Notes
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Courriel : milburn@ sha. univ-metz. fr
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Il s'agit du suivi éducatif et social.
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Il ne s'agit toutefois pas du Travail d'intérêt général (TIG) qui constitue une peine. La réparation est une mesure éducative et l'activité ne vise pas la pénibilité mais le don de soi par le jeune : elle a souvent lieu dans une association à caractère charitable.
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Nous venons de débuter une recherche dans ce sens.
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Il s'agit de personnes bénévoles mandatée pour exécuter certaines décisions du procureur. Elles ne détiennent cependant aucune prérogative judiciaire décisionnelle.
1Une justice négociée est-elle possible ou celle-ci doit-elle toujours imposer ses décisions, sauf à perdre les prérogatives de l'imperium de la puissance publique et à être soumise aux pressions des intérêts privés ? Cette question agite bien sûr les réflexions des juristes et les réponses sont différentes selon que l'on se place du point de vue du droit romain ou de la Common Law d'origine anglaise. Elle ne trouvera pas de réponse en termes juridiques au cours de ces lignes, mais nous tenterons de l'aborder dans une perspective sociologique, c'est-à-dire à travers l'examen de la mise en œuvre effective des procédures judiciaires ainsi que de la pratique des professionnels qui en ont la charge.
2La thématique de la « justice négociée » s'est installée dans la réflexion sur la question depuis une vingtaine d'année (Garapon et Amiel, 1986; Ost et alii, 1996), par opposition au modèle dominant d'une justice imposée au justiciable qui subit la décision juridictionnelle sans disposer de moyen de l'infléchir autre que l'argumentation de son dossier, par l'intermédiaire d'un avocat le plus souvent. Du point de vue juridique, c'est-à-dire de la doctrine en matière de procédure, une telle intervention reste fort rare. Et le concept même de « négociation » n'est jamais retenu par le législateur et par les commentateurs de la loi.
3En effet, si l'écoute et le dialogue sont de rigueur, si les auditions « contradictoires » se sont multipliées dans la procédure pénale qui les ignorait auparavant, si l'on encourage la « conciliation préalable » en procédure civile, si l'on doit s'efforcer de recueillir « l'adhésion » des familles en justice des mineurs, le terme de négociation reste proscrit du langage judiciaire. Il n'est pas exclu par le droit, au contraire, qui prête à la négociation des vertus dans le domaine du droit des obligations, dans le processus de transactions et de préparation des conventions entre personnes, qui peuvent (et doivent parfois) être négociées point par point dans la mesure où le droit est « disponible ». L'action judiciaire suppose en revanche que le juge conserve la prérogative décisionnelle et ne soit pas un simple officier ministériel avalisant des négociations privées.
4En dépit de cela, l'examen des pratiques judiciaires qui se déroulent dans le cadre de ces procédures laisse apparaître nombre de situations pouvant être identifiées, du point de vue sociologique, comme de véritables processus de négociation, et de semblables occurrences semblent devoir se multiplier au fil des années : ce sera l'objet de la première partie de notre propos. Une seconde partie s'emploie à exposer les cadres innovants favorisant le développement de telles négociations dans la périphérie des tribunaux.
La construction de la décision judiciaire : un ordre négocié ?
5Si l'on retient les trois modes de constitution d'une décision tels que définis par William Zartman et repris par Christian Thuderoz (2000, p. 129), la coalition (le consensus collectif), l'adjudication (la décision imposée par voie hiérarchique) et la négociation, la décision judiciaire appartient clairement à la seconde catégorie. C'est en tout cas ce qui ressort de l'examen des textes juridiques et des déclarations des juristes, théoriciens ou praticiens. Au-delà de cette structure formelle, la réalité de la pratique apparaît nettement plus nuancée. La part de négociation est loin d'être absente, même si la réalité de l'imposition de la décision ultime n'est pas contestable. Selon le domaine d'exercice de l'intervention judiciaire, la part de cette négociation peut être plus ou moins marginale, et parfois acquérir une place centrale.
La justice des mineurs
6La justice des mineurs est considérée comme l'un des domaines où la dimension de négociation est la plus présente en France et semble appelée à s'accroître depuis plusieurs décennies (Garapon et Amiel, 1989). Le juge des enfants, rappelons-le, est appelé à intervenir certes au pénal, au titre de l'ordonnance du 2/2/1945, mais également (et même surtout) en matière de protection des mineurs au titre du droit civil (art. 375 du Code civil). À cette double compétence juridictionnelle s'ajoute la possibilité pour lui de prendre des décisions en « chambre du conseil », c'est-à-dire sans réunir le tribunal. De telles prérogatives exceptionnelles lui sont attribuées par le fait qu'il intervient toujours dans l'intérêt de l'enfant, quel que soit le domaine (Bailleau, 1996).
7En matière de protection des mineurs, où il est amené à prendre des mesures de suivi éducatif et parfois de placement, « il est invité à recueillir dans la mesure du possible l'adhésion de la famille à la mesure » (art. 375-6 CC). Par ailleurs, outre le jeune lui-même et sa famille, la décision doit également recueillir l'avis d'un avocat (notamment au pénal), mais surtout d'un service éducatif qui a évalué la situation du jeune et celle de sa famille et qui les a parfois déjà « suivis » [2].
8Dès lors, la décision du juge fait suite à un dialogue entre tous ces intervenants et tend vers une solution qui convient à tous (Milburn, 1997, Israël, 1999). Ceci n'est pas le simple fruit d'une culture de la bienveillance qui serait inhérente à la fonction de juge des enfants, ou une application mécanique de la notion juridique d'intérêt de l'enfant (qui se décline de manières différentes selon les époques ou les conceptions), mais une nécessité posée par l'efficacité éducative de la mesure. Pour qu'une intervention éducative porte ses fruits, il est impératif, du point de vue des professionnels qui prennent en charge la mesure, que les différentes parties (notamment le jeune et sa famille) en perçoivent la valeur et, mieux, s'y impliquent.
9Dans une étude minutieuse réalisée dans les cabinets des juges pour enfants, Liora Israël (1999) montre le processus de négociation qui s'engage entre le famille et le juge, dans lequel les intervenants éducatifs jouent un rôle de catalyseur, qui confère son sens aux demandes et aux justifications des parents. Toutefois, il reste apparent que ce processus de négociation n'est possible que dans des limites définies par le juge et les agents éducatifs. Dès lors que les demandes des parents sortent de ce cadre, elles ne peuvent être entendues et l'on reste alors dans une dynamique conflictuelle, qui nécessite le recours à une décision unilatérale du juge, opposable aux justiciables. Ainsi, L. Israël distingue trois possibilités quant à l'attitude des parents et/ou du mineur face au juge : les coopérants (en accord avec ce que leur propose la justice), les réfractaires (en désaccord inflexible) et les négociateurs (en désaccord mais prêts à la négociation). Ces trois cas de figure correspondent sensiblement à la classification de Zartman et la justice des mineurs forme sa décision sur l'un des trois registres, en fonction de la situation d'interaction à laquelle elle est confrontée.
Les affaires familiales
10Le droit du divorce a considérablement évolué au cours des trois dernières décennies, entre l'introduction dans le droit français du divorce pour « consentement mutuel » en 1975 et sa généralisation par un texte de loi de 2002 qui fait du divorce pour faute (qui représentait plus d'un divorce sur deux jusqu'alors) une procédure exceptionnelle. Un tel contexte juridique favorise l'obtention d'un accord préalable quant aux conditions du divorce par la négociation entre les conjoints divorçants. Il n'en reste pas moins que ces conditions sont fixées – quelle que soit la procédure adoptée – par le juge des affaires familiales (JAF). Toutefois, pour exercer ce pouvoir, les JAF ont le « souci, constamment marqué dans les interactions avec les parties et leur conseil, de faire en sorte que la décision qu'ils rendent soit produite par les intéressés eux-mêmes. » (Bastard, 2002, p. 56).
