Notes
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[1]
Les données de millions de comptes Facebook auraient été illégalement « siphonnées », ce qui aurait permis d’influencer les électeurs clés pendant la campagne de Donald Trump en 2016.
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[2]
Des projets musicaux comme par exemple Wilderness Downtown ou Just a Reflektor, clips interactifs pour le groupe Arcade Fire.
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[3]
Les citations dont la source n’est pas indiquée sont issues d’interviews réalisées par nos soins.
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[6]
Michel Lepetit (président de Global Warning, vice-président de The Shift Project), « Esso : est-ce le pétrole pour le climat ? », 8 décembre 2020 : https://jmj-fanpage.medium.com/esso-est-ce-le-p%C3%A9trole-pour-le-climat-7208ee896dae
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[7]
Depuis lors, Terre seconde a gagné le prix Audi Talents et été présenté au Palais de Tokyo.
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[8]
« L’art socialement engagé a toujours joué un rôle. […] À une époque où la culture technologique valorise avant tout la vitesse et l’itération rapide, l’art nous pousse à ralentir et à nous engager de manière critique sur des questions difficiles » – https://foundation.mozilla.org/fr/
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[9]
L’Usage de l’art, cité dans le mémo ci-dessous.
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[10]
Anne-Laure Barret, « Trafic de tabac : l’accusateur suisse qui fait trembler Philip Morris », Le JDD, 27 décembre 2020.
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[11]
Oculus VR, qui fabrique les casques, est une société appartenant à Facebook depuis 2014.
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[12]
Notons que Martial Geoffre-Rouland a depuis collaboré avec le Google Arts & Culture Lab.
Les géants du numérique et de la tech ont de plus en plus recours aux artistes qui, parfois avec réserve et critique, s’engouffrent dans la brèche en y trouvant aussi leur intérêt. Peut-on dès lors aller jusqu’à parler d’une réappropriation culturelle par les leaders mondiaux du numérique ?
1L’histoire multiséculaire du mécénat culturel ou, plus récemment, celle des nombreuses fondations d’art (Vuitton, Cartier, Lafayette, Ricard…) illustrent les relations complexes et interdépendantes nouées entre les artistes et les acteurs privés. Il y a peu encore, les entreprises des secteurs de la grande consommation ou du luxe finançaient la création artistique. À l’heure d’une mutation globalisée et numérisée, qui voit les sphères d’influence se déplacer, il est captivant de remettre cette question au goût du jour.
2Les mastodontes du capitalisme – ces Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft, dont l’acronyme semble définitivement occulter la diversité des acteurs du numérique et de la tech – se sont tournés vers les datas, la blockchain, la robotique, l’intelligence artificielle… assurance d’un horizon aux dollars illimités et parfois d’une mainmise sur les instances de pouvoir ou sur les individus. L’affaire Cambridge Analytica [1] ou la surveillance modélisée par le « crédit social » en Chine en sont des illustrations parmi d’autres.
3Le monde de la création a dans le même temps vu émerger une génération d’artistes hackers détournant les usages technologiques de notre époque et inventant ses propres codes créatifs. Certains de ces artistes numériques (le terme new media artists est parfois utilisé) se sont ainsi vu proposer des collaborations avec des acteurs incontournables du numérique et de la tech. Plus ou moins foisonnantes et confidentielles, ces collaborations se sont aujourd’hui normalisées, systématisées. Citons par exemple la fructueuse relation entre l’artiste Aaron Koblin et Google. « J’ai travaillé avec Google sur plusieurs projets musicaux réunissant des artistes internationaux [2], puis pour des installations ou des projets de visualisation de données. Actuellement, je consacre mon temps à Supernatural, un nouveau projet en réalité virtuelle avec Google. J’en suis extrêmement passionné ! » confie l’artiste américain [3]. En parallèle, des lieux comme le Google Arts & Culture Lab à Paris, où travaillent une trentaine d’ingénieurs attitrés et des artistes en résidence, ont vu le jour cette dernière décennie. D’autres, comme le MIT Media Lab du Massachusetts, le Sónar+D à Barcelone, le Labo Arts & Techs de Stereolux à Nantes ou l’Ars Electronica Futurelab à Linz, qui défend « des collaborations entre des partenaires du monde de l’entreprise, de la culture, de la recherche et de l’éducation […] façonnant les tendances et les visions futures [4] », sont autant d’initiatives remarquables, nées de structures culturelles ou de la recherche, à prendre en compte dans l’échiquier.
