Notes
-
[1]
ORGANISATION DE DÉVELOPPEMENT ET DE COOPÉRATION ÉCONOMIQUES, Le recrutement des travailleurs immigrés : France 2017, Paris : OCDE, 2017, 341 p. (voir p.175).
-
[2]
ministÈre de l’Enseignement supÉrieur, de la Recherche et de l’Innovation, L’état de l’enseignement et de la recherche en France, n° 10, 2017, 127 p. (voir p. 42).
-
[3]
Sources : Eurostat, http://appsso.eurostat.ec.europa.eu/nui/show.do?dataset=migr_rese
du&lang=fr. -
[4]
Dans cette contribution, la notion de développement humain se réfère à la définition composite impulsée depuis le début des années 1990 par le Programme des Nations unies pour le développement (pnud). Selon cet organisme, « le développement humain est un processus qui conduit à l'élargissement de la gamme des possibilités qui s'offrent à chacun. En principe, elles sont illimitées et peuvent évoluer avec le temps. Mais quel que soit le stade de développement, elles impliquent que soient réalisées trois conditions essentielles : vivre longtemps et en bonne santé, acquérir un savoir et avoir accès aux ressources nécessaires pour jouir d'un niveau de vie convenable. Si ces conditions ne sont pas satisfaites, de nombreuses possibilités restent inaccessibles ». Ainsi, pour mesurer le développement humain, le pnud retient trois dimensions essentielles : la santé (évaluée selon l'espérance de vie moyenne à la naissance), l’éducation (mesurée en années de scolarisation) et le revenu (basé sur le produit intérieur brut par habitant). Voir : PROGRAMME DES NATIONS UNIES POUR LE DÉVELOPPEMENT, Rapport mondial sur le développement humain, Paris : Éd. Economica, 1990, 203 p.
-
[5]
« Migration et développement humain : opportunités et discriminations de la personne migrante en quête de régularisation » est un projet picri (Partenariats institutions-citoyens pour la recherche et l’innovation) financé par la Région Île-de-France et réalisé au sein de l’Université Paris Descartes sur la période 2014-2017.
-
[6]
COHEN, Élie, “Un plan d'action pour améliorer l’accueil des étudiants étrangers en France : diagnostic et propositions”, Rapport au ministre de l'Éducation nationale et au ministre des Affaires étrangères, 2001, 124 p, (voir p. 24).
-
[7]
FOEGLE, Jean-Philippe, “Le grand ‘mercato’ des étudiants étrangers”, Plein Droit, n° 97, juin 2013, pp. 16-19.
-
[8]
SPIRE, Alexis, “Contrôler et choisir : la sélection des étudiants à l’émigration vers la France”, in : MAZZELLA, Sylvie (sous la direction de), La mondialisation étudiante : le Maghreb entre Nord et Sud, Paris/Tunis : Éd. Karthala/IRMC, 2009, pp. 79-95.
-
[9]
Ibidem (voir p. 82).
-
[10]
STADLER, Sarah ; BROVIA, Cristina, “Attirer les étudiants de haut niveau”, Plein Droit, n° 73, juillet 2007, pp. 11-15 (voir p. 11).
-
[11]
SLAMA, Serge, La fin de l’étranger, Paris, Éd. L’Harmattan, 1999, 320 p.
-
[12]
Loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'État.
-
[13]
Voir www.campusfrance.org.
-
[14]
Comme l’indique le site de Campus France, pour soumettre un dossier de candidature pour études en France, les étudiants doivent payer les frais de dossier en espèces, auprès d’une banque accréditée. Ce montant varie d’un pays à un autre. Par exemple, pour les candidats sénégalais, il est de 50 000 FCFA (environ 75 €), pour les étudiants turcs, il est de 430 LT (environ 98 €), alors que pour les étudiants marocains, il est de 1 900 Dhms (environ 172 €).
-
[15]
Il s'agit d’un test du niveau linguistique général reconnu officiellement par le ministère français de l'Éducation nationale et de l'Enseignement supérieur. Il est composé de trois épreuves obligatoires (compréhension écrite, maîtrise des structures de la langue, compréhension orale) et deux épreuves complémentaires (expression orale et expression écrite). Le résultat obtenu au test donne lieu à la délivrance d'une attestation de niveau. Chaque université décide du niveau que doivent obtenir les candidats pour s’inscrire dans leur établissement. Dans les pays d’origine, seuls les services de coopération et d'action culturelle de l'ambassade de France, l'espace Campus France, sont habilités à organiser des sessions du tcf pour la dap.
-
[16]
Voir l’article R.311-3 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (ceseda).
-
[17]
Voir l’article L.313-7 du ceseda.
-
[18]
Le dossier de demande de cette première carte de séjour temporaire doit être composé, entre autres, d’un justificatif de ressources financières au montant défini, d’un justificatif de domicile, d’une attestation d’inscription dans un établissement d’enseignement supérieur et d’une attestation d’affiliation à une couverture sociale étudiante. La remise de ce premier titre de séjour exige l’acquittement d’une taxe de 79 euros sous forme de timbres fiscaux.
-
[19]
Loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration.
-
[20]
Voir le deuxième alinéa de l’article L313-4 modifié par la loi 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et l’intégration. Ces dispositions ne concernent pas les ressortissants algériens qui dépendent de l’Accord franco-algérien du 27 décembre 1968 (modifié).
-
[21]
Voir l’article L313-18 modifié par la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 sur le droit des étrangers.
-
[22]
Jusqu’en 2010, le montant des ressources financières considéré comme suffisant était fixé à 70 % du montant de l'allocation d'entretien mensuelle de base versée, au titre de l'année universitaire écoulée, aux boursiers du gouvernement français. Avec le décret n° 2011-1049 du 6 septembre 2011, ce montant a été augmenté à 100 %, soit 615 euros par mois.
-
[23]
Voir SPIRE, Alexis, Accueillir ou reconduire. Enquête sur les guichets de l'immigration, Paris : Éd. Raisons d'agir, 2008, 124 p. ; VIPREY, Mouna, “Immigration choisie, immigration subie : du discours à la réalité”, La Revue de l'Ires, n°64, janvier 2010, pp. 149-169.
-
[24]
SPIRE, Alexis, Accueillir ou reconduire. Enquête sur les guichets de l'immigration, op. cit.
-
[25]
FERRÉ, Nathalie, “Un récurrent soupçon de fraude”, Plein Droit, n° 59-60, mars 2004, pp. 7-10.
-
[26]
SPIRE, Alexis, Accueillir ou reconduire. Enquête sur les guichets de l'immigration, op. cit. (voir p. 8).
-
[27]
SPIRE, Alexis, “La politique des guichets au service de la police des étrangers”, Savoir/Agir, n° 36, juin 2016, pp. 27-31 (voir p. 28).
-
[28]
Pour garantir l’anonymat des individus interrogés, leur prénom a été modifié.
-
[29]
PROGRAMME DES NATIONS UNIES POUR LE DÉVELOPPEMENT, Le développement humain pour tous, New York : ONU, 2016, 32 p.
-
[30]
DE GOURCY, Constance, “Circulation estudiantine en France et projets migratoires sous contraintes : figures de l’étudiant algérien dans la mondialisation”, Cahiers Québécois de Démographie, vol. 42, n° 2, pp 371-388 (voir p. 375).
-
[31]
Circulaire INT/D/02/00073/C du 26 mars 2002 relative aux conditions d’entrée et de séjour en France des étudiants étrangers et modalités de renouvellement des cartes de séjour “étudiant”.
-
[32]
Ibidem.
-
[33]
CAPLAN, Caroline ; SPERANTA, Dumitru, “Politiques d’irrégularisation par le travail : le cas de la France”, in : NEUWAHL, Nanette ; BARRÈRE, Sarah (sous la direction de), Cohérence et incohérence dans la gestion des migrations et de l’intégration, Montréal : Éditions Thémis, pp. 265-289.
-
[34]
Voir l’article L.313-7 du ceseda, modifié par la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006, dans son article 5, publié au journal officiel le 25 juillet 2006.
-
[35]
DE GENOVA, Nicholas, Working the Boundaries: Race, Space, and ‘Illegality’ in Mexican Chicago, Durham: Duke University Press, 2005, 352 p.
-
[36]
L’employeur doit s’acquitter d’une redevance forfaitaire à l’ofii qui varie selon le type de titre de séjour sollicité, la durée du contrat de travail et le niveau de salaire attribué. À titre d’exemple, et comme il est défini par l’article L.311-15 du ceseda, « lorsque l'embauche intervient pour une durée supérieure ou égale à douze mois, le montant de cette taxe est égal à 55 % du salaire versé à ce travailleur étranger, pris en compte dans la limite de 2,5 fois le salaire minimum de croissance (smic) ». Alors que « lorsque l'embauche intervient pour un emploi temporaire d'une durée supérieure à trois mois et inférieure à douze mois, le montant de cette taxe, fixé par décret, varie selon le niveau du salaire dans des limites comprises entre 50 euros et 300 euros ». Le travailleur étranger qui effectue une première demande de carte de séjour mention « salarié » doit lui aussi s’acquitter de taxe forfaitaire de 250 euros, ainsi que 19 euros sous forme de timbres fiscaux.
-
[37]
RÉSEAU EUROPÉEN DES MIGRATIONS, Changement de statut et motif de séjour en France, 2016, 60 p, (voir p. 39).
-
[38]
MATH, Antoine ; SLAMA, Serge ; SPIRE, Alexis ; VIPREY Mouna, “La fabrique d'une immigration choisie : de la carte d'étudiant au statut de travailleur étranger (Lille et Bobigny, 2001-2004)”, La Revue de l'Ires, n° 50, 2006, pp. 27-62, (voir p. 34).
-
[39]
Circulaire IOCL1115117J du 31 mai 2011 relative à la maîtrise de l’immigration professionnelle.
-
[40]
Ibidem (voir p. 6).
-
[41]
Circulaire IOCL1115117J du 31 mai 2011 relative à la maîtrise de l’immigration professionnelle émanant du ministre de l’Intérieur, de l’Outre-mer, des Collectivités territoriales et de l’Immigration, et du ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé.
-
[42]
Voir la note de bas de page n° 36.
-
[43]
MATH, Antoine ; SLAMA, Serge ; SPIRE, Alexis ; VIPREY Mouna, “La fabrique d'une immigration choisie : de la carte d'étudiant au statut de travailleur étranger (Lille et Bobigny, 2001-2004)”, art. cité (voir p. 35).
-
[44]
LOCHARD, Yves ; MEILLAND, Christèle ; VIPREY Mouna, “La situation des médecins à diplôme hors UE sur le marché du travail. Les effets d'une discrimination institutionnelle”, La Revue de l'Ires, n° 53, 2007, pp. 83-110, (voir p. 99).
-
[45]
WAGNER, Anne-Catherine, “Attirer les talents internationaux : les ambiguïtés d’une hospitalité sélective”, Savoir/Agir, n° 36, 2016, pp. 33-38.
1 La France est le deuxième pays d’Europe, derrière le Royaume-Uni, par le nombre d’étudiants étrangers accueillis chaque année [1]. En stocks, selon le ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, 309 600 étudiants de nationalité étrangère étaient inscrits dans les différents établissements de l’enseignement supérieur français en 2015, ce qui représentait 12 % de l’ensemble de la population étudiante du pays [2]. Pour l’année 2016, ce sont plus de 73 000 premiers permis de séjour qui ont été délivrés pour « raisons liées à l’éducation » [3]. Cependant, la politique française hésite entre une stratégie de promotion internationale de son offre d’enseignement et une volonté de renforcer la maîtrise des flux migratoires en direction de l’Hexagone. Cet article se propose d’étudier les dispositions administratives et juridiques relatives à l’accueil des étudiants étrangers en France à travers deux dimensions du développement humain [4] : l’accès à l’éducation et l’accès au revenu (par le biais de l’exercice d’une activité professionnelle).
2 Les étudiants étrangers ne constituant pas une catégorie homogène, cette contribution se focalisera sur le cas des étudiants étrangers non ressortissants de l’Union européenne, soumis à la délivrance d’un permis de séjour ainsi qu’à de multiples démarches administratives pour avoir accès à l’éducation et au marché du travail de façon régulière. De quelle manière ces dispositions juridiques liées au séjour, que l’on peut considérer comme autant de contraintes administratives, influent-elles sur le projet éducatif et professionnel des étudiants extra-européens dans le système d’enseignement supérieur français ?
3 Pour répondre à cette question, cet article repose sur une analyse des différentes dispositions légales qui s’appliquent à ces étudiants, tout en exploitant des entretiens réalisés en 2017 dans le cadre du projet « Migration et développement humain » [5]. Afin de prendre en compte la diversité des parcours universitaires et professionnels du public impacté par ces contraintes administratives, les entretiens ont été menés auprès de trois catégories de personnes : celles qui avaient le statut d’« étudiant » au moment de l’entretien, d’autres qui étaient en cours de « changement de statut » avec l’objectif de se voir octroyer un titre de séjour « salarié » après avoir été diplômées en France, et enfin celles qui sont reparties dans leur pays d’origine pour y intégrer le marché du travail après l’obtention d’un diplôme de l’enseignement supérieur français.
4 Forte de cette méthodologie, notre enquête montrera que l’accès des étudiants étrangers à l’éducation et au travail est constamment soumis au risque du séjour irrégulier. Nous procéderons en trois étapes. Dans la première partie, nous présenterons l’évolution des institutions d’accueil des étudiants étrangers qui sont progressivement passées d’un dispositif de promotion de l’enseignement supérieur français à l’international à un dispositif de contrôle des flux migratoires. Dans la deuxième partie, nous montrerons comment les contraintes administratives liées au séjour régulier peuvent compromettre l’accès à l’éducation des étudiants étrangers et les placer en situation irrégulière. Dans la dernière partie, nous verrons que le « changement de statut » pour accéder à l’emploi est une procédure qui risque davantage de restreindre les opportunités professionnelles que de faciliter le développement humain des étrangers diplômés de l’enseignement supérieur français.
