Notes
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[1]
F. Héritier, Masculin/ Féminin. La pensée de la différence, Odile Jacob, 1996, 336 pages, 22 €.
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[1]
F. Héritier, Masculin/Féminin. La pensée de la différence, Odile Jacob, 1996.
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[2]
Il s’agit d’un point controversé : ainsi E. Peyre et J. Wiels (« Le sexe biologique et sa relation au sexe social », Les temps modernes, 1997, n° 593) soutiennent, contrairement à F. Héritier, que constater la présence de la division sexuelle du travail dans toutes les sociétés connues dans le temps et dans l’espace ne permet pas pour autant d’affirmer que celle-ci existe depuis les origines de l’humanité.
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[3]
B. Malinowski, La vie sexuelle des sauvages du nord-ouest de la Mélanésie, Payot, 1930. S. de Beauvoir, Le deuxième sexe, Gallimard, 1949.
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[4]
Différent de l’homosexualité, qui n’est pas intégrée à l’analyse.
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[5]
Par exemple M. Wittig (La Pensée Straight, Balland, 2001), pour qui « les lesbiennes ne sont pas des femmes ».
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[1]
F. Héritier, Masculin/Féminin. La pensée de la différence, Odile Jacob, 1996.
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[2]
Et le Clonage, pp. 150-153.
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[3]
Cf. Chapitre 4, « Le point d’aveuglement de Simone de Beauvoir. Après la révolution néolithique », p. 99-120.
Ce compte rendu supposait à l’évidence de procéder à une relecture de cet ouvrage à la lumière des critiques adressées par Françoise Héritier ; faute de temps, cette relecture a été différée. -
[4]
Cf. Chapitre 4 de la troisième partie, « Obstacles et blocages. De l’usage du corps des femmes », p. 287-352.
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[5]
P. Bourdieu, La domination masculine, Seuil, 1998.
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[1]
F. Héritier, Masculin/Féminin II, Odile Jacob, 2002, p. 33-34.
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[2]
F. Héritier, Masculin/Féminin : La pensée de la différence, Odile Jacob, 1996.
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[3]
Selon les sociobiologistes, tout l’investissement nécessaire à un mâle pour assurer la reproduction de son matériel génétique est un rapport sexuel avec une femelle fertile – une affaire de quelques minutes. Pour une femelle par contre, la reproduction de son matériel génétique demande l’investissement de mois, parfois d’années, dans la grossesse et l’allaitement. D’où des pressions en faveur d’évolutions différentes sur les mâles et les femelles, et le développement des traits comportementaux différents qui ont fini par être transcrits dans l’ADN.
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[4]
F. Héritier, Masculin/Féminin II, p. 16.
-
[5]
G. Steinem, « If men could menstruate », dans G. Steinem, Outrageous Acts and Everyday Rebellions, Fontana Paperbacks, London, 1984, p. 337-340, p. 339.
-
[6]
R. Wrangham et D. Peterson, Demonic Males : Apes and the Origins of Human violence, Bloomsbury, London, 1996.
-
[7]
F. Héritier, Masculin/Féminin II, p. 94.
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[8]
N.-C. Mathieu, (dir.), L’Arraisonnement des femmes, Éditions de l’EHESS, 1985 ; N.-C. Mathieu, L’Anatomie politique ; Catégorisation et idéologies de sexe, Côté-femmes, 1991 ; P. Tabet, La construction sociale de l’inégalité des sexes, L’Harmattan, 1998.
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[9]
F. Héritier, Masculin/Féminin II, p. 394.
-
[1]
C. Delphy, L’ennemi principal Tome 2. Penser Le genre, Syllepse 2001.
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[2]
H. Spillers citée par D. Haraway Ciencia, cyborgs y mujeres. La reinvención de la naturaleza. Ediciones Cátedra, Universitat de València, Instituto de la Mujer, Madrid, 1995.
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[3]
M. Foucault, Histoire de la sexualité I. La volonté de savoir, Gallimard, 1976.
1 En 1996, Françoise Héritier, abordant à son tour la question des rapports de genre avec Masculin/Féminin. La pensée de la différence [1], désignait dans la division comme dans la hiérarchie entre masculin et féminin un « invariant anthropologique », laissant conclure à son caractère immuable. Un fatalisme qui n’a pas manqué de lui attirer des critiques. L’anthropologue ne s’y est pas montrée sourde et a remis son ouvrage sur le métier : paru en 2002, Masculin/Féminin II : Dissoudre la hiérarchie porte un titre explicite, revendique la nécessité de combattre la dimension hiérarchique des rapports de genre, et ébauche certaines pistes dans cette direction. Largement médiatisé et salué – en partie du fait de la notoriété de son auteure – comme un apport novateur et appelé à faire référence, Masculin/Féminin II n’en suscite pas moins discussions et réserves. Pour s’en faire l’écho, Mouvements confronte ici les réactions d’une politologue : Lucie Bargel, d’une sociologue : Rose-Marie Lagrave, d’une historienne : Ilana Löwy et d’une anthropologue : Mara Viveros.
Un tableau nuancé
2 Le premier volume de Masculin/Féminin [1] étudiait la différence des sexes, en tant que principe binaire et inégalitaire à l’origine de toute culture et de toute société, et cherchait à en expliquer les ressorts. L’anthropologue s’attache ici à préciser ses analyses de la domination masculine et à examiner les perspectives de changement.
3 Comme l’indique le titre, c’est le principe hiérarchique de la division sexuelle, et non la dichotomie masculin/féminin, qui est questionné. L’existence de deux sexes est en effet présentée comme la condition nécessaire à l’expérience de l’altérité, toujours fondatrice de l’organisation sociale. La perception par les sens des différences existantes entre hommes et femmes et l’observation d’oppositions binaires dans la nature (jour/nuit, chaud/froid, etc.), structurent la pensée et les représentations des êtres humains autour d’une classification selon l’identique et le différent. « Cette catégorisation dualiste de base est à mes yeux issue de l’observation liminaire de la différence sexuée sur laquelle la pensée humaine n’a pas de prise. » (p. 15)
4 La « valence différentielle des sexes » (à la fois pouvoir d’un sexe sur l’autre ou valorisation de l’un et dévalorisation de l’autre), bien qu’invariante [2], n’est en revanche pas un effet de la nature. Autrement dit, la biologie fonde mais ne justifie pas la domination masculine. C’est parce que seules les femmes ont la capacité de produire à la fois l’identique et le différent (des filles et des fils) que les hommes se sont approprié le contrôle de leur fécondité et que le système binaire de classification est inégalitaire. La maîtrise de la procréation est par conséquent la pierre angulaire de la conquête de l’égalité entre hommes et femmes. « Grâce à la contraception, la femme devient maîtresse de son corps et n’est plus considérée comme une simple ressource ; elle use de son libre arbitre en matière de fécondité, y compris dans le choix du conjoint, le choix du nombre d’enfants qu’elle souhaite et celui du moment où elle souhaite les avoir. » (p. 143) La connaissance du rôle des gamètes mâles et femelles dans la création d’un embryon concourt également à une conception plus égalitaire de la procréation.
