Notes
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[a]
PSE (Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne) et CEPII, membre du CAE.
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[b]
Université de Maastricht et UNU-MERIT (Pays-Bas), membre du CAE.
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[c]
Directeur de Bruegel (Belgique), membre du CAE.
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[1]
La note du Trésor intitulée « l’industrie : quels défis pour l’économie française » (février 2014) est une bonne illustration de ce schéma démonstratif.
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[2]
Pour une analyse de l’évolution du secteur manufacturier aux États-Unis voir Bailey M.N. et B.P. Bosworth (2014) : « US Manufacturing : Understanding Its Past and Its Potential Future », Journal of Economic Perspectives, vol. 28, n° 1, pp. 3-26.
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[3]
Voir Cheptea A., C. Emlinger, L. Fontagné, G. Orefice, O. Pindyuk et R. Stehrer (2014) : « The Development of EU and EU Member States External Competitiveness », Document de Travail du CEPII, n° 2014-06.
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[4]
Eurostat : coût unitaire du travail, ensemble de l’économie.
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[5]
Site de l’INSEE, rubrique « définitions et méthodes ».
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[6]
Voir Crozet M. et E. Milet E. (2014a) : « Is Everybody in Services ? The Servitization of French Manufacturing Firms » in The Factory-Free Economy : What Next for the 21st Century ?, Fontagné et Harrison (eds), à paraître. Les auteurs utilisent les données des bénéfices réels normaux (BRN) collectées par la Direction générale des impôts pour parvenir à ce chiffrage.
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[7]
Voir Grossman G.M. et E. Rossi-Hansberg (2008) : « Trading Tasks : A Simple Theory of Offshoring », American Economic Review, vol. 98, n° 5, pp. 1978-97.
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[8]
La catégorie statistique américaine de « own brand importer-marketer » apparaissant dans le Wholesale Trade Survey correspond typiquement à des FGPs.
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[9]
Voir Bernard A.B. et T.C. Fort Teresa (2014) : « Factoryless Goods Producers in the US » in The Factory-Free Economy : What Next for the 21st Century ?, Fontagné et Harrison (eds), à paraître. Le chiffre cité correspond au reclassement au sein de l’échantillon de l’enquête sur le commerce de gros aux États-Unis. L’extrapolation au secteur entier donne la borne haute de 1,9 million d’emplois en 2007.
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[10]
Relevant de la Commission des Nations unies pour l’Europe.
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[11]
Nations Unies (2013) : Progress Report of the Task Force on Global Production, n° ECE/CES/BUR/2013/FEB/17.
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[12]
Voir Moretti E. (2013) : The New Geography of Jobs, Mariner Books.
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[13]
Voir Imbs J. (2014) : « Structural Change in the OECD : Some Facts » in The Factory-Free Economy : What Next for the 21st Century ?, Fontagné et Harrison (eds), à paraître, pour une analyse sur l’ensemble des économies de l’OCDE et Veugelers R. (2013) : « Manufacturing Europe’s Future », Bruegel Blueprint, n° 21, pour une analyse de la situation dans l’Union européenne.
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[14]
Le changement structurel se définit donc comme l’évolution des parts des secteurs dans la dépense globale.
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[15]
Le niveau de vie a très exactement doublé en France de 1970 à 2011. Le niveau de vie se définit comme le revenu moyen d’un individu au sein d’un ménage dont le revenu déclaré au fisc est positif ou nul et qui n’est pas étudiant (cf. INSEE-DGI).
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[16]
Voir Baumol W. (1967) : « Macroeconomics of Unbalanced Growth : The Anatomy of Urban Crisis », American Economic Review, vol. 57, n° 3, pp. 415-426.
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[17]
Notons que les « exportations » (et « importations ») de services comprennent le tourisme (11 milliards d’euros d’excédent en 2012 sur excédent un total de 33 milliards) (cf OCDE).
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[18]
Les 53 milliards de revenus entrants représentent en 2012 plus que la valeur ajoutée en France des industries agro-alimentaires et des industries de matériel de transport (cf. OCDE).
-
[19]
Naturellement, les entreprises étrangères localisées en France versent aussi à leurs maisons-mères des dividendes et des intérêts, mais le montant total est limité à 20 milliards d’euros en 2012. Une partie de cette somme (7 milliards) correspond aux intérêts payés par les entreprises françaises à leurs filiales étrangères dans le cadre des prêts intra-groupes (cf. OCDE).
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[20]
Voir Koopman R., Z. Wang et S.J. Wei (2014) : « Tracing Value-Added and Double Counting in Gross Exports », American Economic Review, vol. 104, n° 2, pp. 459-494, Stehrer R. (2012) : « Trade in Value Added and the Value Added in Trade », WIIW Working Paper, n° 81 et Vicard V. et L. Le Saux (2013) : « Compétitivité-coût des exportations manufacturières et services incorporés », Note Banque de France, 4 octobre. Ces derniers montrent que les services incorporés dans les exportations manufacturières n’aggravent pas la différence de compétitivité-coût entre la France et Allemagne.
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[21]
Voir Cheptea et al., op.cit.
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[22]
Voir Cheptea et al., op. cit.
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[23]
Cf. Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (2013) : L’état de l’enseignement supérieur et de la recherche en France, 6e édition.
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[24]
Voir Bloom N., M. Schankerman et J. van Reenen (2013) : « Identifying Technology Spillovers and Product Market Rivalry », Econometrica, vol. 81, n° 4, pp. 1347-1393. Ces auteurs évaluent que les retombées externes de la R&D font que le taux de rendement social de la recherche est au moins le double du taux de rendement privé de la recherche.
-
[25]
Pour la période d’étude, le choix de commencer en 1970 est dicté par le souhait de bien prendre en compte l’effet du premier choc pétrolier sur l’industrie française qui a dû profondément se restructurer. Le choix de s’arrêter avant la crise de 2007 est dicté par une évidence : ne pas intégrer dans l’analyse une période où les évolutions sont surdéterminées par un choc violent et inédit sur l’industrie.
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[26]
Voir Rowthorn R. et R. Ramaswamy (1997) : « Deindustrialization. Its Causes and Implications », IMF Economic Issues, n° 10.
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[27]
Seule la crise récente a entraîné un recul de la production industrielle en termes absolus (voir supra).
-
[28]
Voir Demmou L. (2010) : « Le recul de l’emploi industriel en France entre 1980 et 2007. Ampleur et principaux déterminants : un état des lieux », Économie et Statistique, vol. 438, n° 1, pp. 73-296.
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[29]
La somme des trois contributions n’est pas égale au total des pertes d’emploi, d’autres facteurs pouvant jouer. Un tel calcul de contenus en emploi étant critiquable pour des raisons méthodologiques, on peut préférer une approche économétrique. Toutefois les estimations sont imprécises ce qui conduit à des évaluations divergentes. Voir Demmou (2010) op. cit., Rowthorn R. et R. Ramaswamy (1998) : « Growth, Trade an Deindustrialization », IMF Working Paper, n° WP/98/60 et Boulhol H. et L. Fontagné (2006) : « De-Industrialisation and the Fear of Relocations in the Industry », CEPII Working Paper, n° 2006-07.
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[30]
« Un secteur manufacturier européen dynamique et hautement compétitif peut apporter les ressources nécessaires et de nombreuses solutions aux défis sociétaux que l’UE doit relever […] », cf. Commission Européenne (2010) : Une politique industrielle intégrée à l’ère de la mondialisation. Mettre la compétitivité et le développement durable sur le devant de la scène, Communication de la Commission européenne, COM(2010) 614, p. 4).
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[31]
« Étant donné que tous les secteurs sont importants, la Commission maintiendra une approche ciblée à leur égard. Des initiatives spécifiques pourraient être engagées pour certains types de secteurs […] », cf. Commission Européenne (2010), op. cit., p. 28. Les secteurs visés sont l’aérospatial, les biens environnementaux, la santé, la sécurité, les secteurs intensifs en énergie exposés à la concurrence internationale.
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[32]
Voir Commission Européenne (2012) : Une industrie européenne plus forte au service de la croissance et de la relance économique, Communication de la Commission Européenne, COM(2012) 582.
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[33]
Voir le site Knowledge 4 Development, rubrique « New industrial policy », de la Banque mondiale.
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[34]
La politique de clusters est mentionnée dans la communication de la Commission européenne, mais en rapport avec sa politique régionale.
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[35]
Voir Fitjar R.D. et A. Rodríguez-Pose (2011) : « When Local Interaction Does Not Suffice : Sources of Firm Innovation in Urban Norway », Environment and Planning, n° 43, pp. 1248-1267.
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[36]
Les secteurs se réfèrent à la Nomenclature d’activités française (rév. 2, 2008) – niveau 3 (INSEE).
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[37]
Voir Duranton G., P. Martin, T. Mayer et F. Mayneris (2010) : The Economics of Clusters, Lessons from the French Experience, Oxford University Press.
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[38]
Voir Fontagné L., P. Koenig, F. Mayneris et S. Poncet (2013) : « Cluster Policies and Firm Selection : Evidence from France », Journal of Regional Science, vol. 53, n° 5, pp. 354-374.
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[39]
Voir Arque-Castells P. (2012) : « How Venture Capitalists Spur Invention in Spain : Evidence from Patent Trajectories », Research Policy, n° 41, pp. 897-912.
-
[40]
Appelé Fonds de développement économique et social à sa création en 1948.
- [41]
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[42]
Le montant total des encours de crédits aux entreprises non financières de taille intermédiaire s’élève à 273 milliards en octobre 2013 (cf. données statistiques de la Banque de France).
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[43]
Nous rappelons que le fonds de résistance vise les ETI et non les PME.
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[44]
Cf. OCDE (2013) : « Recent Trends in SME and Entrepreneurship Finance » in Financing SMEs and Entrepreneurs, http://www.oecd.org/cfe/smes/Scoreboard_2013_extract_chapter2.pdf
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[45]
Cf. Banque Centrale Européenne (2013) : Survey on the Access to Finance of Small and Medium-Sized Enterprises in the Euro Area, http://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/other/accesstofinancesmallmedium sizedenterprises201311en.pdf
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[46]
La Banque de France, en révélant une hausse des demandes de nouveaux crédits des ETI et une amélioration de leur taux d’obtention en 2013, dépeint une situation plus contrastée, voir Banque de France (2013) : « Enquête trimestrielle auprès des PME et ETI sur leur accès au crédit en France », Stat Info, 3e trimestre.
-
[47]
Voir Cabannes P-Y., V. Cottet, Y. Dubois et M. Sicsic (2013) : « Les ajustements des entreprises françaises pendant la crise de 2008-2009 » in L’économie française 2013, INSEE (ed.) et Kremp E. et P. Sevestre (2013) : « Did the Crisis Induce Credit Rationing for French SMEs ? », Document de Travail de la Banque de France, n° 405.
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[48]
Ernst & Young (2013) : L’efficacité des aides publiques aux entreprises : quelles priorités pour la compétitivité française.
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[49]
Voir Ientile D. et J. Mairesse (2009) : « A Policy to Boost the R&D : Does the Tax Credit Work ? », European Investment Bank Paper, vol. 14, n° 1.
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[50]
Voir Mulkay B. et J. Mairesse (2013) : « The R&D Tax Credit in France : Assessment and ex ante Evaluation of the 2008 Reform », NBER Working Paper, n° 19073. L’existence l’un multiplicateur inférieur à l’unité confirme les résultats obtenus pour les Pays-Bas. Voir Lokshin B. et P. Mohnen (2012) : « How Effective are Level-Based R&D Tax Credits ? Evidence from the Netherlands », Applied Economics, vol. 44, n° 12, pp. 1527-1538 et Mohnen P. et B. Lokshin (2010) : « What Does it Take for an R&D Tax Incentive Policy to be Effective ? » in Reforming Rules and Regulations : Laws, Institutions and Implementation, Vivek Ghosal (ed.), MIT Press, pp. 33-58.
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[51]
Dans Kramarz F. et D. Thesmar (2013) :« Social network In the Boardroom », Journal of the European Economic Association, vol. 11, n° 4, p. 780-807, les auteurs confirment économétriquement le rôle des réseaux dans la nomination des équipes dirigeantes et la sous-performance des structures cédant plus à cette inclination.
- [52]
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[53]
Voir Carpentier C. et J-M. Suret (2004) : « Création et financement des entreprises technologiques : les leçons du modèle israélien », Cahier de Recherche CIRANO, n° 2004RP-20.
1Dans un contexte de faible croissance, de chômage élevé, de finances publiques déséquilibrées et d’un déficit extérieur persistant, on observe le retour d’un discours volontariste sur la politique industrielle voire, en France, d’une intervention directe sur l’industrie. Ainsi, l’intervention publique ciblée par secteur redevient imaginable, tandis que l’industrie est conçue à nouveau comme un réservoir d’emplois, d’exportations et de croissance.
2Pas d’industrie pas d’avenir ? La présente Note ne considère pas que la réponse soit évidente. Une réflexion semble indispensable à la fois sur l’objet de la politique industrielle (qu’est-ce que l’industrie et en quoi est-elle nécessaire ?) mais aussi sur ses méthodes (l’État a-t-il les outils, l’information et le modus operandi de son intervention ?)
3La frontière entre l’industrie et les services est devenue floue : les services sont devenus une industrie ; l’industrie achète et vend des service ; enfin, une partie des entreprises classées dans les services sont en réalité des entreprises industrielles ayant fractionné leur chaîne de valeur au niveau international. L’activité industrielle consiste aujourd’hui à concevoir des produits, à en assurer ou en transférer la production tout en en conservant la propriété intellectuelle, à organiser la chaîne de valeur, à contrôler les marques et l’accès au consommateur, enfin à s’approprier les retours sur investissement.
4Cette vision plus moderne de l’industrie appelle une approche elle aussi renouvelée de la politique industrielle. Au-delà de l’opposition classique entre les politiques horizontales visant à créer un environnement économique favorable et les politiques verticales soutenant certains secteurs, il convient de corriger par l’action publique les échecs de coordination (politiques de clusters, financement public de projets innovants) et la construction de modes d’action prenant en compte l’économie politique de l’action publique sur les entreprises.
5Nos recommandations invitent avant tout à repenser l’industrie et à ne plus l’assimiler à la production de biens. Ceci passe par l’adaptation du discours politique à cette réalité et par la volonté de favoriser les restructurations et le dynamisme technologique. Il convient ensuite d’investir dans la formation et de favoriser la mobilité des ressources qui pourront s’agglomérer dans des pôles de croissance. Si la plupart des rapports économiques se concluent sur cette recommandation, c’est probablement qu’elle devrait être remontée dans les agendas de politique économique. Dans un contexte de politiques nationales non coopératives, il nous semble par ailleurs souhaitable, d’un point de vue assez pragmatique, que l’État favorise les investissements en recherche et développement via le crédit d’impôt recherche, les mécanismes d’aide directe comme l’ANVAR, le capital risque ou les relais technologiques. La protection de la propriété intellectuelle est également un sujet important et difficile, avec un équilibre à trouver entre stimulation de l’innovation et partage des connaissances, source de progrès technologiques futurs. Les deux dernières recommandations concernent le modus operandi de la politique industrielle, prenant en compte l’économie politique de ces interventions et les risques de capture : combiner capital-risque privé et financements publics des projets est une approche souhaitable, tout comme une gouvernance stricte de l’intervention publique permettant en particulier de stopper des projets.
L’industrie française peine à se relever de la crise
6L’analyse des difficultés rencontrées par l’industrie française suggère généralement le cercle vicieux suivant :
- le recul récent de la part de l’industrie dans la valeur ajoutée a été plus marqué en France que dans les pays comparables ; il va donc au-delà du phénomène de désindustrialisation caractérisant les économies avancées ;
- ce recul est le résultat de pertes de parts de marché à l’international ;
- ces pertes de parts de marché procèdent notamment d’une dégradation de la compétitivité-coût, répercutée incomplètement dans les prix à l’exportation, les marges s’ajustant à la baisse ;
- l’insuffisante compétitivité hors-prix, qui ne permet pas de répercuter dans les prix la hausse des coûts, est aggravée par le manque d’investissement dû à des marges insuffisantes [1].
7Entre 2000 et 2007, la part de l’industrie dans la valeur ajoutée totale, à prix constants, a baissé de 6 % en France et en Italie, de 16 % au Royaume-Uni. Dans le même temps, elle a augmenté de 4 % aux États-Unis [2] et 6 % en Allemagne (graphique 1). Depuis le déclenchement de la crise, les évolutions sont davantage différenciées entre les pays (graphique 2). Au plus bas, la production industrielle dans les grands pays européens a reculé en niveau de 13 % (Royaume-Uni) et jusqu’à 26 % (Espagne), par rapport à début 2007. La France fait partie des pays fortement affectés (– 21 %) avec l’Allemagne (– 20 %). Mais la grande différence entre les deux derniers pays est le rebond allemand qui a permis dès 2011 de retrouver le niveau de départ. Les évolutions italienne et espagnole suivent le schéma français de façon plus aggravée.
