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Article de revue

Tourisme et développement dans les Caraïbes. Le cas de Cuba

Pages 47 à 66

1 Depuis le début des années 1990, le secteur touristique s’est imposé comme la première source de devises de l’économie cubaine et l’un de ses principaux moteurs de croissance. Au prix d’une reconversion structurelle de grande ampleur, il s’est substitué aux exportations de sucre, spécialisation du pays dans le commerce international durant près de deux siècles (Herrera, 2005). Plusieurs arguments associaient pourtant au tourisme des préjugés négatifs : d’abord, il avait été développé avant 1959, mais sur des bases qui le rendaient impopulaire auprès des Cubains (distorsions économiques, inégalités sociales, activités immorales…) ; ensuite, le gouvernement mis en place après 1959 se montrait réticent à soutenir ce secteur pour des raisons à la fois économiques (liées à la dollarisation, notamment) et politiques (du fait de risques d’instabilité) ; enfin, des difficultés objectives rendent délicate la promotion du tourisme dans un pays placé sous embargo (Herrera, 2003). Les graves difficultés rencontrées par l’économie cubaine après le démantèlement du Conseil d’aide économique mutuelle (CAEM), au sein duquel elle était imbriquée, obligèrent néanmoins à surmonter ces réticences et à repenser la stratégie de développement, pour s’ouvrir sur l’économie mondiale grâce au tourisme, aux investissements directs étrangers et aux transferts de capitaux. Le présent article analyse : les grandes étapes de l’extension du secteur touristique à Cuba, de ses origines jusqu’à la période actuelle (partie I) ; ses traits caractéristiques principaux, à partir d’une comparaison internationale en Amérique latine et caribéenne, et de l’étude de ses singularités, structures et évolutions récentes (partie II) ; enfin, les difficultés auxquelles se trouve confronté ce secteur (et avec lui l’économie dans son ensemble), pour examiner les défis à relever dans les prochaines années en termes de développement (partie III).

1. LES ÉTAPES DE L’ESSOR DU SECTEUR TOURISTIQUE À CUBA

1.1 Avant 1959 : un « Montecarlo des Caraïbes »

2 Cuba, « la plus belle terre qu’aient vue les yeux d’un être humain », selon l’expression de Christophe Colomb, est très tôt devenue un lieu de villégiature prisé, spécialement avec l’expansion du commerce et le décollage de la production sucrière dans la première partie du XIXe siècle. La Havane était alors une étape appréciée sur les routes maritimes qui reliaient l’Europe à l’Amérique latine. Les premiers palaces de luxe commencèrent à être édifiés dans les années 1850 et 1860 afin d’accueillir les voyageurs fortunés de passage : Hôtel Inglaterra (1856), Hôtel Telégrafo (1860), Palacio de Santovenia rénové (1867)… Avec les arrivées de plus en plus fréquentes de citoyens originaires des États-Unis, à partir de la fin du XIXe siècle, le secteur touristique s’étendit dans la capitale (avec l’inauguration en 1908 de l’Hôtel Sevilla, construit sur Paseo del Prado dans un style rappelant l’Alhambra de Grenade, puis racheté par l’entreprise états-unienne Browman ; Hôtel Plaza, ouvert en 1909, à l’angle du Parc central), et, dans une moindre mesure, dans le reste de l’île. L’essor le plus décisif du tourisme à Cuba allait être provoqué au début du XXe siècle par une série de décisions du gouvernement légalisant sur l’île les jeux et les spectacles en tous genres, dans l’espoir d’en faire un « Montecarlo des Amériques » (Revista Bimestre Cubana, 2005).

3 Ainsi, quelques mois après l’instauration de la prohibition aux États-Unis par le 18e amendement de la Constitution du 29 janvier 1919, était créée à La Havane, en août de la même année, une Comisión Nacional para el Fomento del Turismo (Commission nationale pour la promotion du tourisme). Ses premières mesures consistèrent à développer les jeux de hasard, loteries et paris (interdits sur le territoire états-unien après 1893, autorisés depuis 1909 à Cuba), à ouvrir un Casino national et à agrandir l’hippodrome Oriental Park, mais aussi à promouvoir nombre d’attractions illégales au Nord, des combats de coqs (arrêtés aux États-Unis en 1900, tolérés par une loi du Congrès cubain en 1909) à la vente d’alcool dans les bars et restaurants (sanctionnée dans l’Union par le Volstead Act d’octobre 1919). Dans ces conditions, les années 1920 furent marquées par la relance de l’hôtellerie de luxe à La Havane, avec l’extension du Sevilla Biltmore (1924), l’ouverture de l’hôtel Parkview et du gratte-ciel Presidente (1928), avant l’inauguration de l’Hotel Nacional en 1930. En 1929, près de 90 000 touristes, plus 75 000 croisiéristes, États-Uniens à 90%, vinrent visiter Cuba, soit trois fois plus que cinq ans plus tôt, et y dépenser 12,5 millions de dollars. Ces recettes faisaient du tourisme le troisième poste d’exportation cette année-là, derrière le sucre (130 millions de dollars) et le tabac (32 millions) (Commission on Cuban Affairs, 1935).

