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Article de revue

« Take 1, get 5 ! » : la fidélisation collective des adolescentes aux magasins de prêt-à-porter

Pages 157 à 174

Notes

  • [1]
    Cet article est visible sur le site de “Dia Mart”, cabinet de conseil, dans la rubrique Prix 2011 de la meilleure recherche sur la distribution : http://www.dia-mart.fr
  • [2]
    Elodie Gentina, Associate Professeur, SKEMA Business School, Université Lille Nord de France, elodie.gentina@skema.edu
  • [3]
    Isabelle Collin-Lachaud, Professeur des Universités, Université Lille Nord de France, SKEMA Business School, isabelle.collin-lachaud@univ-lille2.fr
  • [4]
    Marie-Hélène Fosse-Gomez, Professeur des Universités, Université Lille Nord de France, marie-helene.fosse-gomez@univ-lille2.fr
  • [5]
    La lettre économique, Institut Français de la Mode, Décembre 2011.
  • [6]
    Site Le Figaro, 25 février 2011.

1Dans un marché du prêt-à-porter qui reste difficile, après une quatrième année consécutive de recul dans l’habillement en France en 2011 [5], l’adolescente représente une lumière dans les ténèbres pour les distributeurs. Avec un budget supérieur de plus de 46% à la moyenne nationale, l’adolescente et ses 595 € de budget annuel apparaît comme la plus dépensière des femmes en matière de prêt-à-porter [6]. Le distributeur doit dès lors se soucier de séduire et surtout de fidéliser cette jeune consommatrice s’il veut tirer profit de cette manne financière. Mais l’adolescente ne constitue pas une cliente facile car elle présente diverses spécificités en matière de consommation : une autonomie de déplacement et une autonomie financière limitées, des relations à la marque singulières, un rapport à la publicité particulier, ou encore une propension à faire du shopping avec un groupe d’amies, plutôt que seule ou dans le cadre de la famille (la mère ou la sœur essentiellement). Faire du shopping en groupe, avec ses amies, correspond à un comportement fréquemment observé chez les adolescentes. Bien entendu, l’adolescente pratique également le shopping avec sa mère et/ou sa sœur ; et les courses avec des amies ne sont pas l’apanage de cette tranche d’âge. Mais indubitablement, ce comportement d’achat en groupe est plus systématique au moment de l’adolescence, en particulier chez les filles (Palan, Gentina et Muratore, 2010 ; Haytko et Baker, 2004 ; Yalkin et Elliott, 2006). Faire les magasins à plusieurs modifie les comportements, y compris sans doute les comportements de fidélité.

2Les adolescentes en groupe présentent-elles une fidélité au point de vente, et si oui, comment le distributeur peut-il l’entretenir et la développer ? Voilà qui invite à reconsidérer le concept de fidélité en y intégrant une dimension plus collective (Price, Malshe et Arnould, 2007 ; Collin-Lachaud, 2010).

3Cette recherche a pour objectif d’explorer les clefs de la fidélité des adolescentes au point de vente en prenant en considération leur manière collective de pratiquer le shopping. Le domaine du prêt-à-porter apparaît comme un terrain d’application privilégié, puisque les adolescentes y consacrent une part importante de leurs dépenses.

4Après un éclairage théorique qui soulignera l’importance du groupe de pairs dans le cadre du shopping des adolescentes et l’intérêt d’une approche plus collective de la fidélité pour la population adolescente, une démarche qualitative qui conjugue entretiens et observation est mise en œuvre pour explorer les clefs de la fidélité des adolescentes en matière de prêt-à-porter. Les principaux résultats seront ensuite exposés avant de proposer un certain nombre de recommandations managériales pour les enseignes de distribution de prêt-à-porter.

1 – Shopping entre copines et fidélité aux points de vente

5Entre 13 et 18 ans, les adolescentes apprécient généralement de se retrouver entre elles. Le plus souvent, c’est l’occasion de « faire les boutiques », découvrir ce qui est nouveau, en discuter avec les copines, et bien sûr acheter.

1.1 – L’importance du groupe de pairs dans la construction de l’identité de l’adolescent

6L’adolescence constitue une étape significative de la vie d’un individu. Pour reprendre les termes d’Erikson (1968, p.73), l’adolescence est « la période pivot du développement au cours de laquelle s’organise la construction de l’identité ». Cette construction de l’identité passe par un processus de construction d’un moi plus « indépendant » et plus libre lors de l’adolescence (Claes, 1991). Pour ce faire, l’adolescent recherche l’approbation de ses semblables. Le groupe d’amis est particulièrement important à l’adolescence : il joue un rôle central dans la construction de l’identité sociale de l’adolescent (Mangleburg, Doney et Bristol, 2004). Le groupe de pairs procure à l’adolescent une sécurité et une amélioration de son estime de soi liée à sa bonne acceptation par les autres (Weiss et Ebbeck, 1996). Il constitue également un lieu de socialisation essentiel : l’adolescent y apprend à se débrouiller sans l’aide de ses parents grâce à l’imitation de ses nouveaux modèles (Ezan, 2007). Ce groupe influence en particulier les attitudes et les comportements de l’adolescent en lui renvoyant des signes d’approbation ou de rejet lui permettant de prendre une position sociale au sein de son groupe.

