Couverture de MAORG_008

Article de revue

L'innovation dans les services de l'eau appelle une gouvernance systémique pour un développement durable

Pages 127 à 148

Notes

  • [1]
    cf. COURRIER INTERNATIONAL, 2008 n°230
« La pénurie d’eau douce est le plus grand danger pesant sur la planète »
Koïchiro Matsuura, directeur général de l’UNESCO.

1« Aqua simplex » expression bien surprenante pour désigner un des quatre éléments naturels qui peut se présenter sous des formes aussi diverses que solide, liquide ou encore gazeuse. Élément de nature d’autant plus complexe que l’eau se charge de substances. Cela permet de distinguer de nombreuses catégories. On considère par exemple les eaux sulfureuses, chlorurées, sodiques, alcalines, arsenicales, calciques, magnésiennes, ferrugineuses... dont les propriétés sont très variées. Cela interroge sur les conséquences de concentrations cumulatives de produits chimiques, de substances organiques, minérales qui peuvent soit rendre la ressource impropre à la consommation soit permettre une utilisation dans les traitements médicinaux.

2L’eau source de vie, ressource naturelle, don gratuit de la biosphère est pourtant devenue en quelques décennies un enjeu crucial pour l’humanité. L’eau douce, en effet, ne représente que 3 % du stock d’eau mondial, dont 2/3 sont (encore !) en glacier, et 1 % seulement en eau douce véritablement utilisable. L’humanité ne dispose que d’un stock d’eau mondial limité qui, certes, se reconstitue, mais sous condition d’une utilisation raisonnée des flux tant en termes de prélèvements quantitatifs qu’en termes d’effluents respectant la qualité de la ressource avant son retour dans le milieu naturel et sans compromettre les usages ultérieurs. Or depuis 50 ans la consommation d’eau dans le monde a triplé et de nombreuses rivières sont transformées en égouts. Les problèmes liés à l’accès à la ressource et à son assainissement deviennent de plus en plus difficiles à résoudre. En 1992, à la Conférence internationale pour l’eau et l’environnement, réunie à Dublin, est évoqué le principe d’une marchandisation accrue : « l’eau, utilisée à de multiples fins, a une valeur économique, et devrait donc être reconnue comme un bien économique. » La dynamique de marché sous-jacente n’a pas entraîné de réductions de la consommation ni attiré d’investissements du secteur privé si bien qu’une dizaine d’années plus tard, lors du Forum mondial de l’eau réuni à Kyoto en 2003 le centre d’intérêt était encore la recherche de partenariats financiers. Finalement la question majeure ne sera pas non plus tranchée au Forum mondial de Mexico en 2006, entre bien commun et marchandise ; on se contentera de la formule suivante : « l’eau, bien public de responsabilité collective », ce qui implique une organisation partenariale mixte associant public et privé. Aussi, pour pallier cette difficulté de régulation entre marché et réglementation administrative, il faut envisager d’appréhender l’ensemble des relations entre l’eau et l’environnement, et, en raison de la multiplicité des acteurs, plus ou moins responsables, concernés par la ressource en eau, il semblerait qu’une gouvernance systémique soit apte à fournir une réponse pertinente. Une gouvernance systémique signifie que soient organisés des dispositifs fondés sur la concertation des acteurs, la coordination des actions, la confiance et la solidarité entre toutes les parties prenantes aux différentes échelles territoriales, du plus petit ruisseau jusqu’à la planète. La concertation peut permettre d’anticiper les solutions de conflits entre usagers (par exemple entre irrigants et ostréiculteurs) ou encore entre États traversés par un grand fleuve international (Daoudy, 2000).

3De toutes façons, si « l’eau doit rester une ressource partagée » (Barraqué, 2008, p.78), cette affirmation implique une gestion de la ressource qui prenne appui sur une analyse approfondie du fonctionnement du système eau où l’on puisse identifier et mobiliser tous les responsables, analyse indispensable si l’on veut réduire les inconvénients résultant d’abord de la surconsommation mais aussi de la pollution. Le cycle hydrologique se décompose en deux :

  • le petit cycle qui couvre l’ensemble des prestations effectuées par l’homme pour satisfaire les besoins agricoles, industriels et domestiques.
  • le grand cycle que l’on peut scinder : d’un côté le volet « local », cas des bassins versants – quelle que soit leur taille – qui relève d’une gestion territoriale intégrée de la ressource, de l’autre côté le volet « global » à l’échelle planétaire. Ces deux volets restent, certes, dominés par les lois naturelles – évaporation, précipitation – mais ils sont aussi largement perturbés par les activités humaines responsables, en raison de l’émission de gaz carbonique, selon les scientifiques à 80 % de l’effet de serre. Il en résulte de grandes variations quantitatives et qualitatives de la ressource en eau dans le temps et dans l’espace. La recherche d’innovations techniques pour réduire l’émission de gaz carbonique, ou pour produire des substances rendant l’eau potable est indispensable mais elle ne doit pas exclure la mise en œuvre d’innovations organisationnelles conditions permissives d’une gestion efficace de la ressource et de transmissions de bonnes pratiques. En effet, la « gestion active de l’eau » (dessalement, réalimentation des nappes, réutilisation, etc.) proposée par les grandes sociétés industrielles chargées de l’approvisionnement et de l’épuration est-elle suffisante pour garantir un développement durable ? L’humanité peut-elle compter sur les progrès de la recherche scientifique pour fournir les solutions techniques d’une gestion de l’eau garantissant le développement durable ou doit-elle se méfier des mirages technologiques et, dès lors, se doter d’un autre modèle de développement? Il apparaît que les solutions proposées comportent une forte empreinte écologique, un impact environnemental non négligeable et un coût en énergie prohibitif dans la perspective d’une généralisation (Mancebo, 2006).
Ceci nous conduit tout naturellement à nous interroger sur les possibilités de changer les modes de production et de consommation et sur l’acceptabilité de ce changement par l’humanité.

