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Article de revue

Conception intégrée de produits durables : de l'éco-conception aux nouveaux paradigmes de production et de consommation

Pages 17 à 29

Introduction

1Les objets techniques, de plus en plus nombreux, nous permettent de satisfaire des besoins vitaux et d’améliorer notre bien-être. Mais au-delà des avantages procurés par l’utilisation de ces objets, il est clairement établi aujourd’hui, qu’ils génèrent des impacts sur les milieux naturels :

  • ils utilisent trop de ressources naturelles, renouvelables ou non,
  • ils génèrent des impacts sur la santé humaine (toxicologie),
  • ils génèrent des impacts écologiques (réchauffement climatique, destruction de la couche d’ozone, acidification, eutrophisation...).
Un des enjeux des sciences pour l’ingénieur est donc de construire une approche systémique pour concevoir, produire et exploiter des produits, systèmes ou services, plus sûrs, plus communicants, plus économes, plus performants, mais aussi plus respectueux de l’environnement. C’est à cette condition que l’on pourra parler de produits durables.

2L’éco-conception est une première approche envisagée pour concevoir ces produits durables. Cette approche, qui se développe depuis les années 90, permet aux entreprises de mieux prendre en compte les concepts de cycle de vie des produits et d’impacts environnementaux. Néanmoins, nous verrons que, compte tenu des défis à relever en termes de conception de produits durables, cette approche ne suffit pas et qu’il faut mettre en place d’autres approches de conception pour accompagner le changement de paradigme nécessaire au concept de produits durables.

1 – Conception intégrée

3D’une manière générale, concevoir un produit, c’est trouver une solution pour satisfaire des besoins. Mais, dans un marché fortement concurrentiel, concevoir un produit ne peut plus se limiter à de la résolution de problèmes techniques. La conception est devenue une activité complexe pour répondre à des préoccupations, techniques certes, mais également économiques, environnementales et sociales.

4Pour aboutir au meilleur compromis possible au niveau de la conception d’un produit, différents points de vue doivent être pris en compte. Comme défini par Poveda (2001), on appelle point de vue d’un acteur de la conception la vision que celui-ci a du futur produit dans une phase particulière de son cycle de vie. Ce concept de point de vue fournit une base à l’expert pour décrire les contraintes que le produit va rencontrer à chaque étape de son cycle de vie et va lui permettre d’exprimer les objectifs liés au produit. Ainsi, un point de vue est l’expression par chaque expert de :

  • ses connaissances,
  • des contraintes liées à son champ d’expertise,
  • des objectifs spécifiques pour optimiser le produit au sein de chaque champ d’expertise.
La solution finale pour un produit représente donc une combinaison des points de vue de chacun des principaux acteurs du cycle de vie d’un produit. Cette perspective globale sur le produit nécessite que chacun des acteurs de l’entreprise ou de la chaîne de fournisseurs soit capable d’exprimer son point de vue à des moments clés du processus de conception. Ainsi, comme le soulignent Pruhomme et al. (2003), les acteurs doivent être avertis du déroulement du projet de conception et pouvoir communiquer leurs idées à l’ensemble de l’équipe. Cette démarche, une fois en place, est dite démarche d’ingénierie concourante (concurrent engineering). Ainsi, l’ingénierie concourante est vue comme une pratique permettant d’intégrer différentes valeurs du cycle de vie du produit dans les phases amont du processus de conception, valeurs qui incluent non seulement les fonctions premières du produit, mais également les aspects esthétiques, la fabricabilité, l’assemblabilité, la recyclabilité. Nous appellerons, par la suite, « concepteur » tous les acteurs du cycle de vie du produit impliqués dans le projet : les ingénieurs R&D, les fabricants, les ingénieurs en matériaux, les experts en environnement, les recycleurs… L’ensemble de ces acteurs forment l’équipe de conception.

