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Article de revue

Les archives de la Secrétairerie d’État : les « archives du gouvernement » du Consulat et de l’Empire

Pages 6 à 13

Notes

  • [1]
    Inventaire général de la série AF. Sous-série AF IV (Secrétairerie d'État impériale), t. I, fasc. 1 (AF IV 1 à 1089B) par Ph. du Verdier, J. Favier et R. Mathieu, Paris, Archives nationales, 1968, V-195 p.
  • [2]
    Secrétairerie d'État. Consulat et Empire. Rép. num. ms. par A. Prost et F. Rocquain, 1878-1879, 2 vol., 300 p.

Brève histoire des archives de la Secrétairerie d’État (1814-1849)

1Les archives de la Secrétairerie d’État arrivent aux Archives nationales en 1849 sous l’intitulé « Archives du Louvre ». Depuis 1810, ces archives sont en effet installées au Louvre, dans l’entresol situé sous la galerie des tableaux. Après 1815, elles y occupent quatorze grandes salles où elles sont placées « par régime ou gouvernement ». Ce que les contemporains appellent « archives de la Secrétairerie d’État » désigne, à ce moment-là, bien plus que les seules archives produites par ce service sous le Consulat et l’Empire : elles regroupent les « archives du gouvernement » depuis le 10 août 1792, constituées en un ensemble cohérent et cumulatif par le Directoire exécutif dès 1795 ; la Secrétairerie d’État s’inscrit donc dans une dynamique préexistante.

2En 1849, les archives produites par la Secrétairerie d’État consulaire et impériale sont décrites comme étant composées de deux sous-ensembles :

3

  • les archives du cabinet de l’Empereur : appelé « cabinet intérieur », secrétariat particulier ;
  • les archives de la Secrétairerie d’État : parfois appelée « cabinet extérieur », sorte de secrétariat général.

4Ces deux « fonds » sont alors distincts matériellement parlant ; en outre, chacun des deux services, le cabinet de l’Empereur et la Secrétairerie, a son propre service d’archives. Dans les archives du cabinet de l’Empereur sont conservés, d’une part les minutes de lettres et les dictées de l’Empereur (AF/IV/861-906), d’autre part les rapports ministériels qui sont la contrepartie de cette correspondance (AF/IV/1041-1219 et 1590-1706/F). Pour leur part, les Archives impériales de la Secrétairerie d’État conservent l’ensemble des archives produites par les gouvernements qui se sont succédé depuis le 10-Août jusqu’à la fin du Directoire exécutif, ainsi que la collection des arrêtés consulaires et des décrets impériaux et tous les dossiers d’affaires terminées qui ont été traitées depuis le début du Consulat. Enfin, il est prévu par un décret impérial du 3 février 1806 qu’« à la fin de chaque année, l’archiviste [fasse] le relevé de ce qui peut être extrait des archives du cabinet pour être déposé dans les Archives impériales de la Secrétairerie d’État. Il reçoit à ce sujet les ordres de l’Empereur ». En théorie, tous les documents composant les « archives du cabinet » sont donc destinés à intégrer tôt ou tard les Archives impériales de la Secrétairerie d’État. En pratique, ce ne fut bien sûr pas le cas ; certains ont été détruits, volontairement ou non, la grande majorité ayant été conservée mais jamais fusionnée aux archives impériales.

Le système classificatoire d’Agathon Fain pour la Secrétairerie d’État

5Au début de l’an X, Agathon Fain, garde des Archives impériales, établit un système permettant de classer l’ensemble des archives du Gouvernement depuis 1792 :

61° Classement chronologique de toutes les pièces qui forment une collection historique (lois, procès-verbaux, opinions et discours, journaux, pièces historiques) ;

72° Classement par matière de tous les papiers susceptibles de l’être, conformément à l’organisation du ministère ; puis subdivision de chaque partie suivant la nature des pièces (minutes, correspondances, rapports ministériels, imprimés/opinions/discours)

83° Classement par régime administratif du résidu (pièces relatives aux travaux d’ordre et à l’organisation intérieure de chaque bureau) ; classement par bureau pour conserver « la trace de l’ancienne distribution des papiers dans les bureaux qui les ont versés aux archives ».

9Ce système distingue clairement les « actes de gouvernement » et les « documents d’administration », chaque bloc appelant un mode classificatoire spécifique. La tripartition opérée par Fain est essentielle et demeure visible dans l’organisation actuelle des archives de la Secrétairerie d’État. Par ailleurs, le soin qu’il met à conserver la mémoire de la provenance des dossiers est une aide précieuse pour l’historien confronté à cette masse documentaire.