4En raison de la multiplicité des facteurs intervenant dans le fonctionnement (voire l’évolution) du cycle de l’eau et en raison de l’enchevêtrement des phénomènes quantitatifs et qualitatifs qui affectent la ressource en eau dans un éventail qui va de la pénurie à l’excès (inondations) en passant par la frustration d’une eau potable, la réaction doit être globale pour augmenter la disponibilité de la ressource, pour limiter la pollution. Le système eau requiert une gouvernance systémique dont nous présenterons les différentes dimensions et que nous justifierons après avoir détaillé les pressions qui s’exercent sur le cycle de la ressource dans un premier temps, puis dans un deuxième temps les apports essentiels des innovations dans les services de fourniture et de traitement des eaux dans une mondialisation où les solutions locales et globales doivent entrer en synergie pour atteindre un développement durable ce que nous développerons dans un troisième point. La gestion de l’eau exige une gouvernance systémique multi scalaire indispensable pour coordonner les acteurs : une gouvernance locale pour traiter les problèmes au plus près selon le principe de subsidiarité, une gouvernance mondiale pour traiter des problèmes tels que la pollution des mers, le réchauffement climatique.

1 – Les pressions sur le cycle de l’eau

5Dans la perspective d’un développement durable, il importe de connaître le fonctionnement du cycle de d’eau dans toutes ses dimensions locales et globales, et d’identifier tous les facteurs qui risquent d’affecter les caractéristiques quantitatives et qualitatives de la ressource. Les interactions entre l’eau et l’environnement sont multiples : si elle apporte des limons fertiles elle se charge aussi de substances nocives comme la bioaccumulation des polluants à toxicité différée. L’exemple de la concentration de DDT (pourtant interdit depuis longtemps) dans les poissons carnassiers des grands lacs américains ou encore de substances bioaccumulables (entre le plancton et le cormoran la concentration est multipliée par 1000) illustre la gravité des enchaînements non contrôlés. L’eau source indispensable à toute forme de vie peut se transformer en vecteur de mort. Le Cycle millénaire de l’eau est soumis à des pressions quantitatives et qualitatives qui modifient sa disponibilité dans le temps et dans l’espace.

1.1 – Un cycle presque parfait

6« Chaque année, 110 000 km3 passent ainsi du ciel à la terre, 467 000 km3 arrosent les océans, essentiellement dans la zone équatoriale. Si la température de l’air est trop forte, l’eau précipitée ne parvient pas toujours au sol. Quand elle atteint la terre ferme, elle est d’abord captée par la couverture végétale – lorsqu’il y en a une-, sur laquelle elle s’évapore en partie. Ce qui reste tombe au sol, ruisselle (42 600 km3) ou s’infiltre dans le réseau hydrographique souterrain (2 200 km3) : rivières aveugles, nappes phréatiques, sources, puits, gouffres et grottes contiennent 8 200 000 km3 d’eau. Les lacs et les étangs n’emprisonnent que 105 000 km3 d’eau. 70 000 km3 imprègnent la terre. Par ce lent cheminement, l’eau entraîne toute la machinerie climatique du globe et se lave de ses polluants : l’évaporation est la centrale d’épuration des océans. » (Denhez, 2007, p. 11).

7Le Cycle millénaire de l’eau dont les données ont été quantifiées par les scientifiques est depuis quelques années perturbé par les activités humaines (agricole, industrielle, domestique) qui prélèvent sans compter et qui ne restituent pas toujours une eau épurée dans la nature.

1.2 – Des pressions quantitatives

8Elles couvrent un large spectre de situations : cela va du stress hydrique voire la pénurie et jusqu’à l’inondation (crues catastrophiques ou cyclones) qui rend toute eau impropre à la consommation. Seulement 0.01 % de la masse totale d’eau sur terre est utilisable pour l’ensemble des besoins humains.

9La part d’eau disponible pour chaque individu ne peut que diminuer si la population de la planète continue à croître. L’UNESCO (1999) précise : « De combien d’eau un terrien dispose-t-il en moyenne ? D’un volume deux fois plus petit qu’il y a 50 ans. En 1950, les réserves mondiales (après déduction de l’eau utilisée par l’agriculture, l’industrie et les ménages) se montaient à 16 800 mètres cubes par personne et par an. Elles sont aujourd’hui tombées à 7 300 mètres cubes et devraient se limiter à 4 800 mètres cubes dans 25 ans. »

10Le stress hydrique menace déjà certains territoires : il est très élevé si les réserves sont inférieures à 1000 m3/an/habitant on parle alors de pénurie hydrique, élevé si elles sont de 1 000 à 2 000 m3, modéré si elles sont de 2 000 à 5 000 m3, or l’Afrique et l’Asie sont déjà au seuil de 2 000 m3.

