Notes
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[2]
Sur la période 2007/2011, en Bretagne, périmètre du terrain d’enquête, 71 % des femmes s’installent dans le cadre familial, contre 67 % des hommes. La moitié des femmes s’installent dans le cadre d’une EARL, formule sociétaire qui permet d’exploiter en couple, contre 26 % chez les hommes.
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[3]
Il faut rappeler ici la reconnaissance tardive d’un statut d’agricultrice détaché de sa seule dimension matrimoniale, dont la première formulation apparaît en 1980. Gouverne en agriculture un système traditionnel et rigide de division sexuelle des tâches qui donne la primauté au mari chef d’exploitation, et attribue à l’épouse des tâches polyvalentes, fortement arrimées à la sphère domestique, donc moins visibles et valorisées.
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[4]
Le « couple de travail » est un mode traditionnel où l’attribution des tâches domestiques, commerciales et administratives à l’épouse est la condition de la mise à son compte et de la survie de l’entreprise. Voir sur ce point le travail d’Isabelle Bertaux-Wiame (2004).
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[5]
Selon Anne-Marie Devreux (2005), la sociologie contemporaine de la famille promeut une notion de « négociation conjugale » qui neutralise les « deux forces négociatrices » en ce qu’elle « égalise les moyens à la disposition des individus dans leur libre arbitre en matière d’intervention dans la sphère familiale ». Il s’agit donc ici de revisiter cette négociation conjugale en montrant comment, 1) l’indisponibilité masculine, par suite d’un surinvestissement dans la sphère professionnelle au détriment du temps familial préexiste à la négociation ; 2) l’arrangement conjugal se nourrit de l’arrangement de travail et la rupture d’un des termes de l’équation fragilise l’ensemble ; et 3) le maintien d’un équilibre ambigu entre reconnaissance professionnelle des agricultrices et préservation des valeurs familiales est gage d’intégration professionnelle.
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[6]
À ce titre, le propos de Jean Remy (2005) est éclairant. La division du travail domestique résulte « d’une transaction sociale entre les membres de la famille qui fait intervenir de nombreux éléments issus de la tradition et des positions socioprofessionnelles (les contraintes et les ressources telles que la qualification, le statut professionnel, l’apport patrimonial…) tout en combinant des registres multiples (stratégies, sens, confiance, affects) dans l’interaction ».
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[7]
Il s’agit de réunions de travail où un groupe d’agriculteurs constitués, accompagné d’un technicien de la chambre d’agriculture, se rend dans les champs afin de discuter de techniques culturales et d’agronomie et de confronter en pratique les expériences de chacun.
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[8]
Le Groupement d’Exploitation Agricole en Commun est une forme de sociétés civiles agricoles qui prévoit à part et droit égaux le regroupement d’associés.
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[9]
À la manière d’Anselm Strauss (1978), les caractéristiques du contexte d’une négociation ne peuvent être décrites et analysées sans prendre en compte le contexte structurel associé (en l’occurrence ici les régimes de genre, le fonctionnement des instances agricoles, les normes professionnelles qui y sont en vigueur).
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[10]
L’intégration de la thématique de l’égalité homme-femme en agriculture découle de mobilisations en faveur de l’avancée juridique du statut des agricultrices dès les années 1980 comme de l’intégration de l’égalité des chances dans l’enseignement agricoles à partir des années 2000. Elle résulte également de la combinaison de politiques territoriales relevant d’institutions étatiques déconcentrées (notamment la Direction Régionale aux Droits des Femmes et à l’Égalité) mais également des collectivités locales, comme c’est le cas en Bretagne où le Conseil régional est particulièrement actif sur les questions d’égalité professionnelle.
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[11]
À titre d’exemple, les chambres d’agriculture bretonnes organisent des formations à destination des agricultrices intitulées « Gestion du temps : concilier vie professionnelle et vie privée ». De la même façon, les réseaux d’accompagnement de l’agriculture durable, proches de la gauche paysanne, invitent également les femmes à échanger autour de cette thématique dans le cadre de « Cafés-installation » ou de « Café-Parlotte ».
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[12]
L’articulation de la vie professionnelle et de la vie familiale n’est pas qu’une affaire privée mais devient un enjeu de société (voir, par exemple, Fusulier, 2003). Dans les organisations agricoles également, l’articulation temps professionnel/temps privé/temps familial et la question d’un partage équitable du travail parental et domestique entre les hommes et les femmes sont largement mises à l’agenda par le biais des formations professionnelles mais également dans les pages de la presse professionnelle spécialisée.
Introduction
1L’intérêt d’une étude sur l’articulation des temps de vie en agriculture réside dans le fonctionnement inhérent à ce secteur d’activité où il n’existe pas de frontière nette entre la sphère du foyer et celle de l’exploitation, et dans lequel la vie domestique s’organise en permanence en fonction des exigences professionnelles (Filippi et Nicourt, 1987). Des recherches ont montré comment le travail de l’agricultrice, « travail d’épouse élargi au travail dans l’exploitation », s’adosse au mythe de la complémentarité des sexes, lui-même véhiculé par les instances d’encadrement professionnel (Lagrave, 1987). L’idéal de l’exploitation de taille moyenne ajustée à la capacité de travail d’un collectif principalement composé de l’exploitant et de sa conjointe, voire de l’un des enfants devant prendre la succession, est encore vivace, tant dans les discours syndicaux que dans la réalité des pratiques, comme en témoigne le succès de l’association en société de couples agricoles [2].
2Néanmoins, un ensemble de facteurs permet aux agricultrices de mieux affirmer que par le passé leur posture professionnelle [3] (Rieu, 2006). Leur reconnaissance statutaire, l’alignement de leur formation sur celle de leurs homologues masculins, la détention d’un niveau d’études générales supérieur ainsi que l’émergence de formes alternatives d’agriculture (tourisme vert, vente directe, etc.) les habilitent à repenser, donc à renégocier l’ordre du partage des activités privées et professionnelles. Le paradigme du « métier de couple » est donc controversé par des agricultrices qui interpellent leur conjoint sur ses limites. Leurs témoignages nous informent des discussions conjugales ponctuelles qu’elles provoquent pour formuler leur inconfort face à un cantonnement domestique, ou pour acter d’une répartition plus équitable des charges parentales et professionnelles. On peut parler en cela de « régime de négociation », au sens où cette négociation revêt un caractère explicite, verbalisé et ritualisé (Thuderoz, 2009). La négociation conjugale possède néanmoins cette particularité qu’elle se refuse d’être contractualisée car voulue comme non procédurale, laissant le plus souvent aux inclinaisons « naturelles » et à « l’écoute mutuelle » le soin de distribuer les tâches.
3Loin de constituer uniquement le lieu d’une recherche de son identité intime (De Singly, 2000), en agriculture, le couple exploitant représente l’armature de liens de coopération productive et/ou financière. Dès lors, dans un « couple de travail » [4], « négocier » ne signifie pas seulement discuter de la répartition des postes et des attributions professionnelles ; cela suppose de définir une identité dans sa globalité, c’est-à-dire attachée au système familial, économique et professionnel [5]. Si les couples négocient, c’est avec cette contrainte que la préservation de la cellule conjugale au fondement du contrat professionnel doit en être le résultat. Régie par une vision idéalisée de la solidarité de couple, la négociation s’inscrit donc dans une économie des affects qui reproduit un ordre de genre légitime conditionné à la survie économique des exploitations [6]. Négocier, c’est ainsi trouver sa place tout en préservant l’ensemble, ce qui suppose, de manière relationnelle, de maintenir des équilibres socialement inscrits dans l’agencement genré des statuts professionnels. Autrement dit, pour une agricultrice, négocier sa professionnalité, c’est se prévaloir d’une articulation des sphères et des temps de vie qui ne réduit ni ne limite son identité professionnelle à une situation matrimoniale et familiale.
4Afin d’expliciter comment se joue cette négociation des attributions professionnelles au sein des couples agricoles, nous nous appuyons sur une étude empirique reposant sur la réalisation de 86 entretiens biographiques auprès d’agricultrices installées en couple. Saisir l’arbitrage des temps de vie des agricultrices dans sa dimension matérielle et qualitative (Bessin et Gaudart, 2009) suppose de s’intéresser concomitamment aux divisions genrées du travail domestique et professionnel sur les exploitations et au travail discursif par lequel ces femmes (re)configurent leur identité professionnelle.
5Quatre pistes de réflexion guident notre raisonnement. Nous verrons tout d’abord que l’arbitrage des temps sociaux se heurte à un façonnage conjugal de l’activité agricole adossé à la complémentarité homme-femme. Dans un deuxième temps, nous envisagerons la négociation comme un processus discontinu en montrant comment elle se modèle aux changements familiaux. Notre troisième partie affinera les ressorts sociaux nécessaires pour négocier en montrant comment les arrangements conjugaux sont le résultat de négociations « à somme variable », selon la détention des capitaux économiques et/ou culturels des membres du couple agricole. Enfin, le quatrième temps viendra élargir les frontières du cadre de négociation en prenant en compte l’influence des espaces institutionnels et du système de relations professionnelles dans les décisions de couple.
1 – Sous le signe de la complémentarité : le façonnage conjugal des trames de négociation
1.1 – Se préserver ou préserver le couple exploitant ?
6Empreints d’une vision selon laquelle la famille est le support du collectif de travail et où le travail incarne les vertus de l’harmonie familiale, les couples agricoles se conforment à un mode d’organisation qui implique la superposition des temps sociaux, notamment pour les femmes. La carence des services publics de proximité en milieu rural, en particulier le sous-équipement en termes d’accueil des jeunes enfants (David, 2008), accuse cette tendance mais ne saurait la subsumer. Les projets d’installation en couple, résumés sous la catégorie indigène de « projet de vie », sont en effet sous-tendus par des discours valorisant les bienfaits de la perméabilité des sphères professionnelle et familiale, gage d’épanouissement, d’autonomie et d’indépendance. C’est, en outre, en faisant référence aux contraintes des rythmes de vie salariés et en insistant sur les avantages organisationnels qu’offre la flexibilité de l’emploi du temps agricole que les femmes justifient leur choix de revenir vers la profession.
