter « entrer » dans l’économie psychique des « professionnels », mais de construire un « espace collectif d’élaboration des situations, centré sur l’activité lorsqu’elle est empêchée, où la subjectivité de chacun est engagée [12] ». J’insistai enfin sur l’extension des pratiques de care dans le travail social [13], d’une part pour rendre compte de l’écrasante majorité de femmes dans l’assemblée et d’autre part pour souligner l’un des enjeux de la professionnalité, à savoir transformer des compétences « primaires » (maternelles, affectives, familiales, domestiques) en compétences « secondaires », c’est-à-dire professionnelles.

13La cuisinière sera la première à prendre la parole. J’avais insisté auparavant sur l’écart entre le travail prescrit et le travail réel, et sur le caractère insupportable du déni de reconnaissance par les supérieurs hiérarchiques des bricolages et des trouvailles que les professionnels mettent en œuvre pour continuer malgré tout à bien faire leur métier (Ravon, 2010). J’avais pris l’exemple d’une cuisinière qui, contrainte de suivre à la lettre les nouvelles règles imposées par les services d’hygiène, ne pouvait plus confectionner des œufs mimosas « à sa façon ». La cuisinière dit qu’elle a été très touchée par cet exemple, quelle voudrait en parler plus tard, mais que pour l’instant, c’est impossible. Elle se manifestera de nouveau en fin de séance pour « tacler » certains éducateurs à propos d’une question pratique posée tous les matins : est-ce aux enfants de faire leur lit ? (« Ça dépend des éducateurs : y’a ceux qui aiment l’ordre [et qui font faire les lits aux enfants] et y’a ceux qui sont trop cools », dit-elle.) J’en profite pour demander aux maîtresses de maison leur conception de l’ordre et c’est la cacophonie, ce qui me surprend parce qu’elles me semblaient très groupées, unies et solidaires.

14Cette controverse initiale s’avérera la première d’une longue série. Quelques séances plus tard, une intervention deviendra exemplaire à ce titre. Une maîtresse de maison très accueillante – c’est elle qui systématiquement offre le café – fait remarquer très gentiment à un éducateur, à propos d’une situation de fin de repas qui avait été « chaude à gérer », qu’il avait mal rangé le balai, tête en bas : « C’est un manque de respect pour mon travail. » L’éducateur rétorque qu’il utilise le balai pour apprendre au contraire aux enfants à respecter le travail des maîtresses de maison. À travers cette mise en concurrence de trois sphères différentes de reconnaissance : le respect du travail (le geste de balayer), le respect de l’outil de travail (le balai doit reposer sur son manche) et le respect de la personne (la maîtresse de maison), j’avais vu la capacité (nouvelle pour une maîtresse de maison) de remettre en cause la prévalence des compétences éducatives sur les compétences domestiques, aidée en quelque sorte par mon introduction de la théorie du care. D’ailleurs, lors de la pause de la séance suivante, j’accepterai de visiter la cuisine, accompagné de la cuisinière qui voulait me montrer sur place les difficultés pratiques qu’elle rencontrait pour arriver à allier les contraintes d’hygiène et la demande des enfants qui aiment beaucoup venir l’aider. En acceptant cette visite, en allant voir de près les problèmes pratiques auxquels était confrontée la cuisinière, j’avais tout à fait conscience de transgresser une règle non écrite qui consiste pour les animateurs de tels groupes d’analyse à ne jamais sortir du cadre de la réunion. Il était cependant primordial à mes yeux de continuer à restaurer le point de vue des professions domestiques, jusque-là aliéné à celui – dominant – des professions éducatives.

15Il était prévu de faire un premier point sur le dispositif à l’issue de cette séance. Ce sera l’occasion pour la directrice et la chef de service de me faire connaître leur mécontentement à propos de ma sensibilité aux doléances de la cuisinière, alors même qu’elles se donnent déjà « beaucoup de mal pour la comprendre et la soutenir ». Une seconde critique fera état du travail qui n’avance pas : il y a trop de répétitions, on ne s’entend pas. Rapportant d’une part cette critique au nombre important de participants (une petite vingtaine), je propose de scinder le groupe en deux, en laissant le soin aux professionnels de les constituer. D’autre part, je souligne le biais de la présence de la directrice et de la chef de service : elles sont incapables de ne pas juger les salariés, il n’est donc pas étonnant que les prises de parole soient difficiles. Elles acceptent sans sourciller de se retirer du groupe.