5 La première partie – Idées reçues toujours actuelles – examine quelques-uns des discours de légitimation de l’infériorité des femmes, en montrant les affinités entre mythes primitifs et représentations contemporaines, par exemple quant à l’impureté du sang menstruel et au danger qu’il représente. L’anthropologue s’attache à réfuter les explications « naturalisantes » des inégalités entre hommes et femmes, en termes de capacités physiques notamment. Françoise Héritier discute également la croyance à laquelle adhèrent Malinowski et Beauvoir [3] de l’ignorance par les peuples primitifs du lien entre copulation et enfantement.
6 C’est l’invariance temporelle et géographique de la valence différentielle des sexes qui permet à l’auteure, dans une deuxième partie – Critiques, de plaider contre le relativisme culturel qui décourage l’intervention pour les droits des femmes dans le monde. Après avoir dressé un vaste panorama des violences et abus sexistes (infanticides, viols de guerre, violences conjugales, crimes d’honneur, mutilations génitales, etc.), F. Héritier réclame un droit d’ingérence, les mêmes maux appelant les mêmes remèdes, s’inscrivant par là même dans une perspective évolutionniste.
7 La troisième partie – Solutions et blocages – est la plus militante, l’anthropologue y examine les enjeux de l’actualité et propose un « programme » pour dissoudre la hiérarchie. Elle fait un large recours à « la presse, considérée […] comme parole aussi digne de foi que celle des informateurs sur le terrain. » (p. 29) Le clonage reproductif est disqualifié en tant que moyen souhaitable de transformation des rapports hommes-femmes ou des systèmes de filiation. Son autorisation rendrait possible la réalisation de deux « grands rêves » utopiques, l’entre-soi consanguin et l’entre-soi de genre [4], présentant ainsi le danger de supprimer l’expérience de l’altérité, fondatrice de lien social. De même, l’anthropologue place peu d’espoir dans la contraception masculine, soulignant sa faible utilisation, inversement proportionnelle au succès du Viagra, domination masculine oblige. La contraception doit rester aux mains des femmes, et devenir accessible à l’ensemble d’entre elles. Françoise Héritier prend ainsi position sur l’ensemble des débats qui ont questionné les rapports hommes-femmes : parité – elle regrette l’inscription de la différence sexuée dans la Constitution, prostitution – elle propose une critique de la « légitimité exclusive et absolue » du désir sexuel masculin et se positionne en faveur de l’abolitionnisme, publicité sexiste, etc. L’anthropologue insiste sur la nécessité d’un travail d’éducation et de discussion préalable à des mesures législatives radicales. Enfin, elle identifie deux blocages majeurs qui doivent être levés en priorité afin de favoriser l’égalité hommes-femmes : le partage du travail parental et du travail domestique.
8 Ces prises de position nuancent le tableau de la domination masculine dressé dans le premier tome, auquel avait été reproché le caractère implacable et immuable. On peut cependant regretter l’absence de dialogue avec les théoriciennes féministes, (C. Delphy et N.-C. Mathieu sont citées de manière anecdotique !), avec le lesbianisme politique [5] ou les mouvements queer qui questionnent la classification binaire des sexes et des genres. Enfin, l’horizon envisagé pour « dissoudre la hiérarchie », proportionnel à la durée de validité des représentations inégalitaires, pourrait décourager le militantisme. •
9 Lucie Bargel
Une avancée rigoureuse vers l’égalité des sexes
10 Cet ouvrage est exemplaire de ce que j’appelle l’honnêteté intellectuelle, vertu censée fonder le métier de chercheur, trop rare dans les controverses universitaires et les manières de débattre pour ne pas en souligner les apports salutaires. Cette honnêteté tient en premier lieu à la réceptivité de l’auteure aux critiques adressées à son précédent livre, Masculin/féminin. La pensée de la différence [1]. Loin de les récuser ou de se crisper en campant sur ses positions, Françoise Héritier se met en état d’hospitalité pour recevoir et percevoir les raisons de certaines incompréhensions qui lui permettent de mettre au centre de son raisonnement des questions restées à l’état de potentialités dans l’ouvrage antérieur. L’honnêteté consiste également en cet aveu d’insatisfaction de soi, aveu impensable pour nombre d’universitaires, et que l’auteure n’hésite pas à énoncer dès l’introduction. Cette double posture, d’insatisfaction de soi et d’hospitalité aux critiques, est le stimulant d’une pensée en actes modestement appelée « faire un pas de plus ».
Un pas de plus
11 Ce « pas de plus » est assuré par plusieurs éléments articulés comme autant de jalons pour répondre aux critiques et avancer par les critiques, et les registres d’énonciation se plient à ces différents moments. Ainsi, par exemple, la rhétorique pédagogique l’emporte s’agissant des définitions du symbolique, de l’invariant, de la pensée conceptuelle de la différence à partir de la dualité biologique des sexes, quand la réflexion se plie à une logique argumentative visant en maintes occasions à renverser des raisonnements en montrant les vices de forme qu’ils comportent. La logique d’exposition distingue trois scansions – « Idées reçues toujours actuelles », « Critiques », « Solutions et blocages » – dessin du parcours de la pensée qui déploie une démonstration en articulant des cas empiriques empruntés tant au répertoire des sociétés ethnologiques qu’à celui des mondes contemporains. Ce passage à l’analyse de questions sensibles actuelles, (parité, clonage, prostitution, publicité, viol) est un risque supplémentaire de la pensée, mais il permet de porter au jour le socle archaïque inconscient des raisonnements, qui, se voulant souvent émancipateurs, légitiment la domination masculine, comme dans le cas de la parité ou de la prostitution. On le voit, le « pas de plus » qui s’aventure sur des terrains controversés est un pas risqué, mais ce risque est paradoxalement ce qui confère clarté et puissance à la démonstration.
