Mouvements 2012/4 n° 72

Couverture de MOUV_072

Article de revue

Une mission de sauvetage : Exhibitions. L'invention du sauvage au musée du quai Branly

Pages 120 à 130

Notes

  • [*]
    Doctorante à l’université Paris Diderot et à la Humboldt Universität Berlin, rédige une thèse en études culturelles sur les stratégies de décolonisation dans les revues culturelles parisiennes, portant sur l’Afrique. Elle a contribué, sous le titre « Adversial decolonization : the first decade of Présence Africaine », à la journée d’étude Action ! Painting, Publishing ! aux Laboratoires d’Aubervilliers (juillet 2012).
  • [1]
    S. Forster : « Exhibitions – ces « zoos humains pleins de sauvages », RFI, 5 décembre 2011. Voir : http://www.rfi.fr/france/20111202-exhibitions-zooshumains-quai-branly-rficolonialisme-esclavagevenus-hottentoteracisme-lilian-thuram
  • [2]
    « Nous Autres. Éducation contre le racisme », tract de la Fondation Lilian Thuram accompagnant l’exposition.
  • [3]
    N. Bancel, P. Blanchard, G. Boëtsch, É. Deroo, S. Lemaire, Zoos humains. De la vénus hottentote aux reality shows, Éditions La Découverte, Paris, 2002.
  • [4]
    P. Blanchard, G. Boëtsch et N. Jacomijn Snoep (dir.), Exhibitions. L’invention du sauvage, Actes Sud, Musée du Quai Branly, Arles, Paris, 2011.
  • [5]
    P. Blanchard, G. Boëtsch et N. Jacomijn Snoep, « Exhibitions », in : P. Bla Nchard et.al. op. cit., p. 40.
  • [6]
    P. Falguières, Les chambres des merveilles, Bayard, Paris, 2003.
  • [7]
    P. Falguières, « Du cabinet de curiosité à l’invention du sauvage », conférence enregistrée au salon de lecture Jacques Kerchache, musée du quai Branly, 14 janvier 2012.
  • [8]
    M. Foucault : « Nietzsche, la généalogie, l’histoire », in, S. Bachelard et. al., Hommage à Jean Hyppolite, PUF, Paris, 1971, p. 145-173 ; M. De Certeau, L’écriture de l’histoire, Gallimard, Paris, 1978 ; F. Nietzsche, Deuxième considération intempestive : de l’utilité et de l’inconvénient de l’histoire du point de vue de la vie, trad. par Henri Albert, Éditions Mille et une nuits, Paris, 2000.
  • [9]
    Anette Hoffmann a choisi une approche sensible à ces questions dans son travail sur le projet anthropométrique de l’artiste allemand Hans Lichtenecker en Namibie en 1931. Cf. A. Hoffmann (dir.), What We See : Reconsidering an Anthropometrical Collection : Images, Voices and Versioning, Basler Afrika Bibliographien, Basel, 2009.
  • [10]
    « Even in the worst circumstances of domination, the ability to manipulate one’s gaze in the face of structures of domination that would contain it, opens up the possibility of agency. ” bell hooks, “The oppositional gaze : Black female spectators » dans Black looks. Race and Representation, South End Press, Boston, 1992, p. 116.
  • [11]
    Musée royal de l’Afrique centrale : Uncensored. Histoire animée des coulisses, Tervuren, 23 septembre 2011 - 31 août 2012.
  • [12]
    Cf. Freaky. Queer art conférence, 28.-30. août 2009, Ballhaus Naunynstraße, Berlin, http://www.sfbperformativ.de/freaky/intro.html
  • [13]
    Cf. T. Browning, Freaks. La monstrueuse parade, USA, 1932.
  • [14]
    Cf. B. De L’Estoile, Le goût des Autres. De l’exposition coloniale aux arts premiers, Flammarion, Paris, 2007, p. 415.
  • [15]
    Cf. M. Maishaeggers, G. Kilomba, P. Piesche, S. Arndt (dir.), Mythen, Masken und Subjekte. Kritische Weißseinsforschung in Deutschland, Unrast, Berlin, 2005.
English version

Propos, commissaires et structure de l’exposition

1L’exposition Exhibitions. L’invention du sauvage présentée du 29 novembre 2011 au 3 juin 2012 au musée du Quai Branly à Paris se proposait de suivre l’histoire de la construction de l’altérité raciale sur une période de 500 ans. L’exposition vise à montrer comment les spectacles des exhibitions ont « formé le regard porté par l’Occident sur l’Autre ». Pascal Blanchard, un des commissaires scientifiques veut ainsi contribuer à « décoloniser le regard, à décoloniser ce qu’ont produit cinq siècles d’histoire et cinq siècles de regard [1] ». C’est pourquoi l’exposition est centrée sur les mises en scène de l’altérité et les spectacles vivants qui, entre la moitié du XIXe siècle et les années 1930, avaient lieu dans des nombreuses villes des pays occidentaux ainsi que sur les images qui les accompagnaient. Le parcours remonte pourtant jusqu’aux cabinets de curiosités au XVIe siècle.

