Notes
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[*]
Cet article est basé sur une conférence présentée au 14e congrès international de l’ACAPS, Rennes, 24–26 Octobre 2011.
1La signification de la lactatémie est différente au cours de l’exercice court et intense [puissance > VO2max ; durée <8 min (Lacour, Padilla-Magunacelaya, Chatard, Arsac, & Barthelemy, 1991)] et de l’exercice prolongé et d’intensité plus basse : 95 % VO2max pendant 15 min, 90 % pendant 30 min, 85 % pendant 90 min etc., variable selon l’endurance) (Peronnet & Thibault, 1989).
1 – La glycolyse et le métabolisme du lactate
1.1 – Contribution de la glycolyse anaérobie à la fourniture d’énergie
2Dans l’exercice court et intense, une portion importante de l’énergie est fournie par le métabolisme anaérobie : dégradation de la phosphocréatine et glycolyse anaérobie. Environ 40 à 55 % de l’énergie sont fournis par la glycolyse anaérobie pour des exercices soutenus à la puissance la plus élevée possible et qui durent entre 20 et 200 s (200 au 1500 m en course à pied) (Gastin, 2001). Ceci explique que dans ces exercices la lactatémie s’élève de façon linéaire en fonction du temps (Hermansen, 1969 ; Hirvonen, Nummela, Rusko, Rehunen, & Harkonen, 1992) jusqu’aux valeurs maximales rapportées dans notre espèce [20 à 30 mmol/L en exercice continu (Hanon, Lepretre, Bishop, & Thomas, 2010 ; Hanon, Rabate, & Thomas, 2011 ; Lacour, Bouvat, & Barthelemy, 1990 ; Nielsen, 1999 ; Osnes & Hermansen, 1972) ; repos 1 mmol/L]. Le pic de la lactatémie est observé plusieurs minutes après la fin de l’exercice. Ce « rebond » de la lactatémie est simplement dû au délai nécessaire entre la production de lactate dans le muscle et sa distribution dans l’espace-lactate.
3Pour le 100 m il n’est pas nécessaire de recruter toute la capacité glycolytique anaérobie et la lactatémie finale est un peu plus basse (~13?15 mmol/L) (Kinderman & Keul, 1977). Au-del du 1500 m la puissance maintenue devient trop faible pour recruter toute la capacité glycolytique anaérobie et la lactatémie finale décroît progressivement avec la durée [ex : ~15 mmol/L pour le 3000 et 5000 m, et ~10 mmol/L pour le 10 000 m (Kinderman & Keul, 1977) ; moins de 2 mmol/L pour le Marathon (O’Brien, Viguie, Mazzeo, & Brooks, 1993)]. Pour un effort de 500 s, la glycolyse anaérobie ne fournit que ~10 % de l’énergie (Gastin, 2001), ce pourcentage tombe à ~2,5 % pour un exercice de 30 min, ~1 % pour un exercice de 60 min et moins de 0,5 % pour un exercice de 120 min (Peronnet & Thibault, 1989). Dans ces exercices prolongés, la lactatémie augmente au début de l’exercice, même à des puissances très basses, et peut atteindre des valeurs élevées après quelques minutes d’exercices [~10 mmol/L (Kenefick, Mattern, Mahood, & Quinn, 2002)]. Après cette augmentation initiale, toute l’énergie est fournie par le métabolisme aérobie, la lactatémie se stabilise donc ou dérive lentement vers le haut ou vers le bas jusqu’à l’arrêt de l’exercice où l’on n’observe pas ou peu de rebond (Hermansen & Stensvold, 1972 ; Nielsen, Bredmose, Stromstad, Volianitis, Quistorff, & Secher, 2002).
1.2 – Glycolyse anaérobie : fermentation du glucose en lactate
4Le lactate (C3H5O?3) est le produit final de la glycolyse anaérobie qui fournit de l’ATP à partir du glucose (C6H12O6) circulant ou du glycogène musculaire et qui se déroule dans le cytosol (Poortmans, 2009). Strictement parlant, la dégradation du glycogène fournit des unités glycosyles ou glucosyles, mais on peut, par simplicité, les assimiler à du glucose. Le produit final de la glycolyse est le lactate et non l’acide lactique : il n’y a jamais d’acide lactique dans l’organisme (Robergs, Ghiasvand, & Parker, 2004) (pour la relation entre lactate et pH voir par exemple Hochachka & Mommsen, 1983 ; Jones, 1980 ; Lindinger, 1995). Enfin, il n’y a qu’un lactate comme il n’y a qu’un glucose : on ne dit pas « les glucoses libérés par le foie » ; il n’y a donc pas de raison de parler « des lactates ».
5L’énergie nécessaire à la synthèse de l’ATP est libérée lorsque le glucose est oxydé et scindé en (deux) pyruvate (C3H4O?3) en perdant des atomes d’hydrogène et les électrons qui les accompagnent (oxydation = perte d’électrons). Dans le métabolisme aérobie l’accepteur final des électrons est l’O2 avec formation d’eau. Dans le métabolisme glycolytique anaérobie, l’accepteur final est le pyruvate qui est réduit en lactate (réduction = gain d’électrons). Cette réaction est une fermentation. La glycolyse anaérobie est la fermentation du glucose en lactate. La définition et le critère du métabolisme glycolytique anaérobie sont que le pyruvate est l’accepteur des électrons, et que le lactate formé s’accumule. Inversement, la définition et le critère du métabolisme aérobie sont que l’O2 est l’accepteur final des électrons avec formation d’eau métabolique.