4 Après l’effondrement consécutif à la Grande Dépression et à la Deuxième Guerre mondiale, le secteur recouvra rapidement son dynamisme, grâce à l’attractivité d’un bon rapport qualité-prix de l’infrastructure hôtelière, à l’essor du transport aérien, qui fit doubler le nombre de touristes dans les Caraïbes entre 1955 et 1960, et aux multiples incitations gouvernementales (telles que des exonérations d’impôts et de droits de douane pour les professionnels du tourisme). C’est à partir du début des années 1950 que la petite ville de pêche et de salines de Varadero, située à 120 km de La Havane et disposant d’un site exceptionnel (la Playa Azul), entama sa métamorphose en l’un des plus gros complexes touristiques des Caraïbes, avec la construction d’hôtels de standing dotés de casinos (Kawama, Internacional, Oasis…), d’une autoroute (reliant La Havane à Matanzas) et même d’un aéroport (desservant Miami en vols directs). En 1957, le seuil record de 272 000 visiteurs, auxquels s’ajoutaient quelque 100 000 croisiéristes, était dépassé. La capitale cubaine, qui hébergeait avec Varadero près des trois quarts des capacités d’accueil du pays en 1958, formait le sommet le plus couru du « triangle du jeu » La Havane - Miami - Las Vegas. Malgré cette manne de devises, la balance touristique de Cuba (différence entre les recettes générées par les touristes étrangers visitant l’île et les dépenses des Cubains à l’étranger) exhibait, en moyenne sur la décennie 1950, un solde négatif (Revista Bimestre Cubana, 2005).

1.2 De 1959 à 1990 : priorité au tourisme national

5 La situation du secteur touristique changea du tout au tout avec la révolution de 1959. Les activités des maisons de jeux, jusque-là tolérées, furent interdites, et les chaînes d’hôtels nationalisées, à la fin de l’année 1960. La recommandation formulée par le gouvernement des États-Unis à l’adresse de ses ressortissants de ne pas se rendre à Cuba, puis les restrictions qu’il imposa début 1961 aux voyages vers cette destination (suivi en cela par le Canada et la plupart des pays d’Europe occidentale) provoquèrent une chute brutale du nombre de touristes (de l’ordre de -65% entre 1958 et 1962). Les priorités du secteur, placé sous l’autorité de l’Institut national de l’industrie touristique (Instituto Nacional de la Industria Turística (INIT)), allaient désormais au tourisme local, grâce à une différenciation des tarifs pratiquée en faveur des nationaux et à la diversification de l’offre de services : libre accès aux plages publiques, centres d’attraction, excurtions, parcs naturels (tel le complexe Guamá - Laguna del Tesoro dans la Ciénaga de Zapata), mise en valeur de patrimoines historiques et culturels locaux (à commencer par celui des peuples précolombiens, notamment Tainos)… Les rares contrats alors souscrits par les opérateurs étrangers étaient passés avec l’agence d’État Cubatur.

6 L’arrivée progressive de visiteurs étrangers venant du bloc soviétique freina quelque peu la tendance décroissante des flux de touristes internationaux, mais ceux-ci passaient tout de même sous la barre des 50 000 personnes au milieu de la décennie 1970, dont les deux tiers en provenance des pays du CAEM. À compter de 1976, l’Institut national de tourisme (Intituto Nacional de Turismo (INTUR)) se chargea d’organiser ces échanges, y compris les voyages de Cubains à l’étranger. À la même époque, les catalogues des tour-opérateurs canadiens avaient commencé à proposer divers « paquets touristiques » pour Cuba, avec vols charters, séjours en hôtel, excursions… L’assouplissement des sanctions administratives états-uniennes en 1977 facilita la reprise du secteur touristique cubain, dont les institutions furent refondues, décentralisées et modernisées, dans le cadre du système d’entreprises de l’INTUR. La promotion du tourisme international redevenait aussi prioritaire. Les résultats furent positifs : comparé à l’année 1978, le nombre de touristes avait presque doublé en 1985, de 93 000 à 175 000, puis triplé en 1988, à 277 000 visiteurs (ONE). On retrouvait ainsi, trois décennies plus tard, les niveaux atteints juste avant 1959 (figure 1). Toutefois, la différence majeure par rapport à la période prérévolutionnaire tenait à ce que, si la contribution principale à la croissance du secteur venait toujours des touristes des pays occidentaux, pratiquement plus aucun d’entre eux n’était dorénavant de nationalité états-unienne. La construction de nouveaux hôtels et d’infrastructures d’appui au tourisme reprit peu à peu, ainsi que l’effort d’élargissement de l’éventail des prestations offertes et d’amélioration des modes de gestion du secteur.

Figure 1

Évolution du nombre de touristes visitant annuellement Cuba de 1955 à 2010 (en milliers de personnes)

figure im1

Évolution du nombre de touristes visitant annuellement Cuba de 1955 à 2010 (en milliers de personnes)

Calculs de l’auteur, en moyennes mobiles, d’après les données de l’ONE (annéesvariées).

7 Plus fondamentalement, et parallèlement aux évolutions observées en URSS et en Europe de l’Est, des symptômes d’épuisement des facteurs qui propulsaient jusque-là la croissance de l’économie cubaine, apparurent au milieu des années 1980. Les capitaux investis enregistraient une baisse de rendement, les dysfonctionnements dans la gestion des entreprises se multipliaient, la dépendance externe demeurait très forte… Ces “dérives” furent interprétées comme les conséquences d’erreurs d’application de la politique adoptée lors de l’implantation d’une conception du calcul économique inspirée de celui en vigueur dans le CAEM, accordant la primauté aux techniques de gestion dans la planification (González Gutiérrez (1997). Aussi les années 1986-1989 allaient-elles être marquées par une “rectification”, s’efforçant de recourir à des méthodes de travail plus efficaces, à des rémunérations rapprochant revenus et résultats et à des formes d’organisation des entreprises performantes. Face aux déséquilibres internes, et aux contraintes extérieures qui s’aggravaient (négociations tendues avec l’Est, situation financière détériorée vis-à-vis de l’Ouest), un début de redéfinition de la stratégie de développement fut engagé au milieu du 3e plan (1988), visant à compter davantage sur les ressources propres du pays. Au nombre des nouvelles sources de revenus extérieurs envisagées figurait le tourisme (mais aussi les biotechnologies), secteur vers lequel furent réorientés les objectifs d’allocation de ressources des plans stratégiques. Des négociations s’engagèrent dès 1988 en vue d’une ouverture plus large au tourisme, tandis qu’une impulsion était donnée aux investissements étrangers et que les modes de financement en devises des entreprises s’assouplissaient (Yamaoka, 1997).