2Les trois commissaires de l’exposition occupent des rôles inégaux dans sa conception : Commissaire général, Lilian Thuram, ancien professionnel de football français et président de la fondation qu’il a créée pour l’éducation contre le racisme, a prêté son nom et son engagement citoyen antiraciste pour rendre l’exposition possible. Il explique qu’il « faut comprendre comment ces préjugés [racistes] se sont mis en place pour pouvoir les déconstruire [2] ». Seconde commissaire, Nanette Jacomijn Snoep, responsable de l’unité patrimoniale Histoire du musée du quai Branly, assurait la présence de l’institution muséale au sein de l’équipe et a contribué à fournir à l’exposition de nombreux documents et objets. En effet, l’exposition se fonde sur un large corpus, riche de plusieurs milliers d’ œuvres et documents prêtés par plus de deux cents musées et collections privées du monde entier. Si Exhibitions est donc le produit d’une collaboration, l’empreinte du troisième commissaire, Pascal Blanchard, s’avère prépondérante. L’historien, spécialiste de l’histoire coloniale, avait cofondé en 1990 l’Association pour la connaissance de l’histoire de l’Afrique contemporaine (ACHAC), qu’il continue à coprésider. Ce sont les travaux menés par les chercheuses et chercheurs du réseau ACHAC qui constituent le socle scientifique de l’exposition. Exhibitions poursuit notamment le travail initié avec l’ouvrage collectif Zoos humains. De la Vénus hottentote aux reality shows, dirigé par un collectif de chercheuses et chercheurs proche du réseau ACHAC en 2002 [3]. S’inscrivant dans la continuité de ce travail, le volumineux catalogue de l’exposition est d’ailleurs notamment dirigé par Gilles Boëtsch, anthropologue au CNRS qui faisait partie des directeurs de Zoos humains en 2002 [4]. Plus généralement, l’exposition s’inscrit dans l’approche de ladite association, et particulièrement des contributions de Blanchard qui cherchent à mettre en lumière des continuités entre l’histoire coloniale et les discriminations racistes du temps présent et à diffuser ses analyses par l’intermédiaire de livres, de films et d’expositions destinés à un public large.

3L’exposition est organisée en quatre actes qui la structurent chronologiquement. Le parcours s’initie par l’acte I : « La découverte de l’autre : rapporter, collectionner, montrer ». Dans cette première partie sont exposées les formes de représentation de « l’étrangeté » qui débutent au XVe siècle, à l’époque de la conquête des Amériques par Christophe Colomb. Elle montre des figures et objets « étranges » inclassables, hors du commun et poursuit cette présentation notamment dans les cabinets de curiosités des cours européennes jusqu’au XVIIIe siècle. Vient ensuite l’acte II, intitulé « Monstres, et exotiques : observer, classer, hiérarchiser ». Dans ce chapitre, le nouveau genre de « spectacles ethniques » est présenté. Celui-ci commence au début du XIXe siècle et se prolonge pendant tout le siècle pour se muer en expositions racistes. En parallèle, le parcours retrace l’avènement du racisme scientifique, qui accompagne les expansions impériales et aspire à classer, hiérarchiser et systématiser les humains en définissant des différences raciales.

4L’acte III est consacré au « Spectacle de la différence : recruter, exhiber, diffuser ». Il prend en compte la période de 1870 à la Seconde Guerre mondiale et montre de nombreux lieux qui se sont spécialisés dans des spectacles qui exposaient des troupes de figurants de populations colonisées comme les Folies Bergères à Paris. Figures de cire mises en scènes et accompagnées par des expositions « ethniques » du Panopticum de Castan à Berlin ; personnes classées comme monstrueuses au Crystal Palace à Londres ou au Barnum de Madison Square ; corps disséqués, exposés dans des musées d’anatomie, qui au milieu du XIXe siècle mêlent vulgarisation de la science, spectacle morbide et intérêt commercial. Mise en scène d’exotisme colonial, spectacles scientifiques convertis en divertissement, l’exposition du hors-norme et son discrédit scientifique au XIXe siècle sont donc exposés sans distinction. Les troupes des colonies montaient sur scène pour des spectacles et étaient montrées dans des zoos pour « donner à voir les sauvages » mais la professionnalisation du genre assurait sa pérennisation par la rémunération de ses figurants.

