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Article de revue

Le rôle du tiers dans les conflits

Pages 143 à 155

Notes

  • [1]
    Cet article est initialement paru en juillet 1975 dans la revue Études polémologiques, n° 17, p. 11-23. Nous remercions René et Jean-Noël Freund ainsi que la revue Études polémologiques pour leur aimable autorisation de reproduction. Un numéro de cette revue, arrêtée en 1991, relancée en 2012, est accessible via le site : http://fr.calameo.com/read/00041324166a3c2aa83ac
  • [2]
    J’ai analysé plus longuement cet aspect à propos du cas particulier de la guerre du Kippour dans « La reconnaissance de l’ennemi et le tiers », International Problems, vol. XII, septembre 1974.
  • [3]
    Voir H. Marcuse, La fin de l’utopie, Paris, Seuil, 1968. p. 49.
  • [4]
    Voir mon étude « La tolérance régressive » dans l’ouvrage collectif de H. Marcuse, B. Moore et R. P. Wolff, Critique de la tolérance pure, Paris, éd. John Didier, 1969.
  • [5]
    La vérité historique m’oblige à préciser une information donnée par M. Gaston Bouthoul dans son récent ouvrage sur La Paix, Paris, PUF, 1973. La notion d’irénologie est d’usage courant à l’Institut de sociologie de Strasbourg depuis de longues années, donc bien avant que le général Werner ne l’ait employée, sans doute à la suite du colloque de polémologie de l’Université de Louvain en mars 1971.
  • [6]
    G. Simnel. Sociologie, nouvelle édition, Berlin, Duncker et Humblot, 1968.
  • [7]
    Signalons entre autres l’étude, traduite en français, de Th. Caplow, Deux contre un, Paris, Colin, 1971, ainsi que Principles of Organization, New York, Harcourt, 1964. Parmi les autres études américaines, signalons M.L Borgatta, « Power Structures and Coalitions in Three-person Groups », Journal of Social Psychology, 55, 1961 ; W.A Gamson, « A Theory of Coalition Formation », American Sociological Review, 26, 1961 ; M. A Kaplan, « Balance of Power, Bipolar and other Models of International Systems », American Political Science Review, 51, 1957 ; Th. M. Mills, « The Coalition Pattern in three-person groups », American Sociological Review, 29, 1964 ; J. Kenmann et O. Morgenstern, Theory of Game and Economic Behavior, Princeton University Press, 1954 ; W. H. Riker, The Theory of Political Coalitions, Yale University Press, 1962 ; R. Walton, Third Party Roles in Interdepartmental Conflict, Purdue University, 1967. Cette liste n’est évidemment pas exhaustive.
  • [8]
    Voir J. Lukaszewski, « La Communauté européenne : facteur de la différenciation des stratégies communistes », Panorama démocrate-chrétien, Rome, janvier-mars 1974. Voir également du même auteur : « The European Communauty and Eastern Europe », The Round Table – The Commonwealth Journal of International Affairs, Londres, janvier 1973.
  • [9]
    J’appelle alliance antinaturelle celles que concluent des pays aux régimes diamétralement opposés et qui se combattent idéologiquement, par exemple celle qui eut lieu avant 1914 entre la France démocratique et l’autocratie tsariste, ou en 1939 entre l’Allemagne nazie et la Russie communiste. Chaque fois qu’une telle alliance se conclut, il y a un énorme risque d’un conflit proche ou imminent.
  • [10]
    Simmel, Soziologie, p. 72.
  • [11]
    Voir cependant C. Schmitt, La notion de politique et théorie du partisan, Paris, Calmann-Lévy, 1972.
  • [12]
    Voir J. Freund, L’Essence du politique, Paris, Sirey, 1965, p. 137.
English version

1 – Les guerres prennent en général l’aspect d’un duel

1Il y a un phénomène étonnant [1], auxquelles les recherches sur la paix et la guerre n’ont guère prêté d’attention jusqu’à présent, bien qu’il semble riche de suggestions et d’enseignements : on ne rencontre pratiquement pas d’exemples de conflits armés au cours desquels trois camps se soient combattus mutuellement avec la même hostilité, chacun le faisant en toute autonomie. Cette configuration belliqueuse supposerait que A affronterait avec le même acharnement deux ennemis distincts B et C qui se combattraient entre eux, de sorte que B serait aussi hostile à A et à C que C à A et à B. En effet, la presque totalité des guerres opposant des États sont de nature bipolaires, suivant la relation classique de l’ami et de l’ennemi. Les deux camps hostiles se réduisent ou bien à une inimitié entre deux États ou à un affrontement entre deux groupes d’alliés. Autrement dit : les guerres prennent l’aspect d’un duel, par exemple en 1870 entre la France et l’Allemagne, ou lors de la dernière guerre mondiale entre deux camps d’alliés, d’une part celui de l’Angleterre, de l’URSS et des USA, d’autre part, celui de l’Allemagne, de l’Italie et du Japon. Les conflits historiques que nous connaissons excluent pratiquement la relation triangulaire, au sens où par exemple la France aurait été en conflit avec l’Allemagne et l’Angleterre en même temps que ces dernières se seraient fait la guerre entre elles et chacune avec la France. Nous avons même du mal à imaginer une pareille constellation. Cette observation à rebours me semble particulièrement éclairante pour une compréhension plus explicite et plus positive de la guerre et de la paix.

