Notes
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[1]
IRD-UMI Résiliences et CEMOTEV-Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. jballetfr@yahoo.fr
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[2]
Département de sociologie rurale, Université autonome Chapingo, Mexique. mrenard@taurus.chapingo.mx
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[3]
UMR ADES (5185) et IUT Michel de Montaigne, département Carrières Sociales, Université Bordeaux 3. aurelie.carimentrand@iut.u-bordeaux3.fr
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[4]
Ce projet a été renommé Aldiawano en 2011, ce qui signifie “paradis” en wolof.
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[5]
CJM connait actuellement un processus de restructuration qui s’inscrit dans la logique du symbole des petits producteurs (SPP).
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[6]
www.tusimbolo.org.
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[7]
Entrevue, Comercio Justo Mexicano, noviembre 2010.
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[8]
Notons, toutefois, qu’une telle typologie est largement susceptible d’évoluer en fonction des stratégies de qualité mises en œuvre au sein du commerce équitable. Des efforts conséquents ont été faits dans ce sens au Mexique, par exemple.
1 Pour la première fois depuis l’émergence du commerce équitable, les ventes au Nord de produits du commerce équitable s’essoufflent (avec une baisse nette des ventes de 2,4% sur les produits équitables de grande consommation en France en 2010 selon l’enquête de l’Institut Infoscan Census IRI) et le marché équitable Nord-Sud se sature. Inversement, les initiatives de commerce équitable Sud-Sud se développent. Une des premières initiatives fut lancée au Mexique en 1998, avec la création d’un label mexicain du commerce équitable par l’association Comercio Justo Mexico. Le label fît son apparition sur les marchés locaux en 2001. En 2005, l’ONG ENDA Tiers-Monde lançait le projet « Développer des pratiques de commerce équitable au Sénégal » [4]. Un peu plus d’un an après, le projet débouchait sur une plate-forme des valeurs et une Charte d’engagement au commerce équitable qui allaient être présentées à Nairobi, au Forum social mondial de 2007, puis au Forum social mondial de Dakar, en 2011. Poussant cette initiative plus loin encore, les acteurs du projet tentent d’élaborer un système local de certification à partir de projets pilotes dans différentes activités (coton/textile, agro-alimentaires, plantes médicinales, métiers du feu/recyclage). Le réseau “Equitatout” des producteurs de produits équitables du Bénin, Burkina Faso, Cameroun et Togo, a élaboré une charte commune et envisage un label commun. L’association International Resources for Fairer Trade (IRFT) a lancé en 2006 le projet « Promoting Fair Trade in India », visant à promouvoir le commerce équitable en Inde. En 2008, ce projet a abouti au label de commerce équitable indien « Shop for change ». À Madagascar, l’association nationale du commerce équitable et solidaire(ANCESM) gère le label CES (commerce équitable et solidaire de Madagascar). Il ne s’agit là que de quelques exemples à travers le monde. Les labels locaux de commerce équitable au Sud se développent sur tous les continents (Wilkinson et Mascarenhas, 2007a).
2 Cet article se propose d’examiner les différentes raisons qui poussent à cette tendance. L’objectif est de souligner la pluralité des motivations afin d’éviter d’avoir une vision monolithique du phénomène. Une explication unique ne saurait en effet correspondre à la diversité des cas d’études. Trois explications principales nous semblent présider à ce mouvement au Sud : une réaction à l’hégémonie de FLO (Fairtrade Labelling Organizations International, désormaisFairtrade International) dans l’élaboration des standards de commerce équitable, une volonté d’élargir les débouchés face à l’insuffisance de la demande au Nord, et enfin la récupération par les politiques nationales au Sud dans leur axe de politique sociale. Nous ne voulons pas dire que ces trois raisons sont indépendantes les unes des autres et doivent s’interpréter de manière dichotomique ; mais au contraire que la multiplicité de celles-ci rend les situations plus complexes et nécessite des lectures spécifiques, faisant de chaque situation une interaction entre ces diverses motivations, de sorte que le poids de chacune doit être identifié clairement dans chaque contexte.