16À la quatrième séance, et en l’absence de l’équipe de direction (mais aussi de la psychologue partie dès la seconde séance), chacun des deux groupes tentera à sa façon de percer l’abcès à l’origine de la demande d’analyse de la pratique. Dans le premier groupe, une éducatrice spécialisée (de formation initiale conseillère en économie sociale et familiale) rapportera une situation en apparence anodine où elle se sent « attaquée professionnellement » par une collègue, du fait même de sa proximité avec l’éducateur licencié. Dans le second groupe, une surveillante de nuit en situation de remplacement d’une auxiliaire puéricultrice dira ne pas savoir quoi faire de la plainte d’un petit garçon qui aurait reçu d’une éducatrice une tape sur la main. Dans l’un et l’autre groupe, les discussions reviendront sur l’acte de l’éducateur licencié, qualifié par la suite de maltraitance, acte qui avait été aussitôt dénoncé par une stagiaire, alors même qu’il existait des précédents plus ou moins « limites » qui n’étaient jamais remontés vers l’équipe. Les échanges ne porteront pas tant sur l’interprétation du geste de maltraitance et la mesure de sa gravité que sur les difficiles prises de parole (dénonciations, témoignages, défenses) ou au contraire sur le silence (« la chape de plomb ») qui avaient accompagné l’événement du licenciement. Il sera question de conflit de loyauté, entre une solidarité indéfectible envers un collègue dont l’ancienneté fait autorité et un soutien professionnel impossible. Je remarque que les deux professionnelles qui ont pu lancer ce sujet brûlant occupent des postes ne correspondant pas à leurs qualifications professionnelles, comme si la possibilité de parler d’une faute professionnelle présupposait une certaine distance à sa propre profession.

17La séance suivante sera difficile : peu de membres présents, des plages de silence et plusieurs prises de parole pour dénoncer les non-dits. Je propose de rétablir un seul groupe, mais toujours sans l’équipe de direction. La séance qui suit sera pour ainsi dire une réussite : prises de parole documentées, discussions franches, autocritiques, échanges de points de vue aboutissant à une redéfinition des situations. Au bout de six mois, le dispositif semble enfin être installé. Les thématiques touchant à la nourriture sont récurrentes, qui permettent, comme je le suggérerai aux participants, de tenir la « chaîne professionnelle » entre le domestique et l’éducatif. Et là encore, la cuisinière tiendra une place importante. Lors d’une de ces séances où je sentais l’équipe au travail, elle prendra la parole pour dire son émotion (après l’avoir confiée au psychologue de l’établissement) devant le sentiment de trahison qu’elle a éprouvé après avoir donné des bonbons à un enfant dont la mère avait expressément demandé qu’il bénéficie d’un régime sans porc puis qu’il ne puisse manger que de la viande hallal. Ces aménagements avaient été acceptés sans aucune difficulté. Le trouble venait des bonbons qui contenaient de la gélatine de porc, ce que ne savait sans doute pas cette maman, d’où le sentiment de trahison. La discussion s’enrichira petit à petit de toute une série de réflexions revenant sur des situations comparables ou jugées équivalentes : la mère ne se privant pas de donner des bonbons industriels à son enfant, l’équipe pourra se demander si elle fait une entorse à l’interdit du porc de son plein gré ou non ; il reste que c’est très délicat de le lui demander, l’équipe de direction ne le souhaitant pas, vraisemblablement avec des arguments de préservation de l’espace laïc de l’établissement. La discussion prend un tour nouveau, lorsque après une demande d’approfondissement analytique de la situation, je fais remarquer que la sensibilité de la cuisinière à ce problème est peut-être solidaire du geste d’une maîtresse de maison de confession musulmane (qui remplace la cuisinière lors de ses absences), laquelle avait réglé provisoirement le problème en suggérant à la cuisinière de lui donner des bonbons hallal et sans gélatine de porc, bonbons qu’elle gardait dans son sac pour ses propres enfants. La discussion se met alors à tourner autour de la prise en compte des jugements des professionnels empreints de leurs pratiques religieuses, jugements qui à l’évidence n’ont pas la même place dans l’établissement que ceux des parents d’enfants placés (l’argument laïc revient avec force : quel que soit son jugement, il doit être neutralisé). Je propose au groupe l’idée selon laquelle la solidarité entre les deux professionnelles a fait naître entre elles une « communauté de sensibilité » (Molinier, 2005), et que le sentiment de trahison qu’éprouvait la cuisinière était peut être davantage tourné vers sa collègue que vers la mère de l’enfant. Cette interprétation, jugée vraisemblable par le groupe, semble apaiser la cuisinière.

