Notes
-
[1]
Bourlès R., G. Cette et A. Cozarenco (2012) : « Employment and Productivity: Disentangling Employment Structure and Qualification Effects », International Productivity Monitor, Centre for the Study of Living Standards, vol. 23, pp 44-54.
-
[2]
Direction Générale du Trésor (2018) : Comparaisons internationales de productivité horaire et lien avec le niveau du chômage ou du taux d’emploi, Mimeo.
-
[3]
L’étude de la DGT donne une fourchette basse car elle ne prend pas en compte l’hétérogénéité non observée entre les chômeurs et les actifs. L’étude de Bourlès et al. (2012, op. cit.) donne plutôt une fourchette haute.
-
[4]
Girard P.L., B. Le Hir et D. Mavridis (2022) : « Dynamiques sectorielles et gains de productivité », Note d’Analyse de France Stratégie, n° 105, janvier.
-
[5]
En prenant en compte qu’une hausse du taux d’emploi d’un point de pourcentage va de pair avec une productivité du travail réduite de 0,5 %, une hausse du taux d’emploi actuel de 65 % jusqu’au niveau de l’Allemagne, 75 %, conduirait à une hausse de PIB de 5 %.
-
[6]
Selon KLEMS, la PGF française a perdu 5-6 points par rapport aux États-Unis et 7-8 points par rapport à l’Allemagne depuis 2000, un constat comparable à celui réalisé sur la base de Bergeaud A., G. Cette et R. Lecat (2016) : « Productivity Trends in Advanced Countries between 1890 and 2012 », Review of Income and Wealth, vol. 62, n° 3, pp. 420-444. Si l’on se restreint au secteur marchand, la baisse est encore plus forte, autour de 10 points.
-
[7]
Phénomène documenté pour l’industrie automobile dans Head K., P. Martin et T. Mayer (2020) : « Les défis du secteur automobile : compétitivité, tensions commerciales et relocalisations », n° 58, juillet.
-
[8]
Cette G., Y. Kocoglu et J. Mairesse (2009) : « Productivity Growth and Levels in France, Japan, the United Kingdom and the United States in the Twentieth Century », NBER, n° w15577. Biagi F. (2013) : « ICT and Productivity: A Review of the Literature », JRC Working Papers on Digital Economy, n° 2013-09.
-
[9]
Cette G., S. Corde et R. Lecat (2016) : « Stagnation de la productivité en France : héritage de la crise ou ralentissement structurel ? », Économie et Statistique, n° 494-495-496.
-
[10]
David C., R. Faquet et C. Rachiq (2020) : « Quelle contribution de la destruction créatrice aux gains de productivité en France ? », Document de travail DG Trésor, n° 2020/5.
-
[11]
Selon David et al. (2020, op. cit.), la moyenne pondérée de la productivité du travail au sein des entreprises pérennes n’a crû que de 0,3 point de pourcentage sur la période récente ; sur la période 2001-2007, cette moyenne avait crû de plus de 5 points de pourcentage.
-
[12]
Gutierrez G., J. Martinez, T. Philippon et S. Piton (2021) : The Evolution of Firm Heterogeneity in Europe: Facts and Explanations, Miméo.
-
[13]
Selon le graphique 1, la baisse de productivité relative en France était de 5,8 %, en prenant la moyenne des baisses constatées par rapport à l’Allemagne – 4,7 %) et aux États-Unis (– 7 %). Le PIB de 2019 étant de 2 426 milliards d’euros, 5,8 % représentent 140,7 milliards d’euros.
-
[14]
Voir Villani C. et C. Torossian (2018) : 21 mesures pour l’enseignement des mathématiques, Rapport « Villani-Torossian » de la mission ’Mathématiques’ remis le 12 février ; Longuet G. (rap.) (2021) : « Réagir face à la chute du niveau en mathématiques : pour une revalorisation du métier d’enseignant », Rapport du Sénat de Commission des finances sur l’enseignement des mathématiques, n° 691 (2020-2021) ; DEPP (2022) : « L’état de l’École 2021 », Analyse statistique du système éducatif, n° 31.
-
[15]
OCDE (2017) : Getting Skills Right: Skills for Jobs Indicators, OECD Publishing, Paris.
-
[16]
Algan Y., É. Huillery et C. Prost (2018) : « Confiance, coopération et autonomie : pour une école du XXIe siècle », Note du CAE, n° 48, octobre.
-
[17]
Heckman J.J. et T. Kautz (2012) : « Hard Evidence on Soft Skills », Labour Economics, vol. 19, n° 4, pp. 451-464 ; Huillery É., A. Bouguen, A. Charpentier, Y. Algan et C. Chevallier (2021) : « The Role of Mindset in Education: A Large-Scale Field Experiment in Disadvantaged Schools », Working Paper Sciences Po, n° 2270.
-
[18]
Une hausse de 10 points des scores PISA correspond également environ à l’amélioration observée en Allemagne (11 points) entre 2003 et 2012, soit à la suite des réformes dites du « PISA shock ».
-
[19]
Le délai entre la mise en place d’une réforme éducative et une hausse de la productivité varie en fonction de l’âge du public visé et de la diffusion des gains de productivité entre les générations. L’horizon de temps pour observer l’intégralité des effets d’une réforme éducative se situe en réalité autour des 60 ans. Par exemple, Hanushek E.A. et L. Woessman (2020) : « A Quantitative Look at the Economic Impact of the European Union’s Educational Goals », Education Economics, vol. 28, n° 3, pp. 225-244, estiment qu’une hausse de 25 points de PISA entraînerait une hausse du PIB de 30 % en 2100 (horizon de 80 ans).
-
[20]
Fryer Jr R.G. (2017) : « The Production of Human Capital in Developed Countries: Evidence from 196 Randomized Field Experiments », Handbook of economic field experiments, vol. 2, pp. 95-322 ; Deming D.J. (2022) : « Four Facts about Human Capital », National Bureau of Economic Research, n° w30149.
-
[21]
Longuet (rap.) (2021, op. cit.).
-
[22]
L’évaluation de l’impact de la réduction de la taille des classes de CP et de CE1 en REP+ sur les résultats des élèves et les pratiques des enseignants par la DEPP (2021, op. cit.) estime l’effet du dédoublement sur les compétences en mathématiques des élèves à 14 % d’écart-type entre le début du CP et la fin du CE1, comblant ainsi 38 % de l’écart observé en début de CP entre les élèves REP+ et les élèves hors réseau d’éducation prioritaire.
-
[23]
Voir Behaghel L., C. de Chaisemartin et M. Gurgand (2018) : « Avoir le bac : les effets de l’internat d’excellence de Sourdun sur la scolarité des élèves », IPP Retours d’expérience, n° 3 août.,
-
[24]
DEPP (2019) : « La motivation et le sentiment d’efficacité des élèves baissent de façon socialement différenciée au cours du collège », Note d’information, n° 19.02, mars.
-
[25]
Bell A., R. Chetty, X. Jaravel, N. Petkova et J. Van Reenen (2019) : « Who Becomes an Inventor in America? The Importance of Exposure to Innovation », The Quarterly Journal of Economics, vol. 134, n° 2, pp. 647-713.
-
[26]
Aghion P., U. Akcigit, A. Hyytinen et O. Toivanen (2017) : « The Social Origins of Inventors », National Bureau of Economic Research, n° w24110.
-
[27]
Agarwal R. et P. Gaule (2020) : « Invisible Geniuses: Could the Knowledge Frontier Advance Faster? », American Economic Review: Insights, vol. 2, n° 4.
-
[28]
Voir Bell et al. (2019, op. cit.). En utilisant des données détaillées sur les résultats scolaires, cette étude montre notamment que le déterminisme social dans l’accès aux carrières de l’innovation existe même parmi les individus ayant les mêmes aptitudes pour les sciences.
-
[29]
Feng J.J., X. Jaravel et É. Richard (2022) : « Pour une stratégie nationale d’innovation par tous », Focus du CAE, n° 089-2022, septembre.
-
[30]
Les paramètres de la calibration et les résultats du modèle sont décrits dans le Focus associé, Feng et al. (2022, op. cit).
-
[31]
Par exemple, Breda T., J. Grenet, M. Monnet et C. van Effenterre (2021) : « Do Female Role Models Reduce the Gender Gap in Science? Evidence from French High Schools », HALSHS, n° 713068v5, évaluent l’effet causal d’un programme de la Fondation L’Oréal qui vise à présenter les carrières de la science. Le dispositif permet de fortement augmenter la propension des lycéennes à postuler aux classes préparatoires aux grandes écoles d’ingénieurs : parmi les lycéennes du quartile supérieur de la performance en mathématiques, la fraction postulant en classe préparatoire augmente de 25 à 38 %.
-
[32]
En effet, le taux de croissance annuel de la productivité augmenterait de 0,90 % (statu quo, ligne 1 du tableau 1) à 1,07 % (ligne 2), soit une hausse de la croissance annuelle de 0,17 point. Dans le cas d’une sensibilisation complète de toutes les femmes aux carrières de la science et de l’innovation, la croissance de la productivité s’élèverait à 1,54 % (ligne 3).
-
[33]
Cf. le Focus associé, Feng et al. (2022, op. cit).