1. UNE RÉACTION À L’HÉGÉMONIE DE FLO
3 FLO s’est imposée comme le modèle incontournable de certification du commerce équitable, à tel point que certains mouvements réticents au modèle proposé par FLO, par exemple Artisans du Monde (Gateau, 2006), ont finalement adopté la labellisation par FLO. La domination de FLO dans la définition des standards de commerce équitable est incontestable, bien que précisément elle soit contestée.
4 Cependant, cette tendance monopolistique n’est pas sans poser problème et soulève des protestations. Comme le soulignent Jaffee et Howard (2010) ou Reed (2009), dans le cas des produits biologiques et équitables, la gestion des standards par des entités professionnelles produit un déplacement, à travers une logique de compétences, des promoteurs originels de ces standards vers ces entités. Les promoteurs originels sont peu à peu dépossédés de ce qu’ils ont mis en place par les organismes certificateurs. Ce changement de pouvoir a pour effet, d’une part de diluer les principes ou standards de départ (Jaffee et Howard, 2010), et, d’autre part, de provoquer une bureaucratisation des mécanismes de définition des standards qui éloignent les bénéficiaires, les producteurs, du processus de décision concernant ces standards (Renard, 2010). Ainsi, typiquement, on a pu observer une orientation de la certification de produits du commerce équitable vers de gros producteurs et des plantations en même temps que les petits producteurs se trouvaient eux relégués (Jaffee, 2012 ; Renard, 2011 et 2010 ; Renard et Pérez-Grovas, 2007).
5 Cette tendance a inévitablement provoqué un contrôle accru du processus de définition et de certification des produits du commerce équitable par le Nord au détriment du Sud, plus particulièrement des petits producteurs (Yépez et Mormont, 2006).
6 Face à une telle situation, certains en appellent à un renouveau du partenariat Nord-Sud dans le commerce équitable, avec un partage plus équitable du pouvoir de décision. Lemay et Maldidier (2011, 168) notent ainsi que « dans un contexte de dichotomisation croissante entre acteurs du Nord et du Sud, le dilemme qui se pose est de savoir comment évaluer l’atteinte de résultats des pratiques de commercialisation équitable tout en maintenant une relation partenariale la plus horizontale possible. Cette relation ne pourra pas faire l’économie de l’évaluation de ses pratiques pour des questions de transparence et de professionnalisation, mais les outils devront à la fois s’appuyer sur des objectifs négociés et refléter une relation de solidarité Nord-Sud voulue par le mouvement. » Ils étudient alors le cas de la relation entre l’organisation faîtière péruvienne CIAP (Central Interregional de los Artesanos del Perú), la centrale d’importation française Solidarmonde et le réseau de boutiques Artisans du Monde, pour mettre en évidence qu’il est possible d’atteindre un objectif de garantie des produits à travers un projet de monitoring participatif.
7 À défaut d’aboutir à un tel partage et à une vision consensuelle du commerce équitable, les oppositions entre les petits producteurs au Sud et les organisations de certification au Nord ne cessent de s’amplifier. Comme le soulignent Renard et Loconto (2012), un exemple récent de cette opposition est l’adoption par FLO de standards de commerce équitable pour l’or contre l’avis d’organisations de producteurs d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie.
8 Dans un tel contexte, le mouvement de certification au Sud apparaît comme une réaction à l’hégémonie de FLO. La création, en 1998, au Mexique, de Comercio Justo México (CJM), le premier label de commerce équitable au Sud, fut déjà le signe d’une volonté des producteurs, parmi lesquels les pionniers du label Max Havelaar, de retourner aux principes fondateurs de l’initiative, au-delà des règles de FLO. L’une des différences avec la certification de FLO est que le label CJM n’est accessible qu’aux petits producteurs, les plantations étant exclues (Smith et Vanderhoff, 2012). Ce qui caractérise cette initiative est le rôle central des organisations de producteurs qui l’ont fondée et l’administrent : elles proposent des produits labellisés sous leur propre marque, dont une marque de café collective, café Fértil (Renard, 2008) [5]. Pour éviter la dilution des principes et des standards qu’elles reprochent à FLO, elles ont établi des mesures destinées à l’éviter, comme la limitation des bénéfices des compagnies qui utilisent le label CJM, l’augmentation annuelle obligatoire du volume des produits achetés et de la participation dans le modèle CJM (Smith et Vanderhoff, 2012).
