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Article de revue

Les difficultés des enseignants en fin de carrière : des révélateurs des formes de pénibilité du travail

Pages 149 à 170

Notes

  • [1]
    Dominique CAU-BAREILLE : Institut d’Etude du Travail de Lyon à l’Université Lyon 2 (Lyon, France) - Centre de Recherches et d’Etudes sur l’Age et les Populations au Travail (Noisy le Grand, France) - dominique.cau-bareille@univ-lyon2.fr
  • [2]
    Les données présentées ici sont issues d’un travail ayant déjà fait l’objet de plusieurs publications, dont certaines développent plus particulièrement l’activité en fin de carrière des enseignants de niveau maternel : Cau-Bareille D. (2011), Cau-Bareille D. (2012).
  • [3]
    Selon les besoins du service et le mode de gestion des établissements, le chef d’établissement peut obliger les enseignants à réaliser au moins 2 heures d’heures supplémentaires.
  • [4]
    L’État français a mis en œuvre en 2006 le plan national d’action concertée pour l’emploi des seniors portant sur trois axes : 1- l’amélioration des conditions de travail et de prévention de la pénibilité, 2- l’aménagement des fins de carrière, 3- la transition entre activité et retraite. Plus offensive, la Loi de Financement de la Sécurité Sociale du 17 décembre 2008 a ensuite fortement incité les branches et les entreprises ou groupes d’entreprises employant au moins 50 salariés à signer des accords ou à élaborer des plans d’action en faveur de l’emploi des salariés âgés. Ils devaient prévoir un objectif de maintien dans l’emploi des salariés de plus de 55 ans et / ou un objectif d’embauche de salariés de plus de 50 ans, ainsi que des mesures susceptibles de contribuer à l’atteinte de ces objectifs globaux relevant d’au moins trois des six domaines d’action suivants : 1- recrutement de salariés âgés dans l’entreprise, 2- anticipation de l’évolution des carrières professionnelles, 3- amélioration des conditions de travail et prévention des situations de pénibilité, 4- développement des compétences et des qualifications, et accès à la formation, 5- aménagement des fins de carrières et de la transition entre activité et retraite, 6- transmission des savoirs et des compétences et développement du tutorat.
    À compter du 1er janvier 2010, ceci devient une obligation. À défaut, les entreprises ou institutions devront s’acquitter d’une contribution égale à 1 % de leur masse salariale.

1 – Introduction

1Cet article se propose d’aborder, au travers de l’approche ergonomique, les problèmes spécifiques que rencontrent les enseignants en fin de carrière, de manière à comprendre les motivations à l’origine des départs précoces. Il s’appuie sur une recherche réalisée en 2008-2009, co-financée par le Conseil d’Orientation des Retraites (COR) et le Centre de Recherches sur l’Age et les Populations au Travail (CREAPT), ayant pour objectif de comprendre comment les enseignants de plus de 50 ans investissent cette étape de leur carrière, les difficultés particulières qu’ils rencontrent dans cette phase de leur parcours professionnel, autour de quels facteurs s’élaborent les choix de sorties précoces du métier (Cau-Bareille, 2009).

1.1 – L’enjeu de la prise en compte de la problématique du vieillissement en France

2La France, comme beaucoup de pays européens, est confrontée à un vieillissement de sa population. Le vieillissement des baby-boomers questionne l’équilibre financier des systèmes de protection sociale et des régimes de retraites. Dans ce contexte, le maintien en emploi des seniors représente un enjeu important : à la fois du côté des pouvoirs publics qui cherchent à réduire les déficits des caisses de retraite et du point de vue de la gestion des ressources humaines. En France, cela s’est traduit par l’augmentation par l’Etat des annuités de cotisation pour pouvoir prétendre à une retraite à taux plein. Les enseignants ne font pas exception à cette mesure. Pour être schématique, ceux travaillant dans le premier degré (maternel et élémentaire) ont vu l’âge légal de départ à la retraite passer progressivement de 57 à 60 ans. Ceux du second degré (collège et lycée) ont vu l’âge de départ à la retraite passer de 60 à 62,5 ans. S’ils partent avant d’avoir atteint cet âge légal, ils font l’objet d’une décote dans le calcul de leur retraite en fonction des mois manquants. Malgré cette mesure dissuasive, 25 % d’enseignants optent pour des départs anticipés, en particulier dans le premier degré.

1.2 – Des pyramides des âges qui rendent urgentes des réflexions sur les fins de carrière [2]

3Si l’on considère l’ensemble de la population enseignante française dans le 1? et 2? degré, deux phénomènes ressortent nettement. Les cohortes des plus de 50 ans sont très nombreuses : 21 % dans le premier degré et 32 % dans le second degré et devraient augmenter dans les années à venir. Les femmes sont majoritaires dans ces niveaux scolaires : leur pourcentage est d’autant plus important qu’elles travaillent avec de tout jeunes enfants (91 % en maternelle - 83 % en élémentaire - 57 % dans le 2? degré).

4Par ailleurs, la politique actuelle de recrutement à l’Education Nationale vise à réduire le nombre de fonctionnaires, donc d’enseignants : pour le départ de deux fonctionnaires, un seul est recruté. D’où les inquiétudes des directions face aux départs précoces : comment maintenir dans l’emploi et en santé les enseignants en fin de carrière ?

5Les métiers de l’enseignement ne font pas partie de ceux considérés comme les plus pénibles au vu des critères de pénibilités fixés par la loi 2011 et pouvant donner lieu à des dispositifs spécifiques d’aménagement des fins de carrière. Les sollicitations physiques, le port de charges lourdes, le travail répétitif sous cadence, le travail posté… sont les formes de pénibilités référencées comme pouvant susciter une usure précoce. Ce ne sont pas des conditions de travail que l’on retrouve dans le travail enseignant.

6La pénibilité du travail d’enseignant prend des formes de pénibilité relativement invisibles et qu’il y a urgence à révéler pour comprendre ce retrait anticipé du marché du travail.

2 – Revue de littérature

7La plupart des recherches sur les fins de carrière dans le métier d’enseignant construisent un argumentaire réalisant une dichotomie entre bien-être/mal-être au travail. Elles analysent les attentes et les motivations intrinsèques et extrinsèques amenant un enseignant à exercer la même fonction pendant une quarantaine d’années. Hansez & coll. (2005) montrent que les décisions de départ relèvent souvent d’arbitrages difficiles entre des facteurs qui incitent à partir : évolutions du métier pouvant heurter les valeurs professionnelles, regard de la société vis-à-vis du système éducatif, manque de reconnaissance du travail réalisé - et - d’autres qui amènent à rester dans l’activité : plaisir d’exercer cette profession, à enseigner et à transmettre des connaissances et des valeurs aux élèves, d’échanger avec les parents, les collègues. Bieri (2002) montre dans une étude réalisée auprès d’enseignants Suisses que seuls un cinquième des départs précoces est dû à des insatisfactions professionnelles ; d’autres facteurs semblent donc intervenir dans les décisions de fins de carrière.

8Huberman (1999) a reconstruit deux types de parcours professionnels opposés chez les enseignants conduisant à différents types de retraits intérieurs en fin de carrière. Le premier scénario, s’inscrit dans un développement positif, mène, après les phases d’activisme et de sérénité, à un désengagement serein au cours des dernières années d’activité professionnelle. Le second, majoritaire selon Huberman, qui s’inscrit plus dans un développement négatif, mène, après les étapes de self-doubts et de conservatisme, à un retrait amer de l’activité professionnelle, voire anticipé. Les fins de carrière semblent dans les deux cas synonymes d’une modification de l’engagement professionnel en fin de carrière. Cette modification de l’engagement professionnel au fil de la carrière est à mettre en perspective avec de nombreux travaux pointant des problèmes d’épuisement professionnel, de burnout, de désengagement, de stress au travail, conflits entre la vie professionnelle et la vie privée pouvant être à l’origine de départs précoces chez les enseignants (Hansez & coll., 2005).

