Notes
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[*]
*Coordinateurs du numéro
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[1]
Il s’agit plus précisément d’une sous équipe rattachée à l’EA 3458 « Représentation. Recherches théâtrales et cinématographiques » dirigée par Christian Biet.
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[2]
An sens défini par Christian Metz dans Langage et cinéma, Paris, Éditions Albatros, 1977, p. 215.
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[3]
Michel de Certeau, L’écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975.
-
[4]
Roland Barthes, « Introduction à une analyse structurale des récits » dans Communication, n° 8, 1966, p. 17.
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[5]
Michel Foucault, L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 171.
-
[6]
Georges Didi-Huberman, Images malgré tout, Paris, Les éditions de Minuit, 2003, p. 177 et p. 198.
-
[7]
Voir Florence Descamps, L’historien, l’archiviste et le magnétophone. De la constitution de la source orale à son exploitation, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, Paris, 2001. Cet ouvrage de base retrace les étapes de la progression de l’histoire orale en Europe et aux États-Unis et la façon dont s’est produite l’acclimatation de l’archive orale, sa patrimonialisation dans tous les centres de recherche importants et au sein des institutions chargées d’archives autour des années 1980.
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[8]
Comme le montrent les articles des réalisateurs qui ont accepté de participer à notre séminaire et de livrer ici une réflexion sur leur pratique de créateurs.
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[9]
Voir sur cette question les Cahiers de l’IHTP en particulier le n° 1 et n° 2 (1980) n° 21 (1992) et le travail de l’anthropologue Marc Augé, Les formes de l’oubli, Paris, Éditions Payot, 1998.
1Ce numéro de la revue Matériaux pour l’histoire de notre temps prolonge une réflexion ouverte en 2006 dans le cadre du séminaire « Écritures du passé. Traces et mises en forme » organisé par la BDIC et le département des Arts du spectacle de l’Université de Paris X-Nanterre [1]. Il se propose d’articuler des contributions de réalisateurs — chacun avec son style et ses moyens propres d’expression — et de chercheurs — philosophes, esthéticiens, sémiologues, historiens — autour de la question des documentaires historiques. Ainsi, à partir d’œuvres précises, et de pratiques concrètes, qui portent sur des sujets couvrant l’histoire tragique du XXe siècle — la guerre de 14-18, la révolution russe, la guerre civile espagnole, la Deuxième Guerre mondiale, la Shoah, le coup d’État de Pinochet au Chili, la révolution des œillets au Portugal, le génocide cambodgien, la guerre en Tchétchénie —, les textes ici rassemblés s’intéressent à l’utilisation des archives iconographiques, images fixes ou images animées, à partir de leur insertion dans des montages cinématographiques. Ils questionnent aussi, dans les mêmes conditions, les modalités de la transmission de l’expérience historique à travers différentes « écritures filmiques [2] », et en particulier à travers l’enregistrement de la parole des témoins.
2Une place est également accordée, dans ce numéro, aux principales institutions de conservation des sources audiovisuelles et orales en France. Placé au milieu du volume, à la jonction entre la partie sur « les images d’archives » et celle qui porte sur « les témoignages filmés », ce cahier, intitulé « Sources », est non seulement destiné à fournir au lecteur des informations pratiques, mais à rappeler également l’enjeu cognitif et éthique du travail effectué dans ces lieux ressources, à la fois utiles aux chercheurs et aux réalisateurs.
3Il nous a semblé important également de rencontrer Marc Ferro, spécialiste reconnu des rapports entre histoire et cinéma, pour qu’il nous parle de son travail d’auteur sur des films historiques ou dans une émission comme Histoire parallèle où il commentait avec un invité, historien ou acteur de l’histoire, les actualités cinématographiques de la Seconde Guerre mondiale.
4Enfin, et c’est une première pour la revue, un DVD figure en fin de volume. Il s’agit du documentaire Le Temps détruit de Pierre Beuchot. Une œuvre rare, sur la « drôle de guerre », réalisée il y a plus de vingt ans, mais qui, selon nous, en entrelaçant avec finesse des lettres lues (celles de l’écrivain Paul Nizan, du musicien Maurice Jaubert et du père du cinéaste) et des images d’archives, autrement dit l’individuel et le collectif, reste un très bel exemple, parmi d’autres, d’écriture filmique de l’histoire.
5L’histoire, par sa méthodologie, sa rigueur et la scientificité qui est la sienne, est une discipline du savoir avec laquelle aucun documentaire, ni aucune fiction, ne peuvent rivaliser. Néanmoins, certains films peuvent faire passer de l’histoire, voire, parfois, faire penser l’histoire. Faire de l’histoire, au sens traditionnel, en tant que pratique d’étude et de recherche, c’est procéder, à partir de sources variées, à un agencement de faits, d’actions, d’idées. C’est construire une vue d’ensemble cohérente sur une époque et une société données pour tenter de comprendre et d’expliquer ce qui s’y est passé. Or un documentariste, lorsqu’il traite un sujet historique, peut procéder d’une manière similaire, notamment en s’interrogeant sur la mise en forme de celui-ci, non seulement en fonction des éléments dont il dispose, mais aussi des contraintes inhérentes au support qui est le sien. Parmi celles-ci, deux doivent être d’ores et déjà mentionnées : la spécificité de l’image, quelle qu’elle soit, qui tient à sa capacité d’être à la fois immédiatement visible et en latence, et la durée relativement courte d’un film. De telles limitations interdisent-elles toute comparaison entre la démonstration historique et l’écriture filmique ? Pas plus que l’historien, le cinéaste ne prétend rendre compte de la réalité à l’état brut. Il adopte un point de vue, prend du recul, construit son objet, l’organise selon une narration, parfois le scénarise comme un récit de fiction. Il n’est nullement nécessaire d’insister sur le fait que l’écriture documentaire — comparable par certains aspects, à l’expérience fictionnelle — n’est pas identique à « l’opération historiographique [3] », pour reprendre l’expression de Michel de Certeau. On peut cependant constater qu’au-delà des caractéristiques respectives et des différences indéniables, il y a une interdépendance et une complémentarité. En particulier parce que les écritures filmiques du passé peuvent avoir une fonction sociale : celle de diffuser la connaissance historique auprès d’un vaste public.
La place des images d’archives
6Les procédés d’accréditation du discours historique dépendent toujours de la teneur en vérité des documents utilisés pour produire ce discours. Or, les images, de prime abord, donnent à croire que la photographie et le cinéma peuvent triompher du temps qui s’écoule, et qui efface ou détruit. Images d’actualité hier, images d’archives aujourd’hui, elles conservent l’aspect éphémère des êtres et des choses. Elles renvoient le spectateur à une perception de l’atmosphère d’une époque. En les regardant, on a un peu l’impression qu’elles ont fixé, une fois pour toutes, la réalité concrète du passé. D’où, l’usage que l’on fait dans les documentaires historiques, mais aussi dans certaines fictions, de vues prises en leur temps par des professionnels ou des amateurs. Ces vues innombrables, plus ou moins bien identifiées, et qui ne sont pas toutes dignes d’intérêt, sont aujourd’hui stockées dans des fonds publics ou privés. Elles forment un patrimoine immense qui nous a été laissé en héritage et dans lequel puisent les réalisateurs. Le film d’archives, au sens académique du terme, est un film didactique. C’est un récit organisé selon une trame événementielle et chronologique à partir d’une compilation d’images (parfois sans trop se soucier de leur origine exacte, ni de leur sens véritable) censées représenter le réel d’une époque donnée (c’est le mythe de la preuve par l’image). Les archives présentent alors le double avantage de constituer un support illustratif au commentaire du film (qui peut avoir été écrit par, ou avec, un historien attitré), et d’apporter un surcroît de légitimation historique à ceux qui les utilisent. Elles fonctionnent comme des citations visuelles de l’histoire, des « opérateurs réalistes [4] », qui servent à identifier le temps et à authentifier la réalité du référent.