Les institutions d’accueil des étudiants étrangers
5 L’évolution des institutions d’accueil des étudiants étrangers en France reflète l’hésitation de la politique migratoire française qui oscille entre une stratégie d’attractivité et une volonté de maîtriser, voire de contrôler les flux migratoires. En effet, dans un contexte international marqué par l’ère de la marchandisation des systèmes d’enseignement supérieur (depuis la mise en œuvre du processus de Bologne) et la compétition entre les pays développés pour attirer les travailleurs qualifiés, en matière d’accueil des étudiants étrangers, la politique migratoire française a subi de multiples ajustements. Ainsi, conjointement avec le ministère des Affaires étrangères, le ministère de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur a créé, en 1998, l’agence ÉduFrance, groupe d’intérêt public dont l’objectif était le « renforcement des outils institutionnels de promotion de l’offre française de formation supérieure à l’étranger » [6]. Parallèlement à cette mission, ÉduFrance proposait des prestations de services payantes pour assister les étudiants étrangers souhaitant venir achever leur formation supérieure en France, notamment au niveau des démarches administratives (demande de visa, inscription, logement, attestation de travail, etc.) [7].
6 En 2005, ÉduFrance est remplacée par les Centres pour les études en France (cef). Plateformes de services mises en place auprès des ambassades françaises à l’étranger, les cef apparaissent comme un nouvel instrument réglementaire pour mieux « sélectionner » et « filtrer » les étudiants étrangers [8]. Dans un contexte où la France s’oriente, selon le slogan de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, vers une « immigration choisie », et non « subie », le passage par ce dispositif administratif devient obligatoire. Ainsi, tous les étudiants étrangers désireux de poursuivre leurs études supérieures en France doivent passer un entretien individuel avec les agents des cef, au terme duquel ces derniers « doivent émettre un avis (favorable ou défavorable) répondant à une “évaluation pédagogique et linguistique” du dossier [du candidat] » [9]. Ensuite, il revient aux agents consulaires d’accorder ou non le visa au requérant. Comme l’expliquent à juste titre Sarah Stadler et Christina Brovia, « On peut en déduire que cet avis [celui du cef] n’a aucun effet contraignant s’il est positif, mais a très probablement une force dissuasive s’il est négatif. Autrement dit, le consulat garde le pouvoir d’octroyer ou non un visa de manière totalement discrétionnaire, quel que soit l’avis du cef et ce sans obligation de motivation en cas de refus » [10]. Ce nouveau dispositif administratif traduit la double orientation du gouvernement français et sa nouvelle politique migratoire, aspirant à favoriser un recrutement sélectif, celui « des bons étudiants étrangers », sans pour autant négliger « le risque migratoire » que peuvent représenter les « mauvais » ou les « faux étudiants », soupçonnés de s’installer et de rester travailler irrégulièrement en France [11].
7 En 2010, les cef sont remplacés par Campus France, établissement public à caractère industriel et commercial (epic), sous la tutelle conjointe du ministère des Affaires étrangères et du ministère chargé de l'Enseignement supérieur [12]. Avec un réseau de plus de 200 espaces et antennes dans le monde [13], Campus France gère l’arrivée de l’ensemble des étudiants étrangers dans l’Hexagone. Désormais, pour candidater à une institution d’enseignement supérieur, il est obligatoire de passer par la plateforme numérique de Campus France. La candidature, appelée demande d’admission préalable (dap), est payante, le montant variant selon le pays d’origine [14]. Elle nécessite dans un premier temps de créer un compte et de compléter un dossier pédagogique, en saisissant les informations personnelles et les justificatifs de diplômes, dans l’espace numérique de Campus France. Les candidats doivent également fournir un certificat attestant de leur niveau en français, et ce, en effectuant un test de connaissance du français (tcf), payant, ou en présentant un diplôme équivalent [15].
8 L’étape suivante consiste à envoyer, toujours via l’espace numérique, le dossier pédagogique aux établissements français dans lesquels le candidat souhaite s’inscrire. En cas d’avis favorable de l’un de ces établissements, les services de Campus France convoquent l’étudiant pour un entretien afin de vérifier l’authenticité des documents fournis, son niveau de français, ses motivations et la cohérence de son projet d’études. À l’issue de cet entretien, l’agent de Campus France donne son avis. S’il est favorable, le candidat est invité à prendre rendez-vous au consulat de France pour déposer sa demande de visa long séjour mention « étudiant ». Celle-ci comporte plusieurs formulaires et des documents qui sont à fournir en version originale. Un justificatif de domicile (attestation d’hébergement indiquant une adresse pour les trois premiers mois de séjour en France) est requis. Tout étudiant ne disposant pas d’une bourse d’études doit présenter une attestation bancaire justifiant « du dépôt d’un ordre de transfert, permanent et irrévocable, d’un montant minimum de la contrevaleur de 615 euros par mois pour la durée du séjour (base de 12 mois pour une année scolaire ou universitaire) ». Cette somme est conséquente, puisque pour un étudiant marocain par exemple, cela représente deux fois le salaire minimum mensuel dans son pays. De fait, pour pouvoir déposer une demande de visa de long séjour pour études en France, un étudiant marocain doit avoir économisé l’équivalent de deux ans de salaire minimum.
9 Certaines dispositions tentent de réduire timidement les démarches administratives. Par exemple, le visa long séjour dispensant de titre de séjour (vls-ts), mis en place en 2009, épargne aux étudiants étrangers un déplacement en préfecture au cours de la première année de leur séjour [16]. Toutefois, leur enregistrement auprès de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (ofii) du département d’installation est obligatoire, et ce, dans les trois mois suivant leur arrivée. Dans les deux mois qui précèdent l’expiration du visa, les étudiants étrangers bénéficiant d’un vls-ts doivent demander une carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant ». Cette carte est accordée à « l'étranger qui établit qu'il suit en France un enseignement ou qu'il y fait des études et qu’il justifie qu'il dispose de moyens d'existence suffisants » [17]. L’étudiant doit pouvoir justifier de ressources financières suffisantes, estimés à 615 euros mensuels [18].
10 À l’issue d’une réforme du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (ceseda) opérée en 2006, le gouvernement français a promu une « ouverture législative » visant à assouplir et à simplifier quelques formalités administratives en direction des étudiants étrangers [19]. Toutefois, cette « ouverture » concernait uniquement les étudiants étrangers titulaires d’un titre de séjour « étudiant » depuis au moins un an et « admis à suivre, dans un établissement d'enseignement supérieur habilité au plan national, une formation en vue de l'obtention d'un diplôme au moins équivalent au master » [20]. Ces derniers peuvent désormais, à l’échéance de la validité de leur titre de séjour et au moment de son renouvellement, demander une carte de séjour pluriannuelle dont la validité peut être supérieure à un an et ne pouvant excéder quatre ans.
