Couverture de NAPO_023

Article de revue

Saint Napoléon, un saint pour la nation
Contribution à l’imaginaire politique français

Pages 59 à 127

Notes

  • [1]
    Michel Vergé-Franceschi, Napoléon, une enfance corse, Paris, Bibliothèque historique Larousse, 2009.
  • [2]
    Vincent Petit, God save la France. La religion et la nation, Paris, Cerf, 2015.
  • [3]
    Brigitte Basdevant-Gaudemet, Le Jeu concordataire dans la France du XIXe siècle. Le clergé devant le Conseil d’État, Paris, PUF, 1988 ; Jean-Michel Leniaud, L’Administration des cultes pendant la période concordataire, Nouvelles Éditions latines, 1988 ; Jacques Lafon, Les Prêtres, les fidèles et l’État. Le ménage à trois du XIXe siècle, Paris, Beauchesne, 1987.
  • [4]
    Jacques-Olivier Boudon, « Les fondements religieux du pouvoir impérial », dans Natalie Petiteau (dir.), Voies nouvelles pour l’histoire du Premier Empire. Territoires, pouvoirs, identités, Paris, La Boutique de l’Histoire, 2003, pp. 195-212.
  • [5]
    Voir Procès-verbal de la cérémonie du sacre et couronnement de Napoléon, présentation et notes de Jean Tulard, Paris, Imprimerie nationale, 1993. Le sacre s’est déroulé suivant le pontifical romain : Prosper Guéranger, Institutions liturgiques, Le Mans/Paris, Fleuriot/Sagnier et Bray, 1841, t. 2, p. 665.
  • [6]
    Leçon VII de la 2e partie, voir André Latreille, Le catéchisme impérial de 1806, études et documents pour servir à l’histoire des rapports de Napoléon et du clergé concordataire, Paris, Les Belles Lettres, 1935, p. 80 et pp. 116-117 ; Bernard Plongeron, « Au sommet de la sacralité, la Saint-Napoléon et le catéchisme impérial », dans Des Résistances religieuses à Napoléon (1799-1813), Paris, Letouzey et Ané, 2006, pp. 257-278.
  • [7]
    Jacqueline Lalouette, Jours de fête. Jours fériés et fêtes légales dans la France contemporaine, Paris, Tallandier, 2010.
  • [8]
    Alain Corbin, « La fête de souveraineté », dans Alain Corbin, Noëlle Gérôme, Danielle Tartakowsky (dir.), Les usages politiques des fêtes aux XIX-XXe siècles, Paris, Publications de la Sorbonne, 1994, pp. 25-38.
  • [9]
    Selon la numérotation de la Vulgate, mais Psaume 20 selon la bible hébraïque. Il s’agit d’un des 13 psaumes dits royaux.
  • [10]
    Discours prononcé dans l’église de Saint-Martin de Montbéliard le 15 aoust 1806 à l’occasion de la fête anniversaire de la naissance de sa majesté l’Empereur Napoléon I et du rétablissement du culte en France, Montbéliard, Deckherr, fils, 1806, pp. 14-15.
  • [11]
    Pierre Birnbaum, Prier pour l’État. Les Juifs, l’alliance royale et la démocratie, Paris, Calmann-Lévy, 2005, pp. 56-57.
  • [12]
    Jean-Pierre Bois, Histoire des 14 Juillet, 1789-1919, Rennes, Éditions Ouest-France, coll. « Université », 1991, pp. 90-91.
  • [13]
    Jean-Baptiste Delaporte, Dictionnaire de droit et de pratique judiciaire civile, Paris, Garnery, 1807, p. 371.
  • [14]
    A. Perrot et Cl. Amoudru, Histoire de l’Ex-Garde depuis sa fondation jusqu’à son licenciement […], Paris, Delaunay, 1821, p. 162.
  • [15]
    Prosper Guéranger, Institutions liturgiques, Le Mans/Paris, Fleuriot/Sagnier et Bray, 1841, t. 2, p. 656.
  • [16]
    Cyrus le Grand (VIe siècle avant Jésus-Christ), fondateur de l’Empire perse, restaura les édifices religieux lorsqu’il conquiert Babylone et devint l’oint de Yahvé pour avoir autorisé les Juifs à rentrer à Jérusalem (Isaïe 45, 1-3).
  • [17]
    Martyrologe Romain publié par l’ordre de Grégoire XIII, revu par l’autorité d’Urbain VIII et de Clément XIII, édition augmentée et corrigée par le pape Benoît XIV... Paris, Le Clère, 1830, p. 123.
  • [18]
    L’office sanctoral de rite double compte neuf leçons. Elles sont récitées par le prêtre durant l’office de matines, en latin, mais elles peuvent fournir la substance du prône et intéressent donc aussi les fidèles. Quand deux offices tombent le même jour (on parle alors d’occurrence), celui de rite moindre est réduit et rappelé par une mémoire (ou commémoraison) qui consiste, à l’office de matines, à réciter la neuvième leçon dite historique car elle est un résumé de la vie du saint en question.
  • [19]
    Robert Morrissey, Napoléon et l’héritage de la gloire, Paris, PUF, 2010.
  • [20]
    J.H.R. Prompsault, Dictionnaire raisonné..., op. cit., t. 3, Encyclopédie théologique, vol. 38, 1849, col. 592.
  • [21]
    Jean-Michel Leniaud, De Napoléon à la République. La basilique royale de Saint-Denis, Paris, Picard, 2012.
  • [22]
    Ch. Quin-Lacroix, Histoire de l’église Sainte-Geneviève patronne de Paris et de la France ancien Panthéon français, Paris, Sagnier et Bray, 1852, p. 106.
  • [23]
    Rappelons que l’Église fête un saint le jour de sa mort et non le jour de sa naissance.
  • [24]
    Pierre Blet, « Légat (époque moderne et contemporaine) », dans Philippe Levillain (dir.), Dictionnaire historique de la papauté, Paris, Fayard, 1994, p. 1014 ; Bernard Barbiche et Ségolène de Dainville-Barbiche, « Les légats a latere à l’époque moderne et le personnel des légations », dans Bernard Barbiche, Bulla, Legatus, Nuntius. Études de diplomatique et de diplomatie pontificales (XIIIe-XVIIe siècle), Paris, École des Chartes, 2007, Mémoires et documents de l’École des chartes 85, pp. 283-293.
  • [25]
    Jean Evenou, « Liturgia e culto dei santi (1815-1915) » et Pietro Stella, « Santi per giovani e santi giovani nell’ottocento », dans Emma Fattorini (dir.), Santi, culti, simboli nell’età della secolarizzazione (1815-1915), Turin, Rosenberg et Sellier, 1997, pp. 43-65 et pp. 563-586.
  • [26]
    Philippe Boutry, « Le procès super non cultu source de l’histoire des pèlerinages. Germaine Cousin et le sanctuaire de Pibrac au lendemain de la Révolution française », dans Bibliothèque de l’École des chartes, vol. 154/2, 1996, pp. 565-590 ; Yves-Marie Hilaire (dir.), Benoît Labre. Errance et sainteté. Histoire d’un culte 1783-1983, Paris, Cerf, 1984 ; Marina Caffiero, La fabrique d’un saint à l’époque des Lumières, Paris, Éditions de l’EHESS, 2006.
  • [27]
    Prosper Guéranger, Institutions liturgiques, Le Mans/Paris, Fleuriot/Sagnier et Bray, 1841, t. 2, p. 658, à propos du sacre de 1804 : « La royauté de nos jours, absolue ou constitutionnelle, n’est plus taillée à la mesure des anciens jours. Les peuples, au contraire, ne demandent qu’à se nourrir des plus pures émotions de la liturgie. »
  • [28]
    Nous renvoyons à dom Jacques Dubois et Jean-Loup Lemaître, Sources et méthodes de l’hagiographie médiévale, Paris, Le Cerf, 1993, chap. IV, p. 103 sq., et plus ancien, dom Henri Quentin, Les martyrologes historiques du Moyen Âge. Étude sur la formation du martyrologe romain, Paris, Lecoffre, 1908.
  • [29]
    Acta Sanctorum. Maii, t. 1 (vol. 14), Paris, Victor Palmé, 1866, p. 183. L’édition originale est Acta Sanctorum. Maii, t. 1 (vol. 5), 1680, p. 180. Voir Robert Godding, Bernard Joassart, Xavier Lequeux, François de Vriendt, Joseph van der Straeten, Bollandistes. Saints et légendes. Quatre siècles de recherche, Bruxelles, Société des Bollandistes, 2007.
  • [30]
    Le point de la question dans Hippolyte Delehaye, « La légende de saint Napoléon », dans Mélanges d’histoire offerts à Henri Pirenne, Bruxelles, Vromant, 1926, t. 1, pp. 81-88, repris dans les Mélanges d’hagiographie grecque et latine, Bruxelles, Société des Bollandistes, coll. « Subsidia hagiographica » 42, 1966. Voir aussi Sanctus. Essai sur le culte des saints dans l’Antiquité, Bruxelles, Société des Bollandistes, coll. « Subsidia hagiographica » 17, 1927, pp. 214-216.
  • [31]
    Jean-Marc Ticchi, Le Voyage de Pie VII à Paris pour le sacre de Napoléon (1804-1805). Religion, politique et diplomatie, Paris, Honoré Champion, 2013, pp. 107-112.
  • [32]
    Sur le fonctionnement de ces congrégations particulières, G. Pelletier, op. cit., pp. 74-80.
  • [33]
    Bruno Neveu, « Juge suprême et docteur infaillible : le pontificat de la bulle In eminenti (1643) à la bulle Auctorem fidei (1794) », dans Mélanges de l’École Française de Rome. Moyen Âge-Temps modernes, t. 93/1, 1981, pp. 215-275 ; Philippe Boutry, « Autour d’un bicentenaire. La bulle Auctorem fidei (28 août 1794) et sa traduction française (1850) par le futur cardinal Clément Villecourt », dans Mélanges de l’École Française de Rome. Italie-Méditerranée, t. 106/1, 1994, pp. 203-261, et « Tradition et autorité dans la théologie catholique au tournant des XVIIIe et XIXe siècles. La bulle Auctorem fidei (28 août 1794) », dans Jean-Dominique Durand (dir.), Histoire et théologie. Actes de la Journée d’études de l’Association française d’histoire religieuse contemporaine, Paris, 1994, pp. 59-82 ; G. Pelletier, op. cit., pp. 77-80, pp. 285-299. La bulle alors en projet portait le nom de Quo primum tempore, en référence à celle de Pie V promulguant le missel romain : Lajos Pasztor, « La curia romana e il giansenismo. La preparazione della bolla Autorem fidei », dans Actes du colloque sur le jansénisme organisé par l’Academia Belgica. Rome, 2 et 3 novembre 1973, Louvain, 1977, Bibliothèque de la Revue d’Histoire ecclésiastique, vol. 64, pp. 89-102, et Pietro Stella, « “Quo primum tempore” : progetto di bolla pontificia per la condanna del sinodo di Pistoia (1794)», dans Rivista di Storia della Chiesa in Italia, XLV/1, 1991, pp. 1-41.
  • [34]
    ASV, Segr. Stato, Nunzi diversi 42, fasc. 3, ff. 35-74. Toutes les citations suivantes en sont tirées.
  • [35]
    Il s’agit du rite le plus élevé en solennité dans la liturgie romaine. L’Assomption bénéficie en outre d’une octave.
  • [36]
    L’origine de tous les cultes, ou la religion universelle, en trois volumes de textes et un volume de planches in-4, ou douze volumes in-8 abondamment illustrés (1795). Charles-François Dupuis avait été président du Corps législatif du 22 novembre au 7 décembre 1801.
  • [37]
    Il cite la 41e dissertation des Antiquitates Italiacæ Medii Ævii (1738-1743) de Muratori, et le tome 4 Du nouveau traité de diplomatique de dom Toustain et dom Tassin (Paris, 1750-1765).
  • [38]
    ASV, Segr. Stato, Nunzi diversi 42, fasc. 3, ff. 75-104. Toutes les citations qui suivent renvoient à ces feuilles.
  • [39]
    En 1653, le gouverneur et le Sénat de Milan avaient ordonné que la fête de saint Dominique soit observée tous les ans avec cessation d’œuvres serviles. Le pape avait aussitôt condamné et cassé cette décision.
  • [40]
    Bernard Plongeron, « Cyrus ou les lectures d’une figure biblique dans la rhétorique religieuse, de l’Ancien Régime à Napoléon », dans Revue d’Histoire de l’Église de France, 180, 1982, pp. 31-67 ; Jean-Pierre Bertho, « Naissance et élaboration d’une “théologie” de la guerre chez les évêques de Napoléon (1802-1820) », dans Jean-René Derré, Jacques Gadille, Xavier de Montclos et Bernard Plongeron (dir), Civilisation chrétienne. Approche historique d’une idéologie XVIIIe-XXe siècle, Paris, Beauchesne, 1975, pp. 89-104.
  • [41]
    Pierre Birnbaum, Prier pour l’État. Les Juifs, l’alliance royale et la démocratie, Paris, Calmann-Lévy, 2005, pp. 55-56.
  • [42]
    Louis François Joseph Bausset, baron de Roquefort, Mémoires anecdotiques sur l’intérieur du palais, tome IV, Paris, Levasseur, 1828-1829, pp. 176, 186, 211 et 251.
  • [43]
    Veit Verletze, Napoleon: Trikolore und Kaiseradler über Rhein und Weser, Preußen-Museum Nordrhein-Westfalen, 2007, p. 95.
  • [44]
    Antoine Claude Pasquin, Voyage en Italie, guide du voyageur et de l’artiste, Bruxelles, Société belge de libraire, 1838, p. 137.
  • [45]
    Lettre de Corneille Stevens touchant la situation désolante de la religion en France [...], 1806, pp. 55-62.
  • [46]
    Joseph Jauffret, Mémoires historiques sur les affaires ecclésiastiques de France pendant les premières années du XIXe siècle, Paris 1824, t. 3, p. 58 et suivantes.
  • [47]
    Lettre l’abbé Girard à l’abbé Monnot, 31 juillet 1804, cité dans L’Odyssée d’un prêtre réfractaire. La correspondance de l’abbé Monnot, Besançon, Amis des Archives de Franche-Comté, 2011, p. 229.
  • [48]
    Pierre Vinson, Adresse aux deux chambres en faveur du culte catholique et du clergé de France […], Paris, Eberhart, 1815, p. 18.
  • [49]
    Recueil de pièces pour servir à l’histoire ecclésiastique à la fin du XVIIIe siècle et au commencement du XIXe, 1823, p. 703.
  • [50]
    Bruno Neveu, Érudition et religion aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Albin Michel, 1994 ; Corrado Viola, Canoni d’Arcadia : Muratori, Maffei, Lemene, Ceva, Quadrio, Pise, ETS cop., 2009.
  • [51]
    G. Ellis cité par N. Shusterman, art. cit., p. 324.
  • [52]
    The Monthly repository of theology and general literature, Hackney, Sherwood, Neely and Jones, 1819, vol. 14, p. 315.
  • [53]
    Bulletin des lois, 1814, cité dans Jacqueline Lalouette, op. cit., p. 25. Voir J.H.R. Prompsault, Dictionnaire raisonné…, op. cit., t. 1, col. 213-214.
  • [54]
    Sudhir Hazareesingh, La Saint-Napoléon. Quand le 14 juillet se fêtait le 15 août, Paris, Tallandier, 2007.
  • [55]
    Bernard Ménager, Les Napoléon du peuple, Paris, Aubier, « Collection historique », 1992.
  • [56]
    Voir Gilles Malandain, « Jalons pour une histoire du pèlerinage au(x) tombeau(x) de Napoléon », dans Luc Chantre, Paul d’Hollander et Jérôme Grévy (dir.), Politiques du pèlerinage du XVIIe siècle à nos jours, Rennes, PUR, 2014, pp. 297-314.
  • [57]
    Cité dans Philippe Muray, Le XIXe siècle à travers les âges, Paris, Gallimard, 1999, p. 420.
  • [58]
    Franck P. Bowman, Le Christ romantique, Genève, Librairie Droz, 1973, et Le Christ des barricades 1789-1848, Paris, Cerf, 1987.
  • [59]
    Recueil de pièces pour servir à l’histoire ecclésiastique à la fin du XVIII siècle et au commencement du XIXe, 1823, p. 753.
  • [60]
    Cité dans le Dictionnaire des girouettes, Paris, Librairie Alexis Eymery, 1815, p. 257.
  • [61]
    Cité dans le Dictionnaire des girouettes, Paris, Librairie Alexis Eymery, 1815, pp. 256-258.
  • [62]
    Supplément à l’ouvrage intitulé : de Buonaparte et des Bourbons, Paris, 1814, p. 25.
  • [63]
    C’est le tome 3 de son Histoire des sectes religieuses, Paris, Baudouin, 1828, p. 110 et suivantes. Voir aussi son opuscule, De la Constitution française de l’an 1814, Paris, Imprimerie Egron, 1814, 2e éd.
  • [64]
    Nous renvoyons à notre ouvrage, Église et nation. La question liturgique en France au XIXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010.
  • [65]
    Vie des Pères, des martyrs et des autres principaux saints [...] par Alban Butler, nouvelle édition, Versailles, Lebel, 1811, t. 7, pp. 260-261.
  • [66]
    Gérard de Puymège, Chauvin, le soldat-laboureur. Contribution à l’étude des nationalismes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 1993.
  • [67]
    Saint Roch est traditionnellement représenté en compagnie de cet animal.
  • [68]
    Nous avons développé cet aspect dans Vincent Petit, Église et nation. La question liturgique en France au XIXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010.
  • [69]
    Annette Pinchedez, Croyances et coutumes des gens de rivières et de canaux. Histoire et dictionnaire, Paris, Tallandier, 1992.
  • [70]
    Georg May, Das Recht des Gottesdienstes in der Diözese Mainz zur Zeit von Bischof Joseph Ludwig Colmar (1802-1818), Amsterdam, Grüner Publishing Company, 1987, vol. 2, p. 147. L’ouvrage contient de nombreuses données sur les célébrations de la Saint-Napoléon dans l’Allemagne occupée.
  • [71]
    Florence Buttay et Axelle Guillausseau (dir.), Des saints d’État ? Politique et sainteté au temps du concile de Trente, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, coll. Roland Mousnier, 2012.
  • [72]
    Emilio Gentile, Les religions de la politique. Entre démocraties et totalitarismes, Paris, Seuil, coll. « La couleur des idées », 2005.
  • [73]
    Maurice Agulhon, Marianne au combat. L’imagerie et la symbolique républicaine de 1789 à 1880, Paris, Flammarion, 1979.
  • [74]
    Florence Buttay et Axelle Guillausseau (dir.), op. cit.
  • [75]
    Bernard Plongeron, « Au sommet de la sacralité… », p. 257.
  • [76]
    Défini par Sylvio Hermann de Franceschi comme « la voie moyenne d’un régalisme gallican dépouillé de son antiromanisme », dans La crise théologico-politique du premier âge baroque. Antiromanisme doctrinal, pouvoir pastoral et raison du prince : le Saint-Siège face au prisme français (1607-1627), Rome, École française de Rome, 2009, p. 644.
  • [77]
    Cité dans Bernard Plongeron, Théologie et politique au siècle des Lumières (1770-1820), Genève, Droz, 1973, p. 253. Voir Claude Langlois, « Philosophe sans impiété et religieux sans fanatisme. Portalis et l’idéologie du système concordataire », dans Ricerche di storia sociale e religiosa, 15-16, 1979, pp. 37-57.
  • [78]
    Cité dans Bernard Plongeron, Théologie et politique…, op. cit., p. 356.
  • [79]
    La Saint-Napoléon est évoquée lors des débats qui ont lieu au Sénat le 9 décembre 1891 par le sénateur du Gard, Auguste Dide, par ailleurs pasteur protestant : « En France, [l’Église] a eu l’intelligence – voulez-vous me permettre d’ajouter, vous ne protesterez pas –, elle a eu le patriotisme de comprendre que la raison d’Église devait être associée et même subordonnée à la raison d’État. »
  • [80]
    Le pape Pie XI, reprenant la teneur du vœu de Louis XIII, a fait de la Vierge Marie en son Assomption la « principale patronne » de la France le 2 mars 1922.

Introduction

1Il s’en est fallu d’une étrangeté et d’une coïncidence pour que naisse, au sortir de la décennie révolutionnaire qui avait mis à bas l’alliance mystique du trône et de l’autel, un nouveau saint de l’Église catholique, du moins dans les territoires qui relèvent de l’Empire français.

2Étrangeté d’un prénom. Napoléon Bonaparte rapporte lui-même une anecdote dans le mémorial de Las Cases. Lorsqu’il reçoit, à l’École militaire de Paris en 1785, le sacrement de la confirmation, l’archevêque s’étonne au nom de Napoléon et remarque que ce saint ne lui est pas connu et qu’il est absent du calendrier, ce à quoi le jeune Corse lui répond que ce n’est pas une raison puisqu’il n’y a que 365 jours dans l’année et bien plus de saints que cela ! Comme l’écrit Walter Scott dans sa Vie de Napoléon Buonaparte (1827), Letizia née Ramolino avait baptisé son fils du nom d’un « saint obscur qui ne s’était point maintenu en crédit »... Coïncidence d’une date. Cette femme très pieuse avait tenu, le matin, à assister à la messe du jour de l’Assomption, et c’est au retour de l’église qu’elle mit au monde son fils puîné le 15 août 1769. Il reçut alors ce prénom que, par tradition familiale, on donnait au second-né, en référence à Napoléon des Ursins – comme on nomme en français la famille Orsini [1].

3Le jour anniversaire de Napoléon Bonaparte coïncide avec la fête de l’Assomption, fête avec laquelle l’Église célèbre depuis le VIIe siècle le transport miraculeux du corps et de l’âme de la Sainte-Vierge dans le ciel – tradition qui ne fera l’objet d’une définition dogmatique qu’en 1950 par le pape Pie XII. Date qui correspond en même temps à la consécration du royaume de France à la Vierge Marie en son Assomption par l’édit du 10 février 1638. À cette occasion, et avant la procession qui a lieu dans toutes les paroisses du royaume, la déclaration de Louis XIII est lue au cours de la messe :

4

« À ces causes, nous avons déclaré et déclarons que prenant la très sainte et très glorieuse Vierge pour protectrice spéciale de notre royaume, nous lui consacrons particulièrement notre personne, notre État, notre couronne et nos sujets, la suppliant de nous vouloir inspirer une sainte conduite et de défendre avec tant de soin ce royaume contre l’effort de tous ses ennemis, que, soit qu’il souffre du fléau de la guerre ou jouisse de la douceur de la paix que nous demandons à Dieu de tout notre cœur, il ne sorte point des voies de la grâce qui conduisent à celles de la gloire. »

5La personnalisation croissante du régime issu du coup d’État du 18 brumaire an VIII, qui n’avait ni la légitimité historique de la monarchie ni celle d’une authentique démocratie – pour autant que cette idée ne soit pas alors anachronique, nécessitait l’appui d’une métaphysique, ou si l’on préfère d’une caution religieuse [2]. Le sacre du 2 décembre 1804 en fut une. La célébration de saint Napoléon au 15 août, qui avait l’avantage de la réitération et de proposer une possible appropriation populaire, en fut une autre. Nul ne doute que Napoléon lui-même y porta peu d’intérêt. Mais ce saint improbable eut une existence officielle, aussi brève soit-elle, dans la liturgie récitée par le clergé catholique, et plus tard, une postérité féconde bien que, ou plutôt parce que rejeté définitivement par l’Église.

