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Article de revue

Les images de la Grande Guerre. Des archives retrouvées pour des hommes oubliés

Pages 5 à 19

Notes

  • [1]
    Voir, de Antoine Prost et Jay Winter, Penser la Grande Guerre. Un essai d’historiographie, Paris, Seuil, 2004.
  • [2]
    Encore très récemment, parlant de son dernier documentaire d’archives, 68, Patrick Rotman insistait sur le fait qu’il avait trouvé beaucoup d’extraits inconnus en France (voir Le Monde, supplément TV et radio du 7 au 13 avril, p. 2).
  • [3]
    Arlette Farge, entretien avec Antoine de Baecque, Cahiers du cinéma, novembre 2000.
  • [4]
    Voir à ce sujet de Laurent Véray, « Les faux qui font l’histoire » dans Vingtième siècle, n° 63, juillet-septembre 1999, pp. 147-150.
  • [5]
    Pierre Marcel, « L’Histoire de la Grande Guerre. Des archives, des documents, des preuves » dans Ciné-Journal, n° 16, 15 septembre 1915.
  • [6]
    Ibid.
  • [7]
    Une des directives données aux opérateurs stipule qu’ils devaient revenir régulièrement dans certaines villes comme Arras, Reims et Soissons afin d’enregistrer les dégâts provoqués par les bombardements.
  • [8]
    Pour plus d’informations, voir de Laurent Véray, Les films d’actualité français de la Grande Guerre, Paris, AFRHC/Sirpa, 1995.
  • [9]
    Émile Vuillermoz, « Devant l’écran », Le Temps, 25 avril 1917.
  • [10]
    Rapport de Camille Bloch, inspecteur général des archives et des bibliothèques, au ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, le 20 mai 1918, archives de l’Ecpad, document non coté.
  • [11]
    Henri Fescourt, La foi et les montagnes ou le 7e art au passé, Paris, Publications Photo-Cinéma Paul Montel,
  • [12]
    Ibid.
  • [13]
    L’expression est de Noël Burch, La lucarne de l’infini : naissance du langage cinématographique, Paris, Nathan université, p. 74.
  • [14]
    Émile Vuillermoz, « La Puissance militaire de la France », Le Temps, 26 septembre 1917.
  • [15]
    Le Cinéopse, n° 45, mai 1923, p. 394.
  • [16]
    Elle possède un service qui tire lui-même des positifs pour le public au prix de 1,35 franc le mètre.
  • [17]
    À noter que l’apparition et le développement de la notion de « dépôt de cinématographie historique », dont il est alors question, prolonge, en quelque sorte, le projet que le photographe polonais Boleslas Matuszewski avait eu en 1898. Voir de Boleslas Matuszewski, Écrits cinématographiques. Une nouvelle source de l’histoire. La photographie animée, édition établie par Magdalena Mazaraki, Paris, AFRHC/ Cinémathèque française, 2006.
  • [18]
    E.-L. Fouquet, « Le Musée de l’Histoire », Le Cinéma et l’Écho du cinéma réunis, 11 juillet 1919.
  • [19]
    Ricciotto Canudo, « Films historiques », Paris-Midi, 27 janvier 1923.
  • [20]
    Ricciotto Canudo, Les Nouvelles littéraires, 14 avril 1923.
  • [21]
    Roland Barthes, La chambre claire. Notes sur la photographie, Paris, Cahiers du cinéma/Gallimard/Seuil, 1994, p. 120.
  • [22]
    André Antoine, Le Journal, 10 août 1923.
  • [23]
    Il faut mentionner ici la collection des époux Leblanc. Un couple d’industriels visionnaires qui constituèrent une documentation aussi exhaustive que possible sur le conflit, avant d’en faire don à l’État qui fonda le 23 juillet 1917 la Bibliothèque-Musée de la Guerre, ancêtre de la BDIC qui regroupe aujourd’hui le fonds le plus riche d’Europe sur 14-18.
  • [24]
    Parmi les différentes actions menées, on peut citer, entre autres, le rôle du Comité d’entente des grandes associations internationales qui, en liaison avec la SDN, préconisa l’enseignement de l’histoire par le cinéma pour renforcer la paix (voir communication à la conférence internationale de La Haye, 30 juin-2 juillet 1932, BDIC, fonds F?Res 235/2/1).
  • [25]
    André Antoine, Le Journal, 20 septembre 1924.
  • [26]
    André Antoine, Le Journal, 18 décembre 1927.
  • [27]
    Le film est distribué par la firme Films First National.
  • [28]
    Filma, n°224, 10-23 décembre 1927.
  • [29]
    Voir l’article « Les films de guerre français. Nous avons interviewé les Archives photographiques d’Art et d’Histoire » dans La cinématographie française, 10 décembre 1927.
  • [30]
    Lettre de Paul Ginisty au président de la Chambre syndicale de la cinématographie publiée dans Filma, n° 227, 3 février 1928.
  • [31]
    Paul de la Borie, « Les films de guerre et la pellicule héroïque » dans Ciné-Magazine, n° 3, mars 1930.
  • [32]
    Ibid.
  • [33]
    Maurice Bardèche et Robert Brasillach, Histoire du cinéma, Paris, édition Denoël, 1935 (nouvelle édition en 1943), p. 82.
  • [34]
    Abel Gance, en 1937, en montrant dans son nouveau J’accuse d’authentiques gueules cassées, cherche à marquer les esprits, mais surtout à « faire souffrir » les spectateurs en leur proposant des images insupportables. On pourrait ajouter que Jean-Luc Godard, avec le montage d’images d’atrocités provenant d’archives diverses situé au début de Notre musique (2004), procède selon la même logique.
  • [35]
    L’Action française, 3 mai 1935.
  • [36]
    Henry Malherbe, préface du livre de Jacques Meyer, La Biffe, Paris, Albin Michel, 1928, p. 10.
  • [37]
    Jean Norton Cru, Du témoignage, Jean-Jacques Pauvert éditeur, 1967, p. 28.
  • [38]
    Ce film, qui est une coproduction avec l’Allemagne, appartient à une série télévisuelle intitulée Trente ans d’histoire. Voir à ce sujet la communication de Matthias Steinle, « Regard franco-allemand sur la Première Guerre mondiale : la série Trente ans d’histoire à l’ORTF en 1964, un projet de réconciliation au sein d’une commémoration gaulliste », lors du colloque « La guerre après la guerre. Images et construction des imaginaires de guerre dans l’Europe du XXe siècle » qui s’est tenu du 25 au 27 avril 2007 à l’Ina.
  • [39]
    Sur ce point, voir Annie Kriegel, Marc Ferro, Alain Besançon, « Histoire et cinéma : l’expérience de la Grande Guerre », Annales ESC, 1965-2, pp. 327-336 ; et l’interview de Marc Ferro, à la fin de ce numéro, où il évoque les conditions de travail sur ce documentaire.
  • [40]
    Cécil Saint Laurent, 14-18, Solar, diffusé par les Presses de la Cité, 1964, p. 11.
  • [41]
    Pour une description détaillée de ce dispositif, voir le texte que le couple a publié dans Trafic, n° 13, hiver 1995.
  • [42]
    Christian Metz, Langage et cinéma, Paris, éditions Albatros, 1977, p. 202.
  • [43]
    Voir François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil / La librairie du XXIe siècle, 2003.
  • [44]
    La peur du vide, des absences, conduit aussi de plus en plus à avoir recours à des reconstitutions. D’où la multiplication des docu-fictions où l’on montre tout. Alors que les manques dans les images d’archives font sens et qu’il faudrait plutôt tenter de les expliquer.
  • [45]
    La Première Guerre mondiale en couleurs : Simon Berthon, scénario ; James McConnel, composition musicale ; Michel Blin, voix. 2 DVD ; TF1 vidéo 2005, 16/9, coul. (Pal), son., stéréo.
  • [46]
    Georges Didi-Huberman, Images malgré tout, Paris, Les Éditions de Minuit, 2004.
  • [47]
    Jacques Rancière, Le partage du sensible : esthétique et politique, Paris, La fabrique éditions, 2000, p. 60.
  • [48]
    Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire, XIV », Gesammelte Shriften I-2, Suhrkamp, 1980, p. 701.

1En France, le goût de l’histoire, qui a longtemps joué un rôle primordial dans la construction et le renforcement de l’identité nationale, demeure très affirmé. Cela explique le succès constant des fictions historiques et l’attrait du patrimoine monumental auprès du grand public. Évidemment, cette histoire s’écrit dans un cadre culturel où se font entendre d’autres voix que celles des historiens patentés. Son évolution s’inscrit au croisement de multiples influences. C’est particulièrement vrai pour la Grande Guerre. Parce qu’elle occupe une place essentielle dans le XXe siècle et la mémoire collective, sa médiation s’effectue de diverses manières [1]. D’où les innombrables récits la concernant et, plus particulièrement du côté du cinéma, les nombreux documentaires dont les matériaux de prédilection sont des archives. Une production considérable qui se poursuit aujourd’hui, notamment à la télévision, au moment des inévitables commémorations. Après avoir évoqué la mise en place, pendant le conflit lui-même et après, de fonds d’archives regroupant toutes les vues de guerre enregistrées, nous proposerons un petit panorama parmi les films de montage. Notre objectif n’est pas de dresser une typologie exhaustive des catégories existantes, mais seulement d’évoquer quelques exemples emblématiques et significatifs afin de voir comment les images de 14-18 ont été utilisées a posteriori.

2En d’autres termes, il s’agira d’examiner, à travers cet échantillon, la variété des stratégies discursives mises en œuvre à partir de ces traces de vérité que sont les archives, pour tenter de transmettre de l’histoire. Pour simplifier, on pourrait dire que cela va de l’illustration imitative, qui reste toujours le modèle dominant (on suppose que les images parlent soi-disant d’elles-mêmes, et on leur assigne alors le rôle de caution historique, ou on leur demande d’illustrer un discours historique), jusqu’à des créations très personnelles, où l’on accorde une attention particulière au pouvoir suggestif des images (les archives sont moins la matière où puiser des faits historiques que le terrain d’une possible réflexion pour une forme d’intelligibilité du passé, y compris en sollicitant un imaginaire fictionnel : on injecte de la narration dans ces images disparates aux connotations multiples, afin de produire des effets faisant sens, mettant en perspective le temps historique).