18Un an plus tard, j’ouvre la séance en faisant part aux participants de mon intention de quitter le groupe à la fin de l’année : d’une part, je pense avoir rempli le contrat, à savoir que les salariés se parlent de nouveau ; d’autre part, je me plains de la faible implication des participants qui changent tout le temps du fait des plannings et des congés et qui ne s’engagent pas assez dans le dispositif (peu ou pas de préparation, trop de moments « cacophoniques » ; on peut même se demander si le turnover incessant n’empêche pas une dynamique de groupe). Cette introduction déclenche des critiques sur le dispositif et ma manière de l’animer : notamment, de la part des éducatrices qui trouvent que je ne suis pas assez psychologue dans mes analyses, et que du coup « on vient papoter pour papoter » ; au contraire, la cuisinière indique que « c’est le seul endroit où on ressert les liens. Ici ça fait un tout. Si on est chacun dans notre coin… C’est vraiment un endroit pour nous, cuisinières et maîtresses de maison. C’est pas les enfants avec les éducs et puis voilà. Que l’enfant puisse aussi s’épanouir en faisant du ménage, en faisant de la cuisine. Il a bien nettoyé sa chambre, c’est important ». Ces critiques confirment mon parti pris de départ pour les professions domestiques mais viennent aussi me signaler comme en miroir l’alliance des professions éducatives et de la psychologie.

« À chacun son métier »

19C’est à ce moment-là que Claudette, une maîtresse de maison, habituellement très discrète, s’engage dans la discussion [14] :

20« C’était au printemps. C’était Vanessa. Elle était qu’avec des garçons. Le soir, elle venait discuter avec moi. […] Un éduc nous dit : “Ici c’est chacun son métier.” Ça m’a pas plu. La maîtresse de maison, c’est le ménage ; les enfants, il faut pas qu’on les regarde. On doit rester à l’écart. […] Pourquoi venir parler en analyse de la pratique pour échanger alors qu’on nous dit l’inverse ?

21Zoubida (maîtresse de maison et cuisinière remplaçante) : […] Moi, ne faire que le ménage, je supporte pas. J’ai pas de diplôme de ménage. La présence des enfants, c’est très valorisant.

22Fanchette (cuisinière) : Lorsqu’il y a les enfants, je suis ouverte. C’est pas moi à aller vers eux. J’ai pu travailler avec vous [elle regarde du côté des éducateurs].

23Annie (éducatrice), se tournant vers Claudette (la maîtresse de maison), Fanchette et Zoubida : Moi, j’entends que vous faites partie de l’équipe ; mais les enfants doivent sentir que vous faites partie de l’équipe.

24Marion (monitrice-éducatrice) : L’éduc, c’est l’accompagnement des enfants ; j’aime beaucoup cette complémentarité. Ça fait partie de la vie. Remettre du cadre, c’est le boulot de l’éduc.

25Claudette : Nous, on n’a pas ce regard-là. On est là pour leur apporter un certain confort. Un peu de tout. Rien que pour le linge, en le lavant comme il faut. J’ai été contrariée. La façon dont ça a été dit. Je ne me considère pas comme une femme de ménage. Le week-end, on fait à manger. Je ne m’investis pas trop, je suis assez en retrait. Ça m’a quand même choquée cette réaction. Là, j’ai fermé la porte de la cuisine et me suis dit : “Ma petite, fais la vaisselle.” Ça me ronge. Je n’arrive pas en parler. […]

26B. R. : Vous n’avez jamais pu en discuter avec cette éducatrice ?