6C’est sur ce moment qui est l’expression d’une mutation culturelle de plus large ampleur que nous porterons le regard. Autrement dit, par quelles modalités s’opère la transition du saint, que l’Église accepte plutôt de mauvais gré à offrir à la vénération des fidèles à la demande de l’État, au mythe, largement sécularisé, destiné à unir un peuple ? L’un et l’autre possèdent une efficience collective puisqu’ils relèvent d’une mémoire – c’est le sens de la liturgie chrétienne, celle du Christ, des saints, des défunts, mais aussi le ressort de la fête civique, celle des pères fondateurs, des héros de la patrie, des vertus antiques –, portée par une imagerie et un imaginaire, et qu’ainsi ils instituent une société, qu’elle ait pour nom Église ou Nation.

I. La raison d’État : l’invention de Saint Napoléon

7Le Concordat de 1801 a été salué en son temps comme l’acte constitutif du rétablissement du catholicisme en France après la période révolutionnaire mais moins comme son instrumentalisation par la puissance publique, dans la continuité du régalisme d’Ancien Régime et de la Constitution civile du clergé. Il exige des ecclésiastiques un serment d’obéissance au gouvernement, et non plus seulement à la Constitution ou aux lois. De même, si dans son article 16, il stipule que « Sa Sainteté [le pape] reconnaît dans le Premier Consul de la République française, les mêmes droits et prérogatives dont jouissait près d’elle l’ancien gouvernement », il faut en conclure qu’est restauré l’ensemble des rites de majesté, des prières vouées au souverain, comme celles qui ont lieu à la fin de l’office, et des règles de préséance qui lui sont reconnues. Les Articles organiques, ajoutés unilatéralement par le gouvernement français et qui n’ont jamais été admis par la papauté, infléchissent davantage la convention du 26 messidor an IX vers le régalisme en soumettant à autorisation toute communication avec Rome et en se portant garant des « libertés, franchises et coutumes de l’église gallicane ». Le 18 germinal an X (8 avril 1802), le cardinal Caprara est ainsi autorisé à exercer ses fonctions de légat à condition de « se conformer entièrement aux règles et usages observés en France ». En dessinant une Église uniforme (une liturgie et un catéchisme unique pour tout le pays, article 39), l’État assigne la religion au service d’un projet social et politique au nom de l’utilité dont il se veut le garant.

8Concrètement, la législation concordataire [3] renoue avec les principes du joséphisme tels qu’ils ont été appliqués à la veille de la Révolution dans le cadre du despotisme éclairé. Elle équivaut à la mise sous tutelle de l’Église dans les limites des frontières nationales, tenue éloignée de l’influence du Saint-Siège tant d’un point de vue disciplinaire que doctrinal, alors même que les éléments potentiellement démocratiques présents dans la Constitution civile du clergé – élection à tous les postes curiaux, réunion régulière de synodes et de conciles – ont été abandonnés. Cette dilection, au-delà des apparences de « monarchie chrétienne » [4] que se donne le régime, dit bien la nature ambivalente de l’entreprise napoléonienne, celle d’une Aufklärung autoritaire. Car le régalisme entend répondre aussi à une inspiration spécifiquement religieuse, où s’exprime une conception plus éclairée de la pratique et de la foi, avec parfois l’ambition de réunir toutes les confessions chrétiennes, qui passe par une nationalisation de la liturgie avec la suppression de certains offices liturgiques trop favorables à la papauté, la simplification des rites et du calendrier… Prosaïquement, la mission assignée par Bonaparte à l’Église de France est celle d’une administration centralisée et unitaire, ordonnée au sein de la souveraineté politique, enchâssée en elle. La cérémonie religieuse du sacre, où le pape a récité des oraisons à l’empereur et à l’impératrice puis a béni les attributs de la souveraineté (les regalia) – épée, manteau, anneau, couronne, globe [5] – révèle cette inversion : loin de renouer avec la royauté d’Ancien Régime, fondée sur l’union mystique du trône et de l’autel, la législation et surtout la pratique concordataires consacrent en tout la primauté du politique. Sous les voûtes de Notre-Dame de Paris, ville-capitale, la présence de Pie VII était jugée utile par Napoléon, cet « évêque du dehors » qui n’a même pas daigné communier…

9Primauté du politicante qui se lit aussi avec l’affirmation de la papauté, cette institution qui a bien failli disparaître à l’occasion de la détention et de la mort de Pie VI : en préalable au concordat, qui lui reconnaît l’attribution de l’institution canonique des évêques, le souverain pontife dépose l’ensemble de l’épiscopat français – qu’il ait été élu à la faveur de la Constitution civile du clergé ou qu’il ait été désigné avant 1789 en vertu des privilèges de l’Église gallicane. Qu’elle ait vu dans cette autorité retrouvée sur l’Église de France et dans la restauration de l’exercice du culte une manifestation de la Providence, explique que la papauté accepte bien volontiers de donner un caractère sacral à un général, devenu empereur à la faveur d’un coup d’État, de victoires militaires et d’un plébiscite ; elle se cale sur la temporalité politique qu’elle consent à bénir, après coup. Le catéchisme imposé en 1806 à l’ensemble de l’Empire exprime à quel point la religion est devenue partie prenante de la puissance publique, nommément réduite au souverain qui l’exerce : « Nous devons en particulier à Napoléon Ier, notre Empereur, l’amour, le respect, l’obéissance, la fidélité, le service militaire, les tributs ordonnés pour la conservation et la défense de l’Empire et de son trône : nous lui devons encore des prières ferventes pour son salut, et pour la prospérité spirituelle et temporelle de l’État [6]. » L’archevêque de Paris, Mgr de Belloy, écrit même en tête du catéchisme qu’il présente à ses ouailles : « Nous reconnaissons l’ouvrage de Dieu dans la puissance dont l’Empereur est revêtu, et nous portons un respect religieux à cette seconde Majesté qui, sur la terre, est l’image de la Majesté divine elle-même. » Dans son mandement sur la manière de célébrer la fête de l’Assomption (4 août 1803), l’évêque de Liège, Mgr Zaepffel, salue Bonaparte, en majuscules, le « héros » du peuple français : « Trente-quatre ans passent à peine, depuis qu’un Quinze Août a vu s’élever l’Astre, qui décore, éclaire et vivifie la France : depuis que Dieu a daigné donner au monde l’homme immortel, à qui, dans les décrets de sa miséricorde, il destinait la direction du Gouvernement pour qu’il relevât les Autels, et rendit à la Patrie sa gloire et sa prospérité. » La personnalisation croissante du régime trouve son expression dans le calendrier, dont la maîtrise est la marque de la souveraineté, et qui est réordonné en fonction des valeurs sociales et économiques que l’État a charge d’assurer : l’arrêté du 29 germinal an X (19 avril 1802), ratifié par l’indult du cardinal Caprara en date du 9 avril 1802, instaure quatre jours fériés, l’Ascension, l’Assomption, la Toussaint et Noël [7] – le 15 août étant en outre voué à l’empereur. Or l’institution d’une fête de saint Napoléon, jour anniversaire de la naissance de l’empereur, fixée le jour de la fête de l’Assomption pour en faciliter et en accroître la ferveur, nécessite l’invention d’un saint qui porte son nom. La création de cette fête civique, « fête de souveraineté » [8] qui eut un réel impact populaire, se double de celle d’un office liturgique, inscrit dans le calendrier ecclésiastique et récité par l’ensemble du clergé, liant ainsi l’Église à l’État dans un nouveau rapport de force.

A ) Prier pour l’empereur

10Le concordat de 1801 institue et règle les prières publiques pour l’État. La convention signée le 23 fructidor an IX (10 septembre 1801) entre le gouvernement français et le pape Pie VII précise dans son article 8 que « la formule de prière suivante sera récitée à la fin de l’office divin, dans toutes les églises catholiques de France : Domine, salvam fac Rempublicam ;Domine, salvos fac Consules » – les négociateurs de Bonaparte n’ont fait que reprendre la prière pour les autorités publiques utilisée sous l’Ancien Régime, soit le dernier verset du Psaume 19 appelé Exaudiat[9], de préférence à une formulation plus générale comme Domine salvam fac Galliam. Les Articles organiques (titre III, Du culte, article 51) précisent d’autre part que « les curés, aux prônes des messes paroissiales, prieront et feront prier pour la prospérité de la République française et pour les Consuls » – sans omettre les prières publiques ordonnées par le gouvernement selon l’article 49 des mêmes Articles organiques.

11L’État fixe donc un cadre normatif avec deux mentions successives au cours de l’office. La première, celle du prône, se fait à la messe paroissiale, après l’Évangile, du haut de la chaire par le prêtre. La seconde a lieu à la fin de l’office, messe paroissiale ou vêpres – en fonction de l’office auxquelles assistent les autorités publiques. La pratique de chanter le verset avec l’oraison après la messe, en alternance par le célébrant et les fidèles, est la plus courante, parce qu’elle est conforme aux prescriptions du manuel des cérémonies romaines – ce qui n’exclut pas la survivance d’autres usages. Le Domine salvam est fréquemment chanté aux saluts du Saint-Sacrement, ainsi que le jour de la fête du souverain. Il est aussi chanté avec l’oraison après la célébration d’un Te Deum quand le gouvernement l’ordonne à la suite d’un événement particulier.

12Le Domine salvam constitue une prière pour l’État quelle que soit sa forme, autrement dit une prière pour l’autorité publique quel que soit l’individu qui l’occupe. Seulement, la personnalisation du verset est une tentation précoce. Dès le 2 août 1803, l’archevêque de Paris, Mgr de Belloy, invite les fidèles à chanter le Domine salvum fac Napoleonem primum consulem nostrum à la messe du jour de l’Assomption. Après 1804, l’usage de chanter Domine salvum fac imperatorem nostrum Napoleonem devient courant. La circulaire en date du 14 janvier 1813 précise que le Domine salvum sera chanté non seulement à vêpres, mais aussi à la messe, immédiatement après la communion, afin que le plus grand nombre de paroissiens puisse l’entonner…

13Les prières pour l’empereur ne se résument pas à ce que prescrit explicitement le concordat. Par une circulaire datée du 19 avril 1806, le ministre des Cultes, Portalis, enjoint aux évêques de faire prier pour l’empereur dans le canon de la messe comme il était « usité dans l’ancienne monarchie », tout en prenant bien soin « de substituer le titre d’Empereur à celui de Roi ». Le clergé est obligé de mentionner le nom de l’empereur, à la suite de celui du pape et de l’évêque, dans le canon de la messe, c’est-à-dire la partie de la messe qui comprend l’acte essentiel du saint sacrifice, prononcé à voix basse par le prêtre tandis que les fidèles, inclinés, observent le silence. Le célébrant prie d’abord Dieu d’agréer et de bénir les dons présents sur l’autel, et avant la consécration, les intentions particulières de ceux pour lesquels il célèbre. Il prie d’abord pour l’Église tout entière à laquelle est associé le souverain : In primis, quæ tibi offerimus pro ecclesia tua sancta catholica : quam pacificare, custodire, adunare, et regere digneris toto orbe terrarum : una cum famulo tuo Papa nostro N., et Antistite nostro N., et Imperatore Nostro N. « Avant tout, nous vous les offrons pour votre sainte Église catholique, afin que vous daigniez lui donner la paix, la protéger, l’unifier et la gouverner par toute la terre ; en union avec votre serviteur, notre pape N., et notre évêque N., et notre Empereur N. »

14De plus, comme sous l’Ancien Régime, l’évêque, de sa propre autorité ou à la demande des autorités, peut prescrire des oraisons au cours de l’office et aux saluts du Saint-Sacrement, comme l’oraison Pro Imperatore, contenue dans le missel romain, ou l’oraison Pro Rege adaptée à la forme impériale. Dès le 4 août 1803, Mgr Le Coz fait prier les fidèles de l’archidiocèse de Besançon Pro primo consule et exercita ; après 1806, il fera ajouter des collectes Pro papa et Pro imperatore et ejus familias à la messe du 15 août. Enfin, le clergé applique à Napoléon les prières pour l’empereur romain, contenues dans le missel romain au vendredi et au samedi saint.

15Les autres cultes, qui bénéficient d’une reconnaissance politique et qui en expriment d’autant plus de gratitude, ne sont pas en reste. Les Articles organiques des cultes protestants précisent que « les pasteurs et ministres des diverses communions protestantes prieront et feront prier, dans la récitation de leurs offices, pour la prospérité de la République française et pour les Consuls ». Certains pasteurs se montrent tout aussi flatteurs que les évêques, comme le pasteur Masson, à Montbéliard (Doubs), terre luthérienne :

16

« Bénis le Prince que tu as choisi pour être l’instrument de tes miséricordes, et pour parler de paix à ton peuple. […] Que ta main le dirige, que ton bras le fortifie, que ta miséricorde et ta vérité l’accompagnent. Monarque éternel, qui fait régner les Rois, et qui les pèse dans ta balance, c’est toi qui as marqué sa place au-dessus des plus grands et des plus puissants de la terre : environne-le de ta grâce dans le rang où tu l’as élevé, afin qu’il gouverne avec justice et avec sagesse les peuples que tu as soumis à ses lois. Tu l’as appelé pour essuyer nos pleurs et pour cicatriser nos plaies : demeure à sa droite, Seigneur, pour le conduire et l’affermir dans cette grande vocation, et fais lui savourer longtemps, oui, bien longtemps encore, le plaisir divin de faire des heureux. Amen !  [10] »

17Un peu plus tard, le décret impérial du 17 mars 1808 oblige les rabbins à réciter les prières équivalentes : « Dieu, Éternel Maître de l’Univers, du haut de ton Trône, tu inclines le regard de ta Providence vers les cieux de la Terre [...]. C’est par toi que les Rois règnent [...]. Jette de ta demeure sainte un regard favorable, bénis, préserve et assiste notre auguste Souverain, Napoléon le Grand, Empereur des Français, Roi d’Italie [11]. »

B) La décision politique : le décret du 19 février 1806

18C’est à l’occasion du sénatus-consulte de 1802 sur le consulat à vie que le prénom de Bonaparte apparaît officiellement. La même année, pour la première fois, est célébrée, avec Te Deum à Notre-Dame, la fête officielle de l’anniversaire du premier consul – le 15 août entre du même coup en concurrence avec les fêtes civiques issues de la Révolution que sont le 14 juillet, le 22 septembre et le 21 janvier [12]. Aussi la naissance de saint Napoléon est le produit d’une conjonction où les considérations politiques l’emportent sur les motivations religieuses. Il apparaît avec le régime politique du 18 brumaire : à partir de l’an XI (1802-1803), l’Almanach national célèbre au lendemain de l’Assomption la fête de saint Napoléon, en lieu et place de saint Roch.

Almanach national de France 1802-1803, imprimerie Testu, Paris

Almanach national de France 1802-1803, imprimerie Testu, Paris

Almanach national de France 1802-1803, imprimerie Testu, Paris

© Photo de l’auteur.

19Napoléon (au 2 mai) et Néapolus (au 21 octobre) figurent dans la liste officielle des prénoms autorisés en vertu de la loi du 11 germinal an XI (1er avril 1803) qui stipule que seuls « les noms en usage dans les différents calendriers, et ceux des personnages connus de l’histoire ancienne pourront [...] être reçus, comme prénoms, sur les registres de l’état civil » [13]. Un décret du 25 nivôse an XII (16 janvier 1804) accorde une gratification d’un mois de solde aux officiers le jour de la Saint-Napoléon de chaque année [14]. La naissance canonique de ce saint devient « indispensable du moment que le général Bonaparte échangeait ses faisceaux du Consulat avec le sceptre impérial » [15].

Saint Napoléon, martyr

Saint Napoléon, martyr

Saint Napoléon, martyr

Estampe coloriée réalisée à Paris chez Chereau, m[archan]d d’estampes, aux deux Colonnes, rue Saint-Jacques, n° 10, vers 1805. Gravure représentant saint Napoléon, fêté au 16 août, soit le lendemain de l’Assomption, avant donc le décr.et du cardinal Caprara. Saint Napoléon a des traits grecs mais des vêtements très orientaux. Il reçoit l’auréole d’un ange, avec cette prière : « Ô Grand Saint qui avez mérité par la persévérance dans la Foi la couronne que Dieu donne à ses Élus, protégez-nous afin que nous puissions un jour avec vous jouir de la béatitude éternelle. Ainsi soit-il. »
© Gallica/BnF

20Certaines demandes du clergé adressées au gouvernement dirigent cet élan vers une dévotion proprement religieuse, favorisée par la restauration du calendrier grégorien par le sénatus-consulte du 22 fructidor an XIII (9 septembre 1805) effectif à compter du 1er janvier 1806. En octobre 1805, les chanoines de la chapelle Sainte-Croix de Nice émettent le vœu de consacrer l’un des autels à saint Napoléon. Cependant, la fête prend un tour plus officiel avec la naissance de l’Empire et la victoire d’Austerlitz. Un membre du Tribunat demande le 9 nivôse an XIV (3 décembre 1805) l’établissement d’une fête nationale en l’honneur de la naissance de Napoléon. Portalis suggère alors d’unir la célébration de cette fête à celle de l’Assomption et de rendre le Panthéon au culte catholique, ce qui est approuvé par l’empereur le 12 février.

21L’inscription liturgique de la fête, avec son caractère à la fois commémoratif et réitératif, constitue, comme l’explique Portalis dans son rapport à l’empereur, un « signe permanent des grandes choses opérées par [son] génie ». Il propose donc l’établissement d’une fête pour rappeler « l’union sainte de la paix et de la justice ; la France réconciliée avec elle-même ; le christianisme reprenant sa divine et salutaire influence ». S’inscrivant dans le droit fil de l’utilitarisme des Lumières, Portalis n’envisage la religion que comme la source de la morale, la « sanction céleste » des lois – alors que « le principe salutaire de l’économie du temps » lui interdit d’ajouter un nouveau jour chômé. Le jour de l’Assomption, férié depuis 1802, fera donc l’affaire : « C’est celui de la naissance de Votre Majesté Impériale et Royale. Tous les bienfaits que la Providence destination à la grande nation dans l’ordre éternel de ses décrets, tous les souvenirs glorieux, tous les souvenirs chers aux Français, viennent s’y rattacher. Que la célébration de la fête de saint Napoléon ait lieu dans ce grand jour ! La fête patronale de V. M. I. et R. doit être celle de tout l’Empire. »

Décret impérial qui crée la fête de saint Napoléon et celle du rétablissement de la religion catholique

Décret impérial qui crée la fête de saint Napoléon et celle du rétablissement de la religion catholique

Décret impérial qui crée la fête de saint Napoléon et celle du rétablissement de la religion catholique

© Gallica/Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, Réserve QB-370 (61)-FT 4

22Le décret du 19 février 1806 stipule que la fête de saint Napoléon et celle du rétablissement de la religion catholique en France seront célébrées dans tout l’Empire, le 15 août, « jour de l’Assomption et époque de la conclusion du Concordat » (Art. 1er). Il y aura ce jour-là une procession hors de l’église dans toutes les communes où l’exercice extérieur du culte est autorisé ; dans les autres communes, la procession aura lieu à l’intérieur de l’église (Art. 2). Avant la procession, le ministre du culte prononcera un « discours analogue à la circonstance », et un Te Deum solennel sera chanté après la procession (Art. 3). Les autorités militaires, civiles et judiciaires assisteront à ces solennités (Art. 4). Il sera célébré, dans tous les temples du culte réformé, un Te Deum solennel en actions de grâce pour l’anniversaire de la naissance de l’empereur (Art. 5). L’article 6 institue en outre une commémoration du couronnement et de la bataille d’Austerlitz (2 décembre).

Rapport présenté à Sa Majesté Impériale par le ministre des Cultes, relativement à l’établissement des fêtes anniversaires ; l’une du rétablissement de la religion, l’autre de la victoire d’Austerlitz, le 19 février 1806

Sire,
Les solennités périodiques et nationales sont des monuments impérissables. Liées au cercle des saisons et des années, elles rattachent les grandes époques de la terre au cours inaltérable des cieux ; elles sont de vivantes représentations des événements des temps anciens ; elles les rendent contemporains de tous les âges, et la patrie emprunte de ces institutions l’activité de sa force et de sa puissance ; elles ont sur les inscriptions mortes l’avantage du présent sur le passé.
Mais les cérémonies et les pompes civiles ne sont rien, si elles ne se rattachent aux pompes et aux cérémonies de la religion. La religion comble l’espace immense qui sépare le ciel de la terre ; elle communique à toutes les pompes un sens mystérieux et sublime ; elle imprime à ces cérémonies cette gravité imposante et ce caractère touchant qui commandent le recueillement et le respect ; elle lie les actions passagères des hommes à cet ordre de choses éternel, la source unique de toutes les consolations célestes, et l’unique but de toutes espérances pieuses. Les arts eux-mêmes manquent d’éloquence, s’ils ne s’adressent à cet instinct moral et religieux, qui, dans l’homme, peut seul faire participer le cœur aux élans de l’imagination et aux conceptions de l’esprit.
Sire, deux grandes fêtes doivent être, au milieu de nous, les signes permanents des grandes choses opérées par votre génie. L’une rappellera l’union sainte de la paix et de la justice ; la France réconciliée avec elle-même ; le christianisme reprenant sa divine et salutaire influence ; la morale recouvrant ses tribunaux ; les tribunaux une puissance qu’ils ne tiennent que des lois ; les lois une sanction céleste ; un Code nouveau adapté aux progrès des idées et à la stabilité des principes ; une organisation nouvelle de tout l’ordre social, rajeuni, quoique replacé sur ses antiques bases, vivifié par un nouvel esprit et par de nouvelles formes. En un mot, elle sera destinée à perpétuer le souvenir de notre régénération intérieure.
L’autre célébrera l’établissement de ce gouvernement vraiment national qui donne un père à la patrie, et qui, supprimant les convulsions intestines, communique à l’ordre politique la marche douce et paisible de l’ordre de la nature, cette splendeur qui rejaillit du trône sur les citoyens et les ennoblit aux yeux des nations étrangères. Cette mémorable victoire d’Austerlitz, qui a sauvé le Midi civilisé de l’Europe de la tyrannie du Nord encore barbare ; ces événements accomplis en si peu de temps, une ligue insensée dissipée, des trônes élevés, une nouvelle balance de l’Europe établie, et le héros de la France, devenant le pacificateur de l’Allemagne, le restaurateur de l’Italie et le bienfaiteur de l’humanité ; en un mot, elle sera destinée à perpétuer le souvenir de l’accroissement de prépondérance et de force que la France a acquis au dehors pour le bonheur du monde.
Mais, sire, le principe salutaire de l’économie du temps doit présider à l’institution des fêtes, dispensées avec épargne ; elles impriment à l’amour du travail une nouvelle impulsion ; elles renouvellent les forces et communiquent à l’industrie nationale une activité particulière, en fournissant à la médiocrité aisée l’occasion honnête d’étaler un luxe innocent.
Que le jour de l’Assomption soit consacré à la première de ces solennités ; c’est celui de la naissance de Votre Majesté impériale et royale. Tous les bienfaits que la Providence destinait à la grande nation dans l’ordre éternel de ses décrets, tous les souvenirs glorieux, tous les souvenirs chers aux Français viennent s’y rattacher ; que la célébration de la fête de saint Napoléon ait lieu dans ce grand jour. La fête patronale de Votre Majesté impériale et royale doit être celle de tout l’empire.
La seconde de nos solennités nationales sera célébrée le premier dimanche qui suivra le jour anniversaire du couronnement de Votre Majesté impériale et royale ; elle sera environnée de tout l’éclat de vos victoires et de toute la grandeur auquel le nom français est parvenu sous ses auspices.
J’ai l’honneur, en conséquence, de proposer à Votre Majesté impériale et royale le projet de décret suivant.
Je suis avec un profond respect, Sire,
De Votre Majesté impériale et royale, le très-obéissant, très-dévoué et très-fidèle serviteur et sujet,
Signé : Portalis.