12 Bien que Françoise Héritier ait le souci pédagogique d’une juste réception des concepts, cet ouvrage ne saurait se résumer à une réplique, puisqu’il est issu d’une double question suscitée par ce qui semblait être une aporie sur laquelle auparavant butait la pensée, et que l’on peut résumer de façon lapidaire. Si la valence différentielle des sexes est là agissante dès l’origine du social et présente dans toutes les formes de sociétés y compris les sociétés de droit matrilinéaire, constat établi dans Masculin/Féminin , il faut comprendre à présent les fondements de l’invariance d’une hiérarchie qui signe la supériorité des hommes sur les femmes, et inséparablement, une fois mise au jour le « nœud gordien » de cette hiérarchie, trouver le « levier essentiel » capable d’assurer à toutes les femmes un accès progressif à la dignité et à l’autonomie, c’est-à-dire au statut de personne. Reprenons la trame du récit d’une confiscation fondatrice du social et des sociétés, et partant de la domination masculine. De tout temps, les femmes ont mis au monde des enfants des deux sexes et ne se contentent pas de donner naissance à des filles, privilège s’il en est, puisque les hommes eux, s’ils veulent des fils, ne peuvent les fabriquer qu’en passant par des femmes. Cette capacité féminine à donner naissance au même et au différent est un pouvoir si exorbitant que les hommes se sont employés à déposséder les femmes de ce privilège en s’appropriant puis en se répartissant entre hommes la fécondité des femmes, réduites à l’état de matrice et de matière vide, passive, simple réceptacle de la semence masculine. Pour procéder à ce dessaisissement, il a fallu toute la puissance d’un appareil conceptuel qui, en dépit et en raison des faits bruts, réaffecte aux hommes le rôle décisif dans la procréation, et assure leur incontestable suprématie, socle d’une hiérarchie tenace, pérenne, présente dans toutes les sociétés et les moments historiques, et cette hiérarchie et ses effets informent et structurent les sociétés contemporaines. La rigidité de cette hiérarchie, fait de structure, suppose de trouver et d’agir au moyen d’un ‘levier’ assez puissant, à la mesure de cette tâche titanesque, et capable de commencer à éroder la rudesse du pouvoir extorqué des hommes pour contrôler la fécondité des femmes et pour se les approprier. Pour Françoise Héritier, la contraception, obtenue de haute lutte avec la loi Neuwirth en 1967, est un levier essentiel parce qu’il « agit au cœur même où la domination s’est produite ». Si nombre de recherches, citées dans la bibliographie, avaient déjà analysé la force libératrice de la contraception en tant qu’attestation d’un choix d’être ou de ne pas être mère, et partant en affirmation d’un début d’autonomie, aucun ouvrage jusqu’à présent n’avait constitué la contraception comme lieu subversif de la domination masculine en ce qu’il attaque le noyau dur sur lequel elle s’est construite. Certes, dans les recherches et dans les luttes pour la contraception, l’intuition de la puissance de ce levier était là, mais il n’était pas référé à la confiscation conceptuelle par les hommes du pouvoir de fécondation des femmes en ce qu’il fabrique les deux sexes et pas seulement un seul. Au demeurant, cette rencontre entre une intuition révoltée et une analyse structurée est rassurante, car elle permet de saisir la cohérence donnée par la pensée savante à des éléments atomisés qui ne prennent tout leur sens que dans les relations tissées entre eux.
13 Si le socle de la hiérarchie et le levier pour commencer à la dissoudre sont dans le droit fil du premier ouvrage, tout en marquant des avancées, il est un autre pas à présent franchi par l’examen du droit des hommes à une sexualité non bridée. « La licéité de la pulsion masculine » est corrélative au pouvoir d’appropriation de la fécondité des femmes par les hommes et constitutive de la valence différentielle des sexes. S’approprier la fécondité, c’est en effet devoir lutter avec d’autres hommes pour entrer en sexualité avec des femmes distinguées selon la fonction assignée à la sexualité, le plaisir ou la procréation. Hormis dans ses formes les plus violentes, la sexualité masculine est toujours légitimée à s’exercer dans toutes ses gammes, au nom d’un irrépressible besoin, en jouant sur l’opposition centrale entre prostituées et femmes destinées à être mères. Ces distinctions découlent d’un fonds commun archaïque mais combien toujours agissant postulant que tout corps de femme non possédé par un homme, ni sœur, ni fille, est une proie potentielle pour la traque sexuelle des autres hommes. Dès lors, le triptyque, procréation, pulsion sexuelle masculine et plaisir, constitue un dispositif qui fait obstacle à l’égalité entre les hommes et les femmes.
14 Si l’on se limite ici à restituer les deux principaux apports décisifs de l’ouvrage, sans ignorer les apports collatéraux tout aussi importants, c’est en raison d’un désir d’entrer dans la logique de Françoise Héritier pour proposer, à partir de certains exemples, des prolongements, sortes de petits pas en pointillés induits par son raisonnement.
Dans les pas
15 En quelques points, il semble que la démonstration ne déploie pas tous les effets escomptés, en sorte qu’il est tentant de la poursuivre au risque d’en altérer la rigueur. Les exemples retenus permettront également de souligner le vaste répertoire des questions soulevées par Françoise Héritier et dont on n’a pas rendu compte, en raison de la priorité donnée aux deux principaux apports de son livre.
16 Avant de traiter ces différents points, je voudrais au préalable souligner une contradiction, la seule que j’ai trouvée, entre les deux tomes de Masculin/Féminin. En analysant les effets potentiels du clonage [2] sur les systèmes de filiation, l’auteure conclut qu’il faudrait inventer de nouveaux systèmes, car un clone sera-t-il un frère ou un fils ? Or, dans le premier tome, Françoise Héritier montrait que c’est la parole qui fait la parenté et la position dans la parenté de telle sorte que le clonage, de ce point de vue, ne change rien dès lors que ses produits seraient légitimés par la parole et qu’ils seraient nommés fils ou frères.
17 Les controverses portées à l’ouvrage Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir [3] éclairent encore davantage le raisonnement général. Françoise Héritier met tout d’abord en lumière une série de paradoxes dus, selon elle, à une vision stéréotypée des sociétés primitives, à un défaut d’esprit relationnel et à une incompatibilité entre la pensée évolutionniste de Simone de Beauvoir et la pensée structuraliste de Claude Lévi-Srauss. Françoise Héritier montre que l’usage du neutre pour parler des enfants sans distinction sexuée est au principe de l’aveuglement concernant le lieu de la sujétion des femmes que Simone de Beauvoir situe dans la maternité alors que « les femmes sont assujetties parce qu’il faut une femme aux hommes pour faire des fils ». Dès lors, le clivage féminin immanent/masculin transcendant ne se fonde pas sur la seule maternité, car ce clivage suppose une hiérarchie préalablement établie sur « un privilège confisqué devenu un handicap ». Ce débat aurait dû conduire Françoise Héritier à déconstruire l’illustre maxime fétiche et mobilisatrice : « on ne naît pas femme, on le devient ». En effet, en suivant Françoise Héritier, si on naît dotée d’un sexe biologique féminin et simultanément si ce sexe est doté d’une valeur moindre, alors, me semble-t-il, on naît femme et l’on devient une personne.
18 Si l’on articule maintenant deux autres constats majeurs – les femmes font des enfants des deux sexes, et les hommes représentent politiquement les deux sexes – on met ainsi en évidence une homologie inversée qui donne plus de force et de visibilité à l’incessant travail de réappropriation masculine d’un privilège féminin confisqué certes, mais toujours perçu comme exorbitant, en sorte qu’il reste encore impensable que des femmes représentent politiquement les deux sexes, puisqu’on les confine fréquemment dans les secteurs dits féminins de la politique.
19 L’analyse de « l’usage du corps des femmes [4] » porte entre autres sur l’épineux problème de la prostitution, appréhendée en ses liaisons avec le caractère irrépressible et légitime de la pulsion sexuelle masculine. Françoise Héritier renvoie dos-à-dos les tenants de l’abolitionnisme et les tenants du réglementarisme pour montrer que ces adversaires complices partagent la vision commune que « la prostitution est une voie d’accès normale des hommes à la sexualité ». Elle tient tout d’abord que les hommes peuvent « placer dans d’autres registres que le sexuel l’accomplissement de soi », mais souligne qu’il faudrait trouver le levier équivalent de la contraception pour commencer à éroder le bien-fondé de la prostitution. On peut objecter en premier lieu que les hommes investissent depuis longtemps leur libido dans de nombreux autres registres que la sexualité, et qu’ils savent jouer savamment sur tous les registres par le biais de ce que Pierre Bourdieu appelle la libido dominandi [5]. Mais là n’est pas l’essentiel, car il faut désormais chercher ce levier pour la prostitution. Je me risque à penser que la virginité pourrait être ce levier. En effet, la distinction entre vierge pour le mariage et la maternité, et filles faciles ou prostituées pour le plaisir est au cœur des modalités d’appropriation des femmes par les hommes. De surcroît, la virginité est une monnaie d’échange de l’honneur entre hommes ou la satisfaction d’un fantasme sexuel masculin, mais dans les deux cas, la virginité est un bénéfice en faveur des hommes. Or, l’imposition et l’exaltation de la virginité selon les sociétés a pour corollaire l’entretien de la captation différentielle des femmes et du classement masculin entre les femmes. Faire tomber le clivage vierge/non vierge est probablement un début de mise en égalité de toutes les femmes, non pour être toutes au service sexuel des hommes, mais pour que l’honneur entre hommes et l’honneur des familles ne passent plus par l’obsession de la virginité, source de souffrance et d’angoisse pour les filles. Or, on inculque dans la tête et dans le corps des filles la virginité et l’amour. Toujours dans le souci de trouver le levier capable de mettre progressivement un terme à la prostitution, l’une des conséquences de ce qui précède me semble résider dans le nécessaire découplage de l’amour et de la sexualité. Toute sexualité n’est pas affaire d’amour, alors que l’éducation et la littérature incitent à l’accrochage des deux, liaison de surcroît historiquement récente. Avec la contraception, la sexualité a été séparée de la procréation ; tout laisse penser à présent qu’on peut séparer la sexualité de l’amour pour s’engager dans des amitiés ou des moments sexuels qui n’appellent pas nécessairement l’amour, à la condition expresse qu’il y ait consentement des filles. Ces deux points me semblent desserrer le carcan de la sexualité des filles, mieux assurer la circulation du désir des femmes et leur capacité à l’exprimer. Pour raisonner comme Françoise Héritier, une sexualité partagée sans recours à la prostitution pourrait naître de la rencontre d’une conversion de la pulsion sexuelle masculine en désir, et d’un désir sans entrave des femmes, ce qui n’empêche nullement que le couplage sexualité/amour advienne et soit vécu comme le modèle achevé de « l’arrangement » harmonieux des sexes. Il faut donc établir l’égalité des sexes dans les sexualités et faire tomber la hiérarchie entre vierge et non vierge. Si ces propositions ne sont pas un aveuglement de plus, il faudra du temps, car comme le souligne Françoise Héritier : « tout doit bouger en même temps et c’est là le problème ».
20 Cet ouvrage fait bouger la pensée au point que j’ai conscience de n’avoir pas respecté les règles d’un compte rendu parce que tout invite au dialogue, tout invite à la vigilance, y compris dans l’usage des mots et des faux raisonnements émancipateurs qui nuisent à la cause des femmes, et que Françoise Héritier s’emploie magistralement à réfuter. On peut reprocher à cet ouvrage certaines redites ; elles m’apparaissent détenir une fonction pédagogique, sorte de musique obsédante pour en appeler à la vigilance, et cette musique est efficiente ; elle ouvre la pensée et trace des chemins dans le champ du savoir et pour les luttes de libération des femmes. •
21 Rose-Marie Lagrave
La valence différentielle des sexes a une histoire
22 « Blancs et Noirs sont différents d’une différence qui est apparue irréductible dès les longues aubes de l’humanité pensante qui nomme et classe. Cette différence était directement perçue par les sens. Les Blancs et les Noirs ne sont pas faits de la même manière. Les différences entre ces groupes, dues aux gènes et enzymes qui produisent des traits physiques différents, influencent la couleur de la peau, la pilosité, la transpiration, la texture des cheveux, la forme corporelle… n’étaient connues que par leurs effets, de même qu’en Occident on ignorait, jusqu’au vingtième siècle, les mécanismes biochimiques qui sont à l’origine de différences physiques aisément perceptibles. Ce sont les différences irréductibles simples qui nous servent à penser, parce qu’elles sont à l’origine d’un système de classification tout aussi primordial, concomitant à l’observation, en ce qu’il oppose l’identique au différent, le même à l’autre. Nos catégories binaires, qui opposent d’une manière radicale des notions, quantités, valeurs, elles aussi apparemment absolues (ce qui est chaud n’est pas froid, l’unique ne peut être multiple, etc.) découlent de cette expérience fondamentale ».
23 Ce paragraphe est un pastiche du début du premier chapitre de Masculin/Féminin II [1] ; « Hommes et femmes » ont été remplacés par « Blancs et Noirs », les hormones par les enzymes, les différences d’organes génitaux par les différences de couleur de peau etc. afin de suggérer que la différence entre mâles et femelles n’est pas forcément la seule distinction aisément perceptible qui a pu façonner la pensée humaine. On rétorquera que la différence entre hommes et femmes est bien plus significative que celle entre groupes humains à peau claire et à peau foncée, et que la sexualité et la reproduction sont des variables autrement plus fondamentales que les éléments de l’apparence physique. L’argument en faveur de l’importance fondamentale de la sexualité et de la reproduction s’appuie cependant, en général, sur des considérations d’ordre psychologique, comme la structure du moi profond ou le rôle décisif des mères dans les premiers mois de la vie de l’enfant. Dans Masculin/Féminin I, Héritier avance une explication différente : la place unique de la bicatégorisation par le sexe s’explique par son rôle primordial dans le développement de la pensée et de la culture humaines [2]. Selon Héritier, la reconnaissance de la différence essentielle entre le groupe « hommes » et le groupe « femmes », comme la subordination du second au premier a rendu possibles les opérations mentales élémentaires : classification, comparaison et catégorisation. Elle a été étroitement liée au développement de la capacité à produire le symbolique et l’abstrait, qui distingue les humains des animaux. Elle est aussi à l’origine de l’organisation sociale des êtres humains. Sans cette distinction primaire, point d’art, de sciences, de religion, ni d’État.
24 On peut néanmoins proposer d’autres candidats à une hypothétique « ur-distinction » à l’origine de la capacité des humains de classer et de différencier. Ainsi, la distinction entre « nous » et les « autres », puis l’identification de certains groupes humains comme « inférieurs ». Dans de nombreuses cultures (et pas seulement en Occident), les individus à peau foncée ont été perçus comme inférieurs à ceux à peau plus claire. Il n’est donc pas tout à fait aberrant de suggérer que c’est le circuit biochimique de synthèse de la mélanine (le pigment qui rend la peau foncée), et non celui qui intervient dans la synthèse des hormones stéroïdes et qui est responsable de petites différences chimiques entre les hormones sexuelles mâles et femelles, qui a joué un rôle clé dans la genèse de la capacité des humains à classer et à comparer. Masculin/Féminin II a été écrit, au moins en partie, pour répondre à ce genre d’objections. Héritier identifie dans ce livre la source principale de la domination masculine : le constat fait par les hommes de la capacité des femmes à produire non seulement de l’identique – à donner naissance à des filles, mais aussi du différent – c’est–à-dire à donner naissance à des garçons. La groupe « hommes », explique Héritier, a dès lors compris que la subordination des femmes est le seul moyen d’assurer sa propre reproduction. L’anatomie et la physiologie des femmes ont ainsi scellé leur destin.