9Certains lient le problème à la santé des enseignants : troubles psychiques et de symptômes psychosomatiques (céphalées, troubles du sommeil, difficultés de concentration, fatigues chroniques, mélancolies, dépressions) (Estève J.-M. & Fracchia A., 1988 ; Cordie, 1998 ; Blanchard-Laville, 2001 ; Camana, 2002 ; Basco, 2003 ; Maroy, 2006 ; Lantheaume & coll., 2008 ; Gambert/Bonneau, 2009 ; Jeffrey, 2011 ; Papart, 2003).

10D’un point de vue plus pédagogique, Day et coll. (2006) pointent les difficultés dans les relations avec les élèves après 25 ans d’ancienneté, fragilisant leur sentiment d’efficacité personnelle en fin de carrière. Cela pose le problème des conditions de travail, de l’organisation du travail, des marges de manœuvre et des espaces et lieux de développement des compétences, des réformes imposées par l’administration scolaire.

11On peut regretter cependant que dans l’ensemble des travaux évoqués se posent peu le problème des difficultés d’exercice du métier au quotidien, de ce que demande le travail en fin de carrière en termes de ressources, d’ajustements, de remise en cause des stratégies de travail, des régulations nécessaires, possibles ou impossibles dans le champ du travail pour « tenir jusqu’à la retraite ». Ils évoquent peu le coût humain du travail pouvant nécessiter des ajustements dans les sphères hors travail. Comprendre l’endurance professionnelle nécessite de considérer l’enseignant non seulement comme un fonctionnaire officiant au sein d’établissements scolaires, mais aussi comme un acteur appartenant et interagissant au sein de multiples sphères sociales, régulateur actif dans l’élaboration et la construction de sa santé. En ergonomie, la notion de régulation désigne le processus mis en œuvre par les opérateurs pour construire des compromis entre contraintes antagonistes (Faverge et coll., 1970 ; Faverge, 1979-80). Elles sont des réactions du sujet à des perturbations et visent à reconstruire l’équilibre du système. Elles se manifestent généralement par des modifications des modes opératoires tout en restant dans les espaces de tolérance du système. Ce sont souvent des ajustements, des adaptations, des détournements, des transformations de procédures, cependant dépendantes des marges de manœuvres dans lesquelles s’inscrit l’activité. On peut les réinterpréter au niveau organisationnel comme des stratégies sous-tendues par des ré-élaborations plus ou moins implicites de règles (González & Weill-Fassina, 2005).

12Lapeyre et coll. (2006) ont également développé une approche des phénomènes d’usure au travail. Ils postulent que « les conditions de travail au sens large jouent un rôle prépondérant parmi les facteurs de l’usure, qu’elle soit de nature physique ou psychique. Les modes d’organisation et de management actuels produisent probablement une accentuation de cette usure au travail » (p. 6). Introduisant la notion « d’usure organisationnelle » pour évoquer les transformations des métiers, des conditions de travail, les auteurs font l’hypothèse que « l’usure organisationnelle doit être considérée comme un facteur déclencheur des deux autres types d’usure (physique et psychique), mais aussi comme un état de dégradation de l’organisation » (p. 8). Ils soulignent ainsi l’intrication forte entre les évolutions organisationnelles pouvant participer à la construction ou la déconstruction de la santé, physique, mentale, psychique et le processus de vieillissement au travail. Nos propres travaux de recherche sur le vieillissement au travail s’inscrivent dans cette double perspective, de vieillir par le travail eu égard aux évolutions des conditions de travail au fil du temps et du vieillir au travail.

3 – Méthodologie

3.1 – Approche

13Travailler sur les fins de carrière des enseignants impose de mener une réflexion sur les conditions de travail, en lien avec les évolutions touchant au cœur du métier, aux pédagogies, aux rapports avec les parents comme avec les élèves, à la dimension collective du travail, à la charge de travail, d’analyser les stratégies mises à œuvre dans l’activité de travail.

14Cela nécessite également d’aborder la pénibilité « ressentie » par les salariés, qui intègre à la fois le vécu des contraintes de travail, des éléments liés à la santé permettant ou non de faire face aux contraintes liées au métier, ainsi que ce qui se joue dans l’activité de travail en lien avec les marges de régulations possibles ou impossibles. « L’activité de travail est l’élaboration toujours provisoire de compromis entre les objectifs de production, des compétences dont dispose la personne, le souci de préservation de la santé » (Molinié, 2012, p. 328). Ce sont ces compromis que nous tenterons de mettre en évidence dans notre analyse.

15Aborder les dilemmes des fins de carrière requiert enfin de s’intéresser aux équilibrages recherchés entre les différentes sphères de vie car l’activité de travail s’inscrit dans un système d’activité global où se jouent des régulations (Curie, 2002).

3.2 – Méthode

16Après une phase préliminaire d’analyse bibliographique, de pré-enquête, nous avons procédé à des entretiens semi-directifs d’une heure et demi minimum auprès de 50 enseignants quinquagénaires (16 dans le premier degré – 34 dans le second degré), encore en activité ou jeunes retraités, volontaires et répartis dans divers établissements. Certains travaillaient à plein temps, d’autres à temps partiel, dans des quartiers favorisés comme dans des zones d’éducation prioritaire.

17Les personnes étaient contactées par téléphone ; lorsque la personne acceptait de nous recevoir, nous nous déplacions à leur domicile pour réaliser l’entretien.

Tableau 1

Répartition des personnes interrogées selon le type d’établissement et le sexe

Tableau 1
Maternelle Elémentaire Second degré Femmes 8 5 20 Hommes / 3 14

Répartition des personnes interrogées selon le type d’établissement et le sexe

18Nous avons élaboré une grille d’entretien portant sur le quotidien de l’activité, sur les modes opératoires mis en jeu dans le travail en fin de carrière, sur les stratégies de gestion des classes, des élèves, des parents, sur les rapports avec la hiérarchie ainsi que sur leur mode de vie. Nous avons cherché à montrer les difficultés du métier, surtout la manière dont y répondent ces enseignants en fin de carrière, ainsi que les stratégies de préservation mises en œuvre dans l’activité comme dans les autres sphères de vie. Les entretiens ont été enregistrés, retranscrits, puis renvoyés aux enseignants afin qu’ils puissent en avoir une trace, qu’ils puissent rajouter des éléments s’ils le souhaitaient ou qu’ils puissent clarifier des points importants. Nous avons réalisé une analyse qualitative des données, sans traitement automatique du langage.

19Notre échantillon étant limité, nous avons organisé au terme de l’étude des groupes de travail en lien avec les organisations syndicales afin de valider la pertinence et la représentativité de nos résultats, nos interprétations, et discuter de nos préconisations auprès d’un public d’enseignants plus large. Au total, une cinquantaine d’enseignants n’ayant pas participé à nos entretiens initiaux ont été sollicités dans cette phase de la recherche. Ces retours nous ont permis de conforter notre analyse puisque les enseignants présents nous ont apporté des témoignages allant dans le même sens que nos résultats. Ce processus de validation des données est méthodologiquement important lorsque l’on travaille sur des données qualitatives, sur de petits effectifs ; nous pouvions craindre un biais de sélection des personnes rencontrées.

20L’étude a été suivie par un comité de pilotage constitué de quatre représentants du COR, du directeur du CREAPT, un psychosociologue J. Curie (sus-cité), un responsable syndical et deux personnes en charge de la gestion du personnel à l’Education Nationale. Celui-ci s’est réuni à 5 reprises durant les deux années de l’étude afin de faire le point sur l’avancée de l’étude, mettre en débat les éléments recueillis, susciter des questions nouvelles pour approfondir les investigations, éventuellement mutualiser des réflexions et les ressources entre les différentes personnes présentes (statistiques, bibliographiques). Cette construction sociale autour de la recherche est méthodologiquement importante en ergonomie car elle permet de faire évoluer les représentations des acteurs présents tout au long de l’étude, de mobiliser l’intérêt des différents représentants des institutions et de créer une dynamique collective autour d’un objet commun.

4 – Résultats

4.1 – Eléments généraux sur l’activité enseignante

21Quel que soit le niveau scolaire étudié, l’étude du travail enseignant révèle un travail exigeant, difficile, une activité multifonctionnelle qui suppose une mobilisation physique, cognitive, affective et subjective permanente. Les enseignants soulignent le cumul des contraintes et des exigences dont les effets combinés peuvent générer des phénomènes d’usure sur le long terme, dans un contexte où les marges de manœuvres sont relativement limitées : « Il n’y a pas de stratégie d’évitement possible, d’échappatoire quand on est face à la classe » (H, 2°d, 58 ans).

22Le travail enseignant qui recouvre environ 42h hebdomadaires, comporte différentes facettes : le temps de travail dans l’établissement qui recouvre le temps d’enseignement en situation de face-à-face avec les élèves, le travail administratif, les rencontres avec des parents, les préparations de cours, des tâches diverses – et – le temps de travail au domicile (préparations, corrections) qui peut être très conséquent, en particulier dans les niveaux secondaires du fait de la longueur des copies à corriger. Pour comprendre les difficultés ressenties et les stratégies de préservation mises en œuvre en fin de carrière, nous devons donc intégrer ces différentes dimensions du travail.

23En dépit d’une activité menée au sein d’établissements où sont présents de nombreux collègues, les enseignants expriment un sentiment profond de solitude dans l’activité ; étant seuls « maîtres de la classe » et aux prises avec les difficultés. Rares sont ceux qui parlent de leurs difficultés personnelles aux collègues par crainte de révéler des faiblesses ; seules des discussions portant sur tel ou tel élève qui pose problème sont observables. La hiérarchie est rarement évoquée comme un soutien dans l’activité.

24Les enseignants ont donc le sentiment d’une invisibilité des formes de pénibilités du travail et des difficultés du métier aussi bien par l’institution, les parents, que par l’opinion publique.

25Avec l’âge, le coût de l’activité de travail s’accentue. En dépit des compétences construites au fil du temps, les enseignants estiment que leurs ressources personnelles pour faire face aux exigences diminuent en fin de carrière : « Il faut aller puiser encore plus loin en soi pour trouver l’énergie nécessaire à l’activité de travail » (F, 1°d, 57 ans). Cette difficulté accrue en fin de carrière participe à une tension globale dans l’activité et une transformation de la manière de produire l’activité.

4.2 – Augmentation de la fatigue physique et des problèmes de santé

26Le terme d’« épuisement » est souvent préféré en fin de carrière à celui de « fatigant » chez les débutants, pour en marquer l’intensité. Ceci est lié à la fois à l’astreinte qui évolue avec l’âge, mais aussi à des problèmes de santé qui se font plus présents et plus gênants dans l’activité. « Le travail par atelier, en maternelle, c’est très intéressant ; mais quand on a passé la cinquantaine, on commence à avoir des problèmes de santé dus à la station debout pénible toute la journée. Des choses très concrètes : des problèmes de varices, des problèmes gynécologiques, bon ben d’être toujours debout, c’est pas sain. Alors je me dis : comment je vais tenir ? » (F, 1°d, 52 ans). En maternelle, 7/8 enseignantes se plaignent de douleurs aux jambes, de problèmes de circulation, de problèmes gynécologiques. Des problèmes de dos, types troubles musculo-squelettiques sont rapportés dans tous les entretiens en lien avec la hauteur des plans de travail des élèves les contraignant à des postures pénibles, le fait de porter les enfants pour les consoler ou les amener à certaines activités.

27Cela explique la mise en place de stratégies de préservation pour tenter de limiter les douleurs : « Moi, maintenant, j’ai ma chaise, j’ai une chaise à un bout, une chaise à l’autre, parce qu’autrement je serais crevée d’être debout ou penchée. Mais c’est vrai que j’en ai de plus en plus besoin » (F, 1°d, 50 ans). L’intensité des douleurs et la gêne dans l’activité justifient en fin de carrière des prises en charge médicales, paramédicales et la prise quotidienne d’antalgiques (7/8 enseignantes de maternelle).

28En lycée ou collège, tous les enseignants soulignent une fatigabilité beaucoup plus importante qu’en début ou à mi-carrière, et une difficulté à tenir une journée d’enseignement complète de cours : « J’ai l’impression de me vider jusqu’à la moelle des os, je résiste moins bien qu’avant » (F, 2°d, 60 ans). Résistant moins bien à la succession des cours sur une même journée, ils tentent de négocier leur emploi du temps lors de la formulation des vœux en fin d’année pour l’attribution des emplois du temps à la rentrée suivante. Différents types de stratégies d’adaptation ressortent des entretiens : certains demandent l’étalement des cours sur la semaine alors que plus jeunes ils préféraient les regrouper sur deux ou trois jours – d’autres demandent à ne travailler que par demi-journées pour limiter la fatigue – d’autres enfin sollicitent d’avoir des trous dans leur emplois du temps sur une même journée pour récupérer entre deux cours alors que ce type d’emploi du temps aurait été considéré comme un « mauvais emploi » du temps ou un « emploi du temps pénalisant » plus tôt dans la carrière, justifiant des changements d’emploi du temps auprès du principal de l’établissement. Des stratégies qui vont cependant dépendre de la souplesse du chef d’établissement, de son écoute et de ses propres contraintes dans l’organisation des plannings de cours.

4.3 – Des difficultés dans la réalisation de certaines activités physiques

29Ces difficultés sont particulièrement notables chez les enseignantes de maternelle et les professeurs d’éducation physique du secondaire. L’enseignement en maternelle requiert une activité physique très importante, qui semble plus difficile à tenir avec l’âge. Beaucoup d’apprentissages passent par la psychomotricité, la danse, des exercices de latéralisation : les enseignantes usent beaucoup de leur corps dans l’activité. Les séances de gymnastique sont révélatrices des difficultés rencontrées en fin de carrière : toutes les personnes interrogées ont reconnu que si au début de leur carrière, elles participaient aux exercices, exécutaient les consignes, ce n’est plus le cas en fin de carrière. En général, ces difficultés sont mises en relation avec une souplesse moindre, des douleurs articulaires ou musculaires en particulier au niveau du dos, parfois à une prise de poids.

30En collège et lycée, les professeurs d’Education Physique et Sportive (EPS) évoquent des choses assez similaires. Ils cherchent à préserver leur corps en fin de carrière, participant moins aux exercices, étant plus dans l’observation. Par contre, ils soulignent de plus en plus de difficultés en rapport avec le port de charges, la manutention des agrès et à la préparation des ateliers. Bien que des processus de coopération entre enseignants se mettent en œuvre et qu’ils fassent de plus en plus appel aux élèves pour installer le matériel, cette partie de l’activité devient très coûteuse. Ceci éclaire le fait que beaucoup de femmes de cette discipline choisissent un temps partiel en fin de carrière (15 % de femmes / 6 % hommes).