2Les quelques exemples d’une relation belliqueuse triadique se laissent observer en général dans certaines guerres civiles, ce qui semble confirmer le caractère spécifique de ce genre de conflits par rapport à la guerre qui oppose des unités politiques indépendantes. En effet durant les guerres civiles il arrive que, soit par lassitude de la population, soit en raison d’un soudain déplacement du rapport de forces, l’intrusion du tiers, également hostile aux deux belligérants, parvienne à triompher de l’un et de l’autre. Ce fut le cas, par exemple, lors des guerres de religions au XVIe siècle, où le tiers parti, celui dit des « politiques », également adversaire de celui des catholiques et de celui des protestants, qui se combattaient entre eux en même temps qu’ils combattaient le tiers, réussit à imposer son point de vue en soutenant le candidat légitime au trône, Henri de Navarre, qui, devenu roi, mit fin à la guerre civile par l’édit de tolérance, dit édit de Nantes.

2 – La double fonction politico-stratégique du tiers

3La guerre semble donc se fonder sur l’idée du tiers exclu. On peut illustrer le fait par l’examen du jeu diplomatique durant les années qui ont précédé la deuxième guerre mondiale. Si la guerre n’a pas éclaté plus tôt, c’est sans doute parce que l’Angleterre, refusant de choisir l’un ou l’autre camp des ennemis virtuels, a joué le rôle du tiers. Lorsqu’en 1936 l’Allemagne hitlérienne occupa la zone démilitarisée, il n’y eut aucune riposte française (bien que ce pays ait pu se sentir directement menacé), certes à cause de la situation intérieure en France, mais surtout parce que, comme tiers, le gouvernement britannique entendait entretenir d’aussi bonnes relations que possibles entre les ennemis éventuels, ainsi qu’en témoignent l’accord naval germano-britannique de 1935, la visite de Lloyd George au Berghof ou la politique de l’ambassadeur britannique à Berlin, Hendenon.

4Tant que l’Angleterre crut pouvoir jouer le rôle du tiers, la guerre immédiate était exclue, bien qu’Hitler sût profiter habilement de la situation. Elle devait éclater le jour où l’Angleterre renonça au rôle du tiers en rejoignant l’un des camps qui s’affrontaient. Ce qui arriva au début de 1939. La relation bipolaire de l’ami et de l’ennemi, fondement de toute guerre, était dès lors réalisée, il est vrai du fait qu’en même temps Hitler avait réussi à neutraliser, en l’aguichant, un autre tiers potentiel, à savoir la Russie de Staline.

5Évidemment, ce n’est pas n’importe quel pays qui peut jouer le rôle du tiers dans un conflit, car ce rôle dépend de la puissance que le tiers peut exercer dans un rapport de forces donné. Autrement dit, le rôle du tiers dépend de sa capacité de modifier la constellation en train de se mettre en place. On voit mal, par exemple, comment la Yougoslavie ou le Danemark aurait pu remplir cet office à la veille de la dernière guerre mondiale.

6À la lumière de ces premières considérations, on peut remarquer que le tiers peut remplir une double fonction. D’une part, il peut empêcher le déclenchement d’une guerre, dans la mesure où il peut faire obstacle à la formation de la relation bipolaire, immédiatement belligène, c’est-à-dire à condition qu’il soit assez puissant pour tenir en respect par ses menaces les candidats à la belligérance. Il peut arriver que sa propre force intimide les deux ennemis éventuels, à moins que la crainte qu’il ne s’allie à l’un des deux camps tempère l’agressivité de l’autre. Il faut croire que l’Angleterre se soit fait illusion, à la veille de la dernière guerre mondiale, sur son aptitude quasi traditionnelle à jouer le rôle du tiers, dont elle a fourni quelques brillants exemples dans le passé.

7En effet, le fait de se solidariser avec l’un des deux ennemis éventuels n’a pas détourné l’autre de prendre le risque d’un conflit, sans doute parce que celui-ci jugeait que le rapport des forces lui était malgré tout immédiatement favorable. À la vérité, lorsqu’un tiers est obligé de faire un tel choix, non seulement il avoue implicitement qu’il ne dispose plus de la puissance nécessaire pour orienter la politique générale, mais surtout il contribue à susciter la relation bipolaire qui caractérise tout conflit.

8D’autre part, le tiers peut surgir dans un conflit en cours, dans lequel il n’a aucune responsabilité, et modifier le rapport de forces bilatéral [2]. C’est le cas que nous avons évoqué à propos des guerres de religion au XVIe siècle. S’il parvient à une certaine prédominance, il détend la situation, car il brise l’escalade des adversaires en présence, du fait que chacun des deux est désormais obligé de compter avec l’intrus, c’est-à-dire de porter son attention sur les faits et gestes du nouveau venu, au lieu de la concentrer uniquement sur l’ennemi.

9Si le tiers n’a pas lui-même des visées belliqueusement hégémoniques, son intervention conduit en général à mettre fin au conflit, le plus souvent par un compromis. On peut même attribuer à cette observation une portée plus générale, dans la mesure où la paix, y compris la paix intérieure, repose sur une tolérance entre les diverses parties.