11Dans cet ouvrage qui rapporte l'observation de la pratique des professionnels du divorce, Benoît Bastard remarque que l'ensemble de ces magistrats privilégie les accords passés entre les conjoints, tant qu'ils ne contreviennent pas à un certain nombre de règles dont les juges sont en quelque sorte les garants : l'ordre public, l'intérêt de l'enfant, l'équité entre les parties... Aussi, lorsque les divorçants y sont prêts, la négociation se fait en amont du cabinet du juge, avec l'aide des avocats qui interviennent dès lors comme conseillers juridiques pour sceller un accord qui, s'il n'est pas un contrat, s'y apparente. En revanche, dès lors que les parties ne sont pas spontanément décidées à s'entendre et qu'elles comptent sur la justice pour trancher en leur faveur, le juge entreprend de conduire, avec l'aide des avocats, la négociation entre les parties sur tous les points contentieux, jusqu'à obtenir leur consentement. « Le but vers lequel tend toute l'audience est de parvenir à une décision, à travers une négociation plus ou moins difficile et avec plus ou moins d'intervention du juge. » (Ibid., p. 73). À l'issue de cette séance, si elle est couronnée de succès dans cette perspective, le juge récapitule les points d'accord pour leur donner une valeur décisionnelle et insiste « sur la part active qu'elles ont eu dans le travail de construction de l'accord [et] fait porter la responsabilité des mesures prises sur les conjoints eux-mêmes. » (Ibid.). Enfin, troisième cas de figure, plus rare, l'intransigeance d'un des conjoints interdit toute négociation : plutôt que trancher de manière unilatérale, le juge opère un renvoi qui reporte la négociation sur les avocats jusqu'à l'audience suivante. Dans un travail d'observation dans les cabinets des avocats du divorce, une équipe de sociologues américains constate ainsi que les avocats de leur côté usent d'un multitude de techniques pour obliger leurs clients à réviser leurs demandes à la baisse et à tendre vers un accord avec leur ex-conjoint (Sarat et Felstiner, 1995).
12Ainsi, en matière d'affaires de divorce, la négociation est le principe essentiel de définition de la décision judiciaire : elle peut se réaliser en amont de l'audience (situation de compromis préalable), pendant celle-ci ou en aval, lorsqu'elle ne peut venir à bout des points controversés. Le triptyque déjà identifié apparaît donc ici sous une autre forme, liée au fait que la négociation est explicitement privilégiée par les magistrats. Reste que ceux-ci conservent toute leur prééminence dans la définition de l'issue : la négociation n'est pas libre mais placée sous le contrôle du juge qui contribue à orienter les dispositions de l'accord : « le juge ne cache pas qu'il détient l'autorité. Il n'hésite pas à se montrer directif, ce qui se traduit par la répétition de formules comme ``vous devez..." ou ``il faut que...". » (Bastard, 2002, p.70).
La procédure pénale
13Le justice pénale constitue à n'en pas douter la forme par excellence de la justice imposée, de la violence légitime exercée par l'État et de l'imperium régalien judiciaire. L'infraction ou le crime commis met son auteur face à une impossibilité d'intervenir sur la sentence qu'il doit subir. Il n'est consulté que pour apporter des informations sur lui-même et sur les faits délictueux mais non pour solliciter une peine ou la clémence du tribunal. Tout juste est-on amené, dans certain cas, à solliciter son consentement pour certaines procédures exceptionnelles, telles le jugement en comparution immédiate ou l'attribution d'une peine de travail d'intérêt général (TIG).
14Certes, des débats ont effectivement lieu, que ce soit en amont du procès (débat contradictoire, auditions d'instruction, etc.) ou durant celui-ci : c'est alors l'avocat qui représente le prévenu et la procédure ne saurait voir les arguments fournis de part et d'autres (ministère public, parties civiles, défense) comme une négociation, tout au plus comme une procédure contradictoire. Cette dimension reste assez marginale dans la procédure pénale française dite inquisitoire où les juges conservent un pouvoir décisif dans la conduite de l'instruction et des audiences, à l'inverse du modèle de Common Law où la procédure accusatoire laisse une place plus ample aux représentants des parties (y compris le ministère public) dans ce processus. Il convient toutefois de noter que la loi du 15 juin 2000 portant réforme de la procédure pénale, oriente le système pénal français dans cette voie, en permettant notamment aux avocats d'apporter des pièces au dossier.
15Si la négociation n'est pas placée au cœur du dispositif pénal, il n'en reste pas moins qu'elle existe en amont, notamment dans la définition d'une ligne de défense par le prévenu en accord avec son avocat. En effet, si le contenu de la décision judiciaire ne saurait faire l'objet d'une négociation avec le tribunal, elle peut être infléchie par la défense, que ce soit sur le registre juridique (par la (re)qualification juridique des faits, notamment) ou judiciaire : la reconnaissance de circonstances atténuantes (Danet, 2001).
16De tels éléments ne pourront être pris en compte par la procédure pénale (mandat de dépôt, instruction, procès) qu'après avoir été établis entre l'avocat et son client, dans le secret du cabinet ou du parloir. Un certain nombre d'éléments font l'objet d'une véritable négociation entre eux. Il s'agit notamment de la version des faits, dont la présentation peut heurter le tribunal ou au contraire s'ajuster avec la lecture qu'il a du dossier; cela vise aussi la manière dont le prévenu se présente au tribunal, que ce soit par la narration de sa biographie ou sa déférence et son respect vis-à-vis de la cour.
17Selon un processus que nous avons baptisé maïeutique (Milburn, 2002a), l'avocat ne prescrit pas les versions des faits, les arguments ou les positions morales de son client. Il les fait émerger par un jeu de répliques où il anticipe les réactions des juges, amenant de la sorte le prévenu à s'y ajuster. Au cours de ce processus, l'avocat ne perd pas sa posture professionnelle pour se voir imposer des arguments de défense par son client : il l'active au contraire en usant de sa connaissance du système judiciaire et du droit pour canaliser la dynamique de négociation vers un objectif correspondant aux attentes institutionnelles. C'est par conséquent l'avocat qui se trouve confronté aux trois types d'attitudes repérées par L. Israël pour les affaires de mineurs : les coopérants, les négociateurs et les réfractaires. Les premiers font spontanément confiance à leur avocat et suivent le chemin qui leur est indiqué sans opposer une autre position. Les seconds nécessitent un travail de conviction de la part du conseil, qui pourra au reste laisser un espace de liberté à leur point de vue, sur certains points. Enfin, lorsque le client refuse le jeu de la négociation et n'ajuste pas un système de défense avec son avocat, celui-ci n'a aucun moyen de coercition : c'est donc la décision judiciaire qui lui sera opposée en dernier ressort.
18Aussi la justice pénale, si elle ne s'appuie pas directement sur une démarche de négociation, renvoie cette fonction sur des intermédiaires que sont les avocats. La décision judiciaire comporte bien une dimension d'imposition, « d'adjudication » pour reprendre la classification de Zartman; néanmoins, elle recèle une part non négligeable de négociation enfouie dans la boîte noire de son fonctionnement réel. Elle se déroule en deux temps : entre le prévenu et son avocat, puis entre l'avocat et la cour, qui traduit la valeur des propos et du comportement du prévenu en termes judiciaires : réalité des faits incriminés, remords, justifications sociales ou psychologiques, bonne conduite, etc. Autant d'éléments susceptibles d'infléchir les décisions prises au cours de l'instruction ou lors du procès, et en dernier ressort de définir la nature de la condamnation.