7Dès lors se font face des attentes contrastées entre le souhait d’adhérer à des normes d’épanouissement personnel – selon lesquelles l’agricultrice est censée être une travailleuse à part entière – et de souscrire à des normes familiales et professionnelles qui continuent de faire reposer sur les femmes la charge des ajustements entre travail et famille. La négociation au sein des couples vise alors à résoudre le porte-à-faux identitaire vécu par les agricultrices entre des normes de professionnalité prescrites et valorisées et la réalité des charges parentales dont elles ont encore largement la responsabilité – comme le signale le récit de Solène (31 ans, installée en production laitière biologique avec son conjoint) :
« Je suis dans une période où je suis perdue en tant que femme. Car entre ma place familiale et ma place du travail… Au départ, tu veux t’investir partout, mais tu ne le peux pas. Je suis comme ça, moi. J’ai voulu bien élever mon gamin, alors je l’ai allaité longtemps. Je dis « bien élever », cela veut dire : selon mes propres convictions. Et puis, au final, tu t’uses, quoi. Dans ta tête aussi, tu cherches ta place… Cela, Christophe, il ne le comprend pas ; il n’a pas du tout ces questionnements ; c’est dingue quand même la place de la femme ! Et puis, tu veux aussi faire le boulot dans les champs. Oui pourquoi tu serais attachée à la maison ? ».
9Dans ce témoignage, le travail féminin est clairement dépendant de normes genrées considérant que l’épanouissement individuel résulte d’une articulation équilibrée entre travail et famille. Cet idéal du dévouement familial est d’autant plus difficile à vivre que la majeure partie des agricultrices enquêtées ont connu auparavant une situation professionnelle salariée, avec une séparation des temps sociaux plus claire. Cet inconfort ressenti par Solène l’a conduit à interpeller son conjoint pour tenter de rééquilibrer les positions professionnelles et parentales de chacun :
« Oui, oui, forcément, je râle ! [rires] Je me plains, je me plains [rires]. Mais ça n’avance à rien [soupir]. Il n’y a pas d’issue, il n’y a pas d’écoute. On est dans le feu de l’action. Lui, il est dans son truc, il est à fond dedans, il ne comprend pas ! À un moment donné, il faut arrêter de dire que ce sera mieux après ! Il faut vivre ce qu’il y a de bien en ce moment… »
11Cette mise à nu de l’inégalité qui se joue au sein du couple ne bouscule pas totalement l’inertie du fonctionnement du collectif agricole. En effet, situation configurée par les rapports sociaux de sexe, la négociation conjugale des rôles professionnels repose sur la croyance que le couple doit trouver seul les moyens d’adopter des comportements jugés adéquats à l’épanouissement personnel de chacun et à la réussite économique de l’ensemble.
1.2 – Un parcours conjugal contrarié : vers une resexuation des compétences
12Plus encore, la conjugalité au fondement du projet professionnel peut conduire à une resexuation des compétences marquée par le sceau de la complémentarité homme-femme. Le parcours de Catherine révèle combien le mode de production conjugal possède des rigidités qui lui sont inhérentes, mais également comment ce façonnage est le produit de l’environnement professionnel. Catherine a longtemps travaillé seule sur son exploitation, son ex-mari exerçant une profession à l’extérieur. À cette époque, elle avait recours à la crèche associative pour la garde de ses enfants et bénéficiait du soutien de son conjoint pour assumer les tâches familiales. Après son divorce, elle retrouve un nouveau compagnon agriculteur avec lequel elle s’associe sur son exploitation. Cette nouvelle configuration conjugale du collectif professionnel conduit progressivement Catherine à se conformer à la domesticité attachée au rôle de l’agricultrice. Cette réassignation à la sphère domestique provoque parallèlement un arbitrage de ses activités, au détriment de son exercice professionnel, ce qu’elle identifie clairement : « Mais là maintenant t’as ton boulot, t’as les enfants, t’as la maison… des fois, c’est pesant ! ». Parce qu’elle est plus présente à la maison et moins sur la ferme, son nouveau conjoint s’attribue des tâches professionnelles qu’elle exerçait auparavant. Soucieuse de la réputation du couple, elle précise qu’elle « [a] dû lâcher le tracteur » à son nouveau compagnon de façon à anticiper le scepticisme de ses voisins agriculteurs. D’après elle, ils auraient été surpris qu’une telle passation de fonction n’ait pas lieu. Elle explique par ailleurs qu’il aurait été inconcevable qu’elle continue de participer aux réunions « bout de champ » [7], dans la mesure où son mari est aujourd’hui seul responsable de l’activité culturale : « C’est lui qui y va, c’est plus logique. Sinon, qu’est-ce qu’auraient dit les gars : “Que fait Jean-Charles ?” ». C’est néanmoins avec amertume que Catherine parle de ce revirement, qui, bien qu’édulcoré par un discours enchanteur d’une passion partagée dans le couple autour du métier agricole, est perçu comme une forme de dépossession professionnelle. Interrogée sur la manière dont ce glissement et cette inversion des rôles se sont opérés, Catherine répond qu’elle s’est faite « naturellement », selon le « régime de genre » (Connell, 1987), même si elle évoque des disputes régulières avec son nouveau compagnon. Face à la question du mode de résolution de cette insatisfaction, Catherine laisse sous-entendre qu’il oscille entre manifestation de colère et fatalisme :
« De toute façon, on n’a pas de bol d’être née femme [rires]. On a toutes les emmerdes que ce soit au niveau physiologique et au niveau moral. Les femmes, nous devons faire à manger, faire ceci, faire cela. Là, je me dis : “on n’a pas de bol” et j’en veux à la terre entière. Jean-Charles, lui, il te dirait : “ça pète avec Catherine, ça pète”… ».