La vérité des images enregistrées

3Lorsque l’on regarde des documentaires historiques, on constate, dans la majorité des cas, que les images tournées tout au long du XXe siècle servent de support au commentaire en voix off. Elles sont à la base, pourrait-on dire, du travail de reconstruction filmique de l’histoire, sans que l’on sache toujours très bien dans quelles circonstances elles ont été captées. Le procédé est ancien. Cependant, depuis quelques années, on assiste au retour en force des films à base d’archives, y compris sur des chaînes et à des horaires habituellement dédiés au divertissement. Dans la plupart de ces productions, de facture assez classique, les réalisateurs procèdent à des compilations d’images pour accéder à une vision plausible de la réalité. Agencées au sein d’un dispositif plus ou moins sophistiqué, celles-ci sont utilisées et recyclées comme des données référentielles. D’ailleurs, beaucoup plus en fonction de la valeur historique qu’on leur attribue, que du savoir que l’on a d’elles. Au-delà de l’aspect « documents inédits », dont on parle systématiquement pour faire la promotion du genre [2], force est de constater que c’est leur traitement dans le film qui importe. Avec le recul, n’importe quelle image peut susciter une interprétation et une réinterprétation grâce aux possibilités qu’offre le montage (d’où l’expression connexe « film de montage » pour désigner les assemblages d’archives). La tâche qui s’impose au cinéaste est de pénétrer les documents filmés. Il doit en révéler la singularité, et pas uniquement se servir de leur apparence extérieure pour illustrer ses idées. Car l’historicité des images ne repose pas sur leur aptitude à rendre plus ou moins bien compte du réel auquel elles se réfèrent, mais dépend de la représentation qu’elles en donnent. De même, faire de l’histoire, dans un film comme dans un livre, ne consiste pas à la revivre, mais à l’expliquer. En fait, comme le souligne Arlette Farge, la signification historique du cinéma réside moins dans sa capacité à saisir la réalité que dans son aptitude à l’organiser : « Le document enregistré, pas davantage que l’archive, n’a d’intérêt historique en lui-même. Tout dépend de la manière dont le cinéaste ou l’historien interviennent à partir de lui ou d’elle. La mise en scène est indispensable, c’est elle qui rend compte et fait sentir une réalité. C’est une intention, ou une morale au bon sens du terme, qui fait surgir l’historicité[3]. » De ce point de vue, le montage, qui permet la présentation et l’enchaînement des faits, l’articulation des matériaux visuels et sonores, le rapprochement entre l’image et les mots, est absolument fondamental. En plus de sa fonction syntaxique et ponctuative, c’est lui qui produit le sens. Par conséquent, ce sont les différentes formes d’appropriations des archives, dont la signification, ou la signification présumée, peut varier d’un usage à l’autre, d’une époque à l’autre, d’un champ historiographique à l’autre, qu’il faut questionner.

La Section photographique et cinématographique de l’armée (SPCA), créée en 1915 et située au Palais Royal rue de Valois, est une organisation chargée de la production et de l’archivage systématique des documents (photographies et films) concernant la guerre. On voit ici la salle publique de consultation des collections (document BDIC).

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La Section photographique et cinématographique de l’armée (SPCA), créée en 1915 et située au Palais Royal rue de Valois, est une organisation chargée de la production et de l’archivage systématique des documents (photographies et films) concernant la guerre. On voit ici la salle publique de consultation des collections (document BDIC).

4S’agissant de la Première Guerre mondiale, les images emblématiques, qui occupent le devant de la scène publique, on pourrait même dire qui appartiennent à la mémoire collective, sont souvent des « faux » [4]. Des scènes de fiction reconstituées longtemps après les faits. Phénomène étonnant au regard des innombrables vues qui ont été prises pendant le conflit lui-même. Il faut en effet rappeler que, dès le début des hostilités, les belligérants se préoccupent non seulement de se servir des images comme moyen d’information (et de propagande), mais aussi de la nécessité de rassembler des archives photographiques et cinématographiques de la guerre. Convaincus que le sort de l’humanité toute entière se joue dans l’affrontement, tous veulent garder des traces de cet événement extraordinaire. Les défenseurs d’un tel projet mettent alors en avant l’idée selon laquelle l’image, fixe ou animée, peut enregistrer l’histoire réelle. C’est ainsi qu’est créé en France, au début de l’année 1915, un Service photographique et cinématographique des armées (SPCA) dont les objectifs sont à la fois d’assurer une « propagande loyale » à l’aide de documents authentiques, et de constituer des archives du futur dont la sincérité sera, dit-on, irrécusable pour l’historien [5]. Un double objectif qu’un des fondateurs de cette section spécialisée dans l’image de guerre, l’historien de l’art Pierre-Marcel Lévy, dit Pierre Marcel, présente de la façon suivante : « Puisse la contribution qu’elle apporte à l’histoire de la grande guerre remettre au point, par son impartialité brutale, les allégations mensongères opposées aux témoignages que, trop bénévolement, nous avions cru, jusqu’à cette heure, suffisants ! Puisse le monument que ses archives constitueront perpétuer pour nous, qui les avons conçues et admirées avec tendresse, le souvenir des merveilles anéanties par le barbare, et fixer pour le monde, dans le temps, le vestige de tant de trésors, souillés et bouleversés ![6] » Sur le thème des destructions occasionnées par l’ennemi [7], dont il est question ici, il est intéressant de noter que les deux objectifs de la SPCA se confondent. En effet, filmer les villes et les monuments en ruines permet de dénoncer la barbarie adverse, tout en constituant des archives qui pérenniseront les souffrances de la France et faciliteront sa reconstruction une fois la guerre terminée.

5Afin d’emmagasiner le plus possible d’images du déroulement du conflit, les autorités civile et militaire augmentent rapidement le nombre des opérateurs sur le terrain [8]. Le tri entre les vues destinées aux bandes d’actualité montrées au public et celles uniquement conservées comme archives est effectué rue de Valois, dans les locaux du ministère des Beaux-Arts. Le fonds ainsi rassemblé est exceptionnel. Devant l’afflux incessant de matière, sont créés des albums photographiques (collection classée géographiquement ou par sujet) et, pour les films, un système de fiches divisées en une série alphabétique de noms de personnes et de lieux. Le tout vise à faciliter la consultation. Pour la première fois le cinéma (et la photographie) se voit donc confier une double mission, à la fois d’information quotidienne et de documentation historique. Ce qui fait dire à Émile Vuillermoz, le célèbre critique du journal Le Temps : « Une de ses fiertés, une de ses gloires, sera évidemment d’avoir pu écrire, au jour le jour, l’histoire de la grande guerre, d’avoir fixé les divers aspects du cataclysme et éternisé d’héroïques souvenirs[9]. » En fait, dans les deux cas, nous sommes face à un régime de croyance fondé sur l’idée que la valeur de preuve des images prises sur le vif serait supérieure à tous les autres documents. Une conviction qu’exprime très clairement Camille Bloch, inspecteur général des archives et des bibliothèques, dans le rapport qu’il adresse au ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts en mai 1918 : « Il ne peut, je crois, pour connaître rétrospectivement la réalité concrète, y avoir de témoignage supérieur à celui que fournit l’impression directe des objets sur une plaque par un procédé purement mécanique. Le témoignage humain qui est la base la plus commune des travaux historiques, quelque sincère et intelligent qu’il soit, passe, à juste titre, pour incertain, parce qu’entre la réalité et l’historien s’interpose la personnalité morale ou l’œil du témoin. De là surtout viennent les difficultés de ce qu’on appelle la critique historique (...). Au contraire, l’image matérielle et immédiate de la réalité ne peut être contestée. Une vaste collection de semblables images documentaires, comme celle qu’a formée la SPCA, rendra fatalement de grands services aux historiens. Ajouterai-je que photographies et films pouvant être aisément multipliés et répandus à foison dans le public, l’histoire aussi bien populaire que savante de la guerre par l’image pourra longtemps être faite dans tous les pays[10]. » Cette idée que les images enregistrées seraient des gages de vérité et deviendraient des sources incontournables pour la démarche historique nous apparaît aujourd’hui comme une naïveté épistémologique, mais elle était courante à l’époque.

Un laboratoire photographique de la SPCA, rue de Noisiel, en août 1915 (document BDIC).

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Un laboratoire photographique de la SPCA, rue de Noisiel, en août 1915 (document BDIC).

6En ce qui concerne l’usage des images documentaires, hormis les bandes d’actualité qui sont leur principale destination, il n’est pas rare d’en trouver à l’intérieur de certains longs métrages de fiction. Cette pratique, comme l’a signalé dans son ouvrage le cinéaste Henri Fescourt, découle des habitudes des metteurs en scène des firmes Pathé ou Gaumont qui, dès avant 1914, « afin de corser les explosions, les accidents, les incendies, les naufrages de leurs drames, cherchaient des vues documentaires dans les réserves de la maison[11] ». Fescourt ajoutait : « Combien de fois moi-même n’ai-je pas agi de la sorte ![12] » Ce procédé permet d’entourer la structure fictionnelle d’un halo d’authenticité. En utilisant ces « équivalents réels » intercalés parmi les scènes jouées, on intensifie le récit, on le rend plus « vrai », on lui confère un « label de réalité[13] ».

Locaux de la SPCA du Palais Royal en août 1915 : ci-dessus, salle de tirage photographique ;

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Locaux de la SPCA du Palais Royal en août 1915 : ci-dessus, salle de tirage photographique ;

et ci-dessous, salle de séchage pour les tirages photographiques (document BDIC).

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et ci-dessous, salle de séchage pour les tirages photographiques (document BDIC).