1.3 Depuis 1990 : l’effet de ciseaux sucre – tourisme

8 L’effondrement du soviétisme plongea l’économie cubaine dans une crise gravissime. La dislocation du CAEM, au sein duquel les échanges extérieurs de Cuba étaient protégés des aléas des marchés mondiaux, provoqua la chute rapide des exportations et des importations (respectivement de -79% et -73% entre 1990 et 1993, point bas de la crise). Il s’ensuivit de très fortes baisses de l’investissement et de la consommation, amplifiées par un durcissement simultané de l’embargo états-unien et l’alourdissement de la dette extérieure. La productivité s’effondra et, finalement, le produit intérieur brut diminua de -35% en volume entre 1989 et 1993. Le déficit budgétaire se creusa sous l’effet de la détérioration des comptes des entreprises publiques, mais surtout d’une volonté politique de préserver, autant que possible, et malgré la raréfaction des ressources, la cohésion sociale, en limitant la dégradation de l’emploi, des salaires et des programmes sociaux. Les liquidités monétaires en circulation se gonflèrent, traduisant de fortes tensions inflationnistes. La valeur du peso cubain s’affaiblit considérablement (CEPAL, 1997).

9 C’est dans ce contexte dégradé à l’extrême que le gouvernement cubain engagea une série de réformes au début de la décennie 1990, qui ouvrait la « période spéciale ». La réponse à la crise consista, d’abord (1990-1993), à résister au choc exogène en répartissant au maximum le coût social de l’ajustement et de la restriction de l’offre ; ensuite (1993-1996), à redynamiser les activités liées au secteur extérieur pour se réinsérer dans les échanges mondiaux et, enfin (1997- 2000), à améliorer l’efficience des productions afin de desserrer la contrainte extérieure. Les mesures-clés dotèrent le pays de nouveaux moteurs de croissance à même de relayer les exportations de sucre et de générer des recettes en devises. Ainsi, les entrées de capitaux associées aux investissements directs étrangers, à l’envoi de devises depuis l’extérieur, et surtout au tourisme, permirent assez vite de recouvrer la croissance (figure 2). L’effet de ciseaux qui s’ensuivit dans la structure des exportations était visible dès l’année 1993 : le tourisme dégageait davantage de recettes que le sucre (figure 3).

Figure 2

Les nouveaux moteurs de croissance (en pourcentage des recettes d’exportation)

figure im2

Les nouveaux moteurs de croissance (en pourcentage des recettes d’exportation)

Calculs de l’auteur, d’après les données du CEE et de l’ONE (années variées).
Figure 3

Recettes comparées des secteurs sucrier et touristique (en millions de dollars états-uniens)

figure im3

Recettes comparées des secteurs sucrier et touristique (en millions de dollars états-uniens)

Calculs de l’auteur, d’après le CEE et l’ONE (années variées).

10 Très vite, des signes de redressement de l’économie furent perceptibles, le secteur du tourisme tenant le rôle-clé dans le succès de cette stratégie, avec plus de 40% des devises générées à l’exportation par le pays au début des années 2000, contre 4% en 1990. Entre ces dates, le rythme annuel d’accroissement du nombre de touristes a frôlé les 20%, et celui des recettes les 30%, en incluant le transport, le logement et les services associés. Ces évolutions sont sans équivalent dans les Caraïbes, où Cuba est désormais la troisième destination, après le Mexique et la République dominicaine, mais avant la Jamaïque, Puerto Rico et les Bahamas (tableau 1). Le seuil des deux millions de touristes a été dépassé pour la première fois en 2004. Grâce à l’afflux de capitaux occasionné, le dynamisme du secteur a contribué à corriger, à partir de 1994, les déséquilibres macro-économiques, en particulier le déficit budgétaire, assez rapidement réduit, et celui des comptes extérieurs courants, l’excédent des échanges de services compensant partiellement le déficit commercial des biens. L’évolution des liquidités en circulation fut fortement contrôlée, tout comme l’inflation, ce qui assura le redressement de la valeur du peso. Des accords purent ainsi être trouvés avec les banques créancières du Nord pour renégocier la dette extérieure à des conditions plus favorables. Au total, c’est toute l’économie cubaine qui a été stimulée, et spécialement les secteurs des industries manufacturières, de l’agro-alimentaire et du bâtiment. L’offre des producteurs nationaux couvre aujourd’hui un peu plus des deux tiers de la demande émanant du secteur touristique (Herrera, 2006).

2. PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES DU SECTEUR TOURISTIQUE À CUBA

2.1 Éléments de comparaison internationale

11 Selon les données de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT, 2011), le nombre de touristes internationaux a plus que doublé entre 1990 et 2010. Si deux ralentissements sont observés à la suite des crises de 2000-2001 (avec un point bas enregistré en 2003) et, surtout, de 2007-2008 (-3,9% en 2009), la reprise s’est dessinée dès 2010, avec un total de 935 millions de touristes (+6,6% par rapport à l’année précédente). Le seuil du milliard pourrait être franchi dès 2011, ou 2012. En 2010, les Amériques, prises dans leur ensemble, figuraient en troisième position des grandes régions du monde pour les arrivées de touristes étrangers, avec 150 millions de visiteurs accueillis (soit 16,01% du total mondial), derrière l’Europe (473 millions et 50,48%) et l’Asie-Pacifique (204 millions, 21,77%), mais loin devant le Moyen-Orient (60 millions) et l’Afrique (50 millions). Pour ce qui regarde les recettes touristiques de cette même année, la part relative des Amériques était légèrement supérieure, avec 19,51%, correspondant à 166 milliards de dollars, contre 48,30% (411 milliards) pour l’Europe, 23,85% (203 milliards) pour l’Asie-Pacifique, moins de 5% pour le Moyen-Orient (42 milliards) et à peine 3% pour l’Afrique (29 milliards).

