Couverture de MNC_030

Article de revue

Les présupposés du réformisme

Autour de la Société fabienne (1884-1914)

Pages 89 à 114

Notes

  • [1]
    Les études biographiques de ces figures le montrent, entre autres : Leslie Derfler, Alexandre Millerand : The socialist years, Paris-La Haye, Mouton, 1977 ; Marjorie Milbank Farrar, Principled pragmatist : The political career of Alexandre Millerand, New York, Berg, 1991 ; B.W. Shaper, Albert Thomas, trente ans de réformisme social, Assen, Van Gorcum, 1959 ; David Stafford, From anarchism to reformism : A study of political activities of Paul Brousse within the First International and the French socialist movement, 1870-1890, Londres, London School of Economics and Political Science, 1971.
  • [2]
    Alain Bergounioux, Gérard Grunberg, L’ambition et le remords. Les socialistes français et le pouvoir, 1905-2005, Paris, Fayard, 2005, p. 73.
  • [3]
    Reinhart Koselleck, « La sémantique historico-politique des concepts antonymes asymétriques », in Le futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, Paris, Éd. de l’EHESS, 1990, p. 191-232.
  • [4]
    Le Congrès de Toulouse en 1908 discute en particulier de l’adhésion du Labour à l’Internationale, après la division de la délégation française au Bureau socialiste international (5e congrès national tenu à Toulouse les 15-18 octobre 1908, Paris, Parti socialiste SFIO, 1908, p. 113-116)
  • [5]
    Robert Hertz, « Le socialisme en Angleterre. La Société fabienne », 13 janvier 1911, London School of Economics Archives, Fabian Society Papers, E/121, f. 5.
  • [6]
    John Stuart Mill annonce ainsi l’inéluctabilité du socialisme, dans « Chapters on socialism » (1879), in Principles of political economy, Oxford, Oxford University Press, 1994.
  • [7]
    Mark Bevir, « Republicanism, socialism and democracy in Britain : The origins of the radical left », Journal of Social History, XXXIV, 2, hiver 2000, p. 351-368.
  • [8]
    Henry George, Progress and poverty : An inquiry into the cause of industrial depressions and of increase of want with increase of wealth (1879), New York, Doubleday and McClure Company, 1898, p. 326-331.
  • [9]
    Edward Pease, History of the Fabian Society, Londres, A.C. Fitfield, 1916, p. 20.
  • [10]
    Le lien entre la collectivisation de la terre et l’indépendance matérielle est affirmée par les radicaux comme Charles Bradlaugh, « The land, the people and the coming struggle », in Political essays, Londres, Freethought Publishing Comany, 1887.
  • [11]
    Stephen Yeo, « The religion of socialism in Britain, 1883-1896 », History Workshop, 4, automne 1977, p. 5-56.
  • [12]
    Jon Lawrence, « Popular radicalism and the socialist revival in Britain », the Journal of British Studies, XXXI, 2, avril 1992, p. 163-186.
  • [13]
    Chushichi Tzuzuki, H.M. Hyndman and British socialism, Oxford, Oxford University Press, 1961 ; Martin Crick, The history of the Social Democratic Federation, Keele, Ryburn Publishing Keele University Press, 1994.
  • [14]
    LSE Archives, Fabian Society Papers, C36/10.
  • [15]
    A Manifesto, Fabian Tract n° 2, Londres, Fabian Society, 1884. Le tract n° 3, publié en 1885, est intitulé d’ailleurs To provident landlords and capitalists : A suggestion and a warning, qui exige la mise à disposition des terres incultes ou moins productives à des ouvriers devenus propriétaires.
  • [16]
    Norman et Jeanne Mackenzie, The first Fabians, Londres, Weidenfield & Nicolson, 1977.
  • [17]
    E. Pease, History of the Fabian Society, op. cit., p. 37.
  • [18]
    Fabian Rules, 1886-1887, LSE Archives, Fabian Society Papers, C/52/1, f. 1.
  • [19]
    Ibid., C/52/1, f. 7.
  • [20]
    Beatrice Webb, dans ses écrits autobiographiques, parle d’une « nouvelle conscience du péché parmi les personnes cultivées ou fortunées » qui amènerait au socialisme (Beatrice Webb, My apprenticeship, Harmondsworth, Penguin, p. 154).
  • [21]
    Le positivisme d’Auguste Comte est diffusé en Grande-Bretagne par un tissu d’associations comme la Dialectical Society, fréquentée par Sidney Webb, George Bernard Shaw, et d’autres membres de la Société fabienne (Mark Bevir, « Sidney Webb : Utilitarianism, positivism, and social democracy », The Journal of Modern History, LXXIV, 2, juin 2002, p. 217-252).
  • [22]
    J. Stuart Mill, « Chapters on socialism », loc. cit., p. 408.
  • [23]
    Ibid., p. 374.
  • [24]
    E. Pease, History of the Fabian Society, op. cit., p. 19.
  • [25]
    « La Socialist League […] fera tout ce qui sera en son pouvoir pour éduquer le peuple dans les principes de la grande cause, et poursuivra l’organisation de ceux qui accepteront cette éducation, de sorte que lorsque la crise viendra, préparée par la marche des événements, il y aura un ensemble d’hommes prêts à prendre leur place et à assumer et à diriger le mouvement irrésistible. » (The manifesto of the Socialist League, Londres, 1885, p. 6.)
  • [26]
    La SDF compte ainsi quelque 500 adhérents en 1884 (C. Tsuzuki, H.M. Hyndman and British socialism, op. cit., p. 284). La Socialist League n’en compte guère davantage. La Société fabienne, elle, compte moins d’une centaine de membres.
  • [27]
    Il s’agit de Frederick Keddell et de Hubert Bland qui suivra ensuite la Socialist League (A.M. MacBriar, Fabian socialism and English politics, 1884-1918, Cambridge, Cambridge University Press, 1962, p. 9).
  • [28]
    La première traduction anglaise du volume I, réalisée par Edward Aveling et Samuel Moore et supervisée par Engels, paraît en 1887. Les fabiens ont également accès à la version originale en allemand.
  • [29]
    Sidney Webb, Rent, interest and wages, being a criticism of Karl Marx and a statement of economic theory, 1886, LSE Archives, Passfield Papers, 7/4, f. 11-12.
  • [30]
    Ibid., f. 88-102.
  • [31]
    La Socialist League condamne ainsi sans distinction la coopération, qui « augmenterait le nombre de capitalistes », la nationalisation de la terre, inutile puisqu’elle ignore la collectivisation des moyens de production, le socialisme d’État, qui « laisse en fonctionnement le système présent de capital et de salaire » (The manifesto of the Socialist League, op. cit., p. 5).
  • [32]
    To socialists, Londres, The Socialist League, 13 janvier 1885, p. 1.
  • [33]
    The true radical programme, Fabian Tract n° 6, Londres, Fabian Parliamentary League, 1887 p. 7-8.
  • [34]
    Ibidem.
  • [35]
    Sidney Webb, Facts for socialists, showing the distribution of the national income and its results, Tract n° 5, Londres, Fabian Society, 1887.
  • [36]
    George Bernard Shaw (ed.), Fabian essays in socialism, Londres, 1889, p. IV.
  • [37]
    Ibid. p. 31.
  • [38]
    Ibid., p. 109.
  • [39]
    Ibid., p. 182.
  • [40]
    E. Pease, History of the Fabian Society, op. cit., p. 88-89 ; A.M. Macbriar, op. cit., p. 175.
  • [41]
    « The Growth of the Society », Fabian News, I, 2, avril 1891, p. 5.
  • [42]
    Robert Hertz souligne ainsi que la Société compte autour de 2500 membres en 1911 (Robert Hertz, « Le socialisme en Angleterre. La Société fabienne », 13 janvier 1911, LSE Archives, Fabian Society Papers, E/121, f. 2).
  • [43]
    Liseanne Radice, Beatrice and Sidney Webb, Fabian socialists, Londres, Macmillan, 1984, p. 91-95
  • [44]
    Fabian Rules, 1886-1887, LSE Archives, Fabian Society Papers, C/52/1, f. 1.
  • [45]
    Charles Booth, Labour and life of the people, Londres, William & Norgate, 1889, p. 6.
  • [46]
    Christian Topalov, « Raconter ou compter ? L’enquête de Charles Booth sur l’East End de Londres (1886-1889) », Mil neuf cent, 22, 2004, p. 107-132. L’enquêteur cherche en effet à découvrir des proportions inaperçues et stables, des relations régulières entre phénomènes, bref, des lois empiriques (p. 107).
  • [47]
    Sidney et Beatrice Webb, The history of trade unionism, Londres, Longmans, 1894 ; Id., Industrial democracy, Londres, Longmans, 1897 ; Id., Problems of modern industry, Londres, Longmans, 1898 ; Id., English local governement from the revolution to the Muni cipal Corporations Act, Londres, Longmans, 10 vol.
  • [48]
    S. et B. Webb, Industrial democracy, op. cit, p. XI.
  • [49]
    Ibid., p. XI-XIV.
  • [50]
    Sidney Webb, Parish and district councils : What they are and what they can do, Londres, Fabian Society, 1895.
  • [51]
    La correspondance entre Sidney Webb et Edward Pease, secrétaire de la Société, est très riche de ce point de vue : Webb demande très fréquemment d’envoyer les brochures aux personnes concernées. Le rôle de Pease consiste aussi à orienter les sympathisants étrangers, et à leur faire connaître la Société.
  • [52]
    Les Fabian news sont publiés à partir de mars 1891. Il s’agit en réalité d’une circulaire à usage interne, destinée aux membres provinciaux de la Société qui sont moins informés des conférences et publications de la Société.
  • [53]
    Frank Smith, W.C. Steadman, F. Henderson, F.C. Baum et Nelson Palmer. Tous sont élus avec le soutien des Progressistes, « The LCC election », Fabian News, II, 2, avril 1892, p. 8.
  • [54]
    Sidney Webb est à l’origine d’une série de Tracts publiés en 1891 : London’s Heritage in the city guilds ; The municipalisation of the gas supply ; Municipal tramways ; London’s water tribute ; The municipalisation of the London docks ; The scandal of London’s markets.
  • [55]
    Sidney Webb, The education muddle and the way out : A constructive criticism of English educational machinery, Tract n° 106, Londres, The Fabian Society, p. 18.
  • [56]
    Il s’agit de l’Education Act de 1902, qui réorganise les services d’éducation en concentrant la décision entre les mains des town councils ou county councils, représentés par un Education Committee (Sidney Webb, The Education Act, 1902 ; How to make the best of it, Tract n°114, Londres, Fabian Society, 1903). La situation de Londres est particulière, et traitée dans le London Education Act de 1903 (Sidney Webb, The London Education Act 1903 : How to make the best of it, Tract n° 117, Londres, Fabian Society, 1904).
  • [57]
    R.C.K. Ensor, « Permeation », in Margaret Cole (ed.), The Webbs and their work, Hassocks, The Harvester Press, p. 63.
  • [58]
    Beatrice Webb écrit ainsi en 1892, à propos du Trade Unions Congress de Glasgow : « Le mouvement a un côté sordide, je dirais presque dégoûtant : querelles entre sections, intrigues entre personnes, et c’est ce côté-là qui tient le haut du pavé. »
  • [59]
    The workers’ political programme, Tract n° 11, Londres, Fabian Society, 1891, p. 4.
  • [60]
    Sidney Webb, Wanted, a programme : An appeal to the Liberal Party, p. 16 (LSE Archives, Fabian Society Papers, E116/2).
  • [61]
    George Bernard Shaw, The Fabian election manifesto, Tract n° 40, Londres, Fabian Society, 1892.
  • [62]
    A plan of campaign for Labour, Tract n° 49, Londres, Fabian Society, 1894.
  • [63]
    La Société compte 72 branches en 1893, la fondation de l’ILP entraîne la défection de 11 d’entre elles. En 1896, 18 branches provinciales sont maintenues (A.M. Macbriar, Fabian Society and English politics, op. cit., p. 168).
  • [64]
    Ce que Sidney Webb nomme trade sectionalism (Sidney Webb, Socialism : True and false, Londres, Fabian Society, 1899, p. 12-14).
  • [65]
    George Bernard Shaw, Man and superman : A comedy and a philosophy, Londres, Archibald Constable & Co, 1903, p. XXIV.
  • [66]
    Thomas Carlyle, On heroes, hero-worship and the heroic in history (1841), Lincoln-Londres, University of Nebraska Press, 1966.
  • [67]
    Malgré son originalité, elle pourrait être comparée avec profit aux évolutions contemporaines d’autres intellectuels socialistes comme Charles Andler, dont la brochure La civilisation socialiste (1910) manifeste des orientations assez comparables, mais pour d’autres raisons (Charles Andler, La civilisation socialiste, Christophe Prochasson (ed.), Lormont, Éd. Le Bord de l’Eau, 2010).
  • [68]
    La Société est alors divisée sur l’attitude à prendre devant le conflit, et sur l’opportunité de publier une prise de position hostile à la politique impériale. La question est soumise au vote des membres en mars 1900. Les opposants d’une déclaration publique représentent la vieille génération (Sidney Webb, Shaw, Hubert Bland) et obtiennent la majorité (« The Transvaal war vote », Fabian news, X, 1, mars 1900, p. 1).
  • [69]
    George Bernard Shaw, Fabianism and the Empire, Londres, Grant Richards, 1900, p. 5-6.
  • [70]
    Ibid., p. 61.
  • [71]
    C’est dans ce contexte que doit être compris la préférence marquée du groupe pour un socialisme technocratique, qui fait peser sur lui le soupçon d’une fascination pour l’URSS des années trente (W.H. Greenleaf, The British political tradition, I, The rise of collectivism, Londres, Methuen, 1983).
  • [72]
    Executive Committee Election, s.d., LSE Archives, Fabian Society Papers, B5/4 f. 14.
  • [73]
    Reasonable reform : Fabian progress and ILP Defense, programme défendu par RCK Ensor, Aylmer Maude, W. Teignmouth Shore, 1907-1908, LSE Archives, B5/4, f. 2-3.
  • [74]
    The Fabian Society : Election of Executive Committee, 1907-1908, LSE Archives, Fabian Society Papers, B5/4, f. 17
  • [75]
    Ibid., f. 19.
  • [76]
    « The Annual Meeting », Fabian news, XIX, 7, juin 1908, p. 54.
  • [77]
    Lettre de H.G. Wells à Edward Pease, 16 septembre 1908, LSE Archives, Fabian Society Papers, A9/3, f. 34-35. Elle est publiée dans les Fabian news : « The resignation of Mr. Wells », Fabian news, XIX, 11, octobre 1908, p. 77-78.
  • [78]
    Il s’agit d’une manifestation du New Liberalism, porté avec Campbell-Bannerman par une nouvelle génération à laquelle appartiennent Winston Churchil, Ronald McKenna, Walter Runciman, H.W. Massingham. Leur ambition est de renouveler le libéralisme en reconnaissant à l’État et aux municipalités une marge d’intervention, notamment pour le contrôle de biens publics. Ils reprennent ainsi une idée chère aux fabiens, qui explique leur soutien : celle d’un « minimum national » garantissant le bien-être de la population.
  • [79]
    La situation de celui qui demande l’assistance doit être moins avantageuse que celle de l’employé dans la pire situation.
  • [80]
    Beatrice Webb, « A crusade against destitution », The Christian Commonwealth, 30 juin 1909.
  • [81]
    The National Committee to promote the break-up of the poor law, LSE Archives, Fabian Society Papers, E 118/4. L’organisation, devenue après la parution du Minority report le National Committee for the Prevention of Destitution en 1910, compte en décembre 1909 16 000 membres.
  • [82]
    The charter of the poor, Londres, Christian Commonwealth Co., 1909, p. 22 (LSE Archives, Fabian Society Papers, E118/4).
  • [83]
    J. Winter, op. cit., p. 10-17.