Évolution de la part de l’industrie manufacturière dans la valeur ajoutée totale
Évolution de la part de l’industrie manufacturière dans la valeur ajoutée totale
en volume (2000 = 100)Production de l’industrie manufacturière
Production de l’industrie manufacturière
volume corrigé des variations saisonnières (janvier 2007 = 100)8Quant à la part de marché de la France sur le marché mondial, elle recule en valeur de 15 % de 2000 à 2007 et à nouveau de 13 % de 2007 à 2010. La comparaison avec les autres pays européens montre que les contre-performances françaises sont particulièrement nettes avant la crise [3]. Depuis 2007, au contraire, l’évolution française est en ligne avec celle des autres pays européens. Ni le haut de gamme, ni les produits technologiques n’ont constitué un abri pour les exportateurs français entre 2000 et 2007. Les coûts salariaux unitaires (coût salarial par unité de valeur ajoutée produite) ont joué défavorablement dans le cas français, en particulier comparativement à l’Allemagne : ils ont augmenté de 10 % en Allemagne depuis 2000, trois fois plus en France [4].
9Constat 1. L’industrie française peine à se relever de la crise, probablement à cause de retards accumulés dans les années 2000, et en partie en raison du coût de la main d’œuvre qui a dérivé par rapport aux concurrents allemands, à qualification donnée.
10Ce premier constat rend indispensable une réflexion sur l’objet des politiques industrielles (qu’est-ce que l’industrie et en quoi est-elle nécessaire ?) et sur les méthodes (l’État a-t-il les outils, l’information et le modus operandi de son intervention ?).
Qu’est-ce que l’industrie ?
11Selon la définition qu’en donne l’INSEE, « relèvent de l’industrie les activités économiques qui combinent des facteurs de production (…) pour produire des biens matériels destinés au marché » [5]. Les biens sont des « objets physiques pour lesquels il existe une demande, sur lesquels des droits de propriété peuvent être établis (…) ».
Les services de l’industrie
12La réalité industrielle s’accorde mal de cette définition : certaines entreprises de l’industrie manufacturière produisent aussi des services, d’autres produisent majoritairement des services, d’autres enfin ne produisent plus que des services. Un quart environ des entreprises manufacturières installées en France ne vendait que des services en 2007, un tiers environ vendait majoritairement des services et 87 % vendaient aussi des services [6]. Dans de nombreuses industries, ces proportions reflètent un poids croissant des services dans les ventes des entreprises appartenant au secteur manufacturier. Le consommateur final est aujourd’hui habitué à acheter des ensembles indissociables de biens et de services, vendus par des entreprises industrielles, comme par exemple une extension de garantie pour une automobile. L’industrie et les services sont également liés par les consommations intermédiaires : la variété et le coût des services auxquels les producteurs de biens peuvent accéder sont un élément essentiel de leur compétitivité. Avec l’externalisation de nombreuses fonctions, l’industrie s’appuie de façon croissante sur les services.
13Ce périmètre flou est à l’origine de difficultés pour les statisticiens : les entreprises industrielles ont externalisé des tâches de services, se concentrant sur leur cœur de savoir-faire, mais ce dernier a parallèlement évolué des biens vers les services.
L’industrie des services
14Du côté des services, des évolutions symétriques sont à l’œuvre. À l’image de l’industrie, la production de services, en particulier ceux liés aux technologies de l’information, se caractérise par une création de valeur basée sur la réalisation d’économies d’échelle (présence de coûts fixes) et de gains de productivité importants. L’exemple le plus connu de services produits sur un mode « industriel » est celui des centres de données, des moteurs de recherche, du cloud informatique, toutes activités fortement consommatrices d’énergie, imposant de fortes immobilisations (fermes de serveurs, systèmes de refroidissement, sites sécurisés) n’ayant rien à envier aux sites industriels traditionnels et dont les coûts baissent rapidement. Si les usines (industrielles) n’ont plus de cheminée, les producteurs de services ont pris le relai : chaque centre de données de Google comprend des centaines de milliers de serveurs devant être refroidis. Parmi les vingt premières capitalisations boursières américaines (au 11 mars 2014), Apple, Google, Microsoft, IBM, Verizon, Facebook, Oracle, Amazon sont-elles des entreprises industrielles, ou des entreprises de services ?
Le commerce de tâches
15La dernière et plus spectaculaire transgression de la frontière entre industrie et services est due au fractionnement international des chaînes de valeur ajoutée. Avec le commerce de tâches [7], certaines des entreprises industrielles les plus performantes se sont focalisées sur leur avantage compétitif dans la conception des produits, le marketing, l’organisation de la chaîne logistique, la création de « systèmes » homogènes combinant biens et services, et abandonnant au passage toute production physique. On parle alors de Factoryless Goods Producers (FGPs), ou producteurs de biens sans usines. Les exemples les plus fréquemment cités en sont Apple, Dyson, et des entreprises du secteur des semi-conducteurs ou de l’habillement [8]. Reclasser dans l’industrie les entreprises américaines du commerce de gros qui conçoivent leurs produits et en organisent la production transfèrerait au moins un demi-million d’emplois d’un secteur dans l’autre selon des calculs récents [9]. Ces évolutions du paysage industriel ont conduit les statisticiens à engager des réflexions en profondeur sur les classifications d’entreprises au niveau international. Ainsi la Conférence de statisticiens européens [10] estime-t-elle nécessaire de substituer à la propriété des matières premières (critère traditionnel) le critère de propriété intellectuelle dans la définition du périmètre économique d’une entreprise [11].
16Constat 2. L’industrie change de nature et ne fait plus qu’une avec les services. Le périmètre des entreprises change avec le fractionnement des chaînes de valeur. Ce qui définit une entreprise « industrielle » c’est l’implication dans la conception des produits, la propriété intellectuelle, la prise de risque économique. Ce qui définit l’« industrie », c’est la production de masse, la réalisation d’économies d’échelle, les gains de productivité et l’application du progrès technique.
À quoi sert l’industrie ?
17Quel que soit le périmètre donné à l’industrie et aux services, c’est surtout la capacité des nouvelles activités à générer des revenus qui fait la différence. À partir de données de recensement sur 8 millions d’employés dans 320 zones d’emploi sur 30 ans, Moretti (2013) oppose les « brain hubs », agglomérations regroupant des salariés très qualifiés à haut revenu entraînant chacun cinq emplois induits, aux anciennes capitales industrielles perdant emplois et habitants [12]. La différence entre les deux types de zones ne tient pas à une quelconque frontière entre industrie et services, mais à une concentration des qualifications. Plus fondamentalement, la question posée est celle du changement structurel : les économies de l’OCDE ont très largement basculé de l’agriculture et l’industrie vers les services depuis l’après-guerre. La désindustrialisation – au sens statistique – n’est qu’un aspect du processus de dématérialisation de la croissance de nos économies [13].
L’analyse économique du changement structurel
18Entre l’après-guerre et 2012, la part de l’agriculture dans la valeur ajoutée a été divisée par dix (en valeur), celle de l’industrie divisée par deux, tandis que les services passaient de 48 à 79 %. Ce changement structurel [14] s’est accompagné d’une forte croissance du pouvoir d’achat [15] et de la création de plus de 6 millions d’emplois depuis 1954. Si la productivité croît plus vite dans l’industrie que dans les services [16], les prix relatifs se déforment et la dépense en valeur se déplace des premiers vers les seconds. Parallèlement, l’industrie produisant plus de valeur ajoutée avec moins de personnel, elle contribue à distribuer à l’économie les revenus créant un vaste marché pour les services marchands qui à leur tour créent les emplois, absorbant la main d’œuvre libérée de l’industrie (l’automatisation des services s’avérant plus difficile).
19De surcroît, avec l’élévation des revenus par tête, les modes de consommation changent, en vertu de la loi d’Engel. Tout comme le pain a été remplacé dans le budget des ménages par des aliments carnés, puis ces derniers par des plats préparés, les biens industriels sont à leur tour remplacés par des services comme les loisirs, la santé ou l’éducation. Les parts budgétaires se déforment naturellement vers les services si les préférences changent pour différentes catégories de revenus. La faible réactivité de la demande de biens industriels à l’élévation du revenu lorsque ces derniers sont déjà
L’industrie participe à l’équilibrage du compte courant
20Un argument majeur en faveur d’un maintien de l’industrie concerne l’équilibrage du compte courant. En effet, les biens s’exportent alors que les services doivent être produits directement sur place, à la faveur d’un investissement direct à l’étranger. Si l’industrie est remplacée par les services, notre économie n’exportera plus et devra importer tous les produits qu’elle consomme. Même si une partie des services franchissent la frontière et participent aux exportations (services aux entreprises par exemple) et si la présence à l’étranger est souvent choisie pour vendre des produits français sur les marchés extérieurs, les évolutions depuis vingt ans de la balance courante, de la balance des biens et de la balance des services suggèrent un rôle prédominant des biens (graphique 3). La France n’a donc pas su compenser la dégradation de ses échanges extérieurs de biens par une amélioration suffisante de ses échanges de services [17].