12 De source Banque mondiale (World Bank, 2010), pour le rapport nombre de touristes/nombre d’habitants, Cuba se situait en 2009 à la dixième position en Amérique latine et caribéenne (figure 4), à peu près dans la moyenne régionale, juste derrière le Mexique et devant le Chili, avec un ratio de 0,21 (2,32 millions de touristes/11 millions d’habitants). Pour cet indicateur, Cuba n’était précédée que par des pays ou territoires moins peuplés qu’elle, à l’exception du Mexique, leader latino-américain du secteur, loin devant les autres : Puerto Rico, Uruguay, Jamaïque, Trinidad-et-Tobago, Panama, Costa Rica, République dominicaine et El Salvador. De manière similaire, pour ce qui est du nombre de touristes en Amérique latine et caribéenne (figure 5), en mettant de côté la République dominicaine (dont l’économie, très peu diversifiée, est hyper-spécialisée dans le tourisme, les recettes touristiques y représentant 35% des exportations) et Puerto Rico (territoire associé aux États-Unis), Cuba n’était devancée en 2009 que par cinq pays, tous plus peuplés : Mexique (22,6 millions de touristes pour 108,7 millions d’habitants), Brésil (5,0 millions de touristes, 193,3 millions d’habitants), Argentine (4,7 millions de touristes, 40,5 millions d’habitants) et Chili (2,7 millions de touristes, 17,2 millions d’habitants). Elle dépassait cinq autres pays dont le poids démographique est aussi plus important : Pérou, Guatemala, Colombie, Équateur et Venezuela. Dans les Caraïbes, et en ne comptabilisant que les chiffres de Cancun pour le Mexique, comme proposent de le faire les publications de la Caribbean Tourism Organization (CTO, 2011), Cuba se classait en 2010 en deuxième position pour le nombre de touristes, avec 2 531 745 entrées, derrière la République dominicaine (tableau 1).

Tableau 1

Destinations touristiques dans la sous-région Caraïbes* en 2010

Pays
(et métropole éventuelle)
Nombre de touristes
(en unité)
Rang
dans la région
République dominicaine 4 124 543 1
CUBA 2 531 745 2
Mexique** 2 106 486 3
Jamaïque 1 921 678 4
Puerto Rico (États-Unis) 1 369 814 5
Bahamas 1 368 053 6
Aruba (Pays-Bas) 825 451 7
Ïles Vierges des États-Unis (E.U.) 691 194 8
Barbade 532 180 9
Martinique (France) 476 492 10
Saint-Martin (France et Pays-Bas) 443 136 11
Guadeloupe*** (France) 364 200 12
Curaçao (Pays-Bas) 341 656 13
Ïles Vierges britanniques (R.U.) 330 343 14
Sainte-Lucie 305 937 15
Ïles Caïman (Royaume-Uni) 288 272 16
Belize 238 158 17
Bermudes (Royaume-Uni) 232 262 18
Antigua-et-Barbuda 231 305 19
Suriname 165 806 20
Trinidad-et-Tobago 158 117 21
Guyana 150 141 22
Grenade 106 156 23
Dominique 76 517 24
Saint-Vincent-et-les-Grenadines 72 478 25
Anguilla (Royaume-Uni) 61 998 26
Bonaire (Pays-Bas) 35 173 27
Saba (Pays-Bas) 12 327 28
Saint-Eustache (Pays-Bas) 6 699 29
Montserrat (Royaume-Uni) 4 015 30
figure im4

Destinations touristiques dans la sous-région Caraïbes* en 2010

*Sous-région caribéenne entendue au sens large ; ** Cancun uniquement ; *** INSEE (2009)
CTO (2011).
Figure 4

Rapport touristes/habitants en Amérique latine en 2008

figure im5

Rapport touristes/habitants en Amérique latine en 2008

World Bank (2010).

13 Cuba est, en revanche, presque totalement absente des circuits de croisière. En 2010, ce secteur de luxe était dominé, dans les Caraïbes, par le Mexique (avec près de trois millions de croisiéristes pour la seule île de Cozumel, à l’est du Yucatan), les Bahamas (3,803 millions de passagers) et les dépendances états-uniennes (îles Vierges, 1,858 million), britanniques (îles Caïman, 1,597 million) ou franco-néerlandaise (Saint-Martin, 1,512). Seulement 43 800 touristes avaient accosté à Cuba en 2010, à comparer à 955 300 personnes à Puerto Rico, 909 600 en Jamaïque, 764 600 au Belize ou 352 500 en République dominicaine. C’est plus de dix fois moins que le nombre de personnes accueillies dans les îles de Sainte-Lucie, la Barbade, Aruba, Antigua-et-Barbuda, la Dominique ou Curaçao (CTO, 2011). Cet état de fait s’explique dans une large mesure par l’embargo, qui conduit nombre de voyagistes à écarter cette destination des itinéraires de croisières caribéennes proposés.

Figure 5

Nombre de touristes en Amérique latine et caribéenne en 2009 (en millions de personnes)

figure im6

Nombre de touristes en Amérique latine et caribéenne en 2009 (en millions de personnes)

World Bank (2010).
Figure 6

Arrivées de touristes à Cuba par pays en 2010

figure im7

Arrivées de touristes à Cuba par pays en 2010

ONE (2011).
Figure 7

Arrivées de touristes à Cuba par région du monde de 2005 à 2009 (en milliers de personnes)

figure im8

Arrivées de touristes à Cuba par région du monde de 2005 à 2009 (en milliers de personnes)

ONE (2011).
Tableau 2

Nationalité des touristes visitant Cuba en 2010 pour les dix premiers pays

Pays Nombre de touristes Pourcentage du total
Canada 945 248 37,34
Royaume-Uni 174 343 6,89
Italie 112 298 4,44
Espagne 104 948 4,15
Allemagne 93 136 3,68
France 80 470 3,18
Mexique 66 650 2,63
Argentine 58 612 2,32
Russie 56 245 2,22
Pays-Bas 31 787 1,26
États-Unis (*) 40 000 < x < 50 000 1 < y < 2
figure im9

Nationalité des touristes visitant Cuba en 2010 pour les dix premiers pays

Calculs réalisés sur un total de 2 531 745 entrées, toutes nationalités confondues.
* estimations (x = nombre de touristes, y = pourcentage du total)
Calculs de l’auteur, d’après les données de l’ONE (2011).