1.3 – Lactate présent, produit, éliminé, qui s’accumule
6Il y a toujours du lactate présent dans l’organisme où du lactate est produit et éliminé en permanence. Si la quantité de lactate produite est égale à celle éliminée, la quantité de lactate présente n’est pas modifiée et la lactatémie ne varie pas (ou varie peu : voir ci-dessous la question de l’espace-lactate). Dans ces conditions, quelle que soit la quantité de lactate présente, la lactatémie et les flux de lactate produit et éliminé, tous les électrons sont finalement acceptés par l’O2 : il n’y a pas de production d’énergie anaérobie ; l’ATP produit par la glycolyse (ATP glycolytique) est de l’ATP aérobie.
7De l’énergie anaérobie n’est produite que si le flux de lactate produit excède le flux éliminé et si, par conséquent, la quantité de lactate présente s’élève et avec elle la lactatémie. C’est ce qui se passe à l’exercice intense de courte durée où la lactatémie s’élève de façon franche. Dans ces conditions, l’ATP glycolytique est totalement ou en partie anaérobie : totalement s’il n’y a pas de lactate éliminé et si tous les électrons restent donc sur le lactate ; en partie si une partie du lactate produit est éliminée et si une partie des électrons dont le lactate est transitoirement dépositaire est finalement acceptée par l’O2. La quantité d’énergie anaérobie fournie par la glycolyse dépend donc de la quantité de lactate qui s’accumule pendant la période considérée.
8À l’exercice prolongé la lactatémie est supérieure aux valeurs de repos, mais reste à peu près stable et ceci même à des puissances proches du VO2max. Par exemple dans l’étude de Kenefik et al. (2002), chez de bons cyclistes (VO2max = 4,9 L/min) qui effectuent un contre-la-montre simulé de 20 km en 36 min à ~90 % VO2max, la lactatémie est stable à ~10 mmol/L pendant tout l’exercice. Dans cette situation, comme au repos, ceci ne signifie pas qu’il n’y a pas de lactate produit et éliminé de l’organisme, en quantités égales, pendant l’exercice. Selon la puissance de l’exercice, le flux de lactate (produit et éliminé) peut varier de ~5 à 10 mmol/min (0,5 à 1,0 g/min) (Van Hall, 2010 ; Van Hall, Jensen-Urstad, Rosdahl, Holmberg, Saltin, & Calbet, 2003). C’est la navette du lactate (Brooks, 1986). Par contre, la lactatémie et le flux de lactate plus élevés qu’au repos ne signifient pas que de l’énergie anaérobie est produite. La lactatémie étant stable, tous les électrons qui ont transité un moment avec le lactate sont finalement entièrement acceptés par l’O2, ce qui est le critère et la définition de l’aérobiose.
1.4 – Élimination du lactate après et pendant l’exercice
9Après l’exercice la lactatémie revient aux valeurs basales avec une demi-vie de ~20 à ~40 min (Freund & Zouloumian, 1981). Le lactate est un cul de sac métabolique : pour l’éliminer il est oxydé en pyruvate et les électrons sont finalement acceptés par l’O2. Quant au pyruvate il est oxydé ou converti en glucose ou en glycogène selon des mécanismes que l’on ne peut détailler ici. On retiendra simplement qu’ils nécessitent beaucoup d’O2 : 750 mL d’O2 par g de lactate pour son oxydation qui est la voie d’élimination la plus rapide. Ceci explique que le lactate disparaisse lentement de l’organisme après l’exercice et que la quantité de lactate qui est éliminée pendant l’exercice est faible. Les mesures et les estimations du flux de la navette du lactate n’excède pas 1 g/min (Van Hall, 2010 ; Van Hall et al., 2003). Cette observation faite à l’exercice prolongé est importante aussi pour l’exercice intense de courte durée où la production de lactate est considérable (plusieurs dizaines de grammes en moins d’une minute : voir plus loin) et excède largement le flux de lactate éliminé par oxydation compte tenu du VO2 disponible qui est très faible. Par exemple, au cours d’un 400 m couru en 53,8 s Hanon et al. (2010) montrent que le volume d’O2 consommé est de 2,5 L d’O2 seulement alors que la quantité de lactate accumulée est sans doute voisine de 60 g. En supposant que les sujets n’oxydent que du lactate pendant la course (hypothèse absurde car en 53,8 s le lactate produit n’a même pas le temps d’être distribué à l’ensemble de l’organisme), la quantité oxydée n’est que 3,3 g. Cet exemple montre qu’au cours de l’exercice court et intense il n’y a pas de lactate éliminé, ou très peu : tout le lactate produit est accumulé.
2 – Exercice court intense : production d’énergie anaérobie glycolytique
2.1 – Rendement bioénergétique de la glycolyse anaérobie
10La fermentation d’une mole de glucose (180 g ; potentiel énergétique de 670 kcal/mole) en deux moles de lactate (2 × 89 g/mole) libère 47 kcal/mole (Lehninger, 1981) : l’équivalent énergétique du lactate (quantité d’énergie fournie par gramme de lactate accumulé) est de 47/178 = 0,264 kcal/g. L’énergie du glucose qui n’a pas été libérée dans la glycolyse (670?47 = 623 kcal) se retrouve dans les deux moles de lactate accumulées et en est libérée quand le lactate est oxydé.