10Enfin, de leur constitution à nos jours, les collections d’actes demeurent distinctes tant de la correspondance active de l’Empereur que des dossiers de travail ministériel. La valeur symbolique de ces collections d’actes est d’autant plus forte qu’elles constituent, depuis 1790, la raison d’être des Archives nationales. L’enjeu, dès le Directoire et a fortiori sous l’Empire, est bien de constituer, au sein de la Secrétairerie d’État elle-même, une collection concurrente d’actes originaux qui justifie et illustre à la fois l’action du pouvoir souverain, collection naturellement conservée au sommet de l’exécutif.

11La Secrétairerie d’État est supprimée le 6 août 1817, après une agonie de trois ans inaugurée par l’article 13 de la Charte constitutionnelle du 4 juin 1814, qui rétablit le principe de la responsabilité ministérielle ; en d’autres termes, les ministres redeviennent secrétaires d’État dans leurs départements respectifs, ce dont ils avaient été explicitement privés par la Constitution de l’an III. En tant que service administratif, les Archives impériales sont supprimées, de fait, en même temps qu’est supprimée la Secrétairerie d’État. Pour autant, les précieuses archives demeurent au Louvre et ne subissent ni élagage ni dégradation du fait du changement de régime. D’abord placées en 1814 dans les attributions du ministère de la Maison du roi, les Archives de l’ancienne Secrétairerie d’État passent, en vertu d’une ordonnance du 21 mai 1817, sous la tutelle du ministère de la Justice (bureau des Archives, 2e section) et y restent jusqu’en 1848, date du décret ordonnant le versement de ce fonds aux Archives nationales.

Travaux d’inventaire et reclassements après 1815

12Les archives de l’ancienne Secrétairerie d’État sont d’abord organisées en trois grandes divisions : « 1. Régime conventionnel », « 2. Régime directorial » et « 3. Régime consulaire-impérial ». L’unité de la période Consulat-Empire, évidente dès 1806, est fondée largement sur la permanence de la personne du chef du gouvernement / chef de l’État, mais aussi sur celle de la Secrétairerie d’État : par-delà la rupture de 1804, la stabilité de la Secrétairerie d’État illustre et conforte à la fois l’unité politique des deux périodes. Le bloc « régime consulaire-impérial » ne sera d’ailleurs jamais remis en question, ni par les archivistes de la Restauration, ni par leurs successeurs ; la sous-série AF/IV conserve la mémoire de cette unité originelle.

13Les minutes des actes du gouvernement font l’objet, après 1815, d’un classement plus précis, qui distingue notamment le Conseil exécutif provisoire (10 août 1792 - 12 germinal an II) et la Convention nationale, malgré le chevauchement chronologique entre le 21 septembre 1792 et le 1er avril 1794 (12 germinal an II).

14Sous la Restauration et la monarchie de Juillet, le travail dans les « archives de l’ancienne Secrétairerie d’État » consiste, pour l’essentiel à compléter la « table des actes du régime consulaire et impérial », soit « près d’un million de bulletins qui reproduisent l’analyse d’une collection d’arrêtés et de décrets contenue dans deux mille cartons environ ». Ces fichiers-index, appelés tables, permettent de retrouver, à partir d’un mot-clé (nom de lieu, nom de personne ou mot-matière), la localisation d’une pièce ou d’un dossier. Plus de la moitié du fonds d’archives a ainsi été compulsée et indexée : non seulement la collection des arrêtés des consuls et des décrets impériaux, mais aussi la correspondance active de l’Empereur et du secrétaire d’État, les conseils présidés par l’Empereur et une partie des rapports ministériels. Les dizaines de boîtes de fiches qui ont résulté de ce travail de titan sont toujours conservées aux Archives nationales et demeurent d’une grande utilité ; elles sont notamment l’unique instrument de recherche permettant de retrouver la date d’un décret à portée individuelle. Cette indexation permet, en outre, de compléter la collection des actes des consuls et de l’Empereur, en extrayant les arrêtés et décrets qui demeuraient conservés dans les dossiers de travail pour les intégrer à la collection, dans le plus strict ordre chronologique.

15Les archivistes fusionnent ensuite aux minutes des actes toutes les pièces permettant d’en éclairer le contexte : rapports ministériels, mémoires, plans, etc. Ceci explique qu’aujourd’hui encore, les milliers de plaquettes qui composent les neuf cents premières boîtes de la sous-série AF/IV et qui sont intitulées « Minutes des décrets » ou « Minutes des arrêtés », contiennent également les pièces justificatives de ces actes. On obtient ainsi deux blocs : d’une part, les « actes de gouvernement » (la collection d’arrêtés et de décrets, avec leurs annexes) et, de l’autre, les « documents d’administration » (pièces ministérielles et dossiers de travail avec l’exécutif).