2 – L’ingérence d’un nouveau temps à négocier
2.1 – S’engager tout en maintenant le statu quo
14La négociation conjugale ne peut être saisie selon une photographie instantanée, notamment parce qu’elle s’inscrit dans un rapport remodelé en fonction des changements de position de l’un ou l’autre des membres du couple. Que l’on pense aux effets des séparations par exemple : la vie d’un couple n’est pas uniforme mais sinusoïdale. Un des exemples permettant d’étudier les effets d’une négociation renouvelée est la prise de mandat, politique comme professionnelle, d’agricultrices. Face à l’ingérence du temps public dans la vie professionnelle et familiale, le conflit temporel s’alourdit et la plupart des agricultrices optent pour le cumul plutôt que la délégation (Le Quentrec, 2009). C’est alors leur capacité d’organisation que les agricultrices valorisent ; capacité sans laquelle un engagement extérieur est impossible. La délégation est suspendue et la loyauté l’emporte, faite d’anticipation, d’ajustements et de culpabilité parfois lourds à vivre comme dans le cas d’Évelyne, installée avec son conjoint en production laitière, élue à la Chambre d’agriculture et membre d’un groupe de défense des femmes en agriculture :
« Là où ce n’est pas top c’est que je me suis chargée. En fait, très clairement, je me suis beaucoup plus chargée […] Mais comme je voyais que je n’arrivais pas à assumer, j’étais très irritable. Donc ce n’était pas top, ce n’était pas top. Mais, là aussi, c’est de ma faute, je suis quelqu’un qui veut tout faire, sauf que je me rends compte que je ne peux pas tout faire… »
16Alors que cette agricultrice se mobilise dans le cadre de son mandat sur les questions de parité et d’égalité professionnelle, elles ne possèdent pas de ressources suffisantes pour négocier cette posture en pratique (Alvarez et Parini, 2005). Évelyne bute en effet sur la concrétude des inerties conjugales en matière de partage des tâches. L’entrée en militance devient alors facteur de dérangement dans la mesure où les habitudes d’organisation quotidienne du couple sont remises en cause et où la moindre disponibilité d’Évelyne contrarie son mari. Ce dernier, en perte de repères car ne pouvant plus compter comme avant sur sa collègue-épouse, lui fait insidieusement sentir son désagrément. Au-delà de cette charge affective à porter, l’impossibilité pour Évelyne d’imposer une nouvelle répartition des tâches dans son couple la positionne en porte-à-faux vis-à-vis de la posture revendicative qu’elle est censée incarner. Elle se décrit comme tiraillée face à l’écart perceptible entre son discours et ses pratiques, ce qui la conduit à douter de sa sincérité militante :
« À la maison, c’est toujours moi qui me préoccupe de ce qu’on mangera, ou de ce qu’on fera ; ce n’est pas logique, ce n’est pas normal ! J’ai du mal à évoluer. Parfois, je me dis : « Pourquoi, quand tu es à l’extérieur, tu es capable de réclamer, de dire des choses, et que tu n’es pas capable de les appliquer à la maison ? » Bref, j’ai un discours ici et un autre là-bas, un autre comportement. Il y a des moments où je me dis, quand je me vois agir en réunion, que je suis en contradiction avec ce que je fais à la maison. »
18Le resserrement des contraintes temporelles face à l’ingérence d’une activité publique dans la routine conjugale révèle que la verbalisation des changements nécessaires au rééquilibre est affectivement coûteux. La non-négociation passe alors par un ajustement féminin, implicite et silencieux, qui entre en dissonance avec des normes égalitaires pourtant perçues comme légitimes.