7Plus intéressant encore, à partir de 1916, des réalisateurs travaillant pour les services officiels essayent, en juxtaposant des plans tournés dans différentes circonstances, d’organiser un tout cohérent. De ce point de vue, la démarche d’Henri Desfontaines (un cinéaste aujourd’hui oublié) doit être mentionnée. Il accomplit en effet des compilations d’images autour d’un sujet ou d’un thème donné dans des formats de type court ou long métrage. De plus, il innove en réalisant des documentaires ayant une trame fictionnelle. Par exemple La Puissance militaire de la France, qui date de 1917, montre l’effort de guerre accompli par le pays, à l’avant et à l’arrière. Le cadre choisi est une conversation entre le maréchal Joffre et le général Pershing. Le premier semble répondre à une question de son interlocuteur américain et explique au spectateur ce que la France a dû faire, depuis le début des hostilités, pour tenter de l’emporter. Et l’évocation de cet investissement se réalise sous nos yeux par l’intermédiaire d’un imposant assemblage d’images enregistrées pendant trois ans. Vuillermoz, qui s’enthousiasme pour ce film, n’hésite pas à parler d’une nouvelle écriture par l’image de l’histoire contemporaine : « Car le cinéma, sans altérer en rien la vérité, est le plus merveilleux des conteurs, et l’on sent bien qu’il faudrait un poète et un historien de génie pour donner de la guerre un raccourci aussi puissant et aussi émouvant que ce récit sincère et bref d’un témoin oculaire qui ne fait pas de littérature !...[14] »

8Cette tendance se présente sous une forme encore plus saisissante dans plusieurs réalisations juste après l’armistice. C’est le cas, en 1919, avec un film comme La suprême épopée, encore de Desfontaines. Cette fresque rétrospective de la guerre composée de plans documentaires trouvés dans les stock-shots, accompagnée d’un poème d’André Legrand et d’une musique de Camille Erlanger, est entrecoupée de scènes tournées avec des acteurs. Dès ce moment-là, apparaît ce qu’on pourrait appeler un culte des images d’archives basé sur leur capacité à témoigner du passé récent. Culte qui ne cessera de s’accroître par la suite.

La sacralisation des images d’archives

9Parce que les images captées sur le vif sont capables de créer l’impression qu’elles montrent les événements tels qu’ils ont eu lieu, elles font l’objet, pendant toute la guerre, d’une attention particulière. Pourtant, en 1919, au moment de la fermeture de la SPCA, le gouvernement français refuse de créer un nouveau service. Pour assurer la pérennité des vues enregistrées entre 1914 et 1918, l’État préfère constituer une société anonyme : les Archives d’Art et d’Histoire. Créée avec l’approbation des ministères de la Guerre, et de l’Instruction publique (qui met à sa disposition des locaux dans les sous-sols de la cour du Palais-Royal), cette structure n’est pas, à proprement parler, une entreprise commerciale [15]. Dirigée successivement par des fonctionnaires des Beaux-Arts (Ratouis de Limay, Guérard, et Morancé), elle est rendue concessionnaire d’un fonds riche d’environ 2 000 films et de 120 000 clichés qu’on considère comme un témoignage historique du plus haut intérêt. Des documents dont elle peut vendre des copies. C’est ainsi que plusieurs firmes cinématographiques de différentes nationalités s’adressent à elle pour la réalisation de films de montage [16]. Mais de nombreux professionnels estiment que cette société ne présente pas les garanties suffisantes, et réclament la création de ce qu’ils ne nomment pas encore une cinémathèque pour conserver cette formidable collection [17]. On parle plutôt d’un « Musée de l’Histoire », d’un « lieu sacré » qui serait plus adapté pour des documents dont la portée sociale a été, et, selon eux, sera encore à l’avenir, considérable : « La section photographique et cinématographique de l’armée qui a eu l’insigne honneur de prendre toutes les actions d’éclat de guerre et qui, depuis l’armistice continue à accaparer pour elle seule, tous les faits qui marquent une date au cadran de l’Histoire, la section cinématographique se doit, à elle-même, avant de terminer ses travaux, de constituer les éléments d’un Musée cinématographique qui permettra aux générations futures de revivre par l’image la glorieuse épopée de 1914-1918. Les historiens devront s’appuyer sur ces documents visuels pour décrire cette guerre, et la légende, espérons-le, ne pourra plus faire place à la réalité (...). Cette guerre peut être la dernière, à la condition que les générations futures n’ignorent rien de la Vérité[18]. »

10Il est caractéristique que la problématique de l’historicité des images, et de leur appropriation par une instance énonciatrice pour raconter l’histoire, qui est un des éléments du débat sur les archives au début des années 1920, soit abordée dans les textes du critique et théoricien du cinéma Ricciotto Canudo. Il affirme ainsi, dans un article publié par Paris-Midi, que les actualités ont une incontestable dimension historique : « Je ne crois pas que le titre “films historiques”, donné à une catégorie particulière de la production cinématique, soit exact. Il ne l’est point, en effet. Ces films n’ont d’historique que l’évocation de certains milieux ou de certains personnages du passé ; la qualité et la manière de cette évocation, les traits plastiques des reconstitutions d’ambiance, le type même des personnages et de leurs costumes, ainsi que leurs attitudes et leurs gestes, tout cela ne saurait être autre chose qu’un déguisement complexe de notre temps. Les seuls films historiques, dans le sens pur et émouvant du mot, sont évidemment ceux que l’on appelle au cinéma les Actualités, dont les plus tragiques demeurent les documentaires de la guerre. Les autres, ce sont des films en costumes. On en usera, et surtout on en abusera de plus en plus[19]. » Trois mois plus tard, il va encore plus loin en publiant un autre texte, dans Les Nouvelles littéraires, où il démontre combien il est nécessaire de dépasser la lecture référentielle des images pour en extraire leur substance documentaire : « La guerre est finie, dit-on. Il y a des tonnes de pellicules qui gisent quelque part, inutilisées, depuis que le fameux bureau du Cinéma de l’Armée a cessé de fonctionner. Cette matière inerte se meurt lentement dans ses boîtes, ses ronds cercueils de fer blanc, car le film, qui capte la vie, subit comme la vie elle-même la loi de la mort. Il y a là cependant, à côté d’un nombre incalculable de visions inutiles, plus ou moins bien conçues à l’intérieur du pays, une grande quantité de pellicules impressionnées au front véritable, dans la zone véritable de la mort guerrière. Souvent, des films furent tournés dans des conditions tragiques. Souvent, l’opérateur s’est dressé devant le combat comme un témoin héroïque, comme l’historiographe visuel le plus implacable, car si l’émoi de la mort pouvait troubler ses nerfs, rien n’émouvait le froid objectif braqué sur la mêlée. (...) Ces “films de propagande” étaient vraiment les feuilles où s’est inscrite, de la manière la plus moderne, l’histoire contemporaine. Où sont-ils ? Il ne s’agit plus, aujourd’hui, de les projeter sur les écrans du monde, pour susciter la réaction de l’enthousiasme patriotique devant l’horreur des hommes en guerre. (...) Cependant, une société s’est fondée pour la fabrication de films historiques qui vont refaire l’Histoire de France au Cinéma [il fait référence ici à la Société des films historiques qui produira à l’époque plusieurs grosses fictions comme Le Miracle des loups de Raymond Bernard sorti en salle en 1924]. Rarement une besogne n’a été plus vaine. (...) Il serait plus utile et plus beau que l’on sorte de leurs cercueils ronds les films de la guerre, en les triant, en exerçant sur le nombre une sélection éclairée. Il faudrait choisir ceux qui représentent le plus intensément la souffrance des hommes guerroyant dans la nature bouleversée (...). Des poètes sauraient s’inspirer de la beauté tragique des paysages, des groupes humains, des villes tuées, des inoubliables visions équestres, de l’artillerie en marche, des grands réveils et des sublimes crépuscules où les hommes, à même la terre et la boue, semblaient chercher désespérément le sens de la vie (...). Cette matière est là, riche de sa vérité, comme une puissance unique d’émotion. Les poètes pourront chercher et créer, en s’en inspirant, les actions lyriques, nouvelles, sans s’occuper de l’histoire récente qu’elle représente, ni des événements qu’elle a fixés (...). Que de millions va-t-on dépenser pour fabriquer des films de l’Histoire de France, confiés à de vagues auteurs ! Que de vie réelle et magnifique est ensevelie dans les tonnes de pellicules de guerre ! Si l’État le voulait, il pourrait composer un comité de poètes et de peintres capables d’inventer, d’après le document vivant, la Chanson de geste moderne. Si l’on attend davantage, les cercueils de fer blanc des archives cinématographiques de la guerre ne contiendront que des cadavres. Le film sera mort[20]. »

11On peut noter que Canudo parle de documentaires pour désigner les vues d’actualités de guerre (à l’époque, les deux termes sont encore interchangeables). Mais le plus important à ses yeux, c’est que ces images exceptionnelles du conflit deviennent de vraies archives, avec toute l’attention qu’elles méritent. Il craint leur dégradation et leur disparition. Selon lui, une telle perte serait irréparable. Il demande donc aux pouvoirs publics de faire l’effort nécessaire pour en assurer correctement la conservation. Par ailleurs, il y a plusieurs aspects à retenir dans son texte. Notamment l’idée, assez courante à l’époque et déjà évoquée, d’une inégalable capacité des images à reproduire le réel. Dans le cas particulier de la Grande Guerre, selon Canudo (et il sait de quoi il parle en tant qu’ancien combattant rescapé du grand massacre), cette caractéristique prend une dimension supplémentaire. En effet, au-delà de l’exactitude documentaire, il y a la puissance de suggestion du référent (la chose nécessairement réelle qui a été placée devant l’objectif, le « ça-a-été » comme dira Barthes quelques décennies plus tard à propos de la photographie [21]), son pouvoir émotionnel. Le corps des disparus a laissé une trace sur la pellicule, des gestes, quelques instants de vie à jamais perdus. Et les films, à leur façon, peuvent contribuer à sauver de l’oubli les hommes ayant vécu cet événement. Car le cinéma, dit Canudo, est le meilleur moyen de lutter contre l’effacement du temps. Cette idée que l’on pourrait conjurer la mort en projetant des images rejoint, d’une certaine façon, la position de Michelet qui pensait qu’à l’historien revient avant tout la tâche de défendre la mémoire et de rendre justice aux hommes délibérément ignorés. Dans ces conditions, les archives visuelles de 14-18 deviennent l’incomparable souvenir de l’existence et de la mort des soldats. Comme une présence ténue de l’absence. De ce point de vue Canudo devance Bazin et sa théorie sur la valeur ontologique de l’image selon laquelle l’archive filmée sert à sortir les disparus d’une seconde mort. Ensuite, il considère que ces images, dont les potentialités sont immenses, si elles sont bien utilisées, peuvent servir à une écriture visuelle de l’histoire à nul autre pareil. Mais dans le même temps, il prétend, de façon paradoxale, que cette écriture doit dépasser le côté informatif des documents iconographiques pour tendre vers une poétique de la réalité. Il souhaite en effet que ces images deviennent une matière première pour diverses formes de création. On pourrait résumer ainsi son projet : les archives filmiques de la guerre ; entre sources historiques et sources d’inspiration artistique.