10En fait, il n’y a de tolérance possible que là où existe un tiers. Aussi me semble-t-il incorrect d’imputer le règne de la tolérance à une conquête de l’esprit libéral. Elle ne subsiste jamais que là où un tiers ou des tiers sont assez forts pour la faire respecter par les divers antagonistes. Il va de soi qu’un adepte de la violence comme Marcuse qui, parce qu’il se dit révolutionnaire, veut diviser le monde en deux camps, celui de la société établie ou les mauvais, et celui de la société nouvelle ou les bons [3], ne peut que discréditer la notion de tolérance [4]. D’ailleurs un véritable révolutionnaire ne saurait être tolérant, du fait qu’il tend inévitablement à réduire toute situation à un ensemble de relations bipolaires.

11D’une façon générale, la disparition du tiers dans le contexte d’une situation de crise fait évoluer celle-ci vers le conflit, tandis qu’au contraire l’apparition du tiers au sein d’un conflit qui dure signifie le plus souvent l’émergence d’éléments qui tendent à favoriser la fin du conflit.

3 – Trois types de tiers

12Ces quelques aperçus nous apportent déjà une idée suffisamment significative sur le rôle du tiers dans les conflits, et plus généralement dans la vie des sociétés. On peut regretter d’autant plus que cette question ait en général été négligée par les sociologues. Il semble qu’il faille attribuer cette défaillance à l’esprit normatif et peu scientifique qui continue d’animer la plupart des sociologues contemporains, qu’il s’agisse de Fougeyrollas ou de Touraine, de Parsons ou de Dahrendorf. La plupart des prétendues innovations méthodologiques ou des nouvelles pistes ont un caractère humanitariste et irénologjque, qu’elles soient de tendance réformiste ou révolutionnaire [5]. Si la sociologie est une science, son objectif doit être scientifique et non point normatif, peu importe que la norme soit politico-réformiste ou idéologico-révolutionnaire. Autrement dit, son objectif est l’analyse, et comme telle, en dépit des nombreuses bavures inévitables, elle doit se limiter à l’étude du phénomène social, de ses conditions et de ses présupposés. De ce point de vue, il y a entre la polémologie et l’irénologie plus qu’une différence de terme. Elle est de perspective. Il faut prendre le conflit pour ce qu’il est et non point essayer de le comprendre à partir d’une société qui serait en mesure de dépasser toutes les contradictions et toutes les guerres.

13Finalement ils sont rares les sociologues qui, comme Max Weber, ont intégré de façon axiologiquement neutre la notion de conflit dans leurs analyses, sans se donner à l’avance une idée plus ou moins normative d’une solution. Je voudrais cependant insister ici sur l’apport capital de Georg Simmel qui, dès 1907, a consacré non seulement un chapitre remarquable de sa Sociologie à la notion de conflit, mais également à celle de tiers [6]. Son initiative n’a guère était entendue par les sociologues européens, peut-être parce qu’ils ne l’ont guère lu, encore que depuis deux ou trois ans on assiste à un retour à Simmel.

14Par contre elle a eu un écho en Amérique, où de nombreuses études ont été consacrées au problème du tiers [7]. Je n’entrerai pas dans les détails de l’exposé de Simmel sur le tiers – car je l’ai analysé par ailleurs – mais il me semble utile de souligner qu’il a essayé de faire une typologie du tiers, suivant les différents rôles qu’il peut jouer dans un conflit. À son avis il y a trois types de tiers.

15a) Il peut n’être pas impliqué directement dans le conflit, du fait qu’il n’y a aucun intérêt personnel, mais il intervient en tant que médiateur ou arbitre. Il est le tiers neutre et impartial. La différence entre le médiateur et l’arbitre est la suivante. Le médiateur a la mission occasionnelle de réunir les parties en désaccord pour essayer de trouver un terrain d’entente avec elles. Il s’agit donc pour lui de dépassionner le débat et de suggérer les éléments d’une solution, mais celle-ci n’intervient pas en vertu de son autorité, mais par la bonne volonté des antagonistes. Autrement dit, l’accord n’est pas l’œuvre du médiateur, mais des parties en cause qui s’engagent l’une envers l’autre sur un compromis ou une autre forme d’entente. L’entente dépend donc de la bonne volonté de ceux qui sont en conflit. L’arbitre au contraire est prévu par la constitution ou la règle instituée, au sens de l’arbitre sur un terrain de sport ou du juge. Il fait partie intégrante de la règle du jeu ou de la procédure. Mais aussi, tout en étant l’élément neutre, il décide de la solution du conflit en se référant au règlement ou à la loi. Autrement dit, il est chargé de trancher un litige, en appliquant la règle reconnue d’avance par les parties en conflit ou en cause.

16b) Le terlius gaudens ou troisième larron qui, sans être impliqué directement dans le conflit, essaie d’en tirer profit. Il peut arriver que le tiers bénéficie d’une situation conflictuelle malgré lui, du simple fait que les rivaux se tenant en échec, il peut développer sa force sans obstacle. Ou bien encore l’un des rivaux favorise le tiers uniquement pour faire pièce à son concurrent. Ce dernier cas présente deux possibilités : ou bien les rivaux sont déjà en conflit et essayent l’un et l’autre d’obtenir la faveur du tiers, au prix de concessions pour renforcer leur position, ou bien ils entrent en conflit à cause du tiers et de la faveur qu’ils attendent de lui.

17c) Le type divide et impera qui se caractérise par le fait que le tiers intervient directement dans le conflit et éventuellement le provoque en vue de ses propres intérêts ou pour mieux poursuivre ses objectifs. Il peut donc précipiter les autres dans le conflit, le cas échéant pour éliminer l’un après l’autre, parce qu’ils se sont affaiblis au cours de leur rivalité, ou bien il suscite entre eux la méfiance et la discorde pour mieux poursuivre ses objectifs par ailleurs, après avoir détourné l’attention des éventuels concurrents.

4 – Mais la typologie du tiers est encore plus complexe

18Ainsi qu’on peut le constater d’après nos deux premiers paragraphes, cette typologie de Simmel, pour suggestive qu’elle soit, n’embrasse pas toute la diversité du rôle du tiers dans un conflit ou une rivalité. Aux aspects que nous avons indiqués, il faut en ajouter d’autres, dont deux retiendront tout particulièrement notre attention. Je néglige volontairement le phénomène de la neutralité politique, non point parce qu’il n’offrirait pas d’intérêt, mais parce que la discussion du problème mériterait une longue analyse pour elle-même. Signalons seulement que cette neutralité n’est pas à confondre avec celle du médiateur ou de l’arbitre, car elle est passive, du fait qu’elle consiste en l’abstention d’une intervention sous n’importe quelle forme. Le neutre essaie de se tenir à l’écart, s’il le peut, car il arrive parfois qu’il subisse le contrecoup du conflit, ainsi qu’on a pu le constater à propos de l’attitude de la Suède ou de la Suisse lors de la dernière guerre mondiale. De toute façon, en dépit de la passivité, ce genre de neutralité ne se laisse pas confondre avec une véritable impartialité. Il suffit pour le moment d’avoir évoqué ce problème.

19Le premier aspect que je voudrais présenter à propos du rôle du tiers consiste dans le fait que, par son existence même, non seulement il nourrit la rivalité des deux camps opposés, mais il introduit aussi le doute et souvent l’embarras, sinon la discorde, au sein de chacun des camps. Le Tiers-Monde offre l’exemple le plus immédiat de ce phénomène. Sans doute l’URSS et les USA se concurrencent, avec des succès et des échecs successifs pour s’attirer les bonnes grâces du Tiers-Monde et étendre ou consolider leur influence, mais ils sont également divisés intérieurement sur la politique à suivre.

20En dépit des déclarations officielles, il y a en URSS comme aux USA autant de divergences dans les cercles dirigeants sur l’attitude à adopter vis-à-vis du tiers arabe que vis-à-vis du tiers européen. En effet, le tiers peut être générateur d’hésitations, d’atermoiements et de malentendus, surtout s’il ne constitue pas lui-même une unité compacte et s’il est soumis à des influences contradictoires ; il désoriente les deux rivaux qui cherchent à le subjuguer. J. Lukaszewski a par exemple remarquablement montré comment l’existence des communautés européennes divise des organisations aussi monolithiques que les partis communistes. Ce ne sont pas seulement les communistes occidentaux qui portent une appréciation différente sur la construction européenne, mais également les pays de démocratie populaire qui sont loin de porter le même jugement sur l’Europe que la Russie soviétique. La Chine manifeste une orientation encore plus spécifique, au point que l’on peut dire que « les fondateurs et les dirigeants de la Communauté ne pouvaient pas entrevoir que celle-ci deviendrait l’un des principaux sujets de la controverse sino-soviétique, ni faire en sorte qu’il en soit ainsi » [8]. Le tiers peut devenir facteur de division dans les camps opposés malgré lui, car il s’en faut de beaucoup que les sphères dirigeantes américaines soient d’accord sur les relations à entretenir avec la Communauté européenne.

21Ces exemples servent d’illustration à un problème plus général. Celui-ci change d’aspect suivant que les deux partis rivaux constituent respectivement des unités relativement homogènes et que le tiers n’est qu’un rassemblement plus ou moins hétéroclite d’aspirations qui ne fusionnent qu’à l’occasion de démonstrations idéologiques ou, inversement, suivant que le tiers constitue une unité cohérente face à deux rivaux qui agissent en ordre dispersé parce qu’ils sont intérieurement divisés sur la conduite à tenir. On peut envisager d’autres modalités. On peut imaginer, et l’histoire fournit des exemples, la situation caractérisée par la présence de deux camps concurrents fortement structurés face à un tiers tout aussi structuré ou, inversement, un tiers émietté en lutte avec deux concurrents tout aussi désagrégés.

22Il n’est pas possible d’épuiser ici toutes les hypothèses théoriques, qui souvent ont constitué des réalités historiques, dont nous n’avons pas encore pris vraiment la mesure. Il y a plus de richesse dans l’histoire que ce que nous révèlent les théories ou les systèmes des historiens. Bref, l’analyse polémologique de la notion du tiers est encore à faire.