La brèche
25 Héritier voit dans la domination masculine un phénomène extrêmement stable. Mais, contrairement à certains sociobiologistes qui postulent également une grande stabilité de la domination masculine, Héritier n’attribue pas la perpétuation de cette domination à l’incorporation des traits comportementaux dans le génome [3]. Elle n’avance pas non plus une explication matérialiste, qui ancrerait la supériorité masculine dans une force physique supérieure à celle des femmes, ou dans une plus grande vulnérabilité des femmes pendant la grossesse et l’allaitement. Selon Héritier, les considérations d’ordre matériel auraient pu faciliter le développement de la domination masculine, mais il ne s’agissait que du renforcement de mécanismes préexistants. La « valence différentielle des sexes » a été fondée avant tout sur la subordination symbolique des femmes. Le mâle Homo sapiens, confronté au danger que représentait le pouvoir terrifiant des femelles de son espèce de produire du différent – c’est-à-dire de donner naissance à des hommes – a élaboré un système symbolique qui a rétabli l’équilibre en instaurant la primauté de principe masculin. Ce système a fondé l’assujettissement des femmes, et, en même temps, a jeté les bases de la pensée humaine.
26 La subordination du principe féminin a été instaurée à travers un rapport différent au sang, source de la vie. La perte volontaire du sang par les hommes impliqués dans des activités telles que la guerre ou la chasse a été opposée à la perte involontaire du sang par les femmes pendant leurs règles, une juxtaposition qui couple le principe masculin avec l’action et la chaleur et le féminin avec la passivité et la froideur. Dans de très nombreuses cultures humaines, les femmes sont associées au mou, au liquide, au visqueux, et les hommes au dur, au solide, au sec. La grossesse et l’accouchement sont traduits dans ces termes. Les femmes ne sont que des récipients passifs du principe vital venu des hommes. Leur nature froide, molle et humide, ne leur permet point de produire la vie, mais – au mieux – de la conserver. Le rôle crucial des femmes dans la reproduction a ainsi été réduit à celui de gardiennes de la vie créée par les hommes. L’utilisation, par les hommes, de la force de travail des femmes pour accroître leur confort matériel découle de cette appropriation symbolique initiale.
27 Le principe de valeur différentielle des sexes a ordonné toutes les cultures humaines connues. Récemment cependant, explique Hériter, s’est produite une chose étonnante. Presque à leur insu, les hommes (occidentaux) ont accordé aux femmes l’outil permettant à terme l’abolition de leur situation subordonnée : la légalisation de la contraception et de l’avortement. L’inscription dans le droit de l’habilitation des femmes à maîtriser leur fertilité, souligne Héritier, ne saurait être assimilée au développement de moyens contraceptifs efficaces. La régulation de la fertilité a une histoire millénaire. Selon certains auteurs, les femmes de l’Antiquité possédaient à ce sujet des connaissances étendues. Elles utilisaient des moyens mécaniques et chimiques (telles les substances spermicides) pour prévenir des grossesses non désirées, et maîtrisaient l’art de provoquer des avortements précoces (« faire revenir les règles ») par des décoctions d’herbes. Ce savoir féminin fut cependant perdu au Moyen Age sous la pression de l’Eglise catholique. Les couples n’ont pas pour autant renoncé aux tentatives de régulation des naissances, lesquelles se sont intensifiées au dix-neuvième siècle. La diminution considérable de la natalité en Occident a précédé de plusieurs générations le développement de la pilule et du stérilet. Ces innovations, si importantes soient-elles, ont simplement rendu plus sûres et moins traumatisantes des pratiques bien enracinées.
28 L’acquis principal de la deuxième moitié du vingtième siècle, dit Héritier, n’est pas le perfectionnement de la maîtrise de la fertilité féminine, mais sa transformation en un droit inaliénable. Hériter accorde au droit à la contraception une place qualitativement différente de celle des autres conquêtes féminines du siècle passé : égalité d’accès à l’éducation, entrée massive sur le marché de travail, indépendance économique, émancipation à l’égard de la tutelle légale de pères ou des maris, ou encore droit de vote. Elle assume implicitement que les femmes qui vivent dans les pays où la contraception et l’avortement ne sont pas légalement reconnus (par exemple en Irlande, en Pologne ou à Malte) ont un statut qualitativement différent de celles qui vivent dans des pays ayant légalisé ces pratiques. La procréation, explique-t-elle, est le noyau dur de l’oppression des femmes. La légalisation de la contraception et de l’avortement (en France, la loi Veil de 1975) donne donc aux femmes la possibilité de devenir juridiquement des personnes à part entière et d’acquérir autonomie et dignité.
Une domination universelle, sans fondement historique, sur un groupe homogène
29 Dans l’univers d’Héritier, les « femmes » sont nécessairement un groupe homogène. Toutes peuvent (au moins potentiellement) produire de l’identique et du différent et toutes, ou presque, perdent du sang involontairement pendant une partie de leur vie, les deux éléments à l’origine de la domination masculine [4]. Une vision qui s’oppose à celle développée par le mouvement féministe (notamment de langue anglaise) ces vingt dernières années. Dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, les femmes de couleur, femmes des couches populaires, et celles des pays en voie de développement ont soutenu que le terme générique « La Femme » véhiculé par le mouvement féministe, se référait en réalité à une femme blanche, occidentale, et de classe moyenne. Ces critiques ont compromis les généralisations hâtives de la période précédente et ont conduit à la reconnaissance graduelle de la grande diversité d’expérience des femmes. Elles ont ouvert la voie à des analyses plus nuancées qui prennent en considération des variables telles que les origines ethniques, la culture, la classe sociale, l’histoire ou la géographie. L’argumentation de Françoise Héritier, qui s’appuie sur les « invariables anthropologiques », va dans le sens contraire.
30 Héritier va même plus loin, en arguant que la domination masculine n’a pas véritablement d’histoire. Le groupe « hommes » a pris partout, et d’une manière fort semblable, conscience du « scandale » de son incapacité à se reproduire à l’identique, et ce constat a inexorablement produit des formes similaires de domination. Mais le constat que les femmes sont capables de produire du semblable et du différent ne pouvait-il conduire qu’à leur subordination ? Il n’aurait pas été moins logique d’imaginer un scénario dans lequel le groupe « femmes », prenant conscience de son pouvoir extraordinaire, l’aurait utilisé pour assujettir le groupe « hommes ». Héritier n’explique pas pourquoi on n’a pas vu l’émergence d’une Mullier sapiens ayant compris que les hommes ne peuvent pas se reproduire sans passer par le corps des femmes, et développé à partir de ce constat un principe de domination féminine. Une « valence différentielle des sexes » qui accorde la primauté au principe féminin, aurait également pu permettre le développement de classifications, de comparaisons et de qualifications. La seule différence aurait été l’attribution de la valeur positive aux traits féminins et négative aux masculins. Une société dominée par les femmes, a ainsi expliqué Gloria Steinem, aurait glorifié les règles, et postulé que seuls les individus dont le corps fonctionne de manière cyclique sont capables d’observer les régularités du monde naturel et de développer les sciences qui étudient ces régularités, comme l’astronomie, la physique ou les mathématiques [5].
31 On peut, alternativement, envisager la possibilité que la domination universelle d’un sexe sur un autre n’avait rien d’inéluctable. L’humanité aurait pu élaborer des situations intermédiaires, ou donner naissance à une grande diversité de configurations dans des sites et à des périodes différents. Les primates fournissent des exemples d’une telle diversité : si chez les chimpanzés les mâles dominent, chez leurs cousins proches, les bonobos, on observe une position dominante des femelles [6]. Pour expliquer l’uniformité de la domination masculine chez les êtres humains, on peut soit l’ancrer dans l’histoire, soit ajouter une hypothèse auxiliaire, qui rattache les modalités de développement de la pensée symbolique fondées sur la « valence différentielle des sexes » à la structure du cerveau humain. Mais Héritier résiste et à une approche historique, et à une approche structurelle qui transformerait des « invariants anthropologiques » en « invariants quasi biologiques » et de ce fait, limiterait le rôle des systèmes symboliques.
Une domination profondément enracinée
32 L’étonnement devant certaines hypothèses avancées par Héritier, et les doutes que l’on peut éprouver face à certaines de ses affirmations catégoriques, ne doivent pas masquer le fait que Masculin/Féminin II ouvre des pistes stimulantes à la réflexion, et soulève un problème fondamental : l’universalité de la domination masculine et son extraordinaire résilience. Le mouvement des femmes a souvent péché par un optimisme facile. Pour certains, si l’égalité de sexes n’a pas encore été acquise, on y est presque. Il suffira de vaincre quelques résistances résiduelles, de rééduquer quelques hommes récalcitrants, et d’améliorer encore un peu les institutions. Pour d’autres – une opinion véhiculée par certains auteurs médiatisés – nous nous trouvons déjà (du moins dans les pays industrialisés) dans une situation d’égalité des sexes, voire de domination féminine. Ce ne sont pas les femmes qui seraient à plaindre, mais les hommes. Déstabilisés par les changements récents de statut des femmes, incapables de trouver des repères stables, ils seraient victimes d’une crise profonde d’identité. Même ceux qui reconnaissent qu’on est toujours loin de l’égalité complète entre hommes et femmes, considèrent souvent qu’il ne s’agit que de suivre un chemin tout tracé : le « sens de l’histoire » ne peut être que celui d’une égalité des sexes. Héritier va à l’encontre de nombre d’idées reçues. Elle met en évidence les racines profondes de la domination masculine. En s’appuyant sur des exemples puisés dans son savoir d’anthropologue mais aussi dans l’histoire récente, elle nous invite à une réflexion sur les raisons de la reproduction de cette domination. Il s’agit d’une entreprise salutaire. On n’est pas obligé d’être d’accord avec tous les éléments de son analyse pour prendre au sérieux l’essentiel de son message : la ténacité extraordinaire des croyances et des comportements à l’origine de la « valence différentielle des sexes ».
33 Anthropologue de grande renommée, titulaire d’une chaire au Collège de France (aujourd’hui à la retraite) Héritier est arrivée à la réflexion (publique) sur la domination masculine tard dans sa carrière. On peut s’interroger sur les raisons de cette prise de concience tardive. Ses réflexions sur la situation contemporaine des femmes peuvent fournir des indices. Hériter décrit la persistance de la domination symbolique des hommes dans nos sociétés, qui s’exprime, entre autres, par l’inculcation aux femmes de doutes et d’incertitudes quant à leurs capacités, leur légitimité, et leur égale dignité. Aucune femme, souligne-t-elle, n’échappe à une telle inquiétude, même celles qui arrivent, très difficilement, « à de hautes positions politiques, intellectuelles ou professionnelles, considérées comme masculines [7] ». Peut-être les femmes qui ont pendant de longues années dédié toute leur énergie à la conquête d’une « très haute position » auparavant exclusivement réservée aux hommes, ne découvrent-elles que sur le tard que même cette position ne suffit à les protéger ni de l’agressivité masculine, ni des effets de l’intériorisation de leur insécurité profonde. Un tel constat peut favoriser les réflexions théoriques sur la condition féminine.
34 L’important capital symbolique d’Héritier a favorisé la diffusion de ses écrits sur le masculin et le féminin, et assuré leur visibilité médiatique. Les anthropologues qui ont accompli un travail pionnier dans ce domaine n’ont hélas pas bénéficié de la même visibilité. Des recherches qui ont mis en évidence, à partir des années soixante-dix, les mécanismes d’appropriation par les hommes du travail des femmes comme reproductrices, et étudié les constructions symboliques qui fondent cette appropriation [8] sont restées peu connues en-dehors du cercle restreint des spécialistes. L’association d’un féminisme militant et d’une pensée novatrice et radicale n’ouvrait guère alors, et qui reste vrai aujourd’hui, la voie royale au succès universitaire et à la notoriété médiatique. On peut se féliciter qu’Héritier ait attiré l’attention sur la persistance de la domination masculine. Il serait souhaitable que cette attention s’accompagne de la nécessaire reconnaissance des contributions des anthropologues qui l’ont précédée sur ce chemin.
35 Héritier termine son livre par des réflexions sur les moyens d’abolir la domination masculine. Ses conseils pour l’avenir restent cependant plutôt vagues. Ils oscillent entre l’éloge de moyens symboliques, comme l’attribution d’un court congé aux nouveaux pères, et des propositions d’ordre éducatif, comme l’intégration d’éléments d’éducation à l’égalité des sexes dans les programmes scolaires. En outre, on a parfois l’impression que ces recommandations, somme toute modestes, sont faites quasiment à contre cœur. La dernière phrase de Masculin/Féminin II résume la tension qui traverse tout le livre, entre l’aspiration sincère à l’égalité des sexes et la conviction que les « invariants anthropologiques » sont véritablement invariables. Héritier explique ainsi qu’« il nous faut croire en l’efficacité des gestes, des actes et des symboles pour parvenir dans le tréfonds des esprits, même si ce changement, pour être universel, doit prendre quelques milliers d’années [9] ». Une perspective d’attente millénaire peut décourager l’engagement actif en faveur d’une cause.
36 Une autre vision est pourtant possible, qui ne perçoit pas la domination masculine comme un phénomène doté d’un statut exceptionnel, mais la rattache aux autres systèmes de domination. Héritier trouve très surprenant que les hommes aient accordé aux femmes le droit à la contraception et à l’avortement, sapant ainsi les fondements de leur domination. Inscrite dans le contexte des combats féministes, la légalisation de la contraception devient pourtant beaucoup moins étonnante. Héritier a raison de s’écarter d’un triomphalisme facile, de se méfier d’une vision de l’histoire comme la marche vers un avenir radieux, et de mettre en évidence les obstacles à l’instauration d’une véritable égalité entre les sexes. Une telle vision pourrait, logiquement, mener à la reconnaissance de l’importance de la lutte politique des féministes. L’ardeur de la tâche est une excellente raison d’insister sur le rôle décisif d’une telle lutte. •
37 Ilana Löwy
Domination masculine et perspectives de changement : dénaturer la hiérarchie
38 Françoise Héritier signale, en tant qu’anthropologue, que la différence des sexes ne comporte dans l’absolu rien qui permette de faire prévaloir un genre sur un autre : pourtant cette différence est, pour elle, toujours porteuse de hiérarchie. Dans tous les temps et toutes les sociétés il y aurait une valorisation du masculin qui s’accompagnerait, symétriquement, d’une dévalorisation du féminin, cela dans n’importe quel domaine.