27Claudette : C’est pas dans ma nature de répondre. Sur le moment, ça me cloue. Ensuite je rumine.

28Annie : Même si c’est blessant, c’est toi qui as eu la réaction la plus humaine.

29Claudette : On dit toujours : “Le silence punit l’insolence.”

30B. R. : C’était donc insolent ?

31Claudette : On me dit souvent : je sais pas comprendre les choses […] si on prend un enfant avec nous, c’est pas pour nous faire aider. On va plus vite toute seule. Mais vu que l’enfant ça fait plaisir de le faire, les dix minutes que j’ai perdues, je les récupère. […]

32Annie : Tu crois pas qu’à ce moment-là, l’éduc était mise à mal et t’a agressée ?

33Claudette : C’est sûr : c’était un moment où ça allait pas. Fallait que ça sorte. Je sais pas pourquoi aujourd’hui, ça sort. […] Maintenant je reste en retrait.

34Et puis j’ai été témoin de l’acte de la personne licenciée. On était trois. C’est un week-end. Adriano a fait tomber son assiette. L’éduc l’a frappé ; on était trois. Y’avait Géraldine, une stagiaire, et Carina [une éducatrice]…

35Fanchette : Un jour, y’avait la psy qui voit un dessin d’un enfant destiné à Elise [une maîtresse de maison]. La psy n’avait jamais vu. Ça l’aidait.

36B. R. : Et comment vous interprétez ça ?

37Fanchette : Les enfants peuvent parler avec les maîtresses de maison pas comme avec les éducs ; ils peuvent leur dire des choses différentes. Pareil avec Marcel, l’homme d’entretien.

38B. R. : Vous attendez de la reconnaissance ?

39Fanchette : Non. Moi, c’est de leur apporter autre chose que ce que les éducs peuvent leur apporter. Avec Marcel, ils trouvent leur plaisir.

40Annie : En fond de toile, il y a la toute-puissance de l’éduc.

41B. R. : Ce serait quoi, cette toute-puissance ?

42Fanchette (qui continue de répondre à ma question sur la reconnaissance) : C’est son produit, la matière première de son travail.

43Zoubida : C’est vrai. Nous on est manuel.

44Frédérique (maîtresse de maison) s’adresse aux éducateurs : Vous êtes là pour vous occuper des enfants.

45Annie : Mais on est là pour être dans une équipe pluridisciplinaire

46Frédérique : Le fait d’avoir des grands enfants et des petits enfants, je raisonne différemment : je pourrais faire mais j’ai pas le droit.

47Annie : La compétence de l’éduc, c’est de faire en sorte que l’enfant n’en profite pas [de l’investissement affectif].

48Fanchette : C’est pourquoi j’essaye de ne pas être trop comme une mère. Exemple : un enfant qui me demande un bonbon ; que maintenant j’ai appris le fonctionnement : je vais demander à l’éduc s’il est d’accord…

49Annie : L’important c’est de mettre des mots : “On mange pas des bonbons parce que…”

50Fanchette : Je me mets à leur portée ; ça, je l’ai appris.

51Annie : Notre rôle, c’est que les enfants ne jouent pas trop [avec “l’investissement affectif”]. C’est l’exemple de Vanessa et de son côté manipulatoire.

52Frédérique : Vanessa, elle tentait le coup avec nous.

53Annie : J’ai l’impression que pour les enfants, les maîtresses de maison, etc., c’est la vraie vie. Alors que pour nous, on représente la vie en collectivité. Il y a deux mondes : celui des éducateurs (le cadre, les frustrations), et celui des maîtresses de maison, des cuisinières (on leur ouvre une fenêtre sur le monde). Le monde de chez eux. Le monde de la maman. »

Le travail de l’accordage

54Sans pouvoir ici reprendre toutes les analyses possibles de cette expérience d’analyse de la pratique, je m’en tiendrai à quelques remarques conclusives, propres à éclairer la dynamique du « faire équipe ».