5 – Le tiers, plaque tournante de toutes les alliances

23L’aspect le plus passionnant, et intellectuellement le plus spectaculaire, bien que positivement et historiquement il ne soit pas prépondérant par rapport aux autres aspects envisagés jusqu’à présent, consiste dans le jeu des alliances. Le tiers forme en quelque sorte la plaque tournante de toutes les alliances. On comprendra aisément que les diverses configurations possibles des coalitions aient fait au premier chef l’objet de recherches précises. Les études américaines que nous avons mentionnées se concentrent essentiellement sur ce problème. On pourra s’en faire une idée en lisant Deux contre un, l’ouvrage déjà cité de Th. Caplow. Considérée sous l’angle politique, toute alliance a pour fondement le tiers. En effet, s’il s’agit d’un pays faible, il recherche en général l’amitié d’un plus fort pour assurer sa sécurité en cas de menace, mais aussi, comme le passé nous le montre, la mise en place d’alliances nouvelles, parfois antinaturelles, précède directement le déclenchement des conflits [9]. Au demeurant la stratégie est commandée dans une large part par l’évaluation des possibilités d’intervention de tiers. Diplomatie et stratégie vont de pair. La présence ou non de tiers modifie d’ailleurs en général la nature des conflits. Il y a toutes sortes de configurations possibles, sur lesquelles nous reviendrons plus bas, suivant que les ennemis virtuels sont de force à peu près égale ou au contraire inégale, de sorte que l’alliance d’un des adversaires avec le tiers peut rompre l’équilibre jusque-là existant ou à l’inverse le rétablir. Le tiers peut parfois jouer un rôle décisif, ainsi que le précise G. Simmel à propos de l’alliance franco-russe, dirigée contre l’Allemagne, au début de ce siècle : « La position politique de la France en Europe s’est immédiatement modifiée de la façon la plus considérable quand elle entra en relation étroite avec la Russie. L’alliance supplémentaire avec un troisième ou quatrième pays ne pouvait plus produire de changement essentiel une fois que l’alliance principale avait été conclue » [10]. Il en fut de même lors de la signature du pacte en 1939 entre Hitler et Staline. Le jeu diplomatique ne consiste pas seulement à étudier toutes les combinaisons possibles dans le cas d’une relation triadique, mais aussi d’évaluer, relativement au rapport des forces, le poids respectif de chaque configuration. Ce n’est pas uniquement la politique extérieure qui est déterminée par l’alliance, mais aussi la politique intérieure où les crises éclatent souvent à cause de l’attitude des tiers, tout comme celles-ci peuvent trouver une solution suivant que le tiers s’allie avec un parti ou un autre. L’intervention du tiers conditionne en grande partie le jeu de la majorité et de la minorité parlementaire. Supposons le fait, qui arrive assez fréquemment, de deux partis forts, dont aucun ne possède la majorité absolue. Ce sont les petits partis-charnière qui décident en fin de compte de la possibilité de sortir de l’impasse : ou ils provoquent la crise, suivant qu’ils s’allient à l’un ou l’autre des deux grands partis ou bien renversent l’alliance, en retirant en général de ces manœuvres des avantages substantiels qui ne correspondent pas à leur poids réel.

24Le rôle que le tiers peut jouer dans un conflit est diversiforme. Il peut tout aussi bien contribuer à précipiter une constellation dans la crise qu’aider à la résoudre. Il peut apparaître comme une force de dissuasion tout comme il peut devenir l’objet d’un conflit. Aussi une typologie du tiers ne saurait-elle rendre compte de toutes ses possibilités, du fait qu’il est à l’origine de toute une casuistique. C’est dire que sociologiquement aucune relation sociale n’est directement ou nécessairement par elle-même polémologène ou irénogène, car tout dépend de la situation et du contexte dans lequel elle s’inscrit. Autrement dit, les pacifistes se trompent quand ils prêtent en soi des vertus pacifiques à certaines relations plutôt qu’à d’autres. Il n’existe pas de relation qui serait purement et perpétuellement irénologique. D’ailleurs on sait par expérience que même l’amour peut être source de conflits.

6 – Partisans et tiers

25À titre d’exemple, je voudrais illustrer le rôle du tiers à propos d’une figure tout à fait typique du monde contemporain qui est devenue pratiquement la source principale des conflits. Il s’agit du partisan. On ne l’a guère étudié jusqu’à présent [11], peut-être parce qu’on reste idéologiquement obnubilé par ses manifestations spectaculairement tragiques. L’« émotionalité » qu’il crée paralyse peut-être la réflexion. Il ne saurait cependant être question de faire ici une analyse en profondeur de l’ensemble du phénomène du partisan qui, par certains côtés, est le produit d’une mentalité révolutionnariste à la mode, par d’autres d’un nationalisme exaspéré, au nom d’un particularisme qui se dissimule sous un universalisme, généralement de caractère pseudo-éthique. Ce qui nous importe pour l’instant, ce n’est pas l’appréciation de cette conformation nouvelle, mais, dans les limites de cette étude, d’examiner les affinités assez inattendues du partisan avec la notion de tiers.

26Le partisan est condamné à une action éphémère s’il ne trouve pas un tiers officiel, au plan international, capable de le soutenir ou de le représenter, même avec des réticences. On n’a malheureusement jamais approfondi jusqu’à présent les fluctuations, les incertitudes, les ambiguïtés, les artifices des tiers sympathisants qui, pour des raisons politiques ou autres, ont intérêt à épauler une cause déterminée. En vertu des conditions démocratiques ou pseudo-démocratiques, la CIA américaine n’est certainement pas plus coupable que les agences soviétiques qui n’ont pas à rendre compte de leurs activités à une institution politique ouverte. L’espionnage est ce qu’il est et il se ressemble dans tous les pays. Il n’y a que la naïveté idéologique qui condamne la ruse des uns et ignore celle des autres. Mon propos ne cherche donc pas à être partisan parmi les partisans, mais à reconnaître, par-delà les jugements moralisateurs, le contexte, les conditions et les présupposés d’un soulèvement partisan.

