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Article de revue

Équité, neutralité, responsabilité. À propos des principes de la médiation

Pages 51 à 65

Notes

  • [ 1]
  • [ 2]
    A titre d’exemple, on peut citer l’article 13 du code déontologique de l’association Accord, à Strasbourg. Il stipule qu’en cas de manquement aux règles déontologiques, le bureau de l’association pourra prononcer des sanctions à l’encontre du médiateur. Le CNM, Centre National de la médiation, France, se veut encore plus précis puisqu’il prévoit la suspension de l’agrément d’exercer et la radiation.
  • [ 3]
    Comme le souligne Jean-Yves Trépos (1996 : 49), « l’équipement est ce dispositif, liant personnes, choses et actions selon une certaine loi, dans lequel les partenaires acceptent d’investir et à propos desquels ils s’accordent ».
  • [ 4]
    Pour une présentation détaillée des modes de rencontre des médiés, des procédures de médiation et des modalités de saisine voir les travaux de Jean-Pierre Bonafé-Schmitt (1992) et de Philipp Milburn (2000).
  • [ 5]
    « Le médiateur peut le cas échéant, préciser aux parties qu’ils peuvent bénéficier de conseils juridiques, mais ne doit en aucun cas prodiguer lui-même ces conseils » (Article 4 du code déontologique de l’Association Nationale pour la Promotion de la Médiation Familiale APMF, France).
  • [ 6]
    Ainsi de l’exemple célèbre du juge Paul Magnaud, refusant, en 1898, de condamner pour vol une mère de famille dans le besoin.
  • [ 7]
    Sa décision est toutefois cadrée par le référentiel juridique puisqu’en rendant des décisions de justice, les juges créent des précédents susceptibles de suites décisives sur les interprétations futures.
  • [ 8]
    Ces deux modalités de l’équité renvoient aux deux acceptions contemporaines du concept tel que défini dans le Dictionnaire Encyclopédique de Théorie et de Sociologie du Droit (1993 : 234). Tantôt l’équité se manifeste dans une configuration qui est consubstantielle au droit en lui permettant de relativiser son formalisme ; tantôt elle se traduit dans une configuration extra-juridique exogène au droit positif.
  • [ 9]
    Article 21 du code déontologique du Centre National de la Médiation (France).
  • [ 10]
     A partir d’une problématique phénoménologique fondée sur les rationalisations et les perceptions agissantes des médiateurs, nous avons utilisé plusieurs outils d’investigations pour appréhender ce champ de la médiation. Ces investigations se sont traduites par : un travail d’observation participante (40 médiations, dites sociales) ; une étude documentaire détaillée (étude comparée des codes déontologiques, analyse des bilans, fiches de poste, écrits professionnels, textes légaux) ; une enquête par questionnaire (n = 68) ; des entretiens semi-directifs (n = 25) avec des médiateurs sociaux en région lyonnaise et mosellane. Pour une présentation détaillée de notre outillage méthodologique, se reporter à Ben Mrad, Sociologie des pratiques de médiation . Entre principes et compétences , Thèse, Université de Metz, 2003.
  • [ 11]
     Le principe de responsabilisation est peut être le principe qui montre le mieux que la médiation n’est, ni fondée sur une figure transcendante, ni sur un collectif abstrait, mais sur la valorisation de l’initiative individuelle .
  • [ 12]
     De multiples prescriptions déontologiques, en amont et durant la médiation, se rapportent à ce principe. Par exemple, le code déontologique de l’association Accord de Strasbourg précise dans ses articles 1 et 3 que la mise en œuvre de la médiation est soumise à l’accord de l’ensemble des parties et que l’élaboration des solutions relève de leur seule décision.
  • [ 13]
    Il s’agit de déterminer le niveau de responsabilité (consacré notamment dans le code pénal français par les articles 121-1 et suivants, et dans le code civil par l’article 1384) où « chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou son imprudence ».
  • [ 14]
    Cette dimension prospective de la responsabilité est proche de la définition que Hans Jonas (1990) a donné à ce concept pour analyser les dangers de notre civilisation technologique. Selon cet auteur, l’avenir indéterminé est le véritable horizon de la responsabilité (p. 23). Celle-ci ne renvoie pas à son acception étymologique, c’est à dire au fait de répondre de ce qui a été fait (le faire effectif), mais de ce qui est à faire (le pouvoir faire), puisqu’elle porte sur l’avenir et sur la possibilité de cet avenir (p. 132).

1 Malgré la diversité des conceptions qui s’expriment dans le champ de la médiation et malgré les controverses d’écoles, on peut repérer dans les discours et les pratiques des médiateurs l’affirmation d’un certain nombre de principes fondamentaux. Ils renvoient à un ensemble de prescriptions explicites et à des énoncés plus ou moins impératifs qui visent à assurer une conformité des conduites professionnelles et qui permettent d’encadrer l’action. Ces principes demeurent généraux, car tout en s’exprimant dans leurs déclinaisons pratiques, ils portent avant tout sur la philosophie de l’action. Celle-ci se manifeste à des degrés variables dans les divers champs de la médiation : pénale, sociale ou familiale. Ces principes sont souvent déclinés dans des codes déontologiques et constituent des référentiels qui permettent aux médiateurs de baliser, grâce au respect de règles jugées fondamentales, leurs pratiques de la médiation. Ces pratiques ne sont pas réductibles aux échanges intersubjectifs mais sont compréhensibles à l’aune des conditions institutionnelles d’exercice, en partie définies par les codes déontologiques de la médiation. Pour autant, l’intelligibilité de la conduite des médiateurs nécessite d’avoir un regard qui dépasse la simple analyse des prescriptions. Il ne s’agit pas d’estimer que les exigences institutionnelles et déontologiques sont des formes sociales rigidement définies, mais au contraire de considérer qu’elles sont aussi « retravaillées » par les acteurs. Aussi souscrivons-nous à l’idée que les dimensions institutionnelles (structures) - dont la déontologie en constitue l’une des manifestations - et les dimensions pratiques (actions) sont dans des rapports de circularité (Giddens, 1987). Dans cette perspective, nous montrerons que l’équité, la neutralité et la responsabilisation sont des principes récurrents et incontournables pour circonscrire le champ de la médiation par rapport aux autres modes de régulation. Nous nous arrêterons sur chacun de ces principes pour en discuter leur nature et les questionnements qu’ils soulèvent. Tout en soulignant certaines différences entre les logiques socio-normative et philosophique de la médiation et celles de la justice, nous préciserons les contenus de ces principes, consubstantiels à la définition même de la médiation.

