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Colloque « Agricultures et alimentations dans un monde globalisé », Cerisy-la-Salle, 21-28 septembre 2011. Vous trouverez dans ce texte entre parenthèses des références à des interventions qui ont eu lieu pendant le colloque. Les enregistrements audio et/ou les diaporamas de ces interventions sont consultables sur les sites internet du Cirad (cerisy2011.cirad.fr) et d’Agropolis International (cerisy2011.agropolis.fr). Voir aussi, à propos de ce colloque, dans ce même numéro, l’introduction (Caron et al.) et les trois autres textes de synthèse (Dorin et al., Lacombe et Napoléone, Bricas et al.).
1Les agricultures du monde, qu’elles soient industrialisées, familiales, entrepreneuriales ou vivrières, se trouvent à la croisée de tensions vives. Ces tensions portent sur les modalités d’exercice de l’activité, de la production des services et des biens (denrées alimentaires ou matières premières industrielles), ainsi que sur la production des connaissances mises en jeu pour concevoir et évaluer ces modalités (Harriet Friedmann, Université de Toronto, Canada). Ce texte vise à contribuer à l’analyse de ces tensions, des innovations qui en surgissent, et des réagencements entre les agriculteurs et leur environnement qu’elles produisent ou qu’elles révèlent. L’enjeu s’est dessiné en effet, lors du colloque qui s’est tenu à Cerisy-la-Salle en septembre 2011 [1], de mettre au jour ces déplacements, dans une optique intégrative s’intéressant à la diversité des agricultures du monde. Nous nous intéresserons donc ici aux grandes tendances qui se dessinent dans la transformation des pratiques techniques de production et, en particulier, à la place des technologies, aux côtés des processus biologiques, dans les innovations qui touchent ce domaine. Nous ancrerons cette analyse dans une réflexion plus large sur la nature des systèmes d’activité agricole et sur la place qu’occupe aujourd’hui à travers le monde la fonction productrice de biens et services dans la pratique agricole. Enfin, dans un troisième temps, nous nous pencherons sur la nature et l’évolution des systèmes de production de connaissances qui contribuent à ces transformations ou les accompagnent, et qui interpellent au premier chef nos institutions de recherche et d’enseignement supérieur agronomiques.
Des modes d’agencements entre techniques et processus biologiques
2Que ce soit dans les pays industrialisés, émergents ou moins avancés, deux grandes tendances s’affirment aujourd’hui – et bien souvent coexistent du fait de porosités thématiques ou territoriales – autour de la transformation des relations entre techniques et processus biologiques dans les systèmes de production (Pierre-Marie Bosc, Cirad).
3La première tendance relève du régime classique de l’innovation technologique tel que nous l’avons connu dans les modernisations et les révolutions vertes, ancré dans une axiomatique de l’homogénéité des objets et de la stabilité des processus (Hubert, 2010). Ce régime s’appuie sur le modèle « industriel » de la production, fondé sur la transformation d’inputs externes en outputs, et sur une séparation affichée entre conception et exécution. D’une part, aujourd’hui encore, la diffusion de semences (et races) améliorées, d’engrais, de pesticides ou d’aliments du bétail constitue encore une voie de « modernisation » des agricultures vivrières partout dans le monde, avec ses succès et des échecs. Mais surtout, d’autres dynamiques, relevant de ce que l’on pourrait qualifier d’« hypertechnicisation » de l’agriculture, sont au cœur des mutations en cours. C’est le cas tout d’abord du développement des organismes transgéniques, qui ne font, d’une certaine manière, que déplacer à l’intérieur du génome des plantes l’ambition de s’affranchir des contraintes et limites des environnements, et donc l’ambition de standardiser les pratiques de production ; cette démarche s’inscrit dans la continuité de la priorité donnée à la génétique. C’est le cas ensuite de l’essor de l’agriculture de précision (Wolf & Wood, 1997). Cette dernière repose sur l’équipement technologique accru de la production, permettant à une échelle très fine d’adapter le fonctionnement des machines et les apports d’intrants aux spécificités des milieux, dans un cadre conceptuel se rapprochant de la modernisation écologique (Buttel, 2000 ; Mol, 2002). Il en va de même des nanotechnologies, dont des applications sont d’ores et déjà envisagées pour accroître l’efficacité des produits de santé végétale ou animale ou pour réduire certaines pollutions diffuses, comme celles liées aux métaux lourds. C’est ici la connaissance technicienne, incorporée dans de nouveaux outils, de nouveaux artefacts, qui structure le changement et reste au cœur de la production, en visant toujours la stabilisation des conditions de milieu et la maîtrise des dynamiques spontanées du monde vivant.