7Il est vrai que ce qu’il y a de troublant dans le cas de l’image enregistrée mécaniquement, par rapport à une autre archive, c’est qu’elle est à la fois une trace du passé et une réapparition de celui-ci, puisqu’elle le rend présent sous nos yeux, l’espace d’un instant, avec un effet de vérité souvent saisissant. Les images d’archives apparaissent comme des éclats vivants de ce qui a été. Ce sont des signes, des fragments fragiles d’un monde visible à jamais disparu. Dès lors, remonter des morceaux de pellicule, c’est un peu vouloir remonter le cours du temps. Cependant, dès qu’on y regarde de près, les choses deviennent plus complexes. En fait, il n’y a pas d’images d’archives « brutes » ou « vraies ». Et les mettre bout à bout ne suffit pas pour faire un film historique. En définitive, nous sommes face à des documents indéfiniment réutilisables qui demandent à être pensés et questionnés comme n’importe quelle source. L’archive n’est pas seulement « ce qui recueille la poussière des énoncés redevenus inertes et permet le miracle éventuel de leur résurrection [5] » écrivait Michel Foucault. L’archive, ce sont toutes ces traces tombées en déshérence auxquelles il faut redonner une vie et surtout du sens par le travail historique. Des traces qui suggèrent un certain mode d’écriture et de raisonnement. Pour bien les utiliser, il importe évidemment de les contextualiser, mais aussi de tenir compte de la distance temporelle qui nous sépare d’elles. Il en est de même dans le cas des réalisations audiovisuelles. Avec une différence cependant : l’interprétation restera incomplète si l’on néglige le statut singulier des images, notamment leur altérité et leur valeur d’expression. C’est-à-dire le rapport au hors-champ, à ce qu’on ne voit pas directement dans le plan, mais qu’il suggère. Il conviendrait d’ajouter aussi que leur puissance sensible dans la production d’affects peut aboutir à une sorte de poétique du sujet. Les images d’archives constituent donc une matière hétérogène, mais riche de potentialités, qu’il faut prendre à bras-le-corps. D’ailleurs, certains cinéastes en font un usage original. Leurs films reposent sur des dispositifs qui donnent à voir un réel sciemment reconstruit, avec une part d’inventivité et une forme de subjectivité par rapport à la manière d’envisager l’histoire. Ce qui prime dans leur démarche, c’est la qualité du regard porté sur les archives, à leurs yeux aussi importante que ce qu’elles montrent. En outre, le plus souvent, ce sont des écritures élaborées dans une perspective critique à l’égard des images elles-mêmes. Il ne s’agit pas tant de chercher à s’affranchir d’une démarche dite classique ou traditionnelle d’écriture de l’histoire, que de trouver une forme adaptée à la spécificité du cinéma. En d’autres termes, il faut s’approprier les matériaux visuels et sonores, et par le montage, par le récit, leur donner une nouvelle cohérence afin d’en faire surgir l’historicité. Comme le souligne avec justesse Georges Didi-Huberman : « Il ne faut pas avoir peur des archives. En évitant le double écueil de leur sacralisation et de leur dénégation. Mais ne pas avoir peur, avec elles, de faire œuvre, c’est-à-dire œuvre de montage (...). Les images deviennent précieuses au savoir historique à partir du moment où elles sont mises en perspective dans des montages d’intelligibilité [6]. »
8Il faut sans doute se réjouir du goût actuel pour les archives visuelles et de la multiplication des réalisations les utilisant. Toutefois, il est évident que ces images, comme les autres, sont aussi à la merci de manipulations. Et c’est, de toute évidence, de plus en plus le cas. On assiste ainsi, depuis peu, à un phénomène nouveau lié à la logique des médias audiovisuels qui diffusent les films. Comme si la supposée valeur ontologique des images anciennes ne suffisaient plus, et qu’il était désormais nécessaire de les transformer, notamment de les coloriser pour les rendre plus « actuelles » et donc plus accessibles aux téléspectateurs. Parallèlement, et pour des raisons semblables, on voit se développer, dans la production documentaire, une hybridité fiction/réalité, sous forme de vraies fausses images d’archives. Dans certains cas, on peut se demander si ces reconstitutions, purement imitatives, sont vraiment utiles à la compréhension du passé qu’elles prétendent restituer.
L’usage des témoignages filmés
9Parmi ces traces du passé, les témoignages proprement dits, qu’ils aient été recueillis dans le temps de l’événement ou longtemps après, occupent une place particulière. Matériaux pour la connaissance du passé, ils sont élaborés par l’historien qui, en fonction des exigences de sa discipline, en favorise la transmission. Tout comme, mais d’une autre façon, le cinéma documentaire. Plus personne, aujourd’hui, ne conteste l’apport cognitif des témoignages pour qui veut comprendre l’expérience que des acteurs font de l’histoire [7]. Cette source est particulièrement pertinente quand les témoins sont des acteurs qui font partie de groupes sociaux minorés dont le rôle dans l’histoire est passé sous silence dans les archives classiques. Les traces que ces derniers ont laissées — quand elles existent — ont souvent été produites par des institutions liées à leur répression (archives de l’administration de régimes dictatoriaux ou totalitaires par exemple). C’est assez dire l’importance des témoignages produits dans d’autres contextes.