11Le pourcentage de l’énergie potentielle du glucose libérée dans la glycolyse est faible (47 kcal sur 670 kcal), mais le rendement de la glycolyse qui est la quantité d’énergie récupérée sous une forme utile pour la cellule, c’est à dire sous forme d’ATP, est élevé. En effet, 2 ou 3 moles d’ATP nettes sont fournies par la glycolyse selon qu’elle utilise le glucose circulant ou provenant du glycogène musculaire (Poortmans, 2009). Or, au cours de l’exercice intense de courte durée, le glucose utilisé provient essentiellement du glycogène musculaire dont le contenu diminue en miroir de l’augmentation de la concentration de lactate dans le muscle (Hermansen & Vaage, 1977 ; Medbo, Jebens, Noddeland, Hanem, & Toska, 2006). Ceci est dû à ce que dans ce type d’effort la production et l’accumulation de lactate sont de plusieurs dizaines de grammes par minute (voir ci-dessous) alors que le taux auquel le glucose circulant peut entrer dans les fibres musculaires n’excède sans doute pas 1 à 2 g/min (Hawley, Bosch, Weltan, Dennis, & Noakes, 1994).
12Ainsi à l’exercice intense de courte durée, pour chaque mole de glucose (provenant du glycogène musculaire) fermentée, 3 moles d’ATP sont synthétisées. Comme l’hydrolyse de l’ATP dans la cellule musculaire fournit ~12 kcal/mole, le rendement bioénergétique de la synthèse de l’ATP glycolytique est de (3 × ~12)/ 47 ~ 0,77 (~77 %), supérieur à celui du métabolisme aérobie : ~36 moles d’ATP (soit ~432 kcal) par mole de glucose (670 kcal) soit un rendement bioénergétique de ~65 %. La glycolyse n’est donc pas une voie métabolique inefficace : certes elle ne récupère qu’un faible pourcentage de l’énergie potentielle du glucose ; en revanche, avec cette petite quantité d’énergie libérée, elle fabrique proportionnellement plus d’ATP que n’en fabrique le métabolisme aérobie ; enfin l’énergie non récupérée n’est pas perdue, elle est conservée dans le lactate et elle est libérée lorsque le lactate est oxydé.
2.2 – Estimation de la quantité de lactate accumulée
13Pour mesurer la production d’énergie par la glycolyse anaérobie au cours d’un exercice court et intense, il suffit de mesurer la quantité de lactate accumulée dans l’organisme et de la multiplier par son équivalent énergétique (0,264 kcal/g). Toutefois, il faut pour cela sacrifier l’organisme en question, homogénéiser la carcasse, et centrifuger pour obtenir le volume de liquide où le lactate est dissous et où on peut doser sa concentration. Pour des raisons pratiques et éthiques, ces mesures ne peuvent être faites que sur des représentants d’espèces de taille réduite et assez éloignées de la nôtre : reptiles ou batraciens (Feder & Arnold, 1982).
14Chez l’homme, l’accumulation de lactate dans l’organisme peut être calculée à partir de la variation de la lactatémie et d’une estimation de l’espace de distribution du lactate ou espace-lactate, qui est, par définition, le volume virtuel de liquide où se distribue de façon homogène le lactate présent à une concentration égale à celle observée dans le plasma du sang artériel. Malheureusement, la détermination de l’espace-lactate est difficile. Margaria, qui a été le premier à utiliser cette approche, considérait l’espace-lactate égal à toute l’eau de l’organisme [720 mL/kg (Margaria & Edwards, 1934) ou 600 mL/kg (Margaria, Cerretelli, di Prampero, Massari, & Torelli, 1963)]. Plus tard, lui-même et ses successeurs de l’École italienne de physiologie de l’exercice (voir di Prampero & Ferretti, 1999, pour revue) ont proposé un équivalent en O2 de la lactatémie, qui est la quantité d’O2 qu’il faut consommer pour libérer la quantité d’énergie correspondant à une augmentation de la lactatémie de 1 mmol/L, ce chiffre variant entre 2,7 et 3,3 mL O2/kg par mmol de lactate/L (di Prampero & Ferretti, 1999). En utilisant 5 kcal/L O2 comme équivalent énergétique approximatif de l’O2, et l’équivalent énergétique du lactate (0,264 kcal/g), et en tenant compte de ce que le rendement bioénergétique du métabolisme aérobie est de 0,65 et celui de la glycolyse de 0,77, ces chiffres correspondent implicitement à un espace-lactate variant de 594 à 486 mL/kg, soit égal ou un peu inférieur à l’eau de l’organisme chez un sujet mince. Toutefois, l’incertitude sur la valeur de l’espace-lactate est trop grande pour que cette méthode soit d’un grand intérêt et elle est très peu utilisée.
15En fait, dans une situation donnée il est impossible d’estimer précisément l’espace-lactate, car il varie. Ceci tient à ce que le lactate se distribue dans les liquides de l’organisme en fonction de leur pH car les transporteurs du lactate à travers la membrane plasmique (transporteurs des composés carboxylés ou MCT) sont des co-transporteurs lactate-protons (Thomas, Bishop, Lambert, Mercier, & Brooks, 2012). Le lactate se distribue donc préférentiellement dans les liquides moins acides : plus dans le plasma (pH = 7,35?7,45 au repos et jusqu’à ~7 l’exercice très intense) que dans le muscle au repos ou qui travaille peu (pH ~7) ; et plus dans le muscle au repos que dans le muscle qui travaille de façon intense (pH ~6,5). Au cours de l’exercice supra-maximal, il est difficile de prévoir le pH et le volume des divers compartiments où peut se distribuer le lactate. Il est notamment difficile de prévoir le pH du plasma, qui dépend pour une part importante de la compensation ventilatoire de l’acidose, laquelle varie d’un sujet à l’autre et pour un sujet donné d’un exercice à l’autre (Osnes & Hermansen, 1972).