4La deuxième tendance relève d’une montée en puissance de l’utilisation rationalisée des processus biologiques dans les dynamiques productives, à la place d’un recours systématique aux technologies et aux intrants. Ainsi divers acteurs – producteurs, industriels, politiques, citoyens – prônent le retrait de certaines technologies (Goulet et Vinck, 2012) en faveur d’entités et de processus biologiques qui seraient susceptibles de remplir des fonctions similaires sans pour autant comporter les mêmes risques environnementaux ou sanitaires. Ainsi, les lombrics et les plantes de couvertures sont mis en avant pour « remplacer » le labour, de même que les légumineuses pour réduire l’usage d’engrais azotés, et les prédateurs naturels, celui de pesticides. Plusieurs modèles techniques et professionnels, spécialisés autour de la réduction de certains de ces outils ou intrants (l’agriculture de conservation, l’agriculture raisonnée, intégrée ou biologique) se livrent ainsi concurrence à travers le monde en jouant sur des argumentaires environnementaux, sanitaires ou quantitatifs (rendements). Des modèles plus intégratifs, comme l’agroécologie (Altieri, 1995), la révolution doublement verte (Conway, 1999) avec sa déclinaison française d’intensification écologique (Griffon, 2006, voir encadré 1), se positionnent également. Ils sont repris distinctement par différents pans des mondes agricoles, certains acteurs des filières agroalimentaires, comme les consommateurs ou les firmes de l’agrofourniture (Nicolas Bricas, Cirad). Ces « courants » de pratiques ou de pensée divergent alors selon les alliances qu’ils suscitent, mais convergent autour de considérations centrales : la mobilisation « utile » de la nature, comme nous l’avons évoqué, et le fait que le retrait de certaines techniques laisserait libre cours à l’expression des singularités des écosystèmes cultivés et des savoirs locaux adaptés à leur gestion. Comme dans la tendance précédente, il s’agit donc d’adapter l’action aux contraintes locales, mais, cette fois, par le recours localisé aux processus biologiques ou aux connaissances du producteur et, non plus seulement, sur la maîtrise de protocoles techniques. Si d’une certaine manière une dimension technique reste importante, elle vise davantage un accompagnement (stewardship) des processus spontanés que leur maîtrise et leur stabilisation.
5C’est alors l’agriculteur qui est placé en première ligne des conditions de réussite de cette deuxième tendance. Il est considéré comme l’acteur qui, au plus près des terroirs au quotidien, serait le plus à même de les connaître et les gérer (Frédéric Goulet, Cirad). D’où le succès que rencontrent ces propositions, partout dans le monde, auprès des mouvements ou acteurs qui se font les porte-parole des savoirs des paysans, que ces derniers soient familiaux dans les pays du Sud ou entrepreneurs des pays industrialisés ou émergents (Goulet, 2012)!
Encadré 1. Les fonctionnalités – ou processus – principalement écologiquement intensifiables (Michel Griffon, ANR, Cirad)
- Le peuplement végétal doit être maximal en termes de production de biomasse et de couverture dans l’espace et dans le temps (en fonction du climat et du sol) : cela permet d’utiliser au maximum la capacité photosynthétique (y compris par l’agroforesterie).
- Le contrôle du contenu en espèces de ce couvert végétal (communauté) est destiné entre autres à éliminer/contenir les espèces non désirables par effet de concurrence, par allélopathie ou intervention mécanique (de précision). Cela intervient en substitution à des herbicides non souhaités.
- Les contenus génétiques des variétés (biodiversité intraspécifique) des couverts doivent être divers de manière à s’adapter aux fluctuations de l’environnement.
- Le cycle de l’eau (écologie fonctionnelle) doit être géré de manière à conserver les eaux du sol (dans la plupart des cas) pour assurer la continuité de la végétation. L’ensemble du paysage (au sens écologique) doit être aménagé pour favoriser l’infiltration au détriment du ruissellement. Cela se substitue aux investissements d’irrigation classiques coûteux en énergie.
- Le renouvellement de la structure du sol, en particulier de sa porosité, se fait par l’accumulation de matière organique et une bonne gestion du cycle du carbone, ainsi que par la création de conditions – en particulier, l’humidité – favorables à la vie des très nombreuses espèces.