10Certes, il peut être légitime de se méfier d’une histoire qui, écrite du point de vue des acteurs, aboutit à survaloriser les témoignages. On sait combien ces derniers mettent à l’épreuve la méthode et les enjeux de l’histoire et l’on connaît les critiques concernant les apports et les limites de la parole du témoin (en particulier la fiabilité discutable du témoignage compte tenu des défaillances possibles de la mémoire du témoin, ou de son penchant à « fictionner » son propre passé). Mais si cette méfiance et cette prudence méthodiques conduisent à opposer, de façon exclusive, mémoire et savoir, le risque est grand de négliger des fonctions essentielles du témoignage et des formes décisives du savoir.
11Or, parce qu’ils sont affranchis de la mission (qui incombe à l’historien) d’établir, à propos du passé, une vérité scientifique, qui suppose établissement rigoureux de faits véridiques et objectivation, les documentaristes peuvent aborder, avec plus de liberté, cette part de l’expérience de l’histoire et du rapport à l’histoire que l’historien est tenté de négliger : la vérité existentielle et morale qu’expriment les témoins. Face aux récits de ces derniers, les documentaristes, tout comme les historiens, sont confrontés à la parole d’acteurs qui met en forme, de façon nécessairement orientée, des traces, par définition lacunaires, de leur expérience personnelle. Ces témoignages les obligent, dans tous les sens du terme. Comme toute élaboration langagière, ils sont des constructions partiales, fragmentaires, reliées à des enjeux multiples, affectifs, ou politiques, du présent et du futur, de surcroît modelées par des patrons de discours.
12Aussi, loin de proposer un traitement naïf de ces témoignages qui les utiliserait comme une donnée brute, figée et anhistorique, certains documentaristes [8] ouvrent, par le dispositif filmique qu’ils inventent, un espace d’écoute propre à éclairer ce qui fait leur historicité. Pour eux, la compréhension respectueuse de ces récits et leur restitution critique supposent une mise à distance susceptible de rendre visible le travail de tri et de montage qui les sous-tend et de mettre en lumière les trous, les recouvrements, les déplacements, les obstacles au dire. Autant de signes qui, au-delà de la fonction référentielle des mots, révèlent le travail de la mémoire, et informent sur l’histoire de cette mémoire et de sa réception. Cet usage critique des témoignages permet de laisser percevoir leur complexité et d’éclairer les tensions qui les habitent : entre leur enjeu d’authentification du passé et celui de sa réparation symbolique ; entre leur ambition de dire une vérité de l’histoire vécue en dépit ou à travers les failles, l’oubli ou les recompositions et leur visée morale et politique de transmission d’un sens et de valeurs [9].
13De tels espaces documentaires, par la mise en scène des témoins et de leur parole, se jouent des écarts entre le passé et sa représentation. Ils montrent comment, au revers des mots, parle le corps des témoins. Ils font place aux silences et à une oralité qui laisse sourdre, par la musique ou le grain des voix, un feuilleté de sens. Ces écritures filmiques participent ainsi à la transmission de l’expérience historique. Et, parce qu’elles ne confondent pas vérité et exactitude factuelle, elles dégagent, au-delà de la connaissance des circonstances objectives de l’événement, sa portée morale et son impact. Si elles interrogent la part de l’imagination dans la perception, à travers les blancs, les omissions, voire les fictions, elles laissent transparaître une vérité existentielle des témoins qui peut s’opposer à celle minutieusement établie par la reconstitution de l’historien sans qu’aucune de ces vérités ne se trouve invalidée.
14Pour ces documentaristes, inclure des témoignages dans un récit filmique, ce n’est pas seulement en éprouver la validité en les intégrant dans une trame narrative qui les relativise, c’est les faire résonner comme dimension du passé. En effet, ces récits dont les témoins sont les auteurs non seulement font partie de l’histoire, mais encore sont agissants dans l’histoire et sont, comme tels, des facteurs d’histoire. Ainsi inscrire les témoignages, dans l’écriture plurielle d’un film, comme actes d’attestation, et de transmission, peut devenir un geste collectif. Dès lors, les témoignages sont plus que des « matériaux » à recueillir, monter, ou démonter par un réalisateur qui s’abstrait lui même de l’histoire ou qui les fétichise, les fige et les neutralise. Ils peuvent redevenir des interventions devant une « caméra-témoin », affectée et engagée par eux et qui dès lors en démultiplie le potentiel. En fait, ce que ces documentaristes filment, ce ne sont pas seulement des objets de langage, mais la relation unique que des sujets humains — les témoins — entretiennent avec le projet documentaire qui les construit.