9 Renard et Loconto (2012) illustrent une autre phase de ce phénomène. La coordination latino-américaine des petits producteurs de café (CLAC) s’est constituée afin de pouvoir participer au processus FLO. Cette coordination attendait de sa participation à FLO un meilleur équilibre des pouvoirs, en particulier dans le comité exécutif de FLO qui était exclusivement composé de membres issus d’initiatives du Nord. Malgré leur lutte pour l’inclusion des représentants des producteurs du Sud dans ce comité, et de timides avancées en la matière (Renard et Pérez-Grovas, 2007), la position minoritaire des producteurs du Sud dans le comité subsiste. Les réseaux de producteurs du Sud, c’est-à-dire la CLAC (2 représentants), Fair Trade Africa et le Network of Asian Producers, n’ont que quatre votes sur un total de quatorze, contre les cinq représentants des Initiatives Nationales, toutes du Nord, les deux représentants des associés commerciaux et les trois experts indépendants. Les producteurs n’ont qu’un rôle consultatif au sein des commissions. Lors de l’assemblée générale de FLO, les votes correspondent aux Initiatives Nationales et la seule Initiative Nationale du Sud à avoir obtenu son titre de membre de plein droit est le Fair Trade Label of South Africa qui regroupe majoritairement des plantations plutôt que des petits producteurs. Comercio Justo Mexico est seulement un membre associé et subit, en outre, de fortes pressions pour accepter un statut de Fair Marketing Organization, qui correspond à une franchise de FLO avec une autonomie diminuée. Face à une telle inégalité de pouvoir de décision et d’orientation du commerce équitable, et face à de multiples désaccords, la CLAC a décidé de lancer son propre label, le Simbolo de los Pequeños Productores (SPP, symbole des petits producteurs). Le système de certification mis en place, opéré par la Fondation de petits producteurs organisés (FUNDEPPO), est placé sous le contrôle des producteurs qui en sont les bénéficiaires. Les plantations sont exclues du modèle. Des mécanismes pour éviter le blanchiment d’image ont été établis, comme un code de conduite obligatoire pour les utilisateurs du label qui permet d’en exclure ceux qui violeraient les principes de l’initiative [6]. En résumé, les producteurs de commerce équitable de la CLAC ont construit un modèle de certification qui ne nie pas sa proximité avec ses bénéficiaires, et dont les mécanismes cherchent ouvertement à éviter l´évolution qu’a connu le label FLO.
10 Cependant, il va de soi que la reconnaissance des produits au Nord suppose une identification par les consommateurs et une volonté des distributeurs de répertorier les produits. Or, l’hégémonie de FLO au Nord, si elle freine indubitablement la capacité des initiatives locales au Sud à faire reconnaître leurs produits au Nord, pousse ces initiatives locales à développer des marchés équitables au Sud. Bien que les initiatives de certification au Sud n’aient pas été forcément créées dans le but de promouvoir spécifiquement le commerce équitable au Sud, la position de contrôle des marchés au Nord par les initiativesdu Nord, incite les initiatives du Sud à s’orienter vers des marchés où elles ont un avantage compétitif.
2. LE BESOIN DE TROUVER DES MARCHÉS NOUVEAUX
11 Si l’hégémonie de FLO sur le commerce équitable constitue indéniablement une première raison de l’émergence du mouvement de certification au Sud, celui-ci ne peut se résumer à une réaction contestataire à l’égard de FLO. L’analyse des motivations des coopératives à intégrer le commerce équitable contrôlé par FLO permet, à cet égard, de souligner l’existence d’une tendance non contestataire dont l’objectif est plus simplement de promouvoir des débouchés pour les coopératives du Sud face à l’insuffisance des débouchés au Nord et au développement de la grande distribution au Sud. Accéder au marché national dans de meilleures conditions, vendre mieux et plus, fut la seconde motivation de la création de CJM. En 2010, étaient certifiés au Mexique 36 000 kilos de café torréfié et moulu et 14 500 kilos de café instantané, le tout pour une valeur de 14 millions de dollars (Smith et Vanderhoff, 2012). Outre le café, on pouvait trouver le label sur du miel, du sésame et des boissons et confitures de fruits de la passion, mangue et citron. Le faible pouvoir d’achat de la population mexicaine ne constitue cependant pas un facteur favorable au développement du commerce équitable dans ce pays. L’absence de soutien public pèse aussi sur son développement (Renard, 2008).
12 Ce contexte permet de comprendre que le label Fairtrade de FLO se développe également au Sud à travers des représentations locales. Il ne s’agit alors pas d’un mouvement contestataire, mais d’un élargissement de la logique FLO destiné à accroître les débouchés des producteurs. Ainsi, en 2009 s’est créée la première organisation proposant le label Fairtrade en Afrique du Sud, le Fairtrade Label South Africa. Son objectif est clairement le développement d’un marché national des produits équitables. En 2010, l’entreprise Dormans Coffee a introduit sa marque de café Café Safari Kenya qui a été reconnue par FLO, donnant ainsi la légitimité à cette entreprise de labelliser à travers cette marque du café produit nationalement.
13 Néanmoins, le développement des représentations de FLO dans les pays du Sud risque de provoquer des tensions accrues avec les initiatives autonomes qui, précisément, se développent en réaction au système FLO. Les initiatives FLO au Sud risquent d’ailleurs d’être considérées comme une tentative de récupération du processus de certification au Sud, activant ainsi clairement leur opposition aux initiatives autonomes. Le fait que le Fairtrade Label of South Africa, proche de la logique de FLO, soit reconnu membre de plein droit de cette organisation, tandis que les initiatives autonomes et contestataires telles Comercio Justo Mexico ne le soient pas, suffit à comprendre qu’une lutte pour le contrôle de la certification au Sud est en cours. C’est ainsi qu’avant la séparation de TransFair USA, maintenant FairTrade USA, du système FLO, cesdeux organismes avaient entrepris de déplacer CJM au profit du label de TransFair USA sur le marché mexicain. L’argument était double : d’une part, les ventes de CJM ne progressaient pas assez vite par manque de dynamisme commercial, ce que TransFair USA pouvait changer en établissant des alliances avec les grands distributeurs ; d’autre part, les organisations de producteurs mexicains n’étaient pas à même de répondre aux demandes de produits équitables des distributeurs aux États-Unis et TransFair USA voulait un autre partenaire qui soit en mesure de les satisfaire. CJM ayant le registre de la marque Comercio Justo, FLO/TransFair USA ont engagé des avocats pour éliminer ce monopole sur le nom et pouvoir intervenir sur le marché mexicain avec leur marque. La sortie de FairTrade USA du système FLO et la concurrence entre ces deux institutions pour la légitimité du commerce équitable a freiné cette entreprise pour le moment. Il n’en reste pas moins que de fortes pressions s’exercent sur CJM pour qu’elle accepte de changer son statut d’initiative autonome pour celle de Fair Marketing Organization, une sorte de franchise de FLO, sous la menace d’en créer une autre sur le territoire mexicain [7].
14 Il ne faudrait pas cependant assimiler trop rapidement la concurrence entre FLO et des initiatives autonomes à une simple lutte de pouvoir sans voir que derrière se joue, dans certains cas, le besoin exprimé par les producteurs du Sud de trouver des débouchés à leurs produits face à la volonté de certaines coopératives de ne pas entrer sur le marché équitable du Nord pour des questions liées à la qualité intrinsèque des produits.