2.2 Les traits singuliers du tourisme à Cuba

14 La caractéristique majeure du tourisme à Cuba, en ce qui concerne la provenance des visiteurs, est la très faible présence de citoyens états-uniens. C’est ce qui fait la grande différence avec les pays caribéens voisins, où les États-Unis dominent largement la structure de répartition des touristes selon l’origine géographique (figure 6), particulièrement dans les cas de Puerto Rico, des Bahamas, de la Jamaïque et de Cancun au Mexique. À Cuba, l’essor du nombre de touristes originaires des Amériques (figure 7) était surtout attribuable en 2010 aux Canadiens (tableau 2), beaucoup plus présents (avec 945 248 visiteurs, soit 37,3% du total de 2,351 millions) que les autres nationalités : Espagnols (104 948), Allemands (93 136) et Français (80 470), devant les Mexicains (66 650), les Argentins (58 612) et les Russes (56 245). Si les statistiques officielles du tourisme intégraient parmi les pays de provenance les États-Unis, ceux-ci disputeraient sans doute aux Pays-Bas (31 787 personnes) la dixième place, puisque les ressortissants états-uniens visitant Cuba sont estimés à quelque 40 000 ou 50 000 par an. Pour eux, et compte tenu des restrictions imposées par le gouvernement des États-Unis à ses citoyens de se rendre à Cuba, les services de l’immigration cubains se gardent systématiquement d’oblitérer les passeports afin de préserver le caractère privé du voyage et leur éviter ainsi d’éventuelles sanctions de retour dans leur pays.

Figure 8

Nuitées d'hébergement touristique à Cuba par type d'établissement en 2010 (en pourcentage)

figure im10

Nuitées d'hébergement touristique à Cuba par type d'établissement en 2010 (en pourcentage)

ONE (2011).

15 En 2010, on comptait à Cuba 425 hôtels, 93 établissements touristiques de type villas, maisons ou appartements et plus d’une trentaine d’autres centres d’accueil. Depuis 2005, le nombre d’hôtels a diminué sensiblement (de 453 à 425), tandis que le nombre de chambres augmentait (de 44 570 à 52 294), tout comme celui des lits mis à disposition (de 84 491 à 98 238) (ONE, années variées). Ces évolutions divergentes traduisent une tendance à la concentration des capacités d’accueil, observée depuis plusieurs années. Pour l’année 2010, une large majorité des nuitées d’hébergement était, en effet, enregistrée dans des hôtels de catégorie quatre ou cinq étoiles, avec respectivement 1 058 342 et 1 334 526 nuits, soit 34,3 et 47,6% du total (figure 8). Les établissements hôteliers de type trois étoiles comptaient seulement 11,2% des nuitées, et ceux de deux ou une étoile(s), proportionnellement davantage fréquentés par des résidents cubains, à peine plus de 3% – soit presque autant que la part des villas, maisons et appartements à vocation touristiques. En 2010, le nombre d’établissements touristiques, toutes catégories confondues, était de 78 dans l’agglomération de La Havane et de 54 dans le complexe de Varadero. Venaient ensuite, loin derrière, dans les provinces orientales, Santiago de Cuba sur la côte méridionale (avec 24 établissements), Holguín sur la côte septentrionale (avec 23), Ciego de Ávila au centre du pays (20) et Cayo Largo à l’Est de l’île de la Jeunesse (11). La répartition géographique des capacités d’accueil se caractérise donc par une dichotomie entre une concetration relativement forte sur les pôles phares de La Havane et Varadero et une large dispertion des autres établissements.

Figure 9

Cycle annuel des arrivées de touristes internationaux à Cuba (de janvier 2009 à avril 2011)

figure im11

Cycle annuel des arrivées de touristes internationaux à Cuba (de janvier 2009 à avril 2011)

Dirección de Industria y Medio Ambainte (2011).
Figure 10

Comparaison des cycles touristiques annuels aux Caraïbes en 2010

figure im12

Comparaison des cycles touristiques annuels aux Caraïbes en 2010

CTO et ONE (2011).

16 Comme le montrent les figures 9 et 10, les entrées de touristes présentent un profil cyclique marqué au cours de l’année. Dans le cas de Cuba, on observe un point haut au mois de mars (avec 279 199 visiteurs en 2009, 298 347 en 2010 et 315 457 en 2011), et un point bas en septembre (104 098 en 2008, 119 914 en 2009, 134 539 en 2010). La partie haute du cycle couvre la période allant de novembre à avril (saison « automne-hiver »), tandis que la partie basse s’étend de juin à octobre (saison « printemps-été »). À l’intérieur de la seconde période, un sous-cycle est régulièrement repéré, avec une pointe assez nette en juillet (206 347 personnes accueillies en 2010, par exemple). Ce découpage de l’année touristique se retrouve dans les autres destinations caribéennes. Néanmoins, ce sous-cycle est moins prononcé à Cuba qu’en République dominicaine, où l’on distingue nettement deux sommets dans le cycle annuel, l’un maximal à la fin de l’hiver (mars), l’autre intermédiaire au début de l’été (juillet), le point bas se trouvant lui aussi en septembre. Un tel dédoublement du cycle se perçoit également dans le cas très particulier de Cancun, mais il y est légèrement décalé, avec un point haut situé en janvier et un point intermédiaire en juin (figure 10). Le secteur touristique cubain présente un certain nombre d’originalités. Outre le tourisme de masse, attiré par les plages ensoleillées et le cachet de l’île, l’accent a surtout été placé sur la mise en valeur des atouts culturels du pays, fondés sur son passé colonial et son patrimoine historique. Aussi les sites architecturaux des premières villes construites par les conquistadores espagnols durant la deuxième décennie du XVIesiècle (il y a un demi-millénaire) ont-ils fait l’objet d’une réhabilitation systématique, comme en témoignent les travaux réalisés, par exemple, à Nuestra Señora de la Asunción de Baracoa dans la province de Guantánamo (Revista Bimestre Cubana, 2005). Cette stratégie a permis la reconnaissance de plusieurs sites par les Monuments nationaux et leur inscription au Patrimoine universel de l’Humanité par l’UNESCO. Tel est le cas du centre historique et des fortifications de La Habana Vieja dans la capitale, de Trinidad et de la vallée des sucreries dans la province de Sancti Spíritus, des sites archéologiques des premières plantations de café du Sud-Est, du parc national Alejandro de Humboldt ou de la vieille ville de Cienfuegos. La province occidentale de Pinar el Río accueille deux (des six) Réserves mondiales de la Biosphère et un Paysage culturel de l’Humanité (la vallée de Viñales), en plus de plantations de tabac parmi les plus appréciées des amateurs de cigares… L’écotourisme prend appui, quant à lui, sur les très nombreuses curiosités endémiques de la flore et de la faune cubaines.

17 De surcroît, Cuba est devenue depuis plusieurs décennies l’une des destinations majeures du tourisme médical. L’une des réussites de la politique industrielle a en effet été l’édification d’un complexe pharmaceutique et biotechnologique de qualité et de renommée internationale. Dès la fin de la décennie 1980, ses débouchés ne se limitaient plus aux plans nationaux de santé publique et s’étendaient à l’exportation sur le marché mondial. Ce volontarisme scientifique s’est, par exemple, illustré en 1985 par la découverte du vaccin contre la méningite B, le premier au monde efficace contre cette maladie, produit dans un pays du Sud et administré dans des pays du Nord (Herrera, 2006). Aujourd’hui, 85% de la demande domestique de médicaments est satisfaite localement et plus de 200 produits pharmaceutiques cubains sont commercialisés dans une cinquantaine de pays. Cuba détient plus de 600 brevets dans ces domaines (notamment pour des vaccins, des protéines recombinantes, des anticorps monoclonaux utilisés dans les protocoles contre certains cancers…) (Lage Dávila, 2009).

18 Ce sont là des arguments déterminants, ajoutés aux prix abordables et aux gains de temps, pour convaincre nombre de patients de se faire soigner à Cuba, sous visas touristiques normaux. Actuellement, les services médicaux les plus fréquemment proposés concernent le traitement des cancers, la pose de prothèses, les interventions d’ophtalmologie, les cures de désintoxication, ainsi que les opérations de chirurgie plastique ou esthétique. Les coûts des services spécialement destinés aux étrangers sont, en moyenne, 75% plus bas qu’aux États-Unis, pour une qualité comparable. Bien que l’embargo empêche toujours la reconnaissance internationale de la Joint Commission on Accreditation of Healthcare Organizations (JCI), plus de 20 000 patients, originaires d’Amérique (du Nord et du Sud) et d’Europe pour la plupart, avaient fait le choix à la fin des années 2000 de venir à Cuba pour y subir une intervention chirurgicale ou y suivre un traitement spécifique. Parmi les nationalités les plus représentées, figurent celles du Canada, du Royaume-Uni et du Mexique, mais aussi des États-Unis, après obtention de l’autorisation de leur administration ou, plus fréquemment, en voyageant par un pays tiers.

3. PROBLÈMES ET PERSPECTIVES DU SECTEUR TOURISTIQUE À CUBA

3.1 Quelques problèmes actuels du tourisme cubain

19 Selon les données fournies par la Banque mondiale (World Bank, 2010), les recettes du secteur touristique s’élevaient à Cuba à 2,548 milliards de dollars états-uniens pour l’année 2008 ; la Oficina Nacional de Estadísticas les évaluant, quant à elle, à 2,347 milliards (ONE, 2009). Cela situait Cuba au septième rang en Amérique latine et caribéenne pour cet indicateur (tableau 3), derrière trois de ses concurrents directs des Caraïbes : le Mexique, de très loin le premier récipiendaire de devises touristiques (14,6 milliards de dollars), la République dominicaine (4,2 milliards) et Puerto Rico (3,6). Cuba n’apparaît cependant qu’en dixième position pour le ratio des recettes par touriste, avec 1100,17 dollars en moyenne (tableau 3), même si elle fait légèrement mieux que la République dominicaine (1 049 dollars) et Puerto Rico (936). Depuis le milieu des années 2000, les recettes touristiques cubaines marquent cependant le pas (figure 11) : elles étaient de 2,398 milliards de dollars en 2005, de 2,225 en 2006, de 2,236 en 2007 et de 2,346 en 2008, avant de se réduire à 2,106 en 2009, soit en-dessous du niveau atteint en 2004 (2,114 millirads de dollars). Les évolutions du rapport recettes par touriste révèlent une dégradation plus prononcée encore (figure 11), qui paraît s’inscrire dans une tendance longue, observable depuis le pic du milieu de la décennie 1990, et assez préoccupante (figure 12), quoique partagée par la plupart des pays de la région (CTO).

Tableau 3

Recettes touristiques en Amérique latine et caribéenne en 2008

Pays Recettes touristiques
(en millions de dollars)
Recettes par touriste
(en dollars)
Mexique 14 647 647,04
Brésil 6 109 1 209,70
Argentine 5 308 1137,83
République dominicaine 4 176 1 049,25
Puerto Rico 3 645 936,06
Chili 2 632 975,18
CUBA 2 548 1 100,17
Costa Rica 2 523 1 209,19
Colombie 2 499 2 045,01
Pérou 2 396 1164,24
Panama 2 223 1 719,26
Jamaïque 2 222 1 257,50
Uruguay 1180 608,88
El Salvador 1180 851,99
Guatemala 1 068 622,74
Venezuela 984 1 320,81
Equateur 745 741,29
Honduras 622 691,88
Trinidad-et-Tobago 615 1 420,32
Bolivie 302 508,42
Haïti 279 917,76
Nicaragua 276 321,68
Paraguay 128 299,07
figure im13

Recettes touristiques en Amérique latine et caribéenne en 2008

World Bank (2010), données ; calculs de l’auteur.
Figure 11

Recettes touristiques totales et recettes par touriste entre 2004 et 2009 (en peso CUC par touriste au millième et en indice base 1)

figure im14

Recettes touristiques totales et recettes par touriste entre 2004 et 2009 (en peso CUC par touriste au millième et en indice base 1)

Calculs de l’auteur, d’après les données de l’ONE (années variées).
Figure 12

Recettes par touriste de 1991 à 2009 (en pesos CUC par touriste au millième)

figure im15

Recettes par touriste de 1991 à 2009 (en pesos CUC par touriste au millième)

Calculs de l’auteur, d’après l’ONE (années variées).
Figure 13

Évolution du nombre de touristes aux Caraïbes au 1er semestre 2011 (en pourcentage de taux de croissance par rapport à l’année précédente)

figure im16

Évolution du nombre de touristes aux Caraïbes au 1er semestre 2011 (en pourcentage de taux de croissance par rapport à l’année précédente)

CTO (2011).

20 L’une des explications tient à ce que le taux d’occupation des établissements touristiques présente une certaine décroissance au cours des dernières années, même si les hôtels de catégories cinq et quatre étoiles résistent nettement mieux que les autres (tableau 4). Outre cette relative sous-utilisation des capacités d’accueil, d’importantes marges de progression existent encore en matière d’amélioration de la qualité des services, d’élargissement de la gamme des activités offertes et d’efficience dans l’organisation et la gestion des entités du secteur touristique, qu’il s’agisse des chaînes hôtelières ou des opérateurs, qui se sont multipliés depuis le début des années 1990 (Cubanacan, Gaviota, Cimex, Habaguanex, Mercadu, puis, plus récemment, Gran Caribe, Horizontes ou Isla Azul, par exemple). En outre, si le tourisme a créé de nombreux nouveaux postes de travail (dont le nombre est estimé à plus de 200 000 entre 1993 et 2003) (ONE), les effets multiplicateurs sur l’emploi qui lui sont associés sont relativement limités, et tendent à s’épuiser. Ainsi, entre 1990 et 2005, l’accroissement du nombre de touristes à Cuba a multiplié par huit le montant des revenus en devises du secteur, mais seulement par deux le volume d’emplois directs générés (CFCE, 2006).

Tableau 4

Taux d'occupation des hôtels par catégorie de 2005 à 2010 (en pourcentage et moyenne annuelle)

2005 2006 2007 2008 2009 2010
Hôtels 5 étoiles 63,1 65,0 64,0 64,1 64,5 62,9
Hôtels 4 étoiles 62,4 64,3 63,0 62,5 62,5 60,6
Hôtels 3 étoiles 64,3 60,2 57,0 56,3 55,0 53,7
Hôtels 2 étoiles 63,7 61,3 55,2 53,2 54,2 50,4
Hôtels 1 étoile 77,6 68,0 49,6 48,2 52,5 50,8
Autres établissements 61,1 63,3 48,7 46,7 51,3 50,2
figure im17

Taux d'occupation des hôtels par catégorie de 2005 à 2010 (en pourcentage et moyenne annuelle)

ONE (années variées).

3.2 Questions macro-économiques et monétaires

21 De manière plus générale, le déplacement du centre de gravité de l’économie du secteur sucrier vers celui du tourisme, en tant que poste majeur de rééquilibrage de la balance des paiements, s’est simulatément révélé être un puissant vecteur de dollarisation (Herrera et Nakatani, 2004). Cette dernière fut décidée à Cuba par la dépénalisation de la détention de devises en août 1993 et l’autorisation de recevoir des dollars en provenance de l’étranger (remesas). Elle se manifesta par la circulation sur le territoire national de trois monnaies : le peso cubain, inconvertible ; le dollar des États-Unis, qui s’imposa de facto sur les autres devises ; et un peso convertible, équivalent interne du dollar et exprimant le niveau de la productivité des facteurs états-uniens en valeur. Cette multiplicité monétaire, avec double système de change, traduisait un compartimentage de l’économie en circuits distincts, étanches mais interconnectés, au sein desquels les structures de prix de biens et services similaires pouvaient être différenciées. Le but ultime était de fournir à l’État les flux de devises lui permettant de résorber les déséquilibres et d’assurer la reprise, tout en préservant au maximum le système social et en amortissant les effets de la crise. La dollarisation fut donc intégrée au train de réformes consistant à admettre les mécanismes de marché, en les régulant fermement. De forme publique ou privée (avec participation majoritaire de l’État), les entreprises du tourisme, comme celles des secteurs « émergents » (joint ventures, unités de production dollarisées…), ont bénéficié de façon prioritaire des investissements étatiques et d’une autonomie élargie dans la gestion des devises. En contrepartie, elles drainent des devises vers l’État, en transférant les excédents de leurs balances-devises, en collectant des salaires en dollars de leurs employés (payés en pesos) ou par la voie fiscale.