-
[34]
Une étude récente, montre que, à performances scolaires égales, les étudiants parisiens ont une probabilité trois fois plus élevée d’accéder aux grandes écoles. Les auteurs documentent que la sous-représentation des filles dans les grandes écoles est en grande partie déterminée par leur plus faible propension à poursuivre des études dans les classes préparatoires scientifiques. Bonneau C., P. Charousset, J. Grenet et G. Thebault (2021) : « Quelle démocratisation des grandes écoles depuis le milieu des années 2000 ? », Rapport IPP, n° 30, janvier.
-
[35]
75e enquête de conjoncture auprès des PME-BPI, Le Lab, juillet 2022.
-
[36]
Bach L., A. Bozio, A. Guillouzouic et C. Malgouyres (2021) : Les impacts du crédit impôt recherche sur la performance économique des entreprises, Rapport de l’Institut des Politiques Publiques.
-
[37]
Aghion P., N. Chanut et X. Jaravel (2022) : « Réformer le Crédit d’impôt recherche », Focus du CAE, n° 90-2022, septembre.
-
[38]
CNEPI (2021) : Évaluation du Crédit d’impôt recherche, Rapport.
-
[39]
Baumol W.J. (2002) : « Entrepreneurship, Innovation and Growth: The David-Goliath Symbiosis », Journal of Entrepreneurial Finance (JEF), vol. 7, n° 2, pp. 1-10 ; Rosen R.J. (1991) : « Research and Development with Asymmetric Firm Sizes », The RAND Journal of Economics, vol. 22, n° 3, pp. 411-429 ; Akcigit U. et W.R. Kerr (2018) : « Growth through Heterogeneous Innovations », Journal of Political Economy, vol. 126, n° 4, pp. 1374-1443.
-
[40]
2 % des grands groupes – qui perçoivent aujourd’hui du CIR pour plus de 20 millions d’euros de dépenses éligibles – seraient désavantagés par cette réforme. Toutes les autres entreprises en sortiraient gagnantes et le système dans son ensemble serait plus efficace.
-
[41]
Trois arguments sont généralement avancés par les détracteurs d’une réforme du CIR, à savoir qu’une réforme serait néfaste pour la stabilité fiscale, enverrait un signal défavorable pour le soutien à l’innovation et pourrait constituer un risque juridique sur les aides d’État si la Commission européenne examine le nouveau dispositif. Les scénarios étudiés répondent par anticipation à ces critiques car le CIR n’est pas supprimé mais simplement redéployé (en prenant acte d’autres évolutions récentes de la fiscalité en France s’agissant de l’IS et des impôts de production) ; le signal envoyé à l’innovation est positif car le dispositif est redéployé pour maximiser le soutien à l’innovation ; le dispositif après la réforme serait plus proche des aides fiscales à la R&D en Allemagne, qui n’ont pas soulevé d’opposition de la part de la Commission européenne.
-
[42]
Voir Martin P. et A. Trannoy (2019) : « Les impôts pour (ou contre) la production », Note du CAE, n° 53, octobre.
1 Cette Note montre que la productivité ralentit en France depuis une vingtaine d’années par rapport à l’Allemagne et les États-Unis. Ce ralentissement touche la majorité des secteurs et des entreprises et constitue un enjeu macroéconomique de l’ordre de 140 milliards d’euros de PIB. Ce constat remet en cause le diagnostic traditionnel du déclassement économique français selon lequel la productivité resterait forte et le problème principal serait un faible taux d’emploi. Nous concentrons notre analyse sur deux leviers d’accélération de la productivité : le capital humain, levier sous-utilisé et défaillant en France, et les subventions aux entreprises, levier traditionnel utilisé pour compenser un système fiscal historiquement perçu comme punitif.
2 Nous montrons que le capital humain doit devenir un levier prioritaire, en commençant par l’éducation et l’acquisition de compétences mathématiques et socio-comportementales. Ces compétences jouent en effet un rôle prépondérant pour la croissance de la productivité dans les économies modernes. Or la France souffre d’un décrochage éducatif qui concerne jusqu’aux meilleurs élèves. Nous estimons qu’une hausse de 10 points des compétences en mathématiques – équivalente à celle observée en Allemagne à la suite du « choc PISA » au milieu des années 2000 – conduirait à une hausse de la croissance annuelle par habitant d’environ 0,2 point.
3 Nous proposons ensuite une meilleure allocation du capital humain vers les carrières de la science et de l’innovation. De nombreux étudiants se détournent de ces carrières alors qu’ils en ont l’aptitude, notamment les femmes et les individus issus de milieux modestes ou de territoires désavantagés. Nous recommandons d’adopter une « stratégie nationale d’innovation par tous » en développant des interventions (ateliers de découverte des carrières, rôle modèles, mentorat, stages) dont l’efficacité est évaluée et démontrée. Une telle mobilisation des talents pourrait augmenter la croissance économique de l’ordre de 0,2 point.
4 Améliorer la qualité et l’allocation du capital humain pourrait ainsi permettre – en 15 ans – de combler la perte de productivité par rapport à l’Allemagne et les États-Unis observée depuis le milieu des années 2000.
5 Enfin, concernant les subventions, les enquêtes révèlent que pour la plupart des entreprises, les difficultés d’accès au financement ont baissé sur les dix dernières années. Nous suggérons d’optimiser les subventions directes à l’innovation, dont le coût est élevé. Le Crédit d’impôt recherche (CIR, 7 milliards d’euros par an) favorise de manière disproportionnée les grandes entreprises et devrait être redéployé au bénéfice des PME et TPE pour être plus efficace.
Anatomie du ralentissement de la productivité en France
La productivité du travail décroche par rapport à l’Allemagne et les États-Unis depuis 20 ans
6 La productivité du travail est égale au ratio entre la production et le nombre d’heures travaillées. Les effets de composition au sein de la population employée demandent une attention particulière car ils peuvent biaiser les comparaisons de productivité du travail : le sous-emploi des moins qualifiés en France par rapport à nos voisins crée l’illusion d’une productivité supérieure. Bourlès et al. (2012) [1] estiment ainsi qu’une hausse du taux d’emploi d’un point de pourcentage réduit la productivité du travail de 0,5 %. En mesurant la productivité des personnes au chômage ou inactives en fonction de leur niveau de diplôme, une autre étude de la Direction générale du Trésor (DGT) estime que si le taux d’emploi de la France augmentait de 10 points, la productivité diminuerait de 2 % environ [2]. On peut donc estimer que le biais de productivité est de l’ordre de 0,2 à 0,5 par point d’emploi [3]. Le taux d’emploi des 15-64 ans en France étant de 10 points en dessous de l’Allemagne (65 % contre 75 %), la productivité du travail mesurée baisserait donc de 2 à 5 % si la France atteignait le taux d’emploi de l’Allemagne. Le graphique 1 présente la productivité du travail ajustée – relativement à l’Allemagne et les États-Unis – en supposant un biais de 0,35 (au milieu des deux estimations ci-dessus) et en utilisant les données harmonisées de l’OCDE pour mesurer les taux d’emploi, disponible à partir de 2003 pour la France et 2005 pour l’Allemagne.
Productivité du travail ajustée
Productivité du travail ajustée
7 Sur la période de 2004 à 2019, la France a perdu 7 points de PIB par habitant par rapport à l’Allemagne et la baisse relative de productivité explique environ 5 points. Par rapport aux États Unis, la baisse de productivité est encore plus forte, environ 7 points, correspondant à peu près au décrochage du PIB par habitant français par rapport aux États-Unis [4]. Ainsi, notre constat remet en cause le diagnostic traditionnel du déclassement économique français selon lequel la productivité resterait forte et le problème principal serait un faible taux d’emploi. Nous montrons au contraire que la baisse relative de la productivité est au moins aussi importante que celle des heures travaillées [5] pour expliquer les évolutions récentes du PIB, et certainement plus importante pour les évolutions futures.
Tous les secteurs contribuent à la baisse de la productivité
8 Pour analyser les dynamiques de la productivité au niveau sectoriel, nous utilisons la base KLEMS afin de calculer la productivité globale des facteurs (PGF) – prenant en compte le rôle du capital, de l’énergie et des intrants intermédiaires [6]. Dans l’industrie manufacturière, il n’y a pas d’évolution forte de la PGF par rapport aux États-Unis et l’Allemagne, ce qui n’est pas surprenant dans un secteur de biens échangés en concurrence internationale : l’ajustement se fait par entrées et sorties du secteur [7]. Dans les services professionnels et scientifiques, on observe une baisse relative après 2006 par rapport aux États-Unis. Par rapport à l’Allemagne, la dynamique positive visible depuis 1995 s’interrompt. Enfin, dans le commerce (gros, détail, y compris réparation des voitures) et la construction, les tendances sont très négatives par rapport à l’Allemagne.
