Notes
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[*]
Doctorante préparant actuellement une thèse sur les dispositifs d’animation théâtrale mis en place par les compagnies de théâtre-action, elle enseigne à l’Institut des sciences humaines et sociales de l’Université de Liège.
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[1]
Voir, J. Caune, La démocratisation culturelle. Une médiation à bout de souffle, PUG, Coll. « Art, culture, publics », 2006.
-
[2]
Voir, M. Molle, « L’animation, une réponse à l’éducation permanente », Ouvrage collectif Petite mosaïque culturelle, RAC, Labor/Nathan, 1976, p. 54
-
[3]
Voir, H. Dumont, Le pluralisme idéologique et l’autonomie culturelle en droit public belge : de 1830 à 1970, Bruxelles : Bruylant, 1996, p. 265-266.
-
[4]
C. Deltenre, Cahiers JEB, Le Théâtre-Action en Belgique, 1978, p. 18.
-
[5]
Mots empruntés à l’arrêté d’application de mars 2005. En effet, le TA a été reconnu dans le cadre du Décret du 10 avril 2003 relatif à la reconnaissance et au subventionnement du secteur professionnel des Arts de la Scène.
-
[6]
L. Boltanski, E. Chiapello, Le Nouvel Esprit du Capitalisme, NRF Essais, Gallimard, Paris,1999.
-
[7]
V. de Coorbyter , Les Centres Culturels dans la Communauté française de Belgique, CRISP, 1988.
-
[8]
« Patrons, Travailleurs et Syndicats », Théâtre des Rues, Tome 1, Ed. du Cerisier, 2000.
-
[9]
S. Beaud, M. Pialoux, Retour sur la condition ouvrière. Enquête aux usines Peugeot de Sochaux-Monbéliard, Fayard, 1999, Paris, p. 15.
-
[10]
Ce titre s’inspire d’un spectacle où des stagiaires en Remise A Niveau (RAN) portaient devant leur visage un cadre dans lequel un papier souple avait été tendu et présentait leur portrait. A un moment précis et tous ensemble, les participants flanquaient un coup de poing dans ce portrait-papier qui laissait apparaitre dans l’encadrement leur vrai visage, prêts à parler au public.
-
[11]
E. Goffman, Les cadres de l’expérience, Éditions de Minuit, Paris, 1974.
-
[12]
Le CPAS est un organisme public chargé, au niveau d’une commune, d’apporter l’aide sociale.
-
[13]
Une EFT est une association agréée par les pouvoirs publics. Elle remplit une mission de formation et d’autonomisation des personnes (stagiaires) qui la fréquentent.
-
[14]
Ibid. p. 339
-
[15]
Ibid.
-
[16]
Ce qui correspond peut-être à un autre « cadrage », celui du féminisme occidental mais nous ne pourrons pas discuter ce point ici.
-
[17]
P. Pharo, « La valeur d’un homme » in A. Caillé (dir.), La quête de la reconnaissance. Nouveau phénomène social total, Ed. La Découverte, Paris, 2007.
-
[18]
Ibid. p. 109
-
[19]
Ibid. p. 111
-
[20]
M. de Certeau, L’Invention du quotidien, 1. Arts de faire, Gallimard, Paris, 1990, p 35.
-
[21]
J. C. Scott, La domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne, Ed. Amsterdam, Paris, 2008 [1992], p 216.
-
[22]
J. Revel, T. Negri, Multitudes 31, Hiver 2008, p. 10
-
[23]
Voir, F. Hartog, Les Régimes d’historicité, Seuil, Paris, 2003
-
[24]
Nous empruntons l’expression au titre d’un ouvrage de J.-P. Payet, F. Giuliani et D. Laforgue, La voix des acteurs faibles. De l’indignité à la reconnaissance, PUR, 2008.
-
[25]
L. Boltanski, E. Chiapello, Le Nouvel Esprit du Capitalisme, Gallimard, coll. « NRF Essais », Paris, 1999, p. 570.
-
[26]
Sur la potentialité de politiques de la réversibilité voir D. Vrancken, Social Barbare, Couleur Livres, 2010, p. 94-97.
1Cet article s’attache à apporter des éléments de réponse à ces questions, privilégiant l’hypothèse selon laquelle il subsiste, encore aujourd’hui, une forte dimension critique dans l’animation théâtrale développée par les compagnies de théâtre-action. Je tenterai de mettre en évidence la dimension politique de cette critique en détaillant les formes concrètes qu’elle revêt. Ainsi, après avoir rappelé brièvement les axes originaux du « théâtre-action » (point 1), j’aborderai (point 2) les déclinaisons de la critique au sein des ateliers théâtre. Trois modalités de discours seront mises en évidence. La typologie présentée sera illustrée par des extraits d’entretiens effectués auprès de comédiens-animateurs et des notes de terrain issues d’observations directes en ateliers. Enfin, j’évoquerai une critique qui se loge dans les dispositifs eux-mêmes (point 3). Pour ce faire, je décoderai l’atelier-théâtre comme le médiateur d’un rapport, non aliéné, au temps et à l’espace.
Le théâtre-action : un mouvement critique révolu ?