1.2 – Le shopping de l’adolescente avec son groupe de pairs : une expérience collective

7Le besoin d’échanger avec ses pairs trouve dans la consommation un terrain d’expression privilégié. En particulier, l’activité de shopping collective permet à l’adolescente, d’une part de satisfaire son besoin d’appartenance et, d’autre part, de construire et de maîtriser son identité sociale, en se distinguant des autres groupes et en étant reconnue par le sien (Mangleburg, Doney et Bristol, 2004). En outre, le caractère festif et récréatif du shopping se trouve renforcé par la fréquentation en groupe (Zouari, 2006). Quant à la présence d’amies très proches, elle génère une stimulation affective intrinsèque (Gainer, 1995), proportionnelle à l’intimité qui lie l’adolescente à ses accompagnatrices. Compte tenu de l’importance de ce groupe de référence, cette recherche se concentre sur le groupe d’amies et exclut la mère et les sœurs.

8Le groupe de pairs a une influence sur le vécu de l’adolescente tout au long de l’expérience de shopping. Avant l’expérience, les copines vont peser sur la décision de fréquenter ou non l’enseigne/le point de vente (Zouari, 2006). Pendant l’expérience, le fait d’être accompagnée va amplifier (positivement ou négativement) les émotions ressenties. L’importance du regard des pairs peut aussi rassurer l’adolescente dans ses choix et sa prise de décision d’achat (Haytko et Baker, 2004). Après l’expérience de shopping, des échanges vont avoir lieu grâce aux émotions et souvenirs partagés, ce qui approfondira l’intimité du lien social et pourra influer sur la fidélité future (Belk et Llamas, 2011).

9Diverses recherches en marketing se sont intéressées à l’expérience de shopping collective des adolescentes, et plus particulièrement au rôle des accompagnateurs lors du shopping, mais aucune d’entre elles n’a abordé la question de la fidélité. Or, l’étude de la fidélité est essentielle dans la mesure où le shopping est une pratique collective lors de l’adolescence. Ainsi, cet article interroge la pertinence d’une vision uniquement individuelle de la fidélité des adolescentes aux points de vente.

1.3 – La fidélité des adolescentes aux points de vente : les limites d’une approche individuelle

10La fidélité des consommateurs à l’enseigne ou au point de vente constitue une préoccupation essentielle des managers et des chercheurs. Le plus souvent la littérature retient l’approche mixte de la fidélité (Jacoby et Kyner, 1973) : l’alliance d’une attitude favorable du consommateur vis-à-vis de l’enseigne ou du point de vente et d’un comportement effectif de fréquentation répétée de ce dernier.

11Des recherches récentes mettent en avant une complexité plus grande du concept de fidélité. Dans le champ académique, la définition de la fidélité a évolué d’une approche comportementale statique et transactionnelle à une vision multidimensionnelle, dynamique, relationnelle, situationnelle, contingente et interactive (Litchlé et Plichon, 2008). L’importance de l’affect et la pluralité des formes de fidélité sont reconnues. Néanmoins, aucune définition de la fidélité ne fait l’unanimité : il est, d’une part, difficile de restituer le degré d’intensité de la relation qui lie le consommateur au produit, au magasin ou à l’enseigne, et d’autre part, aucune définition de la fidélité ne tient suffisamment compte de l’importance du contexte socio-culturel (Price, Malsche et Arnould, 2007).

12Sur le terrain, les managers ont déployé d’importants efforts pour fidéliser les clients, avec des programmes relationnels sans cesse plus sophistiqués, mais pas nécessairement plus performants. Ce faible retour sur investissement tient peut-être à ce que les distributeurs ne considèrent généralement le consommateur que dans sa dimension de « shopper », en oubliant qu’il est aussi un individu pour lequel la consommation est un moyen bien plus qu’une fin (Arnould, Price et Malshe, 2006). Appréhender un construit aussi complexe que la fidélité du consommateur au point de vente nécessite d’intégrer plusieurs dimensions.

13Dans un contexte social où l’adolescente est attachée à ses amies et à son groupe de pairs, on peut se demander à qui ou à quoi l’adolescente est réellement fidèle ? Le magasin et/ou le groupe d’amies ?

14La fidélité pourrait être d’autant plus stable que les objets sur lesquels elle porte sont nombreux. La fidélité à l’enseigne ou au point de vente pourrait traduire la fidélité de l’adolescente aux personnes qui lui sont chères. Price, Malsche et Arnould (2007) comparaient ainsi la fidélité à « une part de cœur » plutôt qu’à « une part de portefeuille ». Cette analogie semble particulièrement adaptée aux séances de shopping collectives des adolescentes, moments de partage d’émotions et de liens sociaux.

15Des travaux menés dans le cadre de la consommation culturelle ont ainsi montré qu’un festivalier vient le plus souvent en groupe (famille, amis) et que sa décision de revenir pour l’édition suivante tient plus à la fidélité de ses accompagnateurs qu’à sa propre satisfaction (Collin-Lachaud, 2010). Compte tenu de l’importance du groupe de pairs pour les adolescentes, on peut penser que la fidélité de l’adolescente à tel ou tel magasin de prêt-à-porter est liée à celle de ses pairs. Pour qu’une intention de fidélité se concrétise en un comportement de fidélité au point de vente, il est nécessaire que l’adolescente soit satisfaite et ait l’intention d’être fidèle, mais aussi que ses accompagnatrices dans ses sorties shopping se montrent fidèles. En outre, la multiplicité des décisionnaires complexifie la fidélité car elle ouvre la porte à des arbitrages, des conflits ou des influences interpersonnelles réciproques qui rendent plus incertaine la décision de fréquentation.

16L’ensemble de ces travaux suggère donc de s’attacher à la dimension collective de la fidélité.