9 Pour ces mêmes secteurs, nous pouvons comparer l’allocation du facteur travail. Dans KLEMS, l’indice de quantité de travail mesure les heures travaillées pondérées par la qualification (éducation) des travailleurs. On observe une forte baisse du capital humain alloué à l’industrie par rapport à l’Allemagne, de 20 points sur 20 ans : ceci a un impact négatif sur la productivité moyenne du travail car celle-ci est plus forte dans l’industrie que dans les autres secteurs. Dans la construction, un phénomène inverse est à l’œuvre : la France alloue plus de capital humain dans un secteur où la PGF est faible. Dans le domaine des technologies de l’information et de la communication, les tendances sont également alarmantes, la PGF baissant fortement par rapport aux États-Unis et l’Allemagne. La baisse par rapport aux États-Unis commence dans les années 1990, une période caractérisée par une croissance forte outre-Atlantique portée par les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), un phénomène que l’on observe moins en France (Cette et al., 2009 ; Biagi, 2013) [8].
10 Les analyses qui précèdent révèlent plusieurs points :
- la PGF est en fort ralentissement dans plusieurs secteurs, notamment la construction et le commerce ;
- les services qualifiés qui contribuaient traditionnellement à la bonne productivité de la France ne le font plus depuis les années 2000 ;
- dans le secteur manufacturier, la productivité mesurée est stable mais l’effet de composition est négatif.
11 Le constat d’une baisse significative de la croissance de la productivité au début des années 2000 se retrouve aussi dans les données d’entreprises [9]. Pour estimer le rôle de la réallocation des facteurs dans le ralentissement de la productivité du travail, David et al. (2020) [10] proposent une décomposition des gains de productivités agrégés à partir des données d’entreprises FICUS-FARE. Cette étude montre qu’il y a bien une baisse de la contribution de la réallocation à la croissance de la productivité, mais d’une ampleur trop faible pour expliquer la chute de la croissance de la productivité du travail sur la période récente. Le facteur qui contribue de loin le plus à la chute de la productivité agrégée est l’effet de croissance interne [11]. Ce constat s’accorde avec celui fait par Gutierrez et al. (2021) [12] sur les données ORBIS au niveau des entreprises industrielles en Europe : la croissance a surtout baissé à cause de faibles gains de productivité au sein des entreprises elles-mêmes, et non en raison d’une baisse des réallocations.
Un manque à gagner de l’ordre de 140 milliards d’euros de PIB
12 La baisse relative de la productivité française a réduit le PIB d’environ 5,8 points. Ceci représente un manque à gagner pour le PIB d’environ 140 milliards d’euros en 2019 [13], soit environ 65 milliards de recettes fiscales avec un taux de prélèvements obligatoires de 46 %, c’est-à-dire le même ordre de grandeur que le budget annuel du ministère de l’Éducation nationale (52 milliards d’euros en 2019, hors contributions aux pensions de l’État) et le service de la dette (40 milliards d’euros en 2019). Le décrochage de la productivité en France entraîne donc des conséquences importantes pour l’activité économique et les finances publiques.
- Constat 1. Le ralentissement de la productivité en France entre 2004 et 2019 par rapport à l’Allemagne et les États-Unis représente un manque à gagner de 140 milliards d’euros de PIB pour la France en 2019, soit environ 65 milliards de recettes fiscales annuelles.
13 Étant donné que tous les secteurs et toutes les entreprises contribuent au ralentissement de la productivité en France, dans le reste de cette Note nous analysons les facteurs qui affectent l’ensemble de l’économie : le capital humain et les subventions à l’innovation.
Le décrochage dans les maths et les compétences socio-comportementales : un risque important pour la productivité
Les effets du capital humain sur la productivité
14 Quantifier le lien entre compétences et productivité pose plusieurs difficultés méthodologiques car il n’est pas aisé d’isoler des phénomènes de causalité ou de prendre en compte les effets d’équilibre général. La littérature a développé plusieurs méthodes qui permettent collectivement de surmonter ces difficultés. Ainsi, nous analysons le rôle des mathématiques et des compétences socio-comportementales pour la productivité selon différentes méthodologies (cf. encadré infra). Quelle que soit la méthodologie utilisée, les compétences en mathématiques et les « soft skills » jouent un rôle prépondérant sur le marché du travail et pour la croissance.
Quantifier le rôle des mathématiques et des compétences socio-comportementales dans la croissance de la productivité
Pour analyser l’évolution de l’importance des différentes compétences entre 1982 et 2020, nous reproduisons pour la France le travail de Deming (2017) [a] sur les compétences sociales aux États-Unis, en utilisant les données du réseau d’information sur les professions (O*NET), qui mesure le contenu en compétences des professions dans l’économie américaine. Les professions sont classées dans l’une des quatre catégories de tâches mutuellement exclusives : « High Social-High Math » (HSHM), « High Social-Low Math » (HSLM), « Low Social-High Math » (LSHM) et « Low Social-Low Math » (LSLM), selon qu’elles se situent au-dessus ou au-dessous du percentile médian pour l’intensité des tâches liées aux compétences mathématiques et sociales (qui font partie des compétences socio-comportementales). La méthode et les résultats sont détaillés dans Guadalupe et Ng (2022) [b].
Évolution de l’importance des mathématiques et soft skills dans la part de l’emploi, 1982-2020
Évolution de l’importance des mathématiques et soft skills dans la part de l’emploi, 1982-2020
Ces résultats montrent l’importance croissante des compétences sociales et mathématiques/analytiques pour l’emploi en France, à l’instar de ce qui s’est passé aux États-Unis (Deming, 2017, op. cit.). De plus, les régressions sectorielles montrent une corrélation entre la croissance de la PGF dans un secteur et les compétences de la main d’œuvre : la PGF a nettement augmenté dans les secteurs à forte concentration « HSHM », tandis qu’elle a connu un décrochage dans les secteurs à faible concentration « HSHM » – principalement au moment de la crise financière de 2008.
Régressions inter-pays
La littérature sur les régressions inter-pays (« cross-country ») montre l’importance du capital humain pour la croissance, notamment les compétences en mathématiques. Nous reproduisons la méthodologie de Hanushek et Kimko (2000) [c] et étendons leurs résultats sur une période plus récente en utilisant les données de l’enquête PISA (Programme international pour le suivi des acquis) pour mesurer les compétences en mathématiques dans 60 pays. Nous étudions la relation entre les scores de l’enquête PISA de 2012 et le taux de croissance annuel du PIB par habitant entre 2000 et 2019 [d]. Nous trouvons que les compétences en mathématiques sont fortement corrélées à la croissance d’un pays, alors que le nombre d’années d’études ne l’est pas. Une augmentation d’un écart-type des scores PISA en mathématiques (environ 50 points) se traduirait par une augmentation du taux de croissance annuel comprise entre 1,1 et 1,7 point de pourcentage. Ce résultat est cohérent avec l’estimation de Hanushek et Woessmann (2012) [e], qui calculent un score de qualité de l’éducation en utilisant d’autres tests standardisés, ainsi qu’avec d’autres analyses cross-country montrant que le capital humain explique plus de la moitié des variations de PIB par habitant entre pays (Jones, 2014 ; Malmberg, 2017 ; Hendricks et Schoellman, 2018) [f]. D’autres études évaluent les effets de politiques publiques induisant une variation géographique dans l’accès à l’éducation au sein d’un pays et montrent un effet important de la hausse du capital humain sur l’activité économique, y compris lorsque les effets d’équilibre général sont pris en compte (Khanna, 2022) [g].
Analyse macro-économétrique pour la France
Aussilloux et al. (2020) [h] proposent une décomposition économétrique de la croissance française. Leurs résultats suggèrent que le capital humain – mesuré à partir du nombre d’années d’études – contribue à la majorité des gains de productivité entre 1971 et 2018. Selon leur estimation, le ralentissement de la croissance du niveau de formation initiale – après la forte démocratisation de l’éducation entre 1975 et 2000 – explique plus de la moitié du ralentissement de la productivité depuis 2000.
Régressions sectorielles
Les régressions entre pays peuvent comporter des biais de composition dus aux changements dans la structure des économies. Nous approfondissons donc notre étude par une analyse sectorielle qui confirme l’importance des compétences mathématiques et socio-comportementales pour la productivité. À partir de la base de données PIAAC nous trouvons une relation positive significative entre les scores en mathématiques et le niveau de productivité sectorielle nette des effets fixes pour les 9 secteurs et 29 pays inclus (voir Martin et al., 2022, op. cit.).
Régressions au niveau individuel
Enfin, nous estimons les rendements des compétences mathématiques et socio-comportementales au niveau individuel. Une augmentation d’un écart-type des compétences socio-comportementales est associée à une augmentation de 3,6 % des salaires horaires (voir Guadalupe et Ng, 2022, op. cit.), soit une augmentation supérieure à celle liée à une augmentation d’un écart-type des compétences en mathématiques. Nos résultats sont cohérents avec une méta-analyse menée par la Commission européenne [i], les résultats d’études expérimentales évaluant l’effet de la formation aux compétences de gestion et de communication [j], et la littérature récente qui montre un effet causal positif de la formation aux soft skills (Katz et al., 2021 ; Algan et al., 2022) [k] sur les revenus individuels.
-
[a]
Deming D.J. (2017) : « The Growing Importance of Social Skills in the Labor Market », The Quarterly Journal of Economics, vol. 132, n° 4, pp. 1593-1640.
-
[b]
Guadalupe M. et B. Ng (2022) : « Soft Skills and Productivity in France », Focus du CAE, n° 092-2022, septembre.