1 – Penser la médiation à partir de ses principes

2 Les prescriptions déontologiques constituent un ensemble d’indications dans lequel certaines dimensions de l’activité se trouvent définies. Ces dimensions renvoient à des principes fondamentaux qui permettent de distinguer la médiation des modes de régulation voisins. En cela, les codes déontologiques participent à la définition du concept de médiation en stabilisant par convention ce que le médiateur doit ou ne doit pas faire. Ils fournissent des instructions et produisent des interdictions à l’intention des praticiens [ 2] mais aussi, on aurait trop tendance à l’oublier, ils s’adressent aux autres professionnels et instances légitimantes (Etat, collectivités locales…) en énonçant les engagements qu’impliquent l’exercice de la médiation. La lecture des codes déontologiques s’avère donc pertinente puisque ce sont des équipements [ 3] qui s’appuient sur des règles qui concernent le praticien et qui contiennent les principaux référentiels auxquels il doit se rapporter dans l’exercice de ses fonctions. Ces référentiels circonscrivent les modes d’intervention et constituent un cadre à partir duquel est jugé le travail du médiateur.

3 La médiation requiert nécessairement la présence d’un tiers « neutre, indépendant sans autre pouvoir que l’autorité que lui reconnaissent les médiés qui l’auront choisi ou reconnu librement » (Guillaume-Hofnung, 1995 : 74). Alors que la présence d’un tiers, extérieur aux parties, n’est pas une condition nécessaire au déroulement d’un processus de négociation, la médiation se caractérise, avant tout, par sa configuration ternaire , composée des deux parties et du tiers médiateur. En raison, notamment, de cette spécificité (par rapport à la négociation et aux autres modes de régulation), institutions, experts et praticiens de la médiation se sont attachés à préciser le rôle de ce tiers et les exigences déontologiques et éthiques qui lui incombe. Son contexte d’intervention est formalisé par des procédures qui comportent diverses étapes (il reçoit, seul ou en binôme, séparément puis conjointement les parties en conflit). Il existe évidemment de multiples variantes (médiation directe, médiation indirecte [ 4] ), mais les objectifs dans les différentes phases de la médiation consistent, tout en identifiant précisément les récriminations, à amener les parties à signer ou à s’engager explicitement sur des compromis fondés sur des règles d’équité qu’ils auront dégagées de leurs discussions ( principe d’équité ). Ces dernières doivent trouver elles-mêmes les solutions à leurs accords puisque le médiateur n’est pas un arbitre mais une tierce personne qui contribue à la prévention et à la résolution des différends ( principes de neutralité et d’impartialité ). La promotion des modes de saisine fondés sur le volontariat ( principes de responsabilisation et de libre adhésion ) est un troisième principe essentiel qui permet de susciter le consentement mutuel des médiés et de favoriser la restauration du lien social.

4 C’est à l’aune de ces principes que la médiation est le plus souvent définie dans les discours savants et professionnels et dans les codes de déontologie. De même, l’absence ou le non-respect de ces principes sont des indicateurs qui permettent de comparer la médiation aux autres modes alternatifs de régulation (conciliation, arbitrage), de dénoncer les usages abusifs de l’appellation et donc de stabiliser les définitions les plus conventionnelles.

5 Par exemple, il est courant d’entendre que la médiation se distingue de la conciliation dans la mesure où cette médiation doit s’exercer en dehors d’un espace de soumission à un pouvoir institutionnel. Cette absence de soumission est l’une des conditions du respect des principes de neutralité et d’impartialité . Il est aussi commun de différencier la médiation de l’arbitrage en soulignant l’absence de responsabilisation des parties dans les accords puisque les fonctions de l’arbitre se caractérisent par le pouvoir de trancher un différend. Les décisions dans les procédures d’arbitrage émanent d’une tierce personne alors qu’en médiation, on a l’habitude de dire qu’elle ne doit ni imposer son point de vue, ni défendre l’une des parties, mais s’appuyer sur leur responsabilité individuelle et les considérer comme de véritables acteurs pouvant trouver des solutions à leur conflit. Au contraire de l’arbitrage, le principe d’équité serait respecté en médiation puisqu’il ne dérogerait pas à la préservation du libre arbitre des parties, à la prise en compte de leurs attentes, et au sentiment qu’elles considèrent que les règles de justice qui s’appliquent à elles soient « justes ».

6 Concernant les usages estimés abusifs de l’appellation « médiation » pour définir un mode de régulation, c’est surtout la médiation pénale qui fait l’objet des critiques les plus affirmées. Il lui est reproché (Guillaume Hofnung, 1995 ; Leroy, 1995 ; Six, 1995 ; Bonafé-Schmitt, 1998) que sa logique se fonde sur une philosophie éloignée de celle de la médiation, en raison précisément de l’absence ou du non-respect des principes d’équité, de neutralité et de responsabilisation des parties.