15 Landry (2006) souligne à cet égard, à partir de l’étude de deux cas de coopérative de producteurs de café dans la région des Yungas en Bolivie, que les coopératives se positionnent très différemment à l’égard du commerce équitable destiné au Nord. Une première coopérative, dont les produits sont jugés plutôt de faible qualité, a procédé à une démarche de certification par l’agriculture biologique afin d’atteindre les marchés du Nord. Face à la difficulté de pénétrer ces marchés et de trouver des débouchés pour ses produits, la coopérative a opté pour une entrée dans le circuit du commerce équitable, vu par la coopérative comme une porte d’entrée plus aisée que le marché uniquement biologique. L’autre coopérative, dont les produits sont jugés de bonne qualité et qui a mis de fait en place un système de contrôle de la qualité de ses produits ne cherche pas à pénétrer le marché du Nord par le biais du commerce équitable qui est assimilé ici à des produits de faible qualité. Son objectif est plus nettement de percer sur les marchés locaux où une clientèle exigeante en matière de qualité se développe.
16 Dans la même ligne d’idées, Kessari et Le Coq (2010) soulignent, à partir de l’étude de 19 coopératives de caféiculteurs au Costa Rica, la diversité des stratégies de développement des produits. Ils proposent une typologie en quatre groupes de coopératives. Le premier groupe, le plus intégré aucommerce équitable, rassemble des coopératives dont la qualité et la quantité produites sont plutôt faibles. Pour ce groupe la stratégie d’entrée dans le commerce équitable apparaît comme un moyen de trouver des débouchés face à une demande locale insuffisante. Ce groupe se caractérise, par ailleurs, par une dépendance au café modeste liée à la diversification des activités. Le second groupe est proche du premier parce qu’il présente une qualité de café médiocre, les coopératives sont également certifiées commerce équitable, mais elles sont plus dépendantes du café car peu diversifiées. Le troisième groupe propose un café de meilleure qualité ; comme celles du premier groupe, elles sont diversifiées et peu dépendantes du café, mais sont certifiées commerce équitable, bien qu’elles n’exportent pas dans le circuit du commerce équitable. Le quatrième groupe présente un café de bonne qualité, mais est marqué par des coopératives peu diversifiées. Cependant, elles ne sont que peu insérées dans le commerce équitable du fait de leur capacité à trouver des débouchés auprès du circuit conventionnel au Nord ou auprès d’une clientèle exigeante au Sud [8].
17 Ces typologies de coopératives indiquent que les coopératives ont des motivations différentes pour intégrer, ou non, le commerce équitable. Globalement, les coopératives qui ont le plus de mal à trouver des débouchés locaux ou internationaux conventionnels s’insèrent dans le commerce équitable pour compenser leurs faiblesses. À l’inverse, les coopératives les plus performantes sont moins demandeuses d’insertion dans le commerce équitable et perçoivent plutôt leur insertion dans ce circuit comme une stratégie de diversification de leur clientèle.
18 En ce sens, pour les unes, la certification au Sud peut être perçue comme une opportunité d’élargir leurs débouchés insuffisants, tandis que pour les autres il s’agit de toucher une nouvelle clientèle, dans une stratégie de gestion du portefeuille de clients. Ces coopératives n’ont alors que peu de revendications contestataires à l’égard du système FLO, mais le jugent surtout à l’aune de sa capacité à leur permettre de réaliser leur stratégie. Et la réticence à l’égard du commerce équitable est plutôt une réticence vis-à-vis de l’image que ce circuit pourrait faire peser sur leur produit, globalement une image plutôt négative.
19 Dans un tel contexte, la certification au Sud vise, d’une part, à permettre à certaines coopératives de trouver des débouchés face à la faiblesse de la demande au Nord, d’autre part, à modifier le positionnement du commerce équitable au Sud comme une certification de qualité, même si cette qualité n’est pas essentiellement une qualité gustative.