C) La sanction religieuse : l’indult du cardinal Caprara

23Du point de vue ecclésiastique, la fête de saint Napoléon est établie par le décret apostolique Eximium catholicae religionis du cardinal Caprara en date du 1er mars : « Que le 15 août de chaque année, jour consacré à la solennité de l’Assomption de la Très Sainte Vierge et époque du Concordat, soit aussi à perpétuité, dans l’Empire français, la fête de saint Napoléon dont Sa Majesté porte le nom, et l’anniversaire du rétablissement du culte catholique en France. » Le légat du pape explique au ministre qu’il s’est « occupé de l’appuyer des moyens tirés de la Sainte Écriture qui [lui] ont paru convenables à la circonstance et propres à le faire accueillir avec un esprit religieux et de pieuses dispositions ».

Mgr Jean-Baptiste Caprara (1733-1810), cardinal (1792), légat a latere du pape Pie VII près l’empereur des Français.

Mgr Jean-Baptiste Caprara (1733-1810), cardinal (1792), légat a latere du pape Pie VII près l’empereur des Français.

Mgr Jean-Baptiste Caprara (1733-1810), cardinal (1792), légat a latere du pape Pie VII près l’empereur des Français.

L’inventeur de saint éponyme de l’empereur sera promu archevêque de Milan (où il couronne Napoléon roi d’Italie en 1805) et sera inhumé en l’église Sainte-Geneviève (actuel Panthéon).
© Photo de l’auteur. Card.fol.6(3). Cons. fa0196r© Biblioteca Apostolica Vaticana

24Le décret reprend la teneur du rapport de Portalis en rappelant le patronage marial de la France : « Sa Majesté Impériale a voulu que le quinzième jour du mois d’août, consacré à honorer l’entrée triomphante de la Sainte Vierge dans le Ciel, fût aussi tellement dédié à saint Napoléon, que la fête établie en son honneur, ne fût qu’une seule et même fête avec l’anniversaire du rétablissement de la Religion Catholique en France. » Saint Napoléon se trouve honoré le même jour que l’Assomption, de sorte que « ces solennités [...] concourent si merveilleusement entre elles et avec le jour de la naissance de l’Empereur ». La figure de l’empereur, nouveau Cyrus [16] – « cet homme étonnant fut notre Empereur, qui marchant sur les traces des illustres Princes Cyrus et Darius, a rebâti la Maison de Dieu avec tant de sagesse et de magnificence » – domine l’ensemble du texte bien davantage que le saint à qui il doit son nom. À la solennité est attachée une bénédiction papale qui est donnée après la messe pontificale et une indulgence plénière pour les fidèles qui s’approcheront des sacrements en ce jour, ou qui « prieront avec ferveur pour l’Église, pour le Souverain Pontife, pour l’Empereur et pour la paix ».

Décret « Eximium catholicae » de S. Ém. le cardinal légat pour la fête de l’Assomption et de saint Napoléon (1er mars 1806)

Nous Jean-Baptiste, du titre de Saint-Honuphre, Prêtre de la Sainte- Église Romaine, Cardinal Caprara, Archevêque de Milan, Légat a latere, de notre très saint Père le Pape Pie VII, et du S. Siège Apostolique, près l’Empereur des Français.

Ce fut le 15 Août, jour consacré à honorer la glorieuse Assomption de la Mère de Dieu, principale patronne de la France, que fut enfin arrêté d’un commun accord, et terminé aux applaudissements universels, le grand ouvrage du rétablissement de la religion catholique, l’objet de la plus vive sollicitude de Napoléon Ier, Empereur des Français, Roi d’Italie, et le sujet de notre joie et de notre allégresse.
C’est de Dieu que nous avons appris combien il est sage et utile de transmettre à la postérité, par des monuments ou des cérémonies religieuses, la mémoire des grands événements qui intéressent particulièrement la Religion.
Ainsi, après avoir délivré les enfants d’Israël des plaies dont il avait affligé l’Égypte, il leur ordonna de célébrer annuellement la cérémonie de l’Agneau Pascal, et voulut qu’ils la transmissent aux générations suivantes comme un monument de leur délivrance.
Ainsi, Moyse inspiré de Dieu, porta ce même peuple d’Israël à célébrer à jamais, par un cantique de louanges, le Seigneur qui était devenu leur salut, et les avait miraculeusement délivrés de la servitude d’Égypte, en leur faisant traverser la mer à pied sec. Marie sœur de Moyse, et toutes les femmes s’empressant autour d’elle, et unissant leurs voix au son des instruments, chantèrent dans de vifs sentiments de piété, et avec les accents d’une joie pure, le même cantique en l’honneur du Très-Haut, qui avait signalé sa puissance et sa gloire par un si grand prodige.
Ainsi, lorsque les eaux du Jourdain eurent reculé en présence de l’Arche du Seigneur, et que les Prêtres qui la portaient s’étant arrêtés au milieu de ce fleuve, comme sur une terre solide, tout le peuple l’eut traversé sans danger, Dieu voulut que l’on y posât douze pierres, pour servir à jamais de monument ; et Josué, alors chef de ce peuple, fit exécuter avec le plus grand zèle ce qui avait été commandé de Dieu.
Lorsqu’aussi, d’après l’édit de Cyrus le libérateur, et à l’aide de la grande quantité d’or et d’argent que Darius avait donnée aux Prêtres et Lévites qu’il avait comblés d’honneur, le Temple du très-Haut eut été reconstruit à Jérusalem, on eut l’attention sage et religieuse de consacrer un jour de chaque année à honorer le souvenir de la dédicace de cette Maison du Seigneur.
Touchée de ces grands exemples, et afin de perpétuer le souvenir du rétablissement du Culte Catholique, Sa Majesté Impériale a voulu que le 15e jour du mois d’Août, consacré à honorer l’entrée Triomphante de la Sainte-. Vierge dans le Ciel, fût aussi tellement dédié à S. NAPOLÉON, que la fête établie en son honneur, ne fût qu’une seule et même fête avec l’anniversaire du rétablissement de la Religion Catholique en France, et que dans tout l’Empire on rendit à Dieu chaque année, et en ce jour, de solennelles actions de grâces, en mémoire de ce bienfait signalé.

Pénétrés de ces sentiments de Religion, et de reconnaissance, pour nous conformer aux pieuses intentions de l’Empereur, Nous décrétons et ordonnons d’autorité Apostolique, qu’à l’avenir, et à perpétuité, la fête de S. NAPOLÉON sera unie à celle de l’Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie.
Et comme nous jugeons très convenable que le S. Siège répande avec abondance les faveurs spirituelles qu’il puise dans les trésors de l’Église, lorsqu’il s’agit surtout de rappeler le souvenir d’un bienfait signalé rendu à la Religion par un Prince qui a donné une si grande preuve de sa piété ; afin d’engager d’ailleurs efficacement le peuple fidèle à célébrer avec plus de dévotion des Solennités instituées par un aussi louable motif, d’autorité Apostolique et par la grâce la plus spéciale, Nous donnons à perpétuité, à tous les Prélats de l’Empire Français, le pouvoir de départir chaque année et en ce jour, suivant les formes usitées dans l’Église, la Bénédiction Papale et l’Indulgence plénière après la Messe solennelle et Pontificale. Accordons aussi à perpétuité l’Indulgence plénière à tous les Fidèles qui s’approcheront en ce jour des Sacrements de l’Église, ou qui, étant exempts de péché mortel assisteront dévotement aux supplications qui seront prescrites en actions de grâces, et prieront avec ferveur pour l’Église, pour le Souverain Pontife, pour l’Empereur et pour la paix.
Que tant de solennités, auxquelles se joint la fête de S. NAPOLÉON, soient donc à jamais et pour tous les Français, le monument de la restauration de la Religion Catholique.
Si, au retour de ces fêtes, le citoyen demande au Prêtre, l’enfant aux auteurs de ses jours : Qu’est-ce donc cette solennité ? Que le Prêtre réponde au citoyen que les pères et mères disent à leurs enfants ; Ah ! c’est que la Religion de nos pères avait souffert de grands maux, qu’elle était menacée de fléaux plus grands encore, et que le Seigneur nous en a délivrés.
S’ils leur demandent : Pourquoi donc ces cérémonies ? Qu’ils répondent : C’est que nous avons passé par les eaux de la tribulation et que nous n’avons pas été submergés par la tempête.
S’ils leur demandent : Que signifie donc cet amas de pierres, c’est-à-dire cette réunion de tant de solennités ? Qu’ils leur répondent : C’est que notre âme a traversé le torrent ; et peut-être aurait-elle passé par des eaux d’où elle n’aurait pu se tirer : mais le Seigneur ayant développé la puissance de son bras, et la Mère de Dieu nous ayant été propice, les eaux se sont arrêtées devant l’Arche, c’est-à-dire, devant la stabilité de l’Église de J.C., et nous avons passé avec sécurité.
S’ils leur demandent enfin : Quel est donc celui dont le zèle et la piété ont fait tant et de si grandes choses pour le bien de la Religion ? Qu’ils répondent : Cet homme étonnant fut notre Empereur, qui marchant sur les traces des illustres Princes Cyrus et Darius, a rebâti la Maison de Dieu avec tant de sagesse et de magnificence. Qu’au souvenir de tant de merveilles, pénétrés des mêmes sentiments que le Prêtre Esdras, tous éclatent, comme lui, en de saints transports, et s’écrient : Béni soit le Dieu de nos pères, qui a mis dans le cœur de l’Empereur le dessein et la volonté de relever la gloire de sa Maison : et qu’ainsi animés de la plus vive reconnaissance, ils offrent des sacrifices et adressent au Dieu bon et grand des prières pour la prospérité et la conservation de leur Empereur.
Puissent en outre, et nous le désirons dans le Seigneur, puissent ces solennités qui concourent si merveilleusement entre elles et avec le jour de la naissance de l’Empereur, servir à accroître dans les cœurs de tous les enfants de J.C. la reconnaissance, l’amour et l’esprit de la Religion.
Que tous donc, en se rappelant la douleur dont ils furent pénétrés lors de l’abolition du Culte religieux, et les larmes amères qu’ils répandirent au souvenir de Sion, c’est-à-dire, de l’antique beauté de l’Église, rendent de dignes actions de grâces au Dieu suprême auteur et distributeur de tous les dons, qui par le bienfait du rétablissement du Culte, a changé leur deuil en joie : qu’ils se félicitent de la protection spéciale dont la Sainte-Vierge a honoré la France : enfin que tous fassent refleurir dans le champ du Seigneur l’intégrité de la foi et les vertus chrétiennes ; et qu’ainsi puissent-ils se montrer, puissent-ils être dignes de la grande miséricorde que le Seigneur a exercée à leur égard.

D) Le saint adéquat

25Reste à trouver le saint adéquat. Il convient en effet, pour en réciter convenablement l’office, d’en connaître la classe dans le commun des saints – c’est-à-dire dans le missel et le bréviaire, l’ensemble des textes destinés à célébrer leur fête : s’agit-il d’un martyr ? d’un confesseur ? et de trouver une légende qui lui corresponde. Certains évêques en effet ne dissimulent pas à Portalis les vaines démarches qu’ils ont entreprises pour trouver trace du saint en question. L’évêque de Nancy, Mgr d’Osmond envisage de consacrer toutes les associations paroissiales du diocèse sous le vocable de ce saint mais malheureusement ne trouve aucun matériau pour nourrir ses prédications. Le 25 avril 1806, il écrit à Portalis : « Nous nous occupons, à rechercher la légende de ce saint, ou du moins un abrégé de sa vie. Vous le dirai-je ? À la honte de toutes les bibliothèques de la ville de Nancy, vainement nous avons feuilleté tous les volumes qui pouvaient nous en instruire. Les Bollandistes sont muets sur son compte, et le martyrologe romain lui-même n’en fait pas mention. » L’évêque de Tournai, Mgr François Hirn, plus inspiré que ses confrères, a déniché un « saint Napoléon, évêque », honoré en tant que confesseur pontife, avant que le cardinal légat jette son dévolu sur un autre : le martyrologe de Benoît XIV contient au 2 mai la mention des saints martyrs Saturnin, Néopole (Neopolus), Germain et Célestin [17]. Le cardinal Caprara a en effet fait faire des recherches à la bibliothèque ambrosienne de Milan, ville dont il est l’archevêque. Comme il l’écrit au cardinal secrétaire d’État, Mgr Casoni, il est persuadé que saint Neapolo, présent dans plusieurs martyrologes, a formé le nom de Neapolione, Napolione ou Napulione. Le prénom de l’empereur vient donc de ce Neopolus, ou Neopolis, Néopole, Népole « qui a été appelé Napoleo d’après la prononciation de son nom qui avait cours en Italie au Moyen Âge, puis par l’usage, et qui est communément appelé Napoleone en italien ».

26Dans une instruction publiée le 21 mai 1806, le cardinal légat fournit la démarche à suivre en tout. Il est enjoint aux évêques d’annoncer par mandement ou autrement, le premier dimanche d’août de chaque année, la fête de saint Napoléon, martyr, « laquelle est aussi la fête du rétablissement de la religion catholique », comme devant être célébrée concurremment avec la solennité de l’Assomption. S’y ajoutent la procession et l’action de grâces. La seconde partie de l’instruction contient la légende de saint Napoléon, destinée à être lue, en neuvième leçon, aux matines de l’Assomption – puisqu’il y a occurrence, l’office n’est en réalité qu’une commémoraison aux premières vêpres, à mâtines, à laudes, à la messe et aux secondes vêpres [18]. La leçon historique de l’office, donnée par le cardinal légat et diffusée par les évêques, précise avec soin l’étymologie du prénom du souverain, comme pour devancer les éventuelles contestations. L’office du saint martyr est complété par des oraisons pour un martyr non-pontife de la messe Laetabitur, au missel romain. À la solennité est attachée une bénédiction papale qui est donnée après la messe pontificale, et une indulgence plénière pour les fidèles. L’indult précise que, après la messe, l’évêque « qui préside doit prendre place sur le siège épiscopal, avec la mitre et revêtu, selon l’usage, de tous les autres ornements sacrés, entouré des ministres », et que la bénédiction est faite « par un diacre ou par un autre ministre revêtu du surplis, d’abord lu[e] à voix haute en latin, et ensuite repris[e] en langue vulgaire, pour la compréhension du peuple ». On notera l’importance donnée à l’évêque, pivot du système concordataire et relais de l’autorité politique, ici agent d’un rite national.

27Dans toutes les paroisses, le soir du même jour, le prêtre prononce un discours suivi d’une procession avec Te Deum – confirmant habilement la confusion entre tradition mariale et fête civique, providence divine et gloire impériale [19].

E) De Profundis : le tombeau de l’empereur

28Par ailleurs, le décret du 20 février 1806 précise qu’un office solennel sera célébré le 15 août en l’église Sainte-Geneviève, l’ancien Panthéon rendu au culte catholique où Portalis prévoit d’établir un chapitre de Saint-Napoléon [20]. Sa première idée consistait à instaurer la commémoration perpétuelle des victoires nationales. L’épée de l’empereur, celle d’Austerlitz, serait vénérée comme une relique et des « braves », choisis par Napoléon, y seraient inhumés. Un chapitre impérial de douze membres, présidé par le grand aumônier, ainsi qu’un chapitre honoraire composé d’ecclésiastiques décorés de la Légion d’honneur, « y ferait, à perpétuité, un service funéraire à leur intention ». Institution syncrétique où le cardinal Fesch dirigerait la prière des maréchaux, des sénateurs et même d’un représentant du Grand Orient ainsi promus chanoines. Le décret introduit plus classiquement une cohérence confessionnelle. L’église, qui « conservera la destination qui lui avait été donnée par l’Assemblée constituante », « sera consacrée à la sépulture des grands dignitaires, des grands officiers de l’empire et de la couronne, des sénateurs, des grands officiers de la Légion d’honneur, et, en vertu de nos décrets spéciaux, des citoyens qui, dans la carrière des armes ou dans celle de l’administration et des lettres, auront rendu d’éminents services à la patrie » (article 8). Leurs corps, embaumés, seront inhumés dans l’église devenue en quelque sorte nécropole de l’héroïsme national. La desserte du sanctuaire sera assurée,- plus classiquement par le chapitre métropolitain de Notre-Dame, augmenté de six membres, et par un archiprêtre (article 10), avec pour mission de célébrer quelques offices solennels : le 3 janvier, fête de sainte Geneviève ; le 15 août, fête de saint Napoléon et anniversaire de la conclusion du concordat ; le jour des Morts et le premier dimanche de décembre, anniversaire du couronnement et de la bataille d’Austerlitz, et toutes les fois qu’il y aura des inhumations (article 11).

29Le même décret stipule que la basilique royale de Saint-Denis, elle aussi rendue au culte catholique, est destinée à devenir la nécropole impériale [21]. Inscrivant les Napoléonides – la quatrième dynastie – dans la continuité de l’histoire de France, la basilique, ancienne nécropole royale et monastère bénédictin, sera dotée de trois chapelles « dans l’emplacement qu’occupaient les tombeaux des rois de la première, de la deuxième et de la troisième race » (article 4) et d’une quatrième destinée à la sépulture de l’empereur et de ses descendants. Elle sera dotée d’un « établissement unique dans la chrétienté », à savoir un chapitre de dix évêques et un bas-chœur de dix-huit prêtres chargés de célébrer les offices journaliers et ordinaires.

30Le régime porté sur les fonts baptismaux moins de deux ans plus tôt cherche à se donner une liturgie, c’est-à-dire une mémoire et une transcendance, à la fois chrétienne et nationale, imprégnée d’un imaginaire préromantique, sensible avec les réminiscences médiévales des ordres de moines-soldats et l’idéal d’une royauté chrétienne. Seulement, le projet du chapitre de Sainte-Geneviève ne sera pas mené à son terme, et le Panthéon ne servira pas de tombeau à l’empereur – qui tiendra à ce que le cardinal Caprara y soit inhumé [22]. Quant au chapitre de Saint-Denis, il verra le jour en 1816, avec la Restauration, au service d’une autre mémoire.

II. Saint Napoléon : l’Église rendue à la raison

31L’invention de saint Napoléon en 1806 relève de la raison d’État : il ne s’agit donc pas d’un procès de canonisation au sens strict du terme mais d’un acte hautement politique, sanctionné explicitement après coup par un dignitaire de l’Église catholique puis implicitement, après mûr examen, par la Curie. L’Église catholique romaine consent à prier pour un saint qui porte le nom de l’empereur, qui plus est le jour de son anniversaire [23] : l’inscription de cette fête dans le calendrier religieux et la création ex nihilo de l’office liturgique idoine est un élément du dispositif concordataire, mais aussi une marque du caractère sacral du nouveau régime fondé le 2 décembre 1804.

32Cet interventionnisme relève d’un joséphisme tardif et attiédi. Tardif puisqu’il est l’une des ultimes manifestations de l’immixtion de la puissance séculière dans la prière et le sanctoral – bientôt réservés aux évêques puis à la seule papauté. Attiédi puisque, pour procéder à la réorganisation de l’Église de France, Napoléon a eu besoin de la papauté et qu’il requiert l’accord des autorités romaines compétentes, représentées par le cardinal Caprara, légat a latere[24] depuis août 1801 jusqu’à 1808. L’institution de la fête de saint Napoléon relève d’un subtil compromis entre État et Église, puisqu’elle consiste d’une part en un office liturgique célébré par le clergé et les fidèles, d’autre part en une fête publique destinée à associer l’ensemble des citoyens. Si les deux corps du peuple, l’ecclésial et le civique, ne se confondent pas – la dévotion à saint Napoléon est offerte aux cultes minoritaires, protestant et israélite, voire aux francs-maçons –, ils sont ordonnés par l’État dans une perspective commune. Si l’État domine l’Église, en particulier avec les articles organiques ajoutés unilatéralement au concordat, il en reconnaît l’utilité sociale et politique en même temps qu’il en admet le rôle et la nature spécifiques. Là se mesure l’éloignement de toute mystique : la dévotion portée à un saint qui porte le nom du souverain pourrait apparaître comme un vestige de l’État chrétien dans lequel le prince n’était que le plus éminent des serviteurs du Christ, elle se réduit en fait à une dimension essentiellement pratique, pour ne pas dire bureaucratique.