La justice négociée : évolutions
19Dans les cas de figure que nous venons de rapporter, la négociation n'est pas expressément prévue par la procédure, elle relève exclusivement de la pratique professionnelle des différentes intervenants. Un second indicateur du développement de la part de négociation dans le fonctionnement de la justice française tient dans la multiplication de dispositifs périphériques à l'institution judiciaire et dont l'objectif explicite est de conduire des négociations préalables à une décision de justice.
Les Modes Alternatifs de Résolution des Conflits (MARC)
20Poursuivant un double objectif de réduire les flux de contentieux et de favoriser l'accès au règlement de leurs conflits pour les justiciables les moins fortunés, les politiques judiciaires ont favorisé de développement de ce qu'il est convenu désormais de nommer les MARC. La conciliation a été introduite dès 1978 : elle permet aux parties en litige civil d'éviter la procédure et de trouver un terrain d'entente et de signer un accord qui sera validé par l'autorité judiciaire (Desdevises et alii, 2003). La négociation est conduite par le conciliateur (un bénévole qui ne dispose d'aucune prérogative décisionnelle) autour de leurs intérêts en conflit et des textes de loi de référence. La validité de l'accord repose essentiellement sur la volonté des parties, mais elle peut être opposée dans une éventuelle procédure ultérieure.
21Alors que la conciliation vise des litiges civils (droit immobilier, droit commercial, droit du travail, etc.) où l'enjeu est principalement pécuniaire, la médiation s'est développée pour résoudre des différends davantage axés sur leurs dimensions émotionnelles et morales. Ainsi, la médiation familiale s'est développée dans les années 1980 en dehors de tout contexte judiciaire, relayée par la médiation de quartier. La première vise les différends conjugaux et prépare bien souvent la séparation (Cardia-Vonèche et Bastard, 2002). Les seconds tentent de régler les conflits de voisinage et de proximité divers, qui tiennent davantage du brouillage relationnel et des conditions de vie que de matière juridique ou économique.
22L'esprit initial dans lequel s'est développée la médiation la constituait comme une alternative à la justice et supposait une indépendance à son égard. Celle-ci s'est amoindrie avec l'avènement de la médiation pénale, expérimentée dès les années 80 et introduite dans le code de procédure pénale en 1993 comme alternative aux poursuites. Malgré son affiliation à la justice (la médiation pénale est requise par le procureur qui classe le dossier sans suite en cas de succès), elle constitue un dispositif explicitement fondé sur le principe de la négociation et dont l'issue repose sur les choix et la responsabilité des parties en présence, en l'occurrence la victime et le mis en cause dans une infraction.
23Il s'agit précisément d'éviter toute imposition d'une solution aux parties, qui doivent compter sur leurs seules ressources pour les faire émerger. Les médiateurs ne sont là que comme catalyseurs, propres à établir la communication et un échange pacifié entre elles. Ils sont réputés non directifs et ne doivent donc infléchir le contenu des accords sous aucun prétexte, pas même l'invocation de la loi ou des décisions de justice : c'est là l'une des différences majeures entre médiation et conciliation. Les médiateurs sont neutres au sens où ils ne sont pas mandatés par l'institution mais par les parties, et ils sont impartiaux dans la mesure où ils doivent maintenir un régime d'équité entre elles.
24La médiation constitue donc un véritable dispositif organisé de négociation en vue de résorber des conflits interpersonnels. Conservant peu ou prou cette caractéristique, elle a été mobilisée par la justice comme intervention en amont de la décision judiciaire dans le domaine pénal, mais également en matière civile. Depuis 1996, en effet, la « médiation judiciaire » peut être ordonnée par le juge afin que les parties en conflit trouvent une issue satisfaisante sur laquelle il pourra asseoir sa décision. Cette disposition est notamment usitée en matière de divorce et fortement encouragée par la loi de 2002 portant réforme de celui-ci (Bastard, 2002).