2 – Choix méthodologiques

17Cette recherche aborde la question de la fidélité des adolescentes aux points de vente dans une perspective collective. Le caractère novateur de cette approche conduit à privilégier une démarche exploratoire. Le dispositif méthodologique repose sur trois étapes :

  1. des entretiens individuels avec un membre du groupe, lequel a permis aux chercheurs de s’introduire dans le groupe de pairs,
  2. des séances d’observation du groupe lors de séances de shopping collectives, et enfin,
  3. des entretiens post-observation pour obtenir le ressenti du leader par rapport à la séance de shopping collective.
Dans un premier temps, des entretiens individuels ont été menés afin d’identifier les habitudes de l’adolescente en matière de shopping en présence de son groupe de pairs. Les premières questions abordaient la fréquence de shopping en commun, les relations entre les membres du groupe, les motivations du groupe à pratiquer le shopping collectif et les magasins fréquentés. Puis, l’entretien se concentrait sur la question de la fidélité de l’adolescente aux différents points de vente fréquentés, et plus particulièrement sur le poids du groupe de pairs sur cette fidélité. Ainsi seize lycéennes de 15 à 18 ans ont été interrogées à leur domicile entre novembre 2010 et mars 2011. Cet échantillon de convenance cherchait à diversifier les répondantes en matière d’âge, de localisation de l’établissement scolaire (en centre-ville versus en périphérie) et de type d’établissement fréquenté (enseignement public versus privé). Les adolescentes interrogées sont ainsi issues de milieux sociaux variés, même si les classes moyenne et supérieure sont plus présentes. La durée moyenne des seize entretiens est d’1H30.

18Dans un second temps, des observations de groupes d’adolescentes ont été réalisées pendant des après-midis de shopping afin de les appréhender dans un contexte naturel (Forsyth, 1998). Seize séances de shopping intégrant l’une des adolescentes interviewées ont été réalisées par une observatrice, après obtention de l’accord préalable des adolescentes. Des observations répétées au cours de plusieurs visites successives de point de vente et sur une longue période n’auraient pas été possible sans cet accord. La durée de l’observation limite les biais liés à la conscience d’être l’objet d’une observation : les adolescentes ont rapidement oublié la présence de cette accompagnatrice supplémentaire (toujours une jeune femme, pour éviter l’intrusion d’un élément masculin dans un groupe homogène en genre).

19Les sessions d’observations ont été réalisées à l’aide d’une grille. Celle-ci a permis de relever des comportements verbaux et non verbaux, tels que les interactions entre les participantes, le parcours de shopping avec les magasins fréquentés et l’ordre dans lequel ils le sont, les comportements d’essayage et d’achat, l’identification du leader…

20Suite à l’observation, un entretien semi-directif a été réalisé avec l’un des membres de chaque groupe observé. L’adolescente interrogée était celle que l’analyse du discours comme de l’observation désignait comme le leader du groupe. Conformément à la littérature (Hansen et Hansen, 2005), l’adolescente leader se définit comme celle qui s’exprime le plus pendant l’expérience de shopping et qui a une influence déterminante sur les autres membres du groupe en matière de choix des points de vente fréquentés et de prise de décision d’essayage et/ ou d’achat.

21L’interprétation des entretiens et des observations a mis en œuvre une analyse de contenu thématique (Bardin, 1993 ; Mucchielli, 1998). Les interviews - retranscrites sur 170 pages - et les sessions d’observation ont fait l’objet d’un codage de différents niveaux : du descriptif au plus interprétatif, du concret au plus abstrait. Dans un premier temps, les entretiens ont été analysés conjointement, pour faire émerger tous les thèmes abordés, qu’ils soient induits par le guide ou spontanément évoqués par les adolescentes. Puis les chercheurs ont procédé séparément à une analyse et une codification de chaque entretien sur ces différents thèmes. Les analyses ont été confrontées et les rares cas de divergence débattus et analysés jusqu’à l’obtention d’un consensus. Nous avons également recouru à des mémos de chaque entretien pour mieux synthétiser les données (Miles et Huberman, 2003) et contextualiser notre analyse.

3 – Le shopping en groupe des adolescentes ou la fidélité à un rituel collectif

3.1 – Le shopping entre copines : une expérience collective

22Le shopping se vit à plusieurs, entre copines, pour partager une expérience ensemble : « On passe du temps ensemble dans les magasins, on s’amuse sans forcément acheter. C’est une expérience riche qu’on vit ensemble. On s’évade » (O., 15 ans). L’essayage se fait souvent en commun, et la dimension expérimentation émerge : « On est dans la même cabine d’essayage, on fait des séances photos marrantes, ce n’est pas tout le temps sérieux les sorties shopping entre copines. C’est aussi pour essayer des choses qu’on n’aurait jamais mises » (G., 16 ans). Le shopping en groupe peut se transformer en une aventure où la recherche d’expérience surpasse la simple acquisition des biens (Babin, Darden et Griffin, 1994 ; Borges, Chebat et Babin, 2010) : « Le shopping c’est généralement plus pour passer un moment avec mes copines » (J., 18 ans).