16L’effet des variations du pH du plasma sur la distribution du lactate et l’espace-lactate, est bien illustré par les résultats des études faites sous agents alcalinisants. Par exemple, dans l’étude de Nielsen, et al. (2002) des rameurs de haut niveau effectuant un 2000 m simulé sur ergomètre à ramer ont recu en perfusion intraveineuse du bicarbonate de sodium. Ceci améliore peu la performance (médiane = 6 min 21 s contre 6 min 28 s) bien que le pH artériel baisse beaucoup moins (7,249 contre 7,042 dans la situation contrôle ; valeur de départ ~7,4). Par contre, la lactatémie finale est beaucoup plus élevée : 26,2 contre 16,3 mmol/L (valeur pré-exercice ~2,2 mmol/L). Comme la quantité de lactate accumulée n’est sans doute pas différente dans les deux situations, la différence de lactatémie reflète simplement une accumulation préférentielle de lactate dans le plasma compte tenu de son pH plus élevé sous perfusion de bicarbonate.
2.3 – Capacité et puissance de la glycolyse anaérobie
17Ces limitations des méthodes de mesure de la quantité de lactate accumulée expliquent pourquoi il est impossible de mettre un chiffre précis sur la capacité de la glycolyse anaérobie et sur sa puissance maximale. Toutefois, en recoupant les données obtenues par les diverses méthodes disponibles on peut en donner des estimations plausibles. Ce sont des données de « manuel de physiologie de l’exercice » qu’il faut considérer comme des ordres de grandeur, pour fixer les idées (certains manuels évitent même d’aborder la question).
18Chez un sujet masculin jeune et très actif, la quantité totale de lactate qui peut être accumulée au cours d’un exercice supra-maximal poursuivi jusqu’à épuisement d’une durée comprise entre ~20 s et 3 ou 4 min est d’environ une mole (89 g) (Astrand, Rodahl, Dahl, & Stromme, 2003, p. 250 et suivantes) ; un peu plus pour les sujets avec une grosse masse musculaire et lors d’exercices mettant en jeu de grosses masses musculaires ; donc un peu moins sans doute pour la femme dont la masse musculaire est plus petite et pour un sujet moins actif et plus léger. Un chiffre simple à retenir et qui est sans doute assez près de la réalité est de 1 g de lactate accumulé/kg de masse corporelle. Ceci correspond à une quantité totale d’énergie relativement faible : pour un sujet de 75 kg : 0,264 × 75~20 kcal. À titre de comparaison chez un sujet jeune et actif de 75 kg dont le VO2max est de 60 mL/kgxmin le métabolisme aérobie fournit ~550 kcal au cours d’un effort de 30 min effectué a 90 % VO2max. Par contre la capacité glycolytique est totalement disponible pour un effort qui dure environ ~30 s. La puissance maximale de la glycolyse anaérobie serait donc de 20 × 420/30~2800 W (il y a 4200 J/kcal), ce qui est bien supérieur à la puissance maximale aérobie correspondant à un VO2max de 60 mL/kgxmin (~1580 W). Si l’on tient compte du rendement bioénergétique de ces deux voies métaboliques, la différence de puissance maximale qui peut être soutenue grâce à l’ATP synthétisé est plus grande encore : 2800 × 0,77~2150 W contre 1580 × 0,65~1000 W, donc plus que du simple au double.
19Sa grande puissance explique que la glycolyse anaérobie soit la source d’énergie dans les situations d’urgence grâce à laquelle nos ancêtres lointains ont pu vivre et survivre dans des conditions de vie plus difficiles que les nôtres et avoir des descendants. De nos jours et dans nos sociétés où la vie quotidienne sollicite peu cette source d’énergie, elle est presque uniquement utilisée dans les activités sportives ou récréatives.
2.4 – Performance et lactatémie
20La quantité d’énergie fournie par la glycolyse anaérobie étant proportionnelle à la quantité de lactate accumulée pendant l’exercice, plus la quantité de lactate accumulée est grande, plus grande est la quantité d’énergie fournie et meilleure est la performance dans les efforts intenses de courte durée. Ceci a été bien montré par Lacour et al. (1990) chez les meilleurs coureurs masculins et féminins français de 400 et 800 m qu’ils ont suivis pendant une année de compétition en 1987 : une relation linéaire apparaît entre la vitesse soutenue et la lactatémie finale sur les deux distances de compétition.
21La contre-preuve de cette observation est fournie par les patients atteints de la maladie de McArdle, une myopathie rare due à un déficit d’origine génétique de la myophosphorylase, l’enzyme limitant dans la dégradation du glycogène musculaire en glucose (glycogénolyse) (Quinlivan, et al., 2010). Ces patients sont incapables d’alimenter la glycolyse anaérobie à partir du glycogène musculaire, ils ne fournissent donc pas de lactate (en réponse à l’exercice la lactatémie reste au niveau des valeurs de repos) et ils ne fournissent donc pas, non plus, d’énergie anaérobie glycolytique. Ils sont donc fatigables et surtout totalement incapables d’effectuer un effort intense. S’ils sont contraints de réaliser ce type d’exercice, ils sont sujets à des crampes, des contractures, voire a des lésions musculaires (rhabdomyolyse).