2.2 – Au-delà du couple : la « maisonnée exploitante »
19L’analyse longitudinale des cadres de négociation invite également à prendre la mesure des liens de dépendance familiaux, eux-mêmes évolutifs. En effet, le vieillissement des parents proches acquiert une centralité dans la vie des agricultrices (Mallon, 2011) ; cette prise en charge du care par les femmes, qui n’est pas propre au monde agricole, est accentuée par la proximité géographique des parents et/ou beaux-parents (Domingo et Vérité, 2011). Lorsque les prérogatives maternelles s’apaisent face à l’autonomisation des enfants, elles sont relayées par d’autres devoirs à l’égard de la « maisonnée exploitante » (Bessière, 2008). Cette obligation morale, juste retour des services rendus antérieurement, notamment pour la garde des enfants, peut se traduire par des ré-arbitrages conséquents en défaveur des activités professionnelles et de l’engagement des agricultrices. Pour Thérèse, maraîchère aux côtés de son conjoint, la prise en charge de ses beaux-parents vieillissants l’a obligée à suspendre l’activité d’accueil pédagogique qu’elle menait sur l’exploitation et à mettre en sourdine son engagement comme administratrice dans une association de promotion de projets agricoles alternatifs. Il faut également compter avec la charge mentale et affective que représentent ces activités de soin, qui redessinent parfois radicalement les logiques de solidarité intrafamiliales :
En définitive, l’attribution des rôles, constituée en référence au modèle de la complémentarité entre les femmes et les hommes, gagne à être examiner dans ses reformulations et ses modulations en fonction des étapes de vie.« Quand mamie était en fin de vie, c’était dur. Il fallait aller changer sa couche plusieurs fois par jour. Et mamie était lourde, je me cassais le dos. Éric, lui, il ne disait rien mais ça lui faisait un coup de voir sa mère comme ça. Donc, moi j’étais au milieu. En plus, je n’ai pas de formation, à la différence d’une infirmière. Donc je me suis débrouillée, j’ai fait comme j’ai pu. »
3 – Le poids des trajectoires sociales et des ressources économiques dans la négociation
3.1 – Une conjugalité « solidaire » : quand les ressources viennent à manquer
20Parce qu’elle oblige à prendre pour partenaire de discussion son conjoint, la distribution des rôles professionnels s’appuie sur des configurations statutaires inégalitaires en termes de rapports de genre et de classe. En effet, dans ce cadre conjugal, toutes les agricultrices ne disposent pas des mêmes ressources pour négocier, notamment parce que les ressources économiques sont imbriquées aux sphères familiales et professionnelles. L’exemple de Brigitte est symptomatique de la manière dont les inégalités économiques s’articulent et se cumulent aux inégalités de genre.
21Installée seule sur une exploitation laitière depuis sept ans, Brigitte concède que l’aide de son mari, qui travaille à l’extérieur dans un abattoir de la région en horaires décalées et qui s’occupe sur la ferme des travaux de culture des champs, lui est précieuse. Cinq ans après son installation, Brigitte réfléchit à la manière de soulager son quotidien de travail et d’alléger l’astreinte inhérent à son élevage. Elle envisage pour cela de s’associer avec un tiers afin de former un GAEC [8]. Avant de formaliser l’association, Brigitte se rapproche de ce collègue avec lequel elle met en place un système informel d’entraide mutuelle pendant deux ans. Alors que se précise la finalisation juridique du projet, le mari de Brigitte manifeste son désaccord. Affectée par cet échec, elle l’explique par la jalousie de son mari, qui, d’une part, craint d’être écarté de la ferme par l’arrivée d’un autre homme, et d’autre part, envisage difficilement de laisser sa femme travailler quotidiennement avec un collègue. Bien que Brigitte relate sa tentative de médiation, essayant « de le raisonner », elle reconnaît, au moment où se tient l’entretien, que cette décision est finalement salutaire. Elle s’aligne sur la position de son conjoint en arguant des difficultés que connaissent les associations en société agricole, en effet nombreuses à péricliter.
22Si l’on reporte maintenant l’asymétrie de la position de Brigitte dans la négociation à ses ressources sociales comme économiques, on comprend pourquoi la présentation du couple comme entité unie est à la fois l’objet d’une fierté sociale et d’une condition de survie économique. Brigitte appartient à la fraction dominée des agriculteurs, la rapprochant du groupe des petits indépendants. Diplômée d’un BEPA sanitaire et social, Brigitte enchaîne les emplois féminins peu qualifiés (femme de ménage, assistante maternelle) avant de se stabiliser dix ans comme salariée dans la grande distribution, période au cours de laquelle naissent ses trois enfants. À la naissance du cadet, elle prend un congé parental et décide de se réorienter vers l’agriculture en suivant une formation BPREA. Cette entrée tardive dans l’agriculture, sans patrimoine familial préalable, l’a contraint dans le développement économique de son exploitation (qui couvre aujourd’hui une cinquantaine d’hectares pour un cheptel d’environ cinquante têtes). Brigitte exerce dans des conditions de travail difficiles, sa salle de traite souffrant de désuétude, ce qui implique un lourd travail manuel et des gestes répétitifs. Face à cette position dominée dans la hiérarchie socioéconomique, le résultat de sa négociation aboutit à un renforcement de la solidarité au sein du couple dans la mesure où les coups de main de son mari deviennent de plus en plus réguliers. Brigitte, contrainte par une rationalité économique qui recoupe des inégalités de genre, ne peut réellement affirmer son statut d’agricultrice face à un conjoint dont elle n’est pas autonome en pratique et qui, in fine, est détenteur des orientations stratégiques de l’exploitation.