55L’annonce de la reconfiguration du cadre du dispositif d’analyse a, à chaque fois, permis de délier les langues, par introduction d’une possibilité critique, en premier lieu du cadre lui-même. Un lien peut être ainsi établi entre la structuration progressive du dispositif et la structuration progressive d’un « faire équipe », au sens d’un ajustement cordonné entre les différentes activités, en premier lieu domestiques et éducatives.

56La série de controverses opposant les tâches domestiques et les tâches éducatives, soutenue par un regard sociologique informé de l’éthique du care, recouvre partiellement un usage différentiel des savoirs sociologiques/psychologiques. Cependant, l’enjeu ici n’est pas d’opposer la sociologie à la psychologie du point de vue de leur intérêt disciplinaire respectif, mais de voir comment l’une et l’autre, par le type d’attention qu’elles peuvent porter aux situations, s’inscrivent dans des systèmes d’alliance qu’il convient d’analyser. En l’occurrence, les éducateurs (comme d’ailleurs l’équipe de direction) semblent solidaires d’un savoir psychologique qui leur donne une certaine autorité dans la conduite de la relation éducative. Quant aux professionnels « domestiques », ils sont attachés à la reconnaissance de la dimension affective de leur métier comme une compétence professionnelle, reconnaissance portée ici par un savoir sociologique informé des approches du care.

57Par son allure conversationnelle, l’échange entre deux genres professionnels qui se définissent petit à petit par la tension entre activités éducatives centrées sur la production et l’entretien du cadre et activité domestiques requalifées par le soin qu’elles peuvent apporter aux enfants fabrique un espace dialogique qui se révèle interdisciplinaire aux yeux mêmes des protagonistes. Les professionnelles se reconnaissent entre elles ; elles se requalifient les unes par rapport aux autres, à partir de ce qui les différencie.

58Dans la discussion retranscrite à la fin du récit, on observe un « jeu de ricochet » (Fustier, 1999) entre éducatrices et maîtresses de maison. L’enchaînement de jeux intersubjectifs finit par donner une épaisseur aux énoncés qui les rend en quelque sorte invariants et du même coup impersonnels. Une métaphore musicale m’est venue à plusieurs reprises pour rendre compte de ce que je ressentais dans ces moments (assez rares) de félicité. Entre le silence et la cacophonie, il y a des moments polyphoniques, où chacun joue sa partition, mais l’ensemble sonne non pas d’une seule voix, mais d’une même tonalité. Ces moments où l’équipe tend à « accorder ses violons » est en fait un moment où les professionnels arrivent à se mettre d’accord sur leurs désaccords. Ce faisant, ils identifient les limites de leur professionnalité tout en reconnaissant celle des autres. Ce travail d’accordage me semble être au cœur de la professionnalité.

59L’analyse des situations de travail centrée sur l’exploration des malentendus des professionnels de différents corps de métier qui y sont engagés est une activité essentielle à la vie d’une équipe. La généralisation de la souffrance au travail en témoigne, qui est partout liée à la même impossibilité : celle de donner aux collectifs de travail les moyens de définir et d’exercer un travail de qualité. Le modèle de la profession s’est construit autour de la revendication de l’autonomie de la définition du travail bien fait, d’où l’exigence de mener collectivement un « travail sur le travail » (Clot, 2008). L’équipe est le résultat du travail réflexif qui se trame petit à petit à partir de controverses, lesquelles obligent à des ajustements et des accordages. L’équipe est en ce sens un collectif rassemblé par des épreuves partageables et non par des appartenances ou des conceptions communes. « Faire équipe », ce n’est pas un idéal, mais une charge commune, celle de s’accorder sur un fonds de désaccords persistants.

Bibliographie

Bibliographie

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  • Duret, P. (sous la direction de). 2011. Faire équipe, Paris, Armand Colin.
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  • Schön, D. 1994. Le praticien réflexif. À la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel, Montréal, Les Éditions Logiques.

Notes

  • [*]
    Bertrand Ravon, professeur des universités, faculté d’anthropologie, de sociologie et de science politique, université Lumière 2/centre Max Weber. bertrand.ravon@univ-lyon2.fr
  • [1]
    Avec la notion de « performation », empruntée à la pragmatique du langage et reprise notamment par la sociologie des sciences de Michel Callon (1999), il s’agit de rappeler que les compte rendus sur le monde ne se limitent pas à le représenter, à le justifier ou à le dénoncer, mais aussi à le réaliser, à le constituer.
  • [2]
    Nombre de réflexions avancées dans cet article n’auraient pu voir le jour sans les perlaborations issues des échanges réguliers que j’ai pu avoir avec E. J., psychiatre-psychanalyste très ouvert aux expérimentations, qui a accepté de superviser un temps mon travail d’animation de différents groupes dits d’analyse de la pratique.
  • [3]
    La notion de controverse est reprise à la sociologie des sciences : elle permet d’insister sur la discussion argumentée qui se déploie entre les protagonistes d’une même situation dès lors que celle-ci est soumise à l’incertitude de sa résolution.
  • [4]
    La notion d’accordage renvoie en première instance à la production d’un accord à propos de situations sujettes initialement à des controverses. L’acception musicale peut également être utile, mais au sens de la mise en harmonie de sons différents, non à celui d’une mise à l’unisson.
  • [5]
    Cette démarche est distincte des perspectives de sociologie clinique (Gaulejac et coll., 2007) centrées sur les articulations entre processus psychiques et processus sociaux.
  • [6]
    Je reprends ici la définition que donne Pascal Duret : « Faire équipe c’est mobiliser un groupe pour parvenir à un but commun explicite dont l’atteinte suppose l’interdépendance d’activités individuelles nécessitant d’être ajustées entre elles » (Duret, 2011, p. 10).
  • [7]
    Telle est la démarche de Bruno Latour lorsqu’il invite à faire de l’objet principal de la sociologie non pas la « société » mais l’ensemble des « associations entre éléments hétérogènes » qui constituent le « social » (Latour, 2006, p. 13 et sq.).
  • [8]
    C’est pourquoi il est important, dès lors qu’on analyse une action, de passer du pourquoi au comment, c’est-à-dire d’une explication des motifs à une compréhension des formes de l’action (Ion, Ravon, 1998).
  • [9]
    Dit autrement, et c’est là l’un des sens étymologiques de la notion de communauté, le commun n’advient pas nécessairement d’une propriété partagée (le sang, le territoire, la génération, etc.), mais au contraire de ce qui lui fait défaut (commun vient de cum munus, littéralement « avec le moins »). C’est la charge ou la dette, qui en tant qu’elle est partagée, produit du commun (Esposito, 2000). C’est en ce sens que la défaite est une expérience du négatif dont la charge redistribue, parfois avec force, le sens du commun.
  • [10]
    « Le collectif de travail est le cadre d’une construction des stratégies d’adaptation aux contraintes de travail mais aussi d’un développement des capacités de transformation, voire de subversion, de ces contraintes » (Lhuilier, 2006, p. 157).
  • [11]
    « […] la qualité du travail au contact du réel est, par nature, définitivement discutable. Et, dans cette perspective, ce qu’on partage déjà est moins intéressant que ce qu’on ne partage pas encore […] La meilleure façon de défendre un métier, c’est encore de s’y attaquer en cultivant les affects, les techniques et les émotions qui le gardent vivant » (Clot, 2010, p. 175).
  • [12]
    Les passages entre guillemets sont issus de mes comptes rendus rédigés après chaque séance.
  • [13]
    Le care recouvre les pratiques qui consistent à prendre soin des personnes vulnérables. Qu’elles soient bénévoles ou salariées, ces pratiques sont majoritairement assumées par des femmes. Les professionnelles du care sont généralement en situation de précarité ; leur métier (souvent du « sale boulot ») est dévalorisé. Enfin, ces pratiques s’appuient sur un jugement moral sensible, plus attaché à ce qui arrive en situation qu’à des principes abstraits universels prédéfinis. Les théories du care permettent de réinterroger les attendus de l’aide à apporter aux personnes fragiles et dépendantes à partir de la question des inégalités de genre, du socle domestique du prendre soin, du rôle des affects et des attachements, des théories de la justice, etc. (Pour une vision d’ensemble, cf. Paperman, Laugier, 2006.)
  • [14]
    J’ai pris ici le parti de retranscrire en grande partie la discussion, de manière à rendre compte de sa tonalité conversationnelle, et de la dynamique dialogique de la production de l’accord.
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