4Comment décrypter, à l’heure du tout-numérique, les intérêts mutuels des artistes et des entreprises dans ces collaborations ? Dans quelle mesure peut-on parler de réappropriation culturelle par les géants du numérique et de la tech ? Est-il possible de schématiser certains mécanismes ? Dans ce travail d’enquête « à charge et à décharge », un terrain préparatoire nécessite d’être défriché. Comme dans toute investigation, certains cailloux se glissent dans la botte de celui qui cherche à avancer. En l’occurrence, notons ici que plusieurs géants du numérique – Google en tête de gondole – ont refusé de répondre aux nombreuses sollicitations d’entretien. Heureusement, plusieurs artistes ont accepté d’échanger sur leurs collaborations passées en partageant leurs analyses.
5Enfin, peut-être faut-il préciser certains termes employés, tant la polysémie des mots n’aide pas à simplifier le sujet. « Il y a quelques biais à dénouer avant de parler de ces collaborations : qu’entend-on par artiste ? Un artiste ne doit pas être confondu avec un designer, qui est au service du développement d’un produit… Il ne faut pas attendre d’un artiste qu’il produise une nouvelle interface de produit ou de service. L’apport d’un artiste est d’offrir un regard sociétal et esthétique neuf… » précise Martin Lambert, responsable du Labo Arts & Techs de Stereolux. Sous-entendu, même si la distinction entre artiste et designer n’est pas si évidente – et encore plus pour cette génération slashers cumulant plusieurs emplois –, il faut regarder concrètement la nature et la finalité des collaborations. Voilà une piste intéressante qui mérite d’être creusée.
L’art et la notion de soft power
6Si on approfondit a priori la question des finalités, on peut entrevoir une volonté de communiquer de la part des entreprises, et sans que celle-ci soit dénuée d’intérêts commerciaux. La stratégie déployée par Google auprès des établissements culturels est intéressante à analyser. L’exposition « AI : More than Human » présentée au Barbican Centre de Londres en 2019 avait pour ambition de « préparer l’avenir de l’intelligence artificielle […] à travers une enquête sans précédent sur les développements créatifs et scientifiques de l’IA, explorant l’évolution de la relation entre les humains et la technologie [5] ». À cette occasion, le Google Arts & Culture Lab – qui en 2014 avait déjà sponsorisé un projet appelé DevArt Showcase au Barbican – a développé sur son site Web un espace didactique et très documenté, reprenant les éléments de l’exposition et invitant l’internaute à s’interroger sur plusieurs questions, fort intéressantes mais teintées de partialité : « La technologie peut-elle aider à sauver les abeilles ? » ou encore : « Comment la technologie peut-elle surmonter les préjugés sexistes et raciaux ? » Google, détenteur de nombreux programmes en la matière, a-t-il un intérêt particulier à démontrer le potentiel solutionniste de l’intelligence artificielle ? Peut-être bien. Autre exemple. En février 2016 à San Francisco, Google a organisé une vente d’œuvres d’art exceptionnelle. Intitulé « DeepDream : the Art of Neural Networks », référence directe à l’IA ayant conçu les œuvres psychédéliques en vente, cet événement a permis d’offrir un zoom médiatique à Google et à son produit DeepDream.
7Le géant du streaming musical Spotify s’est essayé à la même stratégie. En 2016, la Gaîté Lyrique a été le théâtre du lancement de Hello World, premier album pop principalement composé par Flow Machines, un logiciel d’intelligence artificielle (depuis racheté par Sony CSL). Pour cette soirée spéciale, célébrée dans un cadre festif, plusieurs musiciens comme Lescop ou Barbara Carlotti ont interprété les compositions de Flow Machines. Pourtant, au-delà du caractère expérientiel et entertainment, l’enjeu était aussi de marquer l’entrée des IA dans le monde de la production musicale, amorce d’un bouleversement du secteur.
8Nicolas Maigret, artiste numérique engagé, est habitué aux discours liés à l’innovation et à la croissance. Il confie son analyse : « C’est typique d’un mécanisme de manipulation de l’opinion, ou art washing. Avec ces dispositifs, les entreprises travaillent la question de l’acceptabilité et préparent une forme de normalisation. Ça se vérifie avec presque chaque innovation, les artistes peuvent faciliter l’adhésion, créer une vitrine, ou aider à les rendre justifiables, désirables, crédibles, cool… » Autrement dit, ces entreprises font usage du fameux soft power, dont le professeur Joseph Nye (université de Harvard), à l’origine de l’expression, dira qu’elle désigne le fait de « coopter au lieu de contraindre ». La recette a maintes fois été utilisée par le passé. Pétrole Progrès, magazine francophone de communication institutionnelle du groupe Esso (ExxonMobil), en est un exemple pour le moins original. Édité jusqu’en 1985, ce trimestriel d’une vingtaine de pages touchait un lectorat estimé à 200 000 lecteurs en 1957 [6]. Cette revue diffusait une idéologie promouvant l’exploitation du pétrole, une certaine vision du progrès, et posait en même temps une somme de questions pertinentes. Les couvertures des 144 numéros sont par ailleurs de remarquables œuvres d’art, et l’iconographie du cahier d’une rare qualité.