5L’acte IV, « Mise en scène : exposer, mesurer, scénariser », clôt l’exposition et montre des reconstitutions de « villages ethniques », des images des jardins d’acclimatation et zoologiques, des expositions coloniales et universelles. Dans tous ces lieux et événements, des humains sont exposés, souvent classés en groupes, ethnicisés, racisés, mêlés aux animaux et placés dans des dioramas environnementaux. Leur ampleur a été considérable et constitue la partie centrale de l’exposition : entre 35 000 et 40 000 « figurant-e-s » de toutes latitudes ont ainsi été exhibé-e-s, en un peu plus d’un siècle, dans le monde entier [5]. Ils ont joué – telle est la thèse centrale de l’exposition – un rôle majeur dans la construction de l’image du « sauvage ». Au début des années 1930, le « zoo humain » décline un peu partout, ne correspondant plus aux évolutions de médias, avec notamment la montée en puissance de la photographie et du film. Ce chapitre souligne en outre l’ampleur des supports de popularisation, des affiches, des cartes postales, des films qui sont mis en circulation pendant cette période, s’infiltrant dans la vie quotidienne des populations européennes. Le parcours se termine avec la disparition de ce genre d’exposition à grande échelle dans les années 1950.

• L’invention du sauvage – l’histoire d’une continuité ?

6L’exposition se propose donc de présenter l’évolution des mises en scène de l’altérité inventée dans les formes spectaculaires au cours des siècles. Elle compose une histoire des représentations en soulignant davantage les continuités que les ruptures et les changements de paradigme dans la production de « l’altérité ». Ce faisant, elle suggère que les étapes montrées seraient des formes différentes du même, et procède par une sorte de rétro-projection de formes historiques récentes dans le passé. Ainsi, dans un texte d’une salle dédiée au XVIIIe siècle, on lit :

7

« L’autre, le sauvage venait souvent des confins de la terre, cristallise les fantasmes et les peurs, mais aussi les ambitions de domination. Pour les Grecs le sauvage était le Scythe, originaire du Nord de la mer noire. Au Moyen Âge, c’est l’homme sylvestre, couvert de poils et brandissant un gourdin, qui habite les forêts et représente l’absence de civilisation. [ …] Avec les grandes découvertes, l’Europe trouve un autre sauvage, celui qui vient de l’au-delà des mers. »

8Cette présentation suggère l’existence depuis toujours de ce que serait « le sauvage ». Si l’exposition se concentre sur les exhibitions d’humains depuis le XIXe siècle, elle présente néanmoins des formes de représentation antérieures comme les précurseurs directs de ces manifestations. On passe des figures mi-humaines mi-animales exposées dans les cabinets de curiosité aux moulages raciaux du XIXe siècle. Or, ce ne sont pas les mêmes enjeux qui se jouent dans les cours nobles du XVIIe siècle ou les laboratoires scientifiques du XIXe siècle. La chambre des merveilles est conçue sur la base de l’étonnement, d’une multiplicité d’êtres, qui favorise l’étalage des objets les moins probables, les plus uniques [6]. Le contenu d’objets extrêmement divers n’incluait pas de classification spécifique des « Autres » lointains. À l’inverse, le racisme scientifique du XIXe siècle, qui rejetait l’émerveillement, repose sur la systématisation, cherche la régularité et la maîtrise des variations.

9L’historienne d’art Patricia Falguières souligne en outre le changement fondamental dans le régime de la visibilité : au XVIe siècle, la visibilité émanait du pouvoir, exposait dans ses actes les plus intimes le corps du roi. Les chambres des merveilles, quant à elles, constituaient des collections d’artefacts faites pour l’étude savante et étaient destinées à un public restreint. Plus tard, les expositions coloniales, qui attiraient des milliers, voire des millions de spectateurs, poursuivaient un but idéologique précis, différent de celui des freak­shows dont la visée était principalement commerciale : populariser le projet impérial en Métropole [7]. En manquant d’interroger les exclusions spécifiques à la lumière des différences de paradigmes, d’acteurs, de formes d’exposition et de public visé, Exhibitions aplanit des phénomènes polyformes et multidimensionnels.

10En interprétant le présent comme une filiation directe du passé, les analyses participent à une conception sédimentée de l’histoire, dans laquelle, le passé semble éterniser le présent. Le « sauvage », figure historique née de conditions spécifiques, semble avoir été toujours déjà là. Dans l’organisation chronologique de l’exposition, les formes montrées semblent découler l’une de l’autre, dans une droite continuité. Par rapport à cette démarche, l’apport fondamental de la critique méthodologique que des théoriciens comme Friedrich Nietzsche, Michel de Certeau et Michel Foucault ont formulé au sujet des conceptions historicistes, consiste à libérer l’histoire de sa fixation rétrospective pour l’interroger à la lumière des luttes du présent. « Il faut mettre en morceaux ce qui permettait le jeu consolant des reconnaissances. Savoir, même dans l’ordre historique, ne signifie pas retrouver, et surtout pas ‘nous retrouver’ [8] ».