39 Cette hiérarchie masculin/féminin est présentée comme le résultat simultané de deux faits : le premier, l’observation de la différence sexuée, perçue comme une différence « sur laquelle la pensée humaine n’a pas de prise » et pour cette raison, une condition d’émergence d’une pensée structurée par l’opposition entre l’identique et le différent, qui se greffe sur l’opposition masculin/féminin. Le second, une opération sociale d’inversion d’une situation défavorable d’emblée aux hommes, leur dépendance à l’égard des femmes pour pouvoir faire leurs fils, c’est-à-dire leur incapacité physiologique à se reproduire à l’identique. Les hommes chercheraient donc à contrôler ce pouvoir « exorbitant » des femmes de produire à la fois l’identique et le différent (des filles et des fils).
Différence sexuelle et altérité
40 Pour Héritier, aucune société ne fonctionne sans oppositions binaires, elles-mêmes classées en masculin et féminin, aucune organisation sociale n’est possible sans expérience d’altérité. Comme d’autres anthropologues qui ont posé la question de l’universalité de la hiérarchie sexuelle à travers et malgré les différences culturelles (Gayle Rubin, Sherry Ortner, Louise Lamphere, Michelle Rosaldo), Héritier cherche son origine et son fondement, et les trouve dans la capacité des femmes à enfanter de « l’identique » et du « différent ». Quand elle assimile avec aisance ces deux termes à fille et garçon, c’est parce qu’elle part de deux présupposés : le premier est que l’altérité ne peut être que celle de la différence sexuelle ; le second, que le sens du privilège exorbitant accordé à cette « capacité » des femmes est une évidence naturelle et non une construction culturelle.
41 Lire la différence sexuelle comme une opposition irréductible et comme un élément qui sert à créer des oppositions binaires, dualistes et hiérarchisées, requiert une perception de la différence sexuelle comme une propriété naturelle qui reçoit son importance de la nature proprement dite et qui a un sens en elle-même [1]. Présupposer que l’aptitude « physiologiquement étonnante » des femmes pour reproduire le sexe masculin est un trait de nature que personne ne peut ignorer, permet d’attribuer à son observation le rôle moteur de « la machine conceptuelle apte à donner du sens », utilisant « la totalité des faits observables pour les classer, les hiérarchiser et en tirer les conclusions jugées nécessaires à la poursuite de la vie des groupes humains » (p. 201).
42 Ces présupposés amènent à postuler que la différence biologique suffit pour établir et maintenir la domination masculine, expliquant ce phénomène social comme résultat d’une observation et d’une interprétation des faits biologiques de la procréation « avec les seuls moyens fournis par les sens ». Ainsi, seule une modification radicale de l’observation, due « aux nouvelles échelles où nous la situons et à ses nouveaux moyens techniques » pourrait ébranler la domination masculine. De ce fait, reprendre le contrôle de la fécondité à travers le droit à la contraception devient le levier juridique qui renverserait des siècles de domination masculine. Pourtant, on peut se demander si la place accordée à ce droit particulier ne devient pas un critère normatif qui signalerait depuis « l’Occident » le chemin à suivre universellement pour sortir du rapport de domination du masculin sur le féminin et si cette désignation comme pré-condition de tous les autres acquis n’est pas le corollaire d’une explication de l’oppression des femmes par une seule cause.
Parenté, maternité et domination masculine
43 Françoise Héritier voit dans l’assignation universelle des femmes à n’exister que comme épouses et surtout mères le pendant opposé de la domination masculine. Mais que devient cette idée quand des groupes entiers de femmes et d’hommes sont situés à la fois en dehors de l’institution de la parenté et en rapport avec le système de parenté d’un autre groupe dominant ? Des féministes afro-américaines comme Hazel Carby et Hortense Spillers ont signalé que les femmes noires n’ont pas été constituées comme femmes aux États-Unis de la même façon que leurs congénères blanches. Elles ont été constituées à la fois racialement et sexuellement – comme femelles et non comme épouses potentielles ou mères transmettant le nom du père – dans une institution spécifique, l’esclavage, qui les excluait de la « culture », définie comme la circulation de signes à travers le système du mariage. Si la parenté accordait aux hommes des droits sur les femmes alors qu’elles-mêmes n’en avaient pas sur eux, l’esclavage annihilait la parenté à travers un discours légal qui produisait des groupes entiers de personnes comme propriété aliénable [2]. Si les femmes blanches étaient échangées dans un système de sexe/genre qui les asservissait, les femmes noires (et les hommes noirs) appartenaient aux hommes (et femmes) blancs. Par ailleurs, dans un contexte où les hommes blancs avaient besoin d’une descendance racialement pure, les femmes blanches et les femmes noires occupaient des espaces socialement incompatibles et symboliquement opposés.
44 De ce point de vue, le droit à la contraception peut faire des femmes blanches des individus à part entière, autonomes, responsables d’elles-mêmes en étant maîtresses de leur corps. Cependant, dans le cas des femmes noires américaines, en particulier – et des femmes marquées par l’histoire coloniale des Amériques en général – le choix d’avoir des enfants ou non est une affaire qui relève de leur propre position comme sujets mais aussi de leur appartenance à un groupe racial. En effet, ces femmes-là ne sont pas uniquement soumises à une domination masculine mais aussi à des rapports de pouvoir en fonction de critères de race. Si on préétablit que la domination masculine se superpose à tout autre rapport de pouvoir, on risque d’ignorer les effets mutuels des différenciations sociales, raciales, ethniques sur les différenciations sexuelles.
La domination masculine et le pouvoir
45 D’autre part le schéma de la domination masculine universelle porte implicitement une représentation du pouvoir, en termes de restrictions et d’interdictions, c’est-à-dire comme le souligne Foucault [3], une vision juridico-discursive du pouvoir. Cette vision laisse de côté les diverses procédures de pouvoir qui s’occupent non seulement du châtiment des conduites déviantes par rapport à cette norme mais aussi, la normalisation des sujets sexués, à travers les lois et les techniques. On ne peut pas ignorer que, même si l’accès à la contraception comporte des éléments libérateurs indéniables pourvoyant les femmes de moyens de contrôle et de décision sur leur fécondité individuelle, elle est aussi un dispositif de régulation de la natalité et de la fécondité des populations et donc une forme de pouvoir sur le corps de l’espèce, la bio-politique.
Relativisme culturel et droits des femmes
46 Une des parties de ce livre si riche en réflexions qui m’ont le plus interpellé est le chapitre intitulé « Questions de genre et droits de femmes ». Françoise Héritier est bien consciente des questions à la fois théoriques et politiques que soulèvent les comparaisons entre sociétés occidentales et « non occidentales ». Partant de la situation observable de la subordination actuelle des femmes dans le monde, c’est-à-dire de la constatation empirique de l’universalité de la domination masculine, elle plaide pour une application équitable des droits de l’homme « aux hommes et femmes de la terre entière, quelles que soient leurs croyances actuelles et leur religion, quel que soit le temps que cela prendra, quelles que soient les formes à inventer » (p. 189-190).