23L’adolescente subit l’influence de ses pairs lors de la pratique du shopping. L’importance de l’influence interpersonnelle a déjà été largement mise en évidence en comportement du consommateur par Bearden, Netemeyer et Teel (1989). Ces derniers (1989, p.474) ont identifié deux types d’influence : l’influence normative qui consiste à « s’identifier ou à rehausser son image vis-à-vis d’autres personnes préalablement jugées pertinentes, à travers l’acquisition et l’utilisation des produits ou la volonté de se conformer aux attentes des autres concernant les décisions d’achat » ; et l’influence informative qui porte sur « la tendance à apprendre à propos des produits en cherchant des informations par la conversation et/ou l’observation ». Les résultats mettent en évidence l’existence simultanée de ces deux mécanismes d’influence lors du shopping en groupe. Les adolescentes recherchent un maximum d’informations auprès de leurs pairs lors du processus de prise de décisions d’achat. Elles subissent ainsi une influence de type informatif de la part de leurs copines, qu’elles considèrent comme initiées au monde de la mode : « Naina connaît tout sur tout, toutes les marques, toutes les tendances. Quand je ne connais pas un magasin, elle me fait découvrir, elle me donne des informations » (J., 18). Les adolescentes subissent par ailleurs une influence de type normatif, elles recherchent activement l’approbation de leurs pairs lors de l’achat de vêtements : « J’essaie des fringues et après je leur montre pour savoir si elles aiment bien ou pas, elles me donnent leurs avis » (V., 17). Par conséquent, la plupart des décisions sont empruntes des jeux d’influence au sein du groupe et des sentiments d’amitié qui unissent les membres du groupe. La décision d’achat / de fréquentation d’un magasin s’avère le plus souvent collective : « Tout le monde décide, on ne va pas s’envoyer un message pour savoir qui aime quoi » (V. 16 ans).

24L’observation comme les entretiens révèlent que toutes les adolescentes n’ont pas le même rôle au sein du groupe. Conformément aux travaux en psycho-sociologie des groupes (Mucchielli, 1989), il est possible d’identifier un leader dans les groupes d’adolescentes observés (Hansen et Hansen, 2005). La consommation est l’un des terrains d’expression du leadership à l’adolescence, avec le port de vêtements « tendance » et de marques (Ezan, 2007). L’adolescente leader est celle qui joue le rôle d’initiatrice dans la fréquentation des magasins : « Il y a une ado qui est leader dans les sorties shopping, elle pourrait passer sa vie dans les magasins, (…) elle nous dit tout le temps « aller on va voir dans ce magasin », c’est souvent elle qui nous incite à y aller » (A., 15 ans). Les adolescentes leaders d’opinion dans leur groupe peuvent ainsi renforcer la satisfaction, voire la fidélité des adolescentes plus novices en partageant avec elles leurs opinions concernant les différents points de vente. Ces leaders « fidèles » à un point de vente ont alors un rôle de mentors et d’initiatrices lors de l’activité de shopping.

3.2 – D’une expérience de shopping collective à un rituel

25La consommation a une signification qui dépasse le cadre du strict échange économique : elle relève aussi du domaine symbolique et sacré (Rook, 1985 ; Belk, Wallendorf et Sherry, 1989). Cette dimension se retrouve dans la consommation adolescente. En effet, l’adolescent qui traverse une période d’incertitude et d’ambiguïté, peut prendre appui sur la consommation et la propriété symbolique des produits pour l’aider à acquérir son nouveau rôle d’adolescent (Marion, 2003). La pratique du shopping en présence des copines peut effectivement prendre la forme d’un véritable rituel. Au travers des entretiens, trois éléments constitutifs de rituel ont ainsi été identifiés : le caractère répété, la symbolique, et la théâtralisation. Les deux premiers éléments appartiennent aux composantes classiques et universelles du rituel (Cazeneuve, 1971), alors que la théâtralisation n’apparaît que chez certains auteurs, comme Goffman (1973) ou Rook (1985).

3.2.1 – Le comportement routinier

26Selon Cazeneuve (1971) : le rituel a un « caractère répétitif ». L’analyse des entretiens révèle que le choix des quartiers et des rues pour pratiquer le shopping entre copines revêt un caractère très répétitif, que l’on peut qualifier de routinier : « En général, on fait la rue de B., on passe par R. et après on fait toute la rue en long, les magasins à la suite… C’est toujours le même parcours » (M., 17 ans). Par ailleurs, le choix des magasins à fréquenter ainsi que l’ordre des magasins sont établis au préalable par les adolescentes du groupe : « On part de la gare et on remonte, on fait toujours comme ça. Donc on fait d’abord André, Eram, Zara, puis on arrive rue B., on va alors chez Kookaï, aux Galeries Lafayette, Camaïeu, Morgan, H&M et Stradivarius, Sacha. Généralement on ne va pas plus loin, on fait toujours ce zigzag-là, c’est toujours cet ordre » (P., 16). Pour certains groupes, le parcours de shopping est tellement mémorisé qu’il finit par paraître « naturel », comme tout rituel parfaitement intégré : « En fait, on ne décide pas, c’est naturel, on va chez Zara, on va à H&M parce qu’on y va tout le temps » (A-S., 15 ans). Seule la découverte d’un nouveau magasin peut bouleverser le parcours habituel de shopping « Des fois quand on connaît un nouveau magasin ou quelqu’un veut aller dans un nouveau magasin, on va un peu dans le V. (autre quartier) pour voir. » (M., 17 ans).

3.2.2 – La dimension symbolique

27Comme le suggère Cazeneuve (1971), le rituel constitue une conduite codifiée, qui en plus d’un caractère répétitif, relève d’une symbolique. Au-delà de la simple acquisition de produits, le shopping des adolescentes acquiert des significations sociales. La pratique du shopping semble tout d’abord être un support d’interactions sociales et d’expériences partagées : « Quand je fais du shopping seule, c’est parce que j’ai un article en tête […] alors qu’avec mes copines, c’est vraiment une activité, le but premier n’est pas d’acheter des habits, ce sera plus de discuter, s’amuser, se retrouver » (A., 16). Le shopping en groupe peut également être un moyen d’élargir le cercle d’amies en faisant de nouvelles connaissances : « J’ai des copines qui se connaissent que j’ai fait se rencontrer grâce au shopping » (L., 15 ans). Lors de l’adolescence, le rituel du shopping entre copines sous-tend une recherche d’intégration sociale et vise à maintenir la cohésion et la stabilité du groupe.