1À ne raisonner que sur le cas français, il semble difficile d’esquisser une histoire du réformisme qui échappe à la scène shakespearienne, entre la félonie de Iago et le crime de Macbeth. En lieu et place d’une galerie des Illustres se déploie le bal des têtes, où Paul Brousse le dispute à René Viviani, où Alexandre Millerand converse avec Albert Thomas, ombres suspectes et mal connues tant elles se trouvent frappées de damnatio memoriae[1]. La signification de la doctrine adoptée par la SFIO entre 1905 et 1908 est celle d’un « conservatoire de l’identité politique [2] », qui laisse soigneusement de côté le problème de l’articulation entre réforme immédiate et bouleversement final. Ceux qui forcent la porte du sanctuaire pour l’ouvrir à l’esprit du siècle sont accusés de se détourner de l’horizon partagé ; en privilégiant les choses par rapport aux mots qui les désignent, ils sont soupçonnés de dissoudre l’identité socialiste. Dans ce cadre, le terme de « réformiste » ne serait qu’un « concept antonyme asymétrique » renforçant la cohésion du parti révolutionnaire toujours menacé de corruption et devant maintenir vivace la flamme qui l’anime [3]. Les références étrangères mobilisées dans la presse socialiste ou dans les congrès avant 1914 suivent cette ligne de crête : d’un côté, la social-démocratie allemande, parti modèle qui garde l’entrée du temple révolutionnaire ; de l’autre, le travaillisme britannique, peu évoqué mais dont l’identité socialiste est toujours mise en question [4]. L’archétype du réformisme, la Société fabienne fondée en 1884, est encore plus rarement mentionné, sauf à de rares exceptions comme par Robert Hertz en 1911 :

2

Les fabiens estiment que les réalités importent plus que les mots. Pendant des années, leur effort a tendu moins à recruter des socialistes conscients qu’à capter pour le service du socialisme les organisations économiques, religieuses ou politiques, en particulier le parti radical […] Cette attitude fabienne s’explique en partie par la psychologie des Anglais qui répugnent aux idées trop claires, aux classifications logiques, et qui n’aiment pas beaucoup à prendre conscience de ce qu’ils font[5].

3Comme Jaurès et comme la plupart des socialistes français, Hertz nourrit des représentations qui dictent l’économie de l’ouverture et de la fermeture, la diastole et la systole de l’Internationale socialiste : l’approche progressive défendue par le normalien est ici soustraite à la critique française, en avançant sous le masque de la spécificité britannique. La Société fabienne est l’hapax d’un objet socialiste non identifié, deux raisons la rendent incomparable à d’autres expériences du même type.

4En réalité, l’étude de la Société fabienne, de sa fondation à son triomphe à l’issue de la Première Guerre mondiale, permet de poser des jalons pour une histoire du réformisme qui ne soit plus le personnage-repoussoir du mythe révolutionnaire. L’antithèse même, qui disjoint réforme et révolution, ne suffit pas à rendre compte de son action. La plus grande partie du mouvement ouvrier britannique est déjà qualifiée de « réformiste », ce qui empêche de considérer le socialisme fabien comme le simple négatif d’une théorie révolutionnaire. Au contraire, la tâche poursuivie par l’organisation consiste à rapprocher deux termes qui sont séparés en Grande-Bretagne : celui de réforme, ou de résolution progressive de la « question sociale », portée par un tissu d’organisations syndicales et politiques ; et celui de socialisme, défini comme la poursuite de la collectivisation des moyens de production. Le projet fabien, dans ses trois premières décennies d’existence, est de réaliser cette impossible conjonction par un travail théorique de fond sur les principes gouvernant la reconstruction sociale et fixant une stratégie politique. La poursuite des réformes n’a donc rien d’une activité politique myope, mais prend la forme d’une doctrine dont il faut restituer le processus.