7 Sous la tutelle du Parquet, les pratiques des médiateurs pénaux s’inscriraient dans un ordre judiciaire où le rappel des sanctions légales et des responsabilités juridiques se substituent aux règles de justice définies par les parties, c’est à dire aux règles d’équité. Alors que le Parquet a des missions de coercition, de répression et de poursuites, la médiation vise au contraire avec la contribution des intéressés à trouver une solution acceptable et acceptée, fondée sur le respect de leurs intérêts respectifs, sur l’évitement de la procédure judiciaire et sur le rejet de toute logique autoritaire. Dans ce contexte judiciaire les médiateurs pénaux privilégieraient des solutions liées essentiellement au respect du droit aux dépens de solutions amiables décidées par les parties impliquées (légalité versus équité).

8 Ces conditions d’exercice qui, pour beaucoup d’auteurs, travestissent l’esprit de la médiation, ne favoriseraient pas, non plus, le respect des principes de neutralité et d’impartialité puisque le médiateur est sous les ordres d’un magistrat qui le plus souvent a déjà désigné une victime et un mis en cause. Cette dépendance se manifeste dans la manière d’aborder la médiation et dans la manière de considérer les faits consignés dans le procès verbal comme des éléments incontournables ne pouvant être explicitement contredits. Affirmant que leur rôle n’est pas de refaire l’enquête et donc de modifier le contenu des dépositions arrêtées dans le procès verbal, ces médiateurs pénaux entérinent le plus souvent dans leur pratique effective cette configuration entre la partie désignée victime et celle signalée mise en cause (Ben Mrad, 2002 : 113). Dans ces conditions, les principes de neutralité se trouvent fortement bouleversés, voire écartés, au profit d’une démarche plus proche d’une logique judiciaire – étayée par des modes de persuasion plus ou moins coercitifs – que d’une médiation ( ibid . : 123).

9 Même si l’adhésion des parties est formellement inscrite dans le code de procédure pénal français (art. 41), celle-ci se fonde, pour la plupart des observateurs (avocats, médiateurs, chercheurs), sur une acceptation forcée, voire sur l’obligation pour les parties de s’engager dans ce mode alternatif de régulation. Autrement dit, même si le consentement des médiés est légalement nécessaire pour engager une procédure de médiation pénale, on s’aperçoit que dans la pratique cette faculté de participer ou de refuser la médiation est soumise à un ensemble de contraintes qui pèsent sur le « libre arbitre » des médiés (Milburn, 2002 : 79). Ces contraintes sont perceptibles à travers des modes rhétoriques de persuasion qui visent à rechercher « l’adhésion » des médiés. Ils s’exercent par des injonctions à participer aux médiations, rappelant les risques de poursuite pour les mis en cause et du classement sans suite pour la victime. Il s’agit alors de les « convaincre » à négocier en leur faisant accepter ce qui est censé être leur sens des responsabilités. Mais responsabilité ne signifie pas responsabilisation, et nous verrons par la suite en quoi ces termes doivent être distingués quand ils se rapportent à la médiation.

10 Nous pourrions aussi montrer que la mise en exergue de ces principes fondamentaux nourrit les réflexions sur la nécessité ou non de penser la médiation en terme de métier autonome ou de fonctions attachées à des professions établies. En effet, les débats relatifs à la professionnalisation de la médiation se focalisent sur la présence ou l’absence de ces principes. Par exemple, certains diront que tel professionnel ne peut pas être en position de médiateur en raison : de sa forte inclination à se cantonner au registre du droit plutôt qu’au registre de l’équité (avocat, magistrat) ; de son absence de neutralité (« médiateur » employé par un bailleur agissant auprès de locataires) ; du caractère discordant en terme de responsabilisation (travailleur social qui ne fait que répondre administrativement à un droit de l’usager).

11 Ces principes d’équité, de neutralité et de responsabilisation sont fondamentaux pour caractériser la médiation par rapport aux autres modes de régulation, pour écarter les appellations considérées comme « injustifiées », voire usurpées, et pour spécifier le champ professionnel. En effet, c’est autour de ces principes que vont se cristalliser les critiques « de ce qu’est ou n’est pas la médiation ». Leur centralité nous conduit donc à nous intéresser de manière plus approfondie à chacun d’entre eux, et de les discuter.

2 – Principe d’équité et contestation de la toute puissance de la règle juridique

12 La médiation est traversée par une volonté de redéfinir les modalités d’action et les principes traditionnellement défendus par les professions établies, notamment les professions judiciaires. Le jugement d’un litige ne le résout pas pour autant ; il peut même, selon la doctrine de la médiation, s’envenimer. De surcroît, au cours d’une procédure judiciaire, les parties tenteront d’obtenir, au prix quelquefois d’arguments fallacieux, le maximum de satisfaction : le prévenu atténuant sa responsabilité, la victime recherchant la sanction la plus sévère en acculant son adversaire.

13 Selon la doctrine déontologique, les médiateurs ne doivent donc pas s’appuyer sur une rationalité juridique pour favoriser des relations équilibrées. Ce sont leurs qualités humaines d’écoute et leur capacité à rendre la communication possible qui fondent leurs compétences. Plutôt que de recourir au droit positif, il leur est enjoint de faciliter l’émergence des normes produites par les personnes en situation de médiation [ 5] .