22 Néanmoins, les effets des réformes monétaires n’ont pas tous été positifs. La dollarisation a accru les inégalités en creusant un fossé entre ceux qui avaient accès aux dollars (employés du secteur touristique, en particulier) et ceux qui n’y avaient pas accès (enseignants, médecins…) (Ferriol Muruaga, 2004). Les incitations au travail et à l’élévation de la productivité se trouvaient brouillées, tandis que la circulation parallèle du dollar (sur le marché informel) complexifiait le contrôle du phénomène. L’apparition d’une différenciation sociale nouvelle aiguisait les contradictions internes et entretenait une relative instabilité. Les menaces que la dollarisation faisait peser sur la société cubaine poussèrent en juillet 2003 le gouvernement cubain à restreindre les transactions en devises, en rendant obligatoire l’usage du peso convertible dans les échanges entre les entreprises d’État. La même année, le contrôle des changes était renforcé dans les relations avec l’extérieur. La résolution de la Banque centrale du 25 octobre 2004 décidait finalement que le dollar ne devait plus circuler à Cuba, en réaction au durcissement de l’embargo sur les transferts financiers. Le processus de dé-dollarisation choisi accorde un rôle central au peso convertible (CUC), réévalué, qui remplace le dollar et qui est, désormais, obligatoire dans toutes les transactions commerciales internes (au taux de change de 1 pour 1). De plus, les envois de devises depuis l’étranger ne sont plus acceptés en dollars et doivent être convertis en une autre devise (euros, par exemple). Cette réforme ne signifie pas que la possession du dollar soit interdite, puisqu’il reste une réserve de valeur pour les Cubains qui peuvent le conserver dans les banques domestiques ; ni que l’économie soit complètement dé-dollarisée, car le rôle-clé est attribué à l’ancien équivalent du dollar en tant que moyen de circulation interne. En affirmant sa volonté d’avancer dans la réunification monétaire et de recouvrer sa souveraineté monétaire, le gouvernement a ainsi renforcé ses instruments pour modifier les mécanismes de subventions interentreprises au fur et à mesure du redressement économique et de la diversification de l’offre des producteurs nationaux, au-delà des contours du seul secteur touristique.

23 L’un des défis majeurs à relever dans les prochaines années sera celui de trouver les moyens pour tenter de réduire la dépendance grandissante de l’économie cubaine vis-à-vis du tourisme. Ce dernier, qui contribue aujourd’hui à hauteur de 6 à 8% du produit intérieur brut cubain (ONE, 2011), peut finir par absorber davantage de ressources qu’il n’en génère. Quand bien même Cuba disposerait d’atouts qui la distinguent d’autres destinations dans la région Caraïbes, les flux de touristes restent soumis aux caprices de la mode, ainsi qu’aux exigences des grands groupes dominant ce marché extrêmement lucratif, et aussi très instable (tour-opérateurs et agences de voyages, transporteurs, publicitaires, compagnies de croisière…). Les recettes touristiques sont volatiles et incertaines, car sensibles aux retournements de conjoncture économique, surtout dans la période actuelle de crise financière globale. La réflexion se doit donc de porter non seulement sur les efforts d’amélioration de l’efficacité et de la rentabilité du secteur touristique lui-même, mais encore, et principalement, sur les conditions d’une stratégie de développement plus équilibrée et d’une dynamisation des avantages comparatifs “non traditionnels”, notamment ceux fondés sur les biens et services scientifiques et technologiques. Le problème structurel des déséquilibres des comptes extérieurs est loin d’être réglé. L’expansion des exportations de biens reste trop faible, tandis que celle, beaucoup plus soutenue, des services, ne suffit pas encore à compenser le solde déficitaire de la balance commerciale, des évolutions qui ne sont pas étrangères aux récentes décisions gouvernementales allant dans le sens d’une plus grande ouverture (Cuba, 2011).

CONCLUSION

24 L’heure est donc, dans le secteur touristique comme dans le reste de l’économie, à la poursuite de l’amélioration des gains de productivité et de l’efficacité des entreprises, ainsi qu’à la rationalisation de l’utilisation des ressources et de l’ajustement de la qualité aux exigences du marché. La diversification de l’économie et son orientation vers des productions plus intensives en haute technologie paraît souhaitable, afin de dégager des revenus à l’exportation grâce à une modification maîtrisée des avantages comparatifs du pays en direction de biens scientifiques, intellectuels et culturels intensifs en connaissances, par rapport aux “dotations naturelles” (matières premières minières ou agricoles…). Le niveau de qualification et de compétence de la force de travail compte précisément parmi les atouts dont dispose Cuba face à ces défis, et l’essor du potentiel humain constitue un point d’appui pour promouvoir ces nouvelles productions de biens et services à forte valeur ajoutée. Ces dernières années, malgré les difficultés dues à l’embargo, les exportations des secteurs productifs liés aux savoirs ont connu des avancées significatives, comme pour les produits pharmaceutiques et biotechnologiques, des méthodes de diagnostic et équipements médicaux de grande complexité, des services de santé de haut niveau, des services et logiciels informatiques… (Yamoaka, 1997). Les bénéfices tirés du tourisme sont, certes, importants et indispensables à l’équilibre de la balance des paiements et au dynamisme de l’économie, d’autant que les résultats intermédiaires de taux de croissance du nombre de visiteurs étrangers accueillis à Cuba au premier semestre 2011 étaient les meilleurs de la sous-région caribéenne (figure 13), avec +11,9%, loin devant ceux enregistrés par ses concurrents de la République dominicaine (+5,2%) et de la Jamaïque (+6,3%) (CTO, 2011). Ce différentiel favorable à Cuba s’explique, en partie, par son “indépendance” vis-à-vis des fluctuations des entrées de touristes provenant des États-Unis, touchées par la crise financière et affectant les pays les plus étroitement liés à leur économie, comme Puerto Rico (+1,8%) ou les îles Vierges états-uniennes (-1,2%). Toutefois, ces avantages associés au tourisme ne sauraient faire oublier la nécessité de rééquilibrer les contributions des différents moteurs de la croissance pour parvenir à un développement s’inscrivant dans la durée.

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  • YAMAOKA K. (ed.) (1997) Cuba’s Survival, Tokyo, Institute of Developing Economies.

Mots-clés éditeurs : Caraïbes, État, tourisme, développement, Amérique latine

Date de mise en ligne : 13/04/2012

https://doi.org/10.3917/med.157.0047

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