NECTART 2021/1 N° 12

Couverture de NECT_012

Article de revue

Face aux grands enjeux des transitions, bâtir une culture de la coopération

Pages 38 à 42

Notes

  • [1]
    La Fédération Arts Vivants & Départements est partenaire du dossier de ce numéro.
  • [2]
    Le Bureau des Possibles est une agence intervenant sur l’intelligence collective : https://bureaudespossibles.com
  • [3]
    Aux côtés de la Fédération, ce comité de pilotage est constitué du ministère de la Culture, de l’Assemblée des départements de France, de l’Assemblée des communautés de France et de l’Agence nationale de la cohésion des territoires.
  • [4]
    Ardèche (07), Calvados (14), Finistère (29), Haute-Loire (43), Loire-Atlantique (44), Mayenne (53), Meuse (55), Nièvre (58), Haut-Rhin (68) et Val-d’Oise (95).
  • [5]
    Living Labs Europe est un programme lancé en 2006 par la présidence finlandaise de la Communauté européenne.
English version

La recherche-action LUCAS, pilotée par la Fédération Arts Vivants & Départements [1], interroge les fondements d’une nouvelle fabrique culturelle territoriale. Dans le dossier qui suit, les articles d’Aurélien Djakouane et Emmanuel Négrier, de Raphaël Besson et d’Yves-Armel Martin mettent en perspective les enjeux et les résultats de cette recherche autour de la coopération et des droits culturels.

1« Les grandes lois de décentralisation des années 1980 constituent sans aucun doute une vraie révolution dans un État très centralisé. Elles ont permis de développer l’esprit créatif des habitant.e.s et des élu.e.s des territoires de France. Si la décentralisation culturelle était à l’œuvre, dans une démarche descendante, pour autant les équipes municipales d’alors s’en sont emparées avec une volonté de doter leurs collectivités d’équipements culturels pourvus de moyens financiers importants. Quarante ans après, aujourd’hui plus qu’hier, la démocratie demeure au cœur des préoccupations de nos concitoyen.ne.s malgré les enjeux multiples auxquels nos pays sont confrontés. Aujourd’hui, si la décentralisation n’est pas totalement aboutie, la démocratie culturelle est à construire », observe Claudy Lebreton, président de la Fédération Arts Vivants & Départements.

2Depuis plus de quarante ans, il est indéniable que, par l’engagement des organismes départementaux de développement des arts et de la culture, aux côtés des conseils départementaux, nombre d’artistes ont pu rencontrer et partager leurs œuvres dans une proximité inédite avec les habitant.e.s des villages, des villes et des métropoles. Quantité de personnes ont pu parcourir ces fameux trois piliers de l’éducation artistique et culturelle : voir, comprendre et pratiquer. Et nombreux sont ceux et celles qui ont pu aussi bénéficier d’un enseignement artistique de qualité grâce à la mise en œuvre des schémas départementaux, dont les premiers ont été votés dès les années 2000 grâce à l’implication militante des agences culturelles départementales.

Une fabrique culturelle territoriale en panne ?

3Pour autant, un essoufflement de la fabrique culturelle territoriale est perceptible depuis quelques années déjà. Et les dernières lois de décentralisation n’ont pas généré le nouveau souffle que nous aurions pu espérer. Alors qu’il avait été enterré à plusieurs reprises par les lois NOTRe et Maptam, l’échelon départemental s’est finalement vu renforcé, relégitimé, en tant que maillon stratégique d’accompagnement des territoires de proximité et des démarches de coopération intersectorielle. Dans le même temps, les intercommunalités sont progressivement montées en compétence en se professionnalisant, en structurant leurs services et leurs politiques culturelles. Le dialogue entre élus départementaux et communautaires a évolué.

4« À mon avis, poursuit Claudy Lebreton, le défi majeur réside dans l’implication des citoyens. [Ils doivent] exprimer leur demande en matière d’offre culturelle, non dans une attitude consumériste, mais plutôt dans une approche militante, participative et constructive. C’est dans cette démarche d’émancipation et de participation au processus de création et de diffusion artistiques que les aspirations de nos concitoyens rencontreront l’esprit créatif des artistes et des compagnies. Pour toutes ces raisons, la Fédération Arts Vivants & Départements s’est engagée à réfléchir à la démarche qui permet de passer de la coopération culturelle à la culture de coopération avec les élu.e.s, les artistes, les intermittent.e.s, les universitaires, les habitant.e.s… »

5Le projet de recherche LUCAS (Laboratoire d’usages culture(s) – arts – société) est né du constat de cet essoufflement de la fabrique culturelle territoriale, afin de répondre aux besoins exprimés à la fois par les adhérents et les partenaires de la Fédération : révéler l’existant en proposant un état des lieux de la coopération culturelle entre départements et intercommunalités, d’une part ; tester de nouvelles formes d’ingénierie territoriale en accompagnant les collectivités dans l’expérimentation de nouveaux cadres de co-production de politiques culturelles décloisonnées, d’autre part.

6Afin de répondre à ces besoins, la Fédération a choisi de devenir acteur et de s’entourer des meilleures compétences pour faire un pas de côté dans la façon d’aborder et de porter ce « nouveau » projet de recherche sur les politiques culturelles. Elle a ainsi fondé un groupement d’acteurs complémentaires en associant deux entités à ses côtés : le Bureau des Possibles [2] et Villes Innovations. Elle a également sollicité l’accompagnement scientifique de deux universitaires experts des politiques culturelles, le politologue Emmanuel Négrier et le sociologue Aurélien Djakouane.

7Les objectifs de ce laboratoire vivant, définis par un comité de pilotage [3], s’inscrivent dans le cadre des finalités poursuivies par la Fédération : produire de la connaissance pour mieux ancrer les stratégies territoriales ; concourir à la mise en place des conditions d’échange entre habitant.e.s, élu.e.s, professionnel.le.s et chercheur.se.s, en conciliant l’action et la recherche ; nourrir les réflexions stratégiques des décideurs sur le futur des politiques culturelles territoriales ; développer une stratégie d’appropriation des travaux de recherche par les décideurs, les acteurs (au sens large) et les habitant.e.s des territoires.

Un état des lieux de la coopération culturelle entre départements et intercommunalités

8La première étape du LUCAS, lancé à Avignon en juillet 2019 en présence de professionnel.le.s des politiques publiques, d’élu.e.s, d’universitaires, a été l’occasion de co-construire les problématiques de recherche en aboutissant aux questionnements suivants :

9

  • Pourquoi coopérer ? Quelles sont les raisons qui expliquent l’engagement des départements et des intercommunalités dans un processus de coopération culturelle ?
  • Comment la coopération culturelle se manifeste-t-elle dans les départements et les intercommunalités ? Assiste-t-on à une reconfiguration de la territorialisation de l’action culturelle (nouvelles modalités de coopération intersectorielle et interterritoriale) et à l’émergence d’une nouvelle fabrique culturelle territoriale (nouvelles compétences, nouveaux acteurs, nouvelles méthodes…) ?
  • Quels sont les effets (positifs comme négatifs) de la coopération culturelle sur l’action culturelle et les territoires ? Quid de l’identification de facteurs propices et/ou de freins aux dynamiques coopératives ?
  • Quels enjeux et recommandations en termes d’action et de politique culturelles (outils et méthodes, gouvernance, compétences et postures des élu.e.s et professionnel.le.s de la culture…) ? Quel(s) apport(s), en particulier, de la méthode « living lab » ?

10Après l’élaboration d’un état des lieux national à l’automne 2019 et une étape de co-construction rigoureuse, deux questionnaires ont été diffusés auprès des élu.e.s et technicien.ne.s dans l’ensemble des départements et intercommunalités (adhérant à l’Assemblée des communautés de France – AdCF), avec l’appui du comité de pilotage et de partenaires tels que l’association professionnelle Culture & Départements et la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC). Au total, 34 questionnaires complets ont été reçus des départements, et 69 des intercommunalités.

11En complément de cette approche quantitative, des études de cas ont été réalisées auprès de 10 territoires [4] ayant manifesté de l’intérêt pour le projet LUCAS, afin de saisir plus finement les enjeux de la « coopération ». Au total, 78 entretiens qualitatifs ont été réalisés auprès de 18 agent.e.s de collectivité, 25 directeur.trice.s de service culturel ou d’agence, 25 élu.e.s et 10 professionnel.le.s de la culture.

12Si l’on peut pointer une limite relative en termes de représentativité, cette première phase est venue néanmoins conforter les perceptions de la Fédération et de ses adhérents en posant des constats et en pointant les freins évoqués en conclusion du paragraphe précédent.