14 Idéalement, en médiation, la logique de la raison juridique ne doit pas se substituer à la logique auto-productive de règles élaborées par les intéressés. La légitimité de ces règles se fonde, non pas sur l’existence d’une normativité externe (loi ou jurisprudence, par exemple), mais sur des processus résolutifs endogènes et individualisés, permettant aux intéressés de s’accorder sur une partie, ou sur l’ensemble des éléments qui les opposent. Comme le rappelle Jean-Pierre Bonafé-Schmitt (1998) mobilisant les concepts de Jürgen Habermas (1987) : la rationalité procédurale basée sur la participation et la communication intensive doit se substituer à la rationalité substantielle qui est basée sur la toute puissance du droit érigé en vérité absolue. Autrement dit, il ne s’agit pas de mettre un terme au conflit en s’appuyant sur l’ensemble des règles juridiques, mais de promouvoir, par la participation des intéressés, des règles d’équité. Celles-ci se définissent comme les règles « de justice », qui font sens pour le médié. Elles peuvent être éloignées des règles de droit puisque c’est d’abord l’objectivation de ce qui paraît « juste » pour le médié qui constitue le point d’ancrage de ce type de normativité. Le « juste » n’est pas conçu à partir de la légalité, mais de ses représentations subjectives, c’est-à-dire de l’esprit de justice des interactants.

15 L’équité peut ainsi aller au-delà de ce que prescrit la loi, notamment quand ses principes comblent les lacunes du caractère trop général du droit positif. Elle atténue certains effets de son application, surtout quand elle est trop rigide. Ce sens de l’équité est proche de celui d’Aristote ( Éthique à Nicomaque , V, 1137 b 10), qui souligne le caractère limité des lois humaines et la possibilité pour les hommes d’y remédier en les corrigeant. Il nous rappelle que les dispositions légales ne peuvent être conçues avec une entière justesse ; leur généralité les rend forcément insuffisantes. Les principes d’équité sont des principes qui pondèrent alors les dispositions légales et peuvent constituer des réponses nouvelles à des situations que ces dispositions n’auraient pas prévues. L’équité bouscule ici, d’une certaine manière, « l’universalité », ou plutôt la dimension générale de la loi, puisqu’elle exprime l’idée d’une impossibilité d’ordonner universellement les rapports sociaux avec harmonie à partir de la seule légalité.

16 Plus encore, en médiation, les règles d’équité peuvent s’opposer aux règles de légalité. Ce qui constitue une difficulté majeure, surtout pour les tenants d’un juridisme absolu : les règles d’un accord équitable, bien qu’elles soient jugées justes par les parties et par le médiateur peuvent être considérées comme des interprétations erronées, voire comme des dispositions proscrites du point de vue juridique, et contredire la stricte application de la loi. Ordinairement, le médiateur n’est pas censé ignorer la loi ; mais sa complexité la rend forcément inaccessible au profane du droit qu’il est. Les interactants de la médiation, en raison, notamment, de cette méconnaissance (ou d’une connaissance partielle de la loi), recourent alors aux règles d’équité, c’est à dire aux règles qui leur semblent justes (ou les moins mauvaises) pour régler un conflit. La mise en œuvre de ce principe d’équité peut donc interroger la dimension trop légale d’une règle de droit, mais elle peut aussi remettre en cause les règles d’égalité pour proposer d’autres règles de justice (par exemple : des règles de proportionnalité ou de réciprocité). Eu égard à ce principe d’équité, la médiation serait ainsi, non seulement un mode de régulation, mais aussi une procédure visant l’émergence de décisions, en principe partagées, et fondées sur un sens élargi de la justice, où l’égalité des satisfactions peut parfois l’emporter sur l’égalité des rétributions. Dans cette perspective, la médiation tend à créer un droit vivant et évolutif plutôt que fondé sur des normes légales ne tenant pas toujours compte de l’environnement social. Précisons aussitôt que ces principes d’équité ne sont pas évidemment attachés à la seule fonction de médiation ; ils sont aussi effectifs dans les décisions de justice. Celles-ci ne s’appuient pas toujours sur les seules lois et se fondent sur des évaluations subjectives des situations traitées. Le juge est ainsi amené à adapter la légalité aux situations concrètes, en retenant par exemple les circonstances atténuantes d’une infraction. L’équité peut être alors définie comme une manière d’humaniser le droit. Elle produit « une justice tempérée par l’amour », selon la définition d’Aristote, dans la mesure où le juge fait preuve de compassion à l’égard de l’accusé [ 6] .

17 Dans l’application des principes d’équité, c’est surtout la connaissance de la règle juridique qui nous semble distinguer le juriste du médiateur. On pourrait schématiquement dire que le premier applique des règles d’équité en connaissant les règles légales, alors que le second n’a pas, a priori , ce niveau de connaissance de la légalité. Idéalement, l’un met en accord les exigences du droit avec les exigences de sa conscience morale [ 7] , et l’autre met en accord son sens de la justice avec, au mieux, quelques repères juridiques. La recherche d’équité oblige le médiateur, d’une certaine manière, à traiter certains aspects sociaux des conflits en prenant en compte les intérêts, les besoins, les valeurs, les difficultés, voire les souffrances du médié. Une certaine méconnaissance du droit offre alors aux médiateurs et aux médiés une large latitude de réponses possibles, contribuant ainsi à la production de règles d’équité [ 8] .