Balance des biens, des services et des opérations courantes, France, 1995-2012
Balance des biens, des services et des opérations courantes, France, 1995-2012
Lecture : Échelle de gauche : en miliards de dollars courants ; Échelle de droite : solde courant en pourcentage du PIB.21L’industrie et les services participent toutefois indirectement à l’équilibrage du compte courant, à travers les revenus d’investissements directs. La présence à l’étranger des groupes français est à l’origine de profits dont une partie est rapatriée, une partie est réinvestie sur place, enfin une partie correspond à des paiements d’intérêt par les filiales étrangères sur les prêts consentis par les maisons mères en France. Les revenus bruts d’investissement à l’étranger (les recettes) s’établissent à 53 milliards d’euros en 2012 [18], après avoir atteint quasiment 60 milliards en 2010 [19]. Le fait marquant de la décennie 2000 est la très forte augmentation des revenus d’investissements directs à l’étranger : ils ont été multipliés par cinq en dix ans.
Exporter des biens c’est exporter des services
22Comme évoqué précédemment, les services sont largement utilisés en consommation intermédiaire par l’industrie, notamment en raison de l’externalisation des activités de service par les entreprises industrielles. Ainsi, une partie de la valeur ajoutée dans les services est exportée à l’occasion du commerce de biens, alors que la valeur ajoutée industrielle locale des mêmes biens est souvent limitée par le recours à des importations de consommations intermédiaires. Les calculs de commerce en valeur ajoutée permettent de prendre en compte ces relations « inter-industrielles » liant les services à l’industrie et d’affiner le diagnostic de la compétitivité-coût [20]. En 2011, 39 % de la valeur ajoutée européenne des exportations (extra-européennes) de produits manufacturés correspondait à des services consommés à l’occasion de la production de ces biens industriels [21]. Cette part est croissante (35 % seulement en 1995). On a donc assisté à une double évolution : les exportations européennes ont un contenu en valeur ajoutée communautaire décroissant (85 % en 2011 contre 92 % en 1995) mais une part croissante de ce contenu correspond à de la valeur ajoutée dans les services.
23Si l’on considère les pays européens individuellement, la part de la valeur ajoutée nationale dans les exportations totales (tous secteurs, intra- et extra-UE) de la France est passée de 80,5 à 71,5 % de 1995 à 2011 [22]. Ce chiffre est assez similaire à ce que l’on observe dans des pays européens de taille comparable. La valeur ajoutée nationale dans les exportations de services est partout plus importante que celle des biens, même lorsque l’on tient compte, comme c’est le cas ici, du contenu en services des biens exportés. Ainsi, la question du rééquilibrage extérieur concerne de plus en plus les services.
L’industrie est source d’externalités
24La recherche se fait majoritairement dans l’industrie : en 2010, les dépenses intérieures de recherche-développement (R&D) en France qui étaient effectuées dans les entreprises se concentraient pour 80 % dans les branches industrielles, contre 18 % dans les branches de services. Cependant, depuis 2007 la R&D dans les branches de services augmente de 15,8 % en volume par an, reflétant comme dans d’autres pays de l’OCDE l’importance croissante des services aussi au niveau de la recherche [23]. La recherche est considérée comme un des piliers de la croissance soutenable. En dépensant en R&D, les entreprises et l’État investissent dans la production de connaissances, générant de nouveaux produits ou procédés de fabrication qui permettent aux entreprises de rester concurrentielles en coûts de fabrication, en qualité et en diversification de produits. À long terme, ces connaissances se traduisent en gains de productivité et en accroissement de bien-être.
25La R&D engendre aussi des externalités de deux types : les externalités pécuniaires et les externalités de connaissances. Les premières ont trait à l’augmentation des rentes ou du chiffre d’affaires d’un secteur suite à la recherche effectuée dans un autre secteur (par exemple, l’apparition de nouveaux ordinateurs se répercutera dans la productivité du secteur bancaire). Les externalités de connaissances se rapportent aux transferts non rémunérés de connaissances d’un secteur à l’autre dues au fait que la connaissance est un bien social : la recherche dans un secteur donné produit des connaissances utiles pour d’autres secteurs (par exemple, des progrès en informatique ont bouleversé la façon de faire de la recherche dans le secteur pharmaceutique).
26Comme les canaux de diffusion de la connaissance sont multiples, il est difficile d’évaluer les bénéficiaires de toutes ces externalités, surtout celles liées au transfert de connaissances. Les travaux empiriques tendent à montrer que ces externalités sont généralement positives, encore que ne sont pas à négliger les prises de parts de marché d’entreprises concurrentes ou produisant des biens substituts aux nouveaux produits [24]. Ces externalités peuvent aussi se transmettre à l’étranger et de ce fait bénéficier à nos partenaires commerciaux, tout comme la France peut bénéficier de la R&D faite à l’étranger.
27De nombreux travaux ont documenté la dimension géographique des externalités, c’est-à-dire le fait que les retombées externes de la recherche sont plus importantes dans son voisinage géographique. Une des explications de ce phénomène résiderait dans le caractère en partie tacite de la connaissance. Certaines connaissances ne se transmettent pas de façon codifiée (par exemple, sur un support informatique ou livresque) mais nécessitent le face à face entre chercheurs. Si tel est le cas, il peut être justifié de créer des pôles technologiques. Ceci n’empêche pas que des connaissances peuvent très bien se transmettre sur de longues distances.
Déclin industriel ou changement structurel ?
28Le constat du déclin de l’industrie, au sens de catégorie statistique traditionnelle, doit être requalifié dès lors que les nouvelles formes d’organisation industrielle sont prises en compte en privilégiant la notion de propriété intellectuelle plutôt que la dimension physique des activités ou des objets, et en reconnaissant la dimension industrielle de la production de certains services. Ces dimensions étant intégrées, l’industrie change de nature. On peut retracer sans trop de difficultés les raisons pour lesquelles la part des emplois industriels dans l’emploi total a fortement reculé dans les économies de l’OCDE et en France. Nous adoptons pour ce faire une perspective longue, de 1970 à 2007 [25] : nous avons vu plus haut que l’industrie française avait enregistré des contre-performances de 2000 à 2007 relativement à la moyenne européenne, et que sa capacité de rebond après le point bas de la crise avait été également moins bonne que la moyenne de la zone euro.
29Comme on l’a vu plus haut, le recul de l’industrie peut s’expliquer d’abord par l’évolution plus rapide de la productivité dans l’industrie que dans les services et à un effet de saturation des consommateurs, qui allouent une part croissante de leurs dépenses aux services lorsque leur niveau de vie s’élève. La deuxième contribution à la désindustrialisation est l’externalisation des services par les entreprises industrielles, qui est un pur artefact statistique. La dernière contribution est la concurrence internationale : si les économies à haut revenu ont un avantage comparatif dans les tâches telles que le design des produits, la R&D, le marketing, ces économies se spécialiseront sur des activités ne rentrant pas nécessairement dans la catégorie statistique « industrie » (la réflexion en cours sur les FGP vise à prendre en compte cette difficulté) [26].
30Nous illustrons ces mécanismes dans le cas français, avant de donner une évaluation des contributions des trois forces sous-jacentes.
Le cas français
31Nous utilisons les données de la base STAN (OCDE) et considérons l’industrie manufacturière (hors construction et énergie, donc). De 1970 à 2007 le volume de la production industrielle française a doublé, contrastant avec la vision largement médiatisée d’un déclin industriel absolu [27]. Cependant, la valeur ajoutée totale en France a augmenté de près de 160 % sur la période : le « déclin » de l’industrie manufacturière est donc avant tout le reflet de la hausse nettement plus rapide de la valeur ajoutée dans les services (graphique 4). L’essentiel du recul relatif de l’industrie est enregistré entre le milieu des années soixante-dix et le début des années quatre-vingt-dix. Un raisonnement en termes d’emplois industriels, plutôt que de valeur ajoutée industrielle, donnerait une image très différente : de 1970 à 2007, le nombre d’heures travaillées dans l’industrie française a été divisé par deux. Par conséquent, la productivité du travail (volume de la valeur ajoutée comparé au nombre d’heures travaillé) a quasiment quadruplé sur la période.
Le déclin industriel français
Le déclin industriel français
Lecture : Échelle de gauche : volume de la valeur ajoutée, industrie manufacturière et services (1970 = 100) ; Échelle de droite : part de l’industrie manufacturière en %.32Dans le même temps les prix relatifs se sont déformés en défaveur de l’industrie : les gains de productivité plus rapides dans l’industrie expliquent largement ce phénomène, aggravé par la moindre concurrence dans le secteur des services (les services sont moins échangés internationalement, donc moins soumis à la concurrence internationale). Le recul (relatif) de l’industrie est donc plus marqué en valeur qu’en volume. Il suit d’ailleurs assez fidèlement le recul de la part de l’industrie dans les heures travaillées.