-
[c]
Hanushek E.A. et D.D. Kimko (2000) : « Schooling, Labor-Force Quality, and the Growth of Nations », American Economic Review, vol. 90, n° 5, pp. 1184-1208.
-
[d]
Augmentation moyenne sur 19 ans, pour plus de détails, voir Martin R., T. Renault et B. Roux (2022) : « Baisse de la productivité en France : échec en ‘maths’ ? », Focus du CAE, n°091-2022, septembre..
-
[e]
Hanushek E.A. et L. Woessmann (2012) : « Do Better Schools Lead to More Growth? Cognitive Skills, Economic Outcomes, and Causation », Journal of Economic Growth, vol. 17, n° 4, pp. 267-321.
-
[f]
Jones B.F. (2014) : « The Human Capital Stock: A Generalized Approach », American Economic Review, vol. 104, n° 11, pp. 3752-77 ; Malmberg H. (2017) : Human Capital and Development Accounting Revisited, Mimeo Institute for International Economic Studies ; Hendricks L. et T. Schoellman (2018) : « Human Capital and Development Accounting: New Evidence from Wage Gains at Migration », The Quarterly Journal of Economics, vol. 133, n° 2, pp. 665-700.
-
[g]
Khanna G. (2022) : « Large-Scale Education Reform in General Equilibrium: Regression Discontinuity Evidence from India », Journal of Political Economy, à paraître.
-
[h]
Aussilloux V., C. Bruneau, P-L. Girard et D. Mavridis (2020) : « Le rôle du capital humain dans le ralentissement de la productivité en France », Note de Synthèse de France Stratégie, décembre.
-
[i]
Cabus S., J. Napierala et S. Carretero (2021) : « The Returns to Non-Cognitive Skills: A Meta-Analysis », JRC Working Papers Series on Labour, Education and Technology, n° 2021/06. Ce papier résume 333 estimations provenant de 29 articles empiriques réalisés entre 2009 et 2019, examinant l’association entre les traits de personnalité et les gains.
-
[j]
Des études dans les secteurs du commerce de détail et de la fabrication au Chili et en Inde ont établi une relation de cause à effet entre les programmes de formation aux compétences socio-comportementales et la productivité au niveau de l’entreprise et de l’individu (voir Prada M.F., G. Rucciand et S. Urzúa (2019) : « Training, Soft Skills and Productivity: Evidence from a Field Experiment in Retail », IDB Working Paper Series, n° 1015, et Adhvaryu A., N. Kala et A. Nyshadham (2018) : «The Skills to Pay the Bills: Returns to onÀtheÀJob Soft Skills Training », National Bureau of Economic Research, n° 24313.
-
[k]
Katz, L.F., J. Roth, R. Hendra et K. Schaberg (2021) : Why Do Sectoral Employment Programs Work ? Lessons from WorkAdvance, JOLE Virtual Conference 2020 ; Algan Y., E. Beasley, S. Côté, J. Park, R.E. Tremblay et F. Vitaro (2022) : « The Impact of Childhood Social Skills and Self-Control Training on Economic and Noneconomic Outcomes: Evidence from a Randomized Experiment Using Administrative Data », American Economic Review, vol. 112, n° 8, pp. 2553-79.
Un décrochage éducatif touchant jusqu’aux meilleurs élèves
15 Ayant établi l’importance croissante des compétences mathématiques et socio-comportementales, nous montrons maintenant que la France affiches des faibles performances dans ces domaines clés. L’offre de compétences en France est faible aujourd’hui et a diminué au cours des dernières décennies, même pour les meilleurs élèves.
16 Le niveau et l’évolution des résultats français en mathématiques ont fait l’objet de plusieurs analyses récentes [14]. Celles-ci s’accordent sur le constat d’une nette dégradation du niveau moyen mais restent ambiguës concernant l’évolution en haut de la distribution, suivant l’idée répandue que les meilleurs élèves français demeurent très performants en mathématiques. Nous confirmons ici le constat d’une dégradation générale du niveau en France, et montrons que ce constat s’applique également aux meilleurs scores de la distribution en particulier sur la période récente. Nous mobilisons des données issues de quatre sources : l’enquête PISA (pour les étudiants de 15 ans), les enquêtes TIMSS (en fin d’école et de collège), et les études « Lire, écrire, compter » et CEDRE (en fin d’école et de collège) de la DEPP. Nous observons une dégradation continue au cours du temps, ici selon l’année de naissance des élèves concernés par l’enquête, au sein des déciles inférieur et supérieur de la distribution des scores (graphique 2a et b). La baisse des scores moyens est du même ordre de grandeur et est documentée dans une étude de la DEPP (2022, op. cit.).
Évolution du niveau moyen de compétences en mathématiques dans les évaluations (en %)
Décile inférieur
Décile inférieur
Décile supérieur
Décile supérieur
Évolution du niveau moyen de compétences en mathématiques dans les évaluations (en %)
Lecture : Les élèves nés en 1976 appartenant au décile inférieur ont obtenu un score standardisé de 129 % à l’enquête LEC (Lire, écrire, compter) en CM2.Note : Les valeurs représentées sont obtenues en mobilisant et en standardisant les scores recueillis dans l’ensemble des enquêtes qui évaluent le niveau en mathématiques à travers une échelle de scores, l’objectif étant de rendre possible la comparaison des scores au cours du temps malgré des barèmes d’évaluation différents.
17 L’évolution à la baisse des scores en mathématiques en France conduit à un recul de notre pays dans les classements issus des enquêtes internationales. Dans les enquêtes PISA de 2012 à 2018, la France se classe autour de la 20e place en mathématiques parmi les 37 pays de l’OCDE qui ont participé à l’enquête. Les résultats de l’enquête TIMSS sur les élèves de CM1 sont encore plus alarmants : sur les 21 pays ayant participé à l’enquête en 1995 et 2019, la France est passée de la 7e à la 17e place, et pointe dans le classement de 2019 à la 16e place parmi les 18 pays de l’OCDE inclus dans l’étude. De plus, nous observons, dans PISA comme dans TIMSS, un recul marqué du classement des meilleurs élèves. Ainsi, dans l’enquête TIMSS 2019 sur les élèves de 4e, la France se situe à la 29e place sur 38 pays pour le score moyen du décile supérieur des scores en mathématiques. Conformément aux résultats sur l’ensemble de la distribution, l’enquête PISA 2018 place la France 20e sur 37 pays de l’OCDE dans le classement du 90e centile des scores dans chaque pays. Les résultats obtenus sont similaires pour le top 5 % et 1 % et invalident l’idée selon laquelle les meilleurs élèves français ne seraient pas représentatifs des résultats agrégés et se situeraient dans le haut de la distribution mondiale.
18 Les performances de la France en matière de compétences socio-comportementales sont également décevantes. Le déficit français dans ce domaine par rapport aux autres pays de l’OCDE a été documenté dans plusieurs enquêtes et analyses. Les données de l’OCDE sur les compétences pour l’emploi montrent que la France présente un déficit de compétences par rapport aux États-Unis dans les dimensions suivantes : instruction, coordination, perception sociale, négociation, résolution de problèmes complexes, jugement et prise de décision, et gestion des ressources [15]. Ce déficit est répandu tant chez les élèves que chez les adultes. L’enquête PISA révèle que les élèves français sont moins persévérants et moins coopératifs, moins efficaces dans la résolution de problèmes et présentent des niveaux plus faibles de locus de contrôle interne par rapport aux États-Unis, l’Allemagne et l’Europe du Nord.
19 Nous avons estimé le déficit de compétences socio-comportementales des adultes français par rapport à dix-sept autres pays développés en utilisant les données du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PIAAC) de l’OCDE (Guadalupe et Ng, 2022, op. cit.). Cet examen révèle que le niveau moyen de compétences socio-comportementales en France est décevant, juste au-dessus de l’Allemagne et du Japon et bien inférieur à celui des États-Unis, du Danemark et du Royaume-Uni ; cet écart se retrouve aussi parmi les adultes avec un diplôme universitaire. En outre, l’écart de compétences socio-comportementales en France entre les personnes avec ou sans diplôme d’études supérieures est parmi les plus importants.
20 Ainsi, la transmission de compétences socio-comportementales par le biais de l’éducation et de la formation continue en France est insuffisante pour répondre aux exigences de l’économie, et la France présente un déficit par rapport aux autres économies développées (voir à ce propos, Algan et al., 2018) [16]. Ce constat est d’autant plus alarmant que la littérature établit que les compétences socio-comportementales sont importantes aussi pour l’acquis de compétences cognitives (Heckman et Kautz, 2012 ; Huillery et al., 2021) [17].
Placer l’amélioration du capital humain au cœur de la stratégie d’accélération de la productivité
21 Les résultats précédents permettent d’apprécier l’ordre de grandeur de l’impact du capital humain sur la croissance. En utilisant les résultats de régressions « cross-country », nous trouvons qu’une hausse de 10 points des résultats PISA de la France – soit environ un cinquième de l’écart entre la France et les meilleurs pays du classement et la moitié de l’écart avec l’Allemagne sur l’année d’estimation [18] – correspond à une hausse de la croissance de 0,20 point de pourcentage chaque année à long terme. Sur quinze ans, ce surcroît de croissance conduirait à une hausse de PIB d’environ 3 %, soit environ 75 milliards en euros constants de 2019 [19].