5Pour pouvoir considérer l’ensemble des points de vue liés au cycle de vie du produit, les équipes de conception doivent changer et bien souvent s’élargir. L’organisation sous forme de plateaux projets, par exemple, est un type d’organisation qui vise à intégrer plus d’acteurs et ainsi plus de points de vue sur le produit en cours de développement. Mais les équipes de conception ne peuvent continuer à grossir au rythme de l’intégration de nouveaux métiers et, comme le soulignent Asquin et al. (2010), cette forme d’organisation peut laisser certains acteurs désemparés.

6Une autre solution consiste à demander à certains experts d’endosser plusieurs rôles en devenant multi-experts. L’exemple des ingénieurs qualité, devenus aujourd’hui qualité/sécurité/environnement illustre bien cette deuxième option. La difficulté, ici, est surtout liée au fait qu’en multipliant les domaines d’expertise d’une même personne on va inéluctablement diminuer son degré d’expertise.

7Une troisième option va consister à mettre en place des outils et méthodes de conception de produits, intégrant les connaissances et savoir-faire liés à leurs cycles de vie. Pour cela il faut :

  • comprendre et modéliser les expertises liées au cycle de vie du produit (expertises métiers et expertises utilisateurs),
  • mettre à disposition des équipes de conception ces connaissances et savoir-faire sous la forme d’outils d’interface, de modèles pour l’intégration, de méthodologies…, facilement utilisables par les concepteurs. (Zwolinski et al., 2006).
Nous allons voir dans le chapitre suivant comment ces principes d’intégration s’appliquent pour l’intégration des métiers de l’environnement et conduisent à la construction d’expertises spécifiques. En effet, de nombreuses expertises liées à l’environnement n’ont pas encore été formalisées pour la conception, ceci étant en particulier lié au fait qu’il faut couvrir l’ensemble du cycle de vie du produit.

2 – Eco-conception

8Compte tenu de la définition de la conception intégrée, l’éco-conception se traduirait par l’introduction d’un point de vue supplémentaire dans les équipes de conception intégrée : le point de vue environnemental. Mais l’intégration de ce point de vue environnemental va se différencier aujourd’hui de l’intégration des autres points de vue adoptés en conception, du fait de certaines spécificités.

  • Comme le soulignent Bovea et al. (2012), dans le cas de l’éco-conception, on doit chercher à intégrer le point de vue environnemental tôt, en considérant l’approche cycle de vie, avec une approche multicritères. Or, cette approche cycle de vie, nécessaire pour intégrer les objectifs environnementaux dans le processus de conception, a tendance à séparer les objectifs environnementaux des autres contraintes techniques et demande de prendre en considération des contraintes organisationnelles (flux de produits, fournisseurs…) qui n’étaient pas forcément bien intégrées auparavant. De plus, l’approche multicritères sur les impacts environnementaux renforce cette idée de séparation, en faisant une claire distinction entre les objectifs durant la phase d’évaluation et d’amélioration des produits. Mais ces approches « cycle de vie » et « multicritères » sont absolument nécessaires pour éviter les transferts d’impacts environnementaux qui peuvent survenir suite à de nouvelles orientations de conception.
  • Une autre caractéristique va résider dans le fait qu’il faut maintenant connaître et maîtriser une grande variété de données, nécessaires à la réalisation d’évaluations environnementales et à l’amélioration des produits. Ces données peuvent être des données techniques mais aussi organisationnelles. De plus, elles peuvent être hors des frontières de l’entreprise, de l’extraction des matières à la fin de vie. Ceci demande l’implication de toutes les divisions de l’entreprise (Le Pochat et al, 2007), et des prises de décisions stratégiques qui modifient l’organisation et les relations avec les clients et les fournisseurs.
  • Du fait de la nouveauté de cette expertise, il existe toujours un « green wall » manifesté par la séparation des « divisions environnement » et des structures classiques. Ceci implique la mise en place progressive d’un nouveau réseau d’acteurs internes et externes, et des changements dans les modes de fonctionnement des membres des équipes projet.
  • De nouveaux outils et de nouvelles connaissances doivent être intégrés (Millet, 2003) et les aspects techniques tout comme les aspects de management doivent être pris en compte pour arriver à une réelle intégration de cette dimension au travers de toutes les strates de l’entreprise. Ceci conduit, comme nous l’avons déjà souligné, à la définition de nouveaux indicateurs, à la prise en compte de nouvelles données, à la mise en place de nouvelles procédures, mais également à la prise en compte d’une nouvelle valeur pour la définition des objectifs de l’entreprise. La prise en compte de la valeur environnementale peut venir bouleverse la hiérarchie des valeurs actuelles (performance, qualité, coûts, etc.). Et l’on verra que cela peut amener les entreprises à reconsidérer leurs offres auprès des consommateurs.
  • Il faut souligner qu’à ce jour, la mise en place de la méthodologie d’éco-conception au cours d’un projet repose essentiellement sur l’expertise et le savoir-faire de l’expert en environnement. Il n’existe pas, à ce jour, de méthodologies d’éco-conception universelles ou même adaptées à un secteur donné. Dans la mise en place de sa démarche d’éco-conception, l’expert en environnement peut s’appuyer sur trois grandes catégories d’outils/méthodes (Janin, 2000) : des évaluations environnementales souvent utilisées en phase de conception détaillée ou pour une version de produit « n+1 », des outils qualitatifs de type « guidelines » utilisés dès la conception conceptuelle, même s’ils ne retournent pas d’indications quantitatives aux concepteurs, des indicateurs (taux de recyclabilité, énergie en usage…), qui sont souvent des indicateurs développés en interne pour pouvoir avoir une référence afin de s’assurer du respect des normes et directives.
Ces outils/méthodes, sont souvent issus de la formalisation d’expertises liées soit au cycle de vie, soit à un secteur industriel, ou qui sont d’ordre méthodologique. Ces expertises évoluent au cours du temps et l’on peut voir, au niveau français, des évolutions très marquées selon trois axes principaux.