3 – Exercice prolongé de puissance sous-maximale
22Le problème est le suivant : pourquoi au cours de l’exercice prolongé de puissance sous-maximale qui est effectué entièrement de façon aérobie, la lactatémie augmente au-dessus des valeurs de repos et ceci d’autant plus haut que la puissance de l’exercice est élevée ? On peut aussi se demander pourquoi, pour une puissance donnée, la lactatémie est plus ou moins haute en fonction des caractéristiques du sujet ou des conditions environnementales. Par exemple, elle est plus basse après l’entraînement qu’avant et elle est plus haute lorsque le sujet est en hypoxie que lorsqu’il est en normoxie ou en hyperoxie.
3.1 – Hypothèse du seuil anaérobie
23La théorie la plus souvent avancée pour expliquer ces observations est celle du seuil anaérobie introduite il y a bientôt 50 ans par Wasserman et McIlroy (1964) sur la base de l’observation qu’à partir de certaines puissances le quotient d’échange gazeux respiratoire (RER = VCO2/VO2, mesuré à la bouche) s’élève rapidement et devient supérieur à 1,0. Ce phénomène et son explication étaient connus. C’est le résultat combiné de la baisse du pH artériel et de la PCO2 alvéolaire et artérielle (due à l’hyperventilation) qui dégazent le pool de bicarbonate labile (la réserve alcaline) en consommant des protons et en limitant ainsi la baisse du pH (Peronnet & Aguilaniu, 2006). On l’appelle la compensation ventilatoire de l’acidose. La contribution de Wasserman et McIllroy a été de proposer que la zone où le RER s’élève rapidement est un « seuil » (threshold) et qu’elle reflète le fait qu’à partir de cette puissance le muscle produit de l’énergie anaérobie pour supplémenter la fourniture d’énergie aérobie qui devient insuffisante.
24Cette théorie repose sur le postulat qu’une augmentation de la lactatémie indique la présence d’une anaérobiose, ce qui est discutable et a été discuté (Brooks, 1985). Wasserman et Koike (1992) ont donc éprouvé le besoin d’écrire un article de revue critique sur la question, intitulé « Le seuil anaérobie est-il anaérobie ? », où ils ont rassemblé les arguments permettant selon eux de répondre par l’affirmative à cette question. Ces arguments, qui sont listés dans le tableau 2 de leur article, se résument en fait à un seul et même argument qui est le suivant. Au cours d’un exercice de puissance donnée, par rapport à la valeur observée dans la situation contrôle ou chez un sujet sain, la lactatémie est plus haute dans toutes les situations où l’apport en O2 au muscle qui travaille est diminué, quelle qu’en soit la raison, et inversement : hypoxie (l’hyperoxie a l’effet inverse) ; anémie ; intoxication partielle de l’hémoglobine avec du CO ; bas débit cardiaque ; retard de l’ajustement du VO2 au début de l’exercice, qui est fréquent chez les patients avec des problèmes respiratoires ou cardiaques ; administration de béta-bloquants (les agents inotropes positifs ont l’effet inverse chez l’insuffisant cardiaque) ; hypovolémie ; diminution de la PO2 de la fibre musculaire. Un dernier argument est que l’augmentation de la lactatémie suit le potentiel redox de la fibre musculaire, c’est à dire le rapport entre le lactate et le pyruvate ([LA]/[PY]). Nous y reviendrons, car c’est juste mais ce n’est pas un argument, c’est une évidence. De plus, la variation du potentiel redox et l’augmentation du rapport [LA]/[PY] de la fibre musculaire sont un critère nécessaire mais non suffisant pour conclure à la présence d’anaérobiose.
3.2 – Limites de la théorie du seuil anaérobie
25Les évidences listées par Wasserman et Koike (1992) sont indiscutables et étayées par de nombreuses données expérimentales. Ce qui est discutable, c’est l’interprétation que ces auteurs en font, à savoir que lorsque l’apport d’O2 au muscle qui travaille est diminué, l’augmentation de la lactatémie témoigne d’une mise en jeu compensatoire du métabolisme anaérobie car la fourniture d’énergie aérobie est insuffisante, et inversement. Ceci leur permet de conclure que le seuil anaérobie « correspond à la puissance au dessous de laquelle l’exercice est réalisé de façon entièrement aérobie et au dessus de laquelle l’exercice est partiellement anaérobie » (Wasserman & Koike, 1992, p. 217S).
26Cette conclusion est inexacte. Pour la tirer de façon sûre, il faut montrer que quand l’apport d’O2 au muscle qui travaille est diminué, la lactatémie plus élevée est associée à un VO2 plus bas que dans la situation contrôle, et inversement. En d’autres termes, pour soutenir que la production d’énergie anaérobie est plus haute ou plus basse, il faut montrer qu’il existe, respectivement, un déficit ou un surplus d’énergie aérobie. Malheureusement pour la théorie du seuil anaérobie, cette démonstration est absente. Dans aucune des études citées par Wasserman et Koike (1992) ni dans aucune des études semblables qu’ils n’ont pas citées car elles sont trop nombreuses, on ne trouve de résultats montrant que par rapport à la situation contrôle, pour une puissance donnée, le VO2 est plus bas lorsque l’apport d’O2 au muscle est diminué et inversement. Pour une même puissance de travail, passé le délai nécessaire à l’ajustement du VO2 à la puissance (qui prend 2 à 3 min voire un peu plus lorsque l’apport en O2 est diminué : ce point est important comme on le voit ci-dessous), le VO2 est strictement identique quel que soit l’apport en O2 au muscle.