16Un inventaire sommaire de l’ensemble du fonds d’archives de l’ancienne Secrétairerie d’État est réalisé au premier semestre de l’année 1849 dans la perspective du déménagement depuis le palais du Louvre vers l’hôtel de Soubise. Profitant des travaux menés pour l’édition de la Correspondance de Napoléon Ier à partir de 1854 et sur la base de l’inventaire des archives du Louvre de 1849, le directeur des Archives de l’Empire, Laborde, fait dresser (par Prost) un Inventaire des documents présumés avoir composé le Cabinet de l’Empereur, qui sera achevé vers 1862. Un inventaire des arrêtés consulaires et des décrets impériaux est réalisé au cours de la même période (1854-1857), période décidément faste pour la connaissance des archives de la Secrétairerie d’État, mais qui a inévitablement donné lieu au déplacement, voire au reclassement, de nombreuses pièces, de façon temporaire (pour la publication de la correspondance) ou définitive (constitution des collections).

17Prenons l’exemple de la collection des minutes de lettres de l’Empereur :

181) Lettre au ministre de la Guerre, du 1er mai 1815 : on observe une double numérotation des pièces, l’une au centre, l’autre dans le coin supérieur gauche ; le « T » (« table ») inscrit dans le coin supérieur droit signifie que l’indexation de la lettre a été faite.

192) Minute de lettre du 12 septembre 1806 à l’Empereur d’Autriche : « À prendre au carton des décrets » : minute sortie pour la publication de la correspondance (annotation par Jouanne).

203) Minute de lettre au ministre des Relations extérieures, 28 février 1806 :

21

  • « Copie faite au ministère des Affaires étrangères en 1843 »
  • des copies largement postérieures ont été insérées dans la collection des minutes pour la compléter (lacunes ou doublons « utiles ») 
  • 1807 : « Copies données par les archives des Aff. Étr. Les minutes de ces lettres sont ici, mais les copies peuvent être utiles ».

22Ce n’est qu’en 1859, à la faveur des grands travaux d’inventaire évoqués plus haut, que les archives de l’ancienne Secrétairerie d’État sont scindées en cinq sous-fonds ou sous-séries, par régime politique. Les archives de la Secrétairerie d’État se réduisent désormais à celles produites sous le Consulat et l’Empire, constituée une sous-série spécifique (AF/IV).

23La collection des actes des consuls et de l’Empereur représente près de la moitié du total ; les rapports et pièces ministérielles, un quart ; le dernier quart se compose de la correspondance active du Premier consul et de l’Empereur, des feuilles de travail des ministres avec l’Empereur, des minutes des procès-verbaux des conseils présidés par l’Empereur, et enfin des archives des États dépendants et de celles du cardinal Caprara.

24Je terminerai cette introduction en citant quelques lignes d’un rapport rédigé en 1862 par l’archiviste des Archives nationales « chargé de faire, dans les cartons du cabinet de l’Empereur Napoléon Ier, la recherche des documents de nature à être communiqués à la commission instituée pour la publication de la correspondance de l’Empereur » (AB/XII/5) :

25

« Quelle qu’ait été la rapidité avec laquelle ces nombreux documents ont passé sous mes yeux, je n’en ai pas moins été frappé de leur importance et de l’intérêt qu’ils présentent au point de vue, surtout, de l’administration et de l’histoire ; car, si la publication des grandes pensées de l’Empereur Napoléon Ier était le plus beau monument qu’on pût élever à sa gloire, il n’était pas sans importance de connaître celles de cette pléiade d’hommes de mérite dont il avait su s’entourer et qu’il avait lui-même inspirés. Et cependant, ces documents d’un si haut intérêt se trouvaient disséminés dans plus de cinq cents cartons, ne présentant que de vagues indications et dans lesquels toutes recherches spéciales devenaient pour ainsi dire impossibles. […] J’ai entrepris une table sur fiche par ordre de matières de chacun des documents contenus dans cette vaste collection. Chaque fiche présente l’indication de la matière que comporte la pièce (mot de recherche), un sommaire de ce qu’elle contient, la date (lorsqu’elle existe) et les numéros du carton, du dossier et de la pièce. Cette table offrira, pour ces documents, la même ressource que celle qui existe pour la collection des minutes des arrêtés consulaires et des décrets impériaux. »

26On voit qu’au-delà de la collection des actes pris sous le Consulat et l’Empire, le travail considérable réalisé par la Secrétairerie d’État a suscité depuis longtemps l’intérêt et l’admiration. Un siècle et demi d’études approfondies sur la période n’ont pas épuisé les ressources de ce fonds ; les quatre présentations qui vont se succéder aujourd’hui ne l’épuiseront pas non plus, mais ouvriront certainement de nouvelles pistes de recherche sur ce service administratif en tous points exemplaire.