28Par ailleurs, le rituel du shopping apparaît comme un moyen de construire et / ou d’affirmer sa propre féminité. Ainsi, lors de l’adolescence, la pratique de shopping entre copines est exclusivement réservée à la gente féminine, les garçons en sont exclus : « Généralement ça arrive qu’on mange tous ensemble dans un petit resto ou un snack et puis après chacun va dans ses magasins, les filles d’un côté et les garçons de l’autre et puis après on se retrouve et voilà » (C., 15 ans) ; « Les garçons n’ont pas le droit de venir avec nous faire du shopping. Par contre, après une journée shopping, quand on retourne à l’école, on fait nos belles gosses devant les garçons » (A., 16).

29L’intégration progressive dans la vie de femme peut s’élaborer au travers de certains produits de consommation. Ainsi l’achat du sous-vêtement en présence des copines, lequel constitue pour l’adolescente une phase d’apprentissage de sa vie de femme, d’autant plus significatif qu’il concerne la sexualité, est un acte collectif chargé de symbolique : « Le dernier truc que mes copines m’ont forcé à acheter est un ensemble sous-vêtement culotte / soutien-gorge, alors que je ne sais même pas quand je pourrai le porter… » (L., 15). Au-delà du produit, le magasin apparaît donc comme un lieu privilégié d’apprentissage de la féminité. Les adolescentes tendent à se rendre dans les magasins qui leur renvoient une image de la femme, et non dans ceux associés à une image d’enfant : « Chez Pimkie, j’aime toujours y aller pour les idées et l’ambiance mais ce n’est plus mon style, j’ai grandi mais eux ils n’ont pas évolué, c’est pour les filles plus jeunes que moi, c’est vraiment ado » (M., 17).

3.2.3 – La théâtralisation

30Goffman (1973) et Turner (1969) se sont intéressés à la dramaturgie rituelle. Tous deux utilisent l’analogie du théâtre comme outil de description du rituel. On retrouve dans le shopping, les éléments repérés dans le rituel assimilé à une scène de théâtre : on identifie les coulisses, les acteurs, le public, la scène…

31Les coulisses sont le lieu consacré à la préparation de l’actrice adolescente en présence de son public, ses copines. En matière d’achats de vêtements, les coulisses se concrétisent dans l’épreuve de l’essayage qui est régulièrement citée et décrite. La cabine d’essayage, partagée à plusieurs, apparaît comme un lieu « commun » pour les adolescentes : « Ca dépend de la taille des cabines si elles sont minuscules, on prend chacune une cabine, sinon on se met ensemble dans la même cabine et on rigole bien, on fait des essayages » (S., 15). Le script est bien écrit et rodé : « On a fait un premier tour où on prend une quinzaine d’articles chacune, et on se les répartit pour pouvoir essayer, dans les cabines on essaie une tenue, on est trois à regarder, à donner son avis, à vouloir l’essayer… » (A, 16). Le public (les copines) jouent le rôle d’instance de légitimation lorsque l’adolescente sort de la cabine d’essayage et entre en scène, dans l’espace « public » devant la cabine : « On se conseille assez, on ne se critique pas tellement, on rigole toutes […], on fait toutes le spectacle les unes pour les autres ».

3.3 – Les manifestations d’une fidélité collective

32Comme les autres fidélités identifiées dans la littérature, la fidélité des groupes d’adolescentes aux points de vente apparaît relever à la fois de l’attitudinal (préférence, intention de fréquenter) et du comportemental (Jacoby et Kyner, 1973). Mais parce qu’elle revêt une dimension collective, le passage de l’attitude au comportement s’avère plus complexe, car divers acteurs sont impliqués.

33Les liens complexes qui lient le groupe d’adolescentes au point de vente permettent d’identifier deux types de magasins et donc potentiellement, deux types de fidélité :

  • Les magasins incontournables, adoptés par toutes, dont la visite constitue un passage obligé et fonde le groupe d’adolescentes. Il s’agit d’enseignes comme zara, H&M ou Mango : « H&M, il y a toujours plein de choses et tu trouves toujours forcément quelque chose que tu aimes bien, tu trouves toujours ton bonheur » (V., 18 ans) ; « Je vais chez H&M, Zara, on va souvent dans les mêmes magasins » (M., 17 ans). La fidélité de l’adolescente à ces points de vente est confortée par la fidélité de l’ensemble de ses pairs à ces mêmes magasins. Il s’agit à proprement parler d’une fidélité collective. L’absence d’un membre du groupe ne remettra pas en cause la visite à ce point de vente. « Zara…on a pris l’habitude de ne pas le louper » (P., 16 ans). Il s’agit des magasins pour lesquels les adolescentes décrivent les comportements les plus ritualisés et théâtralisés.
  • Les points de vente auxquels sont associés l’une ou l’autre des adolescentes, mais qui n’ont pas engendré de fidélité collective. L’absence de la copine fidèle peut entraîner l’annulation de la visite de ce point de vente : « Ca dépend avec qui je fais du shopping, avec P., je peux aller dans les friperies, mais si elle n’est pas là, on n’y va pas. » (A-S., 15 ans) ; « ça dépend avec qui je suis, parfois elles ne veulent pas rentrer dans les mêmes magasins… » (R., 16 ans). L’absence de certaines adolescentes est susceptible de modifier le parcours de shopping du groupe. Dans ce cas, l’enseigne doit identifier la cliente fidèle au sein du groupe et la traiter de manière individualisée. La fidélité partielle à certains magasins reflète donc la fidélité à une adolescente du groupe qui, elle, est la vraie fidèle active de ce point de vente. Les autres ne font que suivre.
La présence du groupe a cependant plus d’effets bénéfiques que négatifs sur la fréquentation car il permet d’attirer de nouvelles clientes. C’est le cas bien sûr pour les « nouveaux magasins », ceux qui entrent dans l’ensemble évoqué du groupe grâce à l’une ou l’autre : « Undiz, je me suis sentie obligée d’y aller car tout le monde en parlait mais je ne voyais pas ce que c’était. C’est un peu comme un potin » (J., 18 ans). Le groupe de pairs peut ainsi être à l’origine de la découverte d’un nouveau point de vente : « j’ai découvert Menthe Verte grâce à une copine de ma classe » (C., 15 ans).