9Nicolas Maigret reprend son analyse sur un autre géant de la tech : « Le cas de Boston Dynamics, l’un des leaders mondiaux de la robotique, est passionnant. La communication et les vidéos où l’on voit des robots danser font en sorte de susciter l’adhésion populaire et de nous préparer à une présence décomplexée de l’esthétique de la logistique militaire. » Anecdote croustillante : en février 2021, le collectif artistique américain MSCHF a annoncé qu’il permettait à des internautes de prendre le contrôle à distance de Spot, un robot de Boston Dynamics équipé d’un pistolet de paintball. Une performance artistique engagée pleine de dérision qui n’a visiblement pas été du goût de la firme américaine, déclarant dans un communiqué sur son compte Twitter : « L’art provocateur peut aider à promouvoir un dialogue utile sur le rôle de la technologie dans notre vie quotidienne. Cet art, cependant, déforme fondamentalement Spot et la manière dont il est utilisé pour notre vie quotidienne. »
10L’artiste numérique Grégory Chatonsky complète ces premières analyses de sa propre expérience : « La communication des entreprises est problématique car elle répond à une division simpliste héritée du management entre le positif (feel good) et le négatif (feel bad). Ainsi, j’ai été approché par le Google Art Lab alors que j’étais chercheur et artiste invité à l’ENS. Je leur ai parlé du projet Terre seconde [7]. Il traitait d’une IA créant une Terre de remplacement après l’extinction de l’espèce humaine. Mon interlocuteur chez Google a eu une mine gênée, estimant que le projet était vraiment trop déprimant et ne correspondait pas au message que voulait diffuser l’entreprise. »
De nombreuses nuances dans les stratégies des entreprises
11Il serait néanmoins caricatural de mettre tous les acteurs privés dans le même panier. Les nuances sont importantes selon les intentions des entreprises et les moyens offerts aux professionnels travaillant en lien avec les artistes. Un prix d’art contemporain financé par une entreprise avec des membres du jury indépendants ne peut évidemment pas être mis sur le même plan qu’un événement culturel émanant d’un service marketing-communication. « En fait, il y a une différence entre les entreprises qui s’investissent dans le champ de l’art sans intervenir sur son contenu et celles qui souhaitent que l’art s’investisse en elles pour communiquer des valeurs », résume Grégory Chatonsky. La fondation Mozilla, qui gère la communauté qui développe et publie des produits Web libres d’accès, est un exemple de stratégie nuancée. Les revendications louables [8] sont suivies d’une batterie d’initiatives. Comme le MozFest, un festival rassemblant des artistes militants tels que Jonas Lund, critique sur l’usage des IA et dénonçant les problèmes générés par la numérisation de la société. Ou comme Beyond the Now, un projet artistique invitant à questionner les artistes sur la nature d’un « art socialement engagé pendant une pandémie mondiale ».
Manager les ressources humaines et les communautés
12La stratégie des entreprises de la tech est d’autant plus rodée et raffinée qu’on y intègre toute la dimension de communication interne et ressources humaines que véhicule l’art au sein des communautés de ces sociétés. Dans un essai [9], le professeur Fred Turner (université de Stanford) démontre que le recours à l’art, pour Google comme pour Facebook, vise par mimétisme à ce que les salariés – les développeurs et ingénieurs en chefs de fil – se considèrent comme des artistes du Web. L’auteur montre également l’intérêt que Google porte aux œuvres, notamment numériques, créées à l’occasion du festival Burning Man dans le désert du Nevada. Comme dans ce désert, les développeurs de ces entreprises numériques croient à l’illusion de lieux virtuels pour que l’individualité créatrice se libère et se diffuse.