25La médiation familiale a donc toutes les chances de devenir un véritable complément de la juridiction, suppléant le juge dans sa tâche de modérateur de négociation entre conjoints en instance de divorce (Cardia-Vonèche et Bastard, 2002). Elle visera notamment à apaiser la dimension émotionnelle des motifs de différend par une série d'échanges contrôlés qui portent toutefois bien sur les conditions de la séparation. Il s'agit notamment d'amener les plus « réfractaires » à entrer dans une dynamique de négociation. Tout le dilemme du rapprochement de la médiation avec la justice réside précisément dans ce point : sa vocation initiale est de s'adresser à des personnes disposées à négocier et consentantes à la médiation. Or les affaires renvoyées par la justice ont quelque chance d'être précisément celles où la prédisposition à la négociation est faible chez l'une ou l'autre des parties (voire les deux) et où il convient de négocier au préalable le principe même d'une médiation !
Les alternatives aux poursuites
26La médiation pénale est confrontée à ce même problème depuis sa création. Elle intervient en effet comme alternative aux poursuites, pour des infractions mineures comportant une victime et dont l'auteur est connu. Le procureur requiert une médiation qui sera proposée aux justiciables par les médiateurs. Le risque de poursuites (ou de classement sans suite pour le plaignant) constitue une incitation forte à entrer en médiation : la prédisposition à négocier une issue à une situation problématique laisse donc la place à une incitation institutionnelle.
27Le processus de médiation lui-même relève sans doute d'une négociation sur la nature des faits incriminés et sur celle du préjudice de la victime, qu'il soit moral ou matériel. Le principe majeur réside dans la reconnaissance de ce préjudice par l'auteur des faits, puis dans son éventuelle réparation, si cela s'avère possible. Il peut s'agir de la formulation d'excuses comme la remise d'une somme d'argent compensatoire. L'accord de médiation revient entièrement aux deux parties, qui en déterminent le contenu. Celui-ci est parfois, dans la pratique, plus ou moins induit par le médiateur dont la non directivité n'est pas toujours effective et la partialité tend à émerger du fait de la non équivalence entre une victime et un auteur d'actes illicites.
28La médiation pénale constitue une certaine manière de négocier en privé l'issue d'une infraction, à la demande du procureur : elle s'apparente toutefois à une décision de justice dans la mesure où le procureur décide d'abandonner les poursuites au vu du résultat de la médiation qui lui est présenté par le médiateur, placé de la sorte sous son autorité plus ou moins directe, selon les cas (Milburn, 2002b). La médiation pénale est sans doute la plus répandue parmi une série de mesures d'alternatives aux poursuites supposant une part de négociation (ce terme n'étant bien sûr jamais formulé par les textes) avec les justiciables quant à la décision de classement.
29Ces mesures d'alternatives aux poursuites supposent en effet une reconnaissance de leur implication dans les faits : il ne s'agit toutefois pas d'une reconnaissance de culpabilité et la mesure ne constitue pas une condamnation. Dans cette dernière hypothèse, l'on se situerait dans le cas du plea bargaining propre à la Common Law : la reconnaissance de culpabilité permet une condamnation allégée. Ce dispositif qui est au cœur du système judiciaire dans nombre de pays anglophones place explicitement la négociation à l'intérieur de l'action pénale, le justiciable ayant la possibilité d'infléchir directement la décision de justice.
30Dans le système français d'alternative aux poursuites, une telle négociation reste à la marge de l'institution. Il est d'ailleurs singulier qu'elle soit placée sous la supervision des procureurs de la République, dont ni la fonction (représenter l'ordre public en justice) ni la culture professionnelle ne prédispose à adopter une démarche de négociation, contrairement à leurs collègues du siège qui, comme nous l'avons vu au cours de la première partie, y sont souvent familiarisés.