34D’une manière plus générale, le comportement collectif est favorable à la fréquentation : les adolescentes se déplacent en groupe et s’accompagnent donc mutuellement dans les magasins préférés de chacune d’elles : « Il y a souvent une copine qui veut aller dans tel ou tel magasin, généralement on y va toutes quand même » (O., 15 ans) ; « parce que moi je vais à Promod et Naf-Naf et Mélanie, elle, va chez Mim et Jennyfer. Même si on n’aime pas forcément la boutique, on s’accompagne » (M., 17 ans).

35Mais comment la fidélité de l’adolescente prend-elle naissance ? Si l’assortiment, l’offre et le niveau de prix constituent leurs premières motivations de fidélité, les adolescentes attendent également des magasins qu’ils les reconnaissent en tant que clientes à part entière, à la fois en tant qu’adultes et en tant que femmes : « Jennyfer, j’y allais tout le temps avant. Je pense que c’est parce que j’ai grandi, mon look a changé. Et puis même c’est par principe, je pense que je pourrai trouver des choses sympas mais maintenant ça a une réputation de fringues pour pré-pubères donc par principe je n’irai pas » (J.18 ans). Plus concrètement, les adolescentes déclarent être sensibles à différentes actions des distributeurs pour les fidéliser. Tout d’abord, elles apprécient les remises, les échantillons, les petits cadeaux, les offres sur le second produit dont il est plus aisé de profiter en groupe. Il s’agit donc tout d’abord d’un ensemble de bénéfices monétaires. Elles se révèlent également friandes de cartes de fidélité et de messages émanant des enseignes qu’elles préfèrent (mails, courriers, sms). Cette appétence pour le marketing relationnel peut s’expliquer par leur jeunesse et donc le fait qu’elles ne soient pas encore saturées comme leurs aînées par le marketing relationnel mis en place par l’ensemble des magasins. Ces enseignes proposent une réponse au besoin des adolescentes d’être reconnues comme des consommatrices à part entière.

36Les adolescentes apprécient que leur groupe soit le bienvenu dans les points de vente, que tout soit fait pour bien les accueillir. Cela passe par un personnel de vente jeune et à leur image, des cabines spacieuses pour pouvoir essayer à plusieurs, des infrastructures pour que leurs copines qui attendent puissent être bien installées… A l’inverse, le fait qu’un magasin les considère encore comme des « enfants » constitue un frein à la fidélisation.

37Cette mise en évidence de la dimension collective et rituelle de la fidélité des adolescentes aux points de vente de prêt-à-porter remet en cause les politiques de fidélisation actuelles puisque la dimension collective de la fidélité en est quasiment voire totalement absente.

4 – Implications managériales

38L’enseigne doit introduire dans ses réflexions les spécificités des adolescentes et des groupes qu’elles forment, non pas pour s’en protéger, mais pour saisir au mieux l’opportunité de vente qu’elles offrent. Les résultats de notre recherche mettent en évidence la dimension collective de la fidélité des adolescentes aux points de vente, ce qui amène à proposer un certain nombre d’implications managériales pour les distributeurs.

4.1 – S’intégrer aux rituels du shopping adolescent

39Concevoir le shopping du mercredi et du samedi après-midi comme un rituel, passage obligé pour tout groupe d’adolescentes, conduit les managers à satisfaire conjointement à deux impératifs :

  • L’impératif de permanence, qui permet au groupe de retrouver un lieu
    familier et sacré. Dans cette optique de ritualisation rassurante (Damay et Gassmann, 2011), les adolescentes doivent retrouver au sein de leur magasin des éléments stables et identiques (façon de sillonner les rayons, passage obligé en cabine, dialogue avec le personnel…). Ainsi, le magasin peut être analysé comme un lieu familier où l’adolescente se sent comme chez elle (Guichard et Damay, 2011).
  • L’existence de temps forts, supports d’émotions partagées. Le magasin doit perpétuer les événements qui viennent rythmer les saisons : le premier jour de soldes, les ventes privées, les mini-collections…
Le magasin devient le temple dans lequel se réalise le rituel. Comme dans toute communauté, l’assiduité et l’implication sont variables : il y a bien sûr les pratiquantes régulières, les occasionnelles ou celles que l’on ne rencontre que dans les très grandes occasions…

40La loyauté au groupe et la fréquentation du magasin deviennent indissociables. On retrouve ici les recommandations de Price, Malsche et Arnould (2007) qui suggèrent aux magasins de passer d’une fidélité marchande à une fidélité supérieure non marchande, davantage fondée sur la création d’une relation durable entre l’enseigne et le groupe d’amies. Le point de vente doit proposer « un univers » et un système de valeurs clairement identifiés. L’image de celui-ci est alors basée sur des connotations affectives plutôt que sur ses attributs tangibles, ce qui lui permet de se différencier et de constituer ainsi un avantage concurrentiel beaucoup plus difficilement imitable par les concurrents. Cela crée et développe une proximité voire une identification intellectuelle, symbolique mais surtout affective entre le point de vente et le groupe d’amies. Dans cette optique, les distributeurs doivent se positionner sur la valeur de lien (Cova, 1996) et faire en sorte que cette dimension de communauté et de convivialité soit clairement perçue par ce public.