27Wasserman et Koike (1992) savent que pour confirmer le bien fondé de l’hypothèse du seuil anaérobie, il faut montrer que la réduction de l’apport d’O2 au muscle se traduit par une réduction du VO2 et donc de la production d’énergie aérobie. Ils présentent donc les résultats d’une de leurs études qui, selon eux, montrent cela (Koike, Weiler-Ravell, McKenzie, Zanconato, & Wasserman, 1990). Dans cette étude la réponse à l’exercice est mesurée en situation contrôle et lorsque l’hémoglobine est partiellement intoxiquée par inhalation de petites quantités de monoxyde de carbone (~20 % de l’hémoglobine sous forme de Hb-CO). La relation entre la puissance de travail et le VO2 est identique avant le seuil anaérobie dans les deux situations. Au-delà du seuil anaérobie, le VO2 est plus bas lorsque l’hémoglobine est partiellement intoxiquée. Pour les auteurs, ceci prouve qu’au-delà du seuil anaérobie une partie de l’énergie est fournie par le métabolisme anaérobie.
28Le problème est que cette démonstration a été faite dans un exercice en rampe dans lequel la puissance a été augmentée de 40 W toutes les minutes. Or, dans une autre étude effectuée dans les mêmes conditions expérimentales, les mêmes auteurs montrent que l’intoxication de l’hémoglobine au CO retarde l’ajustement de la VO2 lors d’une augmentation de la puissance du travail mais sans modifier la valeur atteinte en état stable, soit à puissance basse, après 2 et 3 min dans les deux situations expérimentales, et à puissance élevée, après ~3 min en situation contrôle et après ~6 min lorsque l’hémoglobine est partiellement intoxiquée au CO (Koike, Wasserman, Beaver, Weiler-Ravell, McKenzie, & Zanconato, 1990). Ainsi, si l’exercice est assez long, par rapport à la situation contrôle, pour une puissance donnée, il n’y a pas de différence de VO2 lorsque l’hémoglobine est intoxiquée au CO. Le VO2 plus bas au-delà du seuil anaérobie lorsque l’hémoglobine est intoxiquée au CO, qui est soulignée par Wasserman et Koike (1992) est un artéfact de l’exercice en rampe.
3.3 – Contrôle de la respiration mitochondriale et lactatémie
29Pour comprendre pourquoi dans les exercices prolongés la lactatémie est plus élevée qu’au repos mais reste stable ou dérive lentement vers le haut ou le bas, alors que toute l’énergie est fournie de façon aérobie, il faut rappeler comment la respiration mitochondriale est contrôlée.
30La cellule et la mitochondrie ont développé un système de communication qui permet à la mitochondrie de « savoir » quand elle doit respirer davantage c’est à dire consommer plus d’O2 et de substrats et fournir plus d’ATP à la cellule. Ce mécanisme repose sur la variation du potentiel phosphate du cytosol (qui est le rapport [ATP]/[ADP] × [Pi]) ou, de façon plus simple, de la concentration d’ADP du cytosol ([ADP]c), et sur un mécanisme de navette de l’ATP et de l’ADP entre le cytosol et la mitochondrie par l’intermédiaire d’un antiport ATP-ADP (l’adénine nucléotide transférase ou ANT, placé dans la membrane interne de la mitochondrie). Le rôle joué par l’ADP dans le contrôle de la respiration mitochondriale est connu depuis les travaux de Chance dans les années cinquante (Chance & Williams, 1955). Les mécanismes moléculaires de la navette ATP-ADP à travers la membrane mitochondriale impliquent la créatine kinase mitochondriale et d’autres structures tel le canal ionique voltage-dépendant (VDAC). Leurs détails sont imparfaitement connus et sont encore l’objet de travaux, notamment en relation avec l’exercice (voir l’article récent de Perry, et al. 2012) mais leur rôle est clair : ils permettent à l’ADP d’entrer dans la mitochondrie pour stimuler la respiration mitochondriale, et ils permettent à l’ATP d’en sortir pour aller dans le cytosol soutenir les fonctions énergie-dépendantes.
31Lorsque les besoins en ATP de la cellule augmentent, l’ATP est consommé et la [ADP]c augmente. Cette hause a deux conséquences. Premièrement ceci favorise le fonctionnement de la navette ADP-ATP et stimule la respiration mitochondriale, donc fournit l’ATP dont la cellule a besoin. Simultanément, la deuxième conséquence de la hausse de la [ADP]c est de stimuler la glycogénolyse et la glycolyse. Le rôle joué par le potentiel phosphate et la [ADP]c, directement ou par l’intermédiaire de l’AMP, du Pi et de l’IMP, dans le contrôle allostérique des enzymes de la glycogénolyse et de la glycolyse sont des données de manuel : voir par exemple Connett et Sahlin (1996) ou Poortmans (2009), p. 154 et suivantes. La glycolyse est donc rapidement stimulée et fournit du pyruvate qui est utilisé de façon aérobie par la mitochondrie ou est réduit en lactate, et cela en proportions variables selon la puissance de l’exercice et donc la stimulation de la glycolyse, et selon la disponibilité de l’O2.