3 – Du principe d’indépendance au principe de neutralité

18 L’indépendance personnelle et institutionnelle sont des préceptes transversaux que l’on retrouve de manière récurrente dans les codes déontologiques, les manuels de médiation et les témoignages des praticiens. En médiation le tiers n’est ni juge, ni arbitre : il ne doit pas imposer son point de vue aux parties. Son autorité se limite à les aider à dialoguer sur les éléments du différend et à instaurer un climat communicationnel favorable aux échanges et à la compréhension réciproque. Institutionnellement, cette indépendance se traduit surtout par l’absence de tutelle d’une instance extérieure qui aurait droit de regard et d’intervention sur la médiation. Le médiateur ne doit donc pas exercer une activité incompatible avec sa mission et possède le pouvoir de refuser ou d’accepter une médiation, eu égard à sa liberté de conscience et à la nature des relations qu’il peut entretenir avec les médiés. Il ne doit pas « se soustraire aux règles d’indépendance et de neutralité au moyen d’une interposition de personnes [ 9]  ». Cette posture du médiateur implique qu’il fasse preuve de distanciation pour éviter de confondre son rôle avec celui du plaideur. L’indépendance personnelle et institutionnelle est une des propriétés que le médiateur doit posséder pour affirmer son impartialité. Autrement dit, l’impartialité permet de garantir une certaine neutralité du médiateur, ce qui nous conduit à distinguer ces deux principes.

19 Il existe une forte proximité sémantique, voire une synonymie entre le principe de neutralité et celui d’impartialité ; la neutralité est souvent rapportée à l’impartialité dans les définitions des dictionnaires. Si les médiateurs que nous avons observés [ 10] utilisent ces deux termes de façon indistincte pour parler de leur activité au quotidien, les règles des codes déontologiques comportent souvent des prescriptions qui se rapportent à l’un, ou à l’autre, de ces principes.

20 Dans ces codes, l’impartialité se décline autour de l’ indépendance du médiateur par rapport aux acteurs et aux conflits qui lui sont soumis. Pour garantir son impartialité, le médiateur ne doit pas exercer des activités professionnelles et extra-professionnelles incompatibles avec son travail de médiation. Par exemple, il ne peut pas être impliqué directement ou indirectement dans un différend entre un locataire et un bailleur s’il est l’employé de ce dernier. Même s’il évoque sa neutralité, les médiés pourraient remettre en cause son impartialité et suspecter que la non garantie de la confidentialité des propos. L’impartialité désigne, en quelque sorte, les « incompatibilités » d’exercice de la fonction de médiateur (par exemple : policier, juge, avocat, etc.).

21 Quant au principe de neutralité, il est commun de rappeler qu’il vise à éviter les attitudes d’évaluation des médiateurs à l’égard des médiés. De manière générale, la neutralité peut se définir comme une attitude que les médiateurs adoptent pour éviter de prendre partie pour l’un des médiés sur les responsabilités du différend. En principe, les fonctions de juger, voire de négocier avec les parties sont explicitement proscrites, quelle que soit l’opinion que le médiateur peut avoir de la situation (ce qui n’empêche pas que les parties peuvent négocier entre-elles). Il doit donc s’interroger sur son implication et ne pas profiter de sa position pour avantager l’une des parties. Son engagement à l’égard des médiés doit être équilibré, dans la mesure où ses objectifs ne visent pas à définir des responsabilités individuelles.

22 Si le concept d’impartialité n’appelle pas un questionnement approfondi, le principe de neutralité nous semble, par contre, plus complexe à appréhender. Les comportements sociaux sont en effet souvent évalués, de manière plus ou moins consciente, à partir des normes et valeurs liées à l’appartenance sociale et à tous les traits consécutifs de la socialisation (familiale, scolaire ou sociale). Autrement dit, la difficulté d’échapper aux processus de comparaison sociale entre le médiateur et les médiés constitue une probable entrave à l’application de ce principe. Le médiateur peut-il renoncer à ses croyances, à ses attentes, bref, à se désincarner socialement ? Il est difficile de répondre par l’affirmative sans tomber dans l’angélisme apologétique. Répondre par la négative permet de relativiser ce principe et en concevant de façon plus plausible les actions liées à ce mode de régulation sociale, d’en poser les limites et d’en interroger la nature.

23 Prenons l’exemple des médiateurs sociaux devant gérer des actes relevant de la petite délinquance. Même si l’application stricto sensu de la neutralité conduit le médiateur à considérer l’invraisemblable comme probable, la référence à la norme ou le rappel à l’ordre qu’il peut faire recèlent, implicitement ou explicitement, une forme de jugement social , parfois étayé juridiquement. Nous avons tendance à oublier que les injonctions à se conformer aux règles de civilité et de sociabilité exprimées dans les objectifs de médiation sociale permettent difficilement aux médiateurs de respecter ce principe. Comment, en effet, renforcer la cohésion sociale sans considérer la nécessité d’établir, même de manière consensuelle, des accords basés sur des valeurs socialement dominantes pouvant néanmoins être rejetées par un certain nombre d’individus ? La normativité sociale construite dans la relation médiateur(s)/médiés, au même titre que la normativité juridique, comporte une certaine prévisibilité dont la variabilité oscille entre le respect des règles sociales les plus communément admises et le souci de ne pas remettre fondamentalement en cause l’ordre établi. Indubitablement, la médiation renferme une invitation au conformisme social ou, autrement dit, pousse à adopter une rationalité du raisonnable…

24 De ce point de vue, la médiation est fondée sur un paradoxe : elle sollicite les agents sociaux à se situer dans la norme (respect d’autrui, règles de bienséance et de sociabilité) tout en affirmant que cette sollicitation déroge à ses principes de neutralité. Quand les objectifs de cohésion sociale cohabitent avec l’affirmation de ce principe, l’équilibre semble précaire. Sa stabilisation pourrait être concevable à la condition, soit de se dispenser de tels objectifs (et donc de se montrer indifférent aux transgressions sociales), soit d’abandonner ces principes empathiques (et récuser l’auto-production normative des parties en conflit). L’abandon des objectifs de restauration des liens sociaux, quant à lui, comporte le risque de transformer la médiation en un simple lieu d’écoute et donc d’être, au mieux, une instance de soutien psychologique des médiés. Inversement, le renoncement au principe de neutralité inscrirait la médiation dans un mode de résolution de conflits basé sur la confrontation antagoniste d’intérêts, ce qui la situerait dans une configuration semblable à celle de la justice : si le juge se doit d’être impartial, il n’est pas neutre quand il statue dans une affaire puisqu’il désigne un coupable et une victime. Dans cette configuration, la médiation, même si elle ne s’appuie pas sur un mode juridique de règlement de conflits, se fonderait alors sur la subjectivité normative du médiateur.