4.2 – Fidéliser un groupe

41Tous les groupes ne sont pas identiques. Il ne faut pas s’attendre à ce que la réponse à leur apporter soit unique. Dans les très petits groupes composés de deux à trois adolescentes généralement très proches (« amies de cœur ») qui s’inscrivent dans une logique de partage et de confiance, le groupe est une entité à la fois stable et homogène. Le distributeur peut donc à la fois cibler et fidéliser ce groupe dans sa totalité sans revenir au niveau individuel, en mettant en œuvre, par exemple, une carte unique pour les trois amies. Dans les groupes plus importants au contraire, des rôles différenciés émergent : certaines adolescentes peuvent s’imposer comme des leaders présentant un caractère normatif (elles sont la référence en matière de mode), alors que d’autres peuvent se présenter comme des leaders informatifs (elles communiquent au groupe les « bons plans », les nouveaux magasins…).

42Par ailleurs, les relations que le magasin pourrait lier avec le leader et les autres membres du groupe de pairs doivent être différentes. En effet, l’adolescente leader souhaite se différencier et se démarquer des « suiveuses ». Cette démarcation entre leader / suiveur peut aussi s’illustrer par des avantages différents proposés par l’enseigne via son programme relationnel. Encore faut-il savoir identifier, parmi les types de bénéfices des programmes relationnels, le bénéfice adapté. Mimouni et Volle (2003) ont identifié trois types de bénéfices : 1/ utilitaires (monétaire et confort), 2/ hédoniques (divertissement et exploration) et 3/ symboliques (appartenance et reconnaissance). Les leaders seront plus particulièrement sensibles aux avantages symboliques qui leur permettent d’être reconnues comme des clientes importantes. Les suiveuses seront, quant à elles, plus réceptives aux dimensions hédoniques du programme. Enfin, compte tenu de leur budget restreint, toutes les adolescentes sont sensibles aux récompenses monétaires.

43Plus concrètement, les avantages symboliques réservés aux adolescentes leaders devront répondre à leur besoin d’unicité et leur permettre de se sentir différentes, voire supérieures au groupe (Snyder et Fromkin, 1980). En vue de bénéficier d’une asymétrie d’information vis-à-vis des pairs (valeurs de connaissance mais également valeurs de lien social et de prestige), les leaders pourront être invités à des soldes privées, des défilés de mode, des pré-collections ou essayages… (Aurier, Evrard et Goala, 2004). Cela occasionnera du prosélytisme. En outre, les adolescentes leaders devront être sensibilisées au parrainage des pairs par l’octroi de différents avantages dans le cadre du programme de fidélité, ou programme relationnel (par exemple, taux de remise proportionnel au nombre de ses filleules et aux achats de ces dernières). Concernant les adolescentes suiveuses, plus sensibles aux avantages hédoniques, l’enseigne peut exploiter le plaisir de la collection. Les adolescentes suiveuses peuvent ainsi cumuler des points sur une carte de fidélité qui serait commune au groupe. Le cumul de points serait ainsi plus rapide pour obtenir différentes gratifications, avantage non négligeable pour cette tranche d’âge qui vit dans l’instant et le présent. Dès lors, la question qui se pose est de savoir comment identifier ces adolescentes leaders. Différentes méthodes sont possibles : enquêtes par questionnaire (en caisse ou par sms), méthode sociométrique ou encore observations. Ces dernières peuvent être réalisées en magasin par le personnel de vente. Néanmoins, ceci nécessite que le personnel de vente soit formé au préalable afin de bien saisir l’intérêt de ces clientes et leur mode de fonctionnement.

44Si les adolescentes leaders représentent un certain nombre d’opportunités pour les enseignes, elles peuvent également constituer une menace. En effet, si l’adolescente leader est le plus souvent l’initiatrice de la fréquentation d’un point de vente, elle peut aussi être la « responsable » de la rupture de la relation, de la « dé-fidélisation » du groupe.

4.3 – Décliner la stratégie collective de fidélisation en termes opérationnels

45Cette stratégie de fidélisation des adolescentes au point de vente doit se décliner de manière opérationnelle autour des variables d’action classiques du marketing. Il n’est pas question de revenir sur les dimensions prix et produit, notamment les choix d’assortiment, qui constituent la base même du positionnement de l’enseigne. Lorsqu’il s’agit par contre de fidéliser et non plus d’attirer les adolescentes, d’autres leviers peuvent être activés.

4.3.1 – Miser sur une communication plus collégiale

46Jusqu’ici, la communication de la plupart des enseignes prend essentiellement en considération l’aspect individuel. Elles considèrent le vêtement féminin comme un élément central de la présentation de soi et mettent en scène des individus. Il serait judicieux d’introduire dans les campagnes une dimension collective complémentaire. Certaines peuvent même envisager d’aller jusqu’à la mise en scène de la préparation collective. Cette communication plus collective peut également être relayée sur les réseaux sociaux comme Facebook ou autres pour faire entrer l’enseigne dans l’ensemble des ami(e)s du groupe d’adolescentes et ainsi avoir une relation de proximité avec elles. La constitution de communautés de marques-enseignes constitue également un levier de fidélisation collectif des adolescentes.