33La création de ce saint qui répond au prénom de l’empereur régnant et dont le souvenir ne dépassera pas 1814 illustre aussi un basculement pastoral d’importance : après cette date, l’Église s’attache à présenter à la ferveur des fidèles moins le modèle d’un souverain vertueux que celui d’un fils ou d’une fille du peuple [25] – voir les exemples de Germaine Cousin ou Benoît Labre [26]. Ce basculement est induit par la fin de l’union mystique du trône et de l’autel : si l’État est désormais, et de plus en plus, incompétent en matière spirituelle puisqu’il en a renié la matrice et abandonné la mission, alors s’efface l’image du roi vicaire temporel du Christ et se dessine en conséquence une valorisation de la figure du souverain pontife et, plus relativement, de celle du peuple chrétien [27]. Comme la structure étatique qui s’érige face à elle, l’Église sollicite elle aussi à son profit l’appui du sensus populum : une vox populi encadrée par la monarchie pontificale gardienne plus sourcilleuse que jamais des règles et des modèles de dévotion.

34L’initiative du cardinal Caprara, que Rome ne censure pas publiquement, fait l’objet d’une réflexion au sein des organes de la Curie. Une telle réflexion, à la fois religieuse et politique, apparaît décisive dans l’évolution ultérieure des rapports entre Église et État.

A) Saint Neopolis a-t-il existé ?

35La question fait l’objet d’un examen très attentif des autorités romaines qui cherchent à acquérir une certitude, presque positiviste, concernant ce saint, qu’elles pourraient concéder ou au contraire opposer au cardinal Caprara. Le martyrologe romain, dont la première édition date de 1584, contient au 2 mai le nom des saints Saturnini, Neopoli, Germani et Caelestini, repris des martyrologes hiéronymien (IVe siècle : in Alexandria Saturnini cum Neopoli socio suo (« à Alexandrie, martyre de Saturninus avec son compagnon Néopolis »), d’Usuard (IXe siècle) et de Notker (IXe siècle). Le martyrologe d’Adon (IXe siècle) – réédité en 1745 par Domenico Georgi, chapelain de Benoît XIV – parle d’un Neopolis, quand celui de Bède (VIIIe siècle) et celui d’Ottoboni (Xe siècle) mentionnent un Neapolis ou Neapolim. De plus a été ajouté postérieurement au martyrologe d’Adon, au 21 octobre, un Neapolus[28].

Saint Napoléon Martyr

Saint Napoléon Martyr

Saint Napoléon Martyr

Gravure de Maurizio de Magistris (1759-1832) d’après un dessin de Giuseppe Gherardi, 1806, Civica Raccolta delle Stampe A. Bertarelli, Milan : « La symbolique de ce Divus Napoleon Martyr est encore conventionnelle : vêtu d’une tunique à l’ancienne (l’attache de l’épaule droite) qui connote l’époque à laquelle ce Napoléon a vécu, le saint d’ailleurs fort barbu est déjà âgé et les mains levées dans un geste d’imploration permettent de voir la chaîne fixée au bras gauche. Le décor est carcéral et le motif floral du coin inférieur gauche renvoie à la palme des martyrs. Finalement, il s’agit bien du Neopolus d’origine, celui d’Alexandrie, et la légende exploite habilement l’homonymie. » (Claude van Hoorebeeck)
© Photo de l’auteur.

36Cependant, un certain nombre de lacunes et de contradictions amène à douter de l’existence même de ce Neopolis. Les martyrologes manuscrits les plus anciens, comme le martyrologe syriaque, ne mentionnent que Saturnin. Si l’on lit attentivement ce qu’écrivent les Bollandistes à la fin du XVIIe siècle – Godfried Henschen (ou Godefridus Henschenius) signe la notice du 2 mai dans les Acta Sanctorum[29], la célébration de ce martyr manque d’assurance. Dans certains martyrologes manuscrits, seul le nom de Saturnin est mentionné – ce que fait Philippe Labbe lorsqu’il traduit le martyrologe romain en 1643 ; dans d’autres, son compagnon est appelé parfois Eopolis, Epolitis, voire Hippolytus. De plus, dans les documents les plus anciens, le lieu de leur martyre, quand il est précisé, est toujours Alexandrie. C’est Galesini, auteur d’un martyrologe romain en 1578 qui ne reçut pas d’approbation, qui leur affecte une nouvelle sépulture : Romae sanctorum Martyrum Saturnini, Neopoli, Germani et Caelestini, qui pro Christo Domino in carcerem coniecti, ibi obdormierunt (« À Rome, martyre des saints martyrs Saturnin, Néopolus, Germain et Célestin, qui, jetés en prison pour le Christ Seigneur, s’y endormirent »). Baronius, lorsqu’il rédige le martyrologe romain, suit Galesini sur ce point et célèbre les quatre martyrs en ces termes : Romae Sanctorum Martyrum Saturnini, Neopoli, Germani et Caelestini, qui multa passi, in carcerem demum coniecti, ibi in Domino quieuerunt (« à Rome, martyre des saints martyrs Saturnin, Néopolus, Germain et Célestin, qui, après de nombreuses souffrances, ayant alors été jetés en prison, s’y endormirent dans le Seigneur »). Bucelin, dans le Sacrarium benedictinum, affirme que « les corps des saints Saturnin, Néopolus et Célestin reposent au monastère d’Andechs » en Bavière. Le bollandiste estime que ces quatre martyrs ont pu être réunis voire « adaptés à des corps découverts sans nom ». Pour justifier cette incertitude, il cite une lettre rapportée par Eusèbe dans son Histoire ecclésiastique (livre 8, chapitre 10) qui détaille les épreuves des martyrs d’Alexandrie lors de la dernière persécution de Dioclétien et de Maximien : « Certains, après les tortures, furent étendus dans les entraves, les pieds écartés jusqu’au quatrième trou, de sorte qu’ils étaient forcés de rester étendus sur le dos, les blessures récentes reçues sur tout le corps leur interdisant de se tenir debout. D’autres gisaient sur le sol où on les avait jetés, à cause de l’incroyable sauvagerie des tortures, et ils présentaient à ceux qui les regardaient un spectacle bien plus insoutenable que celui de leur supplice, leur corps montrant les marques multiples et variées de tortures raffinées. Dans ces conditions, les uns mouraient dans les tortures, et leur courage faisait honte à l’adversaire ; d’autres, enfermés à demi morts dans la prison, moururent au bout de quelques jours, épuisés par la douleur. » Le bollandiste conclut que parmi ces martyrs « on peut croire que furent Saturnin et Néopolus, plus illustres, assurément, par leur extraction ou par leur fonction, que tous les autres ».

Saint Napoléon, martyr

Saint Napoléon, martyr

Saint Napoléon, martyr

Gravure d’Antonio Crespi d’après un dessin de Giuseppe Berrettini, 1808, Civica Raccolta delle Stampe A. Bertarelli, Milan. Représentation du saint, sous des traits plus jeunes, en ascension, porté par des anges et angelots. Ascension qui est aussi transition vers le Paradis, avec les attributs successifs du martyr : chaînes, palme et enfin couronne de lauriers.
© Photo de l’auteur.

Saint Napoléon martyr

Saint Napoléon martyr

Saint Napoléon martyr

Gravure de Louis-François Charon (1783-après 1831), sur un dessin de Louis Garbo (1761-1818), vers 1806, Civica Raccolta delle Stampe A. Bertarelli, Milan. Là aussi, saint Napoléon est représenté sous les traits d’un homme d’âge mûr. « Toutefois, dans ce cas, l’auréole a remplacé la palme et la chaîne du bras gauche est détachée, alors que celle du pied est toujours en place. La présence d’un personnage accroupi – endormi – au-dessus de l’escalier du fond et le rais de lumière provenant de la droite font plutôt penser à une récupération de la libération de saint Pierre de sa prison par un ange. » (Claude van Hoorebeck).
© Photo de l’auteur.

37C’est à partir de cet état des connaissances, fixé plus d’un siècle plus tôt par des savants parfois suspects à Rome pour leur esprit critique, que les membres du Sacré-Collège évaluent le travail de leur confrère Caprara. Très tôt, les experts attachés à la norme romaine et à la véracité historique lui accordent peu de crédit, comme dom Guéranger qui s’amuse à remarquer que l’auteur de la légende s’est « donné beaucoup de peine pour la conduire à une si raisonnable longueur »... Les hagiographes contemporains se montrent plus critiques encore à l’égard de saint Néopolus. Le père Delehaye estime que saint Saturnin, attesté dans le martyrologe syriaque et dans la première recension du hiéronymien, est seul garanti comme martyr alexandrin, et que l’ajout de ce Neopolus est « au mieux » une fausse lecture, possiblement une erreur de copiste issue de la confusion avec le nom de la ville de Naples, voire celui d’Alexandrie – dont le nom primitif était Nea Polis [30].

B) La réunion d’une congrégation particulière

38La Curie, à qui l’ensemble des pièces a été transmis, ne reste pas inactive devant les initiatives du cardinal Caprara. Une congrégation particulière est réunie pour examiner la question le 19 avril, et le 17 mai, il a été enjoint au cardinal légat d’émettre une « représentation » à l’empereur. De plus, deux membres du Sacré-Collège, les cardinaux Antonelli et di Pietro, qui moins de deux ans plus tôt étaient assis côte à côte, en face du pape Pie VII, dans la voiture qui les menait à Notre-Dame pour le sacre [31], s’attachent à jauger les démarches de leur collègue.

Le pape Pie VII et deux de ses collaborateurs les plus proches, les cardinaux Conslavi et Pacca

Le pape Pie VII et deux de ses collaborateurs les plus proches, les cardinaux Conslavi et Pacca

Le pape Pie VII et deux de ses collaborateurs les plus proches, les cardinaux Conslavi et Pacca

Dans Artaud de Montor, Histoire de Pie VII, 1837 (Bibliothèque municipale de Besançon).
© Photo de l’auteur.

39À la demande du souverain pontife, qui a exigé sur le sujet le plus grand secret de la part du Saint-Office, le cardinal Consalvi secrétaire d’État pour peu de temps encore, réunit donc une congrégation particulière [32] comprenant les membres de la Congrégation des Rites : à savoir les cardinaux della Somaglia, préfet de ladite congrégation – qui en outre avait été chargé de suivre les négociations du concordat, Crivelli, Saluzzo, Litta alors préfet de la congrégation de l’Index, et Galleffi, assistés par le bien nommé Mgr Napolioni, promoteur de la foi à la Congrégation des Rites. Le 3 mai 1806, la congrégation rend son avis : les cardinaux réprouvent et considèrent comme nulle l’opération de leur collègue légat. S’ils s’y opposent, ce n’est pas en raison du saint choisi par Caprara.

40Ce qui est répréhensible dans la démarche du cardinal Caprara, c’est que, selon ses collègues du Sacré-Collège, il n’avait pas la faculté d’instituer une nouvelle fête et de l’unir avec celle de l’Assomption. Néanmoins s’exprime un clivage entre les plus intransigeants, Saluzzo, Litta et Gallezzi, qui sont d’avis que le pape réprouve et casse l’opération du légat par un acte public, et Sommaglia et Crivelli, partisans d’une solution plus diplomatique, qui consisterait à dénoncer la fête de saint Napoléon par une lettre adressée aux évêques.

C) La réponse doctrinale : le rapport di Pietro

41Leur réflexion se nourrit largement d’un rapport rédigé au préalable par le cardinal di Pietro. Michele di Pietro a suivi au sein de la Curie toutes les questions politico-religieuses du dernier quart du XVIIIe siècle : il a été choisi par le pape Pie VI pour être le secrétaire de la congrégation chargée d’examiner et de condamner les actes du concile de Pistoie (bulle Auctorem fidei du 28 août 1794 [33] – qui condamne le richérisme, le régalisme et certaines innovations liturgiques), et en tant que secrétaire de la congrégation pour les affaires de France depuis 1790, il a suivi au plus près la Constitution civile du clergé. Créé cardinal in pectore en 1801, il est nommé pro-préfet de la congrégation de la propagande de la foi le 24 mai 1805.

Michele di Pietro (1747-1821)

Michele di Pietro (1747-1821)

Michele di Pietro (1747-1821)

Secrétaire de la congrégation des affaires de France en 1790, cardinal en 1801, puis pro-préfet de la congrégation pour la propagation de la foi. Il a activement collaboré à la rédaction de la bulle Auctorem fidei (1794) et, plus tard, à celle de la bulle d’excommunication de Napoléon en 1809. Card. fol. 6(4). Cons. fa0023r
© Photo de l’auteur. Biblioteca Apostolica

42Le cardinal di Pietro commence son mémoire [34] en dénonçant l’« attentat de la puissance laïque » que constitue le fait d’ordonner une fête, qui plus est celle d’un saint qui en réalité n’a jamais été célébrée. Cette intervention de l’État constitue un acte « sans comparaison et plus détestable » : ce n’est pas à l’État d’inviter l’Église à la piété et à la religion – à l’appui de sa démonstration, il cite les textes de Benoît XIV, De servorum Dei beatificatione et de beatorum canonizatione (1734-1738), et d’Urbain VIII, sans nul doute Pontificis optimi maximi decreta seruanda in canonizatione et beatificatione sanctorum accedunt instructiones et declarationes (1642). Il reproche à Caprara d’avoir entériné un tel décret, d’avoir ainsi légitimé et régularisé la décision impériale. Le cardinal légat devait en référer au pape, or il n’a pas même consulté le Saint-Siège alors que cinq mois et demi se sont écoulés entre la publication du décret et la première célébration de la fête. D’autre part, selon lui, le légat a outrepassé ses droits en donnant aux évêques la faculté de donner la bénédiction papale et l’indulgence plénière sans limitation de temps. Il peut noter, non sans humour, que le principe d’économie invoqué par Portalis pour ne pas multiplier le nombre des jours chômés ne concerne pas l’Église sommée de distribuer abondamment les bienfaits spirituels !

43Ce qui suscite le plus de réserves chez le cardinal di Pietro c’est que la fête de ce saint Napoléon se célèbre le même jour que celle de l’Assomption, sous le rite double de première classe [35]. Pour lui, la dévotion à un saint douteux, honoré le même jour que la mère de Dieu, risque d’affaiblir la dévotion mariale et d’encourager la « superstition » : la procession, le discours, la célébration du Te Deum, la bénédiction papale, l’indulgence plénière… amènent à détourner la dévotion du peuple de la fête de Marie à celle du saint qui porte le prénom de l’empereur. Toute la solennité du jour est centrée sur ce saint et non plus sur la Vierge. Plus grave encore est la confusion entre le jour voué au saint (nato al cielo) et la naissance de l’empereur (nato alla terra) : c’est moins la Saint-Napoléon que le jour natal de l’Empereur que le cardinal Caprara consacre en voyant une « espèce de miracle » dans une telle identité de date. La translation de saint Napoléon au 15 août, à laquelle le légat n’avait en aucun cas le pouvoir de procéder, est « irrégulière » et « absurde ». Ce type de manipulation pourrait faire le jeu de certains « évêques amateurs de nouveauté » – allusion aux initiatives fébronianistes des pères du synode de Pistoie. C’est pourquoi, contrairement à ses collègues, le cardinal di Pietro se montre très hostile à l’égard du « saint onomastique » de l’empereur.

44Si après une longue discussion – fondée sur la compilation faite par les bollandistes, il admet l’existence d’un saint Neopolis au 2 mai ou au 21 octobre, il refuse de conclure sur son identité avec Napoléon dont il rappelle d’ailleurs l’inscription récente, « depuis trois ou quatre ans », dans l’almanach national. L’assimilation entre Neopolis et Napoléon doit relever d’une conjecture fiable, fondée sur des arguments qui peuvent produire « une certitude morale », en citant une fois de plus les règles édictées par Benoît XIV. Une telle incertitude risque d’exposer l’Église aux sarcasmes et à la dérision, d’autant que la France compte de nombreux « incrédules » – il cite le succès du « livre pernicieux », L’origine de tous les cultes de Dupuis [36]. S’il y a bien une similitude phonétique, si les modifications patronymiques n’étaient pas rares dans les siècles passés [37], reste que rien ne prouve que Napoleone vienne de Neopolis. S’il y a bien, comme le dit le cardinal Caprara, une chapelle érigée à saint Napoléon, cela ne veut pas pour autant dire qu’il s’agisse d’un saint, qui plus un saint dont le culte a été reconnu par l’Église – l’inscription au martyrologe romain, au contraire de celle dans le bréviaire romain, ne constitue pas authentification du culte rendu à tel saint. En conclusion, pour le cardinal di Pietro, un saint avec le nom de Napoléon ne se trouve dans aucun martyrologe, et son identité avec saint Neopolis n’est en aucune manière prouvée.

45Le cardinal di Pietro conclut que la création de la Saint-Napoléon constitue une grande irrégularité que le pape ne peut feindre d’ignorer : il s’agit d’une offense à la dignité de la Vierge Marie et un affront à l’égard de l’Église car elle « perturbe toutes les lois de la sainte liturgie et les lois et droits suprêmes du Saint-Siège dans un objet purement spirituel ». D’autre part, cette pratique introduit un principe, selon lequel c’est au prince qu’il appartient de régler les choses du culte divin. Il suggère donc au souverain pontife de désapprouver l’opération.

D) La réponse du cardinal Caprara

46L’avis de la congrégation particulière réunie par Pie VII, comme le mémoire du cardinal di Pietro, n’auront pas de suite sans doute en raison de la divergence, moins sur le fond que sur la réponse à apporter à l’initiative de leur collègue, qui sépare les cardinaux. Mais ils sont toutefois communiqués, « modérés à certains endroits par précaution », à Paris.

47Aussitôt une dissertation vraisemblablement rédigée dans le bureau du cardinal Caprara et intitulée Réflexions sur les irréflexions de l’auteur de feuilles opposées à l’établissement de la fête de S. Napoléon[38], prend à partie les considérations énoncées par le cardinal di Pietro. La conduite du cardinal légat, dont on rappelle sa qualité a latere, ne mérite pas d’être attaquée puisqu’elle est indissociable de celle du gouvernement français, validée par Rome. En effet, l’empereur n’a pas institué une nouvelle fête de précepte : mieux, il reconnaît le pouvoir de l’Église en ce qui concerne les fêtes, comme le démontrent les leçons XI et XII du nouveau catéchisme qu’il a édité. Dans sa volonté de confirmer la compétence exclusive de l’Église dans l’institution de fêtes nouvelles mais aussi dans celle de prières publiques, l’auteur des feuilles manuscrites cite même à l’appui de sa démonstration la constitution Cum Nuper d’Innocent X [39] et l’encyclique Quemadmodum Preces de Benoît XIV.

48

« Aucune puissance séculière n’a le droit de décréter directement des prières publiques (encore moins d’en prescrire les formules), soit pour rendre grâce à Dieu, soit pour implorer son secours... Il est sans doute très convenable, de prier pour les chefs des États et à leur intention : aussi les évêques doivent-ils se montrer empressés à seconder tout juste désir qui leur est exprimé à ce sujet. Mais ils doivent en même temps se souvenir qu’eux seuls [les évêques] ont été expressément établis pour régler les choses qui ont rapport au service divin, et que nul sans eux ne le peut. »
Quemadmodum Preces, 1743, cité dans L’Ami de la religion, vol. 141, 1849, p. 28

49Une fois ces prolégomènes posés, la dissertation prend un tour plus subtil. Pour son auteur, le prince peut concourir à l’institution de nouvelles fêtes de précepte et beaucoup plus encore à leur célébration publique puisque celle-ci regarde l’exercice public du culte. Ce relent de joséphisme rejoint une résurgence fébronianiste. Il cite différents décrets de la Congrégation des Rites qui stipulent que la fête d’un saint nécessite le concours du peuple, ce qu’il entend par « consentement du corps épiscopal », nom et voix du peuple. Ainsi est réintroduit le concours de l’autorité civile tout en laissant l’établissement des fêtes à l’autorité de l’Église. Pour lui, l’existence de saint Napoléon est certaine : il s’agit bien de saint Neapolo, martyr, au 2 mai, comme le disent les bollandistes. D’autre part, sa célébration au 15 août ne parasite pas la dévotion mariale. La solennité de l’Assomption reste dominante, puisque saint Napoléon ne fait l’objet que d’une commémoraison, ce qui a pour bénéfice de rendre les deux fêtes plus solennelles. La procession relève de la coutume en France, il ne s’agit donc pas d’une innovation induite par la création de la fête de saint Napoléon.

E) Une censure qui n’est pas publiée

Leonardo Antonelli (1730-1811)

Leonardo Antonelli (1730-1811)

Leonardo Antonelli (1730-1811)

Créé cardinal en 1775, secrétaire de la Congrégation de l’Inquisition depuis le 8 novembre 1800, et grand pénitentier depuis le 22 décembre 1801, il avait été l’un des négociateurs du Concordat. Card. fol.6(3). Cons. fa0134r
© Biblioteca Apostolica Vaticana – photo de l’auteur

50Si la censure préconisée par la congrégation particulière et le cardinal di Pietro n’a pas été publiée, c’est que le pape s’est rangé à l’opinion exprimée par le cardinal Antonelli le 17 août 1806.

51Pour celui qui fut l’un des négociateurs du concordat, le souverain pontife ne peut adhérer aux décisions de la congrégation particulière : il y a plus de sept mois que le décret du cardinal légat est paru et depuis, les évêques français ont publié des mandements qui l’ont rendu effectif. Puisque le légat a en outre déclaré que le décret avait été approuvé avec « l’oracle du Vatican », il serait dangereux de le dénoncer : une telle posture susciterait l’indignation de l’empereur et la contradiction avec tous les évêques de France – il reprend mutatis mutandis la position pragmatique qu’il avait soutenue en 1791 à propos du serment exigé par la Constitution civile du clergé. En même temps, il estime que le cardinal Caprara défend une « mauvaise cause » avec des arguments trop faibles et a fait preuve d’« insubordination » à l’égard du secrétaire d’État dont on sait que Napoléon a obtenu la démission le 17 juin. Soucieux d’éteindre toute polémique, le cardinal Antonelli conseille de faire part au cardinal légat de l’insatisfaction la Curie et de lui enjoindre de ne plus abuser des facultés qui lui ont été accordées au titre de sa légation.

F) Loué ou non soit Napoléon

52Si l’on ne s’en tient qu’aux sources officielles, dominent les flatteries qu’évêques [40], pasteurs [41] et fonctionnaires adressent au « nouveau Cyrus ».