13L’idée est encore plus puissante quand on décortique la vision « collaborative » des entreprises de la Silicon Valley. En effet, toutes les sociétés du numérique et de la tech intègrent une dimension idéologique construite sur le partage de communs et la production collaborative. « Au xixe siècle, à l’apogée de l’ère industrielle, l’usage de l’art était l’occasion de montrer sa richesse ; au xxie siècle, dans les conditions de la production collaborative, il devient un moyen de la créer », explique Fred Turner. Louis Éveillard, artiste et développeur actif dans les communautés open source, témoigne de son expérience : « J’ai rencontré de vrais professionnels chez Facebook. Mais peu semblaient préoccupés par l’impact de leur métier. Par exemple, React est une bibliothèque JavaScript open source développée par le réseau social depuis 2013. Même si elle est sous licence libre, Facebook en chapote le développement et l’oriente selon ses besoins propres tout en bénéficiant de l’investissement de la communauté, ce qui s’apparente à une sorte de détournement de la philosophie du “libre” par une entreprise capitaliste. Cette prise de contrôle est problématique, notamment parce qu’elle est enseignée dans les écoles. Adobe en est une illustration supplémentaire : ce sont encore souvent ses logiciels propriétaires qui sont enseignés dans toutes les formations de création. Les étudiants sont formatés à ses logiciels. »
14L’univers do it yourself d’Internet et la volonté de proposer un monde ouvert sont une des illusions les plus marquantes dans la stratégie de ces géants du numérique. Pourtant, les fins lucratives sont bien là. « Depuis longtemps, il se murmure qu’Adobe laisse volontairement sur la Toile des versions crackées de ses logiciels pour que les étudiants puissent en faire usage avant d’en devenir des consommateurs officiels. Vrai ou faux ? Le piratage sert aussi à la prise de contrôle d’un marché », ajoute Louis Éveillard. Ces mécanismes de contrôle mercantile ne sont pas l’apanage du monde numérique. On retrouve des similarités dans d’autres secteurs marchands : fin 2020, un collaborateur proche de Philip Morris dénonçait, preuves à l’appui, les pratiques du géant du tabac. Ce dernier inonderait le marché noir de ses cigarettes, notamment en France, cherchant par là même à conquérir et fidéliser des consommateurs nouveaux [10].
Des collaborations artistiques au service de la R&D
15La question de la production collaborative précédemment évoquée nous amène doucement vers un autre versant à explorer. Si la dimension communicationnelle est évidente, de nombreuses collaborations artistiques n’ont pas vocation à être diffusées auprès des usagers et des communautés. L’opacité de certains travaux réalisés est en effet curieuse. En 2015, Louis Éveillard a eu l’occasion de collaborer avec Facebook dans le cadre spécifique d’un concours adressé aux créatifs : « Along the Trail avait pour but de créer des usages pour le casque Oculus Rift [11]. Notre équipe de cinq créatifs avait à disposition des jeux de données particulièrement intimes venant d’utilisateurs de Facebook consentants. Les équipes de Facebook ont en main des technologies et l’intuition de pouvoir en faire quelque chose sans forcément savoir quoi… c’est à ce moment-là qu’interviennent les artistes. Nous cherchions à matérialiser les données dans un univers en réalité virtuelle. Et c’est vrai que sur ce projet-là, nous faisions de la recherche & développement… mais gratuitement… » Autrement dit, ce qui aurait pu être fait par une équipe d’ingénieurs contre rémunération peut être réalisé de façon plus économique par des artistes. Certains artistes numériques actifs dans les communautés open source, comme Golan Levin et Evan Roth, membres du FAT Lab (Free Art and Technology Lab), ont plusieurs fois alerté sur cette forme de R&D masquée et bon marché. Comparativement aux rémunérations des designers d’interfaces et des spécialistes en tout genre embauchés dans ces entreprises du numérique et de la tech, les collaborations artistiques représentent sans aucun doute de très faibles budgets. « Beaucoup d’entreprises attendent des démos de ces collaborations artistiques. C’est-à-dire une sorte de creative engineering, du design expérimental, qui permet une application concrète et monétisable », explique Grégory Chatonsky. Concrètement, il existe peu d’entreprises à l’échelle mondiale capables de s’engager sur une démarche de R&D. « La plupart des entreprises ne peuvent pas se permettre de se lancer dans des projets sans perspective de retour sur investissement plus ou moins direct. C’est donc complexe de travailler sur des collaborations entre des artistes et des entreprises de taille intermédiaire ancrées sur les territoires », détaille Martin Lambert du Labo Arts & Techs de Stereolux.
Les artistes tirent aussi leur épingle du jeu
16Jusqu’à présent, l’accent a été mis sur l’intérêt des entreprises du numérique et de la tech, sans que ceux des artistes soient révélés. Les niveaux de rémunération qui leur sont proposés pour des collaborations sont souvent intéressants, surtout pour cette profession habituée à de modestes revenus. Martin Lambert va tout de même plus loin : « Les artistes n’ont pas qu’un intérêt monétaire dans ces collaborations. Ils ont accès à un accompagnement d’experts, à des technologies de pointe et à des jeux de données souvent inaccessibles. En 2016, pour le festival Scopitone, nous avons monté un projet avec Orange Labs et l’artiste Martial Geoffre-Rouland, qui a eu accès à des données de mobilité d’utilisateurs impossibles à avoir autrement [12]. » Dominique Moulon, critique d’art et curateur indépendant, analyse cet intérêt des artistes pour les géants du numérique et de la tech : « Les informations du big data qui peuvent être accessibles deviennent les matériaux des artistes. On s’aperçoit par exemple que, se revendiquant ou non du video sampling, ils travaillent beaucoup depuis YouTube. Pour beaucoup, leur collaboration avec les acteurs du numérique permet un hacking des outils technologiques. C’est fascinant de voir qu’aujourd’hui il n’y a pas un service du numérique qui puisse émerger sans être détourné à des fins artistiques par des créatifs d’une agilité absolue. » Il est donc évident qu’il serait caricatural de condamner les artistes pour leur collaboration avec ces entreprises. « Ces collaborations ne me choquent pas, on a tous plusieurs vies et plusieurs visages. L’écosystème des arts numériques est relativement complexe et il est fait d’art, d’expositions, de performances, de conférences, de recherches, de collaborations avec des entreprises. Tant mieux si les artistes bénéficient du financement ou des ressources d’entreprises, tant qu’ils restent libres et critiques envers ces entreprises », résume Dominique Moulon.
17Comme nous pouvons le constater, la relation entre les entreprises du numérique et de la tech et les artistes est complexe et parfois ambiguë. Il ne faudrait pas oublier que dans le meilleur des mondes peuvent se nicher des intentions peu louables (mercantiles ou de l’ordre de la manipulation des individus). Tout cela est facile à occulter dès lors qu’on parle d’art. Et si chaque acteur a la responsabilité de ses propres initiatives, il sera néanmoins passionnant d’observer ce phénomène d’immixtion des acteurs du numérique dans les années à venir. Car il y a fort à parier que la question sera clairement devenue une évidence d’ici peu de temps.
Mémo
L’INTÉRÊT DES ARTISTES : investir de nouveaux espaces de diffusion ; accéder plus aisément à des données et faciliter un hacking des outils technologiques.
À lire
- Alexandra Mendoza-Caminade (dir.), L’Entreprise et l’art, Toulouse, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2017.
- Fred Turner, L’Usage de l’art. De Burning Man à Facebook, art, technologie et management dans la Silicon Valley, Caen, C&F Éditions, 2020.
Notes
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[1]
Les données de millions de comptes Facebook auraient été illégalement « siphonnées », ce qui aurait permis d’influencer les électeurs clés pendant la campagne de Donald Trump en 2016.
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[2]
Des projets musicaux comme par exemple Wilderness Downtown ou Just a Reflektor, clips interactifs pour le groupe Arcade Fire.
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[3]
Les citations dont la source n’est pas indiquée sont issues d’interviews réalisées par nos soins.
- [4]
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[6]
Michel Lepetit (président de Global Warning, vice-président de The Shift Project), « Esso : est-ce le pétrole pour le climat ? », 8 décembre 2020 : https://jmj-fanpage.medium.com/esso-est-ce-le-p%C3%A9trole-pour-le-climat-7208ee896dae
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[7]
Depuis lors, Terre seconde a gagné le prix Audi Talents et été présenté au Palais de Tokyo.
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[8]
« L’art socialement engagé a toujours joué un rôle. […] À une époque où la culture technologique valorise avant tout la vitesse et l’itération rapide, l’art nous pousse à ralentir et à nous engager de manière critique sur des questions difficiles » – https://foundation.mozilla.org/fr/
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[9]
L’Usage de l’art, cité dans le mémo ci-dessous.
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[10]
Anne-Laure Barret, « Trafic de tabac : l’accusateur suisse qui fait trembler Philip Morris », Le JDD, 27 décembre 2020.
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[11]
Oculus VR, qui fabrique les casques, est une société appartenant à Facebook depuis 2014.
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[12]
Notons que Martial Geoffre-Rouland a depuis collaboré avec le Google Arts & Culture Lab.