31Plusieurs mesures d'alternative aux poursuites (parfois nommée « troisième voie ») comportent une part non négligeable de négociation qui est réalisée par des intervenants vers lesquels, à l'instar des médiateurs, les justiciables mis en cause dans une infraction sont renvoyés. C'est le cas de la réparation pénale à l'égard des mineurs. Prononcée soit par le procureur, soit par le juge ou le tribunal des enfants, elle renvoie un mineur auteur d'infraction vers un service éducatif spécialisé afin qu'il réalise une activité de réparation, qui efface symboliquement la transgression et donne au jeune une possibilité de se racheter [3]. Dans ce processus, les éducateurs insistent sur la nécessité pour le jeune de choisir la nature de cette activité en accord avec eux, avec leurs parents et avec le lieu d'accueil, afin que le mineur puisse donner du sens à l'activité réparatrice et, en définitive, se l'approprier (Milburn, 2002c). Son implication dans la définition du contenu de la mesure pénale contribue de ce fait à lui conférer sa valeur.
32Les mesures d'injonction thérapeutique, où le parquet renvoie un usager de drogue vers une instance de prise en charge médico-sociale, présentent une configuration semblable dans la mesure où la valeur de l'usage de drogue et de son abandon éventuel est définie dans l'échange avec un intervenant de ce secteur. Dans ce cas, une telle valeur est toutefois établie sur un registre médico-social et non pénal : la négociation est alors pleinement évincée de l'institution judiciaire qui n'en contrôle plus la teneur (Milburn, 2002d).
33En revanche, une disposition encore peu usitée mais vouée à l'être davantage dans l'avenir, semble-t-il, se rapproche plus nettement encore du système anglo-américain de plea bargaining : la composition pénale. Elle permet au procureur de proposer une peine (une amende en général) à l'auteur d'une infraction, de manière à lui éviter toute poursuite susceptible d'occasionner une condamnation à une peine plus sévère et à une inscription au casier judiciaire. L'accord de composition pénale doit être avalisé par un juge du siège. Dans un processus qui reste encore inexploré par la recherche [4], la reconnaissance par l'auteur de son implication dans les faits, la qualification juridique et la hauteur de la peine (qui, en droit, n'en est pas une) sont définis dans l'échange entre le justiciable incriminé et, sinon le procureur ou son substitut, du moins l'un de ses représentants comme par exemple le « délégué du procureur » [5].
Conclusion
34La pratique de la négociation acquiert une place croissante dans la justice, que ce soit de manière informelle (dans la réalité des pratiques de cabinet) ou formelle, dans les dispositifs prévus par la procédure. Si la place accrue de la négociation est patente en droit civil, dominé par la référence au contrat et au consentement des parties, elle apparaît de manière plus subreptice mais néanmoins tout à fait effective dans la procédure pénale où elle constitue une référence de plus en plus légitime et inscrite dans les textes, avec la médiation notamment. Une telle évolution tend à faire infléchir les compétences mobilisées dans le secteur judiciaire de la maîtrise principale du droit vers une compétence relationnelle (Milburn, 2002a).
35Une telle compétence suppose d'orienter une décision de justice dans le double souci de la satisfaction des parties impliquées et de l'application de la loi. L'intervenant, qu'il soit juge, avocat, médiateur ou agent éducatif, est appelé à conduire la négociation entre les parties, tout en l'orientant dans une direction judiciairement acceptable. Il ne prédispose pas du contenu de la décision de justice, qui doit résulter d'un accord entre les parties, mais des limites – parfois fort restreintes – dans lesquelles il peut se réaliser. Aussi l'intervention judiciaire garde-t-elle toute sa légitimité en tant qu'instance de validation de l'accord qui acquiert alors une valeur d'obligation. Elle conserve en outre toute sa puissance dans la mesure où elle peut exercer sa force d'imposition dès lors que la négociation est rendue impossible par les parties ou qu'elle sort des cadres judiciairement acceptables.