53Les dispositions du cardinal légat sont déclinées par les évêques par un mandement, comme celui édité par Mgr de Belloy, cardinal « archevêque de Paris, sénateur et grand officier décoré du grand cordon de la Légion d’honneur » pour son diocèse, en date du 29 juillet 1806. Tout à se réjouir du triomphe de la religion sur les « ennemis de l’État », le prélat justifie le choix de la date en invoquant la continuité de l’État – en référence à l’édit de Louis XIII : « Quel jour convenait mieux pour célébrer le rétablissement de la Foi catholique en France, que le jour où l’Église universelle honore le triomphe de Marie, cette Reine du Ciel, à qui la piété de nos Rois a spécialement consacré la France. » Le cardinal Fesch, archevêque de Lyon et oncle de l’empereur, est plus dithyrambique encore dans son mandement du 3 juillet 1806 : « Marie ne nous a pas délaissés dans nos angoisses ; sous ses auspices et le jour de son triomphe, le ciel nous a accordé Napoléon qui a paru au milieu de nous comme l’ange exterminateur de l’anarchie et de l’impiété, le libérateur et le sauveur de la patrie. » Il prescrit au clergé de prononcer un discours après les vêpres « contenant l’analyse historique des événements que nous célébrons », ainsi qu’un autre, le premier dimanche de décembre, « sur les devoirs du Chrétien envers son souverain et sa patrie ». À Besançon, Mgr Le Coz, ancien évêque constitutionnel, se montre le plus prolixe : il consacre une instruction pastorale sur les prières à réciter au 15 août (4 août 1803), ordonne des prières avant le sacre (2 juin 1804) et relaie la création de la fête de saint Napoléon par un mandement de 19 pages et en reproduisant le rapport officiel de Portalis et le décret du cardinal légat (28 mars 1806), avant d’adresser à son clergé un commentaire de la légende de « généreux athlète » qu’est ce saint apparemment peu connu. L’eucologe édité en 1811 par l’évêque de Soissons, Mgr Leblanc de Beaulieu, reproduit scrupuleusement l’oraison aux premières vêpres, la messe Laetabitur avec oraison, secrète et postcommunion, des oraisons d’actions de grâce en faveur de l’Église gallicane, le texte de la bénédiction papale, puis au salut du Saint-Sacrement, le Te Deum et le verset Salvum fac imperatorem nostrum Napoleonem avec une dernière oraison. Par un mandement daté du 30 mars 1806, Mgr Maggioli, évêque de Savone, ordonne à son clergé de célébrer saint Napoléon par un Te Deum.

54Toutefois, quelques indices donnent à penser qu’une sourde pesanteur s’est opposée à la consécration définitive du nouveau saint offert à la vénération des fidèles, comme l’atteste la surveillance qu’exerce la police impériale à l’encontre des évêques. En effet, en attendant la liturgie promise par les articles organiques, les missels et bréviaires diocésains ne sont pas réédités par le nouvel épiscopat concordataire : dès lors, la solennité de saint Napoléon n’est mentionnée que dans les ordos distribués annuellement au clergé, dans les suppléments aux livres liturgiques et, quand il y en a, dans les manuels destinés aux fidèles. De même, il semble que peu d’églises aient été nommées sous le vocable de saint Napoléon – d’abord pour une raison matérielle, la période de (re)construction d’édifices cultuels est postérieure à 1815. Seuls quelques exemples peuvent être cités, qui s’expliquent ou par la prégnance d’un sentiment bonapartiste relayé par quelque notable ou par la présence de la famille de l’empereur et de ses commensaux.

55La construction d’une église placée sous le vocable de saint Napoléon est prévue dans le prolongement du palais des Tuileries en 1811 [42]. Le nom de saint Napoléon figure aussi dans l’église de Saint-Leu-Taverny (actuellement Val-d’Oise) commune dans laquelle Louis Bonaparte avait une résidence et où il est inhumé. À Mantoue, l’église Saint-Maurice devient l’église Saint-Napoléon. À Plaisance, dans le duché de Parme, l’église Saint-François et celle de Saint-Martin, à Lucques, sont débaptisées en San Napoleone. On trouve même une église qui lui est consacrée en Louisiane par des Français expatriés ! La demande peut provenir des fidèles qui, par pur opportunisme ou par loyauté hautement affirmée, réclament ce patronage comme à Quimperlé (Finistère) avec l’ancienne église abbatiale Sainte-Croix, ou à Mâcon, avec la cathédrale Saint-Vincent pour la reconstruction de laquelle l’empereur avait promis la somme de 250 000 francs. L’église de la paroisse de la Roche-Chalais (Dordogne), bâtie de 1806 à 1810, est placée sous ce vocable avant de reprendre, très logiquement, celui de Notre-Dame de l’Assomption. Dans la même veine, en juillet 1808 le conseil municipal demande le changement de nom du village en proposant… La Roche-Napoléon. C’est un intéressement bien compris qui explique ce choix. Ainsi, confronté au manque de ressources qui menace l’existence même de sa paroisse, le curé du petit village prussien de Neersen, près de Düsseldorf, choisit saint Napoléon comme saint patron et obtient du préfet les subsides nécessaires [43] ! À Piombino, résidence de la princesse Elisa dont elle a fait restaurer l’église paroissiale, « une fort médiocre peinture représente saint Napoléon qui dispense des couronnes, et sainte Élise et le pape saint Félix à genoux devant lui, allusion à la princesse et au prince Félix [Bacciochi] son époux » [44]. À Bernay (Eure), comme sous le Second Empire à Argent-sur-Sauldre (Cher), la statue d’un autre saint servira à exprimer cette dévotion, au prix d’une reconversion parfois provisoire.

Statue de saint Napoléon/saint Louis

Statue de saint Napoléon/saint Louis

Statue de saint Napoléon/saint Louis

Église de Bernay (Eure). Cette statue de saint Napoléon avait été faite à partir des traits de l’empereur, mais en 1815 elle fut opportunément vouée à saint Louis. Le sculpteur, chargé de modifier le décor en conséquence, transforma les abeilles de son manteau en fleurs de lys. Las, il en a oublié une...
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Statue de saint Napoléon

Statue de saint Napoléon

Statue de saint Napoléon

Plâtre polychrome, dans l’église de Saint-André d’Argent-sur-Sauldre (Cher) de la seconde moitié du XIXe siècle, sans doute de l’époque où Napoléon III fit creuser le canal de la Sauldre. Il s’agit en réalité d’une statue de saint Georges, martyrisé sur une roue hérissée de lames.
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56Une illustration supplémentaire du peu de crédit donné à ce saint par l’Église se lit paradoxalement avec son succès dans la franc-maçonnerie : à la conjonction de l’affirmation d’une loyauté personnelle, particulièrement dans l’armée, et d’une logique de religiosité anticléricale, il existe plusieurs loges franc-maçonnes sous le vocable de Saint-Napoléon : à Paris, à Marseille (une Loge française de Saint-Napoléon, les Amis fidèles de Saint-Napoléon), à Lyon (Saint-Napoléon de la Bonne Amitié), à Saumur (Saint-Napoléon de la Gloire), à Béziers (Saint-Napoléon des Artistes), à Angers, à Moissac, et même à Gand (Loge Saint-Napoléon du Nord) et Amsterdam. Il faut dire qu’à Paris une loge portait déjà le nom de... Sainte-Joséphine. Un calendrier du Grand-Orient de France daté de l’an maçonnique 5808 (soit 1808) mentionne la Saint-Napoléon.

Loge de Saint-Napoléon. Bibliothèque municipale de Besançon

Loge de Saint-Napoléon. Bibliothèque municipale de Besançon

Loge de Saint-Napoléon. Bibliothèque municipale de Besançon

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Cantique maçonnique

Dans la légende dorée,
Des hôtes du Paradis
Votre raison éclairée
Fit un choix que j’applaudis,
Pour patron,
À Simon,
À Saint-Louis, Saint-Macaire,
De tout cœur je préfère
Le grand Saint-Napoléon.

De loin en pèlerinage,
Nous venons, pleins de ferveur,
Avec vous sur ce rivage
Fêter votre protecteur.
Tout maçon
D’un feston,
Voudrait orner la couronne
Qu’en ce temple l’amour donne
Au grand Saint-Napoléon.

Mais déjà, sous son auspice,
Un atelier travaillait,
Par la gloire et la justice.
Avec éclat il brillait.
Sous un nom
De renom
L’empire était une Loge
Où retentissait l’éloge
Du grand Saint-Napoléon.

Princes et rois dans son temple
Furent avec pompe admis ;
D’autres, fuyant cet exemple,
Ont perdu tous leurs outils
Le bourdon
Du canon
Dans cette loge innombrable
Proclame pour Vénérable
Le grand Saint-Napoléon.
Mais l’Espagnol anglomane
À l’épreuve en cet instant,
Fait, comme doit tout profane,
Un voyage fatigant ;
Mais le son
Du canon,
Déjà publie en Castille
Qu’il fait pacte de famille
Avec Saint-Napoléon.

G) Saint Napoléon : la quintessence du fanatisme ?

57La solennité de saint Napoléon accroît la colère des ecclésiastiques critiques du Concordat. C’est le cas des partisans de Corneille Stevens, vigoureux censeur de la servilité des évêques concordataires, qui utilise les mêmes arguments que le cardinal di Pietro pour fustiger le droit que s’arroge la puissance civile : « La dénomination de saint Napoléon et l’institution d’une fête à sa mémoire à célébrer au 15 août sont des inventions de la fabrique trompeuse du prétendu envoyé et suscité de Dieu [45]. » Cette innovation est une « astuce » qui consiste non pas à prier Neopolus mais bien « Napoléon Bonaparte Empereur » – dévotion que l’article 4 du décret de Portalis impose en outre aux autorités militaires et civiles qui peuvent être composées de « luthériens, calvinistes » ou de « juifs ». Une telle prétention est de bien mauvais augures pour la liturgie nouvelle promise par les articles organiques...

58Les quelques curés récalcitrants sont sermonnés par leur hiérarchie. Suite au décret d’excommunication du 10 juin 1809, un plus grand nombre d’ecclésiastiques belges refusent, de leur propre chef, de prier Napoléon – la prière du canon de la messe exige que le souverain ici nommé doit être en communion avec l’Église. D’autres font des difficultés à ceux qui entendent prénommer leur enfant Napoléon. Certains prêtres ne font pas de prône pour éviter de recommander l’Empereur aux prières des fidèles – de nombreux exemples en Normandie et plus généralement dans l’Ouest, dans le Midi, en Savoie [46]… Dans le diocèse de Langres, des curés entrent en dissidence contre leur évêque et jugent scandaleux que des prêtres soient poursuivis car « ils ne disaient point d’oremus pour le Corse excommunié, divorcé et usurpateur ». Les prescriptions qui obligent les ministres du culte à prononcer deux discours, le 15 août et le premier dimanche du mois de décembre, anniversaire du couronnement et de la bataille d’Austerlitz, ont semble-t-il été peu suivies. Comment interpréter aussi la négligence, consciente ou non, de certains prêtres qui déforment l’oraison en un improbable Imperatoris nostri... Napolitani[47] ?

59Sous la Restauration, un prêtre réfractaire et émigré originaire de Poitiers entend dans plusieurs brochures défendre le rôle du roi au temporel et ne reconnaît au pape qu’une primauté spirituelle. Il entend dénoncer la « cour de Rome » et l’Église concordataire qui est issue des brefs de 1801 : « Elle s’est parjurée envers vous [le roi] ; et ses oraisons, ses chants liturgiques, ses prières, qui sont toutes ses armes, elle les a solennellement offertes au ciel contre vous. » Il s’en prend violemment à la « mention sacrilège du nom d’un apostat public, dans le saint canon de la messe et dans les liturgies catholiques ». Pour lui, Napoléon « n’a rouvert les temples que pour y proclamer sa gloire, et non celle de Dieu » [48].

Saint Napoléon, martyr

Saint Napoléon, martyr

Saint Napoléon, martyr

Gravure de Ferdinando Silvani d’après un dessin de Francesco Scaramuzza (1803-1886), 1859, Civica Raccolta delle Stampe A. Bertarelli, Milan. Quand Michele Varron, un lieutenant piémontais qui avait combattu pour Napoléon de qui il avait reçu un domaine près de Parme, réaménage son château, il commande ce tableau pour l’autel du nouvel oratoire. Cette apothéose de Napoléon – Scaramuzza a repris les traits peints par David – est une Assomption...
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60Dans la même veine, les partisans de la Petite Église considèrent que ce saint a été « fabriqué par le cardinal Caprara ». Faisant le commentaire d’un article du très gouvernemental Journal des curés consacré à l’anniversaire de l’empereur en 1808, ils regrettent que rien ne rappelle en ce jour la fête de l’Assomption : « Ce n’est pas l’esprit de Dieu qui a dicté tous ces éloges emphatiques et boursouflés. C’est la quintessence du fanatisme [49]. »

61Par l’identité des acteurs qui, au sein de la Curie, suivent les affaires françaises, il est tentant de tracer une linéarité intellectuelle de la condamnation de la Constitution civile du clergé et la publication de la bulle Auctorem fidei jusqu’à la censure de saint Napoléon, même confidentielle, ou à l’excommunication de l’empereur, dont elles seraient en quelque sorte l’aboutissement. Encore convient-il d’abord de dépasser l’opposition binaire zelanti/politicanti – tout au plus peut-on opposer un di Pietro intransigeant à un Antonelli plus diplomate – pour souligner au contraire le pragmatisme des autorités pontificales. Les représentants du Saint-Siège composent avec Napoléon sans jamais qu’il soit question de l’Ancien Régime et du prétendant Louis XVIII et admettent, certes de mauvaise grâce, la manipulation qui consiste à faire de Neopolus le saint éponyme de l’empereur, tout en élaborant une position de principe intransigeante. Une position de principe qui se construit à partir des matériaux mobilisés lors des polémiques du XVIIIe siècle contre le jansénisme, contre le fébronianisme, contre le régalisme et les autres doctrines anticurialistes sous leurs différentes formes. La papauté proclame sa compétence exclusive sur les questions spirituelles et sacrales (façon de dire que l’État n’en a plus) en captant à son usage unique les formes sociales de la religion que sont la liturgie et l’hagiographie [50], et en les orientant au service d’une ecclésiologie intransigeante. Car en repoussant tout interventionnisme étatique, elle disqualifie toutes les tentations juridictionnalistes et marginalise définitivement tous leurs partisans, à l’intérieur de l’Église, c’est-à-dire dans le cas qui nous intéresse les gallicans, aussi modérés soient-ils.

62La désacralisation du politique, ou pour mieux dire la mise à distance du fondement théologique dans l’organisation de la structure politique, se révèle dans l’événement inédit, d’un point de vue liturgique, qu’est le sacre impérial, davantage mis en scène de la potestas que cérémonie religieuse comparable à celle de l’Ancien Régime. Or l’interventionnisme politique, autrement dit l’instrumentalisation du religieux par le politique, accélère cette désacralisation. Exiger que l’on prie pour l’empereur régnant en suscitant un saint qui porte son nom heurte les sceptiques autant que les croyants. D’autant qu’en s’immisçant dans la prière et le sanctoral, l’État post-révolutionnaire déséquilibre d’emblée la relation qu’il entend instituer avec l’Église dans le cadre des cultes reconnus. Il encourage du même coup l’autorité religieuse, Rome, dans son ambition d’être la seule garante du depositum fidei, et la conforte dans sa mission spirituelle, ce qui amène, à terme, une mise à distance de l’Église par rapport à l’État mais aussi par rapport à la société civile dans la définition d’une véritable (contre-) société – avec la maîtrise du calendrier, réduit à son usage strictement ecclésial dans lequel, évidemment, Napoléon n’a pas sa place.

III. Saint Napoléon, saint patron de la Nation

63Il est aisé de conclure à un échec de cette « canonisation par décret » [51], voulue par un despote, acceptée par un pape débile et célébrée par des prélats serviles. Un périodique britannique, qui y voit « un exemple frappant de l’adulation du clergé catholique français », s’amuse à décrire les « vicissitudes » de ce saint retiré du calendrier au moment où l’Empereur quittait son trône... C’était voir l’ordre de l’Église inversé : ce saint n’était pas le patron du monarque mais le monarque était celui du saint [52] ! Plus globalement, si du point de vue disciplinaire le concordat et l’idéologie qui l’inspire ont constitué un succès durable – parce qu’ils instaurent la paix religieuse, la mobilisation de la liturgie par l’État, parce qu’elle ruinait l’équilibre entre le sacerdoce et l’empire, a échoué devant le mauvais vouloir du clergé et surtout devant la réalité de la structure ecclésiale dans son for interne : la permanence des liturgies diocésaines d’Ancien Régime et l’influence du modèle romain, renforcé par la résistance obstinée de Pie VII, laissent peu de place aux innovations voulues par le gouvernement. Plus qu’une opposition au régime, c’est la temporalité liturgique, différente de la temporalité politique, qui explique la non-acclimatation de saint Napoléon.

64La fête de saint Napoléon, sans qu’elle soit nommée, est supprimée par l’ordonnance royale du 16 juillet 1814 comme « étrangères par [son] objet à la religion et à la France » [53] – dom Guéranger a beau jeu de noter que cette suppression a été aussi irrégulière que l’avait été son établissement et même plus irrégulière encore, car le décret du cardinal légat n’a jamais été abrogé. Significativement, Louis XVIII demande le rétablissement de la lecture de la déclaration de Louis XIII à la messe de l’Assomption.

65Si la fête de Saint-Napoléon devient à nouveau fête nationale avec l’établissement du Second Empire, l’office de saint Napoléon, lui, n’est pas repris. Le décret du 16 février 1852 a en effet supprimé tous les anniversaires politiques et a seul conservé le 15 août. Le ministre des Cultes, Fortoul, écrit une circulaire à l’ensemble des évêques de France : « Fidèle à la pensée de l’Empereur Napoléon, le Prince Président désire que nous célébrions dans le même jour la fête séculaire de la Patronne de la France et celle du Chef de l’État. Il demande à l’Église de s’associer par ses prières aux sentiments des populations, et de consacrer par les cérémonies du culte l’éclat des réjouissances publiques. C’est en son nom, Mgr, que je vous prie d’ordonner qu’un service religieux, suivi d’un Te Deum, soit célébré, le 15 août prochain, dans toutes les églises de votre diocèse. » Victor Hugo, tout à vénérer le grand et à détester le petit, peut moquer la fête dans ses Châtiments (Livre V), dans un poème daté du 26 mai 1853 :

66

« Apportez vos chaudrons, sorcières de Shakespeare, Sorcières de Macbeth, prenez-moi tout l’empire, L’ancien et le nouveau ; sur le même réchaud Mettez le gros Berger et le comte Frochot, Maupas avec Réal, Hullin sur Espinasse, La Saint-Napoléon avec la Saint-Ignace. »

67La sécularisation des structures politiques est si avancée que la fête nationale n’a plus de prolongement liturgique et que l’État ne s’embarrasse plus d’un saint qu’il avait cru bon d’inventer un demi-siècle plus tôt. Autrement dit, la légitimité du nouveau souverain est telle qu’elle se passe de médiation ecclésiale, qu’elle soit spirituelle ou sociale, et de support métaphysique si ce n’est une Providence qui peut être réduite à l’état laïc.

A) Du saint au mythe

68Une sécularisation qui se lit aussi avec la mutation du saint, figure traditionnelle de l’intercession chrétienne, en mythe, clef de voûte d’un imaginaire politique dont témoigne le succès tardif de saint Napoléon, dorénavant confiné à la dévotion privée et partisane, porté par des supports iconographiques où l’officier martyr prend les traits de l’empereur ! Car si la fête liturgique n’a eu qu’un succès mitigé, la Saint-Napoléon est une réussite pour ce qui concerne ses aspects civiques et patriotiques [54].

69Le succès posthume de saint Napoléon s’inscrit dans une temporalité politique : la mort de l’empereur en 1821, celle de l’Aiglon en 1832, le retour des cendres en 1840, indissociable d’une propagande et d’une imagerie populaire [55]. La figure de l’empereur, dont la statue retrouve le sommet de la colonne Vendôme en juillet 1833, connaît une popularité telle qu’on a pu parler de « religion napoléonienne », qu’attestent à des degrés divers des ouvrages de dévotion (tel cet improbable Évangile selon saint Napoléon imprimé à Saint-Quentin en mai 1815), des tableaux (Napoléon en « astre brillant », « Napoléon sortant de son tombeau » d’Horace Vernet en 1840, déclinés en de nombreuses gravures), des reliquaires, des lieux de pèlerinages [56]... Un illuminé lituanien du nom de Towianski proposera même la régénération spirituelle par le culte de Napoléon [57] !

L’astre brillant. Gravure d’Antoine Aubert, 1812

L’astre brillant. Gravure d’Antoine Aubert, 1812

L’astre brillant. Gravure d’Antoine Aubert, 1812

© Photo de l’auteur. Musée national des Châteaux de Malmaison et Bois-Préau

70Elle se nourrit aussi du contexte plus général d’une volonté ininterrompue de retremper le pouvoir temporel à une source sacrale. La Restauration, destinée à « renouer la chaîne des temps », comme le dit la charte de 1814, instille la commémoration et la réparation par nombre de cérémonies religieuses : le martyre de Louis XVI et de Marie-Antoinette, inhumés à Saint-Denis en 1815, les obsèques du duc de Berry assassiné en 1820, le baptême de « l’enfant du miracle » chanté par Lamartine et Hugo, le sacre de Charles X en 1825. N’y échappent pas la monarchie de Juillet, avec la chapelle de Dreux, et la Révolution de 1848, avec ses arbres de la liberté bénis par le clergé [58] et dont la Constitution républicaine qui en est issue inaugure son préambule avec l’existence de Dieu.

La monarchie de Juillet, plus que tout autre régime sans doute, entend proclamer une légitimité de type sacral

La monarchie de Juillet, plus que tout autre régime sans doute, entend proclamer une légitimité de type sacral

La monarchie de Juillet, plus que tout autre régime sans doute, entend proclamer une légitimité de type sacral

Louis-Philippe est ainsi représenté en saint Philippe par Ingres, dans la chapelle royale de Dreux (détail). La chapelle Saint-Louis est érigée en nécropole dynastique (1843), où les membres de la famille régnante sont représentés sur les vitraux du transept.
© Photo de l’auteur.

B) La légende d’un saint

71Confronté à la pauvreté des matériaux historiques concernant saint Néopole et sur le besoin, plus que nécessaire, de prouver que le prénom de l’empereur en est une déclinaison, le cardinal Caprara rédige et diffuse une légende (du latin, « qui doit être lu ») destinée à l’édification des fidèles lors de la fête. Comme la fête de saint Napoléon tombe le même jour que la solennité de l’Assomption, elle se résume à la seule lecture, à l’office de matines reprise éventuellement au prône, d’une leçon dite historique qui consiste en un résumé de la vie du saint.

Saint Napoléon, officier romain

Saint Napoléon, officier romain

Saint Napoléon, officier romain

Xylographie rehaussée au pochoir, fabrique de Pellerin Imprimeur-libraire à Épinal, vers 1806. Le saint debout, flanqué à droite d’un petit palmier sur lequel repose un étendard, et à gauche une enseigne surmontée d’un aigle tenant un foudre dans ses serres, et à laquelle sont suspendus un bouclier et une épée. C’est encore l’officier romain reconnaissable à son casque qui est représenté : cette fois, les mains jointes, il est en oraison et son statut de martyr est bien affirmé par la palme placée au-dessus de la lance (à droite).
© Photo de l’auteur.