11 Néanmoins, la dernière révision du droit des étrangers, opérée par la loi n°2016-274 du 7 mars 2016, prolonge l’ouverture administrative amorcée en 2006, puisque l’ajout d’une disposition législative généralise le titre de séjour pluriannuel à tous les étudiants étrangers. Dès lors, l'accès à la carte pluriannuelle n’est plus une dérogation réservée aux étudiants de niveau master ou doctorat, mais est étendu à tous les cycles d’études. La durée de cette carte est « égale à celle restant à courir du cycle d'études dans lequel est inscrit l'étudiant, sous réserve du caractère réel et sérieux des études, apprécié au regard des éléments produits par les établissements de formation et par l'intéressé », le législateur précisant qu’« un redoublement par cycle d'études ne remet pas en cause, par lui-même, le caractère sérieux des études » [21].
L’accès à l’éducation au risque de la « politique des guichets »
12 Coûteuse financièrement [22] et exigeant plusieurs mois pour boucler l’intégralité du processus administratif (achèvement de la procédure Campus France, justificatifs de ressources financières et d’hébergement, etc.), la procédure d’obtention d’un visa pour études est révélatrice de la politique d’immigration sélective de la France. Une sélection qui relève à la fois d’une dimension sociale inégalitaire (maîtriser la langue française et disposer des moyens financiers suffisants pour subvenir au coût de la vie en France, ce qui implique bien souvent de venir d’un milieu social aisé) et des apparentes logiques économiques, prescrites par les besoins économiques du marché du travail français [23].
13 En revanche, même lorsque tous les critères exigés sont remplis et tous les justificatifs présentés, les demandeurs d’un visa restent assujettis au pouvoir discrétionnaire des agents subalternes des consulats, dépendant de leur interprétation des lois, de leur jugement et de leur appréciation personnelle à l’égard des candidats à l’émigration vers l’Hexagone [24]. En effet, sous le prisme de « l’immigration choisie », imprégné par un récurent soupçon de fraude [25] , l’État français a développé ce qu’Alexis Spire a appelé la « politique des guichets ». Celle-ci consiste en une « politique en trompe-l’œil : d’un côté, l’État adopte des lois répressives qui respectent en apparence des droits fondamentaux mais de l’autre, il délègue aux fractions subalternes de l’administration le soin de rendre ces droits inopérants » [26]. En matière d’immigration, cette stratégie conduit à « renforcer le pouvoir discrétionnaire de toutes les administrations chargées du contrôle de l’immigration, en leur assignant une mission commune : s’assurer que chaque droit consenti à un étranger ne constitue pas une menace pour le maintien de l’ordre politique, économique et social » [27] de la France.
14 Un entretien réalisé avec Mehdi [28], un étudiant algérien en deuxième année de master de comptabilité arrivé en France en 2012, confirme les conséquences qu’engendre ce pouvoir discrétionnaire. Après avoir soumis deux demandes en deux ans pour obtenir un visa de long séjour pour études en France, celles-ci ont à chaque fois été refusées sans qu’aucune raison ne soit invoquée. Il a donc décidé de venir en France avec un visa de court séjour (trois mois), se faisant passer pour un touriste, pour ensuite s’inscrire dans l’une des universités parisiennes. Il explique : « J’ai pourtant fait toutes les démarches : j’ai déposé une première fois un dossier pour avoir un visa long séjour, mais je ne l’ai pas eu. J’ai alors retenté une seconde fois, parce que je me suis dit que le dossier que j’avais soumis n’était peut-être pas complet. J’ai donc tout refait, avec en plus l’avis favorable d’une université de Paris. Et bien j’ai reçu une décision de rejet deux semaines après le dépôt de mon dossier. C’est pour ça que j’ai pris la décision de venir avec un visa touriste [un visa court séjour]… J’avais pourtant suivi toute la procédure d’inscription auprès de Campus France, j’avais toutes les pièces, même l’accord d’une université, il me manquait simplement le visa... La procédure m’avait pris énormément de temps, et tout cela pour rien ». À notre question de savoir s’il avait fourni tous les justificatifs nécessaires, il répond : « Ah oui, j’ai tout donné ! À l’époque, mon grand-père m’avait fait une attestation d’hébergement. Mes parents avaient un compte bancaire à Paris, il y avait assez d’argent dessus. Tout était bon ! J’ai coché toutes les cases, mais malheureusement j’ai eu deux refus de suite ».
15 Le fait que Mehdi ait eu recours à un visa de court séjour pour venir étudier en France lui fait courir le risque de se retrouver en situation irrégulière, même si son université à Paris a validé son inscription malgré l’absence de visa étudiant. Au cours de sa deuxième année de licence, et sans titre de séjour valide, Mehdi a souhaité faire une démarche de régularisation. Par crainte de recevoir une obligation de quitter le territoire français (oqtf), il s’est fait accompagner par le Réseau université sans frontières (rusf).
16 Si initialement l’accès de Mehdi à l’enseignement supérieur français n’est pas affecté, l’irrégularité du séjour l’empêche de satisfaire à certaines exigences universitaires : « J’ai un stage à faire pour valider mon année universitaire ; si je ne le fais pas, je ne peux pas obtenir mon année. Mais si je n’ai pas mon année, je ne peux pas me faire régulariser, parce qu’à la préfecture, ils [les agents] vont dire que je suis redoublant, que je ne peux pas avoir de papiers. C’est donc ça, le gros bémol, quand on est un sans-papiers, c’est une situation vraiment délicate à vivre ».
17 De façon générale, le séjour irrégulier affecte profondément le développement humain, défini, selon les termes du Programme des Nations unies pour le développement, comme l’élargissement de l’ensemble des libertés pour chaque être humain [29]. Le récit de Mehdi va dans ce sens, puisque le fait de vivre dans l’irrégularité l’empêche de travailler pour percevoir des revenus, et même de se déplacer librement : « C’était une période très difficile, parce que je ne pouvais pas travailler comme d’autres jeunes de mon âge, pour avoir un peu d’argent parallèlement aux études. Je ne pouvais pas non plus sortir là où je voulais, parce que j’avais peur des contrôles des policiers. Je faisais attention où j’allais, parfois j’évitais même certaines stations de métro, parce que je savais que c’était dangereux de passer par tel ou tel endroit. Des fois, je faisais deux, voire trois, stations supplémentaires avant de sortir, pour éviter de croiser des policiers ». Le séjour irrégulier entrave donc la mobilité et, avec elle, l’accès à l’ensemble de bien des pratiques sociales.