4 – Le principe de responsabilisation

25 La responsabilisation des intéressés est un des autres principes fondamentaux de la médiation. Dans les codes déontologiques des médiateurs, il renvoie, par exemple, aux règles concernant le fait que les médiateurs doivent encourager les médiés à participer à la définition des conditions de la médiation. Responsabiliser reviendrait donc à permettre à un individu d’exercer sa responsabilité individuelle. Discutons cette assertion.

26 Etymologiquement, le concept de responsabilité renvoie à la capacité de répondre de ses actes  ; celui de responsabilisation introduit une action (puisqu’il s’agit d’accomplir un acte) et un acteur (puisque cet accomplissement suppose la présence d’un tiers qui facilite, ou rende possible, le fait d’être responsable). Dans cette acception, « être responsable » renvoie à l’idée d’une capacité à réfléchir sur les conséquences, les implications et les raisons de son propre comportement (Etchegoyen, 1993 : 46) et à la prise en compte d’autrui, puisque ces raisons, conséquences et implications lui sont rapportées ; elles le concernent, directement ou indirectement. Etre responsable suppose donc que l’individu se pose la question (ou que quelqu’un la lui pose) de répondre de ce qu’il a fait, ou de ce qu’il avait l’intention de faire. Et répondre implique qu’il y ait un interlocuteur qui puisse entendre la réponse (hors le cas de l’introspection où l’individu dialogue avec lui-même).

27 Le terme de responsabilité est souvent marqué par son acception juridique, alors que celui de responsabilisation relève plutôt de la sphère éducative. Si la notion de responsabilité sous-tend qu’autrui est toujours présent, celle de responsabilisation introduit une dimension supplémentaire : elle présuppose l’existence d’un tiers qui mobilise les capacités d’un individu exercer son sens de responsabilité. Autrement dit, si la responsabilité ne peut se concevoir sans l’existence d’autrui, son exercice n’implique pas forcément l’existence d’un tiers ; l’acte de responsabiliser, lui, ne peut s’envisager sans ce tiers. Responsabiliser consiste aussi à permettre à un individu d’envisager ses devoirs futurs. Il signifie que les médiateurs mettent en œuvre une pédagogie de la responsabilité, qu’ils déclinent un certain nombre de moyens pour faire accéder à la responsabilité. Cette responsabilisation implique de leur part un ensemble d’attitudes qui vise à créer les conditions d’un engagement individuel des médiés, le médiateur jouant un rôle actif dans sa stimulation. Eu égard à la lecture des codes déontologiques, le principe de responsabilisation apparaît en médiation très lié à la question du pouvoir. Il est d’une certaine manière son contre poids puisque responsabiliser, c’est donner un espace de jeu à l’autre et lui laisser une certaine latitude dans son action. Ce rôle ne s’exerce donc pas par le pouvoir que le médiateur aurait sur le médié, mais sur sa restitution et son affirmation comme principe directeur de l’action.

28 Dans ces principes, la médiation réaffirme en effet l’autonomie du sujet, sa liberté à confronter « librement » sa subjectivité à celle d’autrui. Elle repose, en quelque sorte, sur une figure enchantée du lien social. La confrontation des individus n’est pas permanente et pour construire des accords durables entre les individus, ils peuvent compter sur leurs propres ressources [ 11] , et non déléguer à une figure transcendante (Léviathan, Etat,) la régulation de leurs différends, comme cela est proposé dans une vision hobbesienne. Dans le prolongement de la responsabilisation des médiés, la libre adhésion, dont elle est l’une des conditions, affirme l’indépendance individuelle du sujet et sa capacité à se déterminer volontairement. Elle signifie notamment que ce principe n’est pas imposé par la loi, mais qu’il est le résultat d’une démarche consciente et formelle qui intègre en premier lieu l’engagement des interlocuteurs [ 12] . Conséquemment, l’absence de sanction quant à la non-adhésion d’une ou des parties au projet de médiation consolide ce principe. Les médiés ne sont pas contraints de répondre de leurs actes comme ils le feraient dans le prétoire judiciaire. Ils s’inscrivent dans une démarche où l’engagement individuel prime sur l’injonction qu’un ordre juridique pourrait rendre nécessaire, sinon obligatoire. Ce n’est donc pas la crainte de la sanction qui les motive à dialoguer, mais la nécessité de considérer autrui comme un interlocuteur. Affirmer la responsabilisation comme principe directeur permet de reconnaître aux médiés qu’ils possèdent un certain pouvoir, celui au moins d’agir sur une situation conflictuelle par le choix d’une procédure singulière.