Saint Napoléon, officier romain, martyr

Saint Napoléon, officier romain, martyr

Saint Napoléon, officier romain, martyr

Gravure, imprimée à Paris chez Basset Marchand d’Estampes et Fabricant de Papiers peints rue Saint-Jacques au coin de celle des Mathurins n° 64, vers 1806. « Le palmier est encore là, enlacé d’un feuillage de laurier, pour signifier le désert mais la toge a été remplacée par la cuirasse du légionnaire romain et l’auréole du saint surmonte un casque. Le médaillon de gauche montre le saint étendu sur la paille de son cachot alors qu’à droite la composition autour du drapeau parvient, habilement, à montrer une aigle. La légende est une traduction du texte latin de Caprara » (Claude van Hoorebeck).
© Gallica/BnF

72

« Sous la cruelle persécution de Dioclétien et de Maximien, la pire de toutes, sur toute l’étendue de l’Empire romain on a voulu faire en sorte, avec la plus grande cruauté, que les fidèles du Christ, terrifiés ou vaincus par la violence des supplices, abandonnent la foi, ou que leur destruction totale et universelle entraîne l’extinction du nom chrétien. Mais tandis que la barbarie des persécuteurs était vaincue par leur propre sauvagerie, et que les bourreaux impitoyables se lassaient de leur tâche infâme, les soldats du Christ, grâce à une force venue du ciel, combattaient avec tant de courage et soutenaient le choc de manière si invincible, que l’espérance qu’avaient conçue leurs persécuteurs trompa ses auteurs, et que le sang versé par les martyrs fut une semence de chrétiens. Parmi les confesseurs de la foi, combien il est juste de recenser ceux qui soutinrent alors pour le Christ, avec un courage admirable, un dur combat à Alexandrie, en Égypte ! Certains d’entre eux tombèrent glorieusement dans le combat lui-même ; d’autres, après avoir été cruellement torturés, gisaient dans les fers, les jambes écartelées et prises dans quatre trous de sorte qu’ils étaient contraints de rester sur le dos ; quelques-uns, couverts de plaies, et montrant sur leur corps la multiplicité des tortures qui avaient été imaginées, restaient gisants sur le sol où on les avait jetés ; certains enfin étaient jetés en prison à demi morts. Parmi ceux qui eurent la prison pour stade, les martyrologes et les écrivains anciens distinguent Neapolis, ou Neopolus, qui a été appelé Napoleo d’après la prononciation de son nom qui avait cours en Italie au Moyen Âge, puis par l’usage, et qui est communément appelé Napoleone en italien. Napoléon, donc, illustre par sa famille ou par sa fonction, mais plus illustre encore à cause de sa ferme constance dans la confession et de sa constante fermeté dans la passion, à Alexandrie, à la fin de la persécution de Dioclétien et de Maximien, sauvagement torturé, précipité enfin à demi mort dans la prison, y mourut de la gravité de ses blessures, et, ayant perdu son sang pour le Christ, s’endormit dans la paix. »

73La traduction de Néopole, martyr mort à Alexandrie, en Napoléon et sa translation du 2 mai au 15 août, sont des inventions du cardinal Caprara que les adversaires de la législation concordataire ne manquent pas de souligner : « Nous défions MM. les concordatistes de produire un seul martyrologe antérieur à l’année 1802, dans lequel on trouve un saint Napoléon » – tout en ajoutant perfidement qu’il y a au contraire un démon qui porte ce nom dans le recueil des miracles de sainte Zita [59] ! Déjà sous l’Empire, certains opposants s’attachaient à souligner le caractère démoniaque de ce prénom : « Eh, comment douter de l’origine infernale de ce nom, lorsqu’on sait que l’apocalypse désigne l’Antéchrist sous la dénomination d’Apollyon [60] ? »

74L’identification entre Néopole et Napoléon, premier élément du dispositif concocté par le cardinal Caprara, suscite plus l’ironie que l’acrimonie. Le géographe Malte-Brun appuie de son érudition l’origine du prénom de l’empereur : « Quoique ce prénom ne soit rien moins qu’inconnu, et quoique tant d’Italiens ne l’eussent certainement pas porté s’il n’eût appartenu à quelque saint, il est difficile d’en retracer l’origine et l’étymologie. Il paraît que les théologiens d’Italie considèrent saint Neapolus, martyr napolitain, comme le véritable patron de ceux qui, dans la langue vulgaire, s’appellent Napolione. Ce nom ne serait alors qu’un diminutif de Napolo, qui, à son tour, serait une corruption de Neapolus. Mais ce saint était-il bien sûr de l’orthographe de son nom, qui paraît grec, mais qui pourtant a l’air moins classique que celui de Napoléon ? Quelques érudits, M. de Visconti à leur tête, prétendent qu’il faut écrire Neapolion, comme sur la fontaine de l’école de médecine. D’autres, en adoptant l’orthographe, veulent rendre le nom identique avec celui de Napolitain, qui pourtant, en grec, s’écrirait Neapolites. Toutefois, il est remarquable que ce prénom soit plus commun à Naples que dans aucune autre partie de l’Italie [61]. » L’inscription latine sur la base de la colonne Vendôme, achevée en 1810, Neapolio imp. aug., excite la verve d’Alexandre Dumas qui, dans ses Causeries (1845) en donne une traduction toute personnelle : Néarque Polion, général d’Auguste.

75Mais l’immixtion de la puissance publique dans le sanctoral, avec la fête du nom du souverain en association avec celle de l’Assomption, heurte les opposants au régime qui y voient la marque la plus crue d’autocratie. Quand Chateaubriand publie un supplément à sa brochure De Buonaparte et des Bourbons, il se fait le chantre, comme l’indique le sous-titre, De la nécessité de se rallier à nos princes légitimes, pour le bonheur de la France et celui de l’Europe. Il oppose la piété sincère d’un souverain, consacrée par la tradition, à l’orgueil stérile du tyran : « Buonaparte a poussé si loin cette vanité que nous lui reprochons que, sans respect pour le dévouement du pieux Louis XIII, qui avait mis son royaume et ses sujets sous la protection de la sainte Vierge, loin de conserver cette pieuse cérémonie qui avait lieu tous les ans au 15 août, jour de l’Assomption, il y substitua sa fête, et les gens du peuple disaient, dans leur langage grossier, mais énergique, que saint Napoléon avait déniché la sainte Vierge [62]. » L’abbé Grégoire, ancien chef de file de l’Église constitutionnelle, publie, en 1828 un vigoureux Essai sur l’idolâtrie politique ou basileolatrie[63]. La création de la saint Napoléon n’échappe pas à son acerbité, qu’il dirige contre l’épiscopat concordataire et contre Rome. Le cardinal Caprara, en distribuant bénédictions et indulgences, a institué une « nouvelle espèce de demi-sacrement », relayé par des prélats serviles : « Grainville, évêque de Cahors, dans son ordo (on ignore en vertu de quelle autorité), déclarait saint Napoléon patron de l’Empire français. L’Assomption n’était plus guère que l’objet secondaire de la fête, à raison de sa coïncidence avec celle de saint Napoléon ». La défaite militaire a mis fin du même coup à cette dévotion : « Et le saint et l’empereur ont été enveloppés dans la déroute de Waterloo, puisque leurs fêtes ont cessé simultanément. Les hommages rendus aux saints doivent-ils donc subir les mêmes vicissitudes que les choses d’ici-bas ? Heureusement les révolutions des États n’atteignent pas les habitants des cieux ». Pour l’abbé Grégoire, la défense de l’Église gallicane ne saurait se résumer au culte de son souverain temporel.

76Mais malgré les quolibets, c’est une invention qui, tout du moins en France, va perdurer en raison de son inscription dans les martyrologes – qu’on l’interprète comme une manifestation de gallicanisme, une méconnaissance des règles canoniques qui ne s’imposent véritablement qu’à partir des années 1840 avec l’adoption de la liturgie romaine dans les diocèses français [64] ou d’indéniables lacunes patristiques.

Saint Napoléon, officier romain

Saint Napoléon, officier romain

Saint Napoléon, officier romain

Gravure de Godard II (1768-1838), imprimée cher Hurez, libraire-imprimeur à Cambrai, vers 1810. Saint Napoléon en officier (bouclier, lance, épée) et martyr (palme, rayons de lumière), devant une villa fortifiée très méditerranéenne et un voilier très XVIIIe siècle...
© Photo de l’auteur.

77Dans l’édition, parue en 1811, des Vies des Pères, des martyrs et des autres principaux saints d’Alban Butler, une notice consacrée à saint Napoléon a été ajoutée au 15 août. Elle reprend presque mot pour mot l’instruction du cardinal Caprara, en renvoyant même la légende qui se trouve dans l’office de sa fête : « On met avec raison au nombre des confesseurs de la foi ceux qui soutinrent alors à Alexandrie d’Égypte, avec un courage incroyable, les plus rudes assauts pour Jésus-Christ. Quelques-uns de ceux-ci moururent glorieusement dans le cirque même ; d’autres, après avoir été cruellement tourmentés, étaient mis au nervus, étendus sur le dos et les pieds écartés jusqu’au quatrième trou. Plusieurs, couverts de blessures et portant sur leurs corps les marques de différents genres de supplices, étaient jetés sur la terre, et enfin quelques-uns à demi-morts étaient enfermés dans des cachots infects.

Saint Napoléon martyr

Saint Napoléon martyr

Saint Napoléon martyr

« Image fidèle qui est vénérée dans la ville d’Ajaccio, en Corse », d’après un tableau de Carlo Antonio Rambaldi (1680-1717), vers 1810, Civica Raccolta delle Stampe A. Bertarelli, Milan. Gravure anonyme qui reprend une représentation de la mort de saint François-Xavier, réalisée dans la première moitié du XVIIIe siècle, en la réattribuant à un nouveau venu dans le sanctoral : saint Napoléon.
© Photo de l’auteur.

78Parmi ceux qui y terminèrent leur sainte carrière, les martyrologes et les anciens écrivains font une mention honorable de Neopolis ou Neopolus, qui, d’après la manière de prononcer les noms en Italie dans le Moyen Âge et l’usage reçu, fut appelé Napoléon, et en italien vulgaire Napoleone. Napoléon, déjà illustre par sa naissance ou par la place qu’il occupait à Alexandrie, se rendit encore plus illustre par sa fermeté et sa persévérance à souffrir pour la foi vers la fin de la dernière persécution de Dioclétien et de Maximien. Après avoir été cruellement déchiré, il fut enfin jeté à demi-mort dans une prison, où ses forces étant épuisées par le nombre, la profondeur de ses plaies et par la perte entière de son sang, il rendit en paix son âme à Jésus-Christ [65]. » Le récit est pris presque mot pour mot dans d’autres hagiographies comme la Légende céleste. Nouvelle histoire de la vie des Saints (1845) approuvée par l’archevêque de Paris.

79Dans l’édition qu’il donne du martyrologe romain de Chastelain en 1823, le généalogiste Viton de Saint-Allais cite à la fois saint Néopole au 2 mai et saint Napoléon au 15 août ! L’abbé Pétin, dans son Dictionnaire hagiographique (1848), reprend lui aussi la teneur de l’indult du cardinal Caprara : « Napoléon (saint), Neopolus, martyr, était d’une famille distinguée et parvint à des postes éminents. Il se trouvait à Alexandrie lorsque la persécution de Dioclétien sévissait avec le plus de force, et il s’illustra par son zèle à encourager les chrétiens, et par son courage à supporter les tourments les plus inouïs. Après lui avoir fait subir les traitements les plus horribles. On lui enlevait des lambeaux de chair, et on recommençait à le torturer de nouveau. Comme il déployait une constance invincible, on le jeta dans une affreuse prison, où il mourut couvert de sang et le corps tout déchiré. »

Saint Napoléon martyr

Saint Napoléon martyr

Saint Napoléon martyr

« Morto nelle carceri d’Alessandria d’Egitto sotto l’Impero di Diocleziano e Massimiano », gravure signée F.T., vers 1806, Civica Raccolta delle Stampe A. Bertarelli, Milan. « On peut voir le saint dans un coin d’une grande prison avec ses pieds enchaînés. Les différents instruments de torture sont éparpillés devant un soldat endormi alors qu’un ange, avec dans la main la palme du martyre, apparaît dans des éclairs de lumière. L’habillement du saint est de type oriental : la tête est recouverte d’un turban fermé au centre par un joyau ; l’aspect physique est celui d’un homme d’âge moyen, portant la barbe [...]. Cette scène est probablement reprise de celle de saint Pierre libéré de prison » par un ange (Raffaele Argenziano).
© Photo de l’auteur.

80Une image de piété donne une légende riche en détail sur les tortures qu’il a subies et conclut sur la création de la fête avec une franchise éclatante : « Saint Napoléon né en Italie est devenu célèbre pour la merveille de ses vertus. Son amour pour son prochain et la ferme constance en sa foi chrétienne lui ont attiré les persécutions de Dioclétien qu’il a endurées avec un extraordinaire courage malgré la cruauté de ses tourments. Il fut jeté sur les pierres tranchantes d’une affreuse prison, exposé à la morsure d’une vipère qui lui a arraché un morceau de sa chair qui le laissa presque mort. Après bien des tourments, son âme alla au ciel pour recevoir la juste récompense qu’il avait méritée par sa foi et son martyre. Le Souverain Pape Pie VII a fixé le 15 août pour le jour de la fête de ce saint en reconnaissance de sa satisfaction à l’Empereur Napoléon qui a eu la bonté de restituer à l’Église catholique de France son ancienne opulence. »

81Ainsi se met en place une postérité dont la durée équivaut à une officialisation. On trouve encore mention de Néopole (Napoléon) au 15 août dans le dictionnaire édité en 1991 par les bénédictins de Ramsgate !

Saint Napoléon représenté sous les traits de Bonaparte est martyrisé sur une croix de saint André, sous les yeux de l’empereur Dioclétien

Saint Napoléon représenté sous les traits de Bonaparte est martyrisé sur une croix de saint André, sous les yeux de l’empereur Dioclétien

Saint Napoléon représenté sous les traits de Bonaparte est martyrisé sur une croix de saint André, sous les yeux de l’empereur Dioclétien

Estampe de Defrondat, Paris, Lith. Prodhomme, 69, rue des Noyers, 1852 ou 1853. Légende en français et en italien.
© Gallica/BnF

C) Un saint romain

82À son échelle, saint Napoléon participe de la romanisation du catholicisme français. Il s’inscrit dans l’imagerie pieuse du XIXe siècle qui multiplie les scènes de martyre et de corps meurtris. Il n’est pas jusqu’au masque mortuaire de Napoléon, dont les copies sont diffusées par le docteur Antommarchi, qui renvoie aux reliques « au teint de cire » importées des Catacombes. Exprimant un tropisme à la fois politique et religieux vers la caput mundi, Portalis explique même dans son rapport du 19 février 1806 que c’est la « mémorable victoire d’Austerlitz qui a sauvé le Midi civilisé de l’Europe de la tyrannie du Nord encore barbare ». Napoléon, empereur des Français, ne s’est-il pas fait sacrer roi d’Italie en 1805, dans la cathédrale de Milan, par l’archevêque du lieu qui n’est autre que le cardinal Caprara...

La statue de marbre est la première dans la première galerie du flanc sud de la cathédrale de Milan

La statue de marbre est la première dans la première galerie du flanc sud de la cathédrale de Milan

La statue de marbre est la première dans la première galerie du flanc sud de la cathédrale de Milan

Elle a été commandée au sculpteur Sangiorno Abbondio en avril 1858 et achevée en 1860. Le saint est représenté à travers le visage de Napoléon, vêtu à l’antique et le pied droit enchaîné. Un moule en plâtre de cette statue est visible au Musée du Dôme.
© Claudio Bertolesi

83Comme elle est le produit d’une invention, qui doit davantage aux circonstances politiques qu’au témoignage d’une authentique piété, la légende de saint Napoléon subit d’autant plus facilement des déformations ultérieures dictées par les nécessités du moment.

84Une Vie de Saint Napoléon parue en 1859 en fait un jeune natif de Corse : « Au sein des familles les plus distinguées de la ville d’Aléria, fondée par Lucius Sylla, à l’embouchure du Tevignano et de la ville de Mariana, fondée à l’embouchure du Golo par Caius Marius, qui fut sept fois consul, se trouvaient les jeunes Napoléon, Saturnin, Germain et Célestin ; unis dès leur enfance par les liens d’une amitié chrétienne, ils avaient échappé aux dangereuses séductions du premier âge par la prière, le travail, la crainte de Dieu et le soin charitable des pauvres. » Si Neopolus/Napoléon est né en Corse, il a subi le martyre à Rome – reprenant, trois siècles plus tard, l’erreur de Galesini. Lui et ses compagnons « sont dépouillés ; ils sont battus de verges, on les étend sur le chevalet, on les déchire, on les torture à plaisir ; leur sang ruisselle, des flammes ardentes sont appliquées à leurs blessures. » Un tel héros chrétien digne ne pouvait mourir ailleurs qu’au lieu du supplice des apôtres Pierre et Paul, capitale de la chrétienté.

Saint Napoléon, officier romain

Saint Napoléon, officier romain

Saint Napoléon, officier romain

Lithographie Glémarec, libraires, fabricant d’images, rue Saint-Jacques, 29 Paris Typ. et Lith. Lacour, vers 1860. « Le saint, en tenue de soldat romain, a laissé tomber son bouclier pour brandir sa palme de martyr, tout illuminé par les rayons divins. Mais pourquoi au bord de l’eau, alors qu’un navire mouille à l’embouchure d’une rivière… La colonne de gauche est un Cantique sur les Commandements de Dieu. Celle de droite, un cantique sur un air connu en dix strophes de sept vers dont, systématiquement, le troisième et le septième sont Tout passe » (Claude van Hooorebeck).
© Photo de l’auteur.

D) Le saint patron de la France

85Affranchi des procédures et des méthodes de l’hagiographie, et des règles de dévotion imposée par l’Église, saint Napoléon va connaître le succès – qui n’est pas sans rappeler celui du soldat Chauvin [66] – grâce à de nombreux supports : statues, images, chansons, diffusées par les colporteurs. La figure du saint se mue en une dévotion partisane, qui est l’expression d’un patriotisme populaire et l’exaltation d’un héroïsme national. Entre 1815 et 1830, l’imagerie de saint Napoléon se développe dans la clandestinité, et participe d’une propagande politique sous couvert d’une piété religieuse dont il conserve le formalisme : le saint est représenté avec des attributs – le nimbe, la palme –, bien connus des catholiques tant les images de piété sont familières, avec une prière invocatrice. Sa célébration au 15 août peut successivement se comprendre comme une célébration alternative et/ou complémentaire de la fête de la Vierge Marie en son Assomption, protectrice de la France.

Cantique à saint Napoléon

Célébrons aujourd’hui la fête
De notre auguste protecteur ;
Que notre âme en soit satisfaite
Qu’elle éprouve une sainte ardeur.
Chantons tous les belles louanges
D’un saint qui règne dans les cieux,
Et qui sur nous jette les yeux ;
Il est rangé parmi les Anges
Pour cet hymne sacré, dans ce jour solennel,
Soyons tous réunis aux pieds du saint autel.

Que pour lui, dans la France
Règne ainsi la dévotion
Et que de jour en jour s’avance
Parmi nous la religion.
Proposons-nous tous pour modèle
Les vertus de Napoléon,
Qui toujours si pieux, si bon,
À Dieu fut constamment fidèle.

Grand saint, dis-nous quelle est la gloire
Aux cieux sur un trône éclatant ;
Elle est le prix de la victoire,
Le fruit d’un mérite éminent.
Mais tends une main secourable
À nous qui sommes les clients,
Nous disons même, les enfants,
Sois-nous à jamais favorable.

Saint Napoléon en armure

Saint Napoléon en armure

Saint Napoléon en armure

Estampe (62,9 cm × 39,5 cm) d’Adrien Dembour, imprimeur à Metz. RMN-Grand Palais - Thierry Le Mage. Le décor gothique satisfait à une mode naissante et les saints représentés sont saint Jacques, sainte Lucie, sainte Hélène, saint Thomas, sainte Pélagie et sainte Ursule.
© Photo de l’auteur.

86Il est en quelque sorte le saint patron que se sont choisi les patriotes. Un saint qui loin de se contenter d’habiter les sanctuaires trouve sa place dans les plus misérables chaumières. Son exclusion du sanctoral n’entame donc en rien sa popularité, bien au contraire ! L’invention de saint Napoléon nourrit même la verve anticléricale, qui dénonce la servilité du pape, de l’Église, mise au pas par un conquérant dont le génie agit jusqu’au Paradis. Une vigueur populaire qui entend aussi expliquer que les fidèles plus que le pape sont aptes à dire qui est saint et qui ne l’est pas.

Saint Napoléon


À un baron de l’Empire

Vous, fier baron, qui rampiez dans un temps
Fécond en lois, en travaux, en batailles,
Combien d’honneurs vous devez aux trente ans
Qui de l’empire ont vu les funérailles !
L’aigle a légué la France aux étourneaux :
Pour un Gérard que de J.............. !

Un homme né pour s’élever aux cieux
Se montre-t-il, tous les nains qui l’approchent
Sur ce géant se guindent de leur mieux,
À ses habits, à ses bottes s’accrochent.
À peine il voit ces avortons, qu’il rend
Fiers de sa taille et qu’il porte en courant.

Heureux baron, un jour il vous parla,
« Sers-moi », dit-il. Et d’un signe il ajoute :
« Viens » ; vous venez. « Va là » ; vous allez là.
Mais il perdit sceptre et valets en route.
Tout, depuis lors, vous fut prospère au point
Qu’un roi, sans vous, régnerait mal ou point.

De vos débuts ne rougissez pas trop ;
Chacun en cour passe à cette filière ;
Notre Empereur, créateur au galop,
Quand son crachat fécondait la poussière,
Fit pour un saint, dans le ciel pris d’assaut,
Ce qu’ici-bas il fit pour plus d’un sot.

Oui, son patron, vieux défunt peu connu,
Au paradis végétait sans prébende.
De tout rayon lui voyant le front nu,
Les saints criaient au saint de contrebande :
« D’où nous vient-il ? Qui l’a canonisé ?
« Nous parierions qu’il n’est pas baptisé. »

« Un pape intrus, disaient de bons voisins,
« L’aura tiré des carrières de Rome,
« De faux martyrs éternels magasins.
« Chassons ce gueux ! » Et contre le pauvre homme
Monsieur saint Roch court exciter son chien [67],
Tant les heureux ont le cœur peu chrétien.