27Étant donné qu’ils sont des combattants irréguliers, ignorés par le droit international, les partisans ne peuvent mener une action militaire durable ni se développer sur le plan politique, s’ils ne trouvent appui auprès d’une tierce instance régulière, en général un ou plusieurs autres États capables de travailler à leur reconnaissance. L’OAS en Algérie était condamnée d’avance parce qu’elle était privée du tiers régulier qui aurait pu prendre en charge sa cause sur le plan de la politique internationale. Par contre le FLN comme les fedayin ont rapidement trouvé cette aide auprès des autres pays arabes. La Russie a joué le même rôle pour les partisans du Vietminh en Indochine. On voit mal comment les maquis auraient pu subsister en France et en Europe durant la dernière guerre mondiale, sans l’aide des Alliés. Les troupes du général Mihailovic se sont effondrées le jour où Churchill a reconnu Tito, il est inutile de multiplier les exemples. Partout l’appui du tiers fut la condition du succès des mouvements de partisans.

7 – La reconnaissance du tiers, fondement de l’équilibre

28Cette analyse polémologique du tiers offre aussi le plus grand intérêt pour la sociologie en général dans la mesure où le tiers est, me semble-t-il, constitutif de toute socialisation. Il existe deux seuils numériques déterminant pour la sociologie, d’une part le chiffre 3, de l’autre le nombre indéterminé qu’est une masse ou une foule. Autrement dit, il y a une césure sociologique entre le chiffre 2 et le chiffre 3 et entre un ensemble numérable et un ensemble non numérable.

29Je voudrais attirer seulement l’attention sur le seuil que constitue le tiers. Les rapports entre deux personnes (la dualité) sont interindividuels et pour cette raison essentiellement de nature psychologique, sauf dans les cas où la dualité est formée de groupes. En tout cas, la simple dualité ne permet la formation ni d’une majorité ni d’un groupe. Celui-ci n’est possible qu’avec l’apparition du tiers, parce que B et C peuvent se coaliser contre A et même former une association ou une majorité. C’est pourquoi le chiffre 3 me semble fondamental pour toute sociologie. D’ailleurs, les relations des coalisés ne sont presque jamais identiques, du fait que dans le groupe B + C, les rapports de B à A ne sont pas les mêmes que ceux de C à A. Suivant les intérêts et les conflits possibles, le premier groupe B + C peut se dissoudre et renaître sous la forme d’un autre, par exemple B + A contre C ou C + A contre B.

30Les jeux auxquels donne lieu le tiers sont extrêmement variés, y compris au plan des conflits, à cause de la diversité des coalitions possibles. Simmel a d’ailleurs analysé avec beaucoup de finesse les caractères spécifiques du tiers. Il montre par exemple qu’il rompt l’intimité attachée à la dualité, qu’il rend sociologiquement possible l’unité collective qui transcende les membres, car dans la relation duale chacune des personnes est l’équivalent de l’autre dans la juxtaposition. Il remarque également que le tiers transforme radicalement l’institution du mariage, en ce sens qu’il y a une véritable rupture par rapport à la famille monogamique avec l’apparition du tiers ou de la seconde femme. En effet, une fois que l’on accepte le tiers, le fait d’avoir ensuite quatre, dix ou vingt femmes n’a relativement plus de signification majeure. C’est également avec le chiffre 3 que commence la série, ce qui indique bien que le seuil sociologique se situe entre les chiffres 2 et 3 et non point entre 3 et 4 ou d’autres nombres.

31Cependant, c’est surtout comme élément déterminant de l’équilibre social que l’analyse polémologique du tiers contribue à une intelligence plus approfondie des phénomènes sociaux. Il a pu exister autrefois des sociétés relativement homogènes, on n’en rencontre plus de jours. Elles sont toutes stratifiées, sans doute selon des normes différentes, mais ces différences mêmes sont sources de conflit. À la vérité, la lutte de classes n’est que l’expression idéologique de la stratification sociale et des tensions qu’elle engendre, car elle ne se manifeste que dans des situations exceptionnelles. La lutte de classes essaie de réduire les relations d’une société globale à la dualité de l’ami et de l’ennemi, et par conséquent à occulter le tiers. Elle n’y parvient que très rarement, dans des circonstances bien déterminées et en général éphémères, parce qu’elle ne parvient pas à dépasser la pesanteur du tiers. L’histoire de la Russie soviétique montre qu’en éliminant le tiers au cours de la lutte révolutionnaire, il surgit ou plutôt il resurgit au sein du parti révolutionnaire. Trotski en est une parfaite illustration. Plus significative encore est l’attitude de Staline qui, après avoir éliminé Trotski, a suscité artificiellement des tiers qui ont pris le visage de Kamenev, Zinoviev ou Boukharine, pour asseoir son pouvoir en les supprimant. On pourrait faire ici une longue dissertation sur la nécessité de réintroduire le tiers pour maintenir la combattivité révolutionnaire. Autrement dit, ces considérations permettent une autre lecture de la politique de Robespierre et de Saint-Just, vaincus par les hommes de Thermidor, tout comme elles peuvent éclairer la tactique de Staline ou d’Hitler. Il est, en effet, remarquable qu’Hitler a joué avec le tiers que constituaient à tour de rôle les protestants, les catholiques, la Reichswehr et même les intellectuels, pour consolider la prise du pouvoir. Les dictatures se caractérisent par le fait qu’elles ne reconnaissent pas le tiers, ce qui veut dire qu’elles l’utilisent pour contraindre les esprits à raisonner idéologiquement dans le cadre de la dualité. Aussi instituent-elles une guerre civile larvée et permanente.