- Le renouvellement du stock de nutriments du sol (écologie fonctionnelle des cycles biogéochimiques) doit se faire par les restitutions des résidus de culture, fumiers et lisiers, et en favorisant l’humification, la minéralisation et l’absorption par les racines. Les cycles concernés sont ceux de N, P, K, Mg, Ca…
- La protection contre les maladies cryptogamiques se fait en diversifiant les variétés en fonction de leurs capacités de résistance et en jouant sur l’architecture des plantes et leur densité pour ne pas créer des microclimats favorables aux maladies.
- La protection contre les insectes se fait en favorisant la présence des prédateurs ou parasites pertinents (en manageant les habitats correspondants), ce qui revient à favoriser leur diversité.
- Les animaux d’élevage reçoivent une alimentation mesurée (pas de forçage), diversifiée, proche d’une alimentation naturelle en termes de diversité.
- Leur santé résulte en partie de la qualité de l’alimentation et de leur habitat (éventuellement de l’effort qui leur est demandé) ; leur habitat doit être conçu pour limiter les concentrations qui, par nature, favorisent les maladies épidémiques et il doit tendre le plus possible vers des conditions équivalentes à des conditions naturelles.
- Les choix génétiques doivent favoriser la diversité des races et les croisements pertinents (par exemple par le génotypage précoce).
- L’élevage et l’agriculture doivent être intégrés de manière à utiliser les synergies fonctionnelles : fumiers et lisiers pour la fumure des sols, valorisation des espaces à sols fragiles par les prairies, éventuellement force de travail, épargne sur pied.
- La diversité des cultures et de l’élevage aboutit à diversifier les travaux agricoles et à mieux répartir les tâches dans le calendrier d’allocation du temps, ce qui crée de la souplesse dans la capacité de contrôle de l’agroécosystème.
- La fonctionnalité économique se définit par la capacité de renouvellement du produit, donc du revenu, par la production d’une épargne et l’entretien d’une trésorerie satisfaisante : le stockage des biens sous forme physique (végétaux) ou animale contribue à la résilience économique.
Outre ses fonctionnalités « internes », l’agroécosystème participe à des fonctionnalités à d’autres échelles : le cycle général des gaz à effet de serre, la biodiversité, le contenu en eau des paysages, la propension à limiter les incendies…
6Mais, derrière les deux tendances que nous venons de développer, n’a-t-on pas également affaire à des visions de l’agriculture bien différentes ? Pour les uns, l’agriculture serait perçue comme une activité professionnelle sur le modèle d’autres métiers : elle serait soumise aux progrès technologiques du domaine, ses performances seraient jugées sur l’efficience de la mise en œuvre de ces technologies, et elle serait assujettie à la concurrence sur la base de critères exprimés essentiellement en termes de productivité (par animal ou par unité de surface ou de travail) (Carl Hausmann, Bunge, États-Unis). Pour les autres, il s’agirait d’une activité fondée sur des savoirs et des savoir-faire, portant sur les relations des hommes avec le monde biophysique dans toute sa complexité, notamment par l’intermédiaire des techniques (Hans Herren, Millennium Institute, Washington D.C.) ; les ressources que les hommes tirent ainsi de leurs interactions avec le milieu qui les environne sont non seulement matérielles, mais également culturelles, sociales ou identitaires.