18 Souvent, la perspective du séjour irrégulier suffit à elle seule pour affecter l’accès à l’éducation et au savoir, mais aussi les choix de carrière professionnels. C’est le cas de Yassin, qui a intégré en 2012 une licence d’administration économique et sociale en Lorraine, après deux ans de classe préparatoire au Maroc. Son objectif était de poursuivre par une formation dans le domaine de l’expertise comptable, mais faute d’y parvenir, il s’est inscrit à une autre formation, même si elle ne correspond pas à ses ambitions professionnelles, en raison des contraintes administratives qui pèsent sur les étudiants étrangers : « J’avais candidaté à un master « comptabilité, contrôle, audit », qui m’aurait permis par la suite de me présenter à l’examen du diplôme d’expertise comptable. Je n’ai pas été accepté, mais comme j’étais obligé de faire un master pour que mon titre de séjour soit renouvelé, j’ai été contraint de m’inscrire au master « économie de la firme et des marchés » uniquement pour être en règle ». Pour Yassin, comme pour d’autres étudiants étrangers, la crainte de se retrouver en situation irrégulière gêne l’accès à la formation mais peut également influer sur leur carrière professionnelle, qui s’organise autour des contraintes administratives. Constance De Gourcy souligne qu’au cours de leur expérience de vie et d’études en France, les étudiants étrangers affrontent « des exigences bureaucratiques nouvelles qui pèsent sur [leurs] parcours et [leurs] projets migratoires et inscrivent [leur] séjour estudiantin dans une temporalité administrative différente de la temporalité pour études, laquelle se redéfinit au cours du séjour » [30].
19 L’accès au revenu peut également être un frein à l’accès à l’éducation des étudiants étrangers. En effet, comme nous l’avons mentionné précédemment, avant 2016, les étudiants étrangers qui ne suivaient pas une formation de niveau master, étaient dans l’obligation de se présenter chaque année à la préfecture pour renouveler leur titre de séjour temporaire. Outre les justificatifs administratifs conformes à ceux requis pour la première demande de visa pour études, ils devaient faire la preuve du caractère réel et sérieux de leurs études. Cette procédure résulte de la circulaire du 26 mars 2002, relative aux conditions d'entrée et de séjour en France des étudiants étrangers et aux modalités de renouvellement des cartes de séjour « étudiant » [31]. Ainsi, pour attester du sérieux des études entreprises par les étudiants étrangers présentant une demande de renouvellement de leur carte de séjour temporaire, les agents des préfectures avaient comme recommandation de prendre en considération trois critères cumulatifs, à savoir l'assiduité dans les études ainsi qu'aux examens (présentation d’attestation de présence dans les cours), le contrôle de la progression raisonnable dans le cursus universitaire choisi (présentation de différents relevés de notes) et l'appréciation de la cohérence des changements d'orientation, en justifiant, le cas échéant, de la cohérence dans l'enchaînement des filières et des disciplines [32].
20 Nabil, étudiant algérien aujourd’hui en master 2 d’informatique, était passionné par ses études, mais sa situation financière l’a poussé à travailler pour financer son diplôme. Cette contrainte avait fini par l’éloigner de ses études et lui coûter le séjour régulier : « Quand j’étais à Lille pour mes études, je n’ai pas trouvé de travail en parallèle. Pour me financer, je suis allé jusqu’à Toulouse, pour faire les vendanges de septembre à octobre. À mon retour en novembre, j’avais déjà raté les deux premiers mois de cours. Eux [les agents de la préfecture], ils ont considéré que c’était un manque de sérieux dans mes études, ils ne m’ont donc pas renouvelé mon titre de séjour et m’ont donné une obligation de quitter le territoire ».
21 Comme Mehdi, Nabil a déposé une demande de régularisation de sa situation juridique avec l’aide du Réseau université sans frontières. Soutenu par ce collectif et par certains de ses professeurs, son dossier a été accepté par la préfecture. Toutefois, pour finaliser les démarches, et au-delà de toutes les attestations qu’il a dû fournir, Nabil a été contraint de s’acquitter d’une taxe de 340 euros pour prétendre à un visa de régularisation (qui tient lieu de visa de long séjour). En septembre 2017, il a réussi à obtenir un titre de séjour « étudiant », grâce auquel il pourra finalement effectuer son stage de fin d’études pour valider son diplôme.
L’accès à l’emploi : des carrières professionnelles ébranlées
22 L’accès à l’emploi des étudiants extra-européens illustre ce que Caroline Caplan et Speranta Dumitru ont appelé une « politique d’irrégularisation par le travail » [33]. D’une part, la loi [34] limite l’accès à l’emploi des étudiants étrangers à 60 % de la durée légale de travail et punit tout dépassement par le retrait du titre de séjour et la notification d’une oqtf. D’autre part, si l’employeur souhaite les recruter à temps plein une fois leur diplôme de l’enseignement supérieur français obtenu, la procédure de « changement de statut » pour obtenir une carte de séjour « salarié » est complexe, longue, incertaine, et peut se solder par un refus et une obligation de quitter le territoire. Ainsi, les dispositions juridiques régissant l’accès des étudiants étrangers au marché du travail français contribuent à ce que Nicholas De Genova a appelé la « production légale de l’illégalité » [35].
23 Plus qu’une voie de développement, la demande de « changement de statut » par le travail est une procédure longue et complexe. Le premier obstacle au recrutement d’un ressortissant non européen est « l’opposabilité de la situation de l’emploi ». L’employeur doit montrer que le poste fait partie d’un « métier sous tension » et est resté vacant après avoir fait l’objet d’une publicité suffisante. L’administration vérifie le « taux de tension », c’est-à-dire le rapport entre le nombre d’offres de travail et le nombre de demandeurs d’emploi. La deuxième condition pour le recrutement est l’adéquation entre l’emploi offert et la qualification, l’expérience et les diplômes de l’étranger à recruter. Troisièmement, l’administration vérifie que l'employeur respecte la législation du travail et de la protection sociale. Enfin, le candidat à recruter peut être débouté s’il n’a pas lui-même respecté cette législation et a, par exemple, travaillé sans autorisation ou en dehors de la zone géographique autorisée. L’employeur et le candidat doivent également s’acquitter de taxes [36].
24 La complexité de la procédure se reflète dans les statistiques du « changement de statut ». Selon un rapport réalisé par le Réseau européen des migrations, 5 129 étudiants étrangers ont obtenu « le changement de statut » de leur titre de séjour « étudiant » en celui de « salarié » en 2015, tandis que les diplômés d’un master détenteurs d’une « autorisation provisoire de séjour » ont été 3 089 à se voir octroyer une carte de séjour « salarié » la même année [37]. Le rapport souligne la lourdeur et la lenteur de cette démarche, mais indique que le délai moyen entre le dépôt de la demande et la décision relative au « changement de statut » est compris entre deux et trois mois. Le taux de refus et le délai moyen de délivrance de la décision n’y sont toutefois pas indiqués.
25 L’accès à l’emploi par la procédure de « changement de statut » est donc une « aventure périlleuse à l’issue très incertaine » [38]. Les diplômés étrangers risquent d’y perdre leur droit au séjour régulier, du temps, de l’argent, et de manquer des opportunités professionnelles, ce que confirme notre enquête.