5Certes, cette entreprise d’élaboration théorique pose à la Société fabienne une difficulté majeure : celle de sa mise en application, qui ne peut être repoussée dans l’au-delà révolutionnaire. Si le socialisme doit advenir par l’effet conjugué de réformes progressivement étendues, il est nécessaire, pour initier cette dynamique, de convaincre de leur bien-fondé. En somme, la Société doit trouver un relais qui l’unisse à l’instance de décision politique la plus efficace. La question est particulièrement délicate dans le cas de la Société fabienne : elle ne peut s’appuyer ni sur un parti, ni sur le suffrage universel. La définition impossible d’un relais efficace qui permette à la Société de mettre en œuvre son programme la conduit à mettre l’accent sur sa vocation d’expertise, dont l’avantage serait de poursuivre l’entreprise de reconstruction sociale indépendamment des circonstances, mais dont le risque serait de brouiller son identité politique. L’étude de la Société fabienne, et sa confrontation avec des expériences étrangères met en valeur toute l’ambiguïté d’une tactique réformiste qui ne renonce rien de ses objectifs révolutionnaires, mais qui doit tenir compte des forces en présence pour trouver sa justification. En somme, ce sont les idées de Robert Hertz qu’il faudrait retourner : pour les fabiens, les « mots » importent autant, sinon davantage, que les « faits » ; loin de vouloir dissoudre le socialisme dans la politique bourgeoise, ils cherchent au contraire à l’en faire émerger.

La construction du réformisme fabien (1884-1889)

Un réformisme socialiste

6Dans une large mesure, le réformisme, ici compris comme poursuite de réformes, est le maître mot du contexte politique et social de la Grande-Bretagne des années 1880. L’achèvement de l’ouverture du système parlementaire est attendu depuis la déception du Second Reform Act de 1867 [6] par les radicaux londoniens, héritiers de la tradition républicaine puis chartiste [7]. Leurs demandes, d’abord politiques (adoption du suffrage universel, élections annuelles, rémunération des députés), sont indissociables de revendications économiques, en particulier de réformes agraires pour mettre un terme à la domination de l’aristocratie terrienne. La proposition extrême d’Henry George d’abolir l’appropriation privée de la terre et de la rente par une taxe unique sur les revenus fonciers [8], rencontre un large écho en Grande-Bretagne au point de déterminer la formation d’une nouvelle génération révolutionnaire [9]. La collectivisation de la terre, qui doit accorder à l’individu son indépendance matérielle [10], est l’équivalent économique de l’autonomie du citoyen, garantie par le fonctionnement démocratique des institutions parlementaires. Les deux types de radicalisme se fondent dans une tradition républicaine, qui met en valeur la réforme des âmes, dans la continuité des sectes protestantes, et confère plus qu’ailleurs au socialisme sa désinence religieuse [11].

7La Société fabienne apparaît aux hautes eaux de ce bouillonnement, parmi d’autres groupuscules socialistes, dans le prolongement du radicalisme ouvrier londonien [12]. En 1881 avait été fondée la Democratic Federation, dirigée par l’un des premiers disciples de Marx en Grande-Bretagne, Henry Myers Hyndman [13]. En octobre 1883, le philosophe Thomas Davidson fonde une association, The Fellowship of the New Life, dont l’objectif est de régénérer la société par l’éducation et l’association dans un « esprit d’amour fraternel, de justice et d’égalité [14] ». Pour une génération marquée par le scientisme de L’origine des espèces de Darwin, éduquée dans l’utilitarisme de John Stuart Mill, et qui porte aux nues la science sociale de Herbert Spencer, la fuite au désert ne peut être le moyen d’édifier une société plus juste. Une partie du groupe fait donc sécession le 4 janvier 1884, pour créer la Société fabienne. Le nouveau groupe s’inscrit pleinement dans le contexte d’agitation sociale de l’époque : elle prolonge les demandes de réformes agraires :

8

Les fabiens sont associés dans le but de diffuser les opinions suivantes qu’ils soutiennent […] que la pratique de confier la terre de la nation à des personnes privées dans l’espoir qu’elles en tireront le meilleur a été discrédité par l’obstination avec laquelle ils l’ont dilapidée ; et que la nationalisation de la terre sous quelque forme que ce soit est un devoir public[15].

9Elle poursuit également le mouvement pour une transformation démocratique des institutions britanniques, reprenant les vieilles revendications radicales [16].

10Mais la Société n’associe pas encore son action au mouvement socialiste : Edward Pease, qui devient le premier secrétaire de la Société fabienne, écrit ainsi :

11

Il doit être souligné que le mot « socialisme » n’apparut pas encore dans ses rapports, et ce n’est pas avant la sixième séance, le 21 mars 1884, que le mot apparut pour la première fois dans les minutes […] La Société, en effet, commença sa carrière avec ce dédain pour les simples dénominations qui l’a toujours distinguée[17].

12De fait, la comparaison des Statuts de la Société entre 1884 et 1889 confirme cette indétermination. En 1887, les buts que les fabiens poursuivent sont encore formulés de façon assez vague :

13

Les membres de la Société fabienne proclament que le système de production pour le profit, et non pour l’usage, assure le confort et le bonheur de quelques-uns, au prix des souffrances de la majorité, et que la société doit être reconstruite de façon à assurer le bien-être et le bonheur général. Le but de la Société est d’aider à la reconstruction du système social en accord avec les plus hautes possibilités morales[18].

14Deux ans plus tard, en 1889, les affirmations sont plus tranchantes, les objectifs plus clairs, la stratégie plus affirmée : la Société est composée de « socialistes » qui poursuivent « la réorganisation de la société par l’émancipation de la terre et du capital industriel des individus et de la possession de classe, et leur mise à disposition de la communauté pour le bénéfice de tous [19] ». L’identité socialiste est définitivement assumée, et découle de l’horizon collectiviste que les fabiens ont adopté entre 1884 et 1889. Mais à cette date, la perspective révolutionnaire est écartée au profit d’une progression légale. La place de la Société fabienne dans l’histoire du mouvement ouvrier britannique est donc aussi importante que celle de la SDF, parce qu’elle a réussi à se faire joindre deux éléments jusque-là distincts : une aspiration ancienne à la transformation politique, économique et sociale ; et une théorie nouvelle, le collectivisme.

Un socialisme réformiste

15Cette jonction ne peut malgré tout être comprise sans être restituée dans une évolution théorique particulière à la Société, qui superpose des héritages contradictoires. Elle est tributaire d’une forte tonalité religieuse, propre au terreau radical, et partagé avec les autres factions socialistes [20], et que montre son origine utopique. La Société marque cependant son originalité par la référence constante à l’utilitarisme et au positivisme [21]. John Stuart Mill, surtout, est une figure constamment invoquée parce que ses ouvrages, les Principles of political economy en particulier, structurent leur vision de l’économie. De sa pensée, ils retiennent en effet une grille de lecture spécifique du capitalisme, reposant sur la théorie de la rente qui définit le salaire, le profit, et le revenu foncier. Le système capitaliste, intégré dans une conception progressive de l’histoire, aboutit naturellement au socialisme : « Un remède effectif est déjà à l’œuvre qui, quoique suggéré et en partie fondé sur les principes socialistes, est cohérent avec la constitution existante de la propriété [22]. »

16Ce progrès n’est possible qu’avec l’appui d’une action politique, fondée sur « l’enquête et la discussion complète », permettant d’articuler « les meilleures parties […] dans une machine sociale renouvelée [23] ». C’est précisément cette idée d’une politique fondée sur la discussion et sur la raison que les fabiens retiennent. Comme l’écrit Edward Pease,

17

la société devait être réorganisée à la lumière de la raison pure ; l’anarchie de la compétition devait être terminée, l’humanité devait reconnaître que l’ordre, le bon sens et la science […] pouvait transformer le monde en un lieu où tous pourraient vivre ensemble dans le confort et le bonheur[24].

18L’usage de ces héritages dépend malgré tout des controverses théoriques et des rivalités politiques dans lesquels la Société se trouve engagée entre 1884 et 1889. Celles-ci marquent la ligne qui partage la Société des chapelles rivales fondées en même temps qu’elle : la Democratic Federation adopte en 1883 son programme marxiste et transforme son nom en Social Democratic Federation. En décembre 1884, des rivalités internes conduisent à la scission d’une fraction menée par William Morris, Edward Aveling et Eleanor Marx, qui fondent la Socialist League. Tout en conservant son inspiration marxiste, le groupe refuse la participation politique [25]. Les trois branches du socialisme en Grande-Bretagne restent confidentielles et n’ont guère plus de quelques centaines d’adhérents [26]. D’autre part, la lutte partagée et la reconnaissance commune de l’horizon collectiviste facilitent les rapprochements, de sorte que l’adhésion dans un groupe n’est pas incompatible avec la fréquentation d’un autre. La Société fabienne entretient donc, dans un premier temps, des rapports de proximité avec les autres formations. Parmi les trois membres de l’exécutif désigné en 1884, deux sont des partisans de Hyndman [27]. Ce n’est que progressivement que la Société entreprend de clarifier son discours, et de se démarquer des autres obédiences, en particulier sur le champ théorique. À partir de 1885, un cercle informel se constitue autour de Charlotte Wilson pour discuter le premier volume du Capital dans sa version française [28], auquel participent Sidney Webb, Sydney Olivier, Graham Wallas, ou George Bernard Shaw. De ces discussions, Sidney Webb tire un manuscrit qui donne à lire la teneur des critiques adressées au marxisme. Il s’agit d’abord d’une réfutation de la théorie de la plus-value et de sa conséquence, la lutte de classe. Pour Sidney Webb, c’est une abstraction qui ne correspond pas à la réalité [29], et qui doit être remplacée par une interprétation fondée sur l’idée utilitariste de la rente. Celle-ci peut favoriser tout individu qui bénéficie d’un avantage sur les autres, qu’il tire de sa fortune, de son éducation ou de sa compétence [30]. Par conséquent, le capitalisme profite non seulement au capitaliste industriel, mais aussi au propriétaire terrien ou à l’ouvrier qualifié. Le socialisme ne peut s’appuyer sur le seul prolétariat ; mais doit s’adresser à l’ensemble de la population. Et l’abolition de la propriété ne peut être une fin en soi, si elle n’aboutit pas à l’organisation rationnelle de l’activité économique. Les réformes ne doivent donc pas transformer le seul appareil productif, mais aussi le circuit de distribution et de consommation, sans aucune exclusive de classe.