11Une approche par thèmes aurait par contre permis aux commissaires de rendre compte des ruptures tout en adoptant une historiographie militante. Ils auraient pu, par exemple, s’interroger sur les enchevêtrements entre la production de l’altérité raciale et les régimes genrés et classistes, qui apparaissent de manière récurrente tout au long du parcours. Sur une affiche du grand musée anatomique de Jules Chéret (1897) qui se réfère au musée du docteur Spitzner - lequel s’installe à Paris en 1856 et entreprend des spectacles scientifiques dans son musée - on voit un corps de femme nue à la chevelure abondante sur une bière. Le docteur, entouré par d’autres hommes blancs et habillés, soulève le drap sur le corps qu’il disséquera par la suite. Contrairement à d’autres affiches, qui montrent des corps masculins à moitié démembrés, le corps féminin représenté sur l’affiche garde l’ambiguïté entre l’objet du désir sexuel masculin et l’objet de la convoitise scientifique. L’affiche montre en outre des crânes humains, objets paradigmatiques de l’anthropométrie ainsi que des figurants noirs costumés et dansant. Le rapprochement de ces motifs sur l’affiche aurait pu être le point de départ d’une interrogation sur le rapport entre racisme, sexisme et la vulgarisation d’une nouvelle notion des sciences dans les démonstrations scientifiques au début du XXe siècle, s’interrogeant davantage sur les changements de paradigme.

• Le spectacle de l’altérité. Questions de représentations et de parole

12Pour présenter les « spectacles de l’invention de l’altérité », l’exposition a eu recours à une scénographie volontairement spectaculaire. L’entrée se faisait par une porte en forme de rideau rouge, ouvrant manifestement à un espace de mise en scène. Le parcours était structuré par des doubles gazes, des rideaux, des scènes surélevées et des projections. Il était découpé en actes et en scènes, en scène et décor. L’ensemble de ces moyens évoquait le cadre spectaculaire qui est le sujet de l’exposition – non pas en le disséquant analytiquement, mais en faisant le choix de le ressusciter. D’emblée, les visiteurs de l’exposition devenaient spectateurs d’un théâtre de l’altérité réduit à un long défilé. Deux approches se mariaient tout au long de la succession des chapitres : le choix de montrer une infinité d’images dénigrantes et l’établissement d’un régime visuel invitant à les regarder sans gêne.

13Exhibition s’appuie sur une quantité impressionnante d’affiches et de documents originaux qui représentent, en la surimposant, une altérité sauvage et monstrueuse, sans interrompre visuellement leur charge violente. Les spectateurs-trices se trouvent face à des centaines d’images et d’objets, souvent du même type : il n’y a pas une affiche de spectacle « ethnographique », mais … des dizaines ! Pas un moulage racial, produit de l’aspiration scientifique à la classification exhaustive de l’humanité, organisée en « types » et « races », mais cinq. Pas un film de fête foraine, documentant l’exposition d’individus montrés comme « freaks », mais plusieurs projetés en taille humaine ou agrandis. À la fin du parcours, deux murs se font face présentant des centaines de cartes postales originales - « villages indigènes » d’expositions coloniales, cartes postales « scènes et types », publicités racistes, etc.

14La partie dédiée à l’invention du « racisme scientifique » au cours du XIXe siècle s’avère particulièrement frappante : on y trouve une longue vitrine avec une série de moulages de « types raciaux » à côté de l’instrument de mesure anthropométrique de 1842, baptisé « Céphalomètre de Dumoutier ». Le parcours amène les spectateur-trices de manière frontale sur la vitrine. Rien n’a été conçu dans la scénographie pour déranger la vue directe, ouverte sur ces formes de déshumanisation en plâtre peint. Présentés comme des « types raciaux », les moulages anonymes nient les traits individuels. Dans les musées ethnographiques, on commence à se demander s’il ne faudrait pas aussi considérer ces « objets » dans leur caractère liminal qu’on ne peut pas systématiquement séparer des restes organiques des corps. L’équipe de l’invention du sauvage n’hésite pas par contre à les exposer au grand jour [9].

15Ce n’est pas l’ambition d’analyser le fonctionnement d’un certain type de mise en scène de l’altérité que nous souhaitons questionner, mais les procédés visuels adoptés. Les commissaires semblent vouloir restituer la masse d’images mises en circulation pendant les cent ans durant lesquels les expositions d’humains devenaient un genre de grande diffusion. Au lieu de fournir les moyens qui permettraient d’analyser leur fonctionnement et de proposer des lectures alternatives, cette démarche répète la logique de diffusion des exhibitions historiques. Le défi me semble résider au contraire dans la prise en compte de la dimension performative des mises en scène : les déconstruire sans les reproduire. Afin de disséquer le langage visuel des affiches, il aurait été judicieux d’en prendre un exemple et de l’analyser en détail pour offrir aux spectateurs des outils de compréhension. Une analyse en profondeur de quelques objets choisis aurait permis de s’interroger sur le contexte de leur production, sur les relations entre les représenté-e-s et les représentant-e-s, sur les traces de subversions.