32Une société ne se stabilise que lorsqu’elle reconnaît le tiers, ce qui veut dire qu’elle accepte les ententes, les compromis et les transactions. Autrement dit, elle reconnaît l’existence de groupes, corporations ou syndicats et partis aux intérêts et aux idées divergents. L’équilibre social est fait de la reconnaissance des différences, ce qui veut dire que conceptuellement la différence ne se définit pas simplement par l’autre, mais par le tiers. Ainsi que Max Weber et Vilfredo Pareto l’ont montré, les sociétés modernes comportent presque toutes des éléments hétérogènes, déjà à cause de la divergence des intérêts des diverses couches sociales, et par conséquent elles impliquent des antagonismes permanents qui peuvent évoluer, suivant les circonstances, vers un conflit. Il semble cependant que tant que le tiers peut jouer un rôle efficace entre le pouvoir et le reste de la population, sous la forme par exemple d’une opposition reconnue ou de pouvoirs intermédiaires, la société ne connaît que très rarement les situations de rupture, mais elle fait place aux compromis et à la tolérance.

33Cette hétérogénéité sociale irrite en général le rationalisme éthique du révolutionnarisme, dont les options intellectuellement radicales tendent à évincer le tiers. Somme toute, la reconnaissance du tiers est non seulement le fondement de l’équilibre social qui permet aux différents intérêts de s’exprimer, mais elle constitue également la force qui fait obstacle au manichéisme des minorités dites révolutionnaires. Il est effet quasiment impossible de se réclamer d’une doctrine révolutionnaire, au sens moderne du terme, et de reconnaître en même temps le tiers.

8 – Le tiers et les relations de conflit

34L’analyse du tiers offre encore un autre intérêt pour la sociologie générale, parce qu’elle donne lieu à une élaboration mathématique des relations de coalition ou de conflit. Ce problème a fait l’objet de plusieurs séminaires, organisés par l’Institut de polémologie de Strasbourg, auxquels ont participé des mathématiciens, en autres MM. Fuchs et Sidler, enseignants à l’Institut de mathématiques de Strasbourg. Les discussions ont permis de dégager jusqu’à présent trois orientations possibles, qu’on peut résumer de la manière suivante selon propositions de M. Beauchard, chargé de cours à l’Institut de polémologie de Strasbourg.

35Notons cependant au préalable que ces trois explorations demeurent indicatives, car nous ne sommes pas encore parvenus à des conclusions définitives. La discussion reste ouverte, du fait qu’il n’y a pas encore accord total entra les participants sur toutes les propositions, comme l’exige un résultat scientifiquement établi.

36La première orientation est celle d’une combinatoire. Le problème posé est celui des diverses combinaisons, mathématiquement possibles, entre les tiers, si l’on considère que leurs relations peuvent être de trois types : l’amitié, l’hostilité et l’indifférence. Les tiers peuvent être indifférents l’un à l’autre, donc simplement juxtaposés : A, B, C. Il peut également arriver que deux amis soient indifférents au troisième :

37A + B, C

38A + C, B

39B + C, A

40Ils peuvent tout aussi bien être amis entre eux : A + B + C, ou bien former un groupe d’amis, hostile au tiers :

41A + BC

42A + CB

43B + CA

44Enfin ils peuvent être hostiles l’un à l’autre dans une inimitié généralisée :

45ABC

46Chaque membre a deux voisins, d’où chaque fois six possibilités. Suivant le principe des couples ordonnés, les possibilités s’élèvent à 36. Il est clair que, parmi ces possibilités, toutes ne sont ni sociologiquement ni polémologiquement pertinentes ou significatives, car nombreuses sont celles qui se recoupent. La question à résoudre est de déterminer les combinaisons qui sont vraiment significatives. Ce qui me paraît important, c’est que ce calcul permet de fixer mathématiquement le nombre exact de possibilités, donc de circonscrire des limites, s’il est vrai que le principe de toute science est d’explorer des possibilités et par conséquent de définir rigoureusement certaines limites. Ce résultat acquis apparaît comme le premier stade d’un calcul plus vaste permettant de déterminer les relations possibles entre quatre, cinq et autres membres d’une configuration sociale sur la base d’une typologie de l’amitié, de l’hostilité et de l’indifférence. Ce travail peut sembler fastidieux, mais il est indispensable de le faire, si l’on veut déterminer avec précision le maximum de combinaisons possible entre une pluralité de groupes.

47La deuxième orientation concerne la géométrie du rapport des forces entre tiers, suivant que l’un est plus fort que les deux autres, ou plus faible. Là aussi on peut envisager diverses possibilités et éventuellement évaluer les coalitions les plus efficaces ou les plus opportunes dans l’ensemble d’une stratégie. La question à résoudre est de savoir quelle est l’alliance apparemment la plus judicieuse à réaliser suivant que :

48A = B = C

49A > B et C, si B = C

50A > B > C, mais A > (B + C)

51A < B et C, mais B = C, etc.