3.2 – Décloisonnement social et capital économique : des ressources pour négocier
23Il en va différemment de Mélanie, fille de cadres, originaire de la région parisienne, qui, après avoir exercé pendant dix ans le métier de podologue, rencontre son conjoint agriculteur et s’installe à l’âge de 36 ans à ses côtés sur une exploitation laitière et de vaches allaitantes. Le niveau de diplôme comme le statut professionnel préalable de Mélanie l’autorisent à déroger aux codes agricoles pour satisfaire ses attentes « dispositionnelles ». À ce titre, Mélanie est très investie localement, revendique un confort de vie en mesurant ses horaires de travail et fréquente de manière hebdomadaire le bar de la commune, où elle va tous les matins, après avoir déposé les enfants à l’école, boire son café et « bouquiner ». Cet éloignement de la figure « traditionnelle » de l’agricultrice provoque la crispation de son beau-père qui le lui reproche ouvertement :
Refusant de parler à son beau-père depuis un an alors qu’il habite une maison mitoyenne à l’exploitation, Mélanie explique qu’elle a longuement parlé de ce différend avec son conjoint afin qu’il comprenne que les injonctions normatives de son père entraient en concurrence avec son choix de vie. Son détachement social à l’égard du métier agricole, dont elle n’est pas héritière, mais également vis-à-vis de l’exploitation familiale, bénéficiant par ailleurs d’un patrimoine immobilier suite à la vente de son cabinet, lui assure une sécurité matérielle et lui permet d’entretenir d’un rapport distancié face à la préservation du patrimoine agricole. Ainsi, Mélanie dispose de ressources pour refuser de faire « cause commune » et pour négocier auprès de son conjoint un certain détachement de la bienséance familiale, de même qu’une position professionnelle plus dilettante. Force est de constater que la négociation véhicule des représentations professionnelles comme conjugales qui, associées aux trajectoires des acteurs, ont des significations et des déclinaisons pratiques contrastées.« Je lui ai dit à mon beau-père : “Moi je veux que mes enfants voient autre chose que le cul des vaches !”. Il faut qu’ils s’ouvrent au monde, qu’ils apprennent des choses, qu’ils se cultivent. Qu’ils fassent autre chose que de cultiver des patates quoi ! Des fois, je suis un peu cash mais ce n’est pas grave, je ne plierai pas. Lui aussi a dit qu’il ne plierait pas. Donc ça va coincer à un moment donné mais c’est n’est pas grave ! [rires] Je ne deviendrai pas la petite femme d’agriculteur qu’on veut que je sois, c’est hors de question ! »
4 – Un ménage à deux ? Une négociation influencée par des cadres institutionnels et organisationnels
24Cette quatrième partie se propose de s’éloigner du champ strict des acteurs parties prenantes de ces négociations pour porter le regard au-delà de la cellule conjugale ; car l’ordre conjugal est également négocié dans divers espaces institutionnels [9]. Envisager cela, c’est dire que la négociation est à la fois ordinaire et institutionnelle, que la répartition des attributions, compétences et espaces professionnels est le produit de discussions privées et de l’intégration de normes professionnelles véhiculées par les instances d’encadrement du métier. L’arène de la négociation est complexifiée dès lors qu’elle associe des acteurs externes, comme c’est le cas pour Christiane, où elle est arbitrée par une personne tierce – le technicien d’exploitation – qui vient appuyer sa légitimité professionnelle pour qu’elle parvienne à s’imposer face à son conjoint :
« Moi, je ramène des choses de formation. Je dis “Tiens on a vu ça, ce serait intéressant de le tester”. Mais ça ne passe pas, ça ne passe pas… Maintenant, je fais passer ce que j’ai envie de faire passer par un technicien d’élevage qui vient tous les mois et demi. Je lui dis “Qu’est-ce que tu penses de cette technique-là ? Ce serait bien de la mettre en place ici ?”. Moi, je ne peux pas la faire passer, donc je le fais passer par un biais… »
26La formation professionnelle est également un espace où sont activées et consacrées des prescriptions et des normes entourant l’exercice et la pratique du métier. Face à la diffusion du thème de l’égalité professionnelle dans le monde agricole [10], il n’est pas anodin de voir se multiplier les formations agricoles à destination des agricultrices consacrées à la question de l’articulation des temps sociaux [11]. L’observation du contenu de ces formations témoigne d’une montée en puissance de l’injonction à négocier un juste partage des responsabilités parentales et domestiques dans l’espace conjugal [12]. À l’aide de dispositifs institutionnels, circule et se renforce une conception de la « famille relationnelle » dont François de Singly (2007) postule que s’y joue une construction des identités personnelle, conjugale et parentale, tributaires d’impératifs modernes dialogiques. Ces formations servent par ricochet à déplacer la scène de la négociation conjugale à l’extérieur du domaine privé pour la « publiciser » et la soumettre à la délibération collective. Marie, installée en production laitière avec son conjoint a suivi une formation appelée « Agricultur’Elles » destinée à donner des clefs pour aider les agricultrices à mieux articuler travail et vie familiale. Lors de cette formation, à mesure qu’elle entend le récit des autres participantes et effectue un retour réflexif sur sa propre situation, elle extériorise et verbalise ses frustrations. En effet, depuis son installation, elle a la charge exclusive du soin aux enfants, ce qui la conduit, tous les matins, à cumuler la traite, la préparation des enfants et les déplacements pour les emmener à l’école :
« Tous les matins, c’était moi qui gérais toute seule. Depuis décembre, j’ai aussi pris la responsabilité de la crèche associative de ma fille. Il arrivait que je reste coincée à la crèche pour régler les problèmes. Donc j’arrivais à la fin de la traite un peu en panique et mon conjoint commençait à s’énerver. Toutes ces petites choses mises bout à bout, c’était lourd. Quand je suis rentrée de la première journée de formation, j’étais un peu dépitée et je me suis dit : “On est mal…”. Je ne m’attendais pas à avoir autant de remises en question. »