47 Je partage beaucoup de ses critiques aux arguments du relativisme culturel, et son affirmation de valeurs estimées universelles et la défense de l’individu comme être de droit. Néanmoins, il me semble important de contester la présentation et l’interprétation par les médias de certaines pratiques comme « absurdes » et « anormales » à partir de leurs propres cadres de référence, de leurs propres représentations de ce qui constitue le normal et l’anormal, le pensable ou l’impensable, rejetant vers les sociétés prédéfinies comme « autres », des pratiques jugées déraisonnables ou aberrantes. Sans aller trop loin, il faudrait réfléchir par exemple à une pratique assez courante dans plusieurs pays « occidentaux », la liposuccion, qui implique une atteinte à l’intégrité physique des femmes même si elle peut être « librement » choisie. Celle-ci a produit la mort de femmes adolescentes et adultes dans plusieurs pays latino-américains, victimes des normes de leur genre (épaulées de normes de classe et ethnico-raciales). D’autre part, je préfère souligner le caractère inhérent d’ouverture et de malléabilité des cultures et de leurs normes plutôt que présenter, même de manière nuancée, certaines régions du monde comme ayant atteint un certain niveau dans leur « évolution intellectuelle et morale ».
La spécificité de l’oppression des femmes et les mouvements sociaux
48 Pour finir, je voudrais saluer les prises de position de Françoise Héritier sur beaucoup de débats contemporains qui rendent compte de la multiplication des demandes sociales et politiques formulées aux chercheurs et chercheuses qui se sont intéressés aux rapports inégalitaires entre hommes et femmes et qui permettent d’attirer l’attention sur des questions qui restent encore pour une large part peu problématisées. Cependant, je regrette qu’elle ne mette pas plus en rapport l’oppression des femmes avec d’autres formes d’oppression qui peuvent s’éclairer mutuellement. En effet, cette mise en relation théorique offrirait des outils aux différents mouvements sociaux pour construire des alliances qui s’avèrent nécessaires pour s’opposer à des mesures politiques qui sont parfois également oppressantes pour chacun d’entre eux.
Un détail révélateur ?
49 Je ne voudrais pas passer sous silence un détail gênant pour la Colombienne que je suis : à la page 96, questionnant les associations faciles entre féminité et douceur, l’auteure nous dit « Des Médées tuent leurs enfants. Le commando des FARL qui enleva Ingrid Betancourt était composé de femmes armées ». Françoise Héritier ici ne prend pas la peine de vérifier ses propos : le sigle FARL ne correspond à aucun des groupes armés colombiens, d’une part, et d’autre part, je n’ai trouvé aucune référence en Colombie à la composition féminine de ce commando, détail qui n’aurait échappé à aucun des spécialistes nationaux de la question. Pourquoi la référence aux réalités des pays « lointains » autoriserait-elle à baisser la garde sur les sources consultées et sur la précision des faits alors qu’on prétend être un (e) chercheur (euse) vigilant(e) ? •
50 Mara Viveros Vigoya
Notes
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[1]
F. Héritier, Masculin/ Féminin. La pensée de la différence, Odile Jacob, 1996, 336 pages, 22 €.
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[1]
F. Héritier, Masculin/Féminin. La pensée de la différence, Odile Jacob, 1996.
-
[2]
Il s’agit d’un point controversé : ainsi E. Peyre et J. Wiels (« Le sexe biologique et sa relation au sexe social », Les temps modernes, 1997, n° 593) soutiennent, contrairement à F. Héritier, que constater la présence de la division sexuelle du travail dans toutes les sociétés connues dans le temps et dans l’espace ne permet pas pour autant d’affirmer que celle-ci existe depuis les origines de l’humanité.
-
[3]
B. Malinowski, La vie sexuelle des sauvages du nord-ouest de la Mélanésie, Payot, 1930. S. de Beauvoir, Le deuxième sexe, Gallimard, 1949.
-
[4]
Différent de l’homosexualité, qui n’est pas intégrée à l’analyse.
-
[5]
Par exemple M. Wittig (La Pensée Straight, Balland, 2001), pour qui « les lesbiennes ne sont pas des femmes ».
-
[1]
F. Héritier, Masculin/Féminin. La pensée de la différence, Odile Jacob, 1996.
-
[2]
Et le Clonage, pp. 150-153.
-
[3]
Cf. Chapitre 4, « Le point d’aveuglement de Simone de Beauvoir. Après la révolution néolithique », p. 99-120.
Ce compte rendu supposait à l’évidence de procéder à une relecture de cet ouvrage à la lumière des critiques adressées par Françoise Héritier ; faute de temps, cette relecture a été différée. -
[4]
Cf. Chapitre 4 de la troisième partie, « Obstacles et blocages. De l’usage du corps des femmes », p. 287-352.
-
[5]
P. Bourdieu, La domination masculine, Seuil, 1998.
-
[1]
F. Héritier, Masculin/Féminin II, Odile Jacob, 2002, p. 33-34.
-
[2]
F. Héritier, Masculin/Féminin : La pensée de la différence, Odile Jacob, 1996.
-
[3]
Selon les sociobiologistes, tout l’investissement nécessaire à un mâle pour assurer la reproduction de son matériel génétique est un rapport sexuel avec une femelle fertile – une affaire de quelques minutes. Pour une femelle par contre, la reproduction de son matériel génétique demande l’investissement de mois, parfois d’années, dans la grossesse et l’allaitement. D’où des pressions en faveur d’évolutions différentes sur les mâles et les femelles, et le développement des traits comportementaux différents qui ont fini par être transcrits dans l’ADN.
-
[4]
F. Héritier, Masculin/Féminin II, p. 16.
-
[5]
G. Steinem, « If men could menstruate », dans G. Steinem, Outrageous Acts and Everyday Rebellions, Fontana Paperbacks, London, 1984, p. 337-340, p. 339.
-
[6]
R. Wrangham et D. Peterson, Demonic Males : Apes and the Origins of Human violence, Bloomsbury, London, 1996.
-
[7]
F. Héritier, Masculin/Féminin II, p. 94.
-
[8]
N.-C. Mathieu, (dir.), L’Arraisonnement des femmes, Éditions de l’EHESS, 1985 ; N.-C. Mathieu, L’Anatomie politique ; Catégorisation et idéologies de sexe, Côté-femmes, 1991 ; P. Tabet, La construction sociale de l’inégalité des sexes, L’Harmattan, 1998.
-
[9]
F. Héritier, Masculin/Féminin II, p. 394.
-
[1]
C. Delphy, L’ennemi principal Tome 2. Penser Le genre, Syllepse 2001.
-
[2]
H. Spillers citée par D. Haraway Ciencia, cyborgs y mujeres. La reinvención de la naturaleza. Ediciones Cátedra, Universitat de València, Instituto de la Mujer, Madrid, 1995.
-
[3]
M. Foucault, Histoire de la sexualité I. La volonté de savoir, Gallimard, 1976.