19La tactique politique reste à discuter malgré tout, et sur ce point les fabiens se distinguent des militants de la Socialist League. Les partisans de William Morris, tout en partageant une analyse marxiste du capitalisme et de son issue, restent radicalement hostiles à toute compromission parlementaire : la représentation est viciée, l’appui de l’État est illusoire [31]. La seule stratégie possible est « d’éduquer le peuple dans les principes du socialisme, et de l’organiser de telle façon qu’il prenne possession de sa vraie place, lorsque la crise qui nous forcera à agir viendra [32] ». Le débat sur la stratégie politique est mené en commun, et les trois organisations se rassemblent à l’automne 1886. La SDF et la Société fabienne font valoir que le Parlement peut être utilisé pour faire aboutir des réformes, alors que la Socialist League persiste dans son opposition à toute stratégie parlementaire. Pour mieux justifier leur position, les fabiens décident de créer la Fabian Parliamentary League en février 1887, association liée à la Société, qui a pour objet d’appeler les socialistes à participer aux élections générales et locales. Après avoir défini son horizon progressif, les fabiens fixent ainsi leur méthode :

20

La Ligue a pour tâche d’organiser l’opinion socialiste et de l’amener à entrer au Parlement, dans les municipalités et dans d’autres organes représentatifs ; de chercher à traiter des questions politiques du jour en analysant, par des conférences et des publications, les tendances profondes des mesures et leurs effets immédiats[33].

21Deux éléments sont donc simultanément affirmés. D’une part, la Société confie la réalisation progressive de la Cité future aux administrations locales :

22

Nous voulons que l’autorité municipale, élue annuellement au suffrage universel, soit investie du pouvoir de s’engager dans toutes les branches de l’industrie en compétition avec l’entreprise privée, soutenue par les ressources fournies par la taxation des revenus injustement perçus, avec le pouvoir obligatoire d’acquérir la terre[34].

23D’autre part, l’action des autorités locales doit être fondée sur des informations exhaustives, que la Société se charge de rassembler puis de diffuser. Dès janvier 1887, Sidney Webb publie un tract intitulé Facts for socialists, réédité régulièrement, qui donne des informations statistiques [35]. Le rôle de la Société est donc fixé : elle entend s’appuyer sur les autorités existantes et leur fournir les informations dont elles ont besoin pour achever la réforme de la société, conduisant progressivement au socialisme.

24De sorte qu’en 1889, l’arsenal théorique des fabiens est suffisamment cohérent pour donner au groupe son identité. Celle-ci est cristallisée par la publication des Fabian essays in socialism, synthèse de plusieurs années d’expériences et de réflexions. L’ouvrage regroupe les interventions des sept membres les plus actifs et les plus influents, lors d’un cycle de conférence entrepris à l’automne 1888 sur « Les bases et les présupposés du socialisme ». Sous la houlette de George Bernard Shaw, Sidney Webb, William Clarke, Sydney Olivier, Graham Wallas, Annie Besant et Hubert Bland construisent le manuel du réformisme et synthétisent les idées précédemment formulées. Le groupe assume dès la préface un socialisme de la réforme, et non de la révolution :

25

Les rédacteurs sont tous des sociaux-démocrates, qui partagent la commune conviction de la nécessité de confier l’organisation de l’industrie et des moyens de production à l’État identifié au peuple entier dans une démocratie achevée[36].

26L’évolution vers la société socialiste s’inscrit dans une histoire qui n’obéit pas à la dynamique de la lutte de classe, mais à celle d’un progrès continu. Webb écrit ainsi :

27

Il est possible d’affirmer légitimement que la philosophie socialiste d’aujourd’hui n’est que l’affirmation explicite et consciente des principes d’organisation sociale qui ont déjà été en grande partie adoptés inconsciemment[37].

28Il ne peut exister de rupture du capitalisme au socialisme, parce que les deux formes d’organisation économique obéissent à la même exigence : articuler des intérêts individuels contradictoires pour assurer au plus grand nombre la plus grande satisfaction possible. L’action des fabiens n’est donc pas motivée par un idéal de justice ou d’égalité, mais par une exigence d’efficacité [38]. L’agencement de ces intérêts particuliers implique la définition d’un programme économique exigeant, fondé sur l’abolition de la rente qui doit être collectivisée, accordant ainsi à l’État et aux administrations locales les ressources suffisantes pour transformer la société. L’identité socialiste des fabiens est donc très particulière : « Nous avons le terme distinct de social-démocrate, désignant l’homme ou la femme désireux de rassembler tout le peuple dans l’État par la démocratie, de telle façon que l’État soit en charge de la rente du pays [39]. »

Les présupposés du réformisme

29Par la confrontation et le débat, la Société fabienne est donc amenée à formuler une théorie originale du réformisme, qui ne se réduit pas à l’opposition à la révolution. Comme la SDF et la Socialist League, la Société fabienne se réclame du socialisme et toutes ces organisations partagent un même horizon d’attente : la transformation de la société par le collectivisme. La distinction, en réalité, réside dans les champs d’expérience mobilisés : pour la SDF, c’est celui de la rupture révolutionnaire qui est fondateur, et qui doit constituer l’acte originel de la société nouvelle. La Socialist League, de son côté, valorise l’expérience de la régénération individuelle et collective, reprenant la tradition romantique de Carlyle et de Ruskin. Pour la Société fabienne, l’expérience est celle d’une continuité, où le socialisme est l’issue d’une somme cumulative des progrès de l’humanité. Ces différentes façons d’envisager le parcours menant à la société rêvée expliquent également les nuances de discours. La SDF, qui privilégie l’idée d’une rupture, construit le sien par dilatation à partir d’une œuvre centrale qui lui confère sa cohérence. Pensé ou fantasmé, Marx joue le rôle de pilier doctrinal pour les constructions théoriques de Hyndman ou de Bax. La Socialist League, de son côté, met l’accent sur la rupture morale que constitue le socialisme, et construit son argumentaire sur le mode de l’utopie, comme les News from Nowhere de William Morris. La Société fabienne, elle, s’attache à penser la continuité, et procède par accumulation en fonction des débats auxquels elle est confrontée. C’est parce que ses membres se heurtent aux idées de Marx qu’ils construisent une théorie économique et politique alternative, niant la lutte des classes ou l’élection du prolétariat comme agent de l’histoire. C’est parce qu’ils doivent prendre position en faveur de l’action légale qu’ils précisent la valeur qu’ils accordent à la réforme. La théorie réformiste, par conséquent, ne peut s’enraciner dans une œuvre ou un corpus identifié, mais doit trouver ses ressources dans l’accumulation des références, en fonction du contexte de l’heure. La Société fabienne a les ressources intellectuelles pour penser un socialisme progressif, mais elle en a aussi la possibilité dans la mesure où il n’existe pas en Grande-Bretagne de discours dominant ou orthodoxe qui discrédite d’emblée la recherche d’un nouveau cadre de pensée.

30Les fabiens n’estiment donc pas que les réalités importent plus que les mots, et leur entreprise consiste précisément à articuler les unes avec les autres pour fonder un socialisme intégré à la démocratie parlementaire et à ses procédures.

Le réformisme fabien à l’épreuve de sa pratique (1889-1911)

311889 marque une césure nette dans l’histoire de la Société, en achevant le processus de clarification engagé cinq ans plus tôt. La publication des Fabian essays est un succès qui invite les fabiens au triomphalisme : ils sont édités une seconde fois en 1890, et 46 000 exemplaires sont vendus jusqu’en 1908 [40]. L’organisation attire, et les adhésions doublent de 1890 à 1891, passant de 173 à 361 membres [41]. La Société fabienne reste malgré tout un cercle très restreint, ne dépassant le millier d’adhérents qu’aux premières années du siècle [42], rassemblant presque exclusivement des intellectuels londoniens issus des classes moyennes. L’organisation manifeste peu d’intérêt pour l’activité politique des trade unions, entretient peu de contacts avec le monde travailliste en structuration [43]. Le succès des Fabian essays masque en réalité une difficulté de taille : le socialisme progressif prôné par la Société vise l’efficacité dans son application concrète, mais les fabiens n’ont pas les moyens d’imposer directement leur voie politique. Lorsque s’ouvre la décennie 1890, ils partent donc à la recherche du Graal : celle du meilleur ressort pour réaliser les réformes qu’ils pensent.

Le réformisme des experts

32L’aporie est particulièrement manifeste dans la valorisation de l’expertise, considérée depuis l’origine comme la spécificité de la Société qui se donne pour mission :

33

La tenue de réunions pour discuter, lire des articles et des rapports. La délégation de membres qui assisteront à des réunions sur les questions sociales, ou à des débats dans des clubs ouvriers. La publication de tracts et de pamphlets montrant les maux et l’immoralité du système présent et défendant une politique de reconstruction. La nomination de membres pour faire valoir les vues de la Société dans des conférences et des adresses[44].