29 En fait, le médiateur agit sur deux versants ; il crée les conditions permettant aux parties d’être en capacité de répondre à autrui, et il les conduit à préciser leur sens de la responsabilité. Il introduit une temporalité moins liée à un passé – dans la mesure où il ne s’agit pas de savoir « qui est responsable », selon l’acception juridique – qu’à un futur fondé sur le devoir agir. Introduire cette dimension temporelle dans la réflexion nous semble ici pertinent dans la mesure où le paradigme juridique est en effet prioritairement fondé sur l’évaluation des responsabilités antérieures [ 13] . Dans la logique juridique, les actes précèdent l’évaluation de la responsabilité ; en médiation, ils sont aussi envisagés dans une perspective présente et future, sur les intentions ou sur les nouveaux devoirs des personnes. Les médiés, en médiation, doivent certes répondre de leurs actes, mais ces actes sont aussi à appréhender dans le cours des négociations qui s’engagent et dans les décisions qu’ils pourraient eux-mêmes prendre. A la dimension causaliste vient ainsi s’ajouter la dimension prospective [ 14] , sur laquelle pourra être appréciée a posteriori la pertinence de l’engagement individuel. Quand ils répondent de leurs actes, les médiés sont la plupart du temps absorbés par une logique qui consiste à remonter des effets (objet du conflit) aux causes (raisons du conflit). Le concept de responsabilisation invite à ne pas se focaliser sur ce type de raisonnement et à inverser sa logique, c’est à dire à réfléchir sur les actes toujours susceptibles d’être des causes (ou en cause), en projetant les effets qu’ils peuvent avoir sur autrui. A cet égard, la responsabilisation recouvre au moins deux figures : celle qui consiste à se déclarer responsable (au sens étymologique) de son passé et, d’autre part, celle qui vise à construire sa responsabilité à venir, ou dans l’avenir (conscience rétrospective et conscience des conséquences). La responsabilisation est en quelque sorte une épreuve de la responsabilité face à un autrui susceptible lui-même de répondre de ses actes et de discuter ceux de son interlocuteur. Dans ces conditions, elle représente, sur le plan sociologique, une figure de sociabilité.

30 Ajoutons que ce principe de responsabilisation est ici une garantie pour l’élaboration et la pérennité des accords puisqu’il est censé être construit et motivé rationnellement par les parties. La responsabilisation des parties est donc source, en l’absence de coercition, d’une stabilisation de ces accords. Elle devient un vecteur indispensable pour arguer de l’effectivité et de la pertinence des modes de résolution extra-judiciaire des conflits.

Conclusion

31 Les principes de médiation sont en quelque sorte des « garde-fous » qui contribuent à contenir les effets des jugements sociaux. Ils tendent à écarter les partis pris idéologiques, les préférences personnelles et les préjugés des médiateurs dans leurs inclinations à mettre en avant les valeurs du groupe particulier auquel ils appartiennent. Gardiens d’une éthique de la discussion, ils permettent d’encadrer les débats en intégrant des règles de procédures et de positionnements individuels des médiateurs, tout en reconnaissant explicitement les besoins mutuels des médiés. Ces principes concourent en même temps à écarter des modèles universalistes de justice, ne permettant pas d’intégrer le pluralisme des valeurs et des normes qui se manifestent dans les interactions conflictuelles.

32 Au-delà de ces fonctions, l’analyse stricto sensu des principes n’est cependant jamais suffisante lorsqu’il s’agit de saisir le travail effectif des médiateurs, puisqu’elle relève moins de l’ordre de l’être que du devoir être. Les principes ici discutés sont d’une certaine manière un étalon qui permet d’apprécier la conformité à ce devoir être. Leur mise en exergue ne prétend pas exprimer une sorte de validité absolue mais, au contraire, faire l’objet d’une discussion valorielle permettant de discuter l’effectivité de ces principes dans les pratiques de médiation. La réflexion sur ces « piliers de la doctrine » doit donc dépasser les seules prescriptions principielles et les témoignages des médiateurs lorsqu’ils relatent ce qu’ils disent faire, mais intégrer, par un travail d’observation attentive, le médiateur en situation de médiation. Nous avons pu certes observer que le sens de l’équité de certains médiateurs peut se fonder sur une normativité juridique, que la position de neutralité demeure dans certaines situations qu’un objectif lointain, que la responsabilisation des médiés, notamment en médiation pénale, se construit sur des formes coercitives de persuasion (Ben Mrad, 2002). Dans les pratiques, il apparaît que les techniques de persuasion permettant au médiateur de faciliter la résolution de conflits ne se fondent pas exclusivement sur les principes que nous avons déclinés. Par exemple, l’objectif de responsabilisation des parties ne signifie pas que le médiateur n’est pas promoteur d’une normativité sociale ou ne soit pas utilisateur de règles juridiques auxquelles il souscrit pour les nécessités de sa pratique. Même si les euphémismes sont le plus souvent employés pour parler de son action et de son influence sur les parties, le médiateur ne suggère pas seulement des solutions : il participe à la production de règles pour subordonner aux manifestations antagonistes la raison consensuelle.

33 Une lecture trop centrée sur ces principes contribuerait également à occulter les rapports sociaux véritables en taisant, sous les traits du dialogue réciproque, des formes de domination qui peuvent s’exprimer entre des interactants aux ressources sociales, culturelles et symboliques différentes. Mais si le contenu des négociations et des accords n’est pas totalement indépendant des appartenances sociales des médiateurs et des médiés, les principes d’équité, de neutralité et de responsabilisation ont le mérite d’atténuer, par leurs actions conjuguées, les différences de position de l’ensemble de ces acteurs. Ces principes participent à construire la légitimité du médiateur, fondée ni sur une autorité administrative ni sur une autorité légale, mais sur la reconnaissance que lui accorde les médiés eux-mêmes, une reconnaissance suscitée par le sentiment de ces médiés d’avoir manifestement participé à la régulation de leur conflit et d’avoir exprimé leur propre conception de la justice.