Esquisse de présentation
2Le Théâtre-action naît dans la foulée des revendications associées à « 68 ». Il se présente à la fois comme une pratique et un mouvement d’idées. Sur le plan des idées, il s’inscrit directement dans la perspective de la « démocratie culturelle » qui réclame la légitimité de toutes les cultures et revendique une place de choix pour les cultures populaires et ouvrières [1]. En effet, plusieurs critiques émanent, à l’époque, du secteur culturel pour dénoncer l’échec des politiques de « démocratisation de la culture ». En Belgique francophone, l’éducation permanente [2] devient un des fers de lance du projet de « démocratie culturelle » et la figure de Marcel Hicter s’impose dans la structuration du débat culturel [3]. Fin des années 1970, plusieurs écrits culturels vont dans ce sens.
3Au niveau de la pratique, les compagnies de théâtre-action se réunissent, dès 1978, sous le nom de Centre d’action théâtrale d’expression française. Elles définissent leurs objectifs généraux :
« 1. Jeter les bases d’une nouvelle politique du théâtre pris comme moyen d’expression, de prise de conscience et de communication des collectivités en milieu populaire, 2. Permettre aux groupes défavorisés de se réapproprier un langage pour faire entendre leurs problèmes et leurs options communes, 3. Développer la connaissance et l’expression des problèmes spécifiques aux régions, 4. Promouvoir par la création, l’émergence d’une nouvelle dramaturgie, 5. Favoriser une meilleure appréhension des divers genres dramatiques et la participation active des groupes aux techniques d’animation et de diffusion culturelles, 6. Contribuer à la diffusion de la recherche dramatique ainsi qu’à la création et la formation culturelles des travailleurs [4] ».
5En collectif et portées par ces idéaux, les compagnies de théâtre-action vont progressivement s’imposer comme un acteur spécifique des politiques culturelles en Communauté française de Belgique. De nos jours, dix-sept compagnies professionnelles sont reconnues sous le label administratif du « théâtre-action » et répondent à la démarche initiée il y a 40 ans. Formellement, les missions actuelles du théâtre-action sont de deux ordres. Tout d’abord, la réalisation d’un travail théâtral « avec des personnes socialement ou culturellement défavorisées [5] » - ce versant de l’activité est couramment appelé « travail en ateliers ». Ensuite, les compagnies réalisent des créations propres, répondant à des désirs artistiques internes. C’est ce que l’on appelle les « créations autonomes ».
6Dans la suite de l’analyse, je n’envisagerai qu’un versant de la pratique des compagnies : celui des « ateliers ». Cette mission strictement participative réclame que des comédiens (dits « comédiens-animateurs ») se rendent sur un terrain pour réaliser une « création collective » et que cette dernière soit portée, théâtralement, par des personnes ordinaires qui, pour l’occasion deviennent les acteurs d’une pièce traitant (avec leurs mots) de réalités qui les concernent. On parle parfois de « théâtre endogène ». Très concrètement, l’« atelier théâtre » est une activité composée d’un nombre de séances répétées (généralement 3 heures, une fois par semaine) avec un même groupe (généralement composé d’une douzaine de personnes, variant de deux participants à une petite vingtaine au maximum) pendant une durée relativement longue ou intense (généralement, 10 mois) permettant d’envisager sérieusement (sans toujours y parvenir) une création collective (le plus souvent théâtrale) où les participants sont les acteurs de la pièce.
De la désuétude politique du théâtre-action
7Parler de la « critique » à partir du théâtre-action peut paraître évident au premier abord puisque, historiquement, le théâtre-action prend corps au sortir des années 68 : il s’inscrit donc pleinement dans les « années critiques [6] ». Concrètement, il s’oppose à une conception monolithique de l’art et se lie très rapidement au mouvement ouvrier. Mouvement qui voit naître en son sein une série d’actions culturelles (dans les Maisons du Peuple, par exemple). En effet, les compagnies de théâtre-action proposent un lieu spécifique d’expression et de création à destination d’autres cultures (prolétaires, minoritaires, ouvrières). Par là, elles instituent, en partie, le mouvement de l’éducation populaire et de la démocratie culturelle. En bref, la grille de lecture réclame que : « […] à la culture bourgeoise, produit préfabriqué marqué par ses origines de classe et dont la démocratisation renforcerait l’oppression capitaliste, doit se substituer une culture authentiquement populaire, expression vivante et fidèle de la grande masse des exploités [7] ».
8Refusant de jouer, uniquement et principalement, dans les lieux prestigieux et les institutions, les compagnies se rendent dans les usines (Siemens à Baudour, Salik à Quaregnon ou encore Farah à Obourg) où elles soutiennent les mouvements de grèves et se mettent au service de revendications en fournissant aux travailleurs des outils théâtraux permettant de « représenter » leur combat. Les compagnies participent ainsi à la critique d’une culture jugée dominante, unique et bourgeoise, faisant de la culture, en général, et du théâtre, en particulier, un outil, un support, un espace au service d’une population en l’occurrence, ouvrière. Par exemple, quatre ateliers liés à des conflits en usine sont animés entre 1978 et 1980 par le Théâtre des Rues [8]. Aujourd’hui encore, on retrouve un attachement à une implantation alternative par rapport aux réseaux de diffusion culturels habituels. Un directeur de troupe s’amusait récemment à dire que sa compagnie « joue partout, même dans les théâtres » (directeur d’une compagnie, 17 mai 2010).