4.3.2 – Le point de vente : créer un espace privilégié pour le vécu d’une expérience collective

47Afin de permettre l’expression du rituel, le magasin doit constituer un lieu emblématique qui sert de repère pour les adolescentes. Ceci suppose une stabilité tant des éléments physiques du point de vente (design, code couleur) que des éléments sociaux (personnel en contact). Cette permanence doit permettre au groupe d’adolescentes de retrouver, à chaque séance de shopping, « son » magasin.

48Par ailleurs, le point de vente doit être conçu pour favoriser les échanges au sein du groupe. Le magasin pourrait, par exemple, rendre ses rayons plus accessibles afin de permettre aux adolescentes de circuler avec leurs copines dans le même rayon. C’est ce qui a commencé à être pratiqué par certaines boutiques comme Jennyfer et Pimkie. Par ailleurs, la cabine d’essayage étant le lieu privilégié d’interaction entre les membres du groupe, le concept même de salon d’essayage doit être repensé. Les résultats montrent que les adolescentes valorisent des lieux spacieux, confortables, comprenant par exemple des poufs, une fontaine à eau, un code couleur et une musique en adéquation avec le positionnement de l’enseigne. Ceci permettrait aux adolescentes d’accompagner leurs copines et de donner leur avis sur le modèle choisi par l’ensemble du groupe. Le magasin devient ainsi un lieu de partage d’expériences, de création d’émotions positives entre copines.

4.3.3 – Une politique promotionnelle élargie au groupe

49Les promotions qui encouragent les bénéfices partagés (par exemple : x% de remise pour le second, voire le troisième ou le quatrième article acheté par un même groupe) peuvent contribuer à renforcer le sentiment d’appartenance au groupe de pairs. L’enseigne ou le point de vente peut inviter les adolescentes à des évènements « shopping » en leur proposant de venir accompagnées de leurs copines. Le taux de remise serait alors proportionnel au nombre de copines accompagnatrices. Une telle pratique permet non seulement de satisfaire leur besoin d’appartenance au groupe mais également de proposer une offre aux prix plus attractifs en cohérence avec leur budget. En outre, ces promotions constituent des occasions privilégiées pour faire adhérer l’ensemble du groupe à un programme relationnel.

4.3.4 – Un programme relationnel intégrant une dimension collective

50Les enseignes pourraient concevoir des programmes relationnels qui reconnaissent l’adolescente en tant qu’individu, mais également en tant que membre d’un groupe. Il serait, par exemple, judicieux de proposer à l’adolescente, identifiée comme le leader du groupe, une carte de fidélité dont elle serait la porteuse, ce qui renforcerait sa position privilégiée dans le groupe. Ses amies, quant à elles, disposeraient de mini-cartes abondant le même compte. Ainsi, le fait de pouvoir cumuler les points au niveau du groupe d’amies permettrait aux adolescentes soit d’avoir plus rapidement une première récompense, soit d’attendre mais d’accroître collectivement leurs chances de pouvoir obtenir des récompenses beaucoup plus importantes.

Conclusion

51Cette recherche s’intéresse au shopping des adolescentes et à sa spécificité : le shopping entre copines. Face à l’importance de la fidélisation pour les enseignes, cet article s’intéresse à la fidélité des adolescentes aux magasins de prêt-à-porter, à sa dimension collective, et aux programmes spécifiques qui peuvent en découler. Il apparaît que le shopping des adolescentes correspond bien à un comportement collectif mais sans que les dimensions individuelles ne puissent être négligées. Tous les groupes d’adolescentes ne présentent, par ailleurs, pas la même structure, et il importe d’identifier l’adolescente qui tient le rôle de leader lorsqu’elle existe, car elle joue un rôle particulier dans le comportement général du groupe.

52Les enseignes doivent adopter une vision plus collective qui peut se traduire concrètement dans leurs pratiques marketing (programme relationnel, merchandising, théâtralisation, politique de prix, de communication…). Toutefois, l’adolescence étant aussi caractérisée par un besoin fort d’autonomie, l’individualité de l’adolescente ne saurait être oubliée. L’approche se doit donc d’être subtile : tout miser sur le collectif pourrait s’avérer dangereux puisque perdre la leader constitue un risque de perte de la totalité du groupe.

53En dépit de ces apports, cette étude comporte plusieurs limites. En effet, cette première phase de la recherche, de nature exploratoire, ne concerne que les filles et qui plus est, un petit échantillon. Aussi, à l’avenir l’étude sera-t-elle répliquée pour une meilleure validité externe, afin de quantifier ces phénomènes, d’étudier le comportement des garçons et de comparer les comportements filles/garçons en matière de fidélité au point de vente.

Bibliographie

Références bibliographiques

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Notes

  • [1]
    Cet article est visible sur le site de “Dia Mart”, cabinet de conseil, dans la rubrique Prix 2011 de la meilleure recherche sur la distribution : http://www.dia-mart.fr
  • [2]
    Elodie Gentina, Associate Professeur, SKEMA Business School, Université Lille Nord de France, elodie.gentina@skema.edu
  • [3]
    Isabelle Collin-Lachaud, Professeur des Universités, Université Lille Nord de France, SKEMA Business School, isabelle.collin-lachaud@univ-lille2.fr
  • [4]
    Marie-Hélène Fosse-Gomez, Professeur des Universités, Université Lille Nord de France, marie-helene.fosse-gomez@univ-lille2.fr
  • [5]
    La lettre économique, Institut Français de la Mode, Décembre 2011.
  • [6]
    Site Le Figaro, 25 février 2011.
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