13La méthodologie mise à l’œuvre s’est inspirée des living labs [5], environnements ouverts d’innovation en grandeur réelle, au sein desquels les utilisateurs participent à la création des nouveaux services, produits et infrastructures sociétaux. Cette méthode, dans la continuité de l’ingénierie de coopération utilisée par la Fédération depuis 2016, répond à deux objectifs : outiller la coopération, d’une part ; inventer des cadres de co-production d’actions publiques entre citoyen.ne.s, professionnel.le.s, élu.e.s et universitaires, d’autre part.

14Pour tester cette démarche, quatre territoires – la Nièvre, la Haute-Loire, le Haut-Rhin et le Val-d’Oise – ont été sélectionnés dans le cadre d’un appel à manifestation d’intérêt national, sur la base de co-candidatures portées par des départements et des intercommunalités. Notons ici aussi l’un des bénéfices des travaux nationaux d’Avignon évoqués plus haut : les recommandations des acteurs réunis lors de cette journée « laboratoire » ont permis de préciser les critères de choix et aidé les membres du comité de pilotage à sélectionner les territoires partenaires de la recherche-action.

15Ce living lab devait ensuite se déployer dans les départements en trois séquences successives, de février à juin 2020. Une première phase de formation a permis aux « groupes projets » de chaque territoire de prendre en main les outils d’observation sur le terrain. La deuxième phase correspondait à une résidence d’immersion pour aider les acteurs à détecter les problèmes à résoudre sur le terrain en partant des besoins des habitant.e.s. Enfin, la dernière phase devait permettre de co-construire des projets, des pistes d’action en réponse à ces problématiques, et de préfigurer l’émergence de communautés locales.

16Or, comme nombre d’organisations, le LUCAS a dû re-questionner l’ingénierie du projet, qui s’est trouvé, dans son modèle initial, empêché par la crise sanitaire, et s’adapter en privilégiant l’organisation de temps de travail à distance. Mais la proposition est restée finalement assez proche de ce qu’elle était à l’origine. La mobilisation des outils numériques associés à ceux de l’intelligence collective a permis de répondre aux objectifs fixés au départ, et peut-être même d’aller au-delà. Et il y a fort à parier que ces « nouvelles » pratiques issues de « nos » confinements alimenteront le LUCAS dans sa stratégie d’appui à l’ingénierie territoriale dans les années qui viennent. Alors qu’elle aurait pu avoir raison de ce projet, la crise sanitaire est finalement venue confirmer notre intuition de départ : l’enjeu de notre recherche-action résiderait moins dans l’étude de la coopération culturelle telle qu’elle se manifeste dans les politiques publiques, les territoires et les institutions, que dans la conception, l’expérimentation, la diffusion d’une culture de la coopération.

Bâtir une culture de la coopération

17Pour la Fédération Arts Vivants & Départements, la culture et ses acteurs doivent investir les enjeux transitionnels, qu’il s’agisse de transitions écologique, sociétale, économique, sociale ou encore numérique. Face à ces transitions, la Fédération et ses adhérents appellent à bâtir une approche culturelle de la coopération. À son niveau, Arts Vivants & Départements a amorcé depuis 2016 un processus de transformation progressif en faisant le pari de la nécessaire évolution des pratiques professionnelles pour accélérer, faciliter, rendre plus fluides les processus de coopération entre acteurs sur les territoires, à l’échelle de l’espace géographique départemental.

18La recherche-action LUCAS ouvre une voie pour inventer des coopérations nouvelles sur les territoires, avec l’espoir de faire émerger des politiques culturelles de demain garantes des droits culturels des personnes et de la vitalité des écosystèmes culturels.


Date de mise en ligne : 12/01/2021

https://doi.org/10.3917/nect.012.0038

Notes

  • [1]
    La Fédération Arts Vivants & Départements est partenaire du dossier de ce numéro.
  • [2]
    Le Bureau des Possibles est une agence intervenant sur l’intelligence collective : https://bureaudespossibles.com
  • [3]
    Aux côtés de la Fédération, ce comité de pilotage est constitué du ministère de la Culture, de l’Assemblée des départements de France, de l’Assemblée des communautés de France et de l’Agence nationale de la cohésion des territoires.
  • [4]
    Ardèche (07), Calvados (14), Finistère (29), Haute-Loire (43), Loire-Atlantique (44), Mayenne (53), Meuse (55), Nièvre (58), Haut-Rhin (68) et Val-d’Oise (95).
  • [5]
    Living Labs Europe est un programme lancé en 2006 par la présidence finlandaise de la Communauté européenne.

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