9Pourtant, malgré quelques constantes observées à travers le temps (jouer dans des lieux non-évidents pour la culture ; soutenir la prise de parole et la création théâtrale collectives ; etc.), la nature et la forme de la critique n’ont pas traversé le temps sans se voir remises en question. D’aucuns perçoivent une véritable mutation dans l’action théâtrale. Le glissement le plus criant pour les comédiens-animateurs de la première heure concerne les publics avec lesquels ils travaillent. « Bon, au niveau des luttes ouvrières, ne rêvons pas, ça n’existe plus ou quasi… […] Donc, à ce niveau-là, il y a beaucoup moins de choses qui se font mais c’est beaucoup plus sur le tissu associatif que le travail s’est reporté ». (comédienne-animatrice, 24 novembre 2008). Depuis la fin du XXe siècle, « les ouvriers existent, mais on ne les voit plus [9] » : ils ne sont plus structurés en mouvement et leur existence politique semble réduite. Ce constat n’échappe pas aux comédiens-animateurs qui voient leurs pratiques se métamorphoser. Certains d’entre eux regrettent d’ailleurs ce temps glorieux et presque mythique où l’action théâtrale prenait des allures révolutionnaires. « Chaque fois qu’il y avait un conflit social quelque part, on nous téléphonait… L’usine Continental est occupée par les travailleurs, on arrivait… ou bien telle manif ! » (Co-fondateur d’une compagnie, le 18 septembre 2009).
10L’imaginaire de la lutte, spécifique à la fois à l’époque et au métier de comédien-animateur, a disparu et avec lui c’est tout le thème du politique qui est remis sur le métier. La pratique contemporaine serait ainsi entrée dans un clair-obscur où tout se présente en demi-teintes. Puisque le Grand Soir n’aura pas lieu : que fait-on ? Est-on dans l’émancipation ou bascule-t-on dans le contrôle social ? Est-ce populaire ou populiste ? Défend-on une conception positive ou négative de l’être humain ? Cherche-t-on à allumer le feu de la révolution ou à faire taire les masses ? S’agit-il de prendre ou de recevoir ? Sert-on de catharsis ou de vecteur de sensibilisation ?
11Aux fins sans doute d’éloigner l’incertitude des temps présents, certains se remémorent l’originelle clarté : « À l’époque, la démarche est quand même politique… Quand on dit : on veut créer un autre public pour le théâtre, ce n’est pas une démarche du divertissement… C’est que nous pensons que la culture, que le théâtre, peuvent être des éléments de prise de conscience, d’action politique » (co-fondateur d’une compagnie, le 18 septembre 2009). Un autre : « La conscience de classe a disparu. […] la classe ouvrière à l’époque était pourtant la classe qui assumait, à la fois, la plus grande souffrance humaine et qui allait changer le monde… pour tout le monde… » (Fondateur d’une compagnie, 6 juin 2009). Sous-entendu : on croyait fermement à cette superposition historique du peuple, de la classe ouvrière et du public de théâtre.
12L’évocation de cet autre temps (sûrement autant fantasmé qu’effectif) nous amène à interroger sérieusement l’actualité. Pour ce faire, deux écueils doivent être évités : le premier serait de nourrir l’analyse exclusivement par les reliques d’un passé révolutionnaire révolu ; le second serait d’orienter le regard sur « ce qui émerge », glissant alors dans l’amour incertain du futur avec les termes de « projets » et d’« innovation ». Entre ces deux voies, j’ai choisi de rester, simplement, au plus près des actes observés et des discours entendus.
La critique logée dans les discours
13Tous ceux qui incarnent peu ou prou la figure du désarroi contemporain ont des chances raisonnables de croiser, un jour ou l’autre, une offre d’« atelier théâtre » leur proposant de réaliser une création collective à partir de leurs compétences et histoires propres. En effet, des ateliers théâtre prennent place, de nos jours, dans à peu près tous les lieux du social. On en trouve dans les services d’insertion sociale des organismes communaux, dans les centres d’alphabétisation et de formation en tout genre, etc. Peut-on dire que ce report de la pratique théâtrale d’animation vers le public du social atteste d’une perte du politique ? L’écoute attentive des discours ainsi que l’observation des formes théâtrales et rhétoriques devraient aider à répondre à cette question. La présentation de trois formats de critiques potentielles suit.
« Péter le cadre ! » [10]
« Lui : pour montrer aux gens ce qu’il se passe dans le secteur. Changer les mentalités.
Elle : Et le fait de dire : un chômeur, c’est pas spécialement quelqu’un de pourri.
Lui : On n’est pas des kleenex, c’est vrai. » (Deux participants à un atelier)
15Classiquement, la première critique concerne l’institution. Sur le plan des processus, le travail en atelier vise dès lors un éloignement du soi par rapport à un « cadrage institutionnel [11] » qui imposerait un sens. Est alors évoquée une institution jugée trop puissante, trop pressante, totale. Généralement cette voie critique aborde les participants-acteurs sous le postulat anthropologique d’êtres en tension, aux prises avec leurs désirs, leurs desseins de liberté. Ces derniers seraient brimés par l’institution dont ils dépendent (par exemple, un Centre public d’action sociale [12] ou une Entreprise de formation par le travail [13]). En effet, l’institution saisit ceux qui sont à portée de ses filets et inonde l’activité de la signification qu’elle entend lui faire revêtir. En cela, on pourrait parler d’ « absorption [14] ». Ainsi, qu’ils soient des chômeurs inscrits en formation, des demandeurs d’asile dans un centre de la Croix Rouge, des prisonniers dans un Centre de détention, peu importe ; l’animation théâtrale va venir questionner le « cadre » identitaire imposé (ou suggéré) par l’institution. Cette critique trouve donc sa source dans une dialectique entre le discours (et le jeu) des participants et le travail de l’animateur.