34Les fabiens s’inscrivent en fait dans une tradition longue d’enquêtes parlementaires et administratives, renouvelée par les grandes prospectives sociales réalisées auprès des populations les plus défavorisées. Le travail monumental de Charles Booth, publié en 1889, reste un exemple d’objectivité, « où tous les faits sont ainsi établis […] pour aider les réformateurs sociaux à trouver des remèdes contre les maux qui existent, ou à éviter l’adoption de faux remèdes [45] ». Il sert de référence aux recherches des fabiens, des Webb en particulier, puisque Beatrice avait participé au projet [46]. L’expertise fondée sur l’information statistique est au cœur de l’œuvre du couple dont les investigations portent sur le gouvernement local, les syndicats ou la coopération [47]. Ils établissent un protocole de recherche destiné aux études sociologiques : « La tâche principale du chercheur est d’observer et de disséquer les faits, de comparer le plus de cas possibles et de relever précisément toutes leurs ressemblances et leurs différences [48]. »

35Dans un souci de minutie, les Webb recommandent aux enquêteurs de prendre leurs notes sur des fiches qui doivent être agencées comme dans un puzzle, pour distinguer des schémas d’explications ou les faits s’articulent en relations logiques. Toutes ces informations, tirées de documents officiels, d’observations personnelles et d’interviews, permettent ainsi la construction de vastes synthèses devant servir de matériaux aux réformes sociales [49]. Bien entendu, cette expertise doit faire l’objet d’un apprentissage, délivré par une formation technique auprès d’un personnel compétent. C’est dans ce but qu’est fondée la London School of Economics en 1895, dont la vocation originelle est de former un nouveau type de fonctionnaire, dont l’expertise sera la garantie de l’efficacité de la société future.

36Les résultats de ces recherches ne servent de rien s’ils ne sont pas diffusés, et la Société s’emploie à multiplier les moyens de propagande. Elle se trouve au cœur d’un réseau de publications diverses : les Fabian tracts, brochures d’une trentaine de pages vendues un penny, sont généralement des documents statistiques ou des monographies portant sur un projet de réforme particulier. 185 numéros sont publiés jusqu’en 1918, le tirage variant selon les questions, allant jusqu’à 30 000 copies pour l’exemplaire traitant de la réforme des Parish Councils en 1895 [50]. Ces brochures sont fréquemment distribuées aux organisations syndicales, aux trade unions, aux administrations locales ou aux députés [51]. Elles sont complétées par les Fabian news, le bulletin d’information mensuel, distribués aux membres de la Société, qui fait état des conférences et en donne les résumés [52]. Malgré les résultats de cette propagande active, l’identité de son destinataire reste problématique. Le contenu des Fabian tracts, assez technique, dessine les contours d’un public averti, généralement les professionnels concernés par les réformes élaborées dans des laboratoires spécialisés. Mais l’expertise peut toucher un public plus large, et les fabiens n’hésitent pas à écrire dans des journaux à grande diffusion ou à s’exprimer dans de grandes conférences. Dans une large mesure, la propagande dépend en réalité du canal choisi pour faire la réforme.

Les voies de la réforme

37Le premier d’entre eux est la municipalité. Depuis les premières années, elle était apparue comme l’échelon le plus pertinent pour mettre en œuvre des réformes appelées à être généralisées ensuite. Le contexte est favorable : en 1888, l’administration londonienne est réorganisée, et le London County Council devient l’organisme représentatif chargé de centraliser l’organisation de l’une des villes les plus développées du monde. Les fabiens saisissent cette opportunité, et certains se présentent aux élections de 1892, dont Sidney Webb, qui est victorieux avec cinq autres membres [53]. Celui-ci a publié l’année précédente le London programme, où il dessine les réformes à pour suivre : fixation d’un minimum des salaires pour les employés municipaux, prise en charge de travaux par la ville, municipalisation de certains services comme le gaz, l’eau ou les tramways [54]. Concrètement, il semble que l’expertise des fabiens ait réussi à transformer le quotidien des habitants, surtout dans le domaine éducatif, alors administré par divers comités dont le Technical Education Committee, ou le London School Board, en charge de l’instruction primaire. Les réformes défendues suivent deux axes majeurs. Il s’agit d’abord d’ouvrir l’enseignement secondaire et supérieur aux catégories les moins favorisées, en étendant l’offre de bourses d’études. La deuxième mesure vise à rationaliser l’administration de l’éducation, alors partagée entre plusieurs autorités qui s’affrontent (London County Council, School Board). En 1899, Sidney Webb préconise la suppression des School Boards et le transfert de leurs compétences à l’autorité municipale pour empêcher toute multiplication des organismes :

38

Notre plan est d’étendre le contrôle populaire et l’aide publique à chacune des branches de l’éducation, de coordonner toutes les autorités divisées et concurrentes ; et de lier ensemble la vie municipale de nos autorités locales avec la vie intellectuelle des écoles par la concentration de tous les services locaux dans une seule instance locale[55].

39La réforme de l’éducation, en réalité, dépasse très largement le secteur des bourses et des enseignements, parce que les fabiens en profitent pour formuler une théorie du « minimum national », appliqué à l’instruction, mais qui peut être ensuite étendu à d’autres secteurs, en particulier l’assistance sociale. Il n’en reste pas moins que les arguments élaborés sont tous mobilisés dans la campagne pour le vote des Education Acts de 1902-1903, qui reprennent certains principes défendus par la Société au LCC [56]. L’éducation, bien entendu, n’est pas le seul domaine où les fabiens tentent de réaliser leurs projets de réformes sur le plan municipal : leurs efforts touchent également la socialisation des services publics, comme les tramways en 1896, l’eau en 1902 ou les services portuaires en 1908. L’influence des fabiens est-elle déterminante dans la modernisation de Londres ? Ils restent très peu nombreux dans le London County Council (6 pour 118 conseillers en 1892, 8 en 1907). Par conséquent, l’aboutissement de leurs projets passe nécessairement par l’appel à d’autres partis plus puissants qui font et défont les majorités, les progressistes en particuliers, que les fabiens cherchent à influencer.

40Influence. Le mot est labile, mais il est central dans l’histoire de la Société fabienne. Il fait même l’objet d’une stratégie assumée, qualifiée par le terme de permeation, ou d’infiltration, associée aux figures de Beatrice et Sidney Webb, ses protagonistes principaux. Pour R.C.K. Ensor,

41

quiconque écrivait à ce sujet dix ans après, ou ensuite, était capable de se représenter une sorte d’antichambre, dans laquelle deux remarquables araignées invitaient des mouches politiques. L’infiltration, dans un sens doctrinal plutôt que partisan, était devenue une fin en soi et pour soi[57].

42Fin en soi et pour soi, l’influence exercée par les fabiens peut être dirigée dans plusieurs directions. Elle peut d’abord viser les organisations socialistes, auxquelles s’est ajoutée en 1893 l’Independent Labour Party, formé par les trade unions, ou le Labour unifié entre 1900 et 1906. En cela, elle respecterait son identité socialiste, affirmée au cours de ses premiers mois d’existence. Mais depuis la fin des années 1880, la Société entretient des rapports délicats avec le monde socialiste, faits de rapprochements stratégiques et de méfiance profonde [58], alors qu’elle cherche à définir une expertise sans orientation partisane. Au mieux, elle s’associe aux autres mouvances socialistes, mais jamais elle ne cherche à se rapprocher d’elles dans le cadre d’un parti. Reste l’influence exercée sur les partis traditionnels, libéral ou conservateur. Loin d’être paradoxale, cette stratégie serait conforme aux idées défendues par les fabiens : le socialisme en germe dans le système capitaliste peut être cultivé par tout gouvernement qui applique les réformes conduisant à la transformation sociale. En ce cas, la Société doit occulter son engagement socialiste pour mettre en avant son expertise. Entre fidélité aux principes et recherches d’efficacité, la tactique réformiste des fabiens est marquée par une hésitation qui perdure jusqu’en 1910-1911.

43Entre 1888 et 1893, ils ont plutôt tendance à soutenir les libéraux et à orienter leurs propositions dans l’espoir de gagner à leurs idées les plus avancés d’entre eux. L’agitation du Bloody Sunday en novembre 1887 avait poussé les libéraux à adopter en novembre 1888 des propositions sur l’éducation ou l’administration assez proche des propositions fabiennes [59]. L’opportunité est saisie par Sidney Webb, qui appelle les libéraux à adopter un programme de réformes :

44

Le parti libéral se tient à nouveau à la croisée des chemins. Il doit ou bien abandonner l’espoir d’obtenir l’appui populaire, ou bien rendre clair aux masses que ses intérêts sont les mêmes que les leurs, et que son programme est le même que le sien […] Ce n’est pas l’énumération sèche de quelques mesures avancées qui suffira, mais l’adoption large et franche de leurs espoirs et de leurs aspirations, imposant non pas seulement leur accord intellectuel, mais appelant à leurs émotions[60].

45Mais la conférence de Newcastle en 1891 ne donne pas lieu au programme avancé espéré par la Société, qui appelle ses membres à voter d’abord pour des candidats ouvriers indépendants, et à ne soutenir les libéraux qu’en dernier recours [61]. La rupture est consommée en 1893, lorsque Sidney Webb et George Bernard Shaw écrivent à quatre mains une dénonciation en règle de la politique libérale, parue dans la Fortnightly review, intitulée « To your tents, o Israel ». Les deux fabiens, passant en revue tous les ministères, pointent du doigt l’inaction du cabinet qui n’a tenu aucun des engagements pris auparavant [62]. Les membres de la Société sont encouragés à quitter les associations libérales, et à soutenir les candidats indépendants, propres à la classe ouvrière, qui constituent le bras de l’Independent Labour Party. Dernier-né des formations ouvrières anglaises et fondé en janvier 1893 à la conférence de Bradford, le parti est soutenu dans un premier temps par la Société fabienne, qui se détourne rapidement d’une formation concurrente [63], dominée par des trade unions attachés aux intérêts d’une branche, et non de tous les producteurs [64]. De toute façon, les échecs successifs aux élections générales qui favorisent toujours les Tories ne permettent pas à l’ILP de devenir la courroie de transmission du réformisme fabien. En 1900, la tactique de l’influence a révélé ses limites : impossible sur les libéraux, illusoire sur les socialistes, elle condamne l’expertise à rester une voix inaudible, et le réformisme à devenir lettre morte. De sorte que la déclaration portée par Shaw au nom de la Société au Congrès international de Londres en 1896 n’est pas le péan de la victoire de Fabius Cunctator, mais bien son chant du cygne :

46

L’objectif de la Société fabienne est de persuader le peuple anglais de rendre leur constitution politique entièrement démocratique, et de socialiser ainsi leurs industries pour rendre entièrement indépendante leur vie du capitalisme privé […] Elle apporte toute la force de pression et de persuasion sur les forces existantes, ne se souciant pas du nom des partis, ou des principes, socialistes et autres, qu’ils professent, mais considérant seulement la tendance de leurs actions, supportant ceux qui vont dans le sens du socialisme et de la démocratie, et s’opposant à ceux qui sont réactionnaires.

Le héros et le spécialiste

47C’est dans cette équation impossible, entre socialisme révolutionnaire et réformisme légal, que devrait être comprise la méfiance de certains fabiens envers la démocratie parlementaire, soupçonnée de ne pas être l’organisation politique la plus rationnelle, ni la plus efficace. Le cas le plus marquant reste celui de George Bernard Shaw, qui a joué depuis l’origine le rôle de pamphlétaire pour la Société, lui donnant ses principaux textes. Comme les figures historiques de l’organisation, il s’efforce, côté cour, de donner une issue concrète aux réformes poursuivies, raison pour laquelle il est élu vestryman de Saint-Pancras. Côté jardin, en revanche, le dramaturge exprime à partir de 1896 une grande méfiance envers les mécanismes parlementaires, soupçonnés d’étouffer la voix du génie sous la dictature de la majorité, comme il l’écrit dans l’épître dédicatoire à Arthur Walkley, dans Man and superman.

48

Je ne sais s’il vous reste des illusions sur l’éducation, le progrès, etc. Je n’en ai aucune. N’importe quel pamphlétaire peut montrer la façon d’améliorer les choses, mais il ne peut y avoir de moyen sans volonté […] Nous devons nourrir les aptitudes politiques ou être ruinés par la démocratie, qui nous a été imposée par l’échec d’alternatives plus anciennes. Mais si le despotisme a échoué seulement par le besoin d’un despote bienveillant, quelle chance a la démocratie, qui suppose une population entière d’électeurs capables, c’est-à-dire, de critiques politiques qui, s’ils ne peuvent gouverner en personne par manque d’énergie ou de compétence administrative, peuvent au moins reconnaître et apprécier la capacité et la bienveillance chez les autres, et gouverner ainsi par des représentants bienveillants ? Où pouvons-nous trouver de tels électeurs aujourd’hui ? Nulle part[65].

49Sa théorie littéraire du sur-homme porte la marque du héros de Carlyle [66] et se trouve formulée dans la postface de la pièce intitulée The revolutionist’s handbook, rendant la pensée du dramaturge assez atypique [67]. Malgré tout, l’organisation entière est bouleversée et divisée par ce débat sur l’efficacité de l’expertise en démocratie, alors que la guerre des Boers et les élections générales de 1900 ouvrent de nouvelles perspectives à l’influence des fabiens. L’Old Gang, l’équipe qui préside aux destinées de la Société depuis sa fondation, tente de profiter des circonstances pour agir sur les libéraux impérialistes rassemblés autour de Rosebery et Asquith, en leur suggérant un plan de rationalisation et d’organisation de l’administration impériale [68]. Dans le cadre des luttes électorales, Shaw publie en octobre Fabianism and the Empire, soutenant que le conflit doit permettre une administration plus efficace et constituer un levier pour la démocratisation intérieure.

50

La nation ne fait aucun effort sérieux pour démocratiser son gouvernement, parce que ses masses sont dans une condition si déplorable que la démocratie, dans le sens commun de gouvernement par les masses, est clairement contraire au bon sens […] Notre souci avec ce Manifeste n’est pas spécialement la classe salariée, qui prend son propre chemin et ne récolte que ce qu’elle a semé, mais l’organisation sociale efficace de tout l’empire, et sa préservation de la lutte de classes et des intérêts privés[69].

51Shaw laisse donc percer ses propres doutes sur la démocratie parlementaire, sur les ouvriers qui « ne soutiendront jamais décemment la représentation travailliste qui a frayé son chemin au Parlement malgré eux [70] ». La réalisation du socialisme, rendue nécessaire par les évolutions mêmes du capitalisme, ne peut donc rien attendre des classes laborieuses, mais doit miser sur ceux qui peuvent en favoriser l’émergence, les hommes de génie pour Shaw, les experts pour les Webb [71], qui se maintiennent à l’arrière-scène du théâtre politique et respectent la neutralité de leurs activités. À cette seule condition, la tactique de l’influence peut se révéler efficace.

52Cette option est rendue problématique avec l’organisation du Labour en 1906 et l’arrivée d’une génération plus jeune, pour qui la tactique de permeation, adressée à tous les partis, empêcherait le développement du travaillisme. Le groupe demande donc une révision des statuts, pour que « la Société fabienne continue loyalement d’agir avec le Labour et d’aider à son développement en un parti socialiste [72] ». Concrètement, elle doit « rester une Société, et non un parti politique […] organiser l’intense réflexion et l’écriture effective pour le mouvement socialiste, et aussi faire le travail spécifique et essentiel de recrutement parmi les classes moyennes », dans une distinction claire avec le parti travailliste. Une telle séparation des tâches implique le soutien affiché pour le Labour, et l’abandon de « l’idée que les politiciens fabiens peuvent combattre avec le même avantage dans n’importe quel camp politique [73] ». À l’inverse, l’Old Gang défend la neutralité d’une expertise qui doit être mise à la disposition du Labour comme des autres partis, dans la mesure où la nouvelle organisation n’adopte pas l’étiquette socialiste dans ses statuts :

53

La principale tâche de la Société, telle que nous la comprenons, et de faire le travail intellectuel constructeur du mouvement socialiste, et d’en mettre les résultats à la disposition du monde moderne sans distinction de parti, de secte ou de nation[74].

54L’équipe en place depuis les premières années, en réalité, privilégie la voie d’une expertise indépendante capable d’agir dans le secret des ministères, plutôt que celle d’une science militante. Dans cette perspective, le spécialiste formé par la Société joue le même rôle que le génie shavien : celui d’imaginer la société future et d’éclairer la population :

55

Nous devons résolument repousser toute tentative de limiter notre totale indépendance vis-à-vis de toute autre association, socialiste ou capitaliste. Pour justifier l’existence distincte de la Société fabienne, il faut qu’elle reste plus ou moins en avance sur l’ensemble des socialistes ; et comme les pionniers sont toujours plus sujets à l’impopularité ou à l’incompréhension, qu’à la camaraderie, elle ne doit être soumise à aucune autorité excepté le vote de ses membres[75].

56Le débat prend une tournure plus marquée lorsque H.G. Wells s’oppose à la création par la Société d’un Parliamentary Fund, destiné à financer la campagne de candidats indépendants dévoués aux idées fabiennes, finalement adopté en mai 1908 [76], entraînant la démission de Wells en septembre [77]. Du reste, l’heure n’est pas à la mise en cause de recettes éprouvées, en voie d’aboutir à cette époque. En décembre 1905, l’arrivée du cabinet libéral de Campbell-Bannerman donne le signal d’une intense activité réformatrice qui donne aux fabiens l’espoir d’amener enfin les libéraux au socialisme [78]. Au moment où Wells quitte la Société, le Coal Mine Act réduit le temps de travail à huit heures quotidiennes dans les mines, et le Non Contributory Old Age Pension pose les premiers jalons d’une protection sociale. L’année suivante, le Trade Board Act fixe un minimum salarial dans certaines branches d’activités. La réforme des Poor Laws, enfin, est le projet le plus ambitieux. L’assistance publique aux plus pauvres était encore réglée par les dispositions de 1834, qui consacraient le principe de less eligibility[79], et conféraient l’administration des secours à des organismes locaux sans coordination (Boards of Guardians). Le projet de réforme était à l’étude sous le Cabinet conservateur de Lord Balfour, qui avait nommé une commission d’enquête où entre Beatrice Webb en novembre 1905. Celle-ci applique alors les méthodes scientifiques utilisées par les experts fabiens (organisation de sous-commissions, examens statistiques, interviews), et défend l’idée d’une réorganisation globale des services d’assistance. La majorité de la Commission libérale désapprouve ses méthodes et ses conclusions, et elle doit faire paraître son propre rapport (Minority report) le 17 février 1910. Elle propose la rationalisation de l’assistance en renforçant les compétences des autorités existantes (Board of Education, Local Health Authority, Local Pension Committees), et en créant un ministère du Travail. Beatrice Webb, qui entend défendre son projet dans une « croisade contre la pauvreté [80] », fonde en mai 1909 un Comité dont l’objet est « d’éduquer l’opinion publique sur la question, sans considération pour les différences politiques, religieuses ou sociales [81] ». Le fonctionnement et les principes de cette organisation sont calqués sur ceux de la Société fabienne : elle vise en priorité les organismes locaux, par la diffusion de tracts, de pamphlets et d’articles, ou par l’organisation de conférences [82]. Mais cette campagne échoue finalement avec l’adoption en 1911 du National Insurance Act, voulu par Lloyd George, soutenu par les trade unions et le Labour, et refusé par les fabiens. Ceux-ci voient dans cette disposition un moyen de régler certaines questions soulevées dans le Minority report, sans pour autant dessiner une refonte globale de la politique sociale. En particulier, le principe d’une contribution versée par les employés, les employeurs et l’État leur semble inadéquat : les premiers ne peuvent pas tous contribuer, les seconds peuvent y voir un prétexte pour baisser les salaires ou augmenter les prix. Quant à l’État, il reste secondaire dans la distribution de l’aide sociale, alors que les fabiens désiraient le mettre au premier plan.