• Décoloniser le regard ?

16Au régime classificatoire qui définit le hors-norme correspond le « regard insistant » (starring gaze) comme mode visuel de l’altérisation, se sachant maître de l’objet sur lequel le regard peut se poser à sa guise. L’un des enjeux majeurs d’une exposition qui se propose de « décoloniser » le regard est justement de rompre avec cette démarche, tout en révélant ces mécanismes. L’analyse de la théoricienne bell hooks aurait pu informer les commissaires. hooks part du fait que des esclavagisé-e-s pouvaient être punis pour avoir regardé les maîtres. Elle se pose la question des stratégies du regard qui ont découlé de cette expérience et insiste sur les marges de la résistance. « La capacité d’user de son regard ouvre, même dans les pires conditions de domination, sur des possibilités d’agir [10]. » Conférer un pouvoir aux regards des exposé-e-s consisterait donc à lire les archives d’images à contre-sens pour y trouver les subjectivités couvertes par leurs représentations altérisantes. Si de telles approches sont incluses dans le catalogue, notamment par des travaux d’artistes, elles sont – sauf exception – absentes dans l’exposition. Ici, le visiteur est invité à devenir spectateur des mises en scènes de figures montrées comme des objets de curiosité, et de répéter la vision qu’elles suscitent. Les textes explicatifs qui accompagnent les images en les commentant se trouvent par conséquent relégués au rôle d’une condamnation moralisatrice.

17Rendre compte de l’importance des images pour l’infiltration de l’imaginaire raciste dans l’ensemble de la société est un objectif important. Mais il existe des moyens pour rompre avec le regard qu’elles produisent : choisir des petits tirages comme cela a été fait avec les immenses collections de photographies coloniales du musée royal de l’Afrique centrale à Tervuren, en Belgique, qui ont été présentées dans un tirage sur papier peint, collées au mur en miniatures, rendant les détails des photos indistinguables [11]. Ainsi, une vraie barrière visuelle a été introduite, celle-ci empêchant de fétichiser les clichés. On pourrait en outre rompre avec l’aura de l’original en montrant des reproductions aux tailles variées ou bien aux couleurs changées. En ce qui concerne l’exposition des moulages raciaux, les commissaires auraient pu s’inspirer de l’artiste Fred Wilson qui, dans une exposition sur les fonds d’archives d’une institution états-unienne, avait présenté des moulages qu’il avait trouvés dans des collections, mais dont il avait couvert les inscriptions raciologiques sur les socles par des rubans blancs sur lesquels étaient inscrites des questions rappelant ainsi l’être humain effacé par sa classification raciale. L’absence d’une réflexion sur les représentations dans une exposition qui traite de ce sujet semble relever d’un impensé fondamental qui finit par reproduire les violences qu’elle aspire à déconstruire.

Agency – accaparement de la parole

18Ce qui ajoute à la reproduction de la séparation entre un « nous » et un « eux » dans la mise en scène, c’est l’absence, sur presque tout le parcours, d’individus qui agissent. Tout en se concentrant sur les personnes qui ont été exposées dans les spectacles historiques de l’altérité, on voit les exhibé-e-s, pendant l’immense majorité du parcours, en objets passifs. Ils et elles ne semblent pas avoir de positionnement face à ces situations. Rarement, il est question de l’interaction entre ces personnes et ceux qui les mettent en scène.

19« Les Indiens et Buffalo Bill » en sont une exception. Dans un court film produit par le MQB pour l’exposition, il est question d’un spectacle produit sous le titre Wild West par William Coty entre 1887 et 1906 aux États-Unis. À cette fin, Coty (surnommé Buffalo Bill) engageait 50 à 70 personnes, des Sioux Lakotas pour figurer dans le spectacle. Ce chapitre s’intéresse aux motivations et aux conditions de travail de ces personnes, qui échappaient ainsi aux bureaucraties restrictives des réserves auxquelles ils étaient confinés, gagnaient des salaires et pouvaient transmettre des traditions qui jusqu’alors n’étaient connues que de leurs pairs. La présentation questionne les constellations contradictoires de ces mises en scène. Une coiffe produite pour le spectacle est exposée dans la salle : une tradition inventée qui n’est pas pour autant moins réelle. Des échanges ont eu lieu en cours de route : les voyages ont engendré des rencontres. Ainsi, on apprend que plusieurs figurants du show ont appris l’élevage de bétail au cours de leurs rencontres avec des cow­boys. Plusieurs d’entre eux ont ensuite fait de l’élevage leur métier.