Les contributions au changement structurel
33Au-delà de cette approche descriptive, on peut donner une estimation de la contribution des différents facteurs évoqués (externalisation des fonctions de services, gains de productivité, concurrence internationale – ou concurrence des pays à bas salaires) dans la baisse observée de l’emploi industriel [28]. Les gains de productivité très rapides dans l’industrie ont joué un rôle prédominant au cours de la période récente, ce qui est conforme à la divergence des prix relatifs déjà soulignée. De 1980 à 2007, la France a perdu en moyenne 71 000 emplois industriels par an, dont 17 000 en raison de l’externalisation et 21 000 en raison des gains de productivité. À partir de 2000, pour des pertes à peine inférieures (65 000 par an), la contribution de la productivité devient dominante (42 000 emplois par an), l’externalisation ne jouant plus qu’un rôle mineur (3 000). La contribution de la concurrence internationale sur l’ensemble de la période serait de 9 000 emplois perdus par an (dont la moitié pour le seul secteur automobile), et le double sur la sous-période 2000-2007 [29].
34Constat 3. La désindustrialisation se décrit en termes relatifs. Le volume de la production industrielle (au sens statistique du terme) augmente moins vite que la production de services. Les prix relatifs de l’industrie baissant, la divergence est encore plus marquée en valeur. Les trajectoires relatives d’emploi des deux grands secteurs suivent les évolutions de la production en valeur.
35Le recul relatif de l’industrie est donc d’abord le résultat de l’évolution de la productivité par rapport aux secteurs de services et de la déformation des budgets des ménages. Plus que le secteur d’emploi (industrie ou services) et que le type de tâches effectuées, c’est la nature des emplois, leur degré de qualification, leur productivité et donc leur niveau de rémunération qui importe. Des emplois très productifs déversant de hauts revenus sur le reste de l’économie favorisent l’émergence de pôles de croissance.
Quid de la politique économique
36Nous proposons dans cette dernière section d’adopter une approche renouvelée de la politique industrielle, en cherchant à identifier les problèmes de coordination qu’il faut résoudre et en nous focalisant sur le modus operandi de la politique – en d’autres termes sur l’économie politique de la mise en œuvre de la politique industrielle. Notre objectif n’est pas de dresser la liste des instruments utilisés, en partant des pôles de compétitivité, en passant par les aides sectorielles (l’automobile), les marchés publics ou la Banque publique d’investissement (BPI). Nous cherchons à illustrer des problèmes généraux, non à évaluer les dispositifs en place ou l’utilisation qui en est faite.
Une nouvelle approche
37La politique industrielle a longtemps été considérée avant tout comme une distorsion s’opposant à l’allocation efficace des ressources dans une économie de marché. Aux interventions publiques « verticales » appuyant des secteurs prioritaires sélectionnés par les pouvoirs publics (subventions, participation publique au capital, droits de douane ou marchés publics) étaient préférées des politiques « horizontales » créant les conditions favorables à l’innovation et à la création d’entreprises (concurrence sur les marchés de biens et de facteurs, soutien à la recherche). Cette approche était complétée par la correction des limites intrinsèques des marchés en termes de prise en compte des externalités (incitations à la R&D, à la formation, accès au crédit).
38La Commission européenne (2010 et 2012), mais aussi la Banque mondiale (2013) et l’OCDE (2013) ont révisé en profondeur leur position à ce sujet. S’agissant de la Commission européenne, c’est toutefois plutôt la place de l’industrie dans l’économie que les modes d’intervention publique qui est reconsidérée. En effet, alors que la réponse à l’interrogation posée par le titre de notre Note est donnée en des termes appuyés dans la communication de la Commission [30], les modes d’action suggérés restent vagues puisqu’il s’agit de réunir les politiques verticales et horizontales dans une même approche [31]. La seconde communication de la Commission, en 2012, constitue un virage plus profond dans la mesure où des secteurs sont clairement identifiés sur un mode « vertical » : technologies avancées pour l’industrie, bio-industries, construction et matériaux respectueux de l’environnement, véhicules propres, smart grids [32]. Mais les actions envisagées s’appuient davantage sur la concurrence au sein du marché intérieur européen, les infrastructures de transport, la formation, les normes et standards, que sur des actions verticales.
39La Banque mondiale et l’OCDE proposent l’approche a priori la plus audacieuse. Le concept de « nouvelle politique industrielle et d’innovation » développé par la Banque mondiale vise non pas à créer un environnement favorable (politique horizontale) ou à soutenir certains secteurs (politique verticale), mais à favoriser les restructurations et le dynamisme technologique. L’autre dimension de cette nouvelle politique est d’aborder de front les éléments d’économie politique de l’intervention publique dans l’industrie. La politique industrielle serait avant tout affaire de modus operandi [33]. En résumé, cette nouvelle approche substitue à la traditionnelle opposition horizontal/vertical la correction par l’action publique des échecs de coordination et de marché (politiques de clusters, financement public de projets innovants) [34] et la construction de modes d’action prenant en compte l’économie politique de l’action publique sur les entreprises (et sur les régions).
Quels échecs de coordination et de marché la politique industrielle est-elle censée résoudre ?
40Le premier échec de coordination concerne l’articulation entre recherche publique et privée, ou entre universités et entreprises, ou entre grandes et petites entreprises. La politique de clusters, qui peut prendre différentes formes, répond à cette préoccupation : résoudre un problème de coordination des agents. La politique de clusters part de l’hypothèse selon laquelle les activités économiques sont insuffisamment agglomérées, insuffisamment concentrées géographiquement. La proximité géographique permet aux entreprises de tirer profit de la complémentarité entre leurs compétences respectives. La concentration d’entreprises et de compétences dans un même endroit facilite la transmission des connaissances, surtout des connaissances tacites, et l’émergence d’externalités de connaissances. Cependant, les travaux empiriques sèment un doute sur l’efficacité des politiques de clusters. Dans les cinq plus grandes concentrations urbaines en Norvège, les entreprises les plus innovantes au sens d’innovations radicales sont celles qui sont connectées à plusieurs réseaux internationaux. Trop de liens exclusivement locaux freinent l’innovation à cause du manque d’idées nouvelles [35]. Dans le cas français, les bénéfices de concentration des activités existent, mais ils sont limités : doubler l’emploi dans un secteur [36] et une zone d’emploi accroît la productivité des entreprises de moins de 5 %. La sélection des entreprises et des clusters a aussi posé problème. La politique des systèmes productifs locaux avait été dirigée vers les entreprises appartenant à des secteurs et localisations peu productives [37]. La politique des pôles de compétitivité, au contraire, a concerné globalement des entreprises ou localisations plus productives, indépendamment de leur regroupement au sein d’un pôle [38].
41Un deuxième échec de marché a trait à l’absence de valorisation par le marché des externalités de recherche. Si ces externalités sont positives comme le montrent les études empiriques, trop peu de recherche est faite d’un point de vue social, les entreprises privées n’intégrant pas ces externalités dans leur calcul économique. Diverses mesures peuvent être mises en place pour stimuler la recherche, entre autres les crédits d’impôt-recherche, les subventions à la recherche, les relais technologiques, les pôles de recherche, les achats publics.
42Un troisième échec de marché a trait aux fusions-acquisitions transfrontières. Le marché ne sait pas toujours distinguer les opérations internationales qui sont souhaitables du point de vue social de celles qui ne le sont pas. La puissance publique, valorisant des objectifs qui lui sont propres (emploi, transfert de technologie, prestige) peut alors filtrer les opérations ou participer à des montages.
43Un dernier échec de marché concerne l’accès au financement. Le thème d’un financement difficile des entreprises de taille intermédiaire (ETI), des start-ups risquées et surtout des petites et moyennes entreprises (PME) est récurrent. Avec le durcissement probable des conditions d’accès au crédit suite à la crise, ce thème est revenu au cœur de l’actualité des politiques. Le développement du capital-risque privé peut alors venir en substitut ou en complément de l’action publique. Le capital-risque investit dans une entreprise de recherche non seulement financièrement mais aussi par une gestion active durant une période de temps limitée, ce qui limite les problèmes d’aléa moral typiques du financement sur base de subventions de recherche publiques. Cependant, les travaux empiriques ne sont pas unanimes sur la question [39]. Alors que la plupart des études sur données agrégées trouvent un effet positif du capital risque sur le nombre de brevets décernés, celles utilisant des données d’entreprises aboutissent à des conclusions plus nuancées, voire à un ralentissement des brevets suite à l’investissement en capital risque. L’explication pourrait être que les investisseurs veulent obtenir un retour rapide sur leur investissement et sont plus intéressés à exploiter le potentiel innovateur existant des entreprises financées plutôt que de développer de nouveaux projets de recherche. Il est donc probable que la question de l’échec de marché ne soit pas complètement réglée par l’appel au capital-risque privé. Comme on va le voir plus bas, le capital-risque privé peut néanmoins jouer un rôle clé en complément de l’action publique.