26 Laïla est arrivée en France en 2004 après l’obtention de son baccalauréat, pour suivre des études supérieures jusqu’à l’obtention d’un master 2 de mathématiques appliquées. Malgré son diplôme de l’enseignement supérieur français, elle est retournée vivre en Tunisie, puisque sa demande de « changement de statut » l’a empêchée de lancer sa carrière professionnelle en France : « Après mon diplôme, je n’ai même pas eu à chercher de travail, on est venu me chercher ! J’ai eu plusieurs propositions d’emploi, dont une qui m’intéressait particulièrement. C’était presque trop facile ! J’ai donc lancé la procédure [de « changement de statut »], mais il y a eu un obstacle imprévu : la “circulaire Guéant” [voir supra]. Ça a été une véritable galère pendant quasiment une année, d’autant plus que je figurais parmi les tous premiers dossiers impactés ».
27 La « circulaire Guéant » — du nom du ministre de l’Intérieur de l’époque, Claude Guéant — du 31 mai 2011 visait à « maîtriser l’immigration professionnelle » [39] par plusieurs moyens : en recommandant aux préfets de refuser les autorisations provisoires de séjour aux candidats ne justifiant pas d’une « volonté d’occuper un emploi au regard de l’intérêt du pays d’origine » [40], de refuser les autorisations de travail aux candidats surqualifiés, d’augmenter la durée de publicité de l’emploi à pourvoir et de refuser le recrutement d’un étranger à toute entreprise ne respectant pas la législation relative au travail et à la protection sociale appliquée en France [41].
28 Si tout au long de ses démarches administratives Laïla a reçu le soutien moral de l’entreprise souhaitant la recruter, elle a fait le choix de retourner en Tunisie après un an d’attente, faute de décision quant à son « changement de statut » et de ressource financière pour continuer à vivre en France. Lors de notre entretien, elle se souvient qu’au cours de cette période, les services des ressources humaines de certaines entreprises évitaient de recruter des diplômés étrangers, les qualifiant de « personnes à problèmes » en raison des contraintes administratives pesant sur leur accès à l’emploi. Pour Laïla, cette fameuse circulaire a empêché son insertion professionnelle en France et a freiné sa carrière : « Bien sûr que ça a impacté mon parcours professionnel, que je sois restée en France ou pas. On m’a fait perdre pratiquement un an et demi de ma vie pour rien, à part peut-être le fait que désormais je m’intéresse de beaucoup plus près à la politique… Sans tout ça, j’aurais pu gravir les échelons beaucoup plus rapidement. Au lieu de ça, je suis revenue à la case départ un an et demi après avoir été diplômée. […] Actuellement, je suis junior au sein de mon entreprise, alors que sans cette circulaire et tout ce temps perdu, je pourrais déjà être sénior ».
29 Pour d’autres personnes interrogées, la lourdeur de la procédure de « changement de statut » est ressentie comme un manque de respect à l’égard des étudiants étrangers diplômés de l’enseignement supérieur français. C’est ce que déplore Soufiane, diplômé de l’École des Mines, qui évoque la « carrière de papiers » parcourue depuis son arrivée en France en 2010. S’il juge que la procédure via Campus France, la démarche de demande de visa de long séjour puis celle du renouvellement de son titre de séjour « étudiant » étaient plutôt claires et « commodes », il critique vigoureusement la procédure de « changement de statut » : « Elle n’est pas faite pour les étudiants [étrangers]. On a beau vanter la volonté de l’État de moderniser l’administration, de la rendre encore plus simple, accessible, etc., ce n’est pas du tout le cas. Par exemple, les sites internet des préfectures ne sont pas mis à jour, les agents [aux guichets] te disent n’importe quoi… Et puis, il faut ajouter à cela le fait d’être stigmatisé : ça peut paraître caricatural de le dire, mais il n’empêche que l’on se sent toujours montré du doigt. Quand on va à la préfecture, on doit se battre pour être entendu. On nous considère comme si nous venions d’arriver, alors qu’on est là [en France] depuis un moment. On revendique un certain traitement, c’est normal ! Ils ont une façon de nous traiter qui ne correspond pas du tout à ce à quoi on s’attend ». Soufiane ne dénonce pas seulement la complexité de la procédure de « changement de statut », mais aussi plus globalement « la politique des guichets » évoquée précédemment : « Ce qui me choque, c’est ce décalage entre le discours et la façon de faire vis-à-vis de l’étudiant étranger : on veut ériger la France comme étant le pays qui attire le plus d’étudiants étrangers, de chercheurs, etc., mais quand l’étudiant veut rester en France, en réalité on lui impose des choses, on entretient un flou, tout est fait pour qu’il ne soit pas bien informé, pour qu’il puisse commettre des erreurs [dans les procédures administratives qu’il doit mener pour rester en situation régulière sur le territoire français]… ».
30 Comme Laïla, Soufiane a lui aussi perdu du temps et des opportunités professionnelles en raison des contraintes administratives qu’il dénonce. Recruté en décembre 2016 par une grande entreprise d’énergie, il demande à changer de statut en février 2017, mais en novembre, date de notre entretien, il n’a toujours pas reçu son nouveau titre de séjour.
31 Face à la lourdeur de ces procédures administratives, les diplômés étrangers se retrouvent parfois contraints « de prendre en charge financièrement ces sommes [42], soit pour convaincre l’employeur de s’engager dans la procédure, soit à la demande expresse de ce dernier » [43] afin de lancer leur carrière professionnelle en France. C’est ce que confie Youssef, diplômé d’une école d’ingénieurs en architecture navale et qui travaille désormais dans une entreprise de conseil en ingénierie. Il remarque qu’au-delà des discriminations que subissent les diplômés étrangers lors de la phase de recrutement, il existe également une discrimination salariale résultant de ces contraintes administratives qui pèsent sur eux, et particulièrement des difficultés liées au « changement de statut » : « Ces contraintes juridiques se répercutent sur notre salaire. Un salaire d’un débutant étranger n’est pas celui d’un débutant français... Par exemple, un jeune diplômé français vient d’être embauché dans mon entreprise. Il a fait ses études dans une école parisienne privée peu connue. En discutant, il m’a dit qu’il gagnait 37 000 euros brut par an. C’est énorme par rapport à mon salaire et celui de mes collègues étrangers. Moi je suis diplômé d’une école prestigieuse, une amie étrangère a un doctorat, et on est moins bien payé que lui, qui a fait une petite école privée ! […] L’entreprises dans laquelle je suis base sa grille salariale sur ce que je considère comme étant du chantage : nous [les diplômés étrangers] on souhaite débuter notre carrière professionnelle en France et faire notre changement de statut, on peut difficilement négocier nos conditions d’embauche. Nos employeurs le savent très bien, donc ils nous donnent un salaire moins élevé qu’à nos collègues français, ils nous ‘vendent’ le changement de statut… ».