20C’est, avec le changement de l’ambiance visuelle, une différence majeure. Le diaporama projeté dans cette section fait défiler des portraits sensibles de plusieurs hommes de l’équipe du spectacle Wild West. La photographe Gertrude Käsebier les a pris dans son atelier, dans un cadre intime, visiblement avec l’accord des représentés. Elle fait ressortir l’individualité de chacun de ces hommes. Cette rupture avec le spectaculaire advient tardivement dans le parcours. Ainsi, un chapitre est consacré à la professionnalisation des shows exotiques et rappelle que les frontières entre exhibition et spectacles d’artistes n’étaient jamais hermétiques. Dans le même ordre d’idées, le film Exhibitions de Rachid Bouchareb coécrit avec Pascal Blanchard pour l’exposition rappelle que les figurants se positionnaient dans leurs conditions de travail, faisaient grèves, se révoltaient, refusaient certaines demandes. Au-delà de leur représentation raciste, l’exposition permet ici de voir les raisons d’agir de personnes prises dans des conditions asymétriques de pouvoir. Et encore, elle est loin de s’interroger sur le potentiel subversif des corps « monstrueux », marginalisés et inclassables, comme l’ont fait, ces dernières années notamment, les théoricien-ne-s du queer[12]. Loin de la victimisation, ces chercheurs-ses partent du fait que le terme « freak » a historiquement produit un espace de résistance culturelle dans la mesure où il était marqué comme « étrange » et échappait donc au classement [13].

• Parler des « Autres », pas de « nous »

21L’autre face de la focalisation sur les images des exhibitions est le silence qui règne sur les entrepreneurs des spectacles, les directeurs des cirques, des jardins d’acclimatations, des zoos ainsi que sur les spectateurs. Si certains noms sont mentionnés, l’exposition leur réserve le droit de rester dans les coulisses et de garder leur « privacité », tandis que celle des exhibé-e-s est exposée à nouveau. Quant au public de ces exhibitions, s’il fait le sujet de l’exposition c’est uniquement par grands groupes. La lumière est encore mise sur l’objet du fantasme occidental et non sur ceux qui le produisent, ni sur les relations dans laquelle il est construit. Ainsi, l’exposition montre une installation intitulée « Saartje Baartman » (sic !), commandée par le musée, qui projette une image floue de la silhouette de la célèbre Sud-Africaine, exposée au début du XIXe siècle dans des spectacles à Londres et Paris. Mais nulle part il n’est question de l’anatomiste Georges Cuvier qui a disséqué le corps de Baartman et a conservé ses parties découpées dans du formol. Nulle part on ne mentionne que le moulage de son corps était exposé jusqu’en 1974 dans la galerie d’anthropologie physique du Musée de l’Homme. Une brève notice sur le transfert en 2002 de sa dépouille en Afrique du Sud se trouve à la toute fin de l’exposition, loin de l’installation qui ranime sa silhouette.

22Le silence sur les scientifiques, les producteurs et les consommateurs des spectacles se prolonge dans la remarquable absence de références au lieu de l’exposition – le musée du quai Branly. L’exposition est implantée en entité close dans ce musée comme s’il n’avait aucun lien avec la séparation du monde dans un « nous » et les « autres ». Pourtant, ce lieu est l’héritier du Musée de l’Homme et du Musée des Arts africains et océaniens qu’il a remplacé. Il a été conçu comme un « musée des Autres », exposant les « choses des Autres » par opposition à un « nous » qui se constitue en creux. L’histoire de ses collections se déroule en parallèle avec celle des zoos humains. C’est le lieu par excellence de la mise en scène de l’altérité, qu’il met en ordre. L’anthropologue Benoît de l’Estoile retrace précisément cette histoire dans son livre Le goût des Autres qui interroge les réorganisations du classement du monde proposé par les musées successifs. Ancrée dans la même histoire, c’est la dimension épistémologique du musée qui fait que le jardin zoologique, le musée ethnographique et les expositions des humains participent à « un dispositif scénographique de mise en ordre de l’univers, où l’altérité est présentée sous une forme connaissable et maîtrisable [14] ».

23Installer Exhibitions au sein même du lieu dédié à la distinction entre un « nous européen » et « les Autres » non européens, sans en faire son sujet, cautionne et prolonge cette séparation, en s’aveuglant sur sa forme institutionnelle contemporaine. La période prise en compte dans l’exposition favorise davantage cette déconnection. Le parcours se termine sur les années 1950 avec la fin des zoos humains comme genre d’exposition grand public. Cette datation place une fois de plus les mises en scène de l’altérité dans une distance historique lointaine et la déconnecte des formes contemporaines de représentation racistes. De surcroît, l’absence d’interrogation critique du musée du quai Branly pose les bases d’un regard finalement paternaliste sur les exhibé-e-s. Dans les expositions décrites par Exhibitions, les personnes montrées et les spectateurs paraissent comme des monstres, figés en victimes pour les unes, avides de monstruosité pour les autres. En conséquence, une distance est créée pour le public contemporain et toute analyse est d’emblée empêchée. Ce sont des figures qui peuvent susciter notre pitié, notre honte, notre rejet ou encore de la lassitude de ces représentations, mais elles nous interpellent peu. Cet effet de mise à distance se produit en dépit du fait que l’exposition poursuit l’ambition de l’auto-refléxivité. Dans le chapitre sur les mises en scène, on se trouve face à des miroirs déformants qui rappellent que ce qui paraît « anormal » est un effet produit. Plus loin, des miroirs accompagnent la spectatrice, en renvoyant le reflet de sa propre image. Le geste reste pourtant symbolique, puisqu’il n’est pas soutenu par un travail sur la construction des regards et la rupture avec sa reproduction.

24Les commissaires ont fondamentalement laissé de côté l’analyse de la construction de l’altérité qui requiert de parler de la blanchitude, des masculinités, ou, plus généralement, du pouvoir, du relationnel, et de la norme construite par contraste. Ainsi, au lieu de répéter les mises en scène racistes, c’est au régime de domination agencé dans ces mises en scène que l’exposition devrait s’intéresser afin d’élaborer une histoire critique de la construction de l’altérité. Dans cette histoire, le travail d’activistes antiracistes qui se consacrent dans leur vie quotidienne à la déconstruction de stéréotypes racistes et l’obtention de droits ne pourraient pas manquer. Introduire plus d’une voix dans la narration de cette histoire paraît être un enjeu important. Quels sont les rapports de dominant-dominé-e que les exhibitions établissent ? Comment l’image du dominant change à travers des objectifications qu’il entreprend [15] ? En faisant l’économie de ces questions, l’exposition prolonge - tout en voulant faire le contraire - l’aveuglement que le musée du quai Branly met en place au sujet de l’Europe, qui n’y est présente qu’en tant que haut lieu régalien de la définition souveraine de la signification des objets exposés.

25L’installation vidéo de l’artiste contemporain Vincent Elka qui clôt le parcours paraît comme la conséquence logique de l’absence d’une analyse relationnelle qui mettrait en jeu le lieu du regard. L’installation introduite un saut temporel brusque dans le parcours qui se termine avec les années 1950. Intitulée « Aujourd’hui, qui est notre sauvage ? » (2011), c’est à elle que revient le rôle de connecter l’exposition au présent. Dans une vision panoramique sur trois écrans en taille réelle, ou agrandie, sont montrés des extraits d’entretiens avec une dizaine de personnes, seules ou en couple. Bien qu’elles parlent, s’expliquent et revendiquent qu’on ne les rende pas « autres », leur mise en scène ne leur donne aucune possibilité d’être audible sous un autre mode que celui de l’altérité. Le casting les a soigneusement assorties par catégories de discrimination : si elles sont dans la vidéo, c’est parce qu’elles sont classées. La vidéo leur confère une place d’où elles n’ont aucune chance de pouvoir parler sans être catégorisé-e-s. De façon significative, l’installation prolonge donc le fonctionnement des « exhibitions » qui ne montraient les figurants jamais pour ce qu’ils faisaient, mais pour ce qu’ils seraient, comme le constate avec justesse le film Exhibitions de Rachid Bouchareb qui est montré dans l’exposition. La volonté de dénoncer « l’invention du sauvage » finit par inventer un nouveau bestiaire : il surimpose sa figure figée, transhistorique, enlève toute puissance d’agir aux personnes montrées tout en réservant l’espace du voyeur invisible aux spectateurs-trices. Gêné-e-s, ceux et celles-ci ne trouvent par contre aucune raison de s’interroger sur le présent, si ce n’est dans les termes d’un appel moral à la tolérance de la « diversité », message cher au musée du quai Branly lui-même.