44Quels que soient les échecs à corriger, se pose un problème d’information. En termes d’analyse économique, le principal (qui subventionne ou investit) n’a pas toute l’information nécessaire pour prendre une décision éclairée, et il doit donc la faire remonter de l’agent (qui reçoit les fonds), lequel adoptera alors une stratégie ne garantissant pas nécessairement un résultat souhaitable. En pratique, ceci signifie qu’il faut trouver le moyen de faire remonter vers la puissance publique de l’information sur les entreprises et les laboratoires dans les clusters, sur les potentialités des territoires qui les accueillent. S’agissant des problèmes d’accès au crédit, il faut savoir si l’entreprise concernée par le rationnement supposé était ou non un « bon risque ». Pour le Crédit impôt recherche, la question souvent posée est celle des effets d’aubaine (crédit d’impôt pour une recherche qui aurait été engagée de toute façon). Nous choisissons de développer ces deux derniers exemples pour illustrer notre propos.
45En novembre 2013, Le ministère du Redressement productif a lancé la réactivation du fonds de résistance [40]. Cette mesure s’inscrit dans le cadre d’un plan en quatre volets incluant : la réactivation du fonds de résistance, le renforcement des moyens du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) [41], un accompagnement social renforcé et des mesures de modification en urgence des lois sur les faillites. Le fonds a vocation à aider les ETI en difficulté en octroyant des prêts, sous conditions, à celles qui le sollicitent. Il n’y a pas de subvention. Le projet doit être viable (capacité à rembourser). Un changement de direction ou d’actionnariat sera envisagé et le CIRI sera en droit de soumettre des propositions de restructuration. Cette politique illustre deux problèmes.
46Tout d’abord, le montant du fonds – 300 millions d’euros (projet de loi de finances 2014) – dépasse difficilement 0,1 % des encours de crédits aux ETI non financières en octobre 2013 [42]. Seul un problème marginal d’accès au crédit pourrait être traité par des fonds aussi limités : si le problème est majeur, l’insuffisance des fonds imposera une forte sélectivité des ETI bénéficiaires sur des critères d’urgence de l’intervention qui ne pourront être renseignés correctement en raison des problèmes d’information déjà soulignés.
47Ensuite, quel est l’échec de marché justifiant cette mesure ? Un examen des données de l’OCDE, de la Commission européenne, de l’INSEE et de la Banque de France n’indique pas une nette dégradation de l’accès et des conditions d’accès au crédit. Entre 2008 et 2011, le stock de prêts octroyés aux PME [43] a augmenté de près de 5 % par an, à l’exception de 2009 (0,3 %) [44]. Les PME font effectivement état d’une baisse de volonté des banques d’octroyer un crédit (– 22 %) [45]. Selon la BCE, cependant, l’accès au crédit est, pour les PME françaises, un défi dont l’importance est, bien qu’en légère hausse en 2013 (considéré par 14,8 % des PME comme le défile plus pressant), inférieur à la moyenne européenne. Le coût du travail est, lui, placé en tête de leurs préoccupations par 19,8 % des PME françaises [46]. L’INSEE considère pour sa part qu’en France, et contrairement aux États-Unis, les entreprises ont davantage pâti d’un choc de demande que d’un choc de crédit. Ceci est confirmé par la Banque de France qui montre, à partir d’un échantillon de 60 000 PME, qu’en dépit d’un comportement plus restrictif des banques, les PME françaises n’ont pas souffert d’un rationnement marqué du crédit depuis 2008. Le problème est celui d’un choc de demande [47]. Pourquoi dès lors certaines PME se voient-elles refuser l’accès au crédit ? La réponse tient moins à un échec du marché du crédit qu’à la sanction par le marché de leur insuffisante rentabilité. La politique adaptée est alors de restaurer la rentabilité des ETI, notamment en s’intéressant à la question du coût du travail.
48Examinons maintenant les questions soulevées par le Crédit Impôt Recherche (CIR). Plutôt qu’une baisse générale de la fiscalité, une action plus ciblée sur la recherche peut être envisagée, et le CIR répond parfaitement à cet objectif. Les crédits d’impôt sont de surcroît moins coûteux à mettre en œuvre que les aides directes à la recherche. La première difficulté est que toutes les entreprises ne disposent pas nécessairement d’un degré suffisant d’information sur les modalités et conditions d’obtention des aides indirectes, surtout quand les changements sont fréquents dans le temps comme ce fut le cas en France. On peut dès lors s’inquiéter de l’accès des plus petites entreprises, à fort potentiel de croissance, à de tels dispositifs. Dans une enquête menée auprès de 250 PME et ETI françaises, Ernst & Young rapporte que 71 % des entreprises considèrent que les dispositifs d’aides sont difficilement accessibles et que 58 % d’entre elles considèrent que le montage des dossiers est trop compliqué [48].
49Les travaux empiriques sur l’efficacité de tels dispositifs tendent à montrer que les entreprises ne font pas beaucoup plus de recherche que la recherche qui a été subventionnée (l’effet multiplicateur serait minime) [49]. Il existe de surcroît pour les plus grandes un effet d’aubaine. Enfin les grandes entreprises profitent plus que les petites du dispositif alors que ce sont les petites qui ont un problème d’accès au financement de la recherche. Peu d’études se sont penchées sur le calcul du bénéfice net social du dispositif : ceci consiste à inclure, d’une part, les bénéfices sociaux liés aux externalités de la recherche et, d’autre part, les coûts d’administration pour les autorités en charge de la politique et pour l’entreprise, ainsi que les pertes d’efficacité dues au besoin de percevoir des impôts pour financer les crédits d’impôt. L’étude récente de Mulkay et Mairesse (2013) estime que la réforme du CIR de 2008 augmentera à long terme le capital recherche de 12 %, ce qui correspond à un rapport de dépenses additionnelles de R&D sur dépenses fiscales qui n’est pas significativement inférieur à 1 et ne prend pas en compte les externalités de la recherche, que beaucoup d’études ont évaluées être bénéfiques [50].
Le modus operandi de l’intervention publique sur l’industrie
50Comment l’État peut-il intervenir en pratique pour corriger les échecs de coordination et de marché entravant un développement harmonieux de l’industrie entendue au sens large, c’est-à-dire intégrant les services à haute valeur ajoutée qui y sont liés ? On l’a dit, il ne s’agit pas seulement de créer un environnement favorable, et il vaut mieux éviter de soutenir certains secteurs que l’État aurait cru identifier comme porteurs (l’État n’a en la matière pas plus d’information que le secteur privé). Les politiques horizontales, souvent considérées comme seules compatibles avec les règles de la concurrence, ne sont probablement pas suffisantes ; les politiques verticales, quant à elles, courent le risque de favoriser ce qui existe et décline, de reproduire ce qui a été fait avec succès ailleurs, voire d’accorder un poids excessif à ce qui a les retombées les plus positives en termes d’image pour le décideur politique (la croissance verte, la voiture électrique).
51Dans une économie soumise à un environnement évolutif et très concurrentiel, la politique publique en faveur de l’industrie (au sens large) consiste à favoriser les restructurations et le dynamisme technologique. Les clusters peuvent être le bon niveau d’intervention publique ; non pas en tant que forme particulière de concentration de l’activité (s’il s’agit de concentrer l’activité, des infrastructures ou des réformes réglementaires favorisant la mobilité sont probablement des instruments plus directs), mais en tant que lieu de coordination des acteurs, là où le diagnostic d’un problème de coordination est fait. Le CIR, en dépit des critiques pouvant lui être adressées en termes d’effet d’aubaine et que nous avons rappelées, participe de cette logique de captation des segments à haute valeur ajoutée dans un environnement international non coopératif. La sous-tarification des équipements routiers pour les transporteurs est a contrario un exemple de politique indésirable, favorisant la localisation sur le territoire de centres de logistique. En effet, il s’agit d’attirer des emplois à haut revenu ayant de fortes retombées locales en termes de dépenses.
52L’autre dimension de cette nouvelle politique est d’aborder de front les éléments d’économie politique de l’intervention publique dans l’industrie. En premier lieu, où se trouve l’information nécessaire pour engager une politique ? Comment repérer les échecs de marché ? Comment identifier les segments de valeur stratégiques ? Comment identifier les territoires propices à la coordination des acteurs ? Comment repérer les entreprises auxquelles les fonds publics vont apporter un concours utile ? Si l’on fait l’hypothèse que le gouvernement ne dispose pas de cette information, cette dernière doit être remontée aux instances de décision. L’action en faveur de l’industrie commence par la remontée d’information vers les décideurs. Comme l’information est asymétrique, il en résulte un risque de capture. La création d’agences ou d’institutions financières publiques spécialisées ne règle pas complètement le problème en raison de la difficulté d’assurer l’indépendance de jugement de celles-ci. Le risque de capture de premier degré est bien celui-ci : aider ce qui est visible, car en difficulté ou suffisamment grand ou proche des élites dirigeantes pour être à leur écoute [51].
53En second lieu, comment gérer les échecs ? Par essence, l’activité entrepreneuriale connaît un fort taux d’échec. Il est donc nécessaire de savoir mettre fin aux (nécessairement nombreux) projets qui n’apportent pas les résultats escomptés, afin de pouvoir accentuer les efforts sur les quelques projets qui réussissent, et aussi bien sûr d’en lancer de nouveaux. Le secteur privé a cette capacité (ou ne l’a pas mais alors le marché le sanctionne) ; c’est moins le cas des décideurs publics en raison d’enjeux locaux interférant avec les décisions (les clusters sont par définition localisés). Nous avons là ce qui correspond à une capture de second degré : ce qui a démarré ne peut plus être stoppé.
54Constat 4. Lorsque la puissance publique intervient, notamment en s’appuyant sur des agences spécialisées, le risque de capture de premier niveau existe : les agences n’ont pas une information symétrique par rapport aux entreprises financées. Lorsque le financement est accordé à un projet ou une entreprise, le risque de capture de deuxième niveau est la difficulté à mettre un terme à ce soutien en raison de l’impact local en termes d’emploi, légitimement relayé par les élus locaux.
55L’analyse exhaustive des politiques industrielles mises en œuvre par d’autres pays dépasse le cadre de cette Note. Un exemple intéressant est celui de l’économie israélienne. La main visible de l’État est-elle la clé du succès industriel ? L’économie israélienne, pourtant l’une des plus jeunes parmi les pays industrialisés, affiche en effet un ratio R&D/PIB bien au-dessus de la moyenne de l’OCDE (4,3 % en 2010 comparé à 2,4 % pour l’OCDE) [52]. Les clés de succès de l’expérience israélienne reposent sur trois éléments :
- l’existence de projets de recherche, résultat d’une formation de pointe, de l’arrivée massive d’immigrants bien formés et de coopérations étroites entre les universités et le secteur privé ;
- une gouvernance basée sur des incubateurs financés à la fois par des fonds publics de durée limitée et des fonds privés, avec par conséquent une forte incitation à sélectionner des projets prometteurs ;
- un financement public sur base de capital-risque, alimenté en grande partie par des redevances et suffisamment flexible pour arrêter à temps des projets voués à l’échec.
56Retenons de cet exemple l’importance de la formation, de la gouvernance des interventions publiques, et du capital-risque en complément stratégique de l’intervention publique [53].
Conclusion
57Les pays industrialisés n’ont plus d’industrie, ou presque ; l’industrie vend des services ; les services sont une industrie ; les pays n’échangent plus seulement des biens entre eux, ce sont les entreprises multinationales qui échangent des tâches entre leurs filiales localisées dans différentes régions du monde ; les formidables gains de productivité dans les usines ont déplacé la valeur vers les bureaux d’études, vers les idées. Dans ces conditions, quelle politique économique devrait-on envisager pour soutenir ce que l’on appelle encore l’industrie mais qui relève en fait de l’agglomération dans des pôles de croissance d’activités à haute valeur ajoutée et fortes externalités, déversant de hauts revenus sur l’ensemble de l’économie ? La richesse se crée aujourd’hui dans des clusters de services et d’industries inscrits dans des chaînes de valeur globales. Il convient d’accepter cette réalité nouvelle, et d’inscrire la politique industrielle dans une gouvernance traitant sereinement les questions d’économie politique de l’intervention publique sur les entreprises.
Recommandations
58Recommandation 1. Repenser l’industrie et ne plus l’assimiler à la production de biens. Adapter le discours politique à favoriser les restructurations et le dynamisme technologique. Repenser les politiques de compétitivité en les focalisant sur la productivité et l’innovation dans les domaines à haute valeur ajoutée. Réduire en conséquence le périmètre des pôles de compétitivité et le recentrer sur les secteurs à haute valeur ajoutée.
59Recommandation 2. Investir dans la formation et favoriser la mobilité des ressources qui pourront s’agglomérer dans des pôles de croissance. Le réexamen de la législation sur les faillites va dans le même sens : augmenter la « fluidité » de l’économie française.
60Recommandation 3. Dans un contexte de politiques nationales non coopératives, il est souhaitable que l’État favorise les investissements en recherche et développement via le crédit d’impôt-recherche, les mécanismes d’aide directe comme l’ANVAR, le capital-risque ou les relais technologiques.
61Recommandation 4. Viser un juste milieu entre les besoins de protection de la propriété intellectuelle pour stimuler l’innovation et le partage maximal des connaissances qui pourraient être à la source des progrès technologiques futurs. Au niveau européen, lutter contre l’utilisation des brevets comme arme stratégique, telle que l’utilisation abusive d’enchevêtrements de brevets (« patent thickets ») ou la fragmentation des brevets, et promouvoir des critères stricts de brevetabilité empêchant autant que possible d’accorder des droits de monopole à des brevets de faible qualité.
62Recommandation 5. Combiner capital-risque privé et financements publics des projets. Éviter les prises de participation publiques au capital d’entreprises à chaque fois qu’un échec de marché en termes de financement n’est pas avéré.
63Recommandation 6. La politique industrielle doit impérativement s’inscrire dans une gouvernance stricte permettant en particulier de stopper des projets.
Notes
-
[a]
PSE (Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne) et CEPII, membre du CAE.
-
[b]
Université de Maastricht et UNU-MERIT (Pays-Bas), membre du CAE.
-
[c]
Directeur de Bruegel (Belgique), membre du CAE.
-
[1]
La note du Trésor intitulée « l’industrie : quels défis pour l’économie française » (février 2014) est une bonne illustration de ce schéma démonstratif.
-
[2]
Pour une analyse de l’évolution du secteur manufacturier aux États-Unis voir Bailey M.N. et B.P. Bosworth (2014) : « US Manufacturing : Understanding Its Past and Its Potential Future », Journal of Economic Perspectives, vol. 28, n° 1, pp. 3-26.
-
[3]
Voir Cheptea A., C. Emlinger, L. Fontagné, G. Orefice, O. Pindyuk et R. Stehrer (2014) : « The Development of EU and EU Member States External Competitiveness », Document de Travail du CEPII, n° 2014-06.
-
[4]
Eurostat : coût unitaire du travail, ensemble de l’économie.
-
[5]
Site de l’INSEE, rubrique « définitions et méthodes ».
-
[6]
Voir Crozet M. et E. Milet E. (2014a) : « Is Everybody in Services ? The Servitization of French Manufacturing Firms » in The Factory-Free Economy : What Next for the 21st Century ?, Fontagné et Harrison (eds), à paraître. Les auteurs utilisent les données des bénéfices réels normaux (BRN) collectées par la Direction générale des impôts pour parvenir à ce chiffrage.
-
[7]
Voir Grossman G.M. et E. Rossi-Hansberg (2008) : « Trading Tasks : A Simple Theory of Offshoring », American Economic Review, vol. 98, n° 5, pp. 1978-97.
-
[8]
La catégorie statistique américaine de « own brand importer-marketer » apparaissant dans le Wholesale Trade Survey correspond typiquement à des FGPs.
-
[9]
Voir Bernard A.B. et T.C. Fort Teresa (2014) : « Factoryless Goods Producers in the US » in The Factory-Free Economy : What Next for the 21st Century ?, Fontagné et Harrison (eds), à paraître. Le chiffre cité correspond au reclassement au sein de l’échantillon de l’enquête sur le commerce de gros aux États-Unis. L’extrapolation au secteur entier donne la borne haute de 1,9 million d’emplois en 2007.
-
[10]
Relevant de la Commission des Nations unies pour l’Europe.
-
[11]
Nations Unies (2013) : Progress Report of the Task Force on Global Production, n° ECE/CES/BUR/2013/FEB/17.
-
[12]
Voir Moretti E. (2013) : The New Geography of Jobs, Mariner Books.
-
[13]
Voir Imbs J. (2014) : « Structural Change in the OECD : Some Facts » in The Factory-Free Economy : What Next for the 21st Century ?, Fontagné et Harrison (eds), à paraître, pour une analyse sur l’ensemble des économies de l’OCDE et Veugelers R. (2013) : « Manufacturing Europe’s Future », Bruegel Blueprint, n° 21, pour une analyse de la situation dans l’Union européenne.
-
[14]
Le changement structurel se définit donc comme l’évolution des parts des secteurs dans la dépense globale.
-
[15]
Le niveau de vie a très exactement doublé en France de 1970 à 2011. Le niveau de vie se définit comme le revenu moyen d’un individu au sein d’un ménage dont le revenu déclaré au fisc est positif ou nul et qui n’est pas étudiant (cf. INSEE-DGI).
-
[16]
Voir Baumol W. (1967) : « Macroeconomics of Unbalanced Growth : The Anatomy of Urban Crisis », American Economic Review, vol. 57, n° 3, pp. 415-426.
-
[17]
Notons que les « exportations » (et « importations ») de services comprennent le tourisme (11 milliards d’euros d’excédent en 2012 sur excédent un total de 33 milliards) (cf OCDE).