28Face à cette remise en cause et grâce au « truc et astuce » transmis par une agricultrice présente à la formation, Marie suggère à son mari la mise en place d’une rotation des tâches hebdomadaires. S’appuyant sur la réussite de cette modalité d’organisation chez sa collègue, elle convainc son conjoint d’opter pour un fonctionnement similaire. S’agissant de la négociation conjugale, Marie soutient que la mise à nu de sa situation privée dans un cadre collectif a joué en sa faveur, le couple devenant un laboratoire d’expérimentation ouvert et visible. Aujourd’hui, Marie estime que le couple a trouvé une réponse à l’inconfort qu’elle éprouvait :
« Le matin, pour la gestion des enfants et l’intendance, on partage. En fait, on fait une semaine sur deux. Donc maintenant, il sait aussi ce que c’est de s’énerver avec les enfants, quand ils n’avancent pas pour mettre leurs chaussures, leur manteau et tout ça. Moi, je démarre ma journée plus détendue. J’ai pris plus d’assurance dans mon travail, donc je mets plus de choses en œuvre, je prends plus de décision. Et finalement, mon conjoint se sent plus épaulé. C’est un meilleur partage des responsabilités, c’est revalorisant et c’est plus encourageant. »
30Depuis, le couple, érigé en modèle, témoigne régulièrement de son expérience dans le cadre de journées publiques ou de stages de formation, servant de référence en matière de possibles ajustements. Il faut néanmoins souligner qu’ici encore la négociation a porté ses fruits en raison des ressources dont dispose le couple pour assumer la publicisation de son cas. Marie, diplômée d’une école d’infirmière, a connu une expérience salariée préalable à son installation, tandis que son conjoint est un jeune responsable agricole notoirement connu et respecté sur le département.
31Reste que ces formations, en valorisant un cadre de concertation conjugal « respectueux », peuvent avoir des effets ambivalents. Généralement, l’objectif qu’elles visent est la préservation de l’équilibre au principe de l’harmonie du « couple de travail ». Cet idéal se manifeste avec d’autant plus d’acuité qu’il se double d’un attachement aux impératifs dialogiques comme mode résolution des conflits. Dans cette optique, c’est la communication au sein du couple qui est préconisée, cette dernière devant nécessairement déboucher sur la formulation d’un compromis équilibré. En outre, la résolution du partage des tâches familiales et domestiques est perçue comme le fruit d’une adéquation aux prédispositions ou inclinaisons individuelles. Sont en effet mobilisées, au cours des formations, des grilles d’analyse psychologiques expliquant les différences hommes-femmes à partir de « tempéraments », et passant sous silence les inégalités de genre (Jonas, 2006). Les couples sont ainsi invités à admettre les différences « naturelles » entre les hommes et les femmes et à gérer les comportements contradictoires que ces différences génèrent. En ce sens, le modèle de négociation véhiculé par les consultants, formateurs et/ou techniciens agricoles met en jeu des individus socialement « neutres » ; il propose en cela des arrangements de sexe détachés de la hiérarchie des rapports de genre. La négociation est ainsi renvoyée à la souplesse et la compréhension mutuelle, seule à même de permettre l’épanouissement et l’expression de chacun de ses membres.
Conclusion
32Les négociations dont traite cet article s’opèrent dans un cadre conjugal de travail où les positions professionnelles sont induites par des normes conjugales et professionnelles, les deux se nourrissant mutuellement. De manière générale, le partage négocié des tâches tend à faire prévaloir une logique économique de préservation de la cellule conjugale ainsi qu’un examen du rapport « nous »/ « je » privilégiant le premier terme. Or, dans cette défense d’intérêts communs, la logique d’attribution des places défavorise les femmes. Loin d’avoir disparu, le consensus établi autour de la discontinuité de l’activité professionnelle des agricultrices, solution à la nécessité de la « conciliation des rôles », reste prégnant. Pendant que l’homme construit l’exploitation agricole, la femme édifie la famille qui en sera le support (Barthez, 1982). En outre, la négociation conjugale pour un plus juste partage des activités est l’objet de réagencements permanents au gré des parcours de vie des agricultrices. Cette négociation s’articule à des changements tels que la prise de mandat ou le vieillissement de la parentèle dans la mesure où ces changements induisent des « charges » temporelles à re-partager. Le plus souvent, la complémentarité des rôles s’adapte aux événements familiaux qui ponctuent le cycle de vie. Négocier, c’est également faire valoir, dans le cadre d’interactions entre partenaires, ses droits, sa place et sa légitimité professionnelle. Cet exercice, dont on pourrait supposer qu’il est nécessairement porté par la compréhension mutuelle de deux êtres aimants, reconduit pourtant des inégalités de genre comme des inégalités de classe. Ainsi, il favorise d’autant plus l’expression de dissonances conjugales que la solidarité nécessaire à la survie économique du couple n’est pas mise en danger. Enfin, la combinaison des protagonistes de cette négociation gagne à être explorée dans sa complexité, intégrant en cela tant les cadres organisationnels et institutionnels, eux-mêmes prescripteurs de modèles de négociation, que les espaces offrant une visibilité publique à des résolutions généralement considérées comme privées.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : engagement professionnel, agriculture, négociation des temps de vie, genre, inégalités hommes-femmes
Date de mise en ligne : 02/03/2016.