4.4 – Une tension nerveuse croissante liée à la pratique du métier

31Tous les enseignants interrogés évoquent une diminution de leur patience vis-à-vis de la classe, du comportement de certains élèves : (F, 2°d, 54 ans) « La patience évolue beaucoup avec l’avancée en âge, oh oui, c’est clair ! Je crois qu’on n’y échappe pas ! ».

32Quel que soit le niveau scolaire, les enseignants deviennent plus intolérants au bruit dans la classe, comme si leur seuil de tolérance s’abaissait avec l’âge. Il en ressort une charge mentale accrue, facteur de fatigue. Le supportant moins bien, ils essaient de construire des stratégies pour le contenir, le moduler. Ceux-ci diffèrent selon le niveau scolaire.

33En maternelle, ce problème est exacerbé : « Ma fatigue est beaucoup liée au bruit. Le bruit me fatigue je pense. Le fait de grouiller, le fait que ça grouille quoi, ça grouille. Donc j’essaye de trouver beaucoup de petits trucs (moments de chants, de narration d’histoire) pour que les enfants fassent le moins de bruit possible… Mais en contrepartie, les moments où ils font moins de bruit, c’est vrai que c’est grâce à mon énergie déployée, dépensée » (F, 1°d, 52 ans) ;

34En collège ou lycée, l’intolérance au bruit s’accentue avec l’âge ; mais ses modalités de gestion diffèrent. Certains enseignants optent pour des sanctions ou pour le renvoi temporaire de certains élèves de la classe ; mais cela est souvent perçu par la hiérarchie comme traduisant une incompétence à maîtriser la classe. D’autres négocient plus facilement en fin de carrière avec des élèves perturbateurs en acceptant qu’ils fassent autre chose que d’écouter pour obtenir le silence ; « une stratégie insatisfaisante d’un point de vue pédagogique » reconnaissent les enseignants, qui participe du burnout que l’on retrouve plutôt dans ce niveau scolaire (Burke et coll., 1996 ; Jaoul & coll., 2006), mais qui leur permet de retrouver un climat dans la classe leur permettant de faire cours.

35Ces tensions, ce stress que les enseignants expriment comme plus importants en fin de carrière, sont ressentis non seulement au travail mais aussi et de plus en plus dans les autres sphères de vie, dans la relation avec la famille. Ils se traduisent par des troubles infra pathologiques, des problèmes de sommeil justifiant parfois des consultations médicales spécialisées ou la prise de médicaments. Cela est à l’origine d’inquiétudes pour certains quant à leurs capacités à continuer à exercer ce métier.

4.5 – Des problèmes de récupération qui s’accentuent

36Les fins de carrière s’accompagnent de plus en plus de difficultés de récupération au terme d’une journée de travail, d’une semaine, des trimestres, à l’origine d’un besoin plus marqué de cloisonner la vie de travail et la vie personnelle. Un refus plus marqué d’accepter de travailler à la maison tard le soir ou les week-ends afin de dégager du temps pour soi, pour récupérer. Prise de distance vis-à-vis des conditions de travail comme stratégie de préservation et condition pour « tenir jusqu’à la retraite » que l’on pourrait associer à une forme d’intolérance progressive avec l’âge quant à l’intrusion de la vie de travail dans la sphère privée. Cela est parfois à l’origine du passage à une activité à temps partiel.

4.6 – Une fatigue plus marquée chez les femmes en fin de carrière

37Dans nos entretiens, des éléments liés à la dimension du genre sont apparus (Cau-Bareille, 2011). Les femmes semblent ressentir une fatigue plus marquée que les hommes en fin de carrière que l’on pourrait mettre en lien avec deux facteurs : la ménopause et le cumul des activités professionnelles et de gestion de la famille tout au long de la vie professionnelle.

38L’impact de la ménopause sur l’activité de travail et la fatigue a été abordé spontanément par les enseignantes de maternelles (6/8 enseignantes rencontrées). La ménopause, qui intervient souvent vers la cinquantaine, est en effet une phase de déséquilibre de l’organisme ayant des incidences physiques, psychologiques pouvant impacter la vie de travail comme la vie de manière générale, nécessitant de délicats ajustements. Elle éclaire leur sentiment d’impuissance à lutter contre cette fatigue, à prendre le dessus malgré leurs savoir-faire et leur expérience professionnelle. « J’ai été ménopausée à 47 ans. Du coup, à partir de là, la fatigue, une grande fatigue ! Et le sentiment justement de ne plus… Des fois je me dis que la maternelle, c’est plus pour moi ! » (F, 1°d, 53 ans). Les enseignantes s’accordent mal de cette fatigue qui s’immisce lentement mais qui se fait de plus en plus présente et pénalisante dans leur activité de travail : « On a de plus en plus de mal à tenir une journée entière ». Se dégage alors un sentiment de culpabilité renforçant leur mal-être en fin de carrière. D’où un surcroît de déploiement d’énergie pour tenter de compenser ce qu’elles n’arrivent plus à maîtriser, des efforts qui vont accroître la fatigue déjà installée. Un sentiment finalement d’être aux limites de ce qu’elles peuvent faire générant de réelles inquiétudes pour les dernières années d’activité » (F, 1°d, 56 ans). « J’ai calculé qu’il me reste 3 ans. Or je suis inquiète parce que je me dis si je suis comme maintenant, est-ce que je vais tenir trois ans ? Parce que c’est dur, parce que c’est lourd. Je vois bien que chaque année, quand même, j’ai un petit truc en plus ! C’est comme un escalier à monter : j’ai encore une marche à gravir au niveau fatigue. Je me dis : je n’y arriverai jamais, quoi ! » (F, 1°d, 54 ans).

39Le cumul des activités professionnelles et de la gestion de la famille a également été évoqué comme source d’usure précoce par beaucoup des femmes interrogées, plus systématiquement dans le premier degré. « À 30 ans, j’avais du mal à tenir en même temps les exigences du travail et les contraintes de la vie familiale. J’ai eu des années difficiles avec les trois filles qui avaient peu de différences d’âge. C’est possible que j’aie saturé à un moment donné et que la fatigue que je ressentais à 45 ans soit liée à cette période. J’ai peut-être saturé à 45 ans de choses anciennes » (F, 1°d, 50 ans). Elle pointe ici les conflits que doivent gérer plus spécifiquement les femmes entre leurs différents rôles sociaux qu’elles doivent assumer et tenter d’articuler. En effet, bien que les modèles sociaux aient évolué, les femmes sont toujours aujourd’hui beaucoup plus investies que les hommes dans la sphère familiale (Cacouault-Bitaud, 2003 ; Ponthieux & coll., 2006 ; Jarty, 2009) : les tâches quotidiennes, le soin aux enfants, la prise en charge des aînés sont toujours plus portés par les femmes que par les hommes. Cela nous semble avoir diverses conséquences qui s’articulent et se renforcent : un travail de conciliation entre les différentes sphères de vie plus important chez les femmes que chez les hommes, des difficultés à tenir toutes les sphères et l’impression de « tout faire mal » générant une insatisfaction à court et long terme, un sentiment d’écartèlement source d’épuisement, une surcharge globale de travail et un niveau de stress élevé. Ces difficultés de conciliation vont avoir des conséquences non seulement sur la manière dont les enseignantes vont vivre leur activité de travail, mais plus fondamentalement sur leur mode de vie et leur santé à long terme. Une situation qui peut peser au fil des années et susciter un phénomène d’usure prématurée. Nous souscrivons de ce point de vue aux conclusions de Messing & coll. (2006) selon lesquelles « On ne peut pas comprendre la santé des femmes reliée au travail sans ajouter d’autres cadres de travail liés aux rôles des hommes et des femmes et au travail des femmes dans le milieu familial ». Plus largement, on peut penser que le genre est une dimension importante à prendre en compte dans l’analyse des fins de carrière et des phénomènes d’usure précoce.