9Si l’on considère les expertises développées en relation avec une phase du cycle de vie, on peut constater que :

  • des années 80 à encore aujourd’hui, la problématique de la fin de vie a vu la mise en place de nombreux outils génériques (Pardo et al., 2011) et d’outils spécifiques internes aux entreprises tels que les feuilles de calcul de taux de recyclabilité établies par les entreprises (Zwolinski et al., 2003). Ainsi ont été construites des expertises sur le désassemblage, le recyclage, le broyage…
  • la phase de fabrication a été dans un premier temps prise en compte au travers de l’analyse des choix de process, des choix de matériaux, du traitement des déchets et de la pollution… Depuis 4 à 5 années, de nombreuses recherches se focalisent sur les consommations énergétiques (Kara et al., 2010). L’énergie est donc la dimension qu’il s’agit d’optimiser aujourd’hui en fabrication,
  • la phase d’usage a longtemps été négligée du fait d’une modélisation des usages trop éloignée de la réalité, ne prenant bien souvent en compte qu’un niveau moyen de consommation énergétique. Depuis 2 à 3 ans, de nombreuses études voient le jour pour prendre en compte l’usage réel du produit (Tang et al., 2012) et considérer les comportements d’usagers en lien avec les solutions technologiques proposées.
Si l’on considère les expertises liées à un secteur industriel, on a pu voir que celles-ci se sont développées, poussées par la législation et les réglementations. L’automobile a ouvert la marche avec la directive VHU dans les années 80, suivis du secteur des équipements électriques et électroniques dans les années 90. On voit, aujourd’hui, de nouveaux secteurs, tel que celui de la microélectronique, se lancer dans les démarches d’éco-conception, étant par ailleurs poussés par des directives comme la directive REACH sur l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des produits chimiques.

10Si l’on considère enfin les expertises d’ordre méthodologique en éco-conception, ou liées à la mise en place d’approches favorisant l’intégration, on a pu observer qu’un grand nombre d’outils ont été développés dès les années 80 et jusqu’à encore aujourd’hui. Les ACV (analyses de cycle de vie) ont, elles, commencé à pénétrer le monde de l’entreprise dans les années 2000. Elles fournissent toujours une méthodologie de référence, mondialement reconnue malgré la difficulté d’intégrer ces ACV au niveau de la conception (Gehin et al., 2010). Aujourd’hui, on assiste à une explosion de propositions de plateformes d’éco-conception : celles visant une saisie simplifiée des données environnementales, via une connexion « directe » des outils des concepteurs, celles permettant le partage d’expertises entre experts en environnement, celles reliant les outils de conception entre eux avec un point de vue environnemental… (Théret et al., 2011)