Salle de classement des clichés de la SPCA au Palais Royal en 1916 (document BDIC).

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Salle de classement des clichés de la SPCA au Palais Royal en 1916 (document BDIC).

Vers une cinémathèque nationale

12Cette question de la sauvegarde des films de guerre trouve un prolongement dans une autre prise de position : celle du grand metteur en scène André Antoine. Le fondateur du Théâtre-Libre, pour lequel il posa les premiers jalons du réalisme théâtral, est devenu cinéaste depuis 1914, et chroniqueur pour le quotidien Le Journal. Il écrit ainsi le 10 août 1923 : « Ces commentaires journaliers, à défaut d’autre intérêt, ont celui de provoquer parfois des indications utiles sur certaines questions. Ainsi, à propos de ma petite note de l’autre jour, relative aux vues recueillies pendant la guerre par la SCA que M. Canudo croyait, comme moi, inutilisées et peut-être en danger de disparaître, la direction de la Société anonyme des Archives photographiques d’art et d’histoire me fait connaître que cette entreprise, à laquelle le ministère des Beaux-Arts en a concédé l’exploitation, assure la conservation de ces 200 kilomètres de film, dans lesquels revit d’une façon saisissante l’histoire de la Grande Guerre. Tout cela est catalogué et on en délivre des copies positives soit pour la France, soit pour l’étranger. Donc acte. Ce qui me chiffonne, je l’avoue, c’est d’apprendre qu’il ne s’agit pas là d’un service public, comme une bibliothèque de l’État ; en somme, cette Société, placée sous le patronage du ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, se livre à une exploitation commerciale. Je crois bien que ce que M. Canudo rêvait, comme moi, c’est une histoire cinématographique de la guerre destinée à être remise sous les yeux du public lors des grands anniversaires, de certaines cérémonies commémoratives, où l’on ferait revoir aux assistants, sur les lieux mêmes où ils se déroulèrent, les faits plus éloquents que des discours. Au lieu d’un service officiel qui offrirait aux historiens, à la presse, aux artistes, la possibilité de consulter l’épopée comme un ouvrage quelconque à la Nationale, nous voici en face d’une agence. Après tout, cela vaut mieux que rien et comme le directeur de cette Société spécifie obligeamment qu’il ne manquerait pas, le cas échéant, de se mettre à la disposition des intéressés, remercions-le de nous apprendre que ces émouvantes archives sont en ordre et ne s’émiettent pas sous la dent des rats et des souris[22]. »

La salle de classement des films de la SPCA au Palais Royal en juin 1918. On reconnaît de gauche à droite : le pharmacien aide-major Jougla, le sous-lieutenant Guernieri, le capitaine Delorme, le commandant Schaller et le sous-lieutenant Pierre Marcel (document BDIC).

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La salle de classement des films de la SPCA au Palais Royal en juin 1918. On reconnaît de gauche à droite : le pharmacien aide-major Jougla, le sous-lieutenant Guernieri, le capitaine Delorme, le commandant Schaller et le sous-lieutenant Pierre Marcel (document BDIC).

13On l’aura compris, André Antoine est convaincu, lui aussi, que les images d’archives ont le pouvoir de montrer fidèlement la réalité. C’est la raison pour laquelle il préconise la fondation d’une institution adaptée, qui serait conçue, en complément des lieux regroupant déjà l’immense documentation écrite sur la guerre [23], avec la double volonté, mémorielle, d’entretenir par l’image le souvenir des sacrifices des soldats, et historique, afin de réunir la plus grande quantité de films et de photographies susceptibles d’être utilisés par des chercheurs. Enfin, il partage l’idée de l’intérêt des montages retraçant les étapes du conflit. Ces aide-mémoire, selon lui, peuvent faire prendre conscience à la jeune génération de l’horreur de celle-ci. Il se situe donc dans le courant pacifique qui entend se servir du cinéma comme moyen pédagogique [24]. Un sentiment qu’il développe plus longuement quelques semaines plus tard : « Doit-on laisser à tout jamais enfouis dans des oubliettes les films de guerre tournés sur les lieux mêmes, jusqu’à ce que le temps ait détruit ces tragiques documents, ou, au contraire, faut-il les mettre sous les yeux de nos enfants pour qu’ils sachent ce que fut vraiment une époque dont l’horreur se voile déjà sous les lauriers et les drapeaux ? La question est très discutée en ce moment par certains écrivains et deux courants très nets et très opposés se sont dessinés. Les anciens combattants, qui, même durant l’épopée, évitaient de laisser apercevoir leurs surhumaines souffrances lorsqu’ils venaient parmi nous, sont presque tous d’avis que la résurrection de ces heures hallucinantes serait inopportune ; pour eux, le silence s’impose. D’autres, au contraire, pensent que ce silence deviendrait peu à peu l’oubli, et l’oubli dangereux, surtout pendant une période qu’il faut prévoir encore longue, où le fantôme de la guerre demeure obsédant. Lorsque se débattent des intérêts dont dépend leur destin futur, les jeunes générations n’ont-elles pas le droit de connaître l’horreur d’événements qu’elles peuvent revoir un jour ? Certes, les terribles anticipations que nous laissent entrevoir les études actuelles de nos savants peuvent les renseigner, mais rien ne remplace la réalité. Et enfin, faut-il garder secrets tant de glorieux épisodes de la plus grande et la plus héroïque aventure que la France aura traversée ? Évidemment non (...). Avons-nous déjà peur de regarder la vérité en face et allons-nous nous endormir encore dans la trompeuse sécurité d’autrefois ?[25] » Parce qu’il pense que l’action publique devrait porter une attention plus soutenue à ce trésor iconographique afin de mieux le conserver, tout en lui donnant une nouvelle visibilité, Antoine considère que le vrai danger réside dans le commerce des images de guerre et les abus qui peuvent en découler. Il l’écrit de nouveau dans un texte publié le 18 décembre 1927 : « S’il faut en croire, et il le faut, M. Pierre Marodon, l’un des plus distingués serviteurs de l’écran [cinéaste et écrivain, réalisateur de cinéromans et de sérials, surtout connu pour son Salammbô dont le succès en 1925 fut important], la section cinématographique de l’armée ne traiterait pas avec une égale bienveillance tous ceux qui, pour leurs travaux, feraient appel à ses importantes collections de documents. C’est ainsi qu’elle aurait réservé en exclusivité des négatifs appartenant à ses archives, non seulement pour des films patriotiques, mais encore à certains représentants de firmes anglaises. Il va sans dire que pour des bandes patronnées par les présidents des Aveugles de guerre et des Gueules cassées, ce privilège est de droit, car leur produit a fait entrer dans les caisses de ces associations un argent précieux. Mais, on voudrait, au moins, que le concours de nos archives cinématographiques fût assuré également à tous. M. Pierre Marodon signale aussi les inconvénients de projeter devant le public des scènes de guerre prises sur le terrain même, et dit avoir assisté à des incidents douloureux : des parents reconnaissant dans les poilus passants sur l’écran des enfants morts ou disparus. L’objection est grave, car si, en certaines circonstances, commémoratives, officielles par exemple, ces emprunts peuvent se justifier par un intérêt historique, leur emploi devient plus contestable lorsqu’ils sont faits en vue d’opérations commerciales[26]. »

14On retrouve ici cette idée très forte que, dans la société française en deuil de l’après-guerre, le cinéma peut combler un vide en faisant réapparaître les disparus. L’image, pour les familles, symbolise le manque, tout en devenant le lieu d’une possible identification. Et l’on pourrait presque dire que le film, telle une relique, renvoie à quelque chose de charnel du mort, d’un corps qui, dans bien des cas, n’a jamais été récupéré. D’où la réaction d’André Antoine (il est d’autant plus concerné que ses deux fils sont morts en combattant) qui conçoit mal que ces précieuses archives puissent devenir une simple marchandise, un article de vente. Et il n’est pas le seul, si l’on en croit les articles d’auteurs indignés qui, dans la presse spécialisée, accusent l’État de faillir à sa mission. La polémique éclate à propos du film de montage Pour la paix du monde. Ayant bénéficié du soutien de l’association des Gueules cassées [27], le producteur aurait pu obtenir en exclusivité certains documents rares. C’est alors que la revue Filma publie, en décembre 1927, une lettre ouverte au ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts pour attirer son attention : « Nous sommes quelques-uns, dans la corporation cinématographique, et notamment parmi ceux qui ont fait la guerre, à nous inquiéter sérieusement des films réalisés par la Section cinématographique de l’armée et qui devaient être conservés par les Archives d’Art et d’Histoire que nous considérons comme la cinémathèque nationale la plus sacrée[28]. »