4.7 – Des stratégies pour gérer les difficultés liées à l’âge dans l’activité

40Les salariés ne sont pas passifs face aux divers processus de transformation : « Les hommes et les femmes élaborent des stratégies de contournement à l’égard des causes de pénibilité ou de difficultés de compensation pour arriver à réaliser une tâche malgré tout » (Molinié, 2012). Ces évolutions vont être à l’origine de modes de régulation en fin de carrière qui vont prendre des formes très différentes selon le niveau scolaire dans lequel exercent les enseignants. En effet, les modes d’organisation du travail n’étant pas similaires, les possibilités de réguler les difficultés vécues en fin de carrière seront différentes.

41En maternelle, les enseignantes tentent de limiter la charge de travail en choisissant leur niveau de classe ; arguant de leur ancienneté dans l’école pour faire valoir leur souhait auprès des collègues. Elles optent souvent en fin de carrière pour les grandes sections, c’est-à-dire les enfants les plus grands ayant moins besoin d’être portés et déjà initiés aux règles de scolarisation. Du point de vue du travail au sein de la classe, elles développent diverses stratégies visant à limiter l’astreinte physique, le bruit, la mise dans des situations critiques. Elles s’investissent moins personnellement dans les exercices physiques de psychomotricités, de danse : elles sont plus dans le « faire faire » par les élèves. Elles sont moins enclines à organiser des projets de sortie avec les élèves ou des classes vertes délocalisées très appréciées par les élèves : le coût de l’organisation de tels projets les dissuade souvent de s’y engager. Mais ces stratégies ne suffisent souvent pas à compenser les effets de l’âge. La plupart des enseignantes de ce niveau procèdent à des modifications dans les autres sphères de vie pour « tenir leur activité de travail jusqu’en fin de carrière ». Plusieurs ont opté pour l’abandon de leurs responsabilités dans des associations, pour une redistribution des tâches familiales au sein du couple, pour se recentrer sur leur activité professionnelle ressentie comme de plus en plus coûteuse et nécessitant des temps de récupération plus importants. Mais ces stratégies peuvent s’avérer insuffisantes pour certaines enseignantes, d’où le passage à temps partiel comme « stratégie pour survivre », pour pouvoir poursuivre leur activité professionnelle et « garder le plaisir de travailler » ; parfois des décisions de départs précoces à la retraite.

42En collège et lycée, les marges de manœuvre sont plus importantes car le temps de présence auprès des élèves y est réduit (18h ou 15h selon la qualification au lieu de 24h en primaire), et les enseignants interviennent sur plusieurs classes. Les entretiens révèlent des régulations très discrètes et non socialisées au sein des établissements. Par exemple, en fin de carrière, les enseignants refusent souvent d’être professeur principal d’une classe, responsabilité qui se surajoute à leur temps d’enseignement, qui est source de rémunération, de reconnaissance tant vis-à-vis de l’institution que des parents d’élèves, pour se dégager du temps personnel. Lors de leurs vœux d’affectation des classes pour l’année suivante, ils demandent à limiter le nombre de niveaux de classes sur lesquels ils interviennent, de manière à réduire les temps de préparation et de correction. Ils évitent d’avoir 6h de cours lors d’une même journée du fait de la fatigue plus difficile à gérer. Ils se proposent plus spontanément pour travailler dans des classes qui accueillent des enfants en difficultés car ils ont alors des effectifs allégés et plus d’heures auprès de ces élèves, limitant par voie de conséquence le nombre de classes sur lesquels ils interviendront. Ils refusent beaucoup plus systématiquement les heures supplémentaires, quitte à se mettre à temps partiel pour éviter d’en avoir. Du point de vue de l’activité collective, ils se disent plus réticents à travailler en collaboration avec des collègues, à monter des projets interclasses qui sont très consommateurs de coordination et donc de temps. On note une recentration sur ce qui se passe dans leurs classes. Il arrive également qu’au cours de leur carrière, ces enseignants aient développé une activité enseignante hors établissement en plus de charge de travail, souvent orientée vers des publics adultes (formation continue, cours à l’université) ; ces enseignements supplémentaires étant considérés comme des « espaces de respiration » et de développement personnel. Cependant, du fait de l’augmentation du coût de l’activité et de la nécessité de rééquilibrer leur charge de travail en fin de carrière, ils se résignent à ne plus les faire ; renoncement qui n’est pas toujours facile. On retrouve l’ensemble de ces stratégies aussi bien chez les hommes que chez les femmes (Cau-Bareille, 2009).

43Les possibilités de régulations au sein des établissements ne sont donc pas les mêmes selon les niveaux scolaires ; elles sont moins importantes dans le primaire que dans le secondaire. C’est aussi une raison pour lesquelles on note plus de départs précoces et de temps partiels dans le premier degré que dans le second.

44Nous avons également ici une illustration du fait que les transformations qui se jouent dans le cadre du travail ne vont pas seulement impacter l’activité de travail. Elles imposent des transformations plus profondes des modes de vie, des équilibrages entre sphères de vie. C’est autour de cette évaluation cognitive des nécessités et des possibilités de réajustements de l’activité au sein de ces différentes sphères de vie que vont se prendre les décisions de départs précoces : trop de renoncements, de déséquilibres, de reconfigurations peuvent déboucher sur un sentiment de ne plus exercer son travail en santé.

4.8 – Des évolutions internes qui s’inscrivent dans des évolutions du métier

45L’enseignement français connaît de nombreuses réformes touchant l’ensemble des niveaux scolaires. Leur rythme s’accélère depuis une quinzaine d’années. Elles concernent aussi bien le contenu des enseignements (les curricula) que les didactiques professionnelles. Nous en donnerons deux exemples.

46Les évaluations des élèves se multiplient au niveau national ; y compris dans le niveau maternel où leur pertinence est largement discutée par les enseignants. La rapidité de développement des enfants à cet âge, les modalités de passation des évaluations (écrit) en complet décalage avec les modalités d’apprentissage des fondamentaux par le jeu, la mobilisation corporelle, l’oralité, le dessin… leur posent problème. Leur passation est longue et constitue une charge de travail supplémentaire et une perte de temps dans un contexte plus général de difficultés à traiter, dans un temps plus court, un nombre de disciplines plus important. Enfin, ces évaluations ne constituent pas nécessairement un outil d’aide dans la prise en charge des élèves et à la remédiation de leurs difficultés. Enfin, les enseignants craignent que ce soit surtout des instruments de contrôle de leur propre activité, visant à réduire leur autonomie. D’où leur résistance à les mettre en œuvre, quitte à s’exposer à des sanctions pouvant nuire à leur progression de carrière, donc au calcul de leur retraite (Cau-Bareille, 2012).

47En collège mais surtout en lycée, les enseignants interrogés pointent le fait que les réformes tendent à alourdir les programmes, suscitant des mouvements de contestations et de grèves (surtout en histoire, économie). Ils ont le sentiment que l’élargissement des notions à aborder se fait au détriment de l’approfondissement des notions de base essentielles (en mathématiques en particulier) : ils ont l’impression de « surfer sur les notions » plutôt que d’outiller les élèves à construire des raisonnements. Pour ces enseignants en fin de carrière, c’est le cœur même de leur discipline qui est touché. C’est ce qui a fait à un moment donné le plaisir dans la découverte d’une discipline, puis le choix de s’orienter dans ce métier, qui est fragilisé : les enseignants ne se reconnaissent plus dans les modalités d’apprentissage de leur discipline.

48Ainsi, les fins de carrière apparaissent souvent entachées d’amertume et de difficultés à faire valoir leurs façons d’enseigner, leurs valeurs, leur expérience. C’est bien le sens de leur activité qui semble affecté par ces changements. Cela constitue un des arguments qui participent à la délibération des départs précoces. Cela fait écho à la notion « d’usure organisationnelle » développée par Lapeyre & coll. (2006) sur laquelle nous reviendrons.

5 – Discussion

49L’analyse des entretiens fait ressortir des spécificités du travail enseignant selon les niveaux scolaires et selon les disciplines. Si certaines formes de pénibilité sont relativement partagées, d’autres sont plus spécifiques, tenant aux modes d’organisation du travail, aux marges de manœuvres liées aux établissements et fort dépendantes des chefs d’établissement dans le secondaire. En témoigne cette enseignante de SVT (Sciences et Vie de la Terre), responsable bénévole d’un atelier « environnement » au sein de son collège : « Notre principal n’est pas toujours équitable ; pas nécessairement en lien avec le sexe mais en lien avec l’investissement que les enseignants peuvent montrer dans l’établissement. Il a toujours été réglo avec moi, du fait de mon investissement important dans l’établissement (projet environnement)… Je lui ai demandé un tableau interactif récemment ; il me l’a donné sans problème en reconnaissance du travail bénévole que je fais dans l’établissement. Si je n’avais pas joué le jeu, je ne l’aurais pas obtenu ! Même chose pour mes emplois du temps : j’ai mon emploi du temps regroupé sur 3 jours. Tout dépend de l’investissement que l’on y met ! ». En échange d’un surinvestissement dans l’établissement (heures supplémentaires, acceptation de la charge de professeur principal, de responsable de niveau, implication dans divers ateliers en plus des heures d’enseignement), les enseignants du second degré peuvent monnayer d’une certaine manière leurs conditions d’exercice du métier, et surtout leur emploi du temps.

50Il semble que la problématique soit plus aigüe chez les enseignants du 1° degré, en particulier en maternelle, du fait de l’impossibilité de se soustraire, même temporairement, à la situation de face-à-face avec les élèves, les ayant sous leur responsabilité 24h par semaine et de la dépendance accrue des élèves à leur personne du fait de leur âge. Ceci explique que bien que les réformes des retraites aient déplacé l’âge de départ à la retraite à 60 ans, les enseignants partent encore autour de 55 ou 57 ans.

5.1 – Une activité d’enseignement plus coûteuse pour les enseignants en fin de carrière

51Dès 50 ans, voire quelques années avant pour certains, les enseignants sont nombreux à percevoir une augmentation de l’astreinte liée à la pratique de leur métier, quel que soit le niveau scolaire ; c’est-à-dire une élévation du coût du travail, le sentiment de devoir mobiliser plus de ressources qu’avant pour tenir des exigences professionnelles qui ne cessent de s’accroître. Dans ce métier que les enseignants ont souvent pratiqué tout au long de leur carrière, l’âge est synonyme d’usage prolongé de son corps et d’usure de soi (Lapeyre et coll., 2006), de burnout pour certains en particulier dans le secondaire (Burke & coll., 1996), de vulnérabilité de la santé plus spécifiquement dans le premier degré (Cau-Bareille, 2009), de difficultés « à tenir » jusqu’à la retraite relativement partagées. Les problèmes de santé, en particulier en primaire, se font plus présents. Ce terme d’usure pris au sens large renvoie à l’idée d’une atteinte globale à la santé, ne se réduisant pas nécessairement à des atteintes physiques, combinant les effets de l’avancée en âge et les traces de l’ensemble de la vie professionnelle (Molinié, 2012, p. 340). Or « La plupart des troubles de santé contribuent au souhait de’partir avant’ : c’est le cas des pathologies mais encore plus nettement, de troubles diffus comme la sensation’de se fatiguer vite’ » explique Molinié (p 322) ; ce qui est le cas de beaucoup d’enseignants que nous avons rencontrés.

52Avec l’âge, l’organisme enregistre des changements physiques et psychologiques qui nécessitent des adaptations dans le milieu professionnel ; mesures qui sont inexistantes à l’Education Nationale du fait du nombre restreint de médecins de prévention et de réflexion interne sur les conditions de travail permettant d’élaborer des actions préventives.

5.2 – Une usure du corps et une usure psychique qui se trouvent accentuées par une usure organisationnelle

53Nous retrouvons chez les enseignants des constats réalisés par Lapeyre & coll. (2006) auprès des seniors issus du secteur hospitalier et de l’industrie aéronautique : « L’usure organisationnelle est produite par une forme d’organisation qui s’use, qui se dérègle, qui se rigidifie, qui manque de souplesse, qui est en crise. Le développement de phénomènes d’usure organisationnelle est à mettre en lien avec la diffusion de nouvelles formes d’organisation du travail au cours des deux dernières décennies » (p. 8).

54Les évolutions des métiers de l’enseignement s’inscrivent actuellement dans une logique politique d’alignement du fonctionnement des institutions de la fonction publique sur le fonctionnement des entreprises privées. De fait, arrivent avec les nouveaux modes de management de l’Education Nationale, des impératifs de rentabilité, de gouvernance par les chiffres au travers des évaluations, qui bouleversent non seulement le contenu du travail, les objectifs pédagogies, le sens du métier, et font peu cas des compétences construites au fil des années d’expérience. Les enseignants en fin de carrière se trouvent de plus en plus en dissonance entre ce qu’ils ont envie de faire dans leur travail et qui leur semble pertinent au vu de leur connaissance du métier, des élèves et de leurs difficultés - et - les injonctions de la hiérarchie qu’ils ne comprennent souvent pas, auxquelles ils n’ont pas nécessairement envie d’adhérer, quitte à « désobéir » pour reprendre leurs termes (Cau-Bareille, 2012) ou à refuser des inspections (Cau-Bareille, 2009). Les enseignants se sentent niés dans leurs compétences et contraints à mettre en œuvre des réformes qui vont à l’encontre de leurs valeurs éthiques professionnelles. Or selon Molinié (2012), « le sentiment de ne pas être reconnu à sa juste valeur s’accompagne d’une probabilité accrue que les troubles de santé soient perçus comme des gênes dans l’activité de travail ». D’où le souhait de certains « de quitter le navire dès que possible, avant que le bateau ne coule » (H, 1°d, 52 ans).

55On voit bien ici que les difficultés des fins de carrière ne sont pas liées seulement au processus de vieillissement ; mais également au contexte de travail, aux conditions de l’activité, aux transformations qui touchent les métiers. Réfléchir aux fins de carrière suppose donc de remettre au cœur de la réflexion « le système de travail » dans sa globalité.

5.3 – Les situations de déséquilibre souvent à l’origine des départs précoces

56Les départs précoces relèvent souvent de délibérations difficiles. Ce sont plus des solutions de dernier recours pour préserver leur santé qu’une stratégie de désengagement pour s’investir dans d’autres activités, surtout chez les femmes. Les enseignants mettent plutôt au cœur des délibérations le rapport subjectif à la santé, au bien-être au travail, le « sens du travail ». Et ce sont bien cette tension entre expérience et avancée en âge au fil du temps, cet équilibre recherché dans le travail et dans leur vie personnelle, qui sont au cœur des choix en fin de carrière. Plus les enseignants se sentent en difficultés, plus ils cherchent des ajustements dans le travail et hors travail ; moins ces ajustements fonctionnent, plus le désir d’anticiper leur départ est important.

57Cela fait écho au modèle du système des activités développé par Curie (2002) : « Le sujet régule ses comportements dans un domaine de vie par la signification qu’il leur accorde dans d’autres domaines de vie ». Selon lui, « Le parcours professionnel n’est réductible ni aux forces externes qui s’exercent sur le sujet ni à une structure interne qui pré-existerait à la mutation professionnelle, mais il va dépendre de la manière dont le sujet combine en une stratégie personnelle les unes et les autres ». Ceci renvoie au concept de “sentiment d’efficacité personnelle” développé par Bandura (2003) et repris par Almudever (2006), qui correspond à l’évaluation personnelle que fait une personne de sa capacité à gérer et à poursuivre le cours d’action requis. Cette évaluation n’est pas seulement liée aux compétences à exercer l’activité mais plutôt au sentiment individuel qu’elle développe quant à sa capacité à faire face à la situation. Ainsi, le désir de continuer à travailler relève d’une évaluation globale, qui ne se limite pas à ce qui est vécu dans la seule sphère professionnelle, mais intègre le sentiment de contrôle dans chacun des domaines de vie.

58Mais les régulations peuvent trouver leur limite. (F, 1°d, 52 ans) : « Je suis inquiète. Et je ne peux pas améliorer ma vie de tous les jours : je suis au maximum de tout ce que je peux faire pour ne pas être fatiguée, j’ai mis en place tout ce que je pouvais faire ». On le voit bien ici, de la satisfaction trouvée dans la mise en œuvre des régulations, dépend le sentiment d’efficacité professionnelle autour duquel s’élabore la décision de quitter l’activité prématurément. Comme le soulignent Almudever & coll. (2006), « les sujets ne peuvent développer ou maintenir des raisons d’agir et de persévérer face aux difficultés s’ils ne croient pas pouvoir obtenir les résultats qu’ils désirent grâce à leurs actes » (p. 152). De ce point de vue, nos résultats corroborent les conclusions de ces chercheurs selon lesquels « c’est un degré médian d’interdépendance entre les domaines de vie qui correspond à un sentiment d’efficacité personnelle général satisfaisant » (p. 156). Si pour tenir les exigences de travail, les salariés sont contraints à de plus en plus de régulations hors de la sphère de travail, « la perturbation professionnelle diffuse alors ses effets négatifs au-delà de la sphère professionnelle pour atteindre le bien-être psychologique global des sujets » (p. 164). On voit bien la bascule entre le fait « de se sentir capable » de travailler jusqu’à la retraite et le fait de « tenir jusqu’à la retraite, dans un métier où l’on se reconnaît de moins en moins ». D’où des inquiétudes qui apparaissent concernant les dernières années d’activité professionnelle.

6 – Des pistes de réflexion pour créer les conditions d’un bien-être en fin de carrière ?

59Au vu de ces différents éléments, plusieurs types d’aménagements pourraient être proposés pour créer les conditions d’un « bien vieillir au travail ».

6.1 – Le temps partiel

60L’aménagement du temps de travail est souvent considéré par les enseignants comme pouvant contribuer à un allègement de la charge de travail permettant de mieux gérer la fatigue liée à l’exercice du métier en fin de carrière, à créer les conditions pour tenir en santé, pour « retrouver le plaisir à travailler auprès des élèves ». Il est plus fréquent chez les femmes que chez les hommes que nous avons rencontrés. Stratégie de préservation visant à éviter les ruptures, à les anticiper. (F, 1°d, 52 ans) : « Je me suis mise à mi-temps à 50 ans parce que j’étais épuisée ! Je me voyais dans une impasse de continuer de cette façon-là. Le fait d’avoir mon mi-temps me permet de retrouver le plaisir de ce travail-là. Je n’ai plus de soucis de santé. Alors que quand on est épuisé, le plaisir il n’est plus là ! J’avais l’impression que j’en faisais mal mon métier tellement j’étais fatiguée, que je n’étais plus à leur écoute, parce que j’étais complètement écroulée, quoi ! ». Le travail à temps partiel est donc parfois considéré comme un compromis acceptable pour vivre les dernières années d’un métier que beaucoup d’enseignants estiment être « un des plus beaux métiers du monde ». Cette possibilité de travailler à temps partiel est d’ailleurs considérée par les politiques comme une des conditions de l’allongement de la durée d’activité professionnelle : « La diminution de la durée du travail en fin de carrière peut permettre d’inciter les travailleurs à rester sur le marché du travail, à retarder leur départ à la retraite, voire à cumuler travail et retraite » (Jolivet, 2003, p. 12).

61Dans le 1° degré, si les femmes en particulier envisagent parfois cette possibilité, elles hésitent à la choisir pour préserver la qualité du travail, par souci des élèves : certaines estiment que deux mi-temps sur une classe peuvent poser problème à des enfants en quête de repères. Le problème se pose différemment pour les enseignants du secondaire qui sont spécialistes de disciplines et ne sont pas les seuls référents face aux élèves : ils voient le nombre de classes sur lesquels ils interviennent diminuer.

6.2 – Remettre en place les CPA (Cessation progressive d’activité)

62Alors que l’allègement du temps de travail semble une piste intéressante pour créer les conditions de l’activité de seniors, les réformes en matière de retraites réduisent ces possibilités. En effet, l’article 54 de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant sur la réforme des retraites française, supprime l’accès au dispositif de CPA à compter du 1er janvier 2011 pour les salariés en fin de carrière. Celui-ci donnait la possibilité de travailler à temps partiel en bénéficiant d’une rémunération supérieure à celle correspondant à la durée du temps de travail effectuée (travailler 50 % tout en étant rémunérés à 80 %) ; ce dispositif étant accessible dès 55 ans. Les enseignants se retrouvent donc dans une situation paradoxale : les mesures d’accompagnement des fins de carrière disparaissent alors même qu’ils s’avèrent plus nécessaires dans le contexte d’allongement des carrières. Les résultats de nos recherches questionnent donc la pertinence des mesures législatives sur les CPA ; mesures qui ne peuvent que conduire à plus d’absentéisme et plus de situations de ruptures.

6.3 – Donner la possibilité aux seniors de refuser les heures supplémentaires

63Une nouvelle mesure de prévention primaire pourrait consister en l’édiction d’une loi interdisant aux employeurs l’imposition d’heures supplémentaires aux salariés de plus de 50 ans, tout à la fois compte-tenu du coût du travail plus élevé mis en évidence en fin de carrière et comme stratégie de prévention de la santé des seniors (privilégier le volontariat). Nous avons rencontré dans notre étude plusieurs enseignants qui ont quitté le métier ne pouvant assumer des heures supplémentaires [3] imposées par leur chef d’établissement pour des raisons de service (Cau-Bareille, 2009).

6.4 – Instaurer une réelle médecine du travail

64Les enseignants français ne disposent pas d’une médecine du travail : 49 médecins dits « de prévention » assurent la prise en charge sur tout le territoire français à la fois du personnel enseignant et des personnels techniques travaillant dans les établissements scolaires. Ceci signifie que les enseignants ne bénéficient pas d’un suivi médical régulier susceptible d’identifier des personnes en souffrance, surtout de faire de la prévention (au cours d’une carrière, la majorité des enseignants n’ont qu’une visite au moment de l’entrée dans le métier). Par manque de moyens humains, les consultations médicales interviennent uniquement à la demande des salariés, donc de personnels en difficultés, avec des délais de prise en charge de plusieurs semaines. Lors d’un forum syndical FSU de mai 2011, le Dr Maîtrot (médecin de prévention à l’Education Nationale) expliquait que « les plus de 50 ans représentent 47,5 % des consultations médicales, 56 % relèvent de la psychiatrie » ; résultats corroborant les observations du Dr Papart auprès d’enseignants Suisses (2003). Elle pointait ainsi des problèmes de santé importants chez les enseignants en fin de carrière, voire d’inaptitudes, gérés au coup par coup, tout en soulignant l’absence de moyens pour réellement prendre cette problématique à bras le corps et gérer les reclassements.

65L’allongement de l’activité professionnelle demande donc une surveillance médicale accrue des salariés visant à prévenir les situations de rupture, qui se vivent trop souvent dans la solitude ; d’où les nombreux cas de suicides que l’on déplore aujourd’hui.

6.5 – Introduire les plans seniors [4] à l’Education Nationale

66L’Education Nationale s’est très peu emparée des plans seniors pour aborder le problème des fins de carrière : aucun recrutement de seniors, aucune mesure d’amélioration des conditions de travail et de prévention, disparition des mesures de CPA (Cessation Progressive d’Activité) qui permettaient antérieurement aux salariés de réduire leur temps de travail, aucune mise en place d’un système de tutorat permettant de dégager les seniors d’une partie de leur temps d’enseignement. Actuellement, seuls des entretiens de seconde carrière sont envisagés, mais encore trop peu mis en œuvre. Compte-tenu de l’activité de travail des enseignants, se pose le problème des postes adaptés pour les personnes en grandes difficultés : adaptés autour de quels critères ? Peu de moyens existent pour modifier l’activité de travail en situation de face-à-face avec les élèves. De la même manière, les possibilités d’aménagements des fins de carrières, peu nombreuses dans le primaire, sont très dépendantes du mode de management des établissements secondaires et des chefs d’établissement, pas formés à cette problématique du vieillissement.

67Selon le Dr Maitrot (sus-cité), la mesure la plus susceptible de se généraliser à l’Education Nationale est l’entretien de deuxième partie de carrière permettant à des enseignants en difficultés de modifier leur trajectoire professionnelle. Cependant, dès 2010, le syndicat UNSA signalait que, s’agissant des personnels enseignants, les « deuxièmes carrières » promises lors de la réforme des retraites auront touché à peine quelques dizaines d’enseignants : une goutte d’eau dans la masse de la population concernée. Par ailleurs, dans le contexte de réduction des postes d’enseignants, les restrictions ont porté en premier lieu sur les postes allégés ou dits « doux » ; d’où la raréfaction des possibilités de « mise à l’abri » pour les salariés en difficultés.

68On voit bien là l’enjeu de travailler plus fondamentalement sur les conditions de travail enseignantes et pas seulement en fin de carrière, de manière à anticiper les difficultés et à « s’atteler à la qualité des parcours professionnels » (Obéniche, 2011).

Conclusion

69Les résultats de notre recherche soulèvent finalement un questionnement qui dépasse la problématique des enseignants. Les réformes visant à allonger les carrières et repousser l’âge de départ à la retraite, ne se posent guère le problème de la santé des salariés et du vécu du travail. Ils n’intègrent pas dans la réflexion des éléments essentiels tels que le rapport subjectif au travail, la santé au travail, les effets d’usure, qui déterminent le rapport au travail en fin de carrière, pouvant éclairer les sorties précoces, l’absentéisme, les problématiques de santé. Des zones d’ombre qui rendent urgentes les recherches sur les fins de carrière des salariés et les conditions de l’emploi des seniors. En effet, en dépit des mesures incitatives pour maintenir les anciens en emploi, des phénomènes d’exclusion se mettent en place, à l’initiative des employeurs comme des salariés, les travailleurs vieillissants eux-mêmes pouvant se sentir fragilisés dans leur santé, dans leur rapport au travail, dans le sens du travail, en fin de carrière.

70En effet, notre étude pose le problème du « bien vieillir au travail » ; avec une nuance supplémentaire : vieillit-on au travail de la même manière selon que l’on est homme ou femme ?

71De ce point de vue, on se rend compte qu’il y a un vrai vide autour des conditions d’un « bien vieillir au travail ». Les accords emploi des seniors, la prévention des situations de pénibilité suffiront-elles à créer les conditions de l’activité jusqu’à la date fixée par les politiques ? Quelles sont les conditions d’un travail en fin de carrière permettant à la fois l’efficience, le développement tout en garantissant la santé, physique, mentale, psychologique, des salariés, aussi bien au travail que dans les autres domaines de vie ? Se pose fondamentalement la question de la soutenabilité des conditions de travail dans temps. Ceci ne peut se faire sans une analyse fine des formes de pénibilité du travail propre à chaque métier ; pénibilité vue non seulement du point de vue physique (celle-ci est la seule prise en compte dans les politiques actuelles), mais aussi mental, psychique. Cela nous semble essentiel dans les métiers de relations de service dont les formes de pénibilité restent invisibles.

72La problématique d’emploi des seniors nous amène donc à penser le travail autrement : penser l’emploi « durable », « le travail soutenable » (Jolivet, 2011, p.7), réalisable à tous les âges de la vie : un défi fondamental pour le bien-vivre des salariés.

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Date de mise en ligne : 12/12/2014.

https://doi.org/10.3917/mav.073.0149

Notes

  • [1]
    Dominique CAU-BAREILLE : Institut d’Etude du Travail de Lyon à l’Université Lyon 2 (Lyon, France) - Centre de Recherches et d’Etudes sur l’Age et les Populations au Travail (Noisy le Grand, France) - dominique.cau-bareille@univ-lyon2.fr
  • [2]
    Les données présentées ici sont issues d’un travail ayant déjà fait l’objet de plusieurs publications, dont certaines développent plus particulièrement l’activité en fin de carrière des enseignants de niveau maternel : Cau-Bareille D. (2011), Cau-Bareille D. (2012).
  • [3]
    Selon les besoins du service et le mode de gestion des établissements, le chef d’établissement peut obliger les enseignants à réaliser au moins 2 heures d’heures supplémentaires.
  • [4]
    L’État français a mis en œuvre en 2006 le plan national d’action concertée pour l’emploi des seniors portant sur trois axes : 1- l’amélioration des conditions de travail et de prévention de la pénibilité, 2- l’aménagement des fins de carrière, 3- la transition entre activité et retraite. Plus offensive, la Loi de Financement de la Sécurité Sociale du 17 décembre 2008 a ensuite fortement incité les branches et les entreprises ou groupes d’entreprises employant au moins 50 salariés à signer des accords ou à élaborer des plans d’action en faveur de l’emploi des salariés âgés. Ils devaient prévoir un objectif de maintien dans l’emploi des salariés de plus de 55 ans et / ou un objectif d’embauche de salariés de plus de 50 ans, ainsi que des mesures susceptibles de contribuer à l’atteinte de ces objectifs globaux relevant d’au moins trois des six domaines d’action suivants : 1- recrutement de salariés âgés dans l’entreprise, 2- anticipation de l’évolution des carrières professionnelles, 3- amélioration des conditions de travail et prévention des situations de pénibilité, 4- développement des compétences et des qualifications, et accès à la formation, 5- aménagement des fins de carrières et de la transition entre activité et retraite, 6- transmission des savoirs et des compétences et développement du tutorat.
    À compter du 1er janvier 2010, ceci devient une obligation. À défaut, les entreprises ou institutions devront s’acquitter d’une contribution égale à 1 % de leur masse salariale.
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