• Sauver le sauvage

26En quête de « décoloniser le regard que l’Occident porte sur l’Autre », l’exposition Exhibitions reproduit dans une bonne mesure ce qu’elle dénonce. Adoptant une démarche historiciste, elle produit l’histoire d’une continuité d’altérisations qu’il serait au contraire opportun d’interroger dans leur formation spécifique. En démultipliant les représentations racistes sans fournir les outils de leur analyse et sans rompre avec le régime visuel du regard insistant, elle surimpose leurs formes figées et tend vers une fétichisation des images. L’absence de références au musée du quai Branly comme lieu d’exposition prolonge la séparation dans un « nous » et « les autres », mise en place aussi bien dans les représentations spectaculaires de « différences » humaines montrées dans Exhibitions, que dans l’ordre muséologique du musée. Finalement, la concentration presque obsessionnelle sur les exhibé-e-s et l’omission d’un regard sur les spectateurs et les producteurs, aboutit à l’invisibilisation du caractère relationnel de l’altérisation. Le lieu de la parole reste occulté et s’impose en conséquence comme un discours omniscient sur son objet. Plutôt que de montrer les négociations complexes dans des situations de domination, ce qui permettrait de voir des acteurs derrière les figures réifiées, l’exposition préfère sauver les exposé-e-s eux-mêmes. Ceux-ci sont présenté-e-s comme objets muets d’une mission morale de sauvetage. Par cette approche, l’exposition partage ironiquement l’humanitarisme qui fournissait également le kit idéologique du projet colonial.


Date de mise en ligne : 01/02/2013

https://doi.org/10.3917/mouv.072.0120

Notes

  • [*]
    Doctorante à l’université Paris Diderot et à la Humboldt Universität Berlin, rédige une thèse en études culturelles sur les stratégies de décolonisation dans les revues culturelles parisiennes, portant sur l’Afrique. Elle a contribué, sous le titre « Adversial decolonization : the first decade of Présence Africaine », à la journée d’étude Action ! Painting, Publishing ! aux Laboratoires d’Aubervilliers (juillet 2012).
  • [1]
    S. Forster : « Exhibitions – ces « zoos humains pleins de sauvages », RFI, 5 décembre 2011. Voir : http://www.rfi.fr/france/20111202-exhibitions-zooshumains-quai-branly-rficolonialisme-esclavagevenus-hottentoteracisme-lilian-thuram
  • [2]
    « Nous Autres. Éducation contre le racisme », tract de la Fondation Lilian Thuram accompagnant l’exposition.
  • [3]
    N. Bancel, P. Blanchard, G. Boëtsch, É. Deroo, S. Lemaire, Zoos humains. De la vénus hottentote aux reality shows, Éditions La Découverte, Paris, 2002.
  • [4]
    P. Blanchard, G. Boëtsch et N. Jacomijn Snoep (dir.), Exhibitions. L’invention du sauvage, Actes Sud, Musée du Quai Branly, Arles, Paris, 2011.
  • [5]
    P. Blanchard, G. Boëtsch et N. Jacomijn Snoep, « Exhibitions », in : P. Bla Nchard et.al. op. cit., p. 40.
  • [6]
    P. Falguières, Les chambres des merveilles, Bayard, Paris, 2003.
  • [7]
    P. Falguières, « Du cabinet de curiosité à l’invention du sauvage », conférence enregistrée au salon de lecture Jacques Kerchache, musée du quai Branly, 14 janvier 2012.
  • [8]
    M. Foucault : « Nietzsche, la généalogie, l’histoire », in, S. Bachelard et. al., Hommage à Jean Hyppolite, PUF, Paris, 1971, p. 145-173 ; M. De Certeau, L’écriture de l’histoire, Gallimard, Paris, 1978 ; F. Nietzsche, Deuxième considération intempestive : de l’utilité et de l’inconvénient de l’histoire du point de vue de la vie, trad. par Henri Albert, Éditions Mille et une nuits, Paris, 2000.
  • [9]
    Anette Hoffmann a choisi une approche sensible à ces questions dans son travail sur le projet anthropométrique de l’artiste allemand Hans Lichtenecker en Namibie en 1931. Cf. A. Hoffmann (dir.), What We See : Reconsidering an Anthropometrical Collection : Images, Voices and Versioning, Basler Afrika Bibliographien, Basel, 2009.
  • [10]
    « Even in the worst circumstances of domination, the ability to manipulate one’s gaze in the face of structures of domination that would contain it, opens up the possibility of agency. ” bell hooks, “The oppositional gaze : Black female spectators » dans Black looks. Race and Representation, South End Press, Boston, 1992, p. 116.
  • [11]
    Musée royal de l’Afrique centrale : Uncensored. Histoire animée des coulisses, Tervuren, 23 septembre 2011 - 31 août 2012.
  • [12]
    Cf. Freaky. Queer art conférence, 28.-30. août 2009, Ballhaus Naunynstraße, Berlin, http://www.sfbperformativ.de/freaky/intro.html
  • [13]
    Cf. T. Browning, Freaks. La monstrueuse parade, USA, 1932.
  • [14]
    Cf. B. De L’Estoile, Le goût des Autres. De l’exposition coloniale aux arts premiers, Flammarion, Paris, 2007, p. 415.
  • [15]
    Cf. M. Maishaeggers, G. Kilomba, P. Piesche, S. Arndt (dir.), Mythen, Masken und Subjekte. Kritische Weißseinsforschung in Deutschland, Unrast, Berlin, 2005.

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