https://doi.org/10.3917/neg.025.0141Notes
- [1]
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[2]
Sur la période 2007/2011, en Bretagne, périmètre du terrain d’enquête, 71 % des femmes s’installent dans le cadre familial, contre 67 % des hommes. La moitié des femmes s’installent dans le cadre d’une EARL, formule sociétaire qui permet d’exploiter en couple, contre 26 % chez les hommes.
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[3]
Il faut rappeler ici la reconnaissance tardive d’un statut d’agricultrice détaché de sa seule dimension matrimoniale, dont la première formulation apparaît en 1980. Gouverne en agriculture un système traditionnel et rigide de division sexuelle des tâches qui donne la primauté au mari chef d’exploitation, et attribue à l’épouse des tâches polyvalentes, fortement arrimées à la sphère domestique, donc moins visibles et valorisées.
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[4]
Le « couple de travail » est un mode traditionnel où l’attribution des tâches domestiques, commerciales et administratives à l’épouse est la condition de la mise à son compte et de la survie de l’entreprise. Voir sur ce point le travail d’Isabelle Bertaux-Wiame (2004).
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[5]
Selon Anne-Marie Devreux (2005), la sociologie contemporaine de la famille promeut une notion de « négociation conjugale » qui neutralise les « deux forces négociatrices » en ce qu’elle « égalise les moyens à la disposition des individus dans leur libre arbitre en matière d’intervention dans la sphère familiale ». Il s’agit donc ici de revisiter cette négociation conjugale en montrant comment, 1) l’indisponibilité masculine, par suite d’un surinvestissement dans la sphère professionnelle au détriment du temps familial préexiste à la négociation ; 2) l’arrangement conjugal se nourrit de l’arrangement de travail et la rupture d’un des termes de l’équation fragilise l’ensemble ; et 3) le maintien d’un équilibre ambigu entre reconnaissance professionnelle des agricultrices et préservation des valeurs familiales est gage d’intégration professionnelle.
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[6]
À ce titre, le propos de Jean Remy (2005) est éclairant. La division du travail domestique résulte « d’une transaction sociale entre les membres de la famille qui fait intervenir de nombreux éléments issus de la tradition et des positions socioprofessionnelles (les contraintes et les ressources telles que la qualification, le statut professionnel, l’apport patrimonial…) tout en combinant des registres multiples (stratégies, sens, confiance, affects) dans l’interaction ».
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[7]
Il s’agit de réunions de travail où un groupe d’agriculteurs constitués, accompagné d’un technicien de la chambre d’agriculture, se rend dans les champs afin de discuter de techniques culturales et d’agronomie et de confronter en pratique les expériences de chacun.
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[8]
Le Groupement d’Exploitation Agricole en Commun est une forme de sociétés civiles agricoles qui prévoit à part et droit égaux le regroupement d’associés.
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[9]
À la manière d’Anselm Strauss (1978), les caractéristiques du contexte d’une négociation ne peuvent être décrites et analysées sans prendre en compte le contexte structurel associé (en l’occurrence ici les régimes de genre, le fonctionnement des instances agricoles, les normes professionnelles qui y sont en vigueur).
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[10]
L’intégration de la thématique de l’égalité homme-femme en agriculture découle de mobilisations en faveur de l’avancée juridique du statut des agricultrices dès les années 1980 comme de l’intégration de l’égalité des chances dans l’enseignement agricoles à partir des années 2000. Elle résulte également de la combinaison de politiques territoriales relevant d’institutions étatiques déconcentrées (notamment la Direction Régionale aux Droits des Femmes et à l’Égalité) mais également des collectivités locales, comme c’est le cas en Bretagne où le Conseil régional est particulièrement actif sur les questions d’égalité professionnelle.
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[11]
À titre d’exemple, les chambres d’agriculture bretonnes organisent des formations à destination des agricultrices intitulées « Gestion du temps : concilier vie professionnelle et vie privée ». De la même façon, les réseaux d’accompagnement de l’agriculture durable, proches de la gauche paysanne, invitent également les femmes à échanger autour de cette thématique dans le cadre de « Cafés-installation » ou de « Café-Parlotte ».
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[12]
L’articulation de la vie professionnelle et de la vie familiale n’est pas qu’une affaire privée mais devient un enjeu de société (voir, par exemple, Fusulier, 2003). Dans les organisations agricoles également, l’articulation temps professionnel/temps privé/temps familial et la question d’un partage équitable du travail parental et domestique entre les hommes et les femmes sont largement mises à l’agenda par le biais des formations professionnelles mais également dans les pages de la presse professionnelle spécialisée.