16Au sein du cadre institutionnel que peut représenter le centre d’action social ou l’EFT, l’atelier théâtre offre à la personne la possibilité d’une « rupture de cadre [15] » et d’une prise de distance. Ici, la personne ne se réduit plus à ce que l’institution dit qu’elle est. Elle ne se confond plus avec l’institution mais s’y confronte grâce au processus de création collective qui instaure un espace de dialogue entre l’une et l’autre. En effet, l’animateur autorise un positionnement non-consensuel. L’espace de création favorise le jeu dialectique visant l’amélioration des conditions existantes. Dans cette dynamique, la critique vise d’une part l’institution et d’autre part une identité sociale. Elle est issue du rapport des deux. Une animatrice évoque la rupture de cadre en ces termes : il s’agit – en atelier – d’« amener toute une série de questions qui relèvent de contradictions et qui, finalement, donnent la possibilité, d’abord au groupe qui fait ce spectacle-là et ensuite au public (le non-public comme on l’appelle) d’analyser les mécanismes des injustices sociales » (comédienne-animatrice, 18 mars 2009).
17N’est-ce pas dans ce jeu subjectif d’un positionnement, du décodage d’un cadre institutionnel et social que se réalise l’enjeu de « péter le cadre ! » ? Des interactions concrètes se produisent en atelier et peuvent en témoigner. Par exemple, lors d’une animation avec des femmes d’origine magrébine en alphabétisation, une animatrice déploie une réflexion en trois temps. Au milieu des commentaires approbateurs des participantes, voici ce qu’elle dit : « donc, c’est quoi le problème ? Ce n’est pas le mariage.(1)
18Écoutez les filles, vous avez dit : “je ne suis pas seulement une mère” (2)
19Donc, c’est pas qu’on ne veut pas vivre avec un homme, c’est que… Si on doit tout faire, qu’on est dépendante… C’est ça hein ! » (3)
20En posant une question (1), en excluant une réponse et en rappelant la parole du groupe (2), en tirant des conclusions (3) : l’animatrice propose une critique. En l’occurrence, elle réclame un partage des tâches et une autonomie. Dans l’atelier en question, il s’agit de rompre avec une vision traditionnelle des relations hommes-femmes et les participantes le comprennent vite. L’animatrice va soutenir une parole d’émancipation de la femme [16]. Concrètement, dans la pièce de théâtre, on observera des femmes qui réclament toute une série de choses (un compte en banque personnel et une libre gestion de l’argent, par exemple). Ouverte avec « No women no cry », la pièce se clôture également en musique sous « Stand up for your rights ». Au sujet du partage des tâches, voici comment la question sera traitée théâtralement en répétition :
21« Une femme, chez elle, s’affaire avec les enfants, elle fait le ménage. Pendant qu’on la voit s’agiter dans la pièce d’une maison, celui qu’on suppose être son mari (joué par une femme du groupe alpha) regarde la télé. À un moment, il crie « Maria, une tasse de café ». La demande tombe, Maria accélère le pas, un bébé crie, les enfants jouent et se battent. Maria va chercher le bébé et accélère le pas, encore. Le mari insiste, confortablement installé dans son divan. Maria accomplit comme une femme-orchestre les diverses tâches et sort. La scène se termine par un message où une femme dit : « je suis fatiguée, je suis triste, je voudrais aller me promener, respirer, voir des gens » (Note d’observations).
22Le cadre identifié ici et travaillé par le groupe est bien celui d’un rôle restreint et traditionnel pour la femme. « Péter le cadre », consiste donc à dépasser ce rôle. La production fictionnelle est doublement critique : dans le discours, d’abord, et dans sa forme, ensuite. Il convient, en effet, de se rendre compte du trajet que représente pour ces femmes une création collective qui prétend être diffusée publiquement. D’ailleurs, le projet connaît ses limites et au lieu d’une pièce de théâtre qui montre les corps sur scène, il aboutira à une captation filmée. Le filtre de la caméra (réinterprété par le processus du théâtre-action) offre une place aux femmes qui ne souhaitent figurer que de dos ainsi qu’à celles qui s’affichent, qu’elles soient voilées, perruquées (avec un voile, sous la perruque) ou tête nue.
Je m’appelle, je suis, j’existe
« À certains moments du spectacle, ils s’arrêtaient pour dire, «Moi je m’appelle Mohamed» et «moi je m’appelle Abdel» et moi je m’appelle… Donc chacun disait son nom, un petit peu en aparté au public, comme s’ils disaient : ‘ Je fais du théâtre mais, pour moi, l’important c’est que vous connaissiez mon nom’… » (Un comédien-animateur)
24Le deuxième motif critique que l’on peut débusquer au sein des prises de parole en ateliers-théâtre concerne la valeur qu’une personne souhaite se voir accorder en tant que personne humaine : sa valeur intrinsèque. Le thème de la valeur de soi est fréquemment abordé par le processus et les spectacles d’ateliers. Les participants s’entre-définissent en tant qu’individu et en tant que groupe. Il s’agit, d’abord, de refuser une identité assignée, notamment celle que l’institution (ou la société) colle à la peau de participants. Mais il s’agit aussi de réclamer une valeur en soi, intrinsèque.