Annexe : composition des archives

27Ces archives vont connaître des ajouts successifs de fonds :

28

  • 1808 : archives de la légation du cardinal Caprara ;
  • 1810 : archives du cabinet de Louis (Hollande) ;
  • 1818 : archives du grand-duché de Berg.

Sur les Archives du cabinet de Louis Bonaparte (frère cadet), roi de Hollande (5 juin 1806 - 1er juillet 1810)

29Destitué en juillet 1810, Louis Bonaparte se retire en Autriche et ailleurs. À son service, une Maison du roi (offrant les mêmes services que la Maison de l’Empereur) et un chancelier auquel était rattaché le cabinet particulier du roi. Son cabinet est composé d’un premier secrétaire, un secrétaire des Commandements, trois secrétaires du roi (l’un chargé des archives du cabinet) et un bibliothécaire. Dans sa fuite, Louis n’emporte que quelques archives (essentiellement la correspondance avec Napoléon) ; le reste est saisi et ramené à Paris pour être intégré aux archives du cabinet de l’Empereur.

Sur les Archives du grand-duché de Berg, 1806-1813 (AF/IV/1225-1226, 1413/B-K, 1833-1886/B)

30Arrivées aux Archives Secrétairerie d’État en 1818, ces archives ont été constituées après le 15 mars 1806 quand Murat, beau-frère de l’Empereur, reçoit l’investiture du duché en question devenu le 26 juillet 1806, par l’acte de la Confédération du Rhin, un grand-duché, quand les duchés de Berg et de Clèves sont séparés à perpétuité de l’Empire germanique. Ce fonds a pour principaux groupes documentaires :

311. AF/IV/1225-1226 et 1886/A : trois liasses de pièces diverses ; des pièces indiquées comme lacunaires car brûlées pendant la campagne de Russie ;

322. AF/IV/1413/B-K et AF/IV/1844-1866 : finances ;

333. AF/IV/1867-1885 : armée et guerre ;

344. AF/IV/1833-1836 : organisation judiciaire.

35Les groupes documentaires finances et armée nous sont parvenus intégralement. Nous possédons également un tableau à peu près complet de l’organisation judiciaire dans ce fonds. Il est à noter que les pièces justificatives des décrets ont été annexées à ces pièces. Il s’agit essentiellement des archives de l’administration du commissaire impérial Beugnot exercée sous la tutelle de Maret puis de Roederer (1810). L’administration française du grand-duché prend fin avec les défaites de Napoléon à partir de 1813.

Sur les Archives de la légation en France du cardinal Caprara (AF/IV/1887-1932)

36« Dans cette même sous-série AF/IV ont été déposées des archives qui ne proviennent, ni de la Secrétairerie d'État, ni du Cabinet. Ce sont celles des États dépendants qui ont été réunis à la France, comme la Hollande, ou celles des provinces annexées (Illyrie, îles ioniennes) qui ont pu être rapatriées lors de la retraite générale (AF/IV/1707 à 1886/B). Ce fut également le cas pour les papiers du cardinal Caprara (AF/IV/1887 à 1932), nous apprend l’introduction de l’Inventaire général de la série AF. Sous-série AF IV (Secrétairerie d'État impériale) [1] complétant les travaux d’Auguste Prost et Félix Rocquain sur la Secrétairerie d'État du Consulat et de l’Empire [2] entrepris à la fin des années 1870. Ce fonds a été déposé aux archives de la Secrétairerie d’État en 1808, année où sont remises les archives du bureau des Affaires ecclésiastiques (AF/IV), suivies des archives du bureau des Affaires politiques (F/19).

37Les quatorze cartons initiaux ont largement été dédoublés. Ce groupe documentaire est composé de trois parties :

381. Recueil des bulles et brefs de Pie VII, enregistrement des actes du cardinal ;

392. Enregistrement de la correspondance au départ du 1er bureau (des Affaires ecclésiastiques, 1801-1808) ;

403. Suppliques adressées au légat.


Date de mise en ligne : 25/05/2020

https://doi.org/10.3917/napo.036.0006

Notes

  • [1]
    Inventaire général de la série AF. Sous-série AF IV (Secrétairerie d'État impériale), t. I, fasc. 1 (AF IV 1 à 1089B) par Ph. du Verdier, J. Favier et R. Mathieu, Paris, Archives nationales, 1968, V-195 p.
  • [2]
    Secrétairerie d'État. Consulat et Empire. Rép. num. ms. par A. Prost et F. Rocquain, 1878-1879, 2 vol., 300 p.

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