Mais jusqu’au ciel, d’Austerlitz, d’Iéna,
Montent les bruits et les ordres du pape.
Vite on accorde au saint que l’on berna
Fleurs, auréole et triple part d’agape.
Tout lui sourit ; par une bulle ad hoc,
De l’almanach son nom bannit saint Roch.

« Plus que Louis il a des airs de roi »,
Dit le public, public de saints et d’anges
Qui tient de nous : la fortune y fait loi.
Et le bon saint, qui se gonfle aux louanges,
Perdant bientôt le peu qu’il a de sens,
Voudrait à Dieu voler sa part d’encens.

Barons ou ducs, c’est votre histoire à tous.
Napoléon d’un saint de pacotille
Fait un grand saint, fait des rois, fait des fous,
Gave des sots qu’il prend à la coquille,
Et tombe enfin. Messieurs, sur son rocher,
C’est vous d’abord qu’il dut se reprocher.

87La création de saint Napoléon est donc le prétexte facile pour exprimer un anticléricalisme d’autant plus hostile à toute influence ultramontaine. C’est ainsi qu’en 1824, Louis de Potter, acteur de la future indépendance belge, publie à Paris, sous le pseudonyme de Révérend Père Ignorantin, une Pétition de saint Napoléon, pour rentrer en Paradis après la mort de l’Empereur Napoléon, son protecteur et son patron sur la terre dont la réédition est bientôt interdite et mise à l’Index (1836).

88La popularité de saint Napoléon ne souffre en rien de son caractère hétérodoxe : mieux même, il profite de l’élimination ou de la disqualification des saints locaux, incertains, exclus des propres diocésains à la faveur du changement de liturgie [68]. Face aux nouveaux saints promus par Rome, il peut profiter, en ce siècle des nationalités, des susceptibilités de l’orgueil national.

E) Le saint patron des guerriers

Gravure représentant saint Maurice, patron des soldats, imprimerie Le Clère, 1862

Gravure représentant saint Maurice, patron des soldats, imprimerie Le Clère, 1862

Gravure représentant saint Maurice, patron des soldats, imprimerie Le Clère, 1862

© Photo de l’auteur.

89Cette dilection nationale trouve une issue logique. Au martyr vieillissant sans attribut militaire succède un jeune officier érigé en patron des guerriers, héraut du patriotisme français, reprenant tout ou partie des attributs iconographiques d’autres saints, comme saint Maurice ou saint Sébastien – qui ont en commun d’avoir été des soldats romains et d’avoir été exécutés sous le règne de Maximien, voire de saint Georges ou de saint Michel archange, saint protecteur de la France. Au terme de cette évolution, qui relève tout autant de l’habileté commerciale que de la propagande, c’est le visage de l’Empereur qui donne ses traits à son saint éponyme.

Saint Napoléon, patron des guerriers

Saint Napoléon, patron des guerriers

Saint Napoléon, patron des guerriers

Paris. Lith. Hollier, rue Galande, 37. « Le guerrier auréolé est, cette fois, fièrement dressé sur une fringante monture et il porte la bannière des croyants (malgré tout surmontée d’une aigle) au pied d’une colline couronnée par les remparts d’une forteresse soudainement illuminée de rayons célestes. Le visage, avec sa mèche caractéristique, présente une certaine ressemblance avec des portraits connus de l’Empereur. Par contre, ce saint ne paraît pas avoir été martyrisé et le guerrier fameux a plutôt les apparences d’un noble cavalier quelconque du milieu du XVIe siècle comme le suggèrent le couvre-chef à plumeau et la collerette caractéristiques de cette époque de même que le pourpoint, les chausses et l’épée portée au baudrier ainsi que l’équipement de la monture. » (Claude van Hoorebeck).
© Photo de l’auteur.

Statue équestre de Napoléon en empereur romain

Statue équestre de Napoléon en empereur romain

Statue équestre de Napoléon en empereur romain

© Musée d’Orsay

90La dévotion à saint Napoléon a connu une ferveur certaine dans quelques milieux comme les bateliers parisiens – se souvenant que le jeune Bonaparte était arrivé à Paris en 1784 au moyen d’un coche d’eau [69] – ou les vignerons tourangeaux, qui fêtent le 15 août la Saint-Poléon – abréviation due à la période de la Restauration où elle était célébrée dans la clandestinité. À Tourcoing, une société de secours mutuels qui réunit des ouvriers et des artisans a été fondée sous le vocable de Saint-Napoléon en 1841. Mais logiquement, eu égard à son modèle, il est progressivement érigé en patron des guerriers. C’est ainsi qu’il est fêté par les vétérans allemands de son armée, à Mayence, à Frankenthal, longtemps après la fin de la domination française [70]. Les invocations à saint Napoléon véhiculées par l’imagerie populaire accentuent cet aspect.

91L’instruction du cardinal Caprara se contentait de fixer, comme oraisons de saint Napoléon ajoutées dans la messe de l’Assomption, celles de la messe Laetabitur dont la première est : « Accorde, nous t’en prions, Dieu tout-puissant, que sur l’intercession de saint Napoléon ton martyr, nous soyons libérés dans notre corps de toutes les adversités, et purifiés dans notre esprit de toutes les pensées mauvaises. Par Notre Seigneur, etc. ».

92Les prières inscrites au bas des gravures du début du XIXe siècle conservent une facture canonique qui pourrait être celle qu’on adresse à tout autre saint :

93

« Faites, ô Dieu tout-puissant, que par les prières et l’exemple de votre bienheureux martyr Napoléon dont nous célébrons le triomphe, nous soyons affermis dans l’amour de votre saint nom. Nous vous en supplions par Jésus-Christ Notre-Seigneur. Ainsi soit-il. »

94Par la suite, les images adoptent une tonalité plus martiale, mais les prières restent de ce point de vue plus en retrait. Une image d’Épinal de Pellerin dessine vers 1840 un « Saint Napoléon Patron des guerriers », avec une oraison emplie d’humilité :

95

« Esprit Saint, source éternelle de lumières, dissipez les ténèbres qui nous cachent la multitude et l’énormité de nos offenses. Faites, ô mon Dieu, que nous les connaissions dans notre examen, comme nous les connaîtrons quand nous paraîtrons devant vous pour être jugés. Faites que nous en ayons, s’il se peut, autant de haine et d’horreur que vous en avez vous-même. Ainsi soit-il. »

Saint Napoléon, patron des guerriers

Saint Napoléon, patron des guerriers

Saint Napoléon, patron des guerriers

Gravure signée Fabrique d’Images de Gangel, à Metz [n°] 145, 1840. Avec un sous-titre et une prière en espagnol : San Napoleon, Patron (patrono aurait été plus correct...) de los guerreros.
© Photo de l’auteur.

96Progressivement s’opère un glissement qui fait passer saint Napoléon d’intercesseur à celui de héros dont on loue les mérites propres :

97

« O Dieu, fort et puissant, protecteur des armées qui combattent en votre nom pour le maintien de votre église, faites que les exemples et les instructions que nous a laissées le glorieux saint Napoléon nous fassent triompher des ennemis qui tenteraient de nous troubler dans le tranquille exercice de vos saints mystères, et qui chercheraient à diminuer la foi des fidèles que vous daignez éclairer et protéger. Par N. S. Jésus-Christ. Ainsi soit-il. »

Saint Napoléon en armure

Saint Napoléon en armure

Saint Napoléon en armure

Estampe (62,9 cm × 39,5 cm) d’Adrien Dembour, imprimeur à Metz. RMN-Grand Palais - Thierry Le Mage. Le décor gothique satisfait à une mode naissante et les saints représentés sont saint Jacques, sainte Lucie, sainte Hélène, saint Thomas, sainte Pélagie et sainte Ursule.
© Photo de l’auteur.

F) De saint Napoléon à Napoléon saint

Chapelle de la Fondation Eugène Napoléon

Chapelle de la Fondation Eugène Napoléon

Chapelle de la Fondation Eugène Napoléon

La Maison Eugène Napoléon (12e arrondissement) inaugurée en 1856, l’année de naissance de l’héritier du trône, a été dessinée par Hittorff. L’abside de la chapelle est entièrement décorée d’une fresque due à Félix-Joseph Barrias (1822-1907) qui met en scène l’impératrice : en présence d’un groupe d’orphelines, elle offre son collier à la Vierge, laquelle domine la scène entourée des statues de saint Eugène et de saint Napoléon.
© Photo de l’auteur.

Nouvelle église de Saint-Leu

Nouvelle église de Saint-Leu

Nouvelle église de Saint-Leu

La nouvelle église de Saint-Leu (appelée sous le Second Empire, Napoléon Saint-Leu), reconstruite sur les subsides du prince-président, est consacrée le 31 octobre 1851. Au fond du chœur, un monument de marbre blanc de Carrare dû à Louis Petitot (1794-1862) représentant le roi de Hollande. Au-dessus, un tableau de Sébastien Cornu (1804-1870) où saint Napoléon est représenté entre saint Louis et saint Charles Borromée.
© Patrick Karczewski.

Vitraux du chœur de l’église Saint-Louis de Vichy, réalisés par Antoine Lusson

Vitraux du chœur de l’église Saint-Louis de Vichy, réalisés par Antoine Lusson

Vitraux du chœur de l’église Saint-Louis de Vichy, réalisés par Antoine Lusson

L’église a été construite par l’empereur sur ses « fonds personnels » ce que rappelle une l’inscription, en latin, au-dessus du porche : À Dieu et à saint Louis, l’Empereur Napoléon III a pris soin de faire édifier à ses frais cette église – 1864, et consacrée par Mgr de Dreux-Brézé le 2 juillet 1865. On retrouve saint Napoléon, bien entouré par saint Eugène (de Beauharnais) et sainte Hortense (la mère de Louis-Napoléon), saint Louis (le père), sainte Eugénie (épouse de Napoléon III), saint Charles (le grand-père) et saint Joseph (l’oncle).
© Photo de l’auteur.

98Au terme de ce processus d’inversion – l’empereur défunt donne son prénom au saint – s’opère une réécriture totale de la légende hagiographique, au profit d’un culte familial et dynastique d’un hommage partisan.

Vitrail (Le Chesnay, Yvelines), 1882

Vitrail (Le Chesnay, Yvelines), 1882

Vitrail (Le Chesnay, Yvelines), 1882

La chapelle Saint-Germain du Chesnay près de Versailles, démolie sous la Révolution, est rebâtie en 1805. Elle est ornée, grâce à une nouvelle restauration de 1857, d’un glorieux vitrail représentant saint Napoléon en saint militaire, patron des soldats, coiffé d’un cimier de soldat grec, vêtu de tricolore et d’or, armé d’une lance et d’un bouclier à croix d’or plutôt médiéval. La donatrice du vitrail du Chesnay est la duchesse d’Elchingen, veuve du second fils du maréchal Ney et proche de la Cour impériale » (voir Bernard Richard, « La Saint-Napoléon à Joigny (quand on célébrait la fête nationale le 15 août) », Napoleonica. La Revue, 3/2011, n° 12, pp. 98-125.)

99Voilà saint Napoléon représenté en cuirasse baroque et casque à plume, associé à saint Louis et aux croisades, avec à ses pieds un cadavre turc. Il est né le 15 août, comme il se doit, en Corse, et meurt à 52 ans comme son modèle, après dix ans de captivité par la faute de « trois chefs ingrats » – le roi George III, le tsar Alexandre Ier, l’empereur François Ier ? –, « sur un rocher stérile » aux mains d’un Hudson Lowe arabe. La leçon historique se conclut logiquement sur l’attente du retour du corps saint, préalable à toute relance dévotionnelle.

Saint Napoléon en armure

Saint Napoléon en armure

Saint Napoléon en armure

Estampe colorée au pochoir (64 cm × 42,8 cm) réalisée par Charles Boulay (né en 1799). Imprimerie catholique Jean-Pierre Clerc, Belfort, vers 1835. « Le patronage de saint Louis assure à Napoléon sa légitimité ainsi que l’adhésion plus ou moins tacite du bon peuple auprès duquel ce roi profite toujours d’une popularité bien ancrée dans la tradition. Saint Napoléon est donc né en Corse, il combat pour sa foi – entendez ses idéaux, donc les idées révolutionnaires – et combattait comme le dernier homme, lumineuse allusion à l’épisode du drapeau du Pont d’Arcole. Plus tard, il fait des prisonniers qu’il traite correctement : ne serait-ce pas une allusion à la Paix de Tilsit et à l’Autriche, la Prusse et la Russie ? Le siège de Damas est évidemment Waterloo où l’on retrouve ces trois chefs qui le livrent à un cruel chef arabe qui ne peut être que l’Angleterre. Ce chef arabe le relègue alors sur un rocher stérile perdu en pleine mer qui rappelle Sainte-Hélène, après qu’il se soit constitué lui-même geôlier, à savoir s’être rendu à son ennemi à bord du Bellephoron. Les chefs arabes sont membres du divan, ce lieu de négociation qui s’apparente bien sûr au Congrès de Vienne. Les dix ans de captivité étonnent mais il ne suffit que d’une lettre pour rétablir la durée exacte de l’exil. Il meurt en 1260, et donc à l’âge de 52 ans, comme l’Empereur, après avoir subi des souffrances inouïes, celles bien sûr infligées par lord Hudson Lowe. Enfin, ces Turcs ne veulent pas rendre ses restes mortels, ce qui est toujours vrai au moment de la production de cette estampe, au plus tard en 1830. » (Claude van Hoorebeck).
© Photo de l’auteur.

Ô Dieu, fort et puissant, protecteur des armées

Saint Napoléon, né le 15 août 1208, dans les montagnes de la Corse, montra, dès sa plus tendre enfance, une grande piété pour la religion chrétienne. Il montrait surtout le plus grand désir de combattre et de convertir les ennemis de sa foi : aussi saisit-il avec empressement l’occasion que lui présenta la croisade que commandait saint Louis, de France. Revêtu d’une brillante cuirasse d’or, ayant sur la poitrine l’image de notre Rédempteur, couleur de sang qu’il a versé pour nous, mêlé dans les rangs, il combattait comme le dernier homme d’armes. Parmi ses nombreux faits d’armes, on remarque plus particulièrement celui où, après avoir lui-même fait prisonnier trois principaux chefs de l’armée ennemie, il obtint de saint Louis leur mise en liberté, sans rançon et sans présents.
Cependant, au siège de Damas, après avoir tué tous les hardis Turcs qui l’entouraient, il eut enfin le malheur de succomber au nombre de ses ennemis et d’être fait prisonnier précisément par ces mêmes trois chefs qu’il avait si généreusement traités. Ceux-ci, payant d’ingratitude le bienfait qu’ils avaient autrefois reçu de saint Napoléon, le livrèrent à un cruel chef arabe qui le relégua dans le fort d’une petite ville de la mer de Marmara, sur un rocher stérile, où il se constitua lui-même en un éternel geôlier.
En ce temps-là, les prisonniers pouvaient se racheter par des sommes d’or et d’argent. Mais ce fut en vain que saint Louis qui se l’était particulièrement attaché dans son armée, fit proposer pour sa rançon des milliers de marcs d’or et d’argent. Les Sarrasins avaient tant peur de son habilité dans les combats qu’ils refusèrent toute proposition de rachat ; ce furent surtout ces trois chefs ingrats, membres du divan, qui s’opposèrent constamment à sa délivrance. Après dix ans d’emprisonnement et de tortures, de souffrances inouïes, saint Napoléon mourut de chagrin de ne plus combattre les ennemis de l’église. Il était pourtant assez jeune pour faire encore longtemps la guerre. Sa mort arriva en l’an 1260, saint Louis ne put même pas obtenir des Turcs les restes mortels de ce grand saint, pour les déposer en une sainte chapelle que le roi voulait fonder en Corse.

100L’inscription du souverain régnant dans le sanctoral, autrement dit l’intervention de la puissance séculière dans le domaine de la croyance, est sous ses aspects traditionnels une expression de la modernité post-révolutionnaire. La création pure et simple d’un saint Napoléon illustre ce changement de paradigme : si autrefois le royaume avait un ou plusieurs saints patrons [71], la sainte Vierge, saint Louis, saint Michel, ou sainte Clotilde, dont la caution canonique ne laissait aucun doute, l’État moderne leur substitue à sa convenance celui du souverain régnant. Le chef, son nom, son corps, font l’objet d’un culte, qui dans sa version liturgique comme dans ses déclinaisons populaires, emprunte les modalités et les codes de l’intercession chrétienne, non seulement par commodité mais parce qu’il relève de la même nature. Une religion du politique qui, lorsqu’elle répudiera définitivement sa matrice, cet au-delà d’elle-même qui en limitait l’horizon, pourra se muer en un implacable totalitarisme [72].

Conclusion

101Dès son origine, saint Napoléon aura été victime de son ambiguïté : trop claniste pour être rassembleur, trop politique, trop religieux – la Marianne républicaine n’a pas ce défaut [73], ou trop peu, comparé aux saints patrons apparus aux époques médiévales et modernes [74] –, il n’aura fait que passer dans l’imaginaire national français, assurant toutefois la transition entre deux fondements successifs d’une société politique : le principe de légitimité dynastique et son substrat religieux, puis l’appartenance nationale construite à partir de la volonté des citoyens.

102Le devenir de ce « pseudo-martyr » [75], ce « saint de contrebande » comme dit Béranger, créé de toutes pièces pour celui qui lui a même donné son nom, atteste de l’ampleur de l’inversion des rapports entre Église et État : à l’alliance mystique du trône et de l’autel succède la subordination de l’autel au trône, désormais seul garant du bonheur de ses sujets. Pour être plus prosaïque, « l’étatisme chrétien » [76] aboli par 1789 est remplacé par une étatisation des confessions religieuses : la mobilisation de la religion au service de l’État, fondé sur la souveraineté nationale, part d’un postulat positif – le catholicisme est la religion « professée par la grande majorité des Français », dit le Concordat – et sur la négation d’une entité ecclésiale qui puisse dépasser les frontières politiques et s’organiser hors des règles communes. Dans cette révolution, la puissance publique peut même se payer le luxe d’habiller sa potestas sous des oripeaux libéraux. Portalis, en bon théologien de l’État, explique que « la puissance publique doit se suffire à elle-même : elle n’est rien, si elle n’est pas tout » [77] : en conséquence, elle peut, au nom du principe supérieur qui est le sien, réduire celui de l’Église, dans laquelle « d’après les vrais principes catholiques, le pouvoir souverain en matière spirituelle réside dans l’Église et non dans le Pape, comme, d’après les principes de notre ordre politique, la souveraineté en matière temporelle réside dans la nation et non dans un magistrat particulier » [78]. Sans anticiper sur la séparation [79], la dissociation est effective entre un État qui se suffit à lui-même et une Église qui répugne de plus en plus à se plier, surtout jusque dans ce qu’elle a de plus sacré : la prière, à la raison d’État – d’autant que, dans ce siècle marial riche en apparitions, l’Église catholique romaine rechigne à associer un saint, surtout bien improbable, à la mère du Christ [80].

103C’est que la religion n’est plus l’origine du pouvoir, à laquelle les sujets (la fameuse règle du Cujus regio, ejus religio) et même le souverain, vicaire de Jésus-Christ dans l’ordre temporel, doivent se conformer en vue d’assurer leurs fins dernières. Au contraire, le souverain professe la religion de ses sujets. Inversion en apparence conforme aux nouveaux canons de la représentativité, on n’ose écrire de la démocratie, mais qui cache mal que l’État, quelle que soit sa forme, fondé sur la raison, dans son appétit insatiable de Léviathan, s’est largement substitué à l’Église : l’État en tant qu’institution médiatrice, la nation en tant que communauté de destin, le patriotisme en tant que doxa. Mais ce serait trop simple de conclure à un simple transfert de sacralité, car celle dont se revêt l’État, trop temporelle, trop matérielle, trop utilitaire, trop politique en un mot, n’en est pas réellement une. C’est peut-être une des origines du désenchantement dans la vieille Europe, où la longue lutte entre le sacerdoce et l’empire, entamée dès le Moyen Âge, s’est éteinte parce que le second a absorbé la vocation spirituelle dévolue au premier. Amère est la victoire ultime de la démocratie qui, pour s’être voulue absolue, se condamne à être intranquille.

104La puissance publique réduite à la personne qui l’exerce est devenue en elle-même digne de prière ; le souverain n’est plus seulement l’image ou le représentant de Dieu sur la terre, il est dans une philosophie politique séculière – que ce soit le régalisme étatique, c’est-à-dire la mainmise de la puissance publique qui entend conformer la religion à ses intérêts et à ses conceptions, ou le naturalisme démocratique, qui tend à aligner l’Église, dans son mode d’organisation comme son mode d’expression, sur les règles communes de la société – l’autre nom de Dieu.

Archives

105La partie 1 de cette publication reprend l’essentiel de notre article paru dans la Revue historique (voir infra), enrichi par un certain nombre de documents conservés aux Archives nationales dans le fonds Caprara, particulièrement les F/19/1908, F/19/1911, F/19/1918 et AF IV/1887.

106La partie 2, quant à elle, est construite sur le dossier conservé à l’Archivio Segreto Vaticano, Segr. Stato, Nunzi diversi 42, fasc. 3. Par une lettre du 26 octobre 2012, l’archiviste de la Congrégation pour la Cause des Saints, héritière de la Congrégation des Rites, nous a précisé que ce fonds ne possédait aucun document relatif à saint Napoléon.