25Se nommer, selon les termes que l’on choisit soi-même ; participer activement à la présentation de soi ; à la construction des traces que l’on laisse à l’autre pour nous identifier : voilà, quelques-uns des enjeux de l’atelier-théâtre. Voilà aussi comment les discours prononcent une critique. L’animé dit « je ne suis pas que cela », l’animateur et les co-animés disent « c’est vrai tu es plein d’autres choses » et reconnaissent la personne dans ces autres aspects. Ensemble (les uns avec les autres mais aussi les uns à côté des autres) les participants travaillent avec l’animateur à dire quelque chose sur eux personnellement ou collectivement.
26Souvent, la valeur réclamée se construit en opposition avec un ordre valoriel rattaché à l’imaginaire libéral et méritocratique. Dans cette course à la reconnaissance, deux anthropologies se confrontent, entrent en résonance. Sur scène, ne se pose alors - rien de moins- que la question de « la valeur d’un homme ». Au sujet de cette valeur, Patrick Pharo distingue la « valeur fonctionnelle », la « valeur d’agrément » ainsi que la « valeur juridique et morale [17] ». Les spectacles d’atelier proposent généralement une remise en question de la valeur fonctionnelle comme seule valeur légitime. Comme le note Pharo en évoquant les vieillards, et comme on pourrait le faire au sujet des chômeurs, certaines positions sociales favorisent une « impression de vacuité fonctionnelle [18] ». Or, les compagnies de théâtre-action fréquentent plus particulièrement ces groupes où le sentiment d’utilité pourrait être malmené. Comment se sentir « chômeurs » ? Comment se sentir « sans-papier », « sans permis de travail » ? Comment se sentir « femme au foyer » ? Le réflexe est alors pour le sujet de réclamer une valeur, malgré tout ! Il s’agit : « d’en appeler à un monde où, étant ce qu’il est, il aurait encore quelque chose à faire pour autrui, quelque chose à apporter, un monde dans lequel il ne serait pas seulement redevable mais contributeur [19] ». Purement, le sujet réclame ici une reconnaissance de sa « valeur intrinsèque ».
27Ce processus critique peut aboutir à des mises à nu particulièrement frappantes, voire choquantes pour certains. La question que pose, alors, un tel discours entre en relation directe avec l’hyper-visibilité sociale que nos sociétés contemporaines réclament aux exclus. Est-on encore critique lorsqu’on participe à la décomposition progressive de toute intimité ? La réponse, partielle et partiale, que fournissent à ce sujet les animateurs concerne la puissance du jeu. L’arrogance de la scène permettrait de confondre le vrai et le faux sans qu’il ne soit jamais demandé à personne de se dire vraiment, de démêler l’intrigue du soi. Ainsi, l’espace scénique serait le double garant d’une protection et d’une libération de soi. Il ouvrirait les possibles d’un dénuement (réel et fictif) et de la composition d’un alter ego (réel et fictif). En bref, une manière de faire voler en éclats l’image réductrice de l’homme fonctionnel défendue par l’imaginaire libéral et méritocratique.
Système « D »
« Débrouille, donc c’est quelque chose de connu. Et, c’est vrai que la débrouille permet d’arriver à des choses assez formidables. Le projet-défi qu’ils ont lancé c’était : il y en a un qui a dit un jour ‘on irait bien faire un voyage à Rome’. Et d’autres ont relevé le mot en se disant pourquoi pas. De là, il y a eu une forme d’accord dans tout le groupe en se disant : ben oui on va essayer d’aller passer 3 ou 4 jours à Rome ! Et personne n’y croyait au départ. » (Une travailleuse sociale, initiatrice d’un projet d’atelier-théâtre)
29Une troisième modalité critique se présente comme réponse aux situations de stigmate. Elle entre en adéquation avec l’idée d’une valeur intrinsèque pour mettre en évidence une compétence : celle de la débrouille. En effet, l’éloge de la « débrouille » permet aux participants d’atelier de faire-valoir, publiquement, un mode de vivre et de faire. Contre la vie difficile, malgré la misère et le mépris, des capacités et des compétences existent, subsistent. Le spectacle permettra de leur rendre une certaine notoriété, une certaine reconnaissance.
30Cette « débrouille » renvoie immédiatement à des pratiques de résistances. En particulier : « Mille façons de jouer/déjouer le jeu de l’autre, c’est-à-dire l’espace institué par d’autres, caractérisent l’activité, subtile, tenace, résistante, de groupes qui, faute d’avoir un réseau propre, doivent se débrouiller dans celui de forces et de représentations établies [20] ». Ainsi, l’inventivité et la vie trouveraient à s’exprimer dans ces petits riens que montre une forme subtile, presque silencieuse, de critique.
31Dans les ateliers, cette valorisation des pratiques concrètes (et potentiellement critiques) des participants est souvent réalisée. L’animateur renvoie fréquemment le participant en peine avec l’action d’un personnage vers lui-même : « Et toi, qu’est-ce que tu fais dans cette situation ? Qu’est-ce que tu ferais/dirais dans la situation de ton personnage ? ». Alors, les mécanismes de l’invention réelle se déploient et c’est notamment par là que la petite histoire théâtrale s’ancre dans l’histoire des participants. Dans un atelier de femmes en alphabétisation, un tel processus a pu être observé. Dans le jeu, une femme demande à son mari de l’argent pour acheter du pain. L’époux donne un euro. La femme le prend et sort. Au sujet de cette scène, s’est posée la question de savoir si la femme devait (ou non) dire « merci » lorsqu’elle recevait l’euro de la main du mari. L’interaction entre les deux femmes, actrices pour l’heure, avaient donné lieu à plusieurs versions non stabilisées. Plusieurs participantes, spectatrices du travail en cours, ont insisté : « Ne dis pas “merci” ! », « Moi, je ne dis pas “merci” quand il me donne un euro ».