RÉFÉRENCES

  • Ben Mrad Fathi (2002), Sociologie des pratiques de médiation. Entre principes et compétences , L’Harmattan, Paris.
  • Bonafe-Schmitt Jean-Pierre (1992), La médiation. Une justice douce , Syros Alternatives, Paris.
  • Bonafe-Schmitt Jean-Pierre (1998), La médiation pénale en France et aux États-Unis , éd. L.G.D.J, Paris.
  • Dictionnaire Encyclopédique de Théorie et de Sociologie du Droit (1993), éd. LGDJ, Paris.
  • Etchegoyen Alain (1993), Le temps des responsables , Julliard, Paris.
  • Faget Jacques (1995), « La double vie de la médiation », Droit et société , n° 29.
  • Guillaume-Hofnung Michèle (1995), La médiation , PUF, coll. « Que sais-je ? », Paris.
  • Giddens Anthony (1987), La constitution de la société , PUF, Paris.
  • Habermas Jürgen (1987), Théorie de l’agir communicationnel , Fayard, Paris.
  • Jonas Hans (1990), Le principe de responsabilité , éd. du Cerf, Paris.
  • E Roy Etienne (1995), « La médiation : double emploi », Revue droit et société , n° 29.
  • Milburn Philip (2002), La médiation : expériences et compétences , La Découverte, Paris.
  • Trepos Jean-Yves (1996), La sociologie de l’expertise , PUF, coll. « Que sais-je ? », Paris.
  • Six Jean-François (1995), Dynamique de la médiation , Desclée de Brouwer, Paris.

Mots-clés éditeurs : responsabilisation, médiation, règlement des conflits, éthique de la discussion, équité, neutralité

https://doi.org/10.3917/neg.005.0051

Notes

  • [ 1]
  • [ 2]
    A titre d’exemple, on peut citer l’article 13 du code déontologique de l’association Accord, à Strasbourg. Il stipule qu’en cas de manquement aux règles déontologiques, le bureau de l’association pourra prononcer des sanctions à l’encontre du médiateur. Le CNM, Centre National de la médiation, France, se veut encore plus précis puisqu’il prévoit la suspension de l’agrément d’exercer et la radiation.
  • [ 3]
    Comme le souligne Jean-Yves Trépos (1996 : 49), « l’équipement est ce dispositif, liant personnes, choses et actions selon une certaine loi, dans lequel les partenaires acceptent d’investir et à propos desquels ils s’accordent ».
  • [ 4]
    Pour une présentation détaillée des modes de rencontre des médiés, des procédures de médiation et des modalités de saisine voir les travaux de Jean-Pierre Bonafé-Schmitt (1992) et de Philipp Milburn (2000).
  • [ 5]
    « Le médiateur peut le cas échéant, préciser aux parties qu’ils peuvent bénéficier de conseils juridiques, mais ne doit en aucun cas prodiguer lui-même ces conseils » (Article 4 du code déontologique de l’Association Nationale pour la Promotion de la Médiation Familiale APMF, France).
  • [ 6]
    Ainsi de l’exemple célèbre du juge Paul Magnaud, refusant, en 1898, de condamner pour vol une mère de famille dans le besoin.
  • [ 7]
    Sa décision est toutefois cadrée par le référentiel juridique puisqu’en rendant des décisions de justice, les juges créent des précédents susceptibles de suites décisives sur les interprétations futures.
  • [ 8]
    Ces deux modalités de l’équité renvoient aux deux acceptions contemporaines du concept tel que défini dans le Dictionnaire Encyclopédique de Théorie et de Sociologie du Droit (1993 : 234). Tantôt l’équité se manifeste dans une configuration qui est consubstantielle au droit en lui permettant de relativiser son formalisme ; tantôt elle se traduit dans une configuration extra-juridique exogène au droit positif.
  • [ 9]
    Article 21 du code déontologique du Centre National de la Médiation (France).
  • [ 10]
     A partir d’une problématique phénoménologique fondée sur les rationalisations et les perceptions agissantes des médiateurs, nous avons utilisé plusieurs outils d’investigations pour appréhender ce champ de la médiation. Ces investigations se sont traduites par : un travail d’observation participante (40 médiations, dites sociales) ; une étude documentaire détaillée (étude comparée des codes déontologiques, analyse des bilans, fiches de poste, écrits professionnels, textes légaux) ; une enquête par questionnaire (n = 68) ; des entretiens semi-directifs (n = 25) avec des médiateurs sociaux en région lyonnaise et mosellane. Pour une présentation détaillée de notre outillage méthodologique, se reporter à Ben Mrad, Sociologie des pratiques de médiation . Entre principes et compétences , Thèse, Université de Metz, 2003.
  • [ 11]
     Le principe de responsabilisation est peut être le principe qui montre le mieux que la médiation n’est, ni fondée sur une figure transcendante, ni sur un collectif abstrait, mais sur la valorisation de l’initiative individuelle .
  • [ 12]
     De multiples prescriptions déontologiques, en amont et durant la médiation, se rapportent à ce principe. Par exemple, le code déontologique de l’association Accord de Strasbourg précise dans ses articles 1 et 3 que la mise en œuvre de la médiation est soumise à l’accord de l’ensemble des parties et que l’élaboration des solutions relève de leur seule décision.
  • [ 13]
    Il s’agit de déterminer le niveau de responsabilité (consacré notamment dans le code pénal français par les articles 121-1 et suivants, et dans le code civil par l’article 1384) où « chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou son imprudence ».
  • [ 14]
    Cette dimension prospective de la responsabilité est proche de la définition que Hans Jonas (1990) a donné à ce concept pour analyser les dangers de notre civilisation technologique. Selon cet auteur, l’avenir indéterminé est le véritable horizon de la responsabilité (p. 23). Celle-ci ne renvoie pas à son acception étymologique, c’est à dire au fait de répondre de ce qui a été fait (le faire effectif), mais de ce qui est à faire (le pouvoir faire), puisqu’elle porte sur l’avenir et sur la possibilité de cet avenir (p. 132).

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