15Aussitôt après cette affaire, bien que les Archives d’Art et d’Histoire aient été mises hors de cause[29], Paul Ginisty, directeur du service cinématographique au ministère de l’Instruction publique, annonce que son ministre de tutelle, sensibilisé aux inconvénients que présentent les films mélangeant des vues de guerre authentiques à des scènes de fiction dramatique ou comique, décide que désormais il ne leur accordera plus de visa. Le ministre, affirme Ginisty, « estime que les événements tragiques de la guerre, qui rappellent tant de deuils et de souffrances ne sauraient être travestis dans un but commercial[30] ». En réalité, cette décision politique n’aura pratiquement aucune influence, de nombreux films utilisant des archives seront encore réalisés, et des inquiétudes continueront à s’exprimer. On peut ainsi lire dans Ciné-Magazine en 1930 : « Il [l’État] ne devait à aucun prix se dessaisir de ces négatifs, qui voyagent actuellement d’une usine de tirage à l’autre, dans des conditions inévitablement hasardeuses. Et comment pouvons-nous avoir la certitude qu’il ne s’en égare pas ? Comment s’assurer qu’il n’y est pas pratiqué de coupures équivalant à des mutilations ? (...) J’ai eu personnellement l’occasion de passer en revue les richesses accumulées dans les étroits et sombres locaux du Palais-Royal, où la société “Les Archives d’Art et d’Histoire” tient boutique de documents de guerre. (… ) le visiteur échappe difficilement à l’émotion qui se dégage d’un tel milieu, qui imprègne une telle atmosphère. Autour de soi, partout dans des boîtes de fer, dans des enveloppes de carton, dans des casiers, sur des étagères, dans des paniers, s’entassent des rouleaux de pellicule cerclés d’une étiquette : La Marne ; La Somme ; Le Chemin-des-Dames ; Le Fort de Vaux ; Verdun ; Reims ; Clemenceau ; Foch ; Mangin... Et vous n’avez qu’un signe à faire, un désir à exprimer, aussitôt paraissent sur l’écran la scène choisie, le grand mort convoqué. Tout ce que nous avons vécu, enduré, souffert pendant quatre années atroces est inscrit là et revit et se répète au commandement ![31] » On mesure, une fois de plus, en lisant ces lignes, à quel point la sacralisation des images est importante. Et la crainte de leur détérioration renvoie à l’angoisse de l’effacement des traces des soldats morts sur le champ de bataille. L’auteur de l’article considère, d’ailleurs, le film comme un être vivant, il parle de la pellicule comme d’un corps pouvant être amputé, voire disparaître. Il conclut en revenant sur la spécificité du cinéma et son incomparable dimension mémorielle : « Jamais en aucun lieu, devant aucun écran, je n’ai mieux compris l’immense portée, l’incomparable grandeur du cinéma[32] » dit-il. Un sentiment partagé par les historiens du cinéma Maurice Bardèche et Robert Brasillach qui écrivent en 1935 : « Telles quelles, elles ne sont pas de l’art, mais une sorte de prise directe sur la vie (...). Il faut voir dans ces bandes inconscientes, filles du hasard d’heure terribles, le chef-d’œuvre du cinéma pendant la guerre[33]. »

Affiche : collection Historial de la Grande Guerre.

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Affiche : collection Historial de la Grande Guerre.

Les vertus pédagogiques des images d’archives

16L’élan de commémorations qui se développe à partir de 1927 suscite divers projets de films. La plupart sont présentés comme ayant une vocation pédagogique. Le but explicitement assigné aux images d’archives est alors ambitieux : empêcher que les jeunes générations fassent de nouveau la guerre. C’est notamment l’objectif du Film du poilu d’Henri Desfontaines, et des Hommes oubliés d’Alexandre Ryder, qui sortent respectivement en 1928 et 1935. Tous deux dressent un réquisitoire cinématographique contre la guerre qui réduisit les combattants aux limites extrêmes de la condition humaine. Pour cela, ils adoptent un dispositif scénique assez proche qui convoque et combine fiction, documentaire, archives et témoignages. Dans Le Film du poilu, le récit s’organise de la façon suivante : Marcel Lambert, un artiste peintre ancien combattant, épris de sa voisine, une jeune veuve de guerre, décide de projeter chez lui un montage synthétique de vues du conflit réalisée par un ami metteur en scène à partir d’archives internationales. Cette projection est organisée à l’attention du fils de la veuve et de ses camarades du quartier pour les dissuader de jouer à la guerre afin de les détourner de toute tentation belliqueuse lorsqu’ils seront adultes. Au début des Hommes oubliés, on découvre devant une école un quinquagénaire écoutant une conversation entre trois enfants qui parlent du cours d’histoire sur la guerre de 14-18 : les gosses avouent n’y rien comprendre, et l’un d’eux dit : « Oh la barbe, et puis on n’y était pas ! » Ensuite, on retrouve l’homme témoin de cette scène dans une salle de cinéma entouré d’amis : il y a là un Américain, un Allemand, un Italien, un Anglais, un Belge et un Russe. Tous sont présentés comme étant des anciens combattants. Le Français dit alors : « Et voilà la mentalité actuelle, on a tout oublié ! Eux, ce sont des enfants, mais les autres, c’est plus grave car leur oubli est volontaire. (...) Il faut qu’ils voient ce que ça été ! Évidemment, il y a beaucoup de personnes qui préféraient lire les contes de La Fontaine, mais il est tout de même indispensable qu’il existe pour plus tard un film authentique, exact sur la guerre. » Il se tourne alors vers la caméra, autrement dit vers les spectateurs, donc vers nous, et dit : « C’est ce film que nous allons vous présenter. » Le public est ainsi directement interpellé, et se retrouve impliqué dans le dispositif du film. D’ailleurs, il est amusant de constater que la suite préfigure en quelque sorte l’émission Histoire parallèle, qui sera présentée par Marc Ferro de 1989 à 2001 sur La Sept puis sur Arte. En effet, les anciens combattants interviennent régulièrement pendant la projection comme des témoins, des analystes qui commentent les images.

17En fait, il y a plusieurs niveaux de discours. Le film narre l’histoire événementielle de la guerre (point de vue didactique très franco centriste) par le biais d’une voix off qui accompagne la bande image constituée de plans d’archives. Simultanément, il exprime le point de vue des anciens combattants qui interviennent ponctuellement en fonction des vues qui défilent sous leurs yeux ou en faisant des remarques plus générales. Par voie de conséquence, le discours est à la fois une histoire mémoire (ils témoignent de leur expérience respective, échangent des souvenirs), une histoire critique (ils dénoncent les graves conséquences socio-économiques de la guerre) et une prise de position politique (ils mettent en garde contre les risques que sécrète la modernité, les dangers de la course à l’armement et les menaces de nouveaux conflits). Les images d’archives servent de médiation pour transmettre un message aux jeunes générations et lutter contre l’amnésie des parents. Il s’agit donc d’instruire, de réveiller les consciences trop tranquilles, d’empêcher l’oubli. La crainte que la paix soit menacée apparaît d’ailleurs comme la principale motivation de ce film réalisé dans un contexte de tensions internationales très fortes, avec la dictature fasciste en Italie, le conflit sino-japonais depuis 1931 et l’arrivée des nazis au pouvoir en Allemagne en janvier 1933 (Hitler a abandonné la Conférence sur le désarmement). Une montée des périls qui a pour effet de renforcer considérablement le pacifisme de toutes les associations d’anciens combattants. Depuis Locarno en 1925 et l’admission de l’Allemagne à la SDN en 1926, les temps ont changé, le cinéma aussi. Les films s’attachent désormais à établir un distinguo entre le peuple allemand et ses dirigeants. On trouve cet état d’esprit dans Les Hommes oubliés. le narrateur, l’ancien combattant français, présente, en effet, son homologue allemand comme un de ses amis d’avant-guerre : « Il aurait pu me tuer à Verdun » dit-il, mais il ajoute aussitôt en le prenant par l’épaule : « C’est l’homme le plus doux que je connaisse ! »

Dans le Film du poilu (1927), un assemblage d’images d’archives est projeté à des enfants pour leur expliquer l’histoire de la Grande Guerre.

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Dans le Film du poilu (1927), un assemblage d’images d’archives est projeté à des enfants pour leur expliquer l’histoire de la Grande Guerre.

18Ces deux films associent, de façon distincte, une partie fictionnelle et une partie documentaire. Cependant, les images d’archives sont toujours valorisées et isolées du reste par le biais d’une projection cinématographique intégrée au récit. Un carton, monté au début des Hommes oubliés, prévient que certaines vues « valent davantage par leur vérité que par la qualité photographique » et que la projection de certains documents composant le film « n’avait pas été autorisée jusqu’à ce jour ». Affirmation sans doute exagérée, ayant surtout valeur de slogan publicitaire. Pourtant, il est vrai que, sans être les seuls, ces films utilisent des plans qui avaient été censurés pendant la guerre. En effet, à cette époque-là, la question de la légitimité des images violentes, notamment celles représentant la mort, ne se pose plus de la même façon. Préalablement interdites, ces images sont désormais exhibées pour leur valeur répulsive et éducative. Cette démarche, nourrie de la certitude implicite d’une nécessaire surenchère pour forcer les barrières de l’ignorance, de l’indifférence ou de l’oubli, préfigure, en quelque sorte, la multiplication d’images toujours plus fortes, plus terribles, voire insupportables, pour retenir l’attention [34]. Une pratique galvaudée de nos jours par la télévision, au point que l’image filmée semble parfois avoir perdu toute capacité à montrer l’horreur. Précisons que, durant l’entre-deux-guerres, il n’y a pas qu’au cinéma qu’on trouve de telles compilations de vues terribles destinées à marquer les esprits. Jean Galtier-Boissière consacra plusieurs numéros de sa revue Le Crapouillot au même sujet. C’est ainsi qu’en juillet 1935, il publia une anthologie largement illustrée intitulée « Un siècle de gloire militaire, les horreurs de la guerre ».

19Dans Les Hommes oubliés, toute la partie documentaire est conçue comme un patchwork. Or une telle tentative, visant par accumulation d’images d’époque à faire connaître et dénoncer la guerre, n’est pas dépourvue d’ambiguïté. En effet, bien des aspects du conflit restent invisibles, et vouloir le reconstituer avec exactitude à l’aide de cette documentation est une chimère. Alors, pour combler les vides, les auteurs ont recours à divers artifices. Parfois, pour donner plus d’impact à leur montage, pour en accroître la force de persuasion, ils exagèrent les commentaires qui les accompagnent. Cela se traduit par une surenchère sémantique. On parle ainsi de « milliers de braves gens qu’on a forcé à s’entre-égorger », de « l’horreur de la bataille de Verdun », des « pertes effroyables », des « horribles tueries ». Par ailleurs, un examen attentif du film met en évidence de nombreuses insertions de plans de fiction (la plupart proviennent d’un film de 1928 intitulé La Grande épreuve, également réalisé par Alexandre Ryder et produit par Jacques Haïk) au milieu de plans tournés pendant la guerre (scènes authentiques ou reconstituées avec la complicité des soldats dans les zones militaires). Les premiers se mêlent parfois subrepticement aux seconds. Tant est si bien que ces images entrent en résonance les unes par rapport aux autres. Elles n’apparaissent plus comme les originales et les copies, mais comme un compromis avec une réalité impossible à saisir autrement, comme des dérivés d’une même fonction d’adaptation au discours historiographique véhiculé par la voix off et les réflexions des anciens combattants qui discutent du film. Là encore, compte tenu du souci de vérité historique affiché dans les commentaires du film, il est un peu paradoxal de procéder à de tels amalgames d’images.

20Les réactions politiques face à ce genre de film sont variées. À gauche, mis à part le Parti communiste qui condamne tous les films de guerre, on est plutôt favorable à la démarche. Si la droite nationaliste défend également le côté sacré des images de la Grande Guerre et l’intérêt de les montrer, en revanche elle est très critique à l’égard du discours pacifique qui s’élabore entre les nations à partir d’elles. Comme le prouve l’article sur Les Hommes oubliés publié par L’Action française : « Bien que le ton du commentaire soit dans l’ensemble fort acceptable, on a le regret d’observer que jusque dans un tel sujet où l’esprit national devrait s’imposer sans réserve, l’internationalisme démoralisant reçoit un hommage pour le moins inopportun. Ce commentaire, au surplus, est récité assez niaisement par un petit cercle de braves gens qui semblent avoir eu quelque difficulté pour apprendre par cœur leur leçon (…). Il est regrettable que la “supervision” — puisqu’il faut employer de tels mots — de ce film n’ait pas été confiée à un artiste ayant à la fois de la guerre et du cinéma une expérience profonde (...).

21Cela dit, on ne va pas voir un tel spectacle pour ses qualités cinématographiques ou pour le texte qui lui est accolé. On y va pour sa vérité. L’essentiel des Hommes oubliés est formé par des centaines de fragments empruntés aux archives des anciens belligérants (...). La moitié au moins du film est infiniment poignante. C’est la matière brute, jetée en vrac et sans grand art sur l’écran, de la formidable tragédie[35]. »

Les images d’archives de la Grande Guerre sont devenues une sorte de matériau à partir duquel se développe le récit testimonial des anciens combattants. Photogramme du film Les Hommes oubliés (1935).

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Les images d’archives de la Grande Guerre sont devenues une sorte de matériau à partir duquel se développe le récit testimonial des anciens combattants. Photogramme du film Les Hommes oubliés (1935).

22Dans Le film du poilu, le réalisateur émet quelques réserves sur le matériel pictural utilisé. Un intertitre précise en effet qu’« aucun récit, aucune image ne pourra nous donner une idée des souffrances que les soldats ont pu endurer ». L’argument prend tout son sens avec les films réalisés dans les années 1920-30 : « y avoir été » devient alors le postulat de base pour toute tentative de mise en scène de la guerre. Les anciens combattants, qui estiment que leur énorme sacrifice n’a pas été récompensé à sa juste valeur, dénoncent souvent la façon dont la guerre est représentée, en particulier au cinéma. Un état d’esprit que traduit bien cette déclaration de l’écrivain Henry Malherbe en 1928 : « Lorsqu’il s’est agi de composer des films de propagande historique, à l’instar des Américains, c’est à des non-combattants qu’on s’est adressé. Quand on a formé un personnel chargé d’ordonner et de mettre à jour les archives de la guerre, aucun représentant authentique des anciens combattants n’a été appelé. J’en passe. Bientôt les anciens combattants ne seront plus autorisés à évoquer cette guerre dont ils furent trop directement les témoins farouches[36]. » Pour se prémunir contre cette critique, les réalisateurs font donc appel à eux de plus en plus fréquemment. C’est ainsi qu’un carton figurant au début des Hommes oubliés déclare : « Les choix des vues de ce film, leur assemblage, les commentaires, tout est l’œuvre d’anciens combattants de tous les fronts. Aucun d’entre eux n’est un professionnel de l’écran. Tous ont tenu, par désintéressement, à rester anonymes. » Pourtant, il n’est pas inutile de préciser que rien ne nous garantie que cette affirmation soit vraie. Ajoutons aussi que, en ce qui concerne les fictions de guerre, il est frappant de remarquer que dans tous les documents publicitaires diffusés à l’époque les auteurs et les acteurs sont présentés avant tout comme des anciens combattants, des « témoins certifiés[37] » selon l’expression utilisée par Norton Cru. Pour ce faire, on met en évidence, avec une certaine insistance, leur expérience du feu afin de garantir la vérité et la probité du projet auquel ils ont participé. Le corps de l’ancien combattant, témoin devenu acteur, tout en conférant au film sa substance, son authenticité, devient un facteur essentiel de médiation dans la relation qui s’établit avec les spectateurs. Sa présence éviterait en principe toute déformation fantaisiste. Il devient une caution qui assure l’ancrage du sujet dans le réel, tout en renforçant la prétention d’accomplir une œuvre véritablement historique.

Des images qui nous regardent à l’esthétique des ruines

23La plupart des films réalisés durant les décennies suivantes s’inscrivent dans une démarche voisine de celle de la production de l’entre-deux-guerres. Ils sont en effet conçus lors de dates anniversaires importantes, et, avec l’aide d’archives toujours plus nombreuses et inédites, tentent aussi d’appréhender le conflit dans son intégralité en s’appuyant sur un commentaire unificateur. Mais là encore, la logique de l’illustration, qui est au cœur de ces grandes fresques historiques, conduit parfois à être en contradiction avec la rigueur de l’exposé. C’est notamment le cas du documentaire 1914-1918. La Grande Guerre, de Solange Peter, réalisé pour la télévision en 1964 avec l’historien Marc Ferro qui apporte au contenu du commentaire toute la rigueur scientifique nécessaire. Ce film, placé sous le haut patronage du ministère des Anciens combattants et victimes de guerre, ainsi que du comité national des deux anniversaires dirigé par Pierre Renouvin et Henri Michel [38], est une synthèse méthodique de l’événement traité comme phénomène global. En phase avec les exigences du discours historiographique de l’époque [39], les causes, le déroulement et les conséquences du conflit sont analysés à partir de documents de natures variées (extraits de bandes d’actualité, photographies, lettres, affiches, tracts, articles de presse, cartes...) et toutes sortes d’images, y compris de fiction (provenant de La Grande Guerre mondiale de Léo Lasko, Verdun vision d’histoire de Léon Poirier et À l’Ouest rien de nouveau de Lewis Milestone), qui sont amalgamées pour compenser le manque causé par l’absence d’archives. De même, des vues de manœuvres enregistrées pendant les hostilités sont sonorisées afin de donner l’impression d’assister à de vrais combats. Beaucoup de ces images sont mal identifiées et/ou utilisées de façon erronée (par exemple, les évacuations de civils par les Allemands en Picardie en 1916 sont montées en début de film pour illustrer l’exode de 1914 ; de même, il est caractéristique que, pour représenter la bataille de Verdun, qui occupe une place centrale dans le film, on a choisi, entre autres, les plans exceptionnels — et très connus à l’époque de la guerre — de l’assaut saisi devant Dompierre durant l’offensive franco-britannique sur la Somme dont le film, d’ailleurs, parle peu). Cette tendance visant à associer des plans les uns aux autres en dehors de leur contexte de réalisation ne résulte pas seulement du manque de connaissances sur les images, mais découle surtout de l’approche didactique du sujet, de la priorité accordée à la démonstration historique sur la matière visuelle qui lui sert de support. On peut d’ailleurs noter que, par-delà les mutations historiographiques, les évolutions techniques, les clivages idéologiques, les thèmes et les éléments factuels retenus, pratiquement tous les documentaires réalisés depuis lors présentent des traits communs avec ce type de représentation.

24Dans un registre différent, on peut citer 14-18 de Jean Aurel. S’il aborde lui aussi la totalité du conflit dans un ordre chronologique, l’écriture, le style de ce documentaire, qui date de 1962, sont plus personnels que dans l’exemple précédent. Aurel a conçu un montage où le commentaire de l’écrivain Cécil Saint Laurent s’articule parfaitement avec les images d’archives, où la musique et les bruitages sont déterminants. La forme narrative est assez novatrice (par exemple, l’attentat de Sarajevo est traité sur le mode journalistique des actualités télévisées des années 1960). La teneur du texte et le choix de la voix qui le lit, avec son intonation particulière, ne sont pas pour rien dans l’efficacité de l’ensemble. Le ton est incisif, ironique (lorsqu’il s’agit de parler du Kaiser, le commentaire fait preuve d’un humour ravageur), parfois critique (c’est le premier documentaire qui évoque les mutineries de 1917 et dénonce les abus de pouvoir du haut commandement militaire), avec des références explicites à ce que l’on voit dans l’image. Cécil Saint Laurent, parlant de la façon dont il s’était imprégné de la matière archivistique, affirma que le déclic, pour trouver la forme de son récit, survint lorsque Aurel et lui-même découvrirent, parmi la masse des documents, la photographie d’un soldat inconnu dont le visage retint leur attention. Ils imaginèrent ensuite toute la construction du film à travers son regard. « Jean Aurel et moi avons donc, pendant des mois, cherché dans les archives cinématographiques des capitales d’Europe les documents que la tempête de 14-18 y avait laissé comme des épaves ou des alluvions. Les petites salles de projection où nous réanimions de mystérieuses bandes ensommeillées devinrent des cavernes platoniciennes sur la paroi desquelles les ombres se bousculaient, fantômes qui montaient à l’attaque, jouaient au tennis dans la cour d’un hôpital, présentaient les armes à un “grand chef”, entassaient des cadavres ou profitaient d’une permission pour flâner aux devantures. (...) Mais ce qui nous permit d’articuler ces images éparses, de les électriser, fut la découverte d’un visage (…) car ce visage est avant tout un regard (...). Ce sergent inconnu voit, et beaucoup plus loin que le photographe occupé à saisir son image. Il voit la guerre qu’il fait, prévoit la paix qu’il ne fera pas. Sa lucidité est telle qu’après avoir rencontré cet homme nous n’avons plus poursuivi notre film que sous le poids de son regard. Après ce choc nous n’avons pu travailler que par lui et pour lui[40]. » D’ailleurs, la toute dernière image du film est un gros plan sur ce visage (voir photogramme ci-dessus), et la voix que nous entendons semble traduire ses pensées : « Je me suis battu pour que mon fils ne revoie jamais ça ! » dit-elle. La possibilité qu’offrent ces archives d’échanges de regards et d’émotions à travers le temps — que l’on chercherait vainement dans les documents imprimés — a donc été décisive pour élaborer la trame narrative du film. On touche là à l’essence même des images, à cette capacité qu’elles ont parfois à suggérer ce qu’on ne voit pas directement : le hors-champ. Le résultat est une œuvre originale qui exprime un point de vue, une subjectivité, sans pour autant trahir l’histoire, ni dénaturer les archives et leur puissance d’évocation.

C’est à travers les yeux d’un soldat dans 14-18 de Jean Aurel, et d’un enfant dans Oh ! Uomo de Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi, qui nous regardent, que nous découvrons des images de ce gâchis catastrophique qu’a été la Grande Guerre.

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C’est à travers les yeux d’un soldat dans 14-18 de Jean Aurel, et d’un enfant dans Oh ! Uomo de Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi, qui nous regardent, que nous découvrons des images de ce gâchis catastrophique qu’a été la Grande Guerre.

25Bien sûr, il ne faut pas forcément prendre au pied de la lettre le respect de la chronologie des documents filmés. De même, il ne s’agit pas de dire qu’il n’est pas possible de les transformer pour leur octroyer un autre sens. Tout dépend de la façon dont ces interventions sont effectuées. Ainsi, certains réalisateurs ont une conception très esthétique de leur travail sur les archives. À cet égard, l’œuvre des Italiens Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi, avec leur trilogie consacrée à la Grande Guerre — Prisonniers de la guerre (1995) ; Sur les cimes tout est calme (1998) ; Oh !, Uomo (2004) —, est tout à fait intéressante. Depuis une vingtaine d’années, ils font des films dont les images anciennes récupérées dans les cinémathèques européennes constituent la matière unique. Ils ont mis au point une « caméra analytique » qui leur permet d’explorer en profondeur les éléments constitutifs de chaque séquence, plan ou photogramme sélectionné [41]. Un dispositif qui révèle des aspects, des détails de l’image susceptibles d’échapper à notre perception. L’enjeu est d’utiliser de nouvelles possibilités techniques pour mieux voir et aider à comprendre (parfois de façon métaphorique) un passé devenu lointain. Les vues, disparues dans les tourmentes de l’histoire ou devenues invisibles à cause de leur éloignement, retrouvent une seconde existence. Sans être clairement situées, elles sont utilisées comme du temps qui reste, de l’éphémère qui dure et irradie le présent. L’approche des cinéastes se situe donc plus du côté de la poétique que de la vérité dogmatique. À travers une technique de montage semblable au collage de fragments, de débris d’histoire(s), ils tentent en effet d’interroger le sens des archives, d’en proposer des lectures déviantes, afin de créer ce qu’on pourrait appeler une sensation de l’histoire délivrée du poids de son contexte.

26C’est particulièrement frappant dans Oh ! Uomo où les nombreuses images de mutilés, de gueules cassées, et d’aveugles, tout en témoignant de la violence extrême de la Première Guerre mondiale, nous montrent les effets terribles et durables de toutes les guerres. Avec une étonnante intensité de regard, le couple se livre à un travail plastique et éthique de transfiguration, par le teintage, le ralenti, le recadrage, la surimpression et la partition musicale. Là réside l’aspect essentiel de leur démarche, quand le souci esthétique fusionne avec la nécessité historique. Ils procédent ainsi au grossissement de certaines images pour leur donner plus de grain, et mettent en valeur les défauts dus à l’usure de la pellicule. Tout en matérialisant en quelque sorte l’épaisseur des années écoulées, ces dégradations renvoient à une distance de temps et de lieux qui sont des « marques de cinématographicité[42] », pour reprendre la formule de Christian Metz, qui nous disent « ceci est un film ! ». Elles accentuent aussi l’aspect énigmatique des scènes représentées. Mais plus symboliquement, et plus profondément, elles traduisent la fragilité constitutive des choses humaines, car elles évoquent la disparition progressive, la mort. De ce point de vue, on peut dire que les deux cinéastes rejoignent la position de Canudo, avec laquelle nous avons débuté ce texte. On retrouve en effet la même sensibilité à l’émotion qui se dégage de l’archive, le respect des êtres défunts qui, grâce aux images, survivent à leur disparition. À ce titre, on peut évoquer les pâles silhouettes des prisonniers autrichiens et hongrois qui émergent de la brume au début de Prigionieri della guerra, ou bien ces plans presque abstraits de Su tutte le vette è pace montrant des soldats qui glissent sur des pentes enneigées, avant de se changer en ombres inquiétantes, et disparaître sous les taches de détérioration de l’émulsion chimique. Cela nous ramène aussi, indirectement, à la question des ruines qui, nous l’avons vue, est en partie à l’origine de la création des archives de guerre, même si, ici, il s’agit plutôt d’images à l’état de ruines, abîmées par le temps, et de la mélancolie qui s’en dégage. Tout le cinéma de reprise est là, dans cette exorcisation de la mort, cette dimension résurrectionnel-le, cette capacité à atteindre l’essentiel en mettant en évidence la matérialité filmique, en passant par le corps et le visage de ceux qui ont laissé une trace dessus. Des hommes, des femmes, des enfants dont le plus souvent nous ne savons rien. Des êtres sans nom, sans mémoire, devenus des fantômes parmi les décombres de l’histoire. Enfin, on retrouve la même conviction, qui est capitale, qu’il n’y a pas de meilleur moyen pour comprendre ces documents et leur spécificité que d’en proposer un traitement créatif.

27Pourtant, aujourd’hui, dans un contexte où le documentaire est de plus en plus dépendant de la télévision, les archives sont devenues des marchandises comme les autres, qui doivent être consommées. Et l’exigence de facilité, de formatage des programmes destinés à un large public, pousse de plus en plus à « actualiser » le passé, à lui donner un autre statut. Comme le dit François Hartog, ce qui caractérise la période contemporaine, c’est à la fois la perte de l’historicité et la prévalence du « présentisme[43] ». C’est-à-dire la manie de vouloir établir un lien de proximité simpliste avec des événements qui datent de plusieurs décennies, et cela en conformant les images qui subsistent aux modalités de la perception actuelle. La conséquence la plus visible, c’est la colorisation des images [44]. Un procédé qui est supposé les rendre plus accessibles au téléspectateur moyen. Cela revient à dire que la valeur ontologique des archives en noir et blanc n’est plus suffisante, et qu’il est désormais nécessaire de produire de la nouveauté par réincarnation digitale. 1914-1918 : La Première Guerre mondiale en couleurs[45] en est un exemple emblématique. Ce documentaire produit par la BBC en 2003, constitué d’archives colorisées, de témoignages de survivants et d’une voice over très descriptive, retrace l’histoire du conflit de manière globalisante. Lors de sa présentation, la publicité insiste sur le fait que cinq mois ont été nécessaires à des centaines de techniciens pour mettre en couleur des milliers d’heures d’archives, dont le format originel en 4/3 a également été transformé en 16/9e — autrement dit en applatissant le cadrage originel — pour mieux s’adapter aux exigences de la diffusion numérique. À la sacralisation, puis au fétichisme des archives, vient désormais s’ajouter l’argument technologique qui claque comme un slogan publicitaire : « Vous allez voir la guerre comme jamais vous ne l’avez vue ! » Comme s’il fallait absolument rendre ces images plus proches de celles que nous voyons chaque jour sur nos écrans de télé. Comme si cette manipulation était la condition sine qua non pour que l’événement historique se laisse découvrir plus facilement. Sans chercher à se poser en gardien de l’orthodoxie des archives, il faut bien reconnaître que cette pratique est très discutable. Est-ce en appliquant la méthode de la surenchère sensationnaliste des médias — toujours en recherche d’audience maximale —, et de l’artifice spectaculaire dans la restitution du passé, qu’on donnera plus de sens aux images utilisées ? Qu’il nous soit permis d’en douter...

Conclusion

28Les images d’archives, soustraites à l’épreuve du temps, bénéficient d’une fiabilité dont les pourvoit la référence au réel. En tant qu’éléments visuels du passé, elles constituent une matière historiographique intéressante. Sans elles, le regard rétrospectif des documentaristes, qui les utilisent souvent comme des preuves irréfutables, serait probablement impossible. Le recours à cette documentation abondante, sans être exclusif, paraît en effet inévitable pour accéder aux faits relatés. S’agissant de la Première Guerre mondiale, nous avons vu combien le rôle des images d’époque dans les écritures filmiques a été et est encore déterminant. Non pas pour contribuer au renouvellement de l’historiographie, qui se joue ailleurs, mais pour donner à la connaissance historique une autre forme d’accès, permettant ainsi d’élaborer une sorte de socle commun sur le sujet. Pour autant, il y a des limites intrinsèques à leur usage, des précautions à prendre. La seule logique de l’illustration, qui a pour corollaire l’obsession de l’inédit, est une gageure, et affecter de croire que les images sont des éléments authentiques à l’état brut est absurde. Ce ne sont que des traces, des vestiges fragiles. Elles ne montrent pas les événements tels qu’ils se sont effectivement déroulés, mais en proposent une représentation avec une part de subjectivité. En d’autres termes, il y a toujours un écart entre l’image et son référent, et le rapport au réel ne peut être envisagé que sous le signe de l’empreinte renvoyant à des faits incomplets. Il est donc nécessaire de passer les images d’archives au crible de la critique historique.

Carton-titre du montage d’archives qui est projeté aux enfants dans Le Film du poilu (1927) d’Henri Desfontaines.

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Carton-titre du montage d’archives qui est projeté aux enfants dans Le Film du poilu (1927) d’Henri Desfontaines.

29Inversement, il est tout aussi abusif de croire que ces images ne nous apprennent rien de la vérité. Comme le souligne Georges Didi-Huberman, elles peuvent même susciter un imaginaire historique plus évocateur que n’importe quelle narration didactique [46]. Certes, bien des aspects de la Grande Guerre n’ont pas été filmés. Mais, justement, on peut accepter les lacunes de cette documentation comme une contrainte stimulante pour la création. « Le cinéma documentaire, le cinéma voué “au réel” est capable d’une invention fictionnelle plus forte que le cinéma “de fiction” (...). Le réel doit être fictionné pour être pensé (...). Écrire l’histoire et écrire des histoires relèvent d’un même régime de vérité » écrit à juste titre le philosophe Jacques Rancière [47]. Autre nécessité : avant même de faire des choix pour le montage, il faut visionner des milliers de mètres de pellicule, multiplier les repérages pour se proccurer des plans parfois difficiles d’accès car dispersés ou mal identifiés. Mais ce travail sur le corpus est surtout indispensable pour s’imprégner de la matière archivistique. Le but, nous l’avons souligné, n’est pas de reconstituer le plus fidèlement possible tel ou tel fait, ni de se limiter à lier les significations apparentes des images. Ce qui importe, c’est l’inventivité de l’utilisateur, son talent pour faire surgir un sens correspondant à une construction particulière. Dans un montage qui interroge la spécificité des images (en tenant compte de leurs défauts ou de leurs insuffisances), qui les fait « parler », le cinéaste ouvre de nouvelles perspectives interprétatives. Il les organise, avec la possibilité d’une lecture critique laissée au spectateur, pour mieux éclairer notre vision du passé sans cesse renouvelée. Car, comme l’écrivait en 1940 Walter Benjamin, « l’histoire est l’objet d’une construction dont le lieu n’est pas le temps homogène et vide, mais celui qui est rempli du temps de maintenant[48] ».

30L. V.


Date de mise en ligne : 01/11/2011

https://doi.org/10.3917/mate.089.0002

Notes

  • [1]
    Voir, de Antoine Prost et Jay Winter, Penser la Grande Guerre. Un essai d’historiographie, Paris, Seuil, 2004.
  • [2]
    Encore très récemment, parlant de son dernier documentaire d’archives, 68, Patrick Rotman insistait sur le fait qu’il avait trouvé beaucoup d’extraits inconnus en France (voir Le Monde, supplément TV et radio du 7 au 13 avril, p. 2).
  • [3]
    Arlette Farge, entretien avec Antoine de Baecque, Cahiers du cinéma, novembre 2000.
  • [4]
    Voir à ce sujet de Laurent Véray, « Les faux qui font l’histoire » dans Vingtième siècle, n° 63, juillet-septembre 1999, pp. 147-150.
  • [5]
    Pierre Marcel, « L’Histoire de la Grande Guerre. Des archives, des documents, des preuves » dans Ciné-Journal, n° 16, 15 septembre 1915.
  • [6]
    Ibid.
  • [7]
    Une des directives données aux opérateurs stipule qu’ils devaient revenir régulièrement dans certaines villes comme Arras, Reims et Soissons afin d’enregistrer les dégâts provoqués par les bombardements.
  • [8]
    Pour plus d’informations, voir de Laurent Véray, Les films d’actualité français de la Grande Guerre, Paris, AFRHC/Sirpa, 1995.
  • [9]
    Émile Vuillermoz, « Devant l’écran », Le Temps, 25 avril 1917.
  • [10]
    Rapport de Camille Bloch, inspecteur général des archives et des bibliothèques, au ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, le 20 mai 1918, archives de l’Ecpad, document non coté.
  • [11]
    Henri Fescourt, La foi et les montagnes ou le 7e art au passé, Paris, Publications Photo-Cinéma Paul Montel,
  • [12]
    Ibid.
  • [13]
    L’expression est de Noël Burch, La lucarne de l’infini : naissance du langage cinématographique, Paris, Nathan université, p. 74.
  • [14]
    Émile Vuillermoz, « La Puissance militaire de la France », Le Temps, 26 septembre 1917.
  • [15]
    Le Cinéopse, n° 45, mai 1923, p. 394.
  • [16]
    Elle possède un service qui tire lui-même des positifs pour le public au prix de 1,35 franc le mètre.
  • [17]
    À noter que l’apparition et le développement de la notion de « dépôt de cinématographie historique », dont il est alors question, prolonge, en quelque sorte, le projet que le photographe polonais Boleslas Matuszewski avait eu en 1898. Voir de Boleslas Matuszewski, Écrits cinématographiques. Une nouvelle source de l’histoire. La photographie animée, édition établie par Magdalena Mazaraki, Paris, AFRHC/ Cinémathèque française, 2006.
  • [18]
    E.-L. Fouquet, « Le Musée de l’Histoire », Le Cinéma et l’Écho du cinéma réunis, 11 juillet 1919.
  • [19]
    Ricciotto Canudo, « Films historiques », Paris-Midi, 27 janvier 1923.
  • [20]
    Ricciotto Canudo, Les Nouvelles littéraires, 14 avril 1923.
  • [21]
    Roland Barthes, La chambre claire. Notes sur la photographie, Paris, Cahiers du cinéma/Gallimard/Seuil, 1994, p. 120.
  • [22]
    André Antoine, Le Journal, 10 août 1923.
  • [23]
    Il faut mentionner ici la collection des époux Leblanc. Un couple d’industriels visionnaires qui constituèrent une documentation aussi exhaustive que possible sur le conflit, avant d’en faire don à l’État qui fonda le 23 juillet 1917 la Bibliothèque-Musée de la Guerre, ancêtre de la BDIC qui regroupe aujourd’hui le fonds le plus riche d’Europe sur 14-18.
  • [24]
    Parmi les différentes actions menées, on peut citer, entre autres, le rôle du Comité d’entente des grandes associations internationales qui, en liaison avec la SDN, préconisa l’enseignement de l’histoire par le cinéma pour renforcer la paix (voir communication à la conférence internationale de La Haye, 30 juin-2 juillet 1932, BDIC, fonds F?Res 235/2/1).
  • [25]
    André Antoine, Le Journal, 20 septembre 1924.
  • [26]
    André Antoine, Le Journal, 18 décembre 1927.
  • [27]
    Le film est distribué par la firme Films First National.
  • [28]
    Filma, n°224, 10-23 décembre 1927.
  • [29]
    Voir l’article « Les films de guerre français. Nous avons interviewé les Archives photographiques d’Art et d’Histoire » dans La cinématographie française, 10 décembre 1927.
  • [30]
    Lettre de Paul Ginisty au président de la Chambre syndicale de la cinématographie publiée dans Filma, n° 227, 3 février 1928.
  • [31]
    Paul de la Borie, « Les films de guerre et la pellicule héroïque » dans Ciné-Magazine, n° 3, mars 1930.
  • [32]
    Ibid.
  • [33]
    Maurice Bardèche et Robert Brasillach, Histoire du cinéma, Paris, édition Denoël, 1935 (nouvelle édition en 1943), p. 82.
  • [34]
    Abel Gance, en 1937, en montrant dans son nouveau J’accuse d’authentiques gueules cassées, cherche à marquer les esprits, mais surtout à « faire souffrir » les spectateurs en leur proposant des images insupportables. On pourrait ajouter que Jean-Luc Godard, avec le montage d’images d’atrocités provenant d’archives diverses situé au début de Notre musique (2004), procède selon la même logique.
  • [35]
    L’Action française, 3 mai 1935.
  • [36]
    Henry Malherbe, préface du livre de Jacques Meyer, La Biffe, Paris, Albin Michel, 1928, p. 10.
  • [37]
    Jean Norton Cru, Du témoignage, Jean-Jacques Pauvert éditeur, 1967, p. 28.
  • [38]
    Ce film, qui est une coproduction avec l’Allemagne, appartient à une série télévisuelle intitulée Trente ans d’histoire. Voir à ce sujet la communication de Matthias Steinle, « Regard franco-allemand sur la Première Guerre mondiale : la série Trente ans d’histoire à l’ORTF en 1964, un projet de réconciliation au sein d’une commémoration gaulliste », lors du colloque « La guerre après la guerre. Images et construction des imaginaires de guerre dans l’Europe du XXe siècle » qui s’est tenu du 25 au 27 avril 2007 à l’Ina.
  • [39]
    Sur ce point, voir Annie Kriegel, Marc Ferro, Alain Besançon, « Histoire et cinéma : l’expérience de la Grande Guerre », Annales ESC, 1965-2, pp. 327-336 ; et l’interview de Marc Ferro, à la fin de ce numéro, où il évoque les conditions de travail sur ce documentaire.
  • [40]
    Cécil Saint Laurent, 14-18, Solar, diffusé par les Presses de la Cité, 1964, p. 11.
  • [41]
    Pour une description détaillée de ce dispositif, voir le texte que le couple a publié dans Trafic, n° 13, hiver 1995.
  • [42]
    Christian Metz, Langage et cinéma, Paris, éditions Albatros, 1977, p. 202.
  • [43]
    Voir François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil / La librairie du XXIe siècle, 2003.
  • [44]
    La peur du vide, des absences, conduit aussi de plus en plus à avoir recours à des reconstitutions. D’où la multiplication des docu-fictions où l’on montre tout. Alors que les manques dans les images d’archives font sens et qu’il faudrait plutôt tenter de les expliquer.
  • [45]
    La Première Guerre mondiale en couleurs : Simon Berthon, scénario ; James McConnel, composition musicale ; Michel Blin, voix. 2 DVD ; TF1 vidéo 2005, 16/9, coul. (Pal), son., stéréo.
  • [46]
    Georges Didi-Huberman, Images malgré tout, Paris, Les Éditions de Minuit, 2004.
  • [47]
    Jacques Rancière, Le partage du sensible : esthétique et politique, Paris, La fabrique éditions, 2000, p. 60.
  • [48]
    Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire, XIV », Gesammelte Shriften I-2, Suhrkamp, 1980, p. 701.

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