- Constat 2. Le niveau des élèves en France est faible et en baisse, y compris pour les meilleurs élèves ; un renforcement du capital humain, notamment sur les compétences socio-comportementales et en mathématiques, aurait un impact important sur la productivité et donc le niveau de vie des Français et les rentrées fiscales.
22 Identifier précisément les investissements et les réformes permettant d’augmenter de manière fiable le capital humain dans le cas français n’est pas l’objet de cette Note mais nous disposons d’analyses empiriques pouvant guider dans la mise en place de politiques publiques pour enrayer le décrochage éducatif et renforcer les liens entre éducation et performance économique (voir Fryer, 2017, pour une méta-analyse de près de 200 essais randomisés contrôlés sur le capital humain dans les pays développés ; voir également Deming, 2022) [20].
23 Malgré l’importance de l’enjeu, l’éducation n’est pas un sujet suffisamment prioritaire dans le débat économique. La stagnation du budget de l’Éducation nationale l’illustre bien : en tenant compte de l’inflation, les enseignants français ont perdu entre 15 et 25 % de rémunération au cours des vingt dernières années [21]. Même si plusieurs réformes ont été engagées ces dernières années (le dédoublement des classes de CP en REP, des dispositifs d’accompagnement comme « devoirs faits » ou « vacances apprenantes », Parcoursup, réforme du baccalauréat, etc.), nos marges de progression restent très importantes. En particulier, les mesures prises sont focalisées sur les « décrocheurs », alors que le déclin éducatif français s’observe partout, même pour les meilleurs élèves. En outre, il n’existe pas de travail de diagnostic approfondi sur les raisons de ce déclassement, à quelques exceptions près comme le rapport Villani-Torossian sur les mathématiques. Enfin, les évaluations montrent que la mesure de dédoublement des classes a produit des effets, mais d’une ampleur faible par rapport au retard à rattraper [22].
24 Pour enrayer ce décrochage éducatif, la priorité devrait être de se fixer une ambition. Nous proposons tout d’abord de nous doter collectivement d’un objectif de long terme ambitieux et juridiquement contraignant pour les tests nationaux et internationaux, sur le modèle des objectifs de long terme qui orientent la stratégie nationale bas carbone. L’atteinte de cet objectif requiert des réformes structurantes, qui pourraient s’appuyer sur des exemples de réformes d’ampleur menées à l’étranger. Par exemple, l’Allemagne et le Portugal ont réagi vivement à leurs mauvais résultats aux enquêtes internationales PISA dans les années 2000 et ont connu une remontée spectaculaire, ce qui démontre qu’il est possible de faire des progrès importants en seulement un quinquennat. Les réformes mises en œuvre sont décrites dans Martin et al. (2022, op. cit.). Leur exemple doit servir d’inspiration pour prendre des mesures structurantes : mener un travail de diagnostic approfondi, associant les enseignants, sur les causes du déclin éducatif français, améliorer la formation des enseignants, améliorer l’attractivité du métier d’enseignant, renforcer l’autonomie des établissements scolaires, créer une nouvelle instance indépendante de contrôle pour évaluer et soutenir l’amélioration du système éducatif, etc. Certaines réformes pourraient s’inscrire dans le prolongement de dispositifs initiés lors du précédent quinquennat, par exemple en s’attachant à une mise en œuvre rapide des 21 mesures pour l’enseignement des mathématiques du rapport Villani-Torossian.
25 Ainsi, d’ici à 2027, il est possible d’améliorer significativement les résultats de tous les élèves, y compris les plus performants, aux tests standardisés nationaux et internationaux en primaire, au collège et au lycée. Un autre objectif à horizon 2027 consisterait à réduire significativement les inégalités entre établissements, par exemple en consacrant davantage de ressources (humaines et budgétaires) aux établissements en difficulté, dans une perspective de rattrapage. Les réformes pourraient également s’appuyer sur les résultats d’études qui identifient des dispositifs performants, par exemple les internats d’excellence, qui ont un effet causal démontré pour les élèves d’origine modeste [23].
- Recommandation 1. Mettre en place une stratégie nationale avec des objectifs ambitieux pour améliorer significativement le niveau des élèves au primaire, collège et lycée, y compris celui des élèves les plus performants.
26 Cette « stratégie nationale éducative pour l’excellence et l’égalité des chances » devra être élaborée de concert avec tous les acteurs concernés, dont les enseignants et les parents d’élèves. Elle pourrait même donner lieu à l’établissement d’une convention citoyenne et d’un Haut Conseil, indépendant du ministère, sur le modèle des institutions soutenant la stratégie nationale bas carbone.
27 Cette stratégie devrait également promouvoir l’amélioration des compétences socio-comportementales, ce qui doit passer par un renforcement de l’importance de ces compétences dans les cursus scolaires (à ce sujet, voir les recommandations détaillées dans Algan et al., 2018, op. cit.). Pour pouvoir suivre systématiquement l’état et l’évolution des compétences socio-comportementales dans les écoles, il serait important d’instaurer des tests standardisés, de même qu’il existe des évaluations annuelles en mathématiques et en français réalisées en début de primaire et de collège. Aux États-Unis, la Californie a développé l’enquête « California Healthy Kids Survey (CHKS) » qui permet de mesurer depuis 2019 la performance des écoles en matière de soft skills. En France, la DEPP participe d’ores et déjà à un effort d’évaluation sur certains aspects du comportement des élèves [24]. Mais pour permettre de structurer des politiques publiques ambitieuses avec des objectifs sur l’amélioration des soft skills, les procédures d’évaluation devraient être étendues à l’ensemble des écoles, inclure d’autres traits de personnalité, et être réalisées de manière régulière.
- Recommandation 2. Fixer des objectifs de moyen et long termes avec un système d’évaluation régulière des compétences socio-comportementales pour les élèves à l’échelle nationale.
Promouvoir une « stratégie nationale d’innovation par tous »
28 Dans cette partie, nous analysons un autre levier d’accélération de la productivité : mieux orienter les jeunes vers les carrières de la science et de l’innovation.
De fortes disparités d’accès aux carrières de l’innovation selon les origines sociales
29 La propension à se tourner vers les carrières de la science, de l’innovation et de l’entrepreneuriat dépend largement des origines familiales (revenus, éducation et profession des parents), du territoire d’origine et du genre. La littérature montre par exemple que, à performances scolaires égales, aux États-Unis, la probabilité de devenir innovateur est 7 fois plus élevée pour un enfant dont les parents sont dans le top 1 % de la distribution des revenus, comparé à ceux en dessous de la médiane (Bell et al., 2019) [25]. Des résultats similaires ont été obtenus en Finlande (Aghion et al., 2017) [26] et dans les pays en développement (Agarwal et Gaule, 2020) [27]. Notre contribution dans cette Note consiste à montrer que des tendances similaires sont à l’œuvre en France.
30 Afin d’identifier les jeunes qui s’orientent vers les carrières de la science, de l’entrepreneuriat et de l’innovation à partir des données CÉREQ, nous observons la part de jeunes chercheurs et ingénieurs titulaires d’une thèse dans chaque catégorie d’origine sociale. Le graphique 3 propose une visualisation de l’évolution de ces taux en fonction de l’origine sociale. La tendance de la relation est à chaque fois croissante, c’est-à-dire qu’il est beaucoup plus fréquent de devenir chercheur ou ingénieur et d’obtenir une thèse au sein des milieux aisés.
Part des individus qui deviennent chercheurs ou ingénieurs avec thèse selon l’origine sociale
Part des individus qui deviennent chercheurs ou ingénieurs avec thèse selon l’origine sociale
Lecture : Sur mille enquêtés issus d’un milieu défavorisé (p1-p37), moins d’un individu est chercheur avec une thèse et moins d’un individu est ingénieur avec une thèse. Sur mille enquêtés issus d’un milieu très favorisé (p88-p100), 5 sont chercheurs avec une thèse et 6 sont ingénieurs avec une thèse. Puisque la taille des groupes d’origine sociale varie, il convient de multiplier chaque point par le poids relatif du groupe (0,37 pour le groupe le plus défavorisé, ensuite 0,30, 0,18 et 0,12 respectivement) afin d’obtenir le nombre total d’ingénieurs et de chercheurs sur la population entière.31 Nous constatons que le biais existe même parmi les chercheurs les plus performants. Pour établir ce constat, nous étudions tour à tour la part des individus qui obtiennent un financement de certains établissements d’enseignement supérieur particulièrement sélectifs (ENS et École Polytechnique), ainsi que le nombre de publications à la date de l’enquête, qui est une autre mesure du succès professionnel des chercheurs. Ces résultats montrent que l’insuffisante mobilisation des talents concerne aussi les chercheurs et les innovateurs à très haut potentiel – le phénomène dit des « Lost Einsteins » [28].
32 Par ailleurs, nous constatons que les mêmes tendances sont à l’œuvre pour les créateurs de brevets ou d’entreprises, qui proviennent bien plus souvent de milieux favorisés à très favorisés.
33 Au-delà du revenu des parents, les disparités sont aussi très fortes en fonction du genre et du territoire d’origine. Par exemple, la probabilité de devenir chercheur varie substantiellement entre départements : un écart-type correspond à une hausse du taux d’innovation de près de 50 %. Le Focus associé de Feng et al. (2022) propose une description détaillée de ces disparités [29].
34 Ainsi, si les femmes et les enfants moins favorisés avaient un taux d’innovation similaire aux garçons de milieux plus favorisés, il y aurait 2,84 fois plus de chercheurs ou ingénieurs titulaires d’une thèse en France qu’actuellement. Ce résultat illustre le potentiel d’une politique visant à mobiliser tous les talents. Néanmoins, cette analyse ne prend pas en compte d’éventuels effets d’équilibre général et ne permet pas d’obtenir un ordre de grandeur de l’impact sur la croissance économique. Plus loin, nous traitons ces points en développant un modèle de croissance endogène.
- Constat 3. Il existe en France de fortes inégalités d’accès aux professions de la science, de l’innovation et de l’entrepreneuriat selon les origines familiales ou territoriales et selon le genre, ce qui ralentit la croissance économique.
Impact de l’insuffisante mobilisation des talents sur la croissance économique
35 Afin de chiffrer l’impact macroéconomique de l’insuffisante mobilisation des talents décrite plus haut, nous développons un modèle de croissance endogène. Nous nous focalisons sur les inégalités femmes-hommes, étant entendu que l’insuffisante mobilisation des individus issus de milieux défavorisés devrait encore renforcer l’impact macroéconomique.
36 Nous calibrons ce modèle en supposant qu’il est possible, à l’aide d’un instrument de politique publique, d’accroître de 30 % le nombre de femmes faisant le choix d’une carrière dans le secteur de l’innovation (entendu au sens large, c’est-à-dire incluant les professions scientifiques, l’entrepreneuriat, etc.). Nous supposons également qu’il est possible de cibler le dispositif sur les individus à haut potentiel, se situant dans le haut de la distribution des capacités d’innovation [30]. En pratique, il est possible de cibler les étudiants les plus prometteurs selon leur niveau scolaire. Ces hypothèses sont justifiées par les résultats d’expériences randomisées qui démontrent la possibilité d’orienter les choix de carrières des jeunes filles à partir de simples ateliers d’information [31].
37 Les résultats des simulations résumés dans le tableau 1 livrent deux enseignements. Premièrement, les gains peuvent être importants. En effet, la croissance économique dépend d’un petit nombre d’innovateurs (< 1 % de la population) et le fait d’attirer ces « innovateurs à haut potentiel », auparavant non sensibilisés à ces carrières, peut avoir un impact fort sur le taux de croissance économique. Deuxièmement, les gains dépendent fortement de la qualité du ciblage de la politique de sensibilisation aux carrières de la science et de l’innovation, puisque les effets les plus importants sont obtenus en attirant les « innovateurs à haut potentiel » du groupe sous-représenté. Selon la simulation avec nos paramètres de référence (ligne 2 du tableau 1), une stratégie pour mobiliser les talents aurait le potentiel d’augmenter la croissance économique de l’ordre de 0,2 point, soit 5 milliards d’euros supplémentaires chaque année [32].
Calibration des effets de politiques d’« innovation par tous » sur la croissance
Politique publique simulée | Part des femmes parmi les innovateurs (en %) | Taux de croissance annuel de la productivité (en %) |
---|---|---|
Statu quo | 12 | 0,90 |
30 % de hausse du nombre d’innovatrices parmi les femmes du top 0,05 % | 15 | 1,07 |
Sensibilisation complète de toutes les femmes | 50 | 1,54 |
Calibration des effets de politiques d’« innovation par tous » sur la croissance
Comment susciter des vocations pour les carrières de la science et de l’innovation ?
38 Étant donné les enjeux macroéconomiques et l’efficacité avérée de certains leviers, nous proposons d’élaborer une stratégie nationale visant à accroître les vocations pour les métiers de la science et de l’innovation. Un grand nombre d’acteurs associatifs contribuent déjà à cet objectif [33], sans pour autant bénéficier de financements pérennes ou de procédures d’évaluation permettant à la puissance publique d’identifier les bonnes pratiques et de les diffuser à l’échelle nationale. Il n’existe pas aujourd’hui de dispositif pour coordonner les initiatives et s’assurer qu’elles soient correctement dimensionnées aux enjeux macroéconomiques.
39 La stratégie d’innovation par tous reposerait sur quatre piliers. En premier lieu, nous proposons de formaliser un partenariat entre l’État et un collectif d’associations sur le modèle du collectif Mentorat et du plan « 1 jeune 1 mentor », en élargissant leur champ – par exemple avec de nouvelles initiatives qui pourraient s’intituler « 1 jeune 1 stage » ou « 1 jeune 1 rencontre ». Cette approche partenariale, centrée sur les interventions des associations au lycée et au collège, serait dotée d’un budget de 100 millions d’euros par an, de manière à pouvoir toucher chaque jeune plusieurs fois au cours de sa scolarité. Elle supposerait également la mise en place de procédure d’évaluation pour identifier les bonnes pratiques de chacune des associations impliquées et les diffuser à l’échelle nationale. Par rapport à la situation actuelle, cette approche donnerait davantage de visibilité aux associations sur les financements disponibles, augmenterait les ressources disponibles et permettrait une meilleure évaluation. Cette stratégie partenariale avec les associations se déclinerait en appels à projets pluriannuels pour identifier et diffuser les meilleures initiatives liées aux stages, mentorat, ateliers et concours d’innovation à destination des lycéens et des collégiens.
40 Deuxièmement, la participation des entreprises à cette stratégie devrait être favorisée, par exemple avec des incitations fiscales pour les heures des salariés (spécialisés dans le domaine de l’innovation ou de la recherche) consacrées au mentorat ou à l’accompagnement de jeunes stagiaires.
41 En troisième lieu, plusieurs initiatives déjà existantes devraient être renforcées et diffusées à l’échelle nationale à brève échéance. Par exemple, il conviendrait d’intégrer la sensibilisation à l’innovation dans les programmes de rapprochement écoles-entreprises et plus généralement dans l’aide à l’orientation, en particulier au lycée auprès des élèves ayant opté pour des spécialités scientifiques. Un autre exemple consisterait à renforcer le programme « 1 scientifique 1 classe : chiche ! » de l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA), qui permet aux élèves de seconde de rencontrer des chercheurs et des chercheuses en sciences du numérique, notamment issus de l’INRIA.
42 Quatrièmement, des initiatives avec une forte visibilité médiatique pourraient être lancées à court terme afin d’utiliser les médias comme relais de la stratégie nationale d’innovation par tous. Par exemple, 100 patrons de grandes startups françaises, notamment des licornes, pourraient s’engager à organiser du mentorat et des stages pour des jeunes de quartiers défavorisés pour les initier à l’entrepreneuriat et à l’innovation. De même, 100 scientifiques français de renom pourraient s’engager à proposer du mentorat et des stages à des jeunes de quartiers défavorisés pour les initier aux sciences et à la recherche. Enfin, dix partenariats avec de grandes institutions d’innovation et de recherche en France pour des programmes d’été dédiés aux publics défavorisés pourraient être mis en place, par exemple à Station F, au Campus iPEPS, dans les laboratoires de grandes universités, ou encore au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM).
43 À terme la stratégie nationale d’innovation par tous devrait être intégrée au sein de la politique d’orientation de l’Éducation nationale. Les dispositifs mentionnés ci-dessus devraient tous être mobilisés de concert et devraient cibler en priorité les jeunes filles et les élèves du réseau d’éducation prioritaire renforcé, lequel représente 250 000 jeunes. La stratégie nationale d’innovation par tous devrait être guidée par des objectifs de long terme ambitieux, par exemple atteindre la parité et l’égalité territoriale dans les filières scientifiques, notamment dans les grandes écoles d’ingénieurs et leurs classes préparatoires, à horizon dix ans. [34].
- Recommandation 3. Créer une « stratégie nationale d’innovation par tous » pour sensibiliser tous les jeunes aux carrières de l’innovation et de la science, dotée d’un budget de 100 millions d’euros par an pour financer des initiatives complémentaires (ateliers d’information, mentorat, stages, immersions, forums, concours d’innovation).
Optimiser les subventions à l’innovation
44 Enfin, nous analysons comment optimiser les subventions à l’innovation pour accroître la productivité.
Les entreprises perçoivent peu de difficultés dans l’accès au financement
45 Le financement des entreprises est un levier traditionnel de politique publique qui semble avoir porté ses fruits. Les données d’enquêtes de la BPI suggèrent que l’accès au financement n’est plus un frein majeur à l’investissement des entreprises françaises [35]. Il semble par conséquent inutile de consacrer des ressources publiques supplémentaires au financement des entreprises. Cette conclusion doit être tempérée pour le capital-risque, qui pose des problèmes spécifiques de financement, et en cas de retournement de conjoncture qui peut nécessiter une action ponctuelle.
Accroître l’efficacité du Crédit d’impôt recherche
46 La littérature scientifique, les différents rapports d’évaluation et nos propres analyses montrent que le Crédit d’impôt recherche (CIR) est un dispositif important mais mal ciblé [36]. À l’inverse de ses équivalents allemands et anglais, le CIR bénéficie de manière disproportionnée aux grandes entreprises. Il n’est pas suffisamment centré sur les petites et moyennes entreprises qui sont pourtant les plus innovantes et pour lesquelles le rendement du CIR est le plus élevé selon nos estimations.
47 En s’appuyant sur les données individuelles d’entreprises (FARE), appariées aux données du CIR ainsi que sur des données de dépôt de brevet au niveau mondial (PATSTAT), nous estimons qu’un million d’euros dirigé vers des TPE est associé à un dépôt de 1,16 brevet, en contrôlant pour le type d’industrie et les années, contre 0,46 lorsque ce même million d’euros est dirigé vers les grandes entreprises, soit un rendement 2,5 fois supérieur (Aghion et al. 2022) [37]. Cette relation négative entre rendement du CIR et taille de l’entreprise est accentuée lorsqu’on tient compte de la qualité de l’innovation. Celle-ci peut être mesurée, par exemple, par le nombre de brevets triadiques protégeant une invention à la fois en Europe, aux États-Unis et au Japon : le rendement du CIR est alors plus de quatre fois supérieur chez les TPE par rapport aux grandes entreprises. Cette estimation est cohérente avec l’évaluation de la Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation (CNEPI) [38] ainsi qu’avec la littérature économique (Baumol, 2002 ; Rosen, 1991 ; Akcigit et Kerr, 2018) [39].
48 Le taux de crédit d’impôt est de 30 % pour les dépenses inférieures à 100 millions d’euros et de 5 % au-delà de ce seuil. Pour être pleinement efficace, le CIR devrait subventionner des dépenses qui n’auraient pas eu lieu autrement. Or ce n’est pas le cas actuellement pour les grands groupes dont les dépenses en R&D sont typiquement supérieures à 100 millions d’euros : elles sont subventionnées à 30 % pour des investissements qui auraient eu lieu de toute façon puis à un taux très faible de 5 % pour tout investissement additionnel. Les grands groupes bénéficient ainsi de 400 millions d’euros de CIR sous forme de subvention à 5 %, dont l’effet incitatif pour la dépense de R&D est faible.
49 La création du CIR visait notamment à compenser le différentiel d’impôt sur les sociétés (IS) et d’impôts de production entre la France et ses voisins, qui importe notamment pour les choix de localisation des grands groupes. Du fait des réformes récentes de l’IS et des impôts de production, on doit désormais s’interroger sur cet objectif. Par exemple, les impôts de production payés par les grandes entreprises également bénéficiaires du CIR ont presque été divisés par deux, passant d’environ 3 milliards d’euros par an au début des années 2010 à environ 1,5 milliard d’euros en 2017-2018. Les impôts de production ont en outre été réduits à nouveau en 2020, avec la réduction de moitié de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE, qui disparaîtra totalement à partir de 2023), ainsi que la réduction de moitié de la cotisation foncière des entreprises (CFE) et de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB). Enfin, l’IS a progressivement baissé de 33 % en 2017 à 25 % en 2022, alors qu’il augmentait dans le même temps au Royaume-Uni et aux États-Unis.
- Constat 4. L’effet incitatif du CIR est faible pour la dépense de R&D des grands groupes, qui bénéficient de 400 millions d’euros de subventions à 5 %. La nécessité du CIR pour maintenir la compétitivité coût doit être questionnée du fait de la baisse des impôts de production et de l’impôt sur les sociétés.
50 Pour optimiser le CIR et en accroître l’efficacité, nous proposons de supprimer le taux de subvention réduit de 5 %. En outre, nous proposons d’abaisser le plafond de dépenses éligibles pour le taux standard de 100 millions à 20 millions d’euros. En maintenant l’enveloppe financière globale du CIR constante, cette évolution permettrait d’augmenter le taux standard en deçà du plafond. Nos estimations montrent qu’il serait possible de faire substantiellement augmenter le taux de subvention (de 30 à 42 %) pour tous les bénéficiaires du CIR en deçà du plafond. Cela permettrait d’augmenter l’innovation et la productivité car, empiriquement, l’effet du CIR est plus élevé pour les PME et TPE, qui bénéficieraient d’un taux plus élevé dans le dispositif du CIR optimisé [40].
51 Les scénarios de réforme du CIR que nous avons étudiés ne remettent pas en cause la stabilité fiscale et envoient un signal favorable en faveur de l’innovation et de l’efficacité de la dépense publique [41]. Il est aussi possible d’imaginer un scénario où les recettes supplémentaires générées par un abaissement du plafond seraient utilisées pour baisser d’autres taxes ou impôts de production, comme la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), dont la suppression bénéficierait notamment aux grandes entreprises et aurait un impact positif sur la productivité [42].
- Recommandation 4. Pour renforcer l’impact du CIR, abaisser le plafond de dépenses éligibles à 20 millions et augmenter le taux de subvention de 30 à 42 %.
Conclusion
52 Le capital humain est un levier d’accélération de la productivité qui doit devenir une priorité nationale : les enjeux macroéconomiques sont importants (cf. tableau 2) et justifient la mise en place de nouvelles stratégies, ambitieuses et pérennes. Il s’agit, d’une part, de réformer le système éducatif pour favoriser l’acquisition de compétences mathématiques et socio-comportementales et, d’autre part, de démocratiser l’accès aux carrières de la science et de l’innovation.
Synthèse des enjeux macroéconomiques
Phénomène économique étudié | Effet macroéconomique | Source |
---|---|---|
Ralentissement de la productivité observé en France par rapport à l’Allemagne et les États-Unis entre 2004 et 2019 | Perte annuelle de PIB d’environ 140 milliards après 15 ans | Analyse de la productivité du travail ajusté des effets de composition |
Impact potentiel d’un « choc PISA » amenant à une hausse du niveau éducatif (mathématiques, soft skills) | 0,2 point de croissance du PIB par an, soit un gain annuel d’environ 75 milliards après 15 ans | Extension des travaux empiriques de Hanushek sur l’impact du niveau cognitif sur le PIB par habitant ; Focus Martin et al. (2022) et Focus Guadalupe et Ng (2022) |
Impact potentiel de la mise en place d’une stratégie nationale d’innovation par tous | 0,2 point de croissance du PIB par an, soit un gain annuel d’environ 75 milliards après 15 ans | Modèle développé par Feng et al. (2022) |
Synthèse des enjeux macroéconomiques
Notes
-
[1]
Bourlès R., G. Cette et A. Cozarenco (2012) : « Employment and Productivity: Disentangling Employment Structure and Qualification Effects », International Productivity Monitor, Centre for the Study of Living Standards, vol. 23, pp 44-54.
-
[2]
Direction Générale du Trésor (2018) : Comparaisons internationales de productivité horaire et lien avec le niveau du chômage ou du taux d’emploi, Mimeo.
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[3]
L’étude de la DGT donne une fourchette basse car elle ne prend pas en compte l’hétérogénéité non observée entre les chômeurs et les actifs. L’étude de Bourlès et al. (2012, op. cit.) donne plutôt une fourchette haute.
-
[4]
Girard P.L., B. Le Hir et D. Mavridis (2022) : « Dynamiques sectorielles et gains de productivité », Note d’Analyse de France Stratégie, n° 105, janvier.
-
[5]
En prenant en compte qu’une hausse du taux d’emploi d’un point de pourcentage va de pair avec une productivité du travail réduite de 0,5 %, une hausse du taux d’emploi actuel de 65 % jusqu’au niveau de l’Allemagne, 75 %, conduirait à une hausse de PIB de 5 %.
-
[6]
Selon KLEMS, la PGF française a perdu 5-6 points par rapport aux États-Unis et 7-8 points par rapport à l’Allemagne depuis 2000, un constat comparable à celui réalisé sur la base de Bergeaud A., G. Cette et R. Lecat (2016) : « Productivity Trends in Advanced Countries between 1890 and 2012 », Review of Income and Wealth, vol. 62, n° 3, pp. 420-444. Si l’on se restreint au secteur marchand, la baisse est encore plus forte, autour de 10 points.
-
[7]
Phénomène documenté pour l’industrie automobile dans Head K., P. Martin et T. Mayer (2020) : « Les défis du secteur automobile : compétitivité, tensions commerciales et relocalisations », n° 58, juillet.
-
[8]
Cette G., Y. Kocoglu et J. Mairesse (2009) : « Productivity Growth and Levels in France, Japan, the United Kingdom and the United States in the Twentieth Century », NBER, n° w15577. Biagi F. (2013) : « ICT and Productivity: A Review of the Literature », JRC Working Papers on Digital Economy, n° 2013-09.
-
[9]
Cette G., S. Corde et R. Lecat (2016) : « Stagnation de la productivité en France : héritage de la crise ou ralentissement structurel ? », Économie et Statistique, n° 494-495-496.
-
[10]
David C., R. Faquet et C. Rachiq (2020) : « Quelle contribution de la destruction créatrice aux gains de productivité en France ? », Document de travail DG Trésor, n° 2020/5.
-
[11]
Selon David et al. (2020, op. cit.), la moyenne pondérée de la productivité du travail au sein des entreprises pérennes n’a crû que de 0,3 point de pourcentage sur la période récente ; sur la période 2001-2007, cette moyenne avait crû de plus de 5 points de pourcentage.