32Ce mécanisme explique qu’il n’est pas possible de stimuler la respiration mitochondriale sans augmenter la production de pyruvate. Ces deux voies métaboliques sont nécessairement activées en même temps et c’est un avantage pour la fibre musculaire puisque la mitochondrie a besoin de pyruvate pour augmenter sa consommation d’O2 et sa production d’ATP. La quantité de pyruvate formée excède même toujours un peu la quantité qui peut être oxydée ce qui augmente aussi la quantité de lactate formée. En effet, par l’intermédiaire de la lactate déhydrogénase, la concentration de lactate est en équilibre avec la concentration de pyruvate, le rapport [LA]/[PY] augmentant avec le potentiel redox du cytosol. Le lactate et le pyruvate sont en effet un couple redox dont la forme réduite ([LA]/[PY] élevé) augmente quand le potentiel de réduction, c’est à dire la disponibilité des électrons est grande, et inversement. Or plus la glycolyse est activée, plus la disponibilité des électrons augmente, et plus le rapport [LA]/[PY] augmente également. Ainsi, la respiration mitochondriale ne peut pas être activée sans que n’augmente la concentration de pyruvate du cytosol et sans que ne croisse plus encore la concentration de lactate.
3.4 – Signification de la lactatémie à l’exercice prolongé
33L’augmentation de la concentration de lactate dans le cytosol se traduit par une augmentation de la lactatémie qui ne signifie pas que la fibre musculaire est en condition anaérobie. Elle est simplement le marqueur de l’augmentation de la [ADP]c qui est le signal d’erreur entre les besoins en ATP et sa production, lequel est nécessaire pour stimuler la respiration mitochondriale. Lorsque la puissance du travail augmente, les besoins en ATP augmentent aussi et la production d’ATP mitochondriale s’y a juste parce que l’augmentation de la [ADP]c est plus importante. Comme la lactatémie suit l’augmentation de la [ADP]c, plus la puissance du travail augmente, plus elle augmente aussi.
34Le dernier argument de Wasserman et Koike (1992) à l’appui de la théorie du seuil anaérobie est que « la lactatémie augmente avec le rapport [LA]/[PY] de la cellule » ; ce qui est tout à fait exact. Wasserman et Koike indiquent que cette augmentation reflète une diminution du potentiel redox. Ce n’est pas une erreur ni une coquille. Le potentiel redox ou potentiel d’oxydo-réduction peut être vu soit comme un potentiel de réduction qui augmente quand le rapport [LA]/[PY] s’élève, soit comme un potentiel d’oxydation qui diminue quand ce rapport s’élève. C’est la façon dont Wasserman et Koike le considèrent. Toutefois, contrairement à leur interprétation, ceci n’indique pas que la fibre musculaire est en condition anaérobie, mais indique simplement que le potentiel de réduction a augmenté parce que la glycolyse a été stimulée par la hausse de la [ADP]c.
3.5 – Lactate et apport d’O2 au muscle
35La théorie du seuil anaérobie explique mal pourquoi au cours de l’exercice prolongé la lactatémie s’élève au-dessus des valeurs de repos à un niveau qui augmente avec la puissance de l’exercice et se stabilise ou dérive lentement vers le haut ou le bas jusqu’à la fin de l’exercice. Elle explique encore moins bien pourquoi, pour une puissance donnée, la lactatémie est plus élevée quand l’apport d’O2 au muscle qui travaille est diminué, et inversement, alors que le VO2 et donc la production d’énergie aérobie ne sont pas modifiées. Au contraire, l’hypothèse selon laquelle la lactatémie est le marqueur du signal d’erreur nécessaire pour faire respirer la mitochondrie explique très bien que lorsque l’apport d’O2 au muscle est diminué, le signal d’erreur nécessaire pour faire respirer la mitochondrie, qui a des difficultés à assurer une production adéquate d’ATP, est plus élevé qu’en situation contrôle. La production d’énergie aérobie et le VO2 sont maintenus aux niveaux observés en situation contrôle grâce à une plus forte stimulation de la respiration mitochondriale qui se fait au prix d’une augmentation compensatoire de la [ADP]c.
36Des analogies simples peuvent être trouvées avec tous les phénomènes contrôlés par rétroaction négative, comme par exemple une voiture qui roule en mode de contrôle de vitesse automatique. Lorsque la voiture passe d’une route dont la pente est nulle à une côte, la vitesse (analogue au VO2 et à la production d’énergie aérobie) demeure constante car le contrôleur de vitesse « appuie » un peu plus fort sur l’accélérateur (c’est la stimulation de la mitochondrie) parce qu’il a détecté une différence entre la vitesse réelle et demandée (c’est la hausse de la [ADP]c qui témoigne de la difficulté à produire l’ATP dont la cellule a besoin). On peut poursuivre cette analogie en comparant une voiture puissante et bien réglée (un muscle entraîné qui a beaucoup de mitochondries et un réseau de canalisation de l’ADP et de l’ATP bien structuré (Ventura-Clapier, Kuznetsov, Veksler, Boehm, & Anflous, 1998) et une voiture de faible cylindrée ou mal réglée (un muscle désentraîné ayant peu de mitochondries et un réseau de canalisation de l’ADP-ATP mal structuré). Lorsqu’elle s’engage dans une côte, le contrôleur de vitesse de la voiture puissante et bien réglée perçoit le signal d’erreur du ralentissement et le corrige d’une chiquenaude sur l’accélérateur, alors que celui de la voiture de faible cylindrée et mal réglée doit beaucoup plus appuyer sur l’accélérateur pour maintenir la vitesse désirée.
