1 C’est un recueil déjà ancien qui nous est parvenu, puisqu’Un temps pareil de Matthieu Freyheit est paru en 2019 aux Éditions de La Crypte. Il n’aura cependant pas fallu plus d’une ou deux pages pour qu’il nous happe.
2 Ce ne sont pas seulement les toponymes du Nord et du Pas-de-Calais, ou encore la présence obsédante de Lille dans le texte, de ses lieux, de ses rues si familiers pour nous qui ont retenu notre attention. Non, c’est une écriture dans laquelle un corps tout entier est engagé, qui nous a embarqué dans son rythme, sur son souffle. L’anaphore, la reprise insistante à l’échelle de la page ou de la séquence qui forme un long poème – il y en a trois dans le recueil, respectivement intitulés « ici comète » ; « là planète » et « espace présent » – et même à l’échelle du livre structurent une écriture qui exprime la passion, celle d’un être pour un autre être, d’un corps pour un autre corps, de corps unis dans un monde qui les englobe sans les absorber.
3 « Je suis comme les chiens et j’avance la tête pour que tu me la grattes/ parce qu’alors tes doigts lâchent le monde entier/ rien que pour mon bonheur/ que pour ma tête à moi/ ma tête qui retrouve/ les dimensions du ciel » (p. 16). Aussi l’écriture abouche-t-elle le sujet avec plus grand que lui : « parce que pour qu’un ventre puisse rester un ventre/ et que pour qu’une vie puisse rester une vie/ il faut que cela grogne/ et avale du temps/ et s’en fasse son plat/ il faut que cela vide/ et prenne ce qu’il faut/ et provoque des manques » (p. 28).
4 Le sujet poétique s’inscrit donc dans le devenir du monde : « Comme il y a toujours en moi le dinosaure/ qui regarde le monde et qui mélancolise/ et de ses grosses pattes voudrait n’écraser rien/ mais sait que tôt ou tard la terre se soulève et les océans montent/ […] » (p. 61). Il est du monde et participe des lieux. « Hypergéographique j’interpelle les terres » (p. 28), écrit Matthieu Freyheit qui, ailleurs, parle de « nos corps météorologiques » (p. 33) et qui affirme que « […] dans le temps il y a tous les temps/ il fait que ça s’emmêle/ et que dans un moment/ ça s’empare de tout » (p. 32).
5 Poème de la passion, Un temps pareil se nourrit évidemment du désir et du manque : « nous sommes beaux inachevés/ nous sommes beaux inassouvis » (p. 20). Pris dans un même mouvement, ce mouvement qui est la vie, les corps et les lieux demandent, réclament, aspirent et espèrent à l’unisson des battements du vers : « alors tu comprendras pourquoi Lille remue/ et qu’il me faut ta bouche pour remuer ma bouche » (p. 38).
6 « Et pourquoi faudrait-il/ avoir honte d’avoir autant de vie que ça », demande le poète à quelques lignes de la fin du recueil (p. 83), résumant et justifiant cette écriture poétique qui pousse, bouscule, déborde, va de l’avant, accordée au rythme du monde « comme les cormorans qui rendent noire la mer/ et qui font noir le ciel/ et savent que ça souffle/ et que de tout là-haut viennent d’autres grands vents/ jusqu’à faire du corps/ le monde tout entier » (p. 84).