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Article de revue

La gestion de l'intégration en entreprise de service : l'apport du concept de socialisation organisationnelle

Pages 9 à 24

Notes

  • [1]
    Traduction personnelle
  • [2]
    Cette durée a été déterminée suite à des entretiens préparatoires avec des équipiers, des managers et la directrice des ressources humaines de la chaîne de restauration rapide ainsi que des directeurs d’hôtels.
  • [3]
    Coefficient d’accord intercodeurs : N = (n × 2) / (i + j) avec, n = nombre d’unités de codage communes aux deux analyses, i = nombre d’unités de codage utilisées par l’analyste n° 1, j = nombre d’unités de codage utilisées par l’analyste n° 2.

1L’intégration des nouveaux salariés dans l’entreprise est une question d’actualité pour les gestionnaires des ressources humaines. Les départs en retraite massifs des seniors encouragent les recrutements de personnes issues de la jeune génération. Ces jeunes bouleversent l’entreprise avec des valeurs et des comportements au travail radicalement différents de ceux des leurs aînés. Les pratiques traditionnelles de fidélisation nécessitent d’être adaptées pour éviter une pénurie de compétences. En particulier, la phase d’intégration dans l’entreprise comporte des enjeux déterminants tels que l’attachement des jeunes salariés à la culture organisationnelle et l’acquisition créative des savoir-faire.

2Parallèlement aux évolutions démographiques, le contexte économique des pays occidentaux est marqué par la domination du secteur des services. Les emplois au contact de la clientèle se développent : emplois en caisse, aux guichets, en centres d’appel ou dans des réceptions. L’intégration de ces employés est stratégique car ils représentent l’organisation aux yeux des clients et leur prestation influence la qualité du service et la satisfaction de la clientèle.

3Cependant, les connaissances sur la gestion de l’intégration sont aujourd’hui parcellaires car la structure du marché de l’emploi (demande supérieure à l’offre) a longtemps incité les responsables et les chercheurs à se focaliser sur la sélection plutôt que sur l’intégration. Même si la plupart des grandes entreprises ont développé des programmes d’intégration, elles ne savent pas encore comment en évaluer précisément l’efficacité. Les mesures traditionnelles utilisées pour évaluer la qualité de l’intégration sont l’ancienneté (ajustement à l’organisation), et la performance au travail (ajustement au poste). Ces mesures présentent plusieurs inconvénients. Elles ne permettent pas les actions préventives, tout au plus, elles autorisent des interventions tardives, une fois que l’échec est constaté. Par ailleurs, elles n’indiquent pas dans quelle direction l’action doit être conduite. Face à ce constat, une question se pose : comment affiner les outils d’évaluation de l’intégration pour que les managers puissent agir avant le départ du salarié ou le constat de sa faible performance ?

4Pour y répondre, la socialisation organisationnelle offre un cadre d’analyse pertinent (I). En particulier, les domaines de socialisation précisent les différentes dimensions de la socialisation. Les résultats d’une étude qualitative sur les dimensions de la socialisation pour des salariés travaillant au contact de la clientèle sont ensuite présentés (II). Des implications managériales pour l’évaluation de la qualité de l’intégration et la gestion de l’entrée organisationnelle sont enfin proposées (III).

1 – La socialisation organisationnelle et ses enjeux

5Au cours de la carrière d’un salarié, la phase d’intégration dans l’organisation s’insère dans un processus plus large, la socialisation organisationnelle. En particulier, les résultats des recherches sur les « domaines de socialisation » servent de base à l’élaboration d’un modèle d’évaluation de la qualité de l’intégration.

1.1 – La socialisation organisationnelle : un processus à gérer

6La socialisation organisationnelle est un processus double, de transmission et d’acquisition, enre les membres expérimentés de l’organisation et les nouvelles recrues. Selon Van Maanen et Schein (1979), elle correspond au processus par lequel on enseigne à un individu et par lequel cet individu apprend les aspects formels et informels d’un rôle organisationnel. Au cours de ce processus, le nouveau salarié vient à apprécier les valeurs, les capacités, les comportements attendus et les connaissances sociales essentiels pour assumer un rôle et participer en tant que membre d’une organisation (Louis, 1980).

7La socialisation organisationnelle est un processus longitