Couverture de NEG_027

Article de revue

Justice climatique et négociations internationales

Pages 7 à 22

Notes

  • [1]
    Adresse de courriel : Michel.Bourban@gmail.com
  • [2]
    Sur les dangers de la géo-ingénierie, voir Gardiner, 2011 : 339-396.
  • [3]
    Pour plus de détails, nous renvoyons au rapport, notamment au graphique en p. 14.

1Les contributions philosophiques se sont multipliées sur la question du changement climatique à partir du début des années 2000, conjointement à la montée en force de cette thématique dans les cercles scientifiques, politiques et économiques. La justice climatique est désormais un véritable champ de recherche, qui vise notamment à énoncer et appliquer des principes de justice, c’est-à-dire des critères normatifs servant à guider les politiques climatiques.

2Bien que ces développements aient permis de mettre en évidence une série d’injustices climatiques causées par les émissions anthropiques de gaz à effet de serre, les philosophes qui se préoccupent des réformes institutionnelles concrètes permettant de promouvoir la justice climatique dans le cadre des négociations internationales sont encore peu nombreux. L’urgence de la situation devrait cependant nous pousser à envisager des solutions justes et faisables. C’est l’objectif de cet article.

3Si les théoriciens de la justice climatique devraient davantage être préoccupés par les contraintes de faisabilités posées par les institutions et les normes qui régulent actuellement la lutte internationale contre le changement climatique, il importe également que les acteurs politiques et les chercheurs en relations internationales reconnaissent que les négociations climatiques ne peuvent échapper à certaines questions de justice. Les notions d’« équité », de « responsabilité » et de « capacités » qui structurent les négociations internationales sur le climat depuis deux décennies ont une dimension normative, et tant les acteurs politiques que les observateurs de ces négociations devraient assumer cette part de normativité. Comme Stefan Aykut et Amy Dahan (2015 : 283) le soulignent en effet, « les questions d’équité et de justice climatique sont « aujourd’hui plus que jamais » au cœur des négociations climatiques ».

4Nous commençons par présenter les réactions des philosophes au protocole de Kyoto et à l’accord de Copenhague. Nous examinons ensuite l’accord de Paris en nous centrant sur la question de la réduction des émissions de gaz à effet de serre et en nous demandant si ce texte peut aider à mettre fin à l’inertie politique actuelle. Enfin, nous élaborons un cadre normatif permettant d’évaluer le degré d’équité des engagements des différents pays en expliquant pour quelles raisons cette proposition est institutionnellement possible. L’objectif est de montrer que malgré les imperfections du régime climatique, il existe des dynamiques prometteuses, qui ne porteront leurs fruits que si les négociateurs reconnaissent que changement climatique et justice climatique sont indissociables.

1 – Les philosophes face au régime climatique

5Les négociations internationales sur le climat sont encadrées par une structure complexe de normes et d’institutions qui ont évolué pendant plus de deux décennies. Les spécialistes des négociations internationales désignent ce cadre sous le nom de « régime climatique » (Pickering et al., 2012 ; Rajamani, 2013). Bien que cette notion soit à la croisée d’univers disciplinaires et épistémiques distincts, elle est d’abord issue de l’étude des relations internationales, où elle sert à désigner des arrangements politiques comme les accords, les normes juridiques et les organisations internationales qui structurent l’échiquier international (Aykut et Dahan, 2015 : 63). Parmi les nombreux régimes existants figurent par exemple celui de l’énergie, celui du développement et celui du commerce international. À quelles réalités cette notion renvoie-t-elle dans le cas qui nous intéresse ?

6Le régime climatique onusien est un système international régulé par des normes et composé par des institutions dont l’objectif est de promouvoir la coopération entre les États dans le cadre de la lutte contre le changement climatique. L’idée de régime renvoie ici non seulement aux structures juridiques et politiques, mais également aux modes de production des savoirs scientifiques : tant dans la construction que dans le fonctionnement du régime climatique, la politique et la science interagissent. Le régime climatique comprend la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), rédigée en 1992 et entrée en vigueur en 1994 ; les conférences des parties (COP), qui ont commencé en 1995 à Berlin (COP1) et dont la dernière a eu lieu à Marrakech en 2016 (COP22) ; enfin les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dont le premier a été publié en 1990 et le dernier en 2013/2014. Au fil de ses deux décennies d’existence, ce régime s’est articulé autour de trois éléments principaux (Aykut et Dahan, 2015 : 66) : un processus politique et une expertise scientifique séparés, mais étroitement liés ; une stratégie descendante (top-down) de partage du fardeau avec des chiffres de réduction, qui a progressivement laissé place à une approche ascendante (bottom-up) d’engagements nationaux volontaires ; et une distinction entre pays industrialisés et pays en développement, d’abord très nette, mais qui tend désormais à se brouiller.

7Le protocole de Kyoto, adopté en 1997 et entré en vigueur en 2005, est reconnu par ses défenseurs comme un événement historique du droit environnemental international. Margo Wallström, commissaire européenne à l’environnement, déclarait par exemple : « Nous pouvons désormais rentrer à la maison et regarder nos enfants dans les yeux en étant fiers de ce que nous avons accompli » (citée dans Gardiner, 2011 : 77). Le protocole de Kyoto a également été accueilli favorablement par certains philosophes comme Peter Singer (2004 : 26), pour qui ce document est « un premier pas » des membres de la CCNUCC vers des politiques climatiques équitables et efficaces.

8Pourtant, la plupart des philosophes qui s’intéressent au changement climatique ne partagent pas cet enthousiasme. Pour Henry Shue (2014 : 220), ce protocole est simplement « un moyen pour les États riches d’économiser de l’argent » en compensant leurs émissions par des achats de crédits carbone. En garantissant que « la technologie fonctionnant aux combustibles fossiles sera utilisée jusqu’à ce que la totalité des énergies fossiles soit épuisée », le protocole de Kyoto repousse à une date ultérieure la transition énergétique nécessaire pour lutter efficacement contre le changement climatique. Ce protocole représente en réalité un « héritage dangereux » pour les générations à venir.

9Stephen Gardiner (2011 : 128-140) ajoute que le protocole de Kyoto n’est qu’« une fausse solution », une initiative qui créée l’illusion dangereuse que la société internationale progresse alors qu’elle ne fait que différer l’action. Le fait que les émissions mondiales aient augmenté de plus de 60 % entre le Sommet de la Terre à Rio en 1992 et la Conférence de Paris en 2015 (Laurent, 2015 : 40) montre l’échec des dispositifs politiques mis en place pendant cette période.

10L’accord de Copenhague n’a guère été reçu avec plus d’enthousiasme. Et pour cause : c’est un texte minimaliste ne contenant aucun engagement chiffré d’objectifs de réduction, aucun mécanisme contraignant et aucune mesure de vérification. Gardiner (2011 : 9) voit dans le sommet danois un « désastre géopolitique ». Au mieux, ces négociations ont pour lui « seulement cherché à faire des efforts limités permettant de protéger les intérêts, définis étroitement, de la génération présente ». Au pire, « Elles ont simplement servi comme couverture pour maintenir le statu quo » (p. 128).

11Dale Jamieson (2014 : 227) est plus radical. Le rêve du Sommet de la Terre, écrit-il, était que les États développés, motivés au moins partiellement par un souci de justice, prendraient des engagements contraignants et ambitieux tout en aidant les autres pays dans leurs politiques climatiques. « À la place, nous nous sommes réveillés dans un monde de “promesse et vérification”. » Lors du rendez-vous danois, il constate que les négociateurs semblaient moins préoccupés par la recherche d’un accord fondé sur une conception partagée de la justice que par la mise en œuvre d’un ensemble hétérogène de pratiques adoptées par des pays poursuivant différents objectifs. Aussi, « [l]a diplomatie climatique deviendra de plus en plus un exercice de zombies. Le corps et la bouche continueront de s’agiter, mais l’action aura lieu ailleurs. » (Jamieson, 2014 : 59)

12Héritage dangereux, fausses solutions, désastre géopolitique, exercice de zombies : tels sont les termes forts utilisés par les théoriciens de la justice climatique pour caractériser deux décennies de négociations climatiques. Andrew Light (2013 : 35), un philosophe qui participe activement depuis de nombreuses années aux négociations climatiques, vient nuancer cette critique en partant des résultats les plus récents du régime climatique. Puisqu’« un nouveau traité est aux prises avec une combinaison délicate de considérations philosophiques et politiques », les chercheurs de différentes disciplines ont aujourd’hui la possibilité de joindre leurs efforts pour « chercher à produire une notion plus flexible, moins abstraite de l’équité climatique qui réinterprète les [responsabilités communes mais différenciées] et qui pourrait être utilisée dans un nouveau traité ». La plateforme de Durban et son aboutissement, l’accord de Paris, représentent en effet, dit-il, « une grande opportunité pour des philosophes et des experts en politique plus engagés publiquement de jouer un rôle dans la conception d’un nouveau régime climatique international ». C’est également ce que nous souhaitons montrer.

2 – L’accord de Paris

13Les grandes orientations posées par l’accord de Paris ont été déterminées par les sommets qui l’ont précédé. Si plusieurs pays n’ont pas signé l’accord de Copenhague, les accords de Cancun, qui ont intégré la majeure partie du résultat de la conférence de Copenhague, ont quasiment obtenu l’unanimité une année plus tard. Ce nouveau processus a été solidifié lors des rendez-vous successifs à Durban, à Doha, à Varsovie et à Lima. Ce sont principalement les États-Unis et la Chine (le « G2 »), avec le soutien actif des autres membres du BASIC (Brésil, Afrique du Sud, Inde, Chine), qui ont donné une nouvelle orientation aux négociations climatiques. Dès la conclusion de la COP20 à Lima, le cadre commun et les lignes directrices pour les négociations de 2015 ont été fixés par l’« Appel de Lima à l’action ».

14L’accord de Paris marque un double tournant dans le régime climatique (Damian et al., 2015). D’un côté, il représente le premier accord climatique signé par toutes les parties participant à la CCNUCC. Il s’agit d’un accord-cadre, appelé à durer, avec un examen périodique de ce qui a été promis et réalisé. D’un autre côté, il tourne le dos à l’architecture par le haut (top-down) du protocole de Kyoto, adoptant une approche par le bas (bottom-up) dans laquelle les pays soumettent des propositions de réductions volontaires. Les cibles absolues de réduction des émissions mondiales sont remplacées par des contributions nationalement déterminées (les nationally determined contributions ; désormais : NDC). Certes, l’accord de Paris a le statut juridique d’un traité international qui créé des obligations légales pour tous les pays qui ont accepté de le signer et de le ratifier ; cependant, le degré d’ambition des NDC et le respect de leur contenu ne sont pas légalement contraignants (Bodansky, 2016).

15Quel est l’objectif central de ce nouvel accord ? Tout au long de la COP21, des discussions serrées ont eu lieu sur la question de l’ambition du texte. Les pays en développement, notamment les petits États insulaires, et la société civile, notamment les réseaux d’ONG comme Climate Action Network, souhaitaient fixer la limite absolue à 1,5 °C de réchauffement total. Les pays développés comme les États-Unis et les pays exportateurs de pétrole, notamment l’Arabie Saoudite, ont plutôt cherché à maintenir la barre des 2 °C. La version finale du texte tranche ainsi : les pays visent à contenir « l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels », tout en « poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels » (art. 2.1). Tandis que l’accord de Copenhague laisse entendre que limiter le réchauffement global sous la barre des 2 °C permet de remplir l’objectif ultime de la CCNUCC, l’accord de Paris montre qu’il est tout à fait envisageable qu’un réchauffement global qui dépasse les 1,5 °C puisse déjà être considéré comme une perturbation anthropique dangereuse du système climatique.

16Mais il ne suffit pas de mentionner cet objectif : il faut également préciser comment y parvenir. C’est la tâche, notamment, des NDC. Pour les auteurs d’un rapport récent du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE, 2015), « les [NDC] témoignent d’une réelle élévation des ambitions par rapport aux prévisions des politiques actuelles », faisant de l’année 2015 « un tournant dans les efforts mondiaux visant à rendre plus durable le paradigme de développement économique et social dominant ». Ban Ki-Moon, le secrétaire général de l’ONU, a affirmé, dans une formule qui ressemble étrangement à celle de Wallström : « Aujourd’hui, nous pouvons regarder dans les yeux nos enfants, nos petits enfants et nous pouvons enfin leur dire que nous avons joint nos mains pour léguer un monde plus habitable pour eux et pour les générations futures » (TV5 Monde, 2015).

17Qu’impliquent réellement ces NDC ? Les engagements adoptés à Paris se remarquent avant tout par leur degré d’hétérogénéité. Si la Suisse a annoncé 50 % de réduction de ses émissions d’ici 2030 par rapport à 1990, les États-Unis ont proposé une réduction de leurs émissions de 26 à 28 % d’ici 2025 par rapport à l’année 2005, alors que la Chine a annoncé une réduction de 60 à 65 % de ses émissions de CO2 par unité de PIB d’ici 2030 par rapport à 2005 pour parvenir à un pic d’émissions de CO2 d’ici 2030. Le Canada s’est contenté de s’engager à une réduction de ses émissions de 30 % d’ici 2030 par rapport à 2005, et les Australiens, encore moins ambitieux, visent une réduction de leurs émissions de 26 à 28 % d’ici 2030 par rapport à 2005.

18Outre leur hétérogénéité, ces engagements semblent caractérisés par leur généralité et leur minimalisme. D’un côté, la plupart des pays n’entrent pas dans les détails sur la manière dont ils atteindront leurs objectifs. Aucun ne prend par exemple au sérieux l’impératif de passer rapidement à un système énergétique décarboné. D’un autre côté, les engagements pris par de nombreux pays sont minimalistes, comme le souligne Jean-Paul Maréchal (2015) dans son analyse des engagements américains et chinois. En outre, il existe un large écart entre les contributions proposées par les pays et les mesures de réduction nécessaires pour respecter l’article 2.1. Si toutes les NDC proposées sont honorées, le réchauffement global devrait en effet atteindre entre 2,7 °C (Climate Action Tracker, 2015) et 3,5 °C (Climate Interactive, 2015) de réchauffement total d’ici 2100. Si des points de basculement étaient dépassés dans le système climatique, le réchauffement global à l’horizon 2100 pourrait même être nettement plus élevé (Hansen et al., 2013 ; Rockström et al., 2016).

19Conscients de l’insuffisance de leurs engagements, les États ont décidé de mettre en place un cycle de renouvellement de leur NDC tous les cinq ans (art. 4.9). Les pays membres devront régulièrement revoir l’ambition de leurs contributions à la hausse, ce qui leur permettra de se rapprocher de l’objectif général. Si ce cycle de renouvellement est une force de l’accord signé à Paris, l’absence de mention d’une date précise pour le pic des émissions mondiales vient limiter son efficacité. Des versions antérieures du texte retenaient un objectif de baisse des émissions mondiales de 40 % à 70 %, et même de 70 % à 90 % d’ici à 2050, ce qui respectait les recommandations du GIEC.

20Ces objectifs, jugés trop contraignants par les mêmes pays qui ont milité pour le maintien de la limite des 2 °C, ont été remplacés par l’affirmation suivante : les États « cherchent à parvenir au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais » (art. 4.1). Comme à Copenhague, aucun objectif chiffré de réduction des émissions mondiales n’est précisé. Seul élément de clarification : il s’agit de « parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre au cours de la deuxième moitié du siècle » (art. 4.1). Comme dans le protocole de Kyoto, les émissions anthropiques de gaz à effet de serre peuvent continuer à augmenter, pour peu qu’elles soient compensées. En insistant dès le préambule, puis dans l’article 5.1, sur « l’importance de la conservation et, le cas échéant, [sur] le renforcement des puits et réservoirs des gaz à effet de serre », les pays montrent que leur but est moins la réduction rapide des émissions mondiales passant par une transition énergétique, qu’un équilibre entre les émissions anthropiques et les puits naturels de carbone. Ils ouvrent ainsi la porte des négociations à des propositions de géo-ingénierie, un ensemble de dispositifs technologiques visant à atténuer les impacts du changement climatique par une manipulation intentionnelle du système climatique visant notamment à renforcer les puits de carbone. Or, nombre d’analystes redoutent et refusent les technologies de la géo-ingénierie en raison de leur dangerosité [2].

21Sur quelle base les NDC doivent-elles être soumises ? « Le présent accord sera appliqué conformément à l’équité et au principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, eu égard aux contextes nationaux différents » (art. 2.2).

22Nous reviendrons sur la signification de ces normes ouvertes à interprétation, mais nous pouvons déjà préciser ici quelques points. L’« équité » renvoie à la manière dont les négociateurs se représentent ce qui est juste pour leur pays, aux mesures de lutte contre le changement climatique qu’ils perçoivent comme justifiées eu égard à leurs circonstances propres (ou à leur « contexte national »). Certains pays ont des émissions historiques et présentes plus élevées que d’autres ; certains sont plus avancés que d’autres dans leur développement économique et humain ; certains sont préoccupés en priorité par l’éradication de la pauvreté qui persiste sur leur territoire ; etc. C’est pour cela que les « responsabilités » sont « communes mais différenciées » : tous les pays participent à l’effort international de lutte contre le changement climatique, mais tous ne doivent pas y contribuer également. La contribution de chaque pays dépend de son degré de responsabilité causale et de ses capacités financières et technologiques. L’équité, la responsabilité des pays dans leur contribution au changement climatique et leur capacité à financer les politiques climatiques sont les principes normatifs fondamentaux qui structurent le régime climatique depuis vingt ans, et ils jouent un rôle central dans l’accord de Paris.

23Dans son préambule, un paragraphe vient renforcer ces considérations normatives en traitant du respect des droits de l’homme, de l’égalité des sexes et de l’équité entre les générations. La portée de ces considérations est réduite : le texte se contente de stipuler que les États « devraient » (should), et non pas « doivent » (shall), respecter ces devoirs moraux, ce qui les rend non-contraignants. Les États notent également, toujours dans le préambule, « l’importance pour certaines [cultures] de la notion de “justice climatique”, dans l’action menée face aux changements climatiques ». À nouveau, la portée de ces considérations est limitée : elles ne valent que pour certaines cultures, non universellement ; et il ne faut en tenir compte que dans la mise en œuvre des politiques climatiques, alors que le changement climatique soulève par lui-même des problèmes de justice.

24Le bilan de cette lecture ciblée de l’accord de Paris est donc mitigé. D’un côté, il représente le premier accord universel sur le climat. Quelques années après l’échec de Copenhague, peu de personnes étaient prêtes à parier qu’un tel accomplissement soit possible. Les notions de justice climatique et d’équité entre les générations sont prises en compte, le rôle de leadership climatique des pays développés est mentionné à deux reprises, et les principes de l’équité et des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives sont mentionnés à quatre reprises, ce qui illustre leur importance. Cependant, aucun dispositif concret n’est proposé pour atteindre l’objectif central, et les engagements actuels des pays nous mettent sur la trajectoire d’un monde à environ 3 °C de réchauffement d’ici 2100. Si les pays ne respectaient pas leurs engagements, ce chiffre pourrait être largement plus élevé, un scénario loin d’être absurde en l’absence de mécanismes de contrainte et de sanction.

25Plus généralement, l’un des enseignements majeurs que l’on peut tirer des sommets de Kyoto, de Copenhague et de Paris est que beaucoup de pays très influents dans le processus de négociation sont moins concernés par la lutte contre le changement climatique que par l’approvisionnement continu et bon marché en énergies fossiles (Aykut et Dahan, 2015 : 430-433). Au fil de ses deux décennies d’existence, la géopolitique du climat est en grande partie devenue une géopolitique de l’énergie dominée par des acteurs politiques et économiques décidés à protéger les bénéfices qu’ils tirent du charbon, du pétrole et du gaz. Aussi, des pays comme les États-Unis, la Russie et l’Arabie Saoudite ont bloqué ou ralenti les progrès effectués dans la coopération internationale. Comme l’absence de toute référence aux énergies fossiles dans l’accord de Paris l’atteste, la COP21 n’a pas fait exception de ce point de vue. Comment débloquer la situation ?

3 – Une proposition de réforme du régime climatique

26Depuis le commencement des négociations internationales sur le climat dans le début des années 1990, un écart s’est progressivement creusé entre l’ambition des politiques climatiques conçues par les négociateurs et les exigences des principes de la justice formulés par les philosophes. Il existe effectivement un véritable « schisme » entre l’action politique internationale mise en œuvre jusqu’ici et les mesures nécessaires pour ralentir un changement climatique qui ne cesse d’empirer (Aykut et Dahan, 2015 : 399-437).

27Nous proposons ici une piste permettant de réduire cet écart. Elle permet de reconnaître la dimension inévitablement normative des choix des preneurs de décision politique (notamment en matière de justice distributive) et de prendre en compte le champ des possibles afin de proposer des politiques faisables. Une proposition juste et faisable doit tenir compte des contraintes politiques posées par les institutions en vigueur tout en expliquant les moyens permettant d’effectuer la transition entre l’état actuel des choses et une situation plus juste. C’est pour cela que nous proposons une réforme institutionnelle qui tient compte de la structure et du fonctionnement du régime climatique international.

28Notre proposition est d’introduire dans le régime climatique un cadre normatif permettant d’évaluer le degré d’équité des NDC. Il ne s’agit pas de proposer une définition rigide des principes de justice climatique ; l’objectif est d’élaborer un cadre normatif ouvert mais robuste dans lequel les NDC doivent s’inscrire si elles veulent respecter les prescriptions de la justice climatique. Grâce au cycle des cinq années instauré par l’accord de Paris, les engagements nationaux ne vont cesser d’être modifiés, comparés et évalués, l’objectif général étant de revoir à la hausse leur degré d’ambition. Un des enjeux majeurs des négociations internationales à venir sera de redéfinir « les règles et principes qui permettront de coordonner ces actions nationales, pour éviter qu’elles soient trop disparates et trop peu ambitieuses » (Aubertin et al., 2015 : 4). Pour être davantage qu’une confrontation entre différentes opinions divergentes et irréconciliables, cette discussion doit suivre un modèle transparent fondé sur les principes fondamentaux que les États se sont engagés à respecter.

29Un critère fondamental de faisabilité est d’obtenir un degré de comptabilité suffisamment élevé avec les institutions politiques existantes. Étant donné que la norme dite « des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives » représente la pierre angulaire du régime climatique, il convient de la prendre comme point de départ et de montrer ce qu’elle prescrit concrètement. Comme l’article 4.3 de l’accord de Paris le souligne, « [l]a contribution déterminée au niveau national suivante de chaque partie représentera une progression par rapport à la contribution déterminée au niveau national antérieure et correspondra à son niveau d’ambition le plus élevé possible, compte tenu de ses responsabilités communes mais différenciées et de ses capacités respectives, eu égard aux contextes nationaux différents ». Comment interpréter ce principe de justice distributive et comment l’utiliser pour rendre les futures NDC plus ambitieuses?

30Dans un rapport publié quelques semaines avant la COP21, Climate equity reference project (2015) a développé un indice permettant d’opérationnaliser la norme dite « des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives » en ayant recours à différents indicateurs. Pour augmenter les chances que cet indice de responsabilité-capacité soit utilisé dans les négociations climatiques, ce groupe de recherche académique a développé un calculateur d’équité permettant d’entrer différents indicateurs pour prendre en compte les différentes conceptions nationales de la responsabilité et de la capacité. Si la responsabilité correspond à la contribution respective de chaque pays au changement climatique, la capacité renvoie à l’aptitude, notamment financière, des pays à contribuer à la lutte contre le changement climatique. Comment traduire concrètement ces notions normatives ?

31Le calculateur d’équité propose différents réglages permettant de faire varier le degré de responsabilité et de capacité des différents pays, dressant un « spectre d’équité » (equity range) qui oscille entre des paramètres plus ou moins exigeants. L’interprétation des différents paramètres reste ouverte, le but étant de permettre à chaque pays d’établir la part de l’effort international de réduction qui lui revient de droit. S’il s’agit là d’un jugement politique, il ne peut échapper à des considérations éthiques ; et le cadre normatif sert à guider les pays dans la détermination de leur conception de la responsabilité et de la capacité.

32Le rapport du Climate equity reference project fixe trois repères pour évaluer la responsabilité et la capacité des différents pays. Si divers indicateurs sont possibles, les auteurs utilisent les émissions nationales pour mesurer la responsabilité, et les revenus per capita pour mesurer la capacité, en prenant en compte un seuil de développement en-dessous duquel les personnes sont exclues du calcul. Le paramètre d’équité élevée prend en compte les émissions nationales cumulées depuis 1850 pour calculer la responsabilité et fixe le seuil de développement à 7 500 dollars de revenu par tête et par année pour établir la capacité ; le paramètre d’équité moyenne fait remonter la responsabilité à 1950 et fixe la capacité à 7 500 dollars ; le paramètre d’équité faible fait commencer la responsabilité à 1990 et la capacité à 2 500 dollars. En se focalisant sur une dizaine de cas pour évaluer l’équité des NDC proposées à ce jour, qu’est-ce que ce calcul nous apprend sur la position des pays par rapport à l’effort global qu’ils se sont engagés à fournir en acceptant le principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives [3] ?

33Premièrement, les NDC des pays développés pris en compte sont largement inférieures à la part équitable de l’effort qui leur revient, quel que soit le paramètre d’équité que l’on choisisse. Les NDC des États-Unis et de l’UE représentent en moyenne un cinquième de la part équitable qui leur reviendrait en fonction de leur contribution au changement climatique et de leur capacité à lutter contre ce problème ; celle du Japon, environ un dixième ; et l’engagement de la Russie n’équivaut à aucune contribution, le NDC de ce pays étant équivalente aux projections d’émissions nationales sans déploiement de nouvelles politiques climatiques.

34Deuxièmement, certains pays émergents comme la Chine, l’Inde, et le Brésil, et des pays en développement comme le Kenya, les Îles Marshall, et l’Indonésie ont des engagements qui entrent dans le spectre de l’équité, voire qui le dépassent : leur NDC tend à respecter la norme des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives. En même temps, en raison des degrés inégaux d’industrialisation, le potentiel de réduction des émissions nationales des pays émergents et des pays en développement dépasse leur part équitable de l’effort de réduction mondiale, tandis que la part équitable de l’effort de réduction des pays développés dépasse leur potentiel de réduction, même avec des mesures nationales très ambitieuses.

35Pour cette raison, outre les politiques domestiques de réduction, les pays développés devraient aider les autres pays à mettre en œuvre leurs politiques de réduction. Il s’agit du troisième résultat principal du rapport. Le fardeau lié à la réduction des émissions mondiales pour les pays qui ont le plus de responsabilité et de capacité comprend à la fois les politiques nationales et le support financier et technologique à fournir aux autres États. Des pays comme les États-Unis et les membres de l’Union Européenne devraient contribuer à l’aide internationale à la réduction des émissions mondiales ; des pays comme la Chine et l’Inde en sont les bénéficiaires légitimes. Les efforts domestiques et internationaux varient toujours en fonction des paramètres de l’équité choisis, mais chaque paramètre prévoit une aide internationale conséquente.

36Certains pays ont déjà soumis des NDC conditionnelles, c’est-à-dire des engagements additionnels qu’ils s’engagent à honorer, à condition qu’une aide financière et technologique leur soit accordée. Si ce type d’engagement venait à se généraliser lors des cycles de réévaluation des engagements, il serait plus facile d’évaluer quelle est la part d’aide internationale que les pays les plus responsables et les plus capables devraient fournir.

37L’implication majeure de ces réflexions est que les engagements des pays développés sont inéquitables. Les NDC actuelles ne doivent pas être considérées comme définitives ; il ne s’agit que d’un premier tour de négociation, qui devra laisser place à une série d’engagements beaucoup plus exigeants. La mise en place d’un cadre normatif tel que celui qui vient d’être proposé permettrait de rendre les NDC progressivement plus ambitieuses et équitables. Ce cadre augmenterait en outre la transparence du régime climatique, permettant à tous d’évaluer l’équité des engagements et facilitant la comparaison entre les efforts des différents pays.

38En quoi ce dispositif institutionnel est politiquement faisable ? En proposant une définition robuste, mais ouverte du principe de justice distributive qui se trouve au cœur des négociations depuis 1992, il permet à chaque pays de formuler des engagements nationaux justes et en phase avec leur conception de la responsabilité et de la capacité. Qu’en est-il des États qui se voient attribuer une lourde part du fardeau restant ? Ces pays ont, comme tous les autres, adopté la CCNUCC et l’accord de Paris, ce qui les engage à respecter les objectifs et les normes qui s’y trouvent, et ils n’ignorent pas que la majorité du fardeau climatique leur revient de droit. Mais cela ne suffit évidemment pas. Pourquoi ces pays s’engageraient-ils à opter pour des paramètres d’équité élevée plutôt que minimaliste ?

39Dans un régime ascendant d’engagements nationaux appelés à être réévalués régulièrement, la réputation joue un rôle central. Chaque engagement futur est rendu public et fait l’objet d’une évaluation de la part des autres représentants d’États et des ONG. Comme nous avons déjà pu l’observer avec la première vague de NDC, les pays qui se sont engagés à faire très peu comme les États-Unis et l’Australie ont dû subir l’opprobre de leurs pairs et de la société civile. Mais le plus important n’est pas la critique et la réprimande. Par sourci de réputation, plus les États développés feront des engagements qui correspondent à leur part équitable, plus il est probable que les autres États accepteront d’augmenter le degré d’ambition de leurs propres engagements. Si les pays les plus responsables du problème et les plus capables d’y remédier décident de proposer des NDC plus équitables pour améliorer leur réputation, un cercle vertueux peut possiblement s’enclencher, augmentant ainsi l’efficacité du régime climatique.

40L’idée d’un calculateur d’équité permettant d’opérationnaliser les notions de responsabilité et de capacité n’a rien d’étrange dans un régime qui s’est entièrement construit sur ces deux notions normatives. Lors de la présentation du Climate equity reference project dans le cadre d’un événement annexe de la COP21, les représentants des trois plus grandes démocraties des pays en développement, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud (l’IBSA), ont exprimé leur enthousiasme face à l’idée d’inclure un calculateur d’équité dans le régime climatique (Kartha et al., 2015). De même, le G77 + la Chine soutiennent cette initiative, et plusieurs chefs d’État l’ont mentionnée dans leur discours d’ouverture.

41Quels pays pourraient promouvoir une telle réforme ? Dans un régime où le volontarisme et la réputation représentent deux de leurs principaux piliers, l’adoption par quelques acteurs influents d’un cadre normatif dans leurs NDC pour calculer leur part équitable du fardeau climatique, par exemple l’IBSA et la Chine (autrement dit, le BASIC), peut entraîner l’adoption du même projet chez d’autres acteurs, comme l’UE, qui n’a cessé de militer en faveur de politiques climatiques internationales plus ambitieuses et plus équitables. D’autres pourraient suivre. Dans une architecture par le bas où toute tentative d’imposer un cadre par le haut est vouée à l’échec, il convient de profiter du rôle joué par la réputation et par la volonté de se mettre en avant pour servir de modèle.

42Même si certains pays résisteraient probablement à l’inclusion d’un calculateur d’équité dans leur NDC, particulièrement les membres du Conseil de coopération du Golfe Arabique (CCG), de nombreux pays ont récemment montré des signes encourageants porteurs de nouvelles dynamiques susceptibles de faciliter ce type de réforme. En prenant la norme des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives comme critère d’évaluation des contributions nationales, Axel et Katharina Michaelowa (2015) montrent que de plus en plus de pays émergents et en développement, dotés d’une forte croissance démographique et économique (et en conséquence d’une forte augmentation de leurs émissions nationales) acceptent de nouvelles responsabilités en termes de politiques de réduction. C’est le cas de l’Indonésie et de l’Afrique du Sud, malgré la pression des lobbies des combustibles fossiles. Singapour et la Chine s’impliquent également de plus en plus dans leurs politiques climatiques nationales, et, comme nous l’avons vu, ce dernier pays a même proposé une NDC qui entre dans le spectre de l’équité. Dans un tel contexte, l’utilisation d’un calculateur d’équité a des chances de réussir, malgré l’opposition qu’il rencontrerait probablement de la part de certains pays déterminés depuis de longues années à ralentir les progrès dans la lutte internationale contre le changement climatique.

43Un acteur central des négociations climatiques qui pourrait également aider à mettre en œuvre ce type de réforme est la société civile, devenue porteuse d’un véritable mouvement social pour la justice climatique et en phase de devenir le contre-pouvoir le plus puissant aux lobbies des combustibles fossiles. Loin de représenter un mouvement parasite venant troubler l’atmosphère harmonieuse propice aux négociations, la société civile est un véritable poumon du processus qui soutient activement le dispositif onusien (Aykut et Dahan, 2015 : 115). Depuis de longues années, un dialogue fructueux s’est mis en place entre les militants et les membres d’équipes de recherche académique comme le Climate equity reference project d’un côté, et les diplomates et autres acteurs politiques de l’autre. Puisque l’initiative décrite a d’abord été proposée dans le cadre de la COP21 par la société civile, nous pouvons compter sur cette dernière pour promouvoir l’intégration d’un calcul d’équité aux NDC dans les négociations à venir.

44Une autre manière de promouvoir la réforme proposée ici reviendrait à s’appuyer sur le rôle central joué par l’expertise scientifique dans les négociations. Tout au long de l’émergence du régime climatique, les sciences climatiques ont joué un rôle fondamental dans les discussions politiques : « La référence au GIEC est constante dans les arènes climatiques » (Aykut et Dahan, 2015 : 67). Dans son dernier rapport d’évaluation, ce groupe de recherche intergouvernemental insiste sur l’idée de « budget carbone », une notion qui a beaucoup influencé le processus de négociation tout au long de la COP21. Cette idée repose sur la relation entre les émissions de gaz à effet de serre et l’augmentation des températures globales : pour chaque température visée, il existe un certain budget d’émission à ne pas dépasser. Autrement dit, il existe une quantité fixe et limitée d’émissions que les pays peuvent se répartir au cours des décennies à venir afin d’éviter une perturbation anthropique dangereuse du système climatique.

45Le projet du calculateur d’équité peut s’appuyer sur cette notion scientifique. Tous les pays participent désormais à une entreprise commune mais différenciée d’équilibrage du budget global restant. Ce budget englobe les émissions mondiales permettant de contenir le réchauffement global « nettement en dessous de 2 °C », et de poursuivre l’action menée pour « limiter l’élévation des températures à 1,5 °C » (art. 2.1). Il permet en outre de prendre en compte les émissions historiques des différents pays sans avoir à utiliser des idées controversées comme la « dette carbone » ou la « dette écologique » qui contribuent à exacerber, plutôt qu’à réduire les tensions géopolitiques qui sont à l’origine de l’inertie politique internationale (Pickering et Barry, 2012).

46En partant des rapports du GIEC, un organisme scientifique que les pays ont mis sur pied pour les aider dans leurs choix en matière de politiques climatiques, les pays pourraient fixer le budget carbone et se le répartir en utilisant le calculateur d’équité. Les deux outils sont complémentaires : tandis que le budget carbone fixe la limite pour les émissions de gaz à effet de serre dans les décennies à venir, le calculateur montre comment répartir équitablement l’effort de réduction. Dans les deux cas, le GIEC pourra servir d’organe de contrôle et d’évaluation, tout en conservant sa neutralité scientifique. Comme son dernier rapport d’évaluation le souligne, « La réduction et l’adaptation soulèvent des questions d’équité et de justice ». Il continue quelques lignes plus loin : « l’élaboration de politiques climatiques exige des jugements de valeur et des considérations éthiques dans de nombreux domaines d’application. Ces domaines vont de la question de la quantité de réduction nécessaire pour éviter une interférence dangereuse avec le système climatique à celle qui concerne le choix entre des politiques spécifiques de réduction et d’adaptation » (IPCC, 2014 : 5). Pas moins que les négociateurs, les scientifiques ne sauraient échapper à des considérations normatives. La mise en évidence de ce point crucial par l’organisme scientifique le plus respecté et le plus reconnu internationalement sur le problème climatique montre le rôle qu’il pourrait jouer dans le futur pour contrôler et évaluer les NDC par rapport au budget carbone restant.

4 – Conclusion

47L’accord de Paris porte en lui le potentiel de réduire l’écart grandissant entre les institutions du régime climatique et les exigences des principes de justice climatique. Tout dépend cependant de la volonté politique des pays de respecter l’objectif de maintenir le réchauffement climatique nettement en dessous des 2 °C, voire des 1,5 °C. L’accord de Paris fonctionnera à condition qu’il soit le fondement d’un engagement ambitieux de la société internationale. Il représente le premier accord climatique qui pose des fondations solides pour limiter les injustices climatiques. Mais ce n’est pas parce qu’il mentionne la justice climatique qu’il est nécessairement équitable ; ce n’est pas parce qu’il prend en compte l’équité intergénérationnelle qu’il permettra aux générations futures d’échapper à un monde plus dangereux ; et ce n’est pas parce qu’il prend au sérieux le changement climatique qu’il va forcément nous permettre d’éviter une perturbation anthropique dangereuse du système climatique. Tout dépend de la détermination des acteurs politiques à mettre en œuvre des mesures à la hauteur du problème, et de la volonté des citoyens de les suivre.

48La réforme institutionnelle proposée vise à garantir que les efforts de réduction des émissions mondiales s’inscriront dans un cadre normatif souple mais rigoureux qui promeut la justice climatique. La question de la répartition des coûts et bénéfices liés aux émissions de gaz à effet de serre est autant politique que philosophique. Pour que les deux décennies de débats politiques et philosophiques sur le changement climatique portent leurs fruits, le moment est venu de se demander comment promouvoir la justice climatique dans les circonstances non idéales du monde réel. Le but de cet article est de contribuer à cette tâche.

Bibliographie

Références

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Mots-clés éditeurs : justice climatique, accord de Paris, faisabilité politique, négociations

Mise en ligne 11/04/2017

https://doi.org/10.3917/neg.027.0007

Notes

  • [1]
    Adresse de courriel : Michel.Bourban@gmail.com
  • [2]
    Sur les dangers de la géo-ingénierie, voir Gardiner, 2011 : 339-396.
  • [3]
    Pour plus de détails, nous renvoyons au rapport, notamment au graphique en p. 14.
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