11L’utilisation se répartit entre les secteurs approximativement de la manière suivante selon les pays :

  • l’agriculture 65 à 70 % (essentiellement pour l’irrigation)
  • industrie 20 à 25 %
  • foyers particuliers environ 10 %
Aux États-Unis, le secteur agricole prélève 50 % de la ressource, ce pourcentage s’élève à plus de 85 % en Asie et en Afrique.

12L’irrigation requiert des volumes considérables ; 1 hectare de maïs nécessite entre 4 500 et 6 500 m3 d’eau (20 000 m3 durant la période végétative), la même surface de riz utilise en moyenne, un cubage double de ce dernier chiffre. Elle s’étend aujourd’hui sur 250 millions d’hectares. L’extension de cette pratique peut-elle être « durable » ?

13L’industrie comme l’agriculture utilise l’eau comme input de production de biens :

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Source : Philipon (2008, p.34)

14Il est clair que la poursuite de la croissance économique, sans modification des modes de vie et sans progrès dans les techniques de production, restera un facteur déterminant de la pression sur la ressource en eau et sa dégradation. Ainsi la production de biocarburant vient en concurrence avec la consommation humaine.

15Les besoins croissants en pétrole génèrent des catastrophes écologiques. Ainsi, l’exploitation technique des sables bitumineux en Alberta au Canada devient rentable en raison de la hausse des prix du pétrole. Mais pour obtenir un baril de pétrole il faut encore de deux à cinq barils d’eau pour nettoyer les sables. Or, si la loi de l’Alberta impose de construire des bassins de rétention pour stocker les résidus et empêcher les eaux usées de contaminer les nappes phréatiques, la loi permet également à six millions de litres de boues, contenant de l’arsenic et du mercure, de s’échapper chaque jour des réservoirs dans les nappes dont une partie passe dans la rivière. Alors que l’impact, déjà important sur la santé des plantes, des animaux, des habitants, est largement occulté par les responsables, le projet est d’augmenter la production de pétrole de 60 % d’ici 2015 et donc de détruire une nouvelle partie de la forêt. [1].

16Au vingtième siècle, la population mondiale a triplé tandis que la consommation d’eau pour les activités humaines a été multipliée par six. L’utilisation des ressources disponibles pose des problèmes même dans les bassins fluviaux tempérés en effet, elles sont utilisées de façon tellement intensive que les eaux superficielles et souterraines sont polluées et que l’eau de bonne qualité se fait rare.

1.3 – Des pressions qualitatives

17Le Conseil Mondial de l’eau a dressé un bilan alarmant. Un milliard de personnes ne dispose pas d’une eau potable, saine et accessible, 2.6 milliards ne disposent pas d’évacuation des eaux usées et 6 à 8 millions de personnes meurent chaque année de maladies dues à l’absorption d’une eau polluée impropre à la consommation. L’eau sert de poubelle pour l’évacuation des déchets.

18L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime que chaque année environ 450 kilomètres cubes (375 millions de litres) d’eaux usées sont rejetés dans les rivières, les lacs et sur les côtes. La dilution et le transport d’une telle quantité de déchets requièrent au minimum 6 000 kilomètres cubes (5 milliards de litres) d’eau claire. La FAO estime qu’au rythme actuel, d’ici à 40 ans, la masse d’eau de l’ensemble du système des rivières stables sera requise rien que pour diluer et transporter les déchets humains (Olivaux, 2007, p. 104).

19L’eau est un vecteur transversal de l’écosystème en interaction avec tous les éléments naturels et avec toutes les activités humaines. En interaction avec l’ensemble de la biosphère elle accumule dans l’environnement traversé des propriétés bénéfiques (minérales) et elle permet en retour de fertiliser une partie de cet environnement en déversant des limons utiles à la culture. Cependant le développement de l’activité humaine (domestique, collective, agricole, industrielle) a multiplié les rejets d’éléments que l’eau accumule de l’amont vers l’aval jusqu’aux océans et qui la rendent impropre à l’utilisation sans opération de traitement et d’épuration. Les charges en micropolluants sont d’autant plus inquiétantes qu’on est loin de connaître tous les effets de l’interaction et de la synergie de ces éléments dans les milieux traversés. La bioaccumulation constitue une grave menace à plus ou moins long terme pour la santé humaine : les dégâts subis par la biodiversité sont les prémisses de situations sans doute plus dramatiques d’autant plus qu’il n’est pas facile d’identifier l’origine des problèmes. Il a fallu du temps par exemple pour trouver l’origine de la pollution qui a affecté l’activité ostréicole de l’estuaire de la Gironde et pouvoir l’imputer au déversement de cadmium par une usine très en amont dans un des fleuves qui alimentent la Gironde.

20Par ailleurs, la sectorisation de l’action publique entraîne des difficultés de coordination entre les responsables et les services techniques et génère des dysfonctionnements et des effets parfois négatifs sur les territoires. Ces situations ont été critiquées par le professeur Lefeuvre du Muséum d’Histoire Naturelle, devant les Comités de Bassins qui avaient été réunis par les Agences de Bassin en mai 2006. Il a notamment dénoncé des « contorsions curatives » consistant en mélanges d’eaux pour diluer les pollutions, en abandon de captages trop pollués, en subventions au traitement des pollutions et non à leur réduction à la source. Il demeure selon lui « qu’une véritable politique de prévention fait défaut » propos rapportés dans Le Monde du jeudi 25 mai 2006. Cette politique aura naturellement sa place dans la prospective qui sera menée dans le cadre d’une gouvernance systémique, ce qui implique une réflexion collective comme cela se pratique dans les conférences de consensus.

21Les responsables des pollutions n’étant pas toujours directement identifiables, l’application du principe pollueur-payeur ne peut être mise en pratique : c’est ainsi que la profession agricole a été exonérée de tout paiement de redevances tant pour l’utilisation que pour la pollution de l’eau.

22L’identification des responsables et la répartition des responsabilités sont encore plus délicates lorsque c’est le changement climatique qui affecte la disponibilité de la ressource.

1.4 – Une pression plus diffuse et globale

23Les changements climatiques, l’effet de serre affectent en profondeur le Grand Cycle de l’eau dont le fonctionnement subit d’importantes modifications dans le temps et dans l’espace. Dans certains territoires la sécheresse se développe et le désert s’étend : l’Australie enregistre cette année des températures record, la Chine est soumise à un grand déficit hydrique et au rationnement des populations. D’autres territoires reçoivent des précipitations plus ou moins violentes (ouragans, cyclones) provoquant des inondations. Le nombre de catastrophes liées au climat a quadruplé en 20 ans : de 120 à 500. En 2007, on dénombre 950 catastrophes naturelles. Pour l’ensemble de la planète il reste à considérer une lente montée du niveau des océans générée par la fonte des glaciers polaires. La désintégration de la plateforme de Wilkinson en Antarctique illustre à quel point il est urgent d’intervenir pour lutter contre le réchauffement climatique.

24L’émission de gaz CO2 est bien identifiée comme facteur déterminant du changement climatique, les émetteurs responsables actifs ou passifs sont nombreux et il est difficile d’évaluer les émissions dans le temps et l’espace. La production des émissions fait l’objet d’innovations dont l’efficacité reste difficile à évaluer en raison de la variabilité temporelle et spatiale des effets et en raison de l’inégal engagement des Etats dans les actions de réduction.

25Face à la complexité et une insuffisante connaissance des interactions intervenant dans le Grand Cycle de l’eau les différentes pressions, qui s’exercent sur l’eau de manière directe ou diffuse, ont déclenché des réactions palliatives et la recherche de solutions innovantes pour repousser les limites de l’offre et réduire les contraintes de la disponibilité de l’eau.

2 – Les innovations technologiques dans les services de l’eau

26Le Monde de l’économie (8 juillet 1997) titrait à propos du tourisme, « l’or bleu » première industrie mondiale. Une décennie plus tard « la planète bleue » offre aux grandes sociétés internationales une source de profit quasi inépuisable dans leurs activités de captage, de distribution et d’épuration de l’eau, du fait de la délégation du service public mais surtout de recyclage tant les activités humaines rejettent d’eau polluée.

27Dans cet environnement les grandes sociétés ont mis en œuvre « une gestion active de l’eau », en innovant notamment dans les services infrastructurels, qui s’appuie sur « toute une gamme de technologies artificielles réputées pouvoir répondre à tous les problèmes tant quantitatifs que qualitatifs, que pose aujourd’hui la gestion de la ressource en eau » (Laime, 2007).

28Cette gestion active de l’eau fait appel à des innovations et comporte plusieurs solutions technologiques mises en œuvre par des acteurs puissants.

29La concurrence pour une même ressource entre États ou entre utilisateurs génère des comportements conflictuels : c’est le cas du partage des eaux des grands fleuves internationaux. C’est aussi le cas du partage des eaux entre agriculteurs irrigants et ostréiculteurs, ce qui incite à rechercher des solutions pour améliorer la disponibilité de l’offre.

30Il est possible d’identifier plusieurs stratégies d’acteurs, notamment stratégies de croissance et de conquête des marchés, pratiquées par les grandes sociétés, stratégies de construction de grands équipements, pratiquées par les États comme réponse à l’accroissement des besoins humains.

31Ces stratégies risquent de démobiliser les individus peu conscients de l’urgence d’une gestion de la ressource dans la perspective de garantir un développement durable.

2.1 – La réalimentation artificielle des nappes

32Face à la baisse quasi générale des eaux souterraines, des techniques de recharge des nappes phréatiques sont mises en œuvre par l’injection d’eau de bonne qualité par des forages, par des tranchées ou encore par l’intermédiaire de retenues d’eau. La réalimentation des nappes permet aussi d’éviter le risque d’intrusion salifère et les affaissements de territoire (Ferrari et Point, 2003), mais les techniques de recharge sont complexes en fonction de la texture du sol et peuvent se révéler coûteuses en énergie. Les ressources sont très importantes, on dénombre en France 450 aquifères indépendants, dont 200 exploitables. On estime que celles-ci renferment 2 000 milliards de m3, dont 100 milliards s’écoulent vers les sources et les cours d’eau. Sept milliards de m3 sont puisés chaque année dans les nappes, dont 50 % pour l’eau potable, couvrant ainsi 63 % des besoins domestiques, 20 % des besoins agricoles et 25 % des besoins industriels.

2.2 – La réutilisation des eaux usées

33Pour compenser les prélèvements excessifs, cette technique connue de plus en plus sous l’expression « re-use », consiste à récupérer les eaux usées et à leur appliquer un traitement variable selon l’usage visé qui ne nécessite pas une eau potable : irrigation, utilisation industrielle, recharge de nappes soumises à la salinisation. Cette pratique qui évite le retour dans le milieu naturel constitue, en fait, un marché immense, puisque la ressource augmente en même temps que les prélèvements et la croissance de la pollution. Sachant que sur les 369 milliards de m3 d’eaux usées collectées dans le monde en une année 2 % seulement sont retraités, la gestion active de l’eau a de belles perspectives de développement. Cependant, il existe un frein psychologique et le coût dépend de la qualité finale souhaitée.

2.3 – Le dessalement de l’eau de mer ou de l’eau saumâtre

34Cette technique qui ne concerne que 0,3 % de l’eau consommée, produit 35 millions de m3 d’eau douce chaque jour par 12 000 installations. Le développement de cette pratique est rapide : on prévoit un doublement de la production tous les dix ans.

35Deux grands types de procédés sont mis en œuvre. Le premier, thermique, repose sur la distillation : il consiste à chauffer l’eau de mer pour produire une vapeur d’eau pure. Pour produire un mètre cube d’eau selon la technique utilisée, le coût en énergie est de 15,5 kWh ou 7,5 kWh.

36Le second procédé, l’osmose inverse, utilise des membranes synthétiques semi-perméables qui retiennent le sel : le coût en énergie est de 4 à 5,5 kWh par mètre cube d’eau produite. (Latteman, 2008).

37Le dessalement nécessite donc une grande consommation d’énergie dont le coût ne pourra baisser qu’avec le nucléaire et surtout chaque litre d’eau dessalée produit un litre d’eau de saumure qu’il faut évacuer avec des conséquences écologiques non négligeables sur la flore et la faune.

2.4 – La construction d’aqueducs

38Ils sont destinés à apporter de l’eau dans les régions qui en manquent; cela est certes techniquement réalisable mais ces transferts d’eau ne sont pas sans impact écologique sur les fleuves dont ils détournent les eaux. À l’assèchement s’ajoutent des gaspillages, des pertes par évaporation et par infiltration. Les exemples d’assèchement sont nombreux : on peut citer les fleuves Colorado et Yang-Tseu-Kiang qui n’arrivent plus à la mer que lors de grandes crues ou quelques mois par an, détruisant les écosystèmes fluviaux et détériorant le milieu marin privé d’eau douce et de nutriments. La Mer d’Aral est aussi un exemple de catastrophe écologique.

39La finalité de ces transferts est l’irrigation pour la production agricole réalisée par de grandes exploitations exportatrices qui laissent peu de place aux paysans souvent chassés de leurs terres.

2.5 – La construction de barrages

40Parfaitement maîtrisée sur le plan technique si les règles sont respectées, la construction de grands barrages permet de constituer des réserves d’eau. Leur nombre est passé, entre 1949 et 2000 de 5 000 à 45 000. (Critères : hauteur de chute supérieure à 15 mètres ou retenue de plus de 3 millions de m3). Cependant, à l’instar des aqueducs qui détournent les eaux des fleuves, les barrages ont un impact écologique important. Ils ont aussi un impact social qui affecte le développement durable (Blanc et Bonin, 2008) dans la mesure où le déplacement des habitants n’est pas souvent réalisé dans les meilleures conditions. C’est le cas du réservoir de Yuqiao qui a entrainé le déplacement des habitants de cent quarante et un villages. « Sans doute n’y aurait-il eu aucune plainte si les fermiers de la région avaient réellement tiré profit du barrage… Mais comme ce fut le cas pour tant de grands projets grandioses, les cadres locaux à l’origine de la construction du réservoir de Yuqiao omirent de vérifier les caractéristiques géologiques de la région. Le barrage, d’une longueur de 2 kilomètres, fut construit sur un sol sablonneux. En seulement quelques années, l’eau filtrait, créant un immense marécage en aval. En résulta la destruction de 20000 hectares de terres qui, jusque là, nourrissaient près d’un million de personnes, dans les six comtés principaux situés en aval. » (Qing, 2008, p. 38). On peut ajouter le cas du barrage d’Assouan, maintenant saturé de limons, qui font cruellement défaut en aval pour les cultures.

2.6 – "Sahara Forest Project" : Des serres humidifiées grâce à l’énergie solaire

41(Le Monde 27-09-2008)

42Le projet associe deux technologies maîtrisées : la centrale solaire, déjà mise en œuvre dans le désert de Mojave (Californie), pour dessaler de l’eau de mer permettant d’humidifier l’air afin de créer des conditions propices à la culture et le système de serre déjà utilisé à Tenerife, Oman et dans les Émirats arabes unis.

43Certes ce projet pourrait être transposé dans le sud de l’Espagne où la culture sous serres assèche les nappes phréatiques, mais il faut considérer le coût estimé à 80 millions d’Euros pour des serres de vingt hectares et une centrale de dix mégawatts.

2.7 – Le transfert d’eau douce vers les territoires en déficit hydrique

44Le transfert d’eau douce par navires-citernes, par grands sacs flottants, par aqueducs ou plus communément par bouteilles, implique des coûts prohibitifs mais est déjà mis en œuvre par un certain nombre de pays. La rareté croissante des ressources en eau douce dans différents territoires de la planète permet de comprendre que la recherche de solutions innovantes devienne une priorité. Il en est ainsi de l’eau virtuelle importée dans les produits alimentaires dans les pays en déficit hydrique. Une autre menace réside dans le fait que ces produits importés, souvent subventionnés, viennent concurrencer une production locale déjà en grande difficulté.

2.8 – L’incomplétude d’une « gestion active de l’eau »

45Les différentes solutions mises en œuvre pour accroître la ressource en eau sont des réponses ad hoc à des situations particulières très différentes d’un territoire à l’autre. Néanmoins, la plupart de ces innovations technologiques s’inscrivent dans une logique scientifique triomphante illustrée dans l’organisation en 1977 par l’AFCET d’un colloque sur le thème ambitieux de « Modélisation et maîtrise des systèmes techniques, économiques et sociaux ». S’il est rationnel de prétendre maîtriser les systèmes techniques, la débâcle financière de l’année 2008 laisse perplexe en ce qui concerne la maîtrise des systèmes économiques; quant à la maîtrise des systèmes sociaux, une levée de boucliers a convaincu de réagir et de proposer en compensation une vision moins technocratique, prenant en compte la diversité des stratégies et comportements d’une société complexe. Dans cet esprit, en 1979 l’AFCET a proposé un colloque sur le thème : « Petits groupes et grands systèmes », démontrant ainsi l’importance d’initiatives, certes limitées, mais justifiant la participation de toutes formes d’initiatives dans la gestion du cycle hydrologique, c’est-à-dire d’un grand nombre de groupes d’acteurs intervenant à différentes échelles, temporelles et spatiales.

46Boy (1999), dans son livre sur « le progrès en procès » nous invite à considérer avec lucidité, d’une part certes, les apports potentiels de la recherche scientifique et technique, mais aussi les limites de solutions plaquées sur un système hydrologique dont on ne maîtrise pas le fonctionnement, doublement soumis aux aléas naturels et aux comportements d’une société humaine apparemment encore peu sensibilisée au développement durable.

47Ces considérations convergent vers l’interrogation formulée par Laime (2007, p. 24) à propos de la « gestion active de l’eau » :

48« Nous avons déjà changé d’ère. Alors que les ressources en eau sont de plus en plus menacées, sur toute la planète, les tenants d’un nouveau néo-libéralisme vert promeuvent intensivement une gamme de « solutions technologiques » censées répondre à tous les problèmes de la gestion des ressources en eau. Cette fuite en avant fait l’impasse sur toute remise en cause d’un système productiviste destructeur, mais ouvre de fabuleux marchés aux grandes entreprises privées du secteur. Dans ce domaine la responsabilité de la France sera primordiale. Est-ce bien cette eau « high-tech » que nous voulons pour demain ? » (ibid.).

49N’est-il pas paradoxal, dans ce monde qui voudrait assurer un développement durable, de sacrifier à la croissance, ici, en utilisant de l’eau pour produire du pétrole à partir de sables bitumineux qu’il faut laver et qui laissent une eau polluée, et là, en utilisant du pétrole pour dessaler l’eau de mer par des procédés qui rejettent de l’eau de saumure.

50Certes, il faut faire confiance au progrès technique pour produire des « solutions technologiques » innovantes ou palliatives, à condition de ne pas appauvrir les populations locales et de ne pas aggraver l’empreinte écologique sur l’environnement. Il faut éviter que le recours à un surcroît d’énergie, devienne un handicap pour le développement durable. C’est pourquoi il importe d’appréhender le problème de la gestion de l’eau dans la globalité des interrelations systémiques avec l’environnement, couvrant l’ensemble du cycle de l’eau depuis le captage jusqu’à son retour dans la nature.

3 – Une gouvernance qui prenne en compte une gestion systémique de l’ensemble du cycle global de l’eau

51La gestion de l’eau n’est pas un système fermé car à la complexité du système physique s’ajoutent (se superposent) l’intervention et l’implication d’une multitude d’acteurs à différentes échelles spatiales (le pêcheur à la ligne, l’agriculteur, l’industriel, la collectivité locale, l’État, la communauté internationale…). L’eau est un bien public de responsabilité collective. La gouvernance doit mettre en œuvre une gestion démocratique (associant l’individu), une gestion fondée sur le principe de subsidiarité active (responsabilité confiée aux acteurs les plus proches de la ressource), une gestion ayant priorité sur toute valeur commerciale (certes l’eau a un coût mais cela ne doit pas entraîner son prix), une gestion qui ne doit pas laisser une place exclusive à une « gestion active de l’eau ».

52Il importe de prendre en compte la diversité des stratégies et/ou des comportements des acteurs.

53Les grandes sociétés développent des stratégies de conquête de marchés qui doivent tenir compte de plus en plus de la concurrence et des exigences de leurs clients.

54Les collectivités territoriales sont de plus en plus confrontées à une attente de leurs électeurs et, plus gravement, aux problèmes de réhabilitation de leurs réseaux hydrauliques.

55Les conflits entre États, partageant les ressources d’un même fleuve, sont de plus en plus prégnants, exigeant sans doute des comportements plus coopératifs (Callens, 2005).

56Les conflits de partage de la ressource sur des bassins plus restreints peuvent être résolus dans une concertation partenariale, tout en sachant que les engagements des agriculteurs irrigants sont de moyen/long terme alors que les ostréiculteurs ont des urgences de court terme.

57Enfin, ne sommes nous pas confrontés à des problèmes économiques et sociaux qui ne seront pas résolus par les seuls procédés techniques? C’est un changement massif de comportement que l’on peut espérer mettre en œuvre dans une gouvernance plurielle, qui puisse trouver sa place et s’installer durablement dans une complexité socio-économique qui devrait être en attente d’une démocratie participative.

3.1 – Une gouvernance plurielle

58Les intérêts divergents des acteurs peuvent être confrontés dans une concertation mise en œuvre dans une gouvernance systémique intégrant, agrégeant les différents niveaux de gestion de la ressource.

59Si les prélèvements pour l’irrigation de cultures dont la production commande au final le revenu des agriculteurs (et le remboursement d’emprunts importants) sont en concurrence avec la nécessité de laisser un débit suffisant d’eau douce indispensable à l’ostréiculture, il faut sans doute des règlements administratifs pour organiser la régulation de l’utilisation de l’eau d’un fleuve, mais il est sans doute aberrant d’attendre l’épuisement récurrent du débit (d’année en année) pour que l’autorité administrative (le Préfet) interdise l’arrosage. Une gouvernance territoriale pourrait utilement anticiper et résoudre le problème, peut-être pas dans le court terme compte tenu des engagements pris mais dans un moyen/long terme qui permettrait de préserver un développement durable dans sa forme équitable et viable.

60Par gouvernance plurielle il faut entendre une gouvernance mixte partenariale publique-privée. Nous retenons trois définitions qui mettent l’accent sur trois concepts clés précisant la manière d’agir, la consistance, le mode d’intervention de la gouvernance plurielle dans la perspective d’un développement durable des ressources naturelles dont l’eau.

61« La gouvernance territoriale, que nous définissons comme le processus d’articulation dynamique de l’ensemble des pratiques et des dispositifs institutionnels entre des acteurs géographiquement proches en vue de résoudre un problème productif ou de réaliser un projet de développement » (Gilly et Wallet, 2005).

62« Par opposition au terme de gouvernement qui caractérise une institution capable de dominer son environnement et susceptible de décider et d’exécuter sans partage, la gouvernance désigne la structure de pouvoir d’une institution qui est intégrée dans un environnement large et complexe qui ne peut être dominé. Cette institution voit ses activités et ses performances être tributaires des relations qu’elle noue de manière contractuelle et paritaire avec les différents éléments composant son environnement » (Ricordel, 1997).

63« La gouvernance peut être définie comme un processus de coordination d’acteurs, de groupes sociaux, d’institutions pour atteindre des buts discutés et définis collectivement. La gouvernance renvoie alors à l’ensemble d’institutions, de réseaux, de directives, de règlementations, de normes, d’usages politiques et sociaux, d’acteurs publics et privés, qui contribuent à la stabilité d’une société et d’un régime politique, à son orientation, à la capacité de diriger, de fournir des services et à assurer la légitimité » (Le Gales, 2006).

64De la première définition nous extrayons l’idée de « réalisation d’un projet ». S’il apparaît que de nombreux projets de barrages ont été réalisés sans égards pour la population locale et l’environnement, il importe maintenant d’associer de manière positive tous les acteurs géographiquement proches.

65Cette pratique a été mise en œuvre « dans la construction du barrage de Nam Theun sous la direction d’EDF au Laos, où une centaine de spécialistes veillent au respect des hommes et de la nature » (Au Laos un barrage-laboratoire, Le Monde, 27 août 2007.)

66De la deuxième définition, nous souhaitons souligner l’importance de la « contractualisation et partenariat » apte à permettre de pérenniser les engagements entre les acteurs de statuts souvent très différents (public, privé, associatif, etc.) compte tenu de la rémanence des phénomènes et de la bioaccumulation. Il faut aussi retenir la possibilité de se désengager pour une collectivité qui s’estime lésée par les termes d’un contrat trop lourd financièrement.

67De la troisième définition nous retenons l’idée de « processus de coordination » impliquant tous les acteurs notamment dans la gestion en continu de la ressource en eau d’un bassin hydrographique, quelle que soit sa taille, quel que soit le statut des acteurs. Il faut notamment prendre en compte les engagements pris à plus ou moins long terme par des « acteurs guidés par des déterminants non locaux inconciliables » (Bouba-Olga et ali., 2006). Comme il est difficile de changer de production dans un délai court pour un agriculteur, il est indispensable de se concerter avec tous les acteurs concernés et d’engager une gouvernance territoriale où chaque acteur aura sa place.

68À l’aune de ces principes normatifs, que pouvons nous déduire des tendances actuelles sachant que les principaux acteurs ont comme premier objectif de développer par tout moyen la disponibilité de la ressource en eau ?

3.2 – Une gouvernance partenariale et solidaire

69« L’Institution » visée dans la définition de Ricordel (1997), quelle que soit l’étendue territoriale de sa mission doit être créée en intégrant dès le départ les principaux acteurs concernés par la gestion de la ressource en eaux, dans un partenariat ouvert, associant gouvernance publique et privée.

70La gouvernance publique comporte l’application d’une réglementation et une surveillance collective pour assurer le contrôle.

71La gouvernance privée concerne les stratégies des entreprises et le comportement de chaque citoyen.

72Une gouvernance mixte et partenariale est susceptible de faciliter la concertation indispensable pour élaborer, mettre en place et faire respecter les bonnes pratiques d’une gestion durable de la ressource.

73Si l’on retient le principe que l’eau est un bien public de responsabilité collective, il est clair que cela entraîne trois impératifs :

  • d’abord une gestion démocratique seule capable de faciliter l’indispensable solidarité. « Or, l’un des principes fondamentaux d’une gestion démocratique est que tout ce que l’eau rapporte devrait au centime près, retourner à elle en dépollution, assainissement, investissements, etc. » sous le contrôle de la société civile.
  • d’où une gestion collective ayant priorité sur toute valeur commerciale, tout en sachant prendre en compte que si l’eau n’a pas de prix, elle supporte des coûts. Il est clair alors que l’affectation par la gouvernance des moyens financiers issus de ce que l’eau rapporte doit prendre en compte les différentes dimensions spatio-temporelles des problèmes à résoudre (Géocarrefour, 2005, 2006).
  • alors, s’impose une gestion fondée sur le principe de subsidiarité active, c’est-à-dire le principe de laisser les décisions à la discrétion des acteurs et des citoyens vraiment concernés sur un territoire, permettant sans doute de mieux résoudre les questions :
    1. de la diversité spatiale liée à la taille du bassin hydrographique qui demeure l’entité de base d’un territoire fonctionnel sur lequel devra intervenir la gouvernance institutionnelle. Celle-ci doit transgresser les compétences attribuées aux organismes publics et aux collectivités locales pour agir efficacement.
    2. de la diversité temporelle des phénomènes affectant l’accessibilité à la ressource : 1- à court terme, une catastrophe, une pénurie, une sécheresse exceptionnelle exigent une réactivité immédiate et de proximité. 2- à long terme, un choix de solution d’approvisionnement ou d’organisation d’un bassin hydrographique doit prendre en compte les interactions futures entre les activités des différents utilisateurs, et doit se construire dans le cadre d’une concertation démocratique et participative.

3.3 – Gouvernance et développement durable

74La gouvernance de « l’Institution » doit être apte à pratiquer une double démarche descendante et ascendante, c’est-à-dire qu’elle doit être apte à interpeller au niveau international les instances chargées de la justice, celles concernées par la pollution des mers, par l’effet de serre, par le réchauffement climatique autant de phénomènes qui influent sur la quantité et la qualité de l’eau et qui peuvent être considérés comme des biens publics mondiaux et doivent être traités comme tels (Hugon, 2003a, 2003b).

75Cette exigence fait référence à une gouvernance mondiale qui devrait pouvoir mobiliser les pouvoirs politiques et les gouvernements pour gérer ces biens publics mondiaux qui constituent des menaces pour la disponibilité de l’eau indispensable au développement durable.

76S’agissant du développement durable Godard (2007) nous propose une distinction que l’on retiendra avec attention pour la gouvernance de l’eau.

77« Il y a lieu de distinguer au sein de la problématique du développement durable ce qui relève de la recherche et de l’expérimentation de nouveaux modèles plus durables de production, de consommation et d’aménagement et ce qui relève de l’évitement des situations et processus absolument non durables il est plus aisé de se faire une représentation assez concrète d’un développement non durable que d’un développement durable. Comme le propose Theys (2000), les deux objectifs conduisent à des conceptions de l’action et à des dispositifs institutionnels différents. Eviter les évolutions absolument non durables doit demeurer une responsabilité éminente de l’Etat, tandis que la promotion d’actions positives de développement durable, qui passe notamment par de nombreuses expérimentations, requiert la décentralisation et l’autonomie locale. Il appartient in fine aux régions, aux microrégions, aux pays et aux espaces locaux d’essayer de donner un contenu positif au développement durable en promouvant l’innovation économique et institutionnelle et en densifiant le tissu endogène d’interactions au sein du territoire, tout en reconnaissant et assumant les exigences du développement durable formulées à des niveaux plus élevés d’intégration territoriale » (Godard, 2007, p. 94). Cette longue citation met bien l’accent sur le rôle majeur que peuvent avoir de petits groupes prenant des initiatives dans la protection de la ressource, mais aussi sur l’urgence de mettre en œuvre une gouvernance mondiale face au cycle hydrologique naturel de l’eau largement influencé par un système international de gestion de l’eau non contrôlé comme le système financier.

Conclusion

78Les services infrastructurels s’inscrivent dans le cycle de l’eau. Les innovations techniques sont indispensables et constituent des avancées certaines pour améliorer la gestion de la ressource. Cependant l’incomplétude de cette « gestion active de l’eau » pour résoudre les problèmes posés par les pressions croissantes quantitatives et qualitatives qui s’exercent sur la ressource appelle une gouvernance systémique. L’imbrication des échelles territoriales, la multiplication des catastrophes imputables au changement climatique, l’accumulation des substances à nocivité différée, doivent conduire impérativement à une prise en compte globale, spatio-temporelle du système dans la perspective d’un développement durable. Il s’agit d’analyser les interactions, d’anticiper l’évolution et de préparer les mesures préventives avant qu’il ne soit vraiment trop tard.

79Il faut faire appel à la responsabilité individuelle apte à obtenir en petits groupes des modifications importantes de comportement, mais aussi, et ce sera plus long, à une gouvernance mondiale en dépit de l’absence de gouvernement mondial (Godet, 2008).

Bibliographie

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Notes

  • [1]
    cf. COURRIER INTERNATIONAL, 2008 n°230
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