52Il semble que mathématiquement il n’y ait que douze possibilités. Naturellement l’établissement rigoureux de ces rapports, pour important qu’il soit, ne constitue pour le sociologue et le polémologue qu’un aspect du problème du rapport des forces, dans la mesure où ce jeu des possibilités formelles ne saurait résoudre le problème de la décision ni celui de la vertu de la puissance. En effet dans le cas d’un rapport de forces équivalent, la puissance et la volonté restent des facteurs déterminants, au point que le plus faible du point de vue du rapport quantitatif des forces peut triompher du ou des plus forts si sa volonté et son intelligence stratégique sont supérieures à celles de son ou de ses adversaires [12].

53La troisième orientation, à peine ébauchée jusqu’à présent, concerne l’analyse mathématique, suivant les principes de la nouvelle mathématique inaugurée par René Thom sous la dénomination de théorie des catastrophes. Il semble que cette exploration devrait permettre non point peut-être de mathématiser, du point de vue quantitatif, les phénomènes de rupture dans une situation donnée, mais au moins de les formaliser, éventuellement avec une relative prévision de certaines conséquences.

54Sans préjuger du résultat des recherches en cours, on peut cependant constater que l’étude du phénomène du tiers semble être capitale à la fois pour la sociologie et la polémologie, car on peut dire dès maintenant que la dissolution du tiers risque en général de transformer une crise en un conflit, tandis que l’apparition d’un tiers au sein d’un conflit fait prendre à celui-ci une autre tournure.

Notes

  • [1]
    Cet article est initialement paru en juillet 1975 dans la revue Études polémologiques, n° 17, p. 11-23. Nous remercions René et Jean-Noël Freund ainsi que la revue Études polémologiques pour leur aimable autorisation de reproduction. Un numéro de cette revue, arrêtée en 1991, relancée en 2012, est accessible via le site : http://fr.calameo.com/read/00041324166a3c2aa83ac
  • [2]
    J’ai analysé plus longuement cet aspect à propos du cas particulier de la guerre du Kippour dans « La reconnaissance de l’ennemi et le tiers », International Problems, vol. XII, septembre 1974.
  • [3]
    Voir H. Marcuse, La fin de l’utopie, Paris, Seuil, 1968. p. 49.
  • [4]
    Voir mon étude « La tolérance régressive » dans l’ouvrage collectif de H. Marcuse, B. Moore et R. P. Wolff, Critique de la tolérance pure, Paris, éd. John Didier, 1969.
  • [5]
    La vérité historique m’oblige à préciser une information donnée par M. Gaston Bouthoul dans son récent ouvrage sur La Paix, Paris, PUF, 1973. La notion d’irénologie est d’usage courant à l’Institut de sociologie de Strasbourg depuis de longues années, donc bien avant que le général Werner ne l’ait employée, sans doute à la suite du colloque de polémologie de l’Université de Louvain en mars 1971.
  • [6]
    G. Simnel. Sociologie, nouvelle édition, Berlin, Duncker et Humblot, 1968.
  • [7]
    Signalons entre autres l’étude, traduite en français, de Th. Caplow, Deux contre un, Paris, Colin, 1971, ainsi que Principles of Organization, New York, Harcourt, 1964. Parmi les autres études américaines, signalons M.L Borgatta, « Power Structures and Coalitions in Three-person Groups », Journal of Social Psychology, 55, 1961 ; W.A Gamson, « A Theory of Coalition Formation », American Sociological Review, 26, 1961 ; M. A Kaplan, « Balance of Power, Bipolar and other Models of International Systems », American Political Science Review, 51, 1957 ; Th. M. Mills, « The Coalition Pattern in three-person groups », American Sociological Review, 29, 1964 ; J. Kenmann et O. Morgenstern, Theory of Game and Economic Behavior, Princeton University Press, 1954 ; W. H. Riker, The Theory of Political Coalitions, Yale University Press, 1962 ; R. Walton, Third Party Roles in Interdepartmental Conflict, Purdue University, 1967. Cette liste n’est évidemment pas exhaustive.
  • [8]
    Voir J. Lukaszewski, « La Communauté européenne : facteur de la différenciation des stratégies communistes », Panorama démocrate-chrétien, Rome, janvier-mars 1974. Voir également du même auteur : « The European Communauty and Eastern Europe », The Round Table – The Commonwealth Journal of International Affairs, Londres, janvier 1973.
  • [9]
    J’appelle alliance antinaturelle celles que concluent des pays aux régimes diamétralement opposés et qui se combattent idéologiquement, par exemple celle qui eut lieu avant 1914 entre la France démocratique et l’autocratie tsariste, ou en 1939 entre l’Allemagne nazie et la Russie communiste. Chaque fois qu’une telle alliance se conclut, il y a un énorme risque d’un conflit proche ou imminent.
  • [10]
    Simmel, Soziologie, p. 72.
  • [11]
    Voir cependant C. Schmitt, La notion de politique et théorie du partisan, Paris, Calmann-Lévy, 1972.
  • [12]
    Voir J. Freund, L’Essence du politique, Paris, Sirey, 1965, p. 137.
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