Une agriculture multifonctionnelle
7L’activité agricole est aussi un mode de vie, un rapport au foncier, au territoire, une identité sociale (Estelle Bienabe, Cirad ; Ward Anseeuw, Cirad ; Henri Hocdé, Cirad ; François Purseigle, École nationale supérieure agronomique de Toulouse [ENSAT] ; Yacouba Coulibaly, Nyeta Conseils, Mali ; François Traoré, Union nationale des producteurs de coton du Burkina Faso). C’est le cas en particulier dans les pays les moins avancés ou en développement, mais également dans les pays industrialisés, même si l’on a plus ou moins eu tendance à l’ignorer (Mark Paine, DairyNZ, Nouvelle-Zélande ; Claire Lamine, Inra). En effet, on assiste à une résurgence de nouvelles formes d’exercice des activités agricoles – professionnelles ou non professionnelles –, précédemment marginalisées par les politiques agricoles. Les outils de ces politiques et leurs modalités statistiques sont fondés sur les performances technicoéconomiques, qui, bien sûr, ignorent d’autres aspects de la vie des paysans tout comme les nouvelles tensions entre enjeux locaux et globaux (Philippe Lacombe, Académie d’agriculture ; Benoît Daviron, Cirad ; Julien Vert, ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt). Ce fut tout l’enjeu des discours sur la multifonctionnalité et, en particulier, de la Loi d’orientation agricole de 1999 et la mise en place des Contrats territoriaux d’exploitation (CTE) en France…
8La question de la reconnaissance de la pluriactivité gagne du terrain dans les exploitations agricoles françaises, et plus généralement en Europe. Extrêmement variée, cette pluriactivité intègre aussi bien des formes de salariat des plus flexibles et saisonnières aux plus stables et continues, que des activités multiples exercées sous tous les statuts possibles, certaines dites « dans le prolongement de l’activité agricole », d’autres s’en écartant de manière plus ou moins radicale. Elle pose de nombreuses questions juridiques, fiscales ou transversales aux débats de société (reconnaissance sociale, viabilité économique, sens du travail, etc.). La pluriactivité brouille les frontières de l’exploitation agricole, alors que les références technicoéconomiques existantes y sont confinées et ne savent pas rendre compte de la complexité de certaines combinaisons d’activités ou de l’affirmation d’un autre rapport à l’activité ; cela demande a minima un accompagnement spécifique reposant sur des compétences portant sur d’autres aspects de l’activité agricole que la seule performance technique. Pour sortir de l’impasse des définitions et des normes et repenser les cadres d’action de l’activité agricole, des politiques territoriales de soutien émergent localement, appuyées sur les notions d’activité rurale et d’innovation. Discrètement, ces politiques non sectorielles confortent le mouvement d’intégration de l’agriculture aux transformations du travail et de ses normes (Hélène Tallon, Ariac ; Yuna Chiffoleau, Inra ; Fiorelli et al., 2007 ; Gasselin, 2011 ; Tallon, 2011a et 2011b).
9Les risques sont de s’en tenir à des classifications focalisées – de manière implicite – sur le rapport à la seule production agricole, ce qui est le cas, par exemple, des termes de petite agriculture familiale, d’agriculture entrepreneuriale, d’agricultures de subsistance, etc. (F. Purseigle et Geneviève Nguyen-Thole, ENSAT). De telles catégories désignent des types d’activités agricoles en fonction de leur aptitude – ou non – à entrer dans le marché, sans remarquer qu’il peut bien s’agir de tout autre chose, comme le montrent, par exemple, les sociétés pastorales (voir encadré 2), les pluriactifs des montagnes (moyennes ou hautes) françaises, les pionniers amazoniens, etc.
10Faut-il alors reconsidérer la notion de « paysanneries » pour mieux rendre compte de la diversité des formes d’exercice de l’activité agricole, au niveau global comme au niveau local ? Cela afin de ne plus réduire cette activité à sa seule fonction productive, de ne plus qualifier les paysans de « producteurs agricoles » et de ne plus marginaliser certains groupes sociaux et les espaces qu’ils utilisent ? Cette marginalisation n’est-elle pas parfois même un moyen de justifier leur exclusion, leur expropriation afin, enfin, de mettre en valeur ce riche potentiel de terres à l’aide des dernières technologies maîtrisées par des producteurs performants (Pierre Gasselin, Inra) ?
Encadré 2. Une société pastorale au Niger
Reconnaître et redonner sens à une diversité de savoirs et de connaissances
11Il s’agit d’abord de reconnaître le caractère situé et distribué des connaissances si on cherche à valoriser les systèmes locaux de production et leur intelligence. Le modèle industriel a été construit sur des principes d’universalité des connaissances techniques, même s’il s’avère effectivement nécessaire de les adapter à des conditions locales… ce qui pose souvent d’importantes difficultés (Frédéric Thomas, IRD). Celles-ci sont facilement interprétées comme liées à l’inertie – voire à l’opposition – de certains groupes sociaux face à l’innovation. Ce modèle industriel suppose en effet de former les individus qui résistent le moins et d’exclure les autres, afin, soit d’agrandir les exploitations (économies d’échelle), soit de les remplacer par des volontaires plus performants (Vincent Jacob, Crystal Consulting). Il est porté par une organisation technoscientifique, reposant sur la division hiérarchisée des tâches et sur la standardisation des connaissances. Cette division vise à organiser la transmission des normes, entre ceux qui les conçoivent et ceux qui sont censés les exécuter ; elle place le système d’encadrement et d’appui technique chez les exécutants, qui deviennent les prescripteurs de l’application de ces normes auprès des agriculteurs. Cela ne facilite pas l’ouverture à d’autres conceptions des modèles de production. Il ne faut pas non plus négliger la dimension politique de la technique qui permet de cadrer et d’administrer les pratiques des agriculteurs. Cela revient, dans le même mouvement, à gouverner les trajectoires de ces agriculteurs ainsi que celles des entités naturelles (même si la technique est aussi objet de détournement). De ce fait, la déstandardisation des pratiques, ou du moins, en ce qui nous concerne, la mise en avant évoquée plus haut des processus naturels comme nouvelle base de la production, pose un problème majeur.