37De la même façon, pour une puissance donnée le signal d’erreur pour faire respirer la mitochondrie au niveau nécessaire est moindre chez un sujet entraîné que chez un sujet sédentaire, et par voie de conséquence sa lactatémie est aussi plus basse. Ses mitochondries sont plus nombreuses et plus sensibles à l’ADP : une moins grande perturbation de l’homéostasie est nécessaire pour les faire respirer. C’est la raison pour laquelle dans ce type d’exercice pour une puissance donnée une basse lactatémie est un signe de bonne adaptation et est associée à une meilleure performance. On traduit ceci en disant que plus le seuil lactate (lactate threshold) est bas, meilleure est l’endurance (Faude, Kindermann, & Meyer, 2009). C’est une observation exacte autant que l’on s’entende sur le niveau du seuil lactate qui peut être défini de dizaines de façon. De plus, cette terminologie renvoie implicitement ou explicitement à la théorie du seuil anaérobie et n’explique rien.
3.6 – Exemple de l’hyperoxie
38L’hypothèse qu’au cours de l’exercice prolongé la lactatémie reflète le signal d’erreur nécessaire pour faire respirer la mitochondrie peut être mise à l’épreuve de l’expérimentation en observant simultanément le VO2, la lactatémie et la [ADP]c du muscle qui travaille, lorsque l’apport d’O2 au muscle ou sa capacité à l’utiliser sont modifiées. Si l’hypothèse est acceptable, la lactatémie doit suivre la [ADP]c.
39À titre d’illustration on présentera ici le résultat d’une étude dans laquelle l’apport d’O2 au muscle qui travaille a été modifié par l’inhalation d’un gaz riche en O2 (situation d’hyperoxie). Dans cette étude de Stellingwerff, Leblanc, Hollidge, Heigenhauser, and Spriet (2006), les sujets ont travaillé pendant 40 min à environ 70 % du VO2max en inspirant un gaz contenant 21 % (normoxie) ou 60 % d’O2. La PO2 artérielle est évidemment plus élevée en hyperoxie (~300 contre ~100 mmHg en normoxie) mais le VO2 mesuré directement au niveau du membre inférieur qui travaille est identique dans les deux situations (~1,34 et 1,28 L/min en normoxie et en hyperoxie). La lactatémie qui est identique au repos (un peu inférieure à 1 mmol/L) est stable de la 3e a la 40e minute de l’exercice dans les deux situations, témoignant de ce qu’en normoxie et en hyperoxie, l’exercice est effectué entièrement de façon aérobie : tous les électrons sont finalement acceptés par l’O2. Toutefois, bien que le VO2 soit identique dans les deux situations, la lactatémie est plus basse en hyperoxie (~4 mmol/L) qu’en normoxie (~5 mmol/L). Ceci reflète une concentration de lactate et un rapport [LA]/[PY] plus bas dans le muscle qui travaille en hyperoxie qu’en normoxie (lactate : 11,2 contre 16,3 mmol/L ; [LA]/[PY] : 119 contre 134), qui sont eux-mêmes associés à une augmentation plus faible de la [ADP]c : au repos elle est identique dans les deux situations (~110 ?mol/L) mais elle est plus basse en hyperoxie qu’en normoxie (~390 contre 500 ?mol/L).
40Les données de cette étude montrent qu’en hyperoxie la stimulation de la glycogénolyse est diminuée de 16 %, celle de la glycolyse, et donc la production de pyruvate, de 15 %, et celle de lactate de 56 %, par suite de la moindre augmentation de la [ADP]c nécessaire pour ajuster la respiration mitochondriale aux besoins (baisse de 22 %). La réduction de l’efflux de lactate du muscle qui travaille et qui détermine l’augmentation de la lactatémie est du même ordre de grandeur que la réduction de sa production.
41Dans un article de revue sur le métabolisme du lactate à l’exercice Gladden (2004) résume les relations entre la lactatémie et la modification du signal d’erreur qui contrôle la respiration mitochondriale et le VO2, quand l’apport en O2 au muscle diminue ou augmente. Ce qu’il faut retenir, c’est que le VO2 n’est pas limité par l’apport en O2 (en autant qu’il soit suffisant, le VO2 est identique à celui observé en situation contrôle). Par contre il est dépendant du niveau de l’apport d’O2 dans la mesure où sa régulation nécessite plus ou moins de modifications du signal d’erreur que dans la situation contrôle, selon que l’apport d’O2 est diminué ou augmenté. C’est certainement une explication un peu plus compliquée que celle basée sur la théorie un peu simpliste du seuil anaérobie qui se résume à la proposition : anaérobie = lactate ; donc lactate = anaérobie. Par contre, elle présente l’avantage d’être mieux en accord avec ce que l’on connaît du métabolisme énergétique aérobie et de son contrôle, et des interactions entre la glycolyse et la respiration mitochondriale.
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Notes
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[*]
Cet article est basé sur une conférence présentée au 14e congrès international de l’ACAPS, Rennes, 24–26 Octobre 2011.