36La compétence judiciaire comporte alors une dimension de contrôle de la négociation, qui est parfois délégué à des professionnels extérieurs comme les avocats, les médiateurs ou les agents éducatifs, voire les délégués du procureur. Ceux-ci sont caractérisés par leur absence de prérogative judiciaire décisionnelle, et ils ne peuvent exercer leur mandat qu'à la condition d'obtenir le consentement des justiciables à entrer dans un processus volontaire d'ajustement de leurs positions. Un tel type de compétence permet d'articuler la position dominante de professionnel et de l'institution dans l'intervention judiciaire avec l'implication des parties dans une décision qu'elles ont contribué à forger. Structurellement, une telle configuration pourra être considérée comme une négociation contrôlée, visant à maintenir un équilibre entre la puissance publique de l'action judiciaire et la responsabilité interindividuelle que suppose la négociation. Le principe qui anime cette modalité de justice négociée ne lui ôte pas sa légitimité ni son efficacité. Il leur confère une origine spécifique, celle qui s'appuie sur la reconnaissance directe par les justiciables de la valeur d'une décision qu'ils ont contribué à définir et sur leur implication dans son exécution.
Bibliographie
Références
- Bastard Benoît (2002), Les démarieurs. Enquête sur les nouvelles pratiques du divorce, Paris, La découverte, coll. « Alternatives sociales ».
- Bailleau Francis (1996), Les jeunes face à la justice pénale, analyse critique de l'ordonnance de 1945, Paris, Syros, « Alternatives sociales ».
- Cardia-Vonèche Laura et Benoît Bastard (2002), « La médiation familiale : une pratique en avant sur son temps ? », Recherches et prévisions, n?70, p. 19-30, déc.
- Danet Jean (2001), Défendre. Pour une défense pénale critique, Paris, Dalloz.
- Desdevises, Yvon, Pierre Chevalier et Philip Milburn [dir.] (2003), Les modes alternatifs de règlement des litiges : les nouvelles voies d'une autre justice, Paris, La documentation française, coll. « Perspectives sur la justice ».
- Garapon Antoine et Christian Amiel (1986), « Justice imposée et justice négociée dans le droit français de l'enfance », Actes, n?56.
- Israël Liora (1999), « Les mises en scène d'une justice quotidienne », Droit et Société, n?42/43, p. 393-321.
- Milburn Philip (1997), « Les territoires professionnels et la négociation experte du réel dans la justice des mineurs », Utinam, n?23, octobre, p. 31-49.
- Milburn Philip (2002a), « La compétence relationnelle : maîtrise de l'interaction et légitimité professionnelle. Avocats et médiateurs », Revue française de sociologie, vol. 43 n?1, p.47-72, janvier-mars .
- Milburn Philip (2002b), La médiation : expériences et compétences, Paris, La Découverte, coll. « Alternatives sociales ».
- Milburn Philip (2002c), La réparation pénale à l'égard des mineurs, Paris, Mission de recherche droit et justice, coll. « Arrêt sur recherche », n?1, mars.
- Milburn Philip [dir.] (2002d), L'orientation pénale et le traitement des consommations de psychotropes : évolutions compromis et ambivalences, Paris, GRASS, Rapport de recherche MILDT-INSERM-CNRS.
- Ost François, Philippe Gérard et Michel Van de Kerchove [dir.] (1996), Droit négocié, droit imposé ?, Bruxelles, Ed. FUSL.
- Thuderoz, Christian (2000), Négociations. Essai de sociologie du lien social, Paris, PUF, coll. « Le sociologue ».
Notes
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[1]
Courriel : milburn@ sha. univ-metz. fr
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[2]
Il s'agit du suivi éducatif et social.
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[3]
Il ne s'agit toutefois pas du Travail d'intérêt général (TIG) qui constitue une peine. La réparation est une mesure éducative et l'activité ne vise pas la pénibilité mais le don de soi par le jeune : elle a souvent lieu dans une association à caractère charitable.
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[4]
Nous venons de débuter une recherche dans ce sens.
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[5]
Il s'agit de personnes bénévoles mandatée pour exécuter certaines décisions du procureur. Elles ne détiennent cependant aucune prérogative judiciaire décisionnelle.