12Réinventer, ajuster de nouveaux concepts et construire les connaissances qui serviront à les mettre en œuvre, avec de nouveaux acteurs des systèmes de recherche, de développement et de formation, restent encore entièrement à accomplir (Y. Coulibaly ; Hubert et al., 2010). D’autant que ce n’est pas la tendance unique : par exemple, le développement des biotechnologies propose d’une certaine manière un modèle dans lequel la nature incorpore la technique, et dans lequel, bien souvent, le système de production des connaissances prend plutôt la direction d’exacerber le modèle technoscientifique actuel (pas de participation accrue des acteurs, mais, au contraire, confinement extrême de l’expérimentation et de la mesure), à la demande des scientifiques et de certains pans de la société ou des agriculteurs.
13Mais alors, qu’est-ce que la vie ? Qu’est-ce qu’un être vivant ? Qu’est-ce que sont les « natures » et les « cultures » humaines ? Ces questions se posent aujourd’hui avec plus de force que dans le passé en raison notamment de l’interdépendance entre nouvelles technologies et phénomènes vivants, et elles exigent des réponses inédites. Au début du XXe siècle, l’homme a pensé domestiquer l’atome. Il sait à présent, en ce début du XXIe siècle, manipuler les processus biologiques et même fabriquer des chimères. Il importe de réfléchir sur la portée d’une telle « révolution » et d’agir face aux conséquences d’un tel changement de « paradigme ». Il nous revient surtout de produire les connaissances qui sauront rendre compte de ces nouveaux enjeux sans les réduire à leur seule technicisation, mais en les situant dans la diversité des conditions locales, des savoirs et des nouvelles options qu’elles ouvrent pour renouveler les modèles agricoles et pas seulement les recomposer… Seule une approche transdisciplinaire permettra de dépasser les localismes pour assurer des mises en équivalence entre situations. Aux savoirs locaux, il faudra également associer sciences sociales et sciences biotechniques afin d’assurer le processus itératif de contextualisation (connaissance située géographiquement et historiquement)/décontextualisation (qu’est-ce qui est « transportable » dans d’autres situations). L’ambition est exigeante et vise une production suffisamment heuristique pour s’assurer de la valeur générique des concepts et des connaissances produits alors qu’on a toujours affaire à des situations singulières. Il faut apprendre à reconnaître la singularité, la diversité, l’hétérogénéité, la dynamique (durer c’est changer !) comme des valeurs de la recherche et non plus l’universel, le stable, l’homogène, comme cela a été le cas depuis plusieurs décennies…
14Voici quelques mots-clés à introduire sérieusement dans les dispositifs de production/dissémination des connaissances à l’intention des établissements de recherche mais également de ceux qui ont en charge la formation, initiale ou continue, aussi bien des agronomes que des agriculteurs.
Bibliographie
Références
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- Wolf, S.A., Wood, S.D., 1997. Precision farming: Environmental legitimation, commodification of information, and industrial coordination, Rural Sociology, 62, 2, 180-206.
Notes
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Colloque « Agricultures et alimentations dans un monde globalisé », Cerisy-la-Salle, 21-28 septembre 2011. Vous trouverez dans ce texte entre parenthèses des références à des interventions qui ont eu lieu pendant le colloque. Les enregistrements audio et/ou les diaporamas de ces interventions sont consultables sur les sites internet du Cirad (cerisy2011.cirad.fr) et d’Agropolis International (cerisy2011.agropolis.fr). Voir aussi, à propos de ce colloque, dans ce même numéro, l’introduction (Caron et al.) et les trois autres textes de synthèse (Dorin et al., Lacombe et Napoléone, Bricas et al.).