15Quels rôles les images d’archives peuvent-elles jouer dans la reconstruction filmique du passé, sachant que, depuis que la photographie et le cinéma existent, tout n’a pas été enregistré et qu’il y a des vues à jamais manquantes ? Comment leur sélection et leur narrativisation, en particulier par les cinéastes qui exposent ici leur réflexion, permettent-elles une réappropriation de la mémoire et de l’histoire, donnant à l’une et à l’autre une place dans le présent ? Quelles sont les stratégies dénonciation de ces derniers ? Relèvent-elles parfois de la fiction ? Dans quelle mesure est-il possible, pour eux, de combiner l’exigence éthique, la signification historique, l’efficacité symbolique et la dimension émotionnelle des images ? Comment des réalisateurs qui s’engagent dans des actes de transmission cinématographique du passé, et d’adresse au spectateur, parviennent-ils à concilier la responsabilité de cet engagement avec le respect des témoins et le souci de vérité historique ? Mais aussi avec la recherche d’une forme filmique nécessaire et juste, productrice de sens aujourd’hui ? Comment la fidélité à la réalité subjective de ces témoins se conjugue-t-elle, pour ces réalisateurs, avec la nécessaire distance vis-à-vis des mises en scènes mémorielles, des attentes sociales ou de la lucidité sur la part de fiction, fût-elle involontaire, propre à tout récit de témoins ? Quels choix formels de narration ou de montage leur imposent leurs partis pris de transmission critique et personnelle ? En d’autres termes, comment l’espace cinématographique qu’ils créent peut-il devenir un espace de résonance capable d’accueillir les traces ténues et fragiles de ce que le spectacle médiatique et la saturation de la représentation sociale rejettent « hors-champ » ? Et comment cet espace est-il en mesure de laisser entrevoir l’invisible ou l’absence, celle des mondes disparus, celles que les mots des récits convenus imposent ? Comment permet-il de s’affranchir des formes figées de la transmission du passé, des contraintes diverses qui négligent les enjeux éthiques et la complexité du réel pour mettre en travail et en regard récit historien, récit personnel et récit filmique ? Les différents contributeurs de ce numéro espèrent apporter des éléments de réponses à toutes ces questions fondamentales.
16O. M.-M et L. V.
Notes
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[*]
*Coordinateurs du numéro
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[1]
Il s’agit plus précisément d’une sous équipe rattachée à l’EA 3458 « Représentation. Recherches théâtrales et cinématographiques » dirigée par Christian Biet.
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[2]
An sens défini par Christian Metz dans Langage et cinéma, Paris, Éditions Albatros, 1977, p. 215.
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[3]
Michel de Certeau, L’écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975.
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[4]
Roland Barthes, « Introduction à une analyse structurale des récits » dans Communication, n° 8, 1966, p. 17.
-
[5]
Michel Foucault, L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 171.
-
[6]
Georges Didi-Huberman, Images malgré tout, Paris, Les éditions de Minuit, 2003, p. 177 et p. 198.
-
[7]
Voir Florence Descamps, L’historien, l’archiviste et le magnétophone. De la constitution de la source orale à son exploitation, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, Paris, 2001. Cet ouvrage de base retrace les étapes de la progression de l’histoire orale en Europe et aux États-Unis et la façon dont s’est produite l’acclimatation de l’archive orale, sa patrimonialisation dans tous les centres de recherche importants et au sein des institutions chargées d’archives autour des années 1980.
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[8]
Comme le montrent les articles des réalisateurs qui ont accepté de participer à notre séminaire et de livrer ici une réflexion sur leur pratique de créateurs.
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[9]
Voir sur cette question les Cahiers de l’IHTP en particulier le n° 1 et n° 2 (1980) n° 21 (1992) et le travail de l’anthropologue Marc Augé, Les formes de l’oubli, Paris, Éditions Payot, 1998.