32 Plus qu’un facilitateur de développement, l’accès à l’emploi par la procédure de « changement de statut » est une source de vulnérabilité pour les diplômés étrangers. Complexe et longue, cette procédure augmente le risque de perte du droit au séjour régulier et des opportunités de carrière, tout en exposant les diplômés étrangers à des discriminations salariales. Titulaires des mêmes diplômes que les nationaux, les jeunes cadres étrangers sont, dès leur début de carrière, assujettis à « des pouvoirs discrétionnaires dont les règles leur paraissent largement arbitraires voire discriminatoires » [44].
Conclusion
33 Dans un contexte marqué par l’éclosion de « l’économie du savoir », dominée par la production et la circulation des connaissances, la France, comme de nombreux pays développés, s’inscrit pleinement dans la concurrence internationale pour attirer les étudiants étrangers et recruter les travailleurs hautement qualifiés. Pour favoriser cette forme de migration, elle met en place, depuis les années 2000, une politique attractive renforcée par plusieurs opérateurs et instruments d’action. L’agence Campus France reste l’un des dispositifs emblématiques de cette politique. Aujourd’hui, cette structure se veut un instrument efficace pour promouvoir et « vendre » l’enseignement supérieur français à l’étranger, de même qu’un outil précieux pour mieux sélectionner et filtrer les étudiants étrangers désireux de poursuivre leur formation dans l’Hexagone. En considérant les étudiants étrangers comme des candidats potentiels à « l’immigration choisie », Campus France leur offre un « service commercial » complet, constitué, entre autres, de nombreuses fiches et capsules d’information, plusieurs sites web traduits en différentes langues, et surtout une démarche administrative bien expliquée et suffisamment standardisée. Cette politique, soutenue par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et celui de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, est concomitante d’une politique migratoire restrictive instituée par le ministère de l’Intérieur. Celle-ci prospère dans une logique bureaucratique sécuritaire, dans laquelle l’administration chargée du contrôle de l’immigration dispose d’un fort pouvoir discrétionnaire.
34 Les contradictions inhérentes à la politique migratoire française sont palpables et ressortent tout au long de notre analyse. D’une part, la France prend part à la compétition internationale pour attirer les étudiants et travailleurs étrangers disposant d’un niveau d’éducation et d’expériences élevés, et de ce fait elle prône l’« immigration choisie », « désirable », appelée à répondre aux besoins de son économie. D’autre part, sa législation épineuse s’agissant de l’entrée et du séjour de ces étrangers favorise, implicitement, la floraison de l’immigration dite « illégale », assimilée aux autres formes d’immigration avec lesquelles elle rivalise, celles d’une « immigration imposée », « subie ». Cette « ambiguïté de l’hospitalité sélective » [45] de la politique migratoire française affecte directement deux dimensions du développement humain des étudiants étrangers : l’accès à l’éducation et au revenu.
Notes
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[1]
ORGANISATION DE DÉVELOPPEMENT ET DE COOPÉRATION ÉCONOMIQUES, Le recrutement des travailleurs immigrés : France 2017, Paris : OCDE, 2017, 341 p. (voir p.175).
-
[2]
ministÈre de l’Enseignement supÉrieur, de la Recherche et de l’Innovation, L’état de l’enseignement et de la recherche en France, n° 10, 2017, 127 p. (voir p. 42).
-
[3]
Sources : Eurostat, http://appsso.eurostat.ec.europa.eu/nui/show.do?dataset=migr_rese
du&lang=fr. -
[4]
Dans cette contribution, la notion de développement humain se réfère à la définition composite impulsée depuis le début des années 1990 par le Programme des Nations unies pour le développement (pnud). Selon cet organisme, « le développement humain est un processus qui conduit à l'élargissement de la gamme des possibilités qui s'offrent à chacun. En principe, elles sont illimitées et peuvent évoluer avec le temps. Mais quel que soit le stade de développement, elles impliquent que soient réalisées trois conditions essentielles : vivre longtemps et en bonne santé, acquérir un savoir et avoir accès aux ressources nécessaires pour jouir d'un niveau de vie convenable. Si ces conditions ne sont pas satisfaites, de nombreuses possibilités restent inaccessibles ». Ainsi, pour mesurer le développement humain, le pnud retient trois dimensions essentielles : la santé (évaluée selon l'espérance de vie moyenne à la naissance), l’éducation (mesurée en années de scolarisation) et le revenu (basé sur le produit intérieur brut par habitant). Voir : PROGRAMME DES NATIONS UNIES POUR LE DÉVELOPPEMENT, Rapport mondial sur le développement humain, Paris : Éd. Economica, 1990, 203 p.
-
[5]
« Migration et développement humain : opportunités et discriminations de la personne migrante en quête de régularisation » est un projet picri (Partenariats institutions-citoyens pour la recherche et l’innovation) financé par la Région Île-de-France et réalisé au sein de l’Université Paris Descartes sur la période 2014-2017.
-
[6]
COHEN, Élie, “Un plan d'action pour améliorer l’accueil des étudiants étrangers en France : diagnostic et propositions”, Rapport au ministre de l'Éducation nationale et au ministre des Affaires étrangères, 2001, 124 p, (voir p. 24).
-
[7]
FOEGLE, Jean-Philippe, “Le grand ‘mercato’ des étudiants étrangers”, Plein Droit, n° 97, juin 2013, pp. 16-19.
-
[8]
SPIRE, Alexis, “Contrôler et choisir : la sélection des étudiants à l’émigration vers la France”, in : MAZZELLA, Sylvie (sous la direction de), La mondialisation étudiante : le Maghreb entre Nord et Sud, Paris/Tunis : Éd. Karthala/IRMC, 2009, pp. 79-95.
-
[9]
Ibidem (voir p. 82).
-
[10]
STADLER, Sarah ; BROVIA, Cristina, “Attirer les étudiants de haut niveau”, Plein Droit, n° 73, juillet 2007, pp. 11-15 (voir p. 11).
-
[11]
SLAMA, Serge, La fin de l’étranger, Paris, Éd. L’Harmattan, 1999, 320 p.
-
[12]
Loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'État.
-
[13]
Voir www.campusfrance.org.
-
[14]
Comme l’indique le site de Campus France, pour soumettre un dossier de candidature pour études en France, les étudiants doivent payer les frais de dossier en espèces, auprès d’une banque accréditée. Ce montant varie d’un pays à un autre. Par exemple, pour les candidats sénégalais, il est de 50 000 FCFA (environ 75 €), pour les étudiants turcs, il est de 430 LT (environ 98 €), alors que pour les étudiants marocains, il est de 1 900 Dhms (environ 172 €).