57En 1911, le réformisme fabien semble se trouver dans une impasse. Il se définit bien comme une tradition avec sa propre histoire ; il a réussi à intégrer les revendications socialistes dans un processus démocratique, en confiant la réalisation de la Cité idéale à l’éducation des masses par une élite éclairée. Or, en 1910-1911, l’espoir de réforme pour la classe ouvrière britannique se trouve dans les congrès du Labour, et non plus dans les ministères libéraux. La succession et l’extension rapide de grèves à partir de l’été 1910 jusqu’en février 1912, alors que l’arrêt du travail par un million d’ouvriers fait craindre une grève générale [83], montre que la tactique de permeation et la coopération entre travaillistes et libéraux sont définitivement dépassées. Le Labour devient le principal instrument pour un réformisme socialiste en Grande-Bretagne, justifiant un rapprochement de la Société fabienne, au prix d’une réévaluation doctrinale.

58L’étude de la Société fabienne permet, en définitive, de mieux appréhender la façon dont un réseau réformiste parvient à formuler une théorie spécifique, au fondement d’une politique éprouvée. Sans aucun doute, la situation d’indétermination théorique est un critère déterminant : les idées fabiennes s’imposent parce qu’aucune doctrine révolutionnaire, gravitant autour d’une œuvre sacralisée, n’offre de résistance. À ce titre, la situation anglaise avant 1889 doit être rapprochée de celle du socialisme français avant 1882, date à laquelle les marxistes du Parti ouvrier se séparent des « possibilistes » de la Fédération des travailleurs socialistes de France, ou de celle de la social-démocratie allemande avant 1878, lorsque l’interdiction du SPD condamne de facto tout accommodement avec le pouvoir. Dans les trois pays, les idées ne sont pas fixées en traditions identifiées, reposant sur des corpus et des références définitifs, mais tous les socialistes se trouvent rassemblés par une espérance commune, celle de la collectivisation des moyens de production. La distinction entre réformistes et révolutionnaires n’est donc pas opératoire : les fabiens inscrivent leur action dans cet horizon d’attente collectiviste, comme les marxistes de la SDF ou les libertaires de la Socialist League.

59Considérant en revanche que cette aurore ne se lèvera pas dans une explosion lumineuse, mais plutôt dans la demi-teinte des brumes, les fabiens cherchent une solution de continuité, de la revendication radicale à ses implications immédiates. Autant par identité sociologique que par héritage théorique, la Société fabienne fait de l’expertise le pont unissant les espoirs de régénération individuelle et les propositions concrètes : l’expert se distingue par sa compétence ; il se soumet en mettant sa voix au service de la volonté générale. Reste à faire porter au loin cet écho, et c’est là une deuxième condition du réformisme que l’examen de la Société permet de montrer : les partisans d’un bouleversement progressif du capitalisme doivent trouver la courroie de transmission leur permettant d’agir sur la société présente. Mais ce relais varie en fonction des projets poursuivis, ou de transformations politiques plus globales : les institutions parlementaires, les syndicats, les partis, sont autant de caisses de résonances qui peuvent faire aboutir les réformes. L’échec relatif du socialisme de la Société fabienne en 1914 réside, au fond, dans son refus d’utiliser le parti travailliste comme outil principal, contre une influence exercée sur les cercles dirigeants. Le choix, en définitive, n’est réalisé qu’au cours de la Première Guerre mondiale, qui offre à la Société un laboratoire d’exception pour la réalisation de ses projets ; puis en 1918, lorsque l’expertise des fabiens est mobilisée dans la rédaction du programme du Labour.