11Mais aujourd’hui, de nouveaux objectifs sont fixés pour l’éco-conception. Les appels à projets tels que l’appel européen FP7 NMP 2011 : « Eco-design for new products », fixent des objectifs à atteindre, moins 20 % d’impact en utilisation de matière, moins 20 % d’énergie en moins sur le cycle de vie et moins 20 % de déchet. On parle également du facteur 4, qui désigne un objectif ou engagement écologique visant à diviser par 4 les émissions de gaz à effet de serre, d’un pays ou d’un continent, d’ici à 2050. Cet objectif s’applique également aux matières premières, ce qui signifie qu’un produit devra remplir la même fonction en utilisant, par exemple, 2 fois moins de ressources avec une durée de vie 2 fois plus longue.

12Pour les utilisateurs des méthodes d’éco-conception, quoique convaincus par la mise en place de ces approches, le challenge semble bien souvent difficile à relever. C’est ainsi que de nouvelles approches voient le jour au travers de la réutilisation des produits ou de la dématérialisation. Elles conduisent à un réel changement de paradigme en termes de production et de consommation.

3 – Nouveaux paradigmes de production et de consommation

13Une voie envisagée, afin de pallier particulièrement au problème de l’épuisement des ressources naturelles, et pour répondre en parallèle à la responsabilité élargie des producteurs, consiste à garder le produit « dans la boucle », c’est-à-dire dans la chaîne de valeur constituée par les intervenants aux différentes étapes du cycle de vie du produit. En effet, depuis ces dernières années, on assiste à un glissement de la notion du cycle de vie du « berceau à la tombe » (cradle to grave) à celle du « berceau au berceau » (cradle to cradle). L’apparition de la notion de cycle de vie en boucle fermée implique de se soucier de la manière dont les produits vont être utilisés, mais aussi et surtout de la manière dont ils vont être fabriqués en début de cycle, récupérés et traités en fin de cycle, sans oublier les modalités de ré-inclusion dans un cycle nouveau. Pour convaincre les entreprises d’adopter ce type de stratégies en fin de vie, il faut être capable d’identifier quels sont les systèmes socio-économiques qui peuvent supporter de telles stratégies. En effet, lors d’une stratégie de réemploi, de nombreux acteurs interviennent dans la chaîne des fournisseurs, et tout ceci tout au long du cycle de vie du produit, de la conception à la valorisation (Zwolinski et al., 2007). Comment créer une organisation spécifique pour assurer l’efficacité d’une stratégie de réemploi ? Comment évaluer les coûts et les bénéfices d’une telle stratégie ? Comment partager les bénéfices entre les différents acteurs de la supply chain ? Comment partager les savoir-faire spécifiques des différentes entreprises ?… et comment intégrer tout cela dès la conception des produits ? Quel est le rôle du consommateur dans cette nouvelle boucle industrielle ? Quelle peut être sa motivation ? Comment l’orienter vers des produits de type « produits remanufacturés » ? Comment tenir compte des variations d’usage et des évolutions des technologies ? Comment modéliser les systèmes conçus du point de vue de leur impact environnemental ? Toutes ces questions conduisent à l’élaboration de nouvelles expertises en conception.

14Une autre voie pour intensifier l’usage des produits consiste à en garder la propriété en tant que fabricant et à fournir un service au client. Ainsi le produit est dimensionné au plus juste en fonction du service à rendre. De plus, les produits utilisés pour rendre le service peuvent être partagés, permettant ainsi d’intensifier l’usage sur la période de vie du produit. Ces solutions mises en place sont appelées systèmes produits-services (SPS). Les SPS sont vus comme de nouvelles approches de vente dans lesquelles les produits physiques et les services immatériels sont réunis pour satisfaire les besoins des consommateurs. Selon les personnes issues du management et du domaine de l’ingénierie, le développement d’un service est assez différent du développement d’un produit et, aujourd’hui, le concept SPS conduit à ce que ces développements soient faits de manière intégrée. En effet, les concepteurs ont à considérer à la fois les produits physiques et les services immatériels afin de satisfaire les besoins du client et pour valider le fait qu’ils vont générer plus de valeur ajoutée en concevant les SPS de manière intégrée. Plusieurs niveaux de services existent pour un SPS et cela a donné lieu à la typologie de SPS suivante (Tukker et al., 2006) :

  • les SPS avec services orientés produit (Product-Oriented Services), qui visent à améliorer le service rendu par le produit au client par l’addition de services (achat du produit et achat de services de type maintenance, remise à niveau…),
  • Les SPS avec services orientés usage (Use-Oriented Services), qui visent à fournir un ensemble de produits-services intégrés, pour satisfaire les besoins du client (achat de l’ensemble intégré produits/services),
  • Les SPS avec services orientés résultats (Result-Oriented Services), qui fournissent les résultats attendus par le client (achat du résultat).
Si ces approches se montrent prometteuses sur le plan des services rendus et sur le plan financier, il s’agit aujourd’hui de vérifier leur performance environnementale et d’assister les concepteurs au moment de leur conception.

4 – Nouvelles expertises en éco-conception

15Ainsi, de nouveaux paradigmes de production et de consommation voient le jour pour garder le produit « dans la boucle » et intensifier son usage. Afin d’intégrer ces nouvelles dimensions en conception, il s’agit aujourd’hui de construire de nouvelles expertises qui seront utilisées dans les phases amont de la conception pour une meilleure intégration. Nous allons, ici, présenter les motivations qui poussent à la construction de trois de ces expertises en lien avec l’éco-conception, qui sont liées au désassemblage pour la fin de vie, au remanufacturing et à la conception de SPS durables.

4.1 – Nouvelle expertise « désassemblage pour la fin de vie »

16Le traitement des produits en fin de vie est classiquement décrit selon 4 grands scénarios de valorisation : la réutilisation du produit, de sous-ensembles ou de composants (remanufacturing), la valorisation de la matière (recyclage), l’incinération avec récupération d’énergie et enfin la mise en décharge des déchets ultimes. Le scénario « classique », privilégié en France, voire en Europe, concerne la valorisation de la matière par recyclage de celle-ci. De nombreuses actions ont été engagées par les fabricants et différents développements ont été réalisés pour atteindre les taux de récupération requis par les directives européennes, tout en optimisant la qualité des matières recyclées et en diminuant les coûts de traitement. Mais, il n’est pas du tout aisé de respecter les taux souhaités avec des processus de recyclage classiques (broyage et séparation), en particulier, si le produit n’a pas été conçu en prenant en compte sa fin de vie. Les procédés de tri sont inefficaces pour certains matériaux non métalliques (plastiques, verres…), d’où des quantités des déchets incinérés ou mis en décharge généralement importante, un taux d’impuretés élevé dans les matériaux récupérés, un procédé inadapté à la réutilisation des composants… Ainsi, le changement de paradigme vers des produits durables, amène une nouvelle façon d’appréhender le processus de vie d’un produit, c’est-à-dire non plus à partir de son commencement, mais en vue de ses phases ultimes. L’objectif visé est celui de « recyclage noble », qui est une approche qui encourage la prise en compte de l’environnement lorsque l’on aborde les aspects liés à la fin de vie des produits. L’objectif est de récupérer le maximum de valeur issue du produit en fin de vie, en promouvant la réutilisation de composants tout en tenant compte de leurs durées de vie intrinsèques. Dans cette optique, le désassemblage des produits en fin de vie est une étape cruciale. Il est connu que le désassemblage présente un coût élevé de mise en œuvre, mais il offre de nouvelles solutions pour la valorisation et la réutilisation de composants, des matériaux de meilleure qualité avec des indicateurs économiques meilleurs et une diminution des volumes de déchets enfouis. Il répond aux problématiques de dépollution et doit permettre d’atteindre les taux de recyclage requis par les directives européennes.

17Mais pour cela, les indicateurs actuels de désassemblage doivent s’enrichir en considérant le potentiel réel du terrain. Des outils comme Resicled (Mathieux et al., 2008) ont permis de prendre en compte des taux réels de recyclage avec des options de fin de vie mixtes au sein d’un même produit (démontage pour la récupération, le recyclage, le broyage). Mais aujourd’hui, il faut se tourner vers les filières de traitement existantes et ne plus s’en tenir à des indicateurs théoriques de démontabilité pour le recyclage, ces indicateurs n’ayant de valeur que si les filières de traitement existent.

4.2 – Nouvelle expertise « remanufacturing »

18Le remanufacturing est un processus dans lequel des quantités raisonnablement grandes de produits semblables sont transportées à un service central et désassemblées. En d’autres termes, le process de remanufacturing est un process qui possède les mêmes objectifs que les process de fabrication de produits classiques, mais qui utilise comme principale matière première des composants de produits en fin d’usage. Les parties du produit ne sont pas forcément maintenues au sein d’un même produit, mais des parties spécifiques du produit sont collectées par types, nettoyées et testées pour leur réparation et leur réutilisation au sein d’autres produits. Les produits fabriqués possèdent les mêmes performances que des produits neufs. Certains modules des produits peuvent être entièrement remplacés dans le cas où de nouvelles technologies plus performantes pour la réalisation d’une fonction existent. Cette approche présente de nombreux avantages. Elle permet de réduire l’utilisation des matières premières, d’économiser l’énergie liée en particulier à la transformation et à la mise en forme de la matière, tout en préservant la valeur ajoutée au produit lors de sa phase de conception et de fabrication. Le processus de remanufacturing peut comporter les étapes suivantes : l’assemblage, le désassemblage, les tests, la réparation, le nettoyage, le contrôle, la remise à niveau d’une fonction et le remplacement de composants. Au cours de chaque étape, et surtout au moment de la réparation et du réassemblage, des mesures adéquates pour les contrôles de qualité sont appliquées. La plupart des produits remanufacturés n’ont pas été conçus avec cet objectif, ce qui ne simplifie pas leur traitement.

19Des études sont nécessaires pour établir si ces stratégies permettent d’obtenir des bénéfices environnementaux. Que ce soit pour la modélisation du produit ou en ce qui concerne les données des bases ACV, il existe un fossé, aujourd’hui, entre les outils disponibles et les besoins des concepteurs par rapport aux produits remanufacturés traversant plusieurs cycles d’usage. Ainsi, des recherches en éco-conception se développent : de nouvelles expertises, sur les process de remanufacturing, sur le désassemblage pour le remanufacturing, la logistique inverse… mais aussi des recherches sur la façon de modéliser le cycle de vie de tels produits, afin de pouvoir comparer les impacts environnementaux de ces stratégies, aux impacts de produits au cycle de vie « ouvert » classiques (Amaya et al., 2010).

4.3 – Nouvelle expertise « SPS durable »

20Le concept SPS est né à la fin des années 80 pour désigner les ensembles produits-services vendus au client. Mont (2004) définit un PSS comme « un système de produits, services, supporté par un réseau et une infrastructure conçus pour être compétitifs, satisfaisant les besoins du client et ayant un impact environnemental plus faible que les business modèles traditionnels ». Dans une économie de marché de plus en plus contrainte par des coûts de production très faibles et une forte compétition entre les entreprises, la vente de services permet d’améliorer la satisfaction du client par une plus forte valeur ajoutée. Concernant l’environnement, on considère que si l’on pense satisfaction des besoins du client et non plus production/vente/consommation de masse, la vente de services, plutôt que de produits physiques, est une alternative intéressante du point de vue écologique. Via un PSS, l’entreprise peut satisfaire les besoins des clients tout en diminuant le nombre de produits physiques fabriqués. Le client dans ce cas n’est plus le propriétaire des produits impliqués dans le PSS, ce qui conduit au concept de dématérialisation.

21Ainsi, pour inciter les industriels et les clients à se tourner vers ce nouveau modèle de vente, il faut montrer qu’il présente des avantages à la fois pour le client et l’entreprise et les développer en ce sens. C’est ce qu’ont réussi à faire des entreprises telles que Xerox avec les photocopieurs et JC Decaux avec les déplacements urbains en vélo (Vélib, Vélo’v…). En effet, les systèmes qu’ils ont mis en place ont comme particularité d’être pérennes par rapport à d’autres essais de SPS. Cela s’explique par le fait que lors du développement du SPS, l’intégration produits/unités de services a été particulièrement bien étudiée. Cela s’est traduit par des adaptations technologiques sur les produits, par une bonne adéquation besoins/unités de services ce qui a conduit à augmenter la valeur du produit en terme de satisfaction globale du client et de bénéfices pour l’entreprise (Maussang, 2009).

22Mais si l’intérêt financier a été démontré sur ces études, l’intérêt environnemental, lui, n’a pas été pris en compte, certainement faute de modèles ou de méthodologies adaptées. Or, les offres SPS doivent être modélisées et évaluées par les équipes de conception, aussi bien sur le plan environnemental que sur les autres aspects. Il est donc nécessaire de réaliser des études d’impacts environnementaux conformes à la méthodologie d’analyse du cycle de vie (ACV) normalisée dans la norme ISO 14040. Mais une fois encore, les lignes directrices ISO ne fournissent pas de recommandations spécifiques pour effectuer le calcul des impacts environnementaux de ce type de scénarios (Adler et al., 2007) et peu d’études ont été effectuées sur l’évaluation de cycle de vie des stratégies SPS. Ainsi la question de l’évaluation environnementale des SPS est posée, celle-ci nécessitant une vision élargie des processus et acteurs impliqués.

Conclusion

23Nous avons montré que la prise en compte des aspects environnementaux en conception de produit amène un point de vue supplémentaire dans les équipes projet. Afin de prendre en compte ce point de vue, les équipes ont pu intégrer de nouveaux experts, se former pour répondre à de nouveaux enjeux ou utiliser des outils spécifiques permettant de considérer les nouveaux indicateurs cibles. Ainsi, plusieurs méthodes et outils ont vu le jour, afin de faciliter la prise en compte de nouveaux objectifs en conception. Quelles que soient les approches retenues en entreprise, on a pu constater une meilleure prise en compte de la dimension environnementale, avec un effet d’apprentissage chez l’ensemble des acteurs des projets. Ceci contribue, bien entendu, à une meilleure intégration, d’autant plus nécessaire que l’environnement concerne tous les secteurs de l’entreprise.

24Néanmoins, de nouveaux enjeux environnementaux sont posés aujourd’hui, compte tenu des connaissances qui ont évoluées concernant l’épuisement des ressources naturelles, énergétiques et des effets de nos rejets sur l’environnement. Force est de constater que les approches classiques d’éco-conception ne permettront pas d’atteindre ces nouveaux objectifs et qu’il faut dès à présent repenser de manière plus large les solutions visant à préserver l’environnement.

25Bien entendu, l’éco-conception doit toujours s’appuyer sur des méthodes d’évaluation environnementale et continuer à développer des indicateurs/outils/méthodes pour la conception, mais il faut mettre en place de nouveaux outils et indicateurs permettant de basculer dans un changement de paradigme vers une société de consommation différente.

26Consommer des produits remanufacturés, utiliser des services partagés…sont des solutions qui doivent permettre de modifier significativement nos impacts environnementaux à l’avenir. Le concept de « cradle to cradle », permet par le remanufacturing et la vente de services, d’intensifier l’usage des produits. Mais de nombreuses questions restent posées sur ces solutions.

27Pour répondre à ces questions et réaliser ces objectifs, on voit qu’il faut construire et formaliser de nouvelles expertises utilisables en conception, qui vont nous amener progressivement à considérer les sciences de l’ingénieur, mais aussi l’économie, les organisations industrielles et les mesures d’impacts environnementaux et aboutir ainsi à des solutions plus durables.

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Mots-clés éditeurs : système produit-service, éco conception, remanufacturing, expertise environnementale, conception intégrée

Mise en ligne 16/04/2013

https://doi.org/10.3917/maorg.017.0017

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