-
[15]
Il s'agit d’un test du niveau linguistique général reconnu officiellement par le ministère français de l'Éducation nationale et de l'Enseignement supérieur. Il est composé de trois épreuves obligatoires (compréhension écrite, maîtrise des structures de la langue, compréhension orale) et deux épreuves complémentaires (expression orale et expression écrite). Le résultat obtenu au test donne lieu à la délivrance d'une attestation de niveau. Chaque université décide du niveau que doivent obtenir les candidats pour s’inscrire dans leur établissement. Dans les pays d’origine, seuls les services de coopération et d'action culturelle de l'ambassade de France, l'espace Campus France, sont habilités à organiser des sessions du tcf pour la dap.
-
[16]
Voir l’article R.311-3 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (ceseda).
-
[17]
Voir l’article L.313-7 du ceseda.
-
[18]
Le dossier de demande de cette première carte de séjour temporaire doit être composé, entre autres, d’un justificatif de ressources financières au montant défini, d’un justificatif de domicile, d’une attestation d’inscription dans un établissement d’enseignement supérieur et d’une attestation d’affiliation à une couverture sociale étudiante. La remise de ce premier titre de séjour exige l’acquittement d’une taxe de 79 euros sous forme de timbres fiscaux.
-
[19]
Loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration.
-
[20]
Voir le deuxième alinéa de l’article L313-4 modifié par la loi 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et l’intégration. Ces dispositions ne concernent pas les ressortissants algériens qui dépendent de l’Accord franco-algérien du 27 décembre 1968 (modifié).
-
[21]
Voir l’article L313-18 modifié par la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 sur le droit des étrangers.
-
[22]
Jusqu’en 2010, le montant des ressources financières considéré comme suffisant était fixé à 70 % du montant de l'allocation d'entretien mensuelle de base versée, au titre de l'année universitaire écoulée, aux boursiers du gouvernement français. Avec le décret n° 2011-1049 du 6 septembre 2011, ce montant a été augmenté à 100 %, soit 615 euros par mois.
-
[23]
Voir SPIRE, Alexis, Accueillir ou reconduire. Enquête sur les guichets de l'immigration, Paris : Éd. Raisons d'agir, 2008, 124 p. ; VIPREY, Mouna, “Immigration choisie, immigration subie : du discours à la réalité”, La Revue de l'Ires, n°64, janvier 2010, pp. 149-169.
-
[24]
SPIRE, Alexis, Accueillir ou reconduire. Enquête sur les guichets de l'immigration, op. cit.
-
[25]
FERRÉ, Nathalie, “Un récurrent soupçon de fraude”, Plein Droit, n° 59-60, mars 2004, pp. 7-10.
-
[26]
SPIRE, Alexis, Accueillir ou reconduire. Enquête sur les guichets de l'immigration, op. cit. (voir p. 8).
-
[27]
SPIRE, Alexis, “La politique des guichets au service de la police des étrangers”, Savoir/Agir, n° 36, juin 2016, pp. 27-31 (voir p. 28).
-
[28]
Pour garantir l’anonymat des individus interrogés, leur prénom a été modifié.
-
[29]
PROGRAMME DES NATIONS UNIES POUR LE DÉVELOPPEMENT, Le développement humain pour tous, New York : ONU, 2016, 32 p.
-
[30]
DE GOURCY, Constance, “Circulation estudiantine en France et projets migratoires sous contraintes : figures de l’étudiant algérien dans la mondialisation”, Cahiers Québécois de Démographie, vol. 42, n° 2, pp 371-388 (voir p. 375).
-
[31]
Circulaire INT/D/02/00073/C du 26 mars 2002 relative aux conditions d’entrée et de séjour en France des étudiants étrangers et modalités de renouvellement des cartes de séjour “étudiant”.
-
[32]
Ibidem.
-
[33]
CAPLAN, Caroline ; SPERANTA, Dumitru, “Politiques d’irrégularisation par le travail : le cas de la France”, in : NEUWAHL, Nanette ; BARRÈRE, Sarah (sous la direction de), Cohérence et incohérence dans la gestion des migrations et de l’intégration, Montréal : Éditions Thémis, pp. 265-289.
-
[34]
Voir l’article L.313-7 du ceseda, modifié par la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006, dans son article 5, publié au journal officiel le 25 juillet 2006.
-
[35]
DE GENOVA, Nicholas, Working the Boundaries: Race, Space, and ‘Illegality’ in Mexican Chicago, Durham: Duke University Press, 2005, 352 p.
-
[36]
L’employeur doit s’acquitter d’une redevance forfaitaire à l’ofii qui varie selon le type de titre de séjour sollicité, la durée du contrat de travail et le niveau de salaire attribué. À titre d’exemple, et comme il est défini par l’article L.311-15 du ceseda, « lorsque l'embauche intervient pour une durée supérieure ou égale à douze mois, le montant de cette taxe est égal à 55 % du salaire versé à ce travailleur étranger, pris en compte dans la limite de 2,5 fois le salaire minimum de croissance (smic) ». Alors que « lorsque l'embauche intervient pour un emploi temporaire d'une durée supérieure à trois mois et inférieure à douze mois, le montant de cette taxe, fixé par décret, varie selon le niveau du salaire dans des limites comprises entre 50 euros et 300 euros ». Le travailleur étranger qui effectue une première demande de carte de séjour mention « salarié » doit lui aussi s’acquitter de taxe forfaitaire de 250 euros, ainsi que 19 euros sous forme de timbres fiscaux.
-
[37]
RÉSEAU EUROPÉEN DES MIGRATIONS, Changement de statut et motif de séjour en France, 2016, 60 p, (voir p. 39).
-
[38]
MATH, Antoine ; SLAMA, Serge ; SPIRE, Alexis ; VIPREY Mouna, “La fabrique d'une immigration choisie : de la carte d'étudiant au statut de travailleur étranger (Lille et Bobigny, 2001-2004)”, La Revue de l'Ires, n° 50, 2006, pp. 27-62, (voir p. 34).
-
[39]
Circulaire IOCL1115117J du 31 mai 2011 relative à la maîtrise de l’immigration professionnelle.
-
[40]
Ibidem (voir p. 6).
-
[41]
Circulaire IOCL1115117J du 31 mai 2011 relative à la maîtrise de l’immigration professionnelle émanant du ministre de l’Intérieur, de l’Outre-mer, des Collectivités territoriales et de l’Immigration, et du ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé.
-
[42]
Voir la note de bas de page n° 36.
-
[43]
MATH, Antoine ; SLAMA, Serge ; SPIRE, Alexis ; VIPREY Mouna, “La fabrique d'une immigration choisie : de la carte d'étudiant au statut de travailleur étranger (Lille et Bobigny, 2001-2004)”, art. cité (voir p. 35).
-
[44]
LOCHARD, Yves ; MEILLAND, Christèle ; VIPREY Mouna, “La situation des médecins à diplôme hors UE sur le marché du travail. Les effets d'une discrimination institutionnelle”, La Revue de l'Ires, n° 53, 2007, pp. 83-110, (voir p. 99).
-
[45]
WAGNER, Anne-Catherine, “Attirer les talents internationaux : les ambiguïtés d’une hospitalité sélective”, Savoir/Agir, n° 36, 2016, pp. 33-38.