32Le refus de dire « merci » contient ici une critique expérimentée de la domination masculine et financière. Or, « Chacune des formes de résistances déguisées, des formes d’infrapolitique, est le partenaire silencieux d’une forme bruyante de résistance publique [21] ». On voit donc poindre, dans cet exemple, une forme de critique douce mais sûre que la pièce va porter. Ainsi, la mise en évidence des pratiques et du dire des groupes avec lesquels travaille l’animateur suppose une écoute particulière permettant de saisir ces « petits riens » qui font la critique, dans la débrouille.
Conclusion : « petits riens pratiques » et grandeurs critiques
33La présentation de ces trois formes critiques (Péter le cadre, Se nommer et la Débrouille) indique combien le discours critique est, à la fois, partout et nulle part. Par exemple, les animateurs rencontrés s’entendent pour accorder aux temps de pause un sens particulier : c’est, souvent, lors des échanges qui prennent place, autour de la tasse de café, que l’animateur va recueillir une phrase-choc, un ressort dramaturgique important… Le discours critique se tapit dans les coins et recoins des échanges anodins, réels et virtuels. Par le truchement de « petits riens », d’une « émotion », peut alors émerger un discours politique et critique articulé. Finalement, l’atelier mettrait en perspective des corps et des voix qui s’indignent, réclament et dévoilent.
La critique logée dans les dispositifs
« Reprendre le commun, reconquérir non pas une chose mais un processus constituant, c’est-à-dire aussi l’espace dans lequel il se donne [22] »
35La critique prend aussi un appui spécifique sur le dispositif en lui-même. En dehors de ce que les spectacles racontent, le dispositif théâtral dans lequel s’impliquent les participants semble en effet agir directement sur leur vie. Comme un espace-temps du creux, comme une brèche destinée à l’expérimentation de la démocratie, l’atelier théâtre se situe en-dehors de l’habituel, de la routine.
L’espace
36L’espace et le contexte de l’atelier revêtent une importance fondamentale lorsqu’on souhaite saisir d’autres dimensions de la critique. Pour la plupart des participants, se rendre à l’atelier est un acte particulier. Selon certains, la difficulté réside dans l’accès, du point de vue de la mobilité. Plus généralement, un obstacle émerge quand il s’agit de s’extraire du proche, du familier pour parvenir à pénétrer un autre territoire. En effet, le quotidien des participants est souvent ramassé en un espace-temps réduit, comme celui du domicile. La participation à l’atelier nécessite alors un détachement vis-à-vis de la télévision, des tâches et activités quotidiennes, mais aussi des « on-dit » du voisinage, de la famille, des soucis, etc. En bref, par rapport à tout ce qui peut œuvrer à l’enfermement et à l’isolement progressif. Un travail est alors entrepris par la personne sur elle-même, il apparaît comme une rupture. La rupture se situe tant dans la « propulsion de soi » vers d’autres lieux que dans l’« extraction de soi par rapport au familier ».
37Lorsque l’atelier s’inscrit dans un contexte plus cadré comme c’est le cas, par exemple, pour des participants émargeant au CPAS, des chômeurs en formation ou des apprenants en alphabétisation, l’activité est rarement contrainte. Elle peut cependant être très vivement recommandée. Ce qui n’est pas sans conséquence. À ce sujet, je souhaiterais évoquer le cas d’un atelier animé par une compagnie dans un quartier multiculturel de Bruxelles, Saint-Josse.
38Très vite, les animateurs se sont aperçu que de nombreux participants cachaient les activités théâtrales à leurs proches. En effet, l’atelier avait été proposé dans le cadre d’un cours d’alphabétisation et quelques apprenant(e)s n’ont jamais dit à leur famille que les cours d’alphabétisation s’étaient mutés en activités théâtrales. Comment en effet évoquer ces 3 heures par semaine à « faire du théâtre » et à « raconter des histoires » ? Premier acte critique, sans doute, dans ce contexte que de continuer à venir alors qu’on ressent la potentielle désapprobation de son entourage.
39Dans le même ordre d’idées, lorsque le participant arrive à l’atelier un aménagement du lieu doit généralement être opéré. Ce travail concret sur l’espace s’inscrit pour les uns dans les corps, pour d’autres dans une observation assidue du mouvement. La « mise en place » de l’atelier imprime un rapport spécifique au lieu. Souvent, comme nous l’avons vu, les ateliers se tiennent dans des lieux inattendus : la salle de réunion d’un CPAS, une classe d’école ou d’un centre polyvalent, etc. Il s’agit alors de repousser les tables, d’organiser les chaises, de brancher la machine à café, sortir les tasses,… Chaque atelier possède à ce sujet un rituel bien établi : là, c’est le thé, ailleurs le morceau de tarte ! Les cigarettes partagées, les photos des enfants que l’on se montre, tout cela sédimente la confiance d’un groupe. L’aménagement d’un espace d’échanges, dans lequel sont apportés divers objets et aliments, trace les contours du dispositif « atelier » qui se construit et se déconstruit à chaque séance. Comme un livre que l’on ouvre et que l’on referme, l’atelier théâtre suit généralement une procédure d’ouverture et de clôture bien établie. Ce qui appelle spécifiquement un espace de l’« entre-deux », situé « en dehors » des lieux habituels du soi et « en dedans » d’un lieu, construit et politique, du « nous créateur ».