-
[12]
Gutierrez G., J. Martinez, T. Philippon et S. Piton (2021) : The Evolution of Firm Heterogeneity in Europe: Facts and Explanations, Miméo.
-
[13]
Selon le graphique 1, la baisse de productivité relative en France était de 5,8 %, en prenant la moyenne des baisses constatées par rapport à l’Allemagne – 4,7 %) et aux États-Unis (– 7 %). Le PIB de 2019 étant de 2 426 milliards d’euros, 5,8 % représentent 140,7 milliards d’euros.
-
[14]
Voir Villani C. et C. Torossian (2018) : 21 mesures pour l’enseignement des mathématiques, Rapport « Villani-Torossian » de la mission ’Mathématiques’ remis le 12 février ; Longuet G. (rap.) (2021) : « Réagir face à la chute du niveau en mathématiques : pour une revalorisation du métier d’enseignant », Rapport du Sénat de Commission des finances sur l’enseignement des mathématiques, n° 691 (2020-2021) ; DEPP (2022) : « L’état de l’École 2021 », Analyse statistique du système éducatif, n° 31.
-
[15]
OCDE (2017) : Getting Skills Right: Skills for Jobs Indicators, OECD Publishing, Paris.
-
[16]
Algan Y., É. Huillery et C. Prost (2018) : « Confiance, coopération et autonomie : pour une école du XXIe siècle », Note du CAE, n° 48, octobre.
-
[17]
Heckman J.J. et T. Kautz (2012) : « Hard Evidence on Soft Skills », Labour Economics, vol. 19, n° 4, pp. 451-464 ; Huillery É., A. Bouguen, A. Charpentier, Y. Algan et C. Chevallier (2021) : « The Role of Mindset in Education: A Large-Scale Field Experiment in Disadvantaged Schools », Working Paper Sciences Po, n° 2270.
-
[18]
Une hausse de 10 points des scores PISA correspond également environ à l’amélioration observée en Allemagne (11 points) entre 2003 et 2012, soit à la suite des réformes dites du « PISA shock ».
-
[19]
Le délai entre la mise en place d’une réforme éducative et une hausse de la productivité varie en fonction de l’âge du public visé et de la diffusion des gains de productivité entre les générations. L’horizon de temps pour observer l’intégralité des effets d’une réforme éducative se situe en réalité autour des 60 ans. Par exemple, Hanushek E.A. et L. Woessman (2020) : « A Quantitative Look at the Economic Impact of the European Union’s Educational Goals », Education Economics, vol. 28, n° 3, pp. 225-244, estiment qu’une hausse de 25 points de PISA entraînerait une hausse du PIB de 30 % en 2100 (horizon de 80 ans).
-
[20]
Fryer Jr R.G. (2017) : « The Production of Human Capital in Developed Countries: Evidence from 196 Randomized Field Experiments », Handbook of economic field experiments, vol. 2, pp. 95-322 ; Deming D.J. (2022) : « Four Facts about Human Capital », National Bureau of Economic Research, n° w30149.
-
[21]
Longuet (rap.) (2021, op. cit.).
-
[22]
L’évaluation de l’impact de la réduction de la taille des classes de CP et de CE1 en REP+ sur les résultats des élèves et les pratiques des enseignants par la DEPP (2021, op. cit.) estime l’effet du dédoublement sur les compétences en mathématiques des élèves à 14 % d’écart-type entre le début du CP et la fin du CE1, comblant ainsi 38 % de l’écart observé en début de CP entre les élèves REP+ et les élèves hors réseau d’éducation prioritaire.
-
[23]
Voir Behaghel L., C. de Chaisemartin et M. Gurgand (2018) : « Avoir le bac : les effets de l’internat d’excellence de Sourdun sur la scolarité des élèves », IPP Retours d’expérience, n° 3 août.,
-
[24]
DEPP (2019) : « La motivation et le sentiment d’efficacité des élèves baissent de façon socialement différenciée au cours du collège », Note d’information, n° 19.02, mars.
-
[25]
Bell A., R. Chetty, X. Jaravel, N. Petkova et J. Van Reenen (2019) : « Who Becomes an Inventor in America? The Importance of Exposure to Innovation », The Quarterly Journal of Economics, vol. 134, n° 2, pp. 647-713.
-
[26]
Aghion P., U. Akcigit, A. Hyytinen et O. Toivanen (2017) : « The Social Origins of Inventors », National Bureau of Economic Research, n° w24110.
-
[27]
Agarwal R. et P. Gaule (2020) : « Invisible Geniuses: Could the Knowledge Frontier Advance Faster? », American Economic Review: Insights, vol. 2, n° 4.
-
[28]
Voir Bell et al. (2019, op. cit.). En utilisant des données détaillées sur les résultats scolaires, cette étude montre notamment que le déterminisme social dans l’accès aux carrières de l’innovation existe même parmi les individus ayant les mêmes aptitudes pour les sciences.
-
[29]
Feng J.J., X. Jaravel et É. Richard (2022) : « Pour une stratégie nationale d’innovation par tous », Focus du CAE, n° 089-2022, septembre.
-
[30]
Les paramètres de la calibration et les résultats du modèle sont décrits dans le Focus associé, Feng et al. (2022, op. cit).
-
[31]
Par exemple, Breda T., J. Grenet, M. Monnet et C. van Effenterre (2021) : « Do Female Role Models Reduce the Gender Gap in Science? Evidence from French High Schools », HALSHS, n° 713068v5, évaluent l’effet causal d’un programme de la Fondation L’Oréal qui vise à présenter les carrières de la science. Le dispositif permet de fortement augmenter la propension des lycéennes à postuler aux classes préparatoires aux grandes écoles d’ingénieurs : parmi les lycéennes du quartile supérieur de la performance en mathématiques, la fraction postulant en classe préparatoire augmente de 25 à 38 %.
-
[32]
En effet, le taux de croissance annuel de la productivité augmenterait de 0,90 % (statu quo, ligne 1 du tableau 1) à 1,07 % (ligne 2), soit une hausse de la croissance annuelle de 0,17 point. Dans le cas d’une sensibilisation complète de toutes les femmes aux carrières de la science et de l’innovation, la croissance de la productivité s’élèverait à 1,54 % (ligne 3).
-
[33]
Cf. le Focus associé, Feng et al. (2022, op. cit).
-
[34]
Une étude récente, montre que, à performances scolaires égales, les étudiants parisiens ont une probabilité trois fois plus élevée d’accéder aux grandes écoles. Les auteurs documentent que la sous-représentation des filles dans les grandes écoles est en grande partie déterminée par leur plus faible propension à poursuivre des études dans les classes préparatoires scientifiques. Bonneau C., P. Charousset, J. Grenet et G. Thebault (2021) : « Quelle démocratisation des grandes écoles depuis le milieu des années 2000 ? », Rapport IPP, n° 30, janvier.
-
[35]
75e enquête de conjoncture auprès des PME-BPI, Le Lab, juillet 2022.
-
[36]
Bach L., A. Bozio, A. Guillouzouic et C. Malgouyres (2021) : Les impacts du crédit impôt recherche sur la performance économique des entreprises, Rapport de l’Institut des Politiques Publiques.
-
[37]
Aghion P., N. Chanut et X. Jaravel (2022) : « Réformer le Crédit d’impôt recherche », Focus du CAE, n° 90-2022, septembre.
-
[38]
CNEPI (2021) : Évaluation du Crédit d’impôt recherche, Rapport.
-
[39]
Baumol W.J. (2002) : « Entrepreneurship, Innovation and Growth: The David-Goliath Symbiosis », Journal of Entrepreneurial Finance (JEF), vol. 7, n° 2, pp. 1-10 ; Rosen R.J. (1991) : « Research and Development with Asymmetric Firm Sizes », The RAND Journal of Economics, vol. 22, n° 3, pp. 411-429 ; Akcigit U. et W.R. Kerr (2018) : « Growth through Heterogeneous Innovations », Journal of Political Economy, vol. 126, n° 4, pp. 1374-1443.
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[40]
2 % des grands groupes – qui perçoivent aujourd’hui du CIR pour plus de 20 millions d’euros de dépenses éligibles – seraient désavantagés par cette réforme. Toutes les autres entreprises en sortiraient gagnantes et le système dans son ensemble serait plus efficace.
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[41]
Trois arguments sont généralement avancés par les détracteurs d’une réforme du CIR, à savoir qu’une réforme serait néfaste pour la stabilité fiscale, enverrait un signal défavorable pour le soutien à l’innovation et pourrait constituer un risque juridique sur les aides d’État si la Commission européenne examine le nouveau dispositif. Les scénarios étudiés répondent par anticipation à ces critiques car le CIR n’est pas supprimé mais simplement redéployé (en prenant acte d’autres évolutions récentes de la fiscalité en France s’agissant de l’IS et des impôts de production) ; le signal envoyé à l’innovation est positif car le dispositif est redéployé pour maximiser le soutien à l’innovation ; le dispositif après la réforme serait plus proche des aides fiscales à la R&D en Allemagne, qui n’ont pas soulevé d’opposition de la part de la Commission européenne.
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[42]
Voir Martin P. et A. Trannoy (2019) : « Les impôts pour (ou contre) la production », Note du CAE, n° 53, octobre.