-
[18]
Les 53 milliards de revenus entrants représentent en 2012 plus que la valeur ajoutée en France des industries agro-alimentaires et des industries de matériel de transport (cf. OCDE).
-
[19]
Naturellement, les entreprises étrangères localisées en France versent aussi à leurs maisons-mères des dividendes et des intérêts, mais le montant total est limité à 20 milliards d’euros en 2012. Une partie de cette somme (7 milliards) correspond aux intérêts payés par les entreprises françaises à leurs filiales étrangères dans le cadre des prêts intra-groupes (cf. OCDE).
-
[20]
Voir Koopman R., Z. Wang et S.J. Wei (2014) : « Tracing Value-Added and Double Counting in Gross Exports », American Economic Review, vol. 104, n° 2, pp. 459-494, Stehrer R. (2012) : « Trade in Value Added and the Value Added in Trade », WIIW Working Paper, n° 81 et Vicard V. et L. Le Saux (2013) : « Compétitivité-coût des exportations manufacturières et services incorporés », Note Banque de France, 4 octobre. Ces derniers montrent que les services incorporés dans les exportations manufacturières n’aggravent pas la différence de compétitivité-coût entre la France et Allemagne.
-
[21]
Voir Cheptea et al., op.cit.
-
[22]
Voir Cheptea et al., op. cit.
-
[23]
Cf. Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (2013) : L’état de l’enseignement supérieur et de la recherche en France, 6e édition.
-
[24]
Voir Bloom N., M. Schankerman et J. van Reenen (2013) : « Identifying Technology Spillovers and Product Market Rivalry », Econometrica, vol. 81, n° 4, pp. 1347-1393. Ces auteurs évaluent que les retombées externes de la R&D font que le taux de rendement social de la recherche est au moins le double du taux de rendement privé de la recherche.
-
[25]
Pour la période d’étude, le choix de commencer en 1970 est dicté par le souhait de bien prendre en compte l’effet du premier choc pétrolier sur l’industrie française qui a dû profondément se restructurer. Le choix de s’arrêter avant la crise de 2007 est dicté par une évidence : ne pas intégrer dans l’analyse une période où les évolutions sont surdéterminées par un choc violent et inédit sur l’industrie.
-
[26]
Voir Rowthorn R. et R. Ramaswamy (1997) : « Deindustrialization. Its Causes and Implications », IMF Economic Issues, n° 10.
-
[27]
Seule la crise récente a entraîné un recul de la production industrielle en termes absolus (voir supra).
-
[28]
Voir Demmou L. (2010) : « Le recul de l’emploi industriel en France entre 1980 et 2007. Ampleur et principaux déterminants : un état des lieux », Économie et Statistique, vol. 438, n° 1, pp. 73-296.
-
[29]
La somme des trois contributions n’est pas égale au total des pertes d’emploi, d’autres facteurs pouvant jouer. Un tel calcul de contenus en emploi étant critiquable pour des raisons méthodologiques, on peut préférer une approche économétrique. Toutefois les estimations sont imprécises ce qui conduit à des évaluations divergentes. Voir Demmou (2010) op. cit., Rowthorn R. et R. Ramaswamy (1998) : « Growth, Trade an Deindustrialization », IMF Working Paper, n° WP/98/60 et Boulhol H. et L. Fontagné (2006) : « De-Industrialisation and the Fear of Relocations in the Industry », CEPII Working Paper, n° 2006-07.
-
[30]
« Un secteur manufacturier européen dynamique et hautement compétitif peut apporter les ressources nécessaires et de nombreuses solutions aux défis sociétaux que l’UE doit relever […] », cf. Commission Européenne (2010) : Une politique industrielle intégrée à l’ère de la mondialisation. Mettre la compétitivité et le développement durable sur le devant de la scène, Communication de la Commission européenne, COM(2010) 614, p. 4).
-
[31]
« Étant donné que tous les secteurs sont importants, la Commission maintiendra une approche ciblée à leur égard. Des initiatives spécifiques pourraient être engagées pour certains types de secteurs […] », cf. Commission Européenne (2010), op. cit., p. 28. Les secteurs visés sont l’aérospatial, les biens environnementaux, la santé, la sécurité, les secteurs intensifs en énergie exposés à la concurrence internationale.
-
[32]
Voir Commission Européenne (2012) : Une industrie européenne plus forte au service de la croissance et de la relance économique, Communication de la Commission Européenne, COM(2012) 582.
-
[33]
Voir le site Knowledge 4 Development, rubrique « New industrial policy », de la Banque mondiale.
-
[34]
La politique de clusters est mentionnée dans la communication de la Commission européenne, mais en rapport avec sa politique régionale.
-
[35]
Voir Fitjar R.D. et A. Rodríguez-Pose (2011) : « When Local Interaction Does Not Suffice : Sources of Firm Innovation in Urban Norway », Environment and Planning, n° 43, pp. 1248-1267.
-
[36]
Les secteurs se réfèrent à la Nomenclature d’activités française (rév. 2, 2008) – niveau 3 (INSEE).
-
[37]
Voir Duranton G., P. Martin, T. Mayer et F. Mayneris (2010) : The Economics of Clusters, Lessons from the French Experience, Oxford University Press.
-
[38]
Voir Fontagné L., P. Koenig, F. Mayneris et S. Poncet (2013) : « Cluster Policies and Firm Selection : Evidence from France », Journal of Regional Science, vol. 53, n° 5, pp. 354-374.
-
[39]
Voir Arque-Castells P. (2012) : « How Venture Capitalists Spur Invention in Spain : Evidence from Patent Trajectories », Research Policy, n° 41, pp. 897-912.
-
[40]
Appelé Fonds de développement économique et social à sa création en 1948.
- [41]
-
[42]
Le montant total des encours de crédits aux entreprises non financières de taille intermédiaire s’élève à 273 milliards en octobre 2013 (cf. données statistiques de la Banque de France).
-
[43]
Nous rappelons que le fonds de résistance vise les ETI et non les PME.
-
[44]
Cf. OCDE (2013) : « Recent Trends in SME and Entrepreneurship Finance » in Financing SMEs and Entrepreneurs, http://www.oecd.org/cfe/smes/Scoreboard_2013_extract_chapter2.pdf
-
[45]
Cf. Banque Centrale Européenne (2013) : Survey on the Access to Finance of Small and Medium-Sized Enterprises in the Euro Area, http://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/other/accesstofinancesmallmedium sizedenterprises201311en.pdf
-
[46]
La Banque de France, en révélant une hausse des demandes de nouveaux crédits des ETI et une amélioration de leur taux d’obtention en 2013, dépeint une situation plus contrastée, voir Banque de France (2013) : « Enquête trimestrielle auprès des PME et ETI sur leur accès au crédit en France », Stat Info, 3e trimestre.
-
[47]
Voir Cabannes P-Y., V. Cottet, Y. Dubois et M. Sicsic (2013) : « Les ajustements des entreprises françaises pendant la crise de 2008-2009 » in L’économie française 2013, INSEE (ed.) et Kremp E. et P. Sevestre (2013) : « Did the Crisis Induce Credit Rationing for French SMEs ? », Document de Travail de la Banque de France, n° 405.
-
[48]
Ernst & Young (2013) : L’efficacité des aides publiques aux entreprises : quelles priorités pour la compétitivité française.
-
[49]
Voir Ientile D. et J. Mairesse (2009) : « A Policy to Boost the R&D : Does the Tax Credit Work ? », European Investment Bank Paper, vol. 14, n° 1.
-
[50]
Voir Mulkay B. et J. Mairesse (2013) : « The R&D Tax Credit in France : Assessment and ex ante Evaluation of the 2008 Reform », NBER Working Paper, n° 19073. L’existence l’un multiplicateur inférieur à l’unité confirme les résultats obtenus pour les Pays-Bas. Voir Lokshin B. et P. Mohnen (2012) : « How Effective are Level-Based R&D Tax Credits ? Evidence from the Netherlands », Applied Economics, vol. 44, n° 12, pp. 1527-1538 et Mohnen P. et B. Lokshin (2010) : « What Does it Take for an R&D Tax Incentive Policy to be Effective ? » in Reforming Rules and Regulations : Laws, Institutions and Implementation, Vivek Ghosal (ed.), MIT Press, pp. 33-58.
-
[51]
Dans Kramarz F. et D. Thesmar (2013) :« Social network In the Boardroom », Journal of the European Economic Association, vol. 11, n° 4, p. 780-807, les auteurs confirment économétriquement le rôle des réseaux dans la nomination des équipes dirigeantes et la sous-performance des structures cédant plus à cette inclination.
- [52]
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[53]
Voir Carpentier C. et J-M. Suret (2004) : « Création et financement des entreprises technologiques : les leçons du modèle israélien », Cahier de Recherche CIRANO, n° 2004RP-20.