Bibliographie

Orientation bibliographique

  • Argenziano Raffaele, « San Napoleone : la santittà del potere ossia il pottere delle santità » dans Visions of Holiness. Art and Devotion in Renaissance Italy, Georgia Museum of Art, University of Georgia 2001, pp. 213-229.
  • Benzoni Riccardo, « Il culto di San Napoleone. Ricerche erudite nella Milano napoleonica », dans Giornale di storia, 14 (2014).
  • Bindel Victor, Histoire religieuse de Napoléon, Paris, Jouve, 1940, 2 vol.
  • Boudon Jacques-Olivier, « Les fondements religieux du pouvoir impérial », dans Natalie Petiteau (dir.), Voies nouvelles pour l’histoire du Premier Empire, Territoires, pouvoirs, identités, Paris, La Boutique de l’histoire, 2003, pp. 195-221.
  • Boudon Jacques-Olivier, Napoléon et les cultes. Les religions en Europe à l’aube du XIXe siècle 1800-1815, Paris, Fayard, 2002.
  • Day-Hickman Barbara Ann, Napoleonic art: nationalism and the spirit of rebellion in France (1815-1848), Newark/Londres, University of Delaware Press/Associated University Presses, 1999, pp. 84-110.
  • Delehaye Hippolyte, « La légende de saint Napoléon », dans Mélanges d’histoire offerts à Henri Pirenne, Bruxelles, Vromant, 1926, t. 1, pp. 81-88.
  • Duvivier Charles, « Saint Napoléon », dans Revue de l’université de Bruxelles, t. XIV, 1908-1909, pp. 23-49.
  • Hazareesingh Sudhir, La légende de Napoléon, Paris, Tallandier, 2005.
  • Hazareesingh Sudhir, La Saint-Napoléon. Quand le 14 juillet se fêtait le 15 août, Paris, Tallandier, 2007.
  • Hoorebeeck Claude Van, La Saint-Napoléon et ses représentations. Les images de l’Empire, l’empire des images, Éditions de l’Hayette, 2012.
  • Kerautret Michel, « Napoléon et la quatrième dynastie : fondation ou restauration ? », dans Hélène Becquet et Bettina Frederking (dir.), La dignité de roi. Regards sur la royauté au premier XIXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, pp. 35-48.
  • Latreille André, L’Église catholique et la Révolution française. T. 2. L’ère napoléonienne et la crise européenne (1800-1815), Paris, Hachette, 1950.
  • Latreille André, Le catéchisme impérial de 1806, études et documents pour servir à l’histoire des rapports de Napoléon et du clergé concordataire, Paris, Les Belles Lettres, 1935.
  • Leniaud Jean-Michel, De Napoléon à la République. La basilique royale de Saint-Denis, Paris, Picard, 2012.
  • Lentz Thierry, Nouvelle histoire du Premier Empire, Paris, Fayard, 4 vol., 2002-2010.
  • Merceron Jacques E., Dictionnaire des saints imaginaires et facétieux, Paris, Seuil, 2002, pp. 913-917.
  • Petit Vincent, Église et nation. La question liturgique en France au XIXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010.
  • Petit Vincent, « Religion du souverain, souverain de la religion : l’invention de saint Napoléon », dans Revue historique, 663, 2012/3, pp. 643-658.
  • Plongeron Bernard, « Au sommet de la sacralité, la Saint-Napoléon et le catéchisme impérial », dans Des Résistances religieuses à Napoléon (1799-1813), Paris, Letouzey et Ané, 2006, pp. 257-278.
  • Saint-Martin Isabelle, « L’Apothéose de Napoléon », dans Napoléon.Images de légende, catalogue d’exposition, Musée de l’Image, Épinal, 2003, pp. 57-61.
  • Shusterman Noah, « Une loi de l’Église et de l’État. Napoléon and the central administration of religious life, 1800-1815 », dans French History, 21/3, 2007, pp. 313-330.
  • Tulard Jean, Le mythe de Napoléon, Paris, Armand Colin, 1971.

Notes

  • [1]
    Michel Vergé-Franceschi, Napoléon, une enfance corse, Paris, Bibliothèque historique Larousse, 2009.
  • [2]
    Vincent Petit, God save la France. La religion et la nation, Paris, Cerf, 2015.
  • [3]
    Brigitte Basdevant-Gaudemet, Le Jeu concordataire dans la France du XIXe siècle. Le clergé devant le Conseil d’État, Paris, PUF, 1988 ; Jean-Michel Leniaud, L’Administration des cultes pendant la période concordataire, Nouvelles Éditions latines, 1988 ; Jacques Lafon, Les Prêtres, les fidèles et l’État. Le ménage à trois du XIXe siècle, Paris, Beauchesne, 1987.
  • [4]
    Jacques-Olivier Boudon, « Les fondements religieux du pouvoir impérial », dans Natalie Petiteau (dir.), Voies nouvelles pour l’histoire du Premier Empire. Territoires, pouvoirs, identités, Paris, La Boutique de l’Histoire, 2003, pp. 195-212.
  • [5]
    Voir Procès-verbal de la cérémonie du sacre et couronnement de Napoléon, présentation et notes de Jean Tulard, Paris, Imprimerie nationale, 1993. Le sacre s’est déroulé suivant le pontifical romain : Prosper Guéranger, Institutions liturgiques, Le Mans/Paris, Fleuriot/Sagnier et Bray, 1841, t. 2, p. 665.
  • [6]
    Leçon VII de la 2e partie, voir André Latreille, Le catéchisme impérial de 1806, études et documents pour servir à l’histoire des rapports de Napoléon et du clergé concordataire, Paris, Les Belles Lettres, 1935, p. 80 et pp. 116-117 ; Bernard Plongeron, « Au sommet de la sacralité, la Saint-Napoléon et le catéchisme impérial », dans Des Résistances religieuses à Napoléon (1799-1813), Paris, Letouzey et Ané, 2006, pp. 257-278.
  • [7]
    Jacqueline Lalouette, Jours de fête. Jours fériés et fêtes légales dans la France contemporaine, Paris, Tallandier, 2010.
  • [8]
    Alain Corbin, « La fête de souveraineté », dans Alain Corbin, Noëlle Gérôme, Danielle Tartakowsky (dir.), Les usages politiques des fêtes aux XIX-XXe siècles, Paris, Publications de la Sorbonne, 1994, pp. 25-38.
  • [9]
    Selon la numérotation de la Vulgate, mais Psaume 20 selon la bible hébraïque. Il s’agit d’un des 13 psaumes dits royaux.
  • [10]
    Discours prononcé dans l’église de Saint-Martin de Montbéliard le 15 aoust 1806 à l’occasion de la fête anniversaire de la naissance de sa majesté l’Empereur Napoléon I et du rétablissement du culte en France, Montbéliard, Deckherr, fils, 1806, pp. 14-15.
  • [11]
    Pierre Birnbaum, Prier pour l’État. Les Juifs, l’alliance royale et la démocratie, Paris, Calmann-Lévy, 2005, pp. 56-57.
  • [12]
    Jean-Pierre Bois, Histoire des 14 Juillet, 1789-1919, Rennes, Éditions Ouest-France, coll. « Université », 1991, pp. 90-91.
  • [13]
    Jean-Baptiste Delaporte, Dictionnaire de droit et de pratique judiciaire civile, Paris, Garnery, 1807, p. 371.
  • [14]
    A. Perrot et Cl. Amoudru, Histoire de l’Ex-Garde depuis sa fondation jusqu’à son licenciement […], Paris, Delaunay, 1821, p. 162.
  • [15]
    Prosper Guéranger, Institutions liturgiques, Le Mans/Paris, Fleuriot/Sagnier et Bray, 1841, t. 2, p. 656.
  • [16]
    Cyrus le Grand (VIe siècle avant Jésus-Christ), fondateur de l’Empire perse, restaura les édifices religieux lorsqu’il conquiert Babylone et devint l’oint de Yahvé pour avoir autorisé les Juifs à rentrer à Jérusalem (Isaïe 45, 1-3).
  • [17]
    Martyrologe Romain publié par l’ordre de Grégoire XIII, revu par l’autorité d’Urbain VIII et de Clément XIII, édition augmentée et corrigée par le pape Benoît XIV... Paris, Le Clère, 1830, p. 123.
  • [18]
    L’office sanctoral de rite double compte neuf leçons. Elles sont récitées par le prêtre durant l’office de matines, en latin, mais elles peuvent fournir la substance du prône et intéressent donc aussi les fidèles. Quand deux offices tombent le même jour (on parle alors d’occurrence), celui de rite moindre est réduit et rappelé par une mémoire (ou commémoraison) qui consiste, à l’office de matines, à réciter la neuvième leçon dite historique car elle est un résumé de la vie du saint en question.
  • [19]
    Robert Morrissey, Napoléon et l’héritage de la gloire, Paris, PUF, 2010.
  • [20]
    J.H.R. Prompsault, Dictionnaire raisonné..., op. cit., t. 3, Encyclopédie théologique, vol. 38, 1849, col. 592.
  • [21]
    Jean-Michel Leniaud, De Napoléon à la République. La basilique royale de Saint-Denis, Paris, Picard, 2012.
  • [22]
    Ch. Quin-Lacroix, Histoire de l’église Sainte-Geneviève patronne de Paris et de la France ancien Panthéon français, Paris, Sagnier et Bray, 1852, p. 106.
  • [23]
    Rappelons que l’Église fête un saint le jour de sa mort et non le jour de sa naissance.
  • [24]
    Pierre Blet, « Légat (époque moderne et contemporaine) », dans Philippe Levillain (dir.), Dictionnaire historique de la papauté, Paris, Fayard, 1994, p. 1014 ; Bernard Barbiche et Ségolène de Dainville-Barbiche, « Les légats a latere à l’époque moderne et le personnel des légations », dans Bernard Barbiche, Bulla, Legatus, Nuntius. Études de diplomatique et de diplomatie pontificales (XIIIe-XVIIe siècle), Paris, École des Chartes, 2007, Mémoires et documents de l’École des chartes 85, pp. 283-293.
  • [25]
    Jean Evenou, « Liturgia e culto dei santi (1815-1915) » et Pietro Stella, « Santi per giovani e santi giovani nell’ottocento », dans Emma Fattorini (dir.), Santi, culti, simboli nell’età della secolarizzazione (1815-1915), Turin, Rosenberg et Sellier, 1997, pp. 43-65 et pp. 563-586.
  • [26]
    Philippe Boutry, « Le procès super non cultu source de l’histoire des pèlerinages. Germaine Cousin et le sanctuaire de Pibrac au lendemain de la Révolution française », dans Bibliothèque de l’École des chartes, vol. 154/2, 1996, pp. 565-590 ; Yves-Marie Hilaire (dir.), Benoît Labre. Errance et sainteté. Histoire d’un culte 1783-1983, Paris, Cerf, 1984 ; Marina Caffiero, La fabrique d’un saint à l’époque des Lumières, Paris, Éditions de l’EHESS, 2006.
  • [27]
    Prosper Guéranger, Institutions liturgiques, Le Mans/Paris, Fleuriot/Sagnier et Bray, 1841, t. 2, p. 658, à propos du sacre de 1804 : « La royauté de nos jours, absolue ou constitutionnelle, n’est plus taillée à la mesure des anciens jours. Les peuples, au contraire, ne demandent qu’à se nourrir des plus pures émotions de la liturgie. »
  • [28]
    Nous renvoyons à dom Jacques Dubois et Jean-Loup Lemaître, Sources et méthodes de l’hagiographie médiévale, Paris, Le Cerf, 1993, chap. IV, p. 103 sq., et plus ancien, dom Henri Quentin, Les martyrologes historiques du Moyen Âge. Étude sur la formation du martyrologe romain, Paris, Lecoffre, 1908.
  • [29]
    Acta Sanctorum. Maii, t. 1 (vol. 14), Paris, Victor Palmé, 1866, p. 183. L’édition originale est Acta Sanctorum. Maii, t. 1 (vol. 5), 1680, p. 180. Voir Robert Godding, Bernard Joassart, Xavier Lequeux, François de Vriendt, Joseph van der Straeten, Bollandistes. Saints et légendes. Quatre siècles de recherche, Bruxelles, Société des Bollandistes, 2007.
  • [30]
    Le point de la question dans Hippolyte Delehaye, « La légende de saint Napoléon », dans Mélanges d’histoire offerts à Henri Pirenne, Bruxelles, Vromant, 1926, t. 1, pp. 81-88, repris dans les Mélanges d’hagiographie grecque et latine, Bruxelles, Société des Bollandistes, coll. « Subsidia hagiographica » 42, 1966. Voir aussi Sanctus. Essai sur le culte des saints dans l’Antiquité, Bruxelles, Société des Bollandistes, coll. « Subsidia hagiographica » 17, 1927, pp. 214-216.
  • [31]
    Jean-Marc Ticchi, Le Voyage de Pie VII à Paris pour le sacre de Napoléon (1804-1805). Religion, politique et diplomatie, Paris, Honoré Champion, 2013, pp. 107-112.
  • [32]
    Sur le fonctionnement de ces congrégations particulières, G. Pelletier, op. cit., pp. 74-80.
  • [33]
    Bruno Neveu, « Juge suprême et docteur infaillible : le pontificat de la bulle In eminenti (1643) à la bulle Auctorem fidei (1794) », dans Mélanges de l’École Française de Rome. Moyen Âge-Temps modernes, t. 93/1, 1981, pp. 215-275 ; Philippe Boutry, « Autour d’un bicentenaire. La bulle Auctorem fidei (28 août 1794) et sa traduction française (1850) par le futur cardinal Clément Villecourt », dans Mélanges de l’École Française de Rome. Italie-Méditerranée, t. 106/1, 1994, pp. 203-261, et « Tradition et autorité dans la théologie catholique au tournant des XVIIIe et XIXe siècles. La bulle Auctorem fidei (28 août 1794) », dans Jean-Dominique Durand (dir.), Histoire et théologie. Actes de la Journée d’études de l’Association française d’histoire religieuse contemporaine, Paris, 1994, pp. 59-82 ; G. Pelletier, op. cit., pp. 77-80, pp. 285-299. La bulle alors en projet portait le nom de Quo primum tempore, en référence à celle de Pie V promulguant le missel romain : Lajos Pasztor, « La curia romana e il giansenismo. La preparazione della bolla Autorem fidei », dans Actes du colloque sur le jansénisme organisé par l’Academia Belgica. Rome, 2 et 3 novembre 1973, Louvain, 1977, Bibliothèque de la Revue d’Histoire ecclésiastique, vol. 64, pp. 89-102, et Pietro Stella, « “Quo primum tempore” : progetto di bolla pontificia per la condanna del sinodo di Pistoia (1794)», dans Rivista di Storia della Chiesa in Italia, XLV/1, 1991, pp. 1-41.
  • [34]
    ASV, Segr. Stato, Nunzi diversi 42, fasc. 3, ff. 35-74. Toutes les citations suivantes en sont tirées.
  • [35]
    Il s’agit du rite le plus élevé en solennité dans la liturgie romaine. L’Assomption bénéficie en outre d’une octave.
  • [36]
    L’origine de tous les cultes, ou la religion universelle, en trois volumes de textes et un volume de planches in-4, ou douze volumes in-8 abondamment illustrés (1795). Charles-François Dupuis avait été président du Corps législatif du 22 novembre au 7 décembre 1801.
  • [37]
    Il cite la 41e dissertation des Antiquitates Italiacæ Medii Ævii (1738-1743) de Muratori, et le tome 4 Du nouveau traité de diplomatique de dom Toustain et dom Tassin (Paris, 1750-1765).
  • [38]
    ASV, Segr. Stato, Nunzi diversi 42, fasc. 3, ff. 75-104. Toutes les citations qui suivent renvoient à ces feuilles.
  • [39]
    En 1653, le gouverneur et le Sénat de Milan avaient ordonné que la fête de saint Dominique soit observée tous les ans avec cessation d’œuvres serviles. Le pape avait aussitôt condamné et cassé cette décision.
  • [40]
    Bernard Plongeron, « Cyrus ou les lectures d’une figure biblique dans la rhétorique religieuse, de l’Ancien Régime à Napoléon », dans Revue d’Histoire de l’Église de France, 180, 1982, pp. 31-67 ; Jean-Pierre Bertho, « Naissance et élaboration d’une “théologie” de la guerre chez les évêques de Napoléon (1802-1820) », dans Jean-René Derré, Jacques Gadille, Xavier de Montclos et Bernard Plongeron (dir), Civilisation chrétienne. Approche historique d’une idéologie XVIIIe-XXe siècle, Paris, Beauchesne, 1975, pp. 89-104.
  • [41]
    Pierre Birnbaum, Prier pour l’État. Les Juifs, l’alliance royale et la démocratie, Paris, Calmann-Lévy, 2005, pp. 55-56.
  • [42]
    Louis François Joseph Bausset, baron de Roquefort, Mémoires anecdotiques sur l’intérieur du palais, tome IV, Paris, Levasseur, 1828-1829, pp. 176, 186, 211 et 251.
  • [43]
    Veit Verletze, Napoleon: Trikolore und Kaiseradler über Rhein und Weser, Preußen-Museum Nordrhein-Westfalen, 2007, p. 95.
  • [44]
    Antoine Claude Pasquin, Voyage en Italie, guide du voyageur et de l’artiste, Bruxelles, Société belge de libraire, 1838, p. 137.
  • [45]
    Lettre de Corneille Stevens touchant la situation désolante de la religion en France [...], 1806, pp. 55-62.
  • [46]
    Joseph Jauffret, Mémoires historiques sur les affaires ecclésiastiques de France pendant les premières années du XIXe siècle, Paris 1824, t. 3, p. 58 et suivantes.
  • [47]
    Lettre l’abbé Girard à l’abbé Monnot, 31 juillet 1804, cité dans L’Odyssée d’un prêtre réfractaire. La correspondance de l’abbé Monnot, Besançon, Amis des Archives de Franche-Comté, 2011, p. 229.
  • [48]
    Pierre Vinson, Adresse aux deux chambres en faveur du culte catholique et du clergé de France […], Paris, Eberhart, 1815, p. 18.
  • [49]
    Recueil de pièces pour servir à l’histoire ecclésiastique à la fin du XVIIIe siècle et au commencement du XIXe, 1823, p. 703.
  • [50]
    Bruno Neveu, Érudition et religion aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Albin Michel, 1994 ; Corrado Viola, Canoni d’Arcadia : Muratori, Maffei, Lemene, Ceva, Quadrio, Pise, ETS cop., 2009.
  • [51]
    G. Ellis cité par N. Shusterman, art. cit., p. 324.
  • [52]
    The Monthly repository of theology and general literature, Hackney, Sherwood, Neely and Jones, 1819, vol. 14, p. 315.
  • [53]
    Bulletin des lois, 1814, cité dans Jacqueline Lalouette, op. cit., p. 25. Voir J.H.R. Prompsault, Dictionnaire raisonné…, op. cit., t. 1, col. 213-214.
  • [54]
    Sudhir Hazareesingh, La Saint-Napoléon. Quand le 14 juillet se fêtait le 15 août, Paris, Tallandier, 2007.
  • [55]
    Bernard Ménager, Les Napoléon du peuple, Paris, Aubier, « Collection historique », 1992.
  • [56]
    Voir Gilles Malandain, « Jalons pour une histoire du pèlerinage au(x) tombeau(x) de Napoléon », dans Luc Chantre, Paul d’Hollander et Jérôme Grévy (dir.), Politiques du pèlerinage du XVIIe siècle à nos jours, Rennes, PUR, 2014, pp. 297-314.
  • [57]
    Cité dans Philippe Muray, Le XIXe siècle à travers les âges, Paris, Gallimard, 1999, p. 420.
  • [58]
    Franck P. Bowman, Le Christ romantique, Genève, Librairie Droz, 1973, et Le Christ des barricades 1789-1848, Paris, Cerf, 1987.
  • [59]
    Recueil de pièces pour servir à l’histoire ecclésiastique à la fin du XVIII siècle et au commencement du XIXe, 1823, p. 753.
  • [60]
    Cité dans le Dictionnaire des girouettes, Paris, Librairie Alexis Eymery, 1815, p. 257.
  • [61]
    Cité dans le Dictionnaire des girouettes, Paris, Librairie Alexis Eymery, 1815, pp. 256-258.
  • [62]
    Supplément à l’ouvrage intitulé : de Buonaparte et des Bourbons, Paris, 1814, p. 25.
  • [63]
    C’est le tome 3 de son Histoire des sectes religieuses, Paris, Baudouin, 1828, p. 110 et suivantes. Voir aussi son opuscule, De la Constitution française de l’an 1814, Paris, Imprimerie Egron, 1814, 2e éd.
  • [64]
    Nous renvoyons à notre ouvrage, Église et nation. La question liturgique en France au XIXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010.
  • [65]
    Vie des Pères, des martyrs et des autres principaux saints [...] par Alban Butler, nouvelle édition, Versailles, Lebel, 1811, t. 7, pp. 260-261.
  • [66]
    Gérard de Puymège, Chauvin, le soldat-laboureur. Contribution à l’étude des nationalismes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 1993.
  • [67]
    Saint Roch est traditionnellement représenté en compagnie de cet animal.
  • [68]
    Nous avons développé cet aspect dans Vincent Petit, Église et nation. La question liturgique en France au XIXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010.
  • [69]
    Annette Pinchedez, Croyances et coutumes des gens de rivières et de canaux. Histoire et dictionnaire, Paris, Tallandier, 1992.
  • [70]
    Georg May, Das Recht des Gottesdienstes in der Diözese Mainz zur Zeit von Bischof Joseph Ludwig Colmar (1802-1818), Amsterdam, Grüner Publishing Company, 1987, vol. 2, p. 147. L’ouvrage contient de nombreuses données sur les célébrations de la Saint-Napoléon dans l’Allemagne occupée.
  • [71]
    Florence Buttay et Axelle Guillausseau (dir.), Des saints d’État ? Politique et sainteté au temps du concile de Trente, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, coll. Roland Mousnier, 2012.
  • [72]
    Emilio Gentile, Les religions de la politique. Entre démocraties et totalitarismes, Paris, Seuil, coll. « La couleur des idées », 2005.
  • [73]
    Maurice Agulhon, Marianne au combat. L’imagerie et la symbolique républicaine de 1789 à 1880, Paris, Flammarion, 1979.
  • [74]
    Florence Buttay et Axelle Guillausseau (dir.), op. cit.
  • [75]
    Bernard Plongeron, « Au sommet de la sacralité… », p. 257.
  • [76]
    Défini par Sylvio Hermann de Franceschi comme « la voie moyenne d’un régalisme gallican dépouillé de son antiromanisme », dans La crise théologico-politique du premier âge baroque. Antiromanisme doctrinal, pouvoir pastoral et raison du prince : le Saint-Siège face au prisme français (1607-1627), Rome, École française de Rome, 2009, p. 644.
  • [77]
    Cité dans Bernard Plongeron, Théologie et politique au siècle des Lumières (1770-1820), Genève, Droz, 1973, p. 253. Voir Claude Langlois, « Philosophe sans impiété et religieux sans fanatisme. Portalis et l’idéologie du système concordataire », dans Ricerche di storia sociale e religiosa, 15-16, 1979, pp. 37-57.
  • [78]
    Cité dans Bernard Plongeron, Théologie et politique…, op. cit., p. 356.
  • [79]
    La Saint-Napoléon est évoquée lors des débats qui ont lieu au Sénat le 9 décembre 1891 par le sénateur du Gard, Auguste Dide, par ailleurs pasteur protestant : « En France, [l’Église] a eu l’intelligence – voulez-vous me permettre d’ajouter, vous ne protesterez pas –, elle a eu le patriotisme de comprendre que la raison d’Église devait être associée et même subordonnée à la raison d’État. »
  • [80]
    Le pape Pie XI, reprenant la teneur du vœu de Louis XIII, a fait de la Vierge Marie en son Assomption la « principale patronne » de la France le 2 mars 1922.
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