Le temps
40Lorsque l’on s’intéresse au rapport au temps, il convient de ne pas oublier ses multiples dimensions : les régimes de temporalités historiques et sociales qu’impulsent les civilisations [23] ; les temps de vie, individuels ou familiaux ; le temps d’un projet ou d’une cause, institutionnel ou militant, etc.
41Les participants aux ateliers-théâtre semblent pris dans un paradoxe temporel : leurs vies quotidiennes vont, à la fois, trop vite et trop lentement. Au-dehors de l’atelier, tout va trop vite. Comme si les opportunités (d’embauche, de carrière, de rencontre, de plaisir, etc.) ne prenaient jamais le temps de s’arrêter à la porte d’un « acteur faible [24] ». Et, c’est sûrement le propre d’une opportunité, de passer. Reste, pourtant, un sentiment d’être « aux bords » du rythme infernal de la vie des autres, de se situer « à la marge » ; reste cette impression amère d’un alpiniste en bout de cordée et qui n’a plus de prises. Sensation exacerbée, sans doute, par l’ensemble des dispositifs d’insertion habituels et destinés à « booster », « (re)dynamiser », rendre plus mobile et plus flexible. Mais le temps est aussi trop lent, en-dedans de soi ! En effet, le temps est long et lent lorsqu’il se dilate dans la solitude et l’isolement, que le ressenti s’étire dans l’impossibilité de penser et construire « une suite » à son histoire personnelle. Que signifie alors l’exigence contemporaine d’activation au regard de ces rythmes vécus, opposés, mais tous deux excluants ? Ce rapport paradoxal au temps serait le propre des publics-participants auxquels s’adresse le processus de création collective en atelier.
42Ainsi, la question de la maîtrise du temps est à la fois une question cruciale pour ces populations et un enjeu fondamental du dispositif. Autour de cet enjeu, se dessine un potentiel critique. En se donnant comme « autre » temps, le temps de l’atelier théâtre s’impose comme un temps de décalage (choisi) qui viendrait « donner le temps au temps ». Ainsi, comme le notent Boltanski et Chiapello : « Un pas dans le sens d’une libération passe peut-être aujourd’hui par la possibilité de ralentir le rythme des connexions, sans craindre pour autant de ne plus exister pour les autres, de sombrer dans l’oubli et, à terme, dans l’”exclusion” ; […] [25] ». Les animateurs en font une analyse similaire lorsqu’ils se réjouissent par exemple de ne pas être tenus par une exigence de programmation de spectacle. Dans ces cas, l’animateur fait valoir le bonheur qu’il a d’accomplir sa mission créatrice dans une liberté temporelle qu’il savoure autant pour lui-même que pour le groupe. D’autres animateurs, au contraire, établissent - dans l’atelier et dans leur propre travail - un rapport au temps lié à l’échéance de la rencontre avec le public. La date du spectacle est alors censée impulser une dynamique au groupe : elle aurait des vertus stimulantes. Dans les deux cas, le temps est un temps de rupture car un temps (total) de création. Le champ lexical de ce rapport au temps en témoigne, il est celui de : « expérience », « espace imaginaire », « personnage », « fiction », « vécu », « détour », « distance », « décentrement », « narration », « personnage (social) », « catégories », « capacités expressives », « intersubjectivité », « regard de l’autre », etc.
43Par ailleurs, la maîtrise du temps n’intervient pas uniquement dans le rapport à l’échéance que représente le spectacle. Le temps est, également, maîtrisé dans la mesure où chaque participant va détailler une biographie pour son personnage, où l’histoire qui se raconte s’étale et se déploie dans une durée construite. Dans cet exercice de narration, le rapport au passé, au futur et au présent représente un véritable défi. Les personnages parlent au présent… La construction du personnage est l’incarnation « immédiate » de ce qui, pour la personne, s’est produit : « il était une fois ». Or, à la différence de la vie ordinaire, le temps devient ici un enjeu : ce qui est (a été) fait pourra être refait, défait, repensé. Une ouverture libératrice intervient alors et prend tout son sens dans un rapport de réversibilité [26].
Conclusion : vivre la critique au quotidien
44Finalement, je pense avoir relevé dans les ateliers de théâtre-action diverses branches critiques. En m’intéressant aux discours, j’ai détaillé trois formats critiques. Le premier concerne les cadres, pesants, que peuvent être l’institution et la pression sociale. La deuxième touche le participant qui, amputé d’une partie de lui-même, en vient à revendiquer une valeur en soi (intrinsèque). Le troisième s’appuie sur les « petits riens » critiques des pratiques ordinaires et repose sur la valorisation de la débrouille. Ainsi, nous avons pu voir comment des femmes (en alphabétisation) se sont opposées à un modèle patriarcal les réduisant à la sphère domestique ; comment des chômeurs ont refusé un imaginaire libéral et méritocratique qui les décrit en termes de fardeau social. Ceci aboutit à trois mouvements critiques qui concernent l’individu : un mouvement d’extraction (Péter le cadre) ; un mouvement de maintien (Se nommer) et un mouvement de réinvention de soi (La débrouille).
45Par ailleurs, des ressorts critiques ont également été dénichés dans l’organisation matérielle (espace-temps) du dispositif. L’atelier est un lieu de création et un lieu d’« extraction du quotidien ». Il amène une possible démarche de désaliénation par rapport à des territoires enfermants. À travers l’exemple de l’atelier de Saint-Josse, l’espace de l’atelier apparaît comme un désaliénant par rapport à l’espace domestique. Enfin la temporalité propre au nouvel esprit du capitalisme s’est vue malmenée par la constitution, dans l’atelier, d’un temps propre, décalé, alternatif. De plus, par les histoires que les participants créent et se racontent, un principe de réversibilité tend à instaurer un rapport libéré au temps vécu et à vivre.
46Il me semble, au final, que ces critiques pourraient rivaliser, sans honte, avec la critique traditionnelle portée par le théâtre-action à l’époque où celui-ci s’épanouissait dans les usines. Loin d’une dépolitisation de l’action ou d’une désubstantialisation de la critique, aujourd’hui encore, le théâtre-action s’offrirait comme un espace potentiel pour un discours politique articulé : cette voix collective et théâtrale puise aux sources de l’humain et se laisse entendre à tous ceux qui veulent bien se donner la peine d’écouter un peu…
Notes
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[*]
Doctorante préparant actuellement une thèse sur les dispositifs d’animation théâtrale mis en place par les compagnies de théâtre-action, elle enseigne à l’Institut des sciences humaines et sociales de l’Université de Liège.
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[1]
Voir, J. Caune, La démocratisation culturelle. Une médiation à bout de souffle, PUG, Coll. « Art, culture, publics », 2006.
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[2]
Voir, M. Molle, « L’animation, une réponse à l’éducation permanente », Ouvrage collectif Petite mosaïque culturelle, RAC, Labor/Nathan, 1976, p. 54
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[3]
Voir, H. Dumont, Le pluralisme idéologique et l’autonomie culturelle en droit public belge : de 1830 à 1970, Bruxelles : Bruylant, 1996, p. 265-266.
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[4]
C. Deltenre, Cahiers JEB, Le Théâtre-Action en Belgique, 1978, p. 18.
-
[5]
Mots empruntés à l’arrêté d’application de mars 2005. En effet, le TA a été reconnu dans le cadre du Décret du 10 avril 2003 relatif à la reconnaissance et au subventionnement du secteur professionnel des Arts de la Scène.
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[6]
L. Boltanski, E. Chiapello, Le Nouvel Esprit du Capitalisme, NRF Essais, Gallimard, Paris,1999.
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[7]
V. de Coorbyter , Les Centres Culturels dans la Communauté française de Belgique, CRISP, 1988.
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[8]
« Patrons, Travailleurs et Syndicats », Théâtre des Rues, Tome 1, Ed. du Cerisier, 2000.
-
[9]
S. Beaud, M. Pialoux, Retour sur la condition ouvrière. Enquête aux usines Peugeot de Sochaux-Monbéliard, Fayard, 1999, Paris, p. 15.
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[10]
Ce titre s’inspire d’un spectacle où des stagiaires en Remise A Niveau (RAN) portaient devant leur visage un cadre dans lequel un papier souple avait été tendu et présentait leur portrait. A un moment précis et tous ensemble, les participants flanquaient un coup de poing dans ce portrait-papier qui laissait apparaitre dans l’encadrement leur vrai visage, prêts à parler au public.
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[11]
E. Goffman, Les cadres de l’expérience, Éditions de Minuit, Paris, 1974.
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[12]
Le CPAS est un organisme public chargé, au niveau d’une commune, d’apporter l’aide sociale.
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[13]
Une EFT est une association agréée par les pouvoirs publics. Elle remplit une mission de formation et d’autonomisation des personnes (stagiaires) qui la fréquentent.
-
[14]
Ibid. p. 339
-
[15]
Ibid.
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[16]
Ce qui correspond peut-être à un autre « cadrage », celui du féminisme occidental mais nous ne pourrons pas discuter ce point ici.
-
[17]
P. Pharo, « La valeur d’un homme » in A. Caillé (dir.), La quête de la reconnaissance. Nouveau phénomène social total, Ed. La Découverte, Paris, 2007.
-
[18]
Ibid. p. 109
-
[19]
Ibid. p. 111
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[20]
M. de Certeau, L’Invention du quotidien, 1. Arts de faire, Gallimard, Paris, 1990, p 35.
-
[21]
J. C. Scott, La domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne, Ed. Amsterdam, Paris, 2008 [1992], p 216.
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[22]
J. Revel, T. Negri, Multitudes 31, Hiver 2008, p. 10
-
[23]
Voir, F. Hartog, Les Régimes d’historicité, Seuil, Paris, 2003
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[24]
Nous empruntons l’expression au titre d’un ouvrage de J.-P. Payet, F. Giuliani et D. Laforgue, La voix des acteurs faibles. De l’indignité à la reconnaissance, PUR, 2008.
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[25]
L. Boltanski, E. Chiapello, Le Nouvel Esprit du Capitalisme, Gallimard, coll. « NRF Essais », Paris, 1999, p. 570.
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[26]
Sur la potentialité de politiques de la réversibilité voir D. Vrancken, Social Barbare, Couleur Livres, 2010, p. 94-97.