3. LA RECUPÉRATION PAR LES POLITIQUES GOUVERNEMENTALES
20 Si des initiatives de commerce équitable se sont amorcées au Sud en lien avec les mouvements sociaux locaux pour faire reconnaître leurs spécificités (Lapointe et al., 2008 ; Wilkinson et Mascarenhas, 2007a), certains gouvernements se sont rapidement insérés dans la démarche pour en faire une ligne d’action de leur politique. Ainsi, la Plate-forme nationale brésilienne Faces do Brasil (Fórum de Articulação do Comércio Ético e Solidário) initiée en 2001 à travers une démarche participative (Wilkinson et Mascarenhas, 2007b ; Fitipaldi et al., 2006) s’est vue investie par le gouvernement brésilien, qui a fait du commerce équitable un élément de sa politique sociale nationale. En 2007, les critères et les principes du commerce équitable au Brésil ont ainsi été précisés dans le cadre législatif national. En 2010, le président Lula da Silva promulguait la loi encadrant les normes ainsi que le système d’accréditation et de certification du commerce équitable (Bailly et Poos, 2011), l’équivalent de la Commission nationale du commerce équitable en France (CNCE). Compte tenu de la pénétration croissante de la grande distribution en Amérique Latine, les enjeux de la certification nationale sont importants. Dans la même lignée, le gouvernement marocain et le gouvernement malgache ont entrepris des démarches visant à assoir nationalement la stratégie de commerce équitable par une reconnaissance et un encadrement législatifs (Bailly et Poos, 2011). Ainsi, au Maroc, une première convention a été signée entre les grandes et moyennes surfaces de distribution et le ministère des Affaires économiques pour aider des producteurs locaux, lors du Salon international de l’économie sociale et solidaire. En 2011, le même ministère a déposé un projet de loi visant la reconnaissance du commerce équitable et son encadrement. À Madagascar, un Comité interministériel d’appui au commerce équitable et solidaire a été créé en octobre 2011. Bien que son rôle reste encore une question en suspens, il s’agit bien d’un premier pas du gouvernement vers une prise en compte du commerce équitable.
21 Bien sûr, ces initiatives nationales ne visent pas à limiter le commerce équitable aux échanges avec d’autres pays du Sud et participeront à la diffusion des produits nationaux au Nord. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit là de stratégies fortes qui permettront, sans doute, d’appuyer le développement du commerce équitable dans le pays en direction des consommateurs locaux.
CONCLUSION
22 Le commerce équitable Sud-Sud s’intensifie en même temps que les certifications au Sud. Ce double phénomène peut être lu à travers une triple dynamique dont les contours prennent des reliefs différents selon les contextes : la réaction à l’hégémonie de FLO, le besoin de toucher lesconsommateurs au Sud, et la récupération par les politiques nationales de l’initiative du commerce équitable.
23 Un tel mouvement au Sud soulève cependant au moins deux interrogations. D’une part, comme au Nord, le commerce équitable doit arriver à répondre aux attentes des consommateurs. D’autre part, la visibilité pour les consommateurs, à travers la multiplicité des initiatives risque d’être brouillée. De ce point de vue, l’opposition entre FLO et les initiatives nationales autonomes provoque une concurrence entre les labels qui se ressentira d’abord au Sud, mais qui peut également avoir des répercussions au Nord. L’effet de cette concurrence sur le commerce équitable dans son ensemble reste une question totalement ouverte. Enfin, nous pouvons noter qu’un mouvement similaire au Nord, avec le commerce équitable Nord-Nord, se produit. Il soulève lui aussi des tensions (Carimentrand, 2012 ; Le Velly, 2011) qui nécessiteront des analyses spécifiques. Alors que le commerce équitable s’est construit dans une vision internationale, il apparaît probable que, paradoxalement, son avenir passe par une vision plus universelle des échanges qui mettrait l’accent sur la solidarité dans toute relation économique.
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Notes
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[1]
IRD-UMI Résiliences et CEMOTEV-Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. jballetfr@yahoo.fr
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[2]
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[3]
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[6]
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Notons, toutefois, qu’une telle typologie est largement susceptible d’évoluer en fonction des stratégies de qualité mises en œuvre au sein du commerce équitable. Des efforts conséquents ont été faits dans ce sens au Mexique, par exemple.