Notes

  • [1]
    Les études biographiques de ces figures le montrent, entre autres : Leslie Derfler, Alexandre Millerand : The socialist years, Paris-La Haye, Mouton, 1977 ; Marjorie Milbank Farrar, Principled pragmatist : The political career of Alexandre Millerand, New York, Berg, 1991 ; B.W. Shaper, Albert Thomas, trente ans de réformisme social, Assen, Van Gorcum, 1959 ; David Stafford, From anarchism to reformism : A study of political activities of Paul Brousse within the First International and the French socialist movement, 1870-1890, Londres, London School of Economics and Political Science, 1971.
  • [2]
    Alain Bergounioux, Gérard Grunberg, L’ambition et le remords. Les socialistes français et le pouvoir, 1905-2005, Paris, Fayard, 2005, p. 73.
  • [3]
    Reinhart Koselleck, « La sémantique historico-politique des concepts antonymes asymétriques », in Le futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, Paris, Éd. de l’EHESS, 1990, p. 191-232.
  • [4]
    Le Congrès de Toulouse en 1908 discute en particulier de l’adhésion du Labour à l’Internationale, après la division de la délégation française au Bureau socialiste international (5e congrès national tenu à Toulouse les 15-18 octobre 1908, Paris, Parti socialiste SFIO, 1908, p. 113-116)
  • [5]
    Robert Hertz, « Le socialisme en Angleterre. La Société fabienne », 13 janvier 1911, London School of Economics Archives, Fabian Society Papers, E/121, f. 5.
  • [6]
    John Stuart Mill annonce ainsi l’inéluctabilité du socialisme, dans « Chapters on socialism » (1879), in Principles of political economy, Oxford, Oxford University Press, 1994.
  • [7]
    Mark Bevir, « Republicanism, socialism and democracy in Britain : The origins of the radical left », Journal of Social History, XXXIV, 2, hiver 2000, p. 351-368.
  • [8]
    Henry George, Progress and poverty : An inquiry into the cause of industrial depressions and of increase of want with increase of wealth (1879), New York, Doubleday and McClure Company, 1898, p. 326-331.
  • [9]
    Edward Pease, History of the Fabian Society, Londres, A.C. Fitfield, 1916, p. 20.
  • [10]
    Le lien entre la collectivisation de la terre et l’indépendance matérielle est affirmée par les radicaux comme Charles Bradlaugh, « The land, the people and the coming struggle », in Political essays, Londres, Freethought Publishing Comany, 1887.
  • [11]
    Stephen Yeo, « The religion of socialism in Britain, 1883-1896 », History Workshop, 4, automne 1977, p. 5-56.
  • [12]
    Jon Lawrence, « Popular radicalism and the socialist revival in Britain », the Journal of British Studies, XXXI, 2, avril 1992, p. 163-186.
  • [13]
    Chushichi Tzuzuki, H.M. Hyndman and British socialism, Oxford, Oxford University Press, 1961 ; Martin Crick, The history of the Social Democratic Federation, Keele, Ryburn Publishing Keele University Press, 1994.
  • [14]
    LSE Archives, Fabian Society Papers, C36/10.
  • [15]
    A Manifesto, Fabian Tract n° 2, Londres, Fabian Society, 1884. Le tract n° 3, publié en 1885, est intitulé d’ailleurs To provident landlords and capitalists : A suggestion and a warning, qui exige la mise à disposition des terres incultes ou moins productives à des ouvriers devenus propriétaires.
  • [16]
    Norman et Jeanne Mackenzie, The first Fabians, Londres, Weidenfield & Nicolson, 1977.
  • [17]
    E. Pease, History of the Fabian Society, op. cit., p. 37.
  • [18]
    Fabian Rules, 1886-1887, LSE Archives, Fabian Society Papers, C/52/1, f. 1.
  • [19]
    Ibid., C/52/1, f. 7.
  • [20]
    Beatrice Webb, dans ses écrits autobiographiques, parle d’une « nouvelle conscience du péché parmi les personnes cultivées ou fortunées » qui amènerait au socialisme (Beatrice Webb, My apprenticeship, Harmondsworth, Penguin, p. 154).
  • [21]
    Le positivisme d’Auguste Comte est diffusé en Grande-Bretagne par un tissu d’associations comme la Dialectical Society, fréquentée par Sidney Webb, George Bernard Shaw, et d’autres membres de la Société fabienne (Mark Bevir, « Sidney Webb : Utilitarianism, positivism, and social democracy », The Journal of Modern History, LXXIV, 2, juin 2002, p. 217-252).
  • [22]
    J. Stuart Mill, « Chapters on socialism », loc. cit., p. 408.
  • [23]
    Ibid., p. 374.
  • [24]
    E. Pease, History of the Fabian Society, op. cit., p. 19.
  • [25]
    « La Socialist League […] fera tout ce qui sera en son pouvoir pour éduquer le peuple dans les principes de la grande cause, et poursuivra l’organisation de ceux qui accepteront cette éducation, de sorte que lorsque la crise viendra, préparée par la marche des événements, il y aura un ensemble d’hommes prêts à prendre leur place et à assumer et à diriger le mouvement irrésistible. » (The manifesto of the Socialist League, Londres, 1885, p. 6.)
  • [26]
    La SDF compte ainsi quelque 500 adhérents en 1884 (C. Tsuzuki, H.M. Hyndman and British socialism, op. cit., p. 284). La Socialist League n’en compte guère davantage. La Société fabienne, elle, compte moins d’une centaine de membres.
  • [27]
    Il s’agit de Frederick Keddell et de Hubert Bland qui suivra ensuite la Socialist League (A.M. MacBriar, Fabian socialism and English politics, 1884-1918, Cambridge, Cambridge University Press, 1962, p. 9).
  • [28]
    La première traduction anglaise du volume I, réalisée par Edward Aveling et Samuel Moore et supervisée par Engels, paraît en 1887. Les fabiens ont également accès à la version originale en allemand.
  • [29]
    Sidney Webb, Rent, interest and wages, being a criticism of Karl Marx and a statement of economic theory, 1886, LSE Archives, Passfield Papers, 7/4, f. 11-12.
  • [30]
    Ibid., f. 88-102.
  • [31]
    La Socialist League condamne ainsi sans distinction la coopération, qui « augmenterait le nombre de capitalistes », la nationalisation de la terre, inutile puisqu’elle ignore la collectivisation des moyens de production, le socialisme d’État, qui « laisse en fonctionnement le système présent de capital et de salaire » (The manifesto of the Socialist League, op. cit., p. 5).
  • [32]
    To socialists, Londres, The Socialist League, 13 janvier 1885, p. 1.
  • [33]
    The true radical programme, Fabian Tract n° 6, Londres, Fabian Parliamentary League, 1887 p. 7-8.
  • [34]
    Ibidem.
  • [35]
    Sidney Webb, Facts for socialists, showing the distribution of the national income and its results, Tract n° 5, Londres, Fabian Society, 1887.
  • [36]
    George Bernard Shaw (ed.), Fabian essays in socialism, Londres, 1889, p. IV.
  • [37]
    Ibid. p. 31.
  • [38]
    Ibid., p. 109.
  • [39]
    Ibid., p. 182.
  • [40]
    E. Pease, History of the Fabian Society, op. cit., p. 88-89 ; A.M. Macbriar, op. cit., p. 175.
  • [41]
    « The Growth of the Society », Fabian News, I, 2, avril 1891, p. 5.
  • [42]
    Robert Hertz souligne ainsi que la Société compte autour de 2500 membres en 1911 (Robert Hertz, « Le socialisme en Angleterre. La Société fabienne », 13 janvier 1911, LSE Archives, Fabian Society Papers, E/121, f. 2).
  • [43]
    Liseanne Radice, Beatrice and Sidney Webb, Fabian socialists, Londres, Macmillan, 1984, p. 91-95
  • [44]
    Fabian Rules, 1886-1887, LSE Archives, Fabian Society Papers, C/52/1, f. 1.
  • [45]
    Charles Booth, Labour and life of the people, Londres, William & Norgate, 1889, p. 6.
  • [46]
    Christian Topalov, « Raconter ou compter ? L’enquête de Charles Booth sur l’East End de Londres (1886-1889) », Mil neuf cent, 22, 2004, p. 107-132. L’enquêteur cherche en effet à découvrir des proportions inaperçues et stables, des relations régulières entre phénomènes, bref, des lois empiriques (p. 107).
  • [47]
    Sidney et Beatrice Webb, The history of trade unionism, Londres, Longmans, 1894 ; Id., Industrial democracy, Londres, Longmans, 1897 ; Id., Problems of modern industry, Londres, Longmans, 1898 ; Id., English local governement from the revolution to the Muni cipal Corporations Act, Londres, Longmans, 10 vol.
  • [48]
    S. et B. Webb, Industrial democracy, op. cit, p. XI.
  • [49]
    Ibid., p. XI-XIV.
  • [50]
    Sidney Webb, Parish and district councils : What they are and what they can do, Londres, Fabian Society, 1895.
  • [51]
    La correspondance entre Sidney Webb et Edward Pease, secrétaire de la Société, est très riche de ce point de vue : Webb demande très fréquemment d’envoyer les brochures aux personnes concernées. Le rôle de Pease consiste aussi à orienter les sympathisants étrangers, et à leur faire connaître la Société.
  • [52]
    Les Fabian news sont publiés à partir de mars 1891. Il s’agit en réalité d’une circulaire à usage interne, destinée aux membres provinciaux de la Société qui sont moins informés des conférences et publications de la Société.
  • [53]
    Frank Smith, W.C. Steadman, F. Henderson, F.C. Baum et Nelson Palmer. Tous sont élus avec le soutien des Progressistes, « The LCC election », Fabian News, II, 2, avril 1892, p. 8.
  • [54]
    Sidney Webb est à l’origine d’une série de Tracts publiés en 1891 : London’s Heritage in the city guilds ; The municipalisation of the gas supply ; Municipal tramways ; London’s water tribute ; The municipalisation of the London docks ; The scandal of London’s markets.
  • [55]
    Sidney Webb, The education muddle and the way out : A constructive criticism of English educational machinery, Tract n° 106, Londres, The Fabian Society, p. 18.
  • [56]
    Il s’agit de l’Education Act de 1902, qui réorganise les services d’éducation en concentrant la décision entre les mains des town councils ou county councils, représentés par un Education Committee (Sidney Webb, The Education Act, 1902 ; How to make the best of it, Tract n°114, Londres, Fabian Society, 1903). La situation de Londres est particulière, et traitée dans le London Education Act de 1903 (Sidney Webb, The London Education Act 1903 : How to make the best of it, Tract n° 117, Londres, Fabian Society, 1904).
  • [57]
    R.C.K. Ensor, « Permeation », in Margaret Cole (ed.), The Webbs and their work, Hassocks, The Harvester Press, p. 63.
  • [58]
    Beatrice Webb écrit ainsi en 1892, à propos du Trade Unions Congress de Glasgow : « Le mouvement a un côté sordide, je dirais presque dégoûtant : querelles entre sections, intrigues entre personnes, et c’est ce côté-là qui tient le haut du pavé. »
  • [59]
    The workers’ political programme, Tract n° 11, Londres, Fabian Society, 1891, p. 4.
  • [60]
    Sidney Webb, Wanted, a programme : An appeal to the Liberal Party, p. 16 (LSE Archives, Fabian Society Papers, E116/2).
  • [61]
    George Bernard Shaw, The Fabian election manifesto, Tract n° 40, Londres, Fabian Society, 1892.
  • [62]
    A plan of campaign for Labour, Tract n° 49, Londres, Fabian Society, 1894.
  • [63]
    La Société compte 72 branches en 1893, la fondation de l’ILP entraîne la défection de 11 d’entre elles. En 1896, 18 branches provinciales sont maintenues (A.M. Macbriar, Fabian Society and English politics, op. cit., p. 168).
  • [64]
    Ce que Sidney Webb nomme trade sectionalism (Sidney Webb, Socialism : True and false, Londres, Fabian Society, 1899, p. 12-14).
  • [65]
    George Bernard Shaw, Man and superman : A comedy and a philosophy, Londres, Archibald Constable & Co, 1903, p. XXIV.
  • [66]
    Thomas Carlyle, On heroes, hero-worship and the heroic in history (1841), Lincoln-Londres, University of Nebraska Press, 1966.
  • [67]
    Malgré son originalité, elle pourrait être comparée avec profit aux évolutions contemporaines d’autres intellectuels socialistes comme Charles Andler, dont la brochure La civilisation socialiste (1910) manifeste des orientations assez comparables, mais pour d’autres raisons (Charles Andler, La civilisation socialiste, Christophe Prochasson (ed.), Lormont, Éd. Le Bord de l’Eau, 2010).
  • [68]
    La Société est alors divisée sur l’attitude à prendre devant le conflit, et sur l’opportunité de publier une prise de position hostile à la politique impériale. La question est soumise au vote des membres en mars 1900. Les opposants d’une déclaration publique représentent la vieille génération (Sidney Webb, Shaw, Hubert Bland) et obtiennent la majorité (« The Transvaal war vote », Fabian news, X, 1, mars 1900, p. 1).
  • [69]
    George Bernard Shaw, Fabianism and the Empire, Londres, Grant Richards, 1900, p. 5-6.
  • [70]
    Ibid., p. 61.
  • [71]
    C’est dans ce contexte que doit être compris la préférence marquée du groupe pour un socialisme technocratique, qui fait peser sur lui le soupçon d’une fascination pour l’URSS des années trente (W.H. Greenleaf, The British political tradition, I, The rise of collectivism, Londres, Methuen, 1983).
  • [72]
    Executive Committee Election, s.d., LSE Archives, Fabian Society Papers, B5/4 f. 14.
  • [73]
    Reasonable reform : Fabian progress and ILP Defense, programme défendu par RCK Ensor, Aylmer Maude, W. Teignmouth Shore, 1907-1908, LSE Archives, B5/4, f. 2-3.
  • [74]
    The Fabian Society : Election of Executive Committee, 1907-1908, LSE Archives, Fabian Society Papers, B5/4, f. 17
  • [75]
    Ibid., f. 19.
  • [76]
    « The Annual Meeting », Fabian news, XIX, 7, juin 1908, p. 54.
  • [77]
    Lettre de H.G. Wells à Edward Pease, 16 septembre 1908, LSE Archives, Fabian Society Papers, A9/3, f. 34-35. Elle est publiée dans les Fabian news : « The resignation of Mr. Wells », Fabian news, XIX, 11, octobre 1908, p. 77-78.
  • [78]
    Il s’agit d’une manifestation du New Liberalism, porté avec Campbell-Bannerman par une nouvelle génération à laquelle appartiennent Winston Churchil, Ronald McKenna, Walter Runciman, H.W. Massingham. Leur ambition est de renouveler le libéralisme en reconnaissant à l’État et aux municipalités une marge d’intervention, notamment pour le contrôle de biens publics. Ils reprennent ainsi une idée chère aux fabiens, qui explique leur soutien : celle d’un « minimum national » garantissant le bien-être de la population.
  • [79]
    La situation de celui qui demande l’assistance doit être moins avantageuse que celle de l’employé dans la pire situation.
  • [80]
    Beatrice Webb, « A crusade against destitution », The Christian Commonwealth, 30 juin 1909.
  • [81]
    The National Committee to promote the break-up of the poor law, LSE Archives, Fabian Society Papers, E 118/4. L’organisation, devenue après la parution du Minority report le National Committee for the Prevention of Destitution en 1910, compte en décembre 1909 16 000 membres.
  • [82]
    The charter of the poor, Londres, Christian Commonwealth Co., 1909, p. 22 (LSE Archives, Fabian Society Papers, E118/4).
  • [83]
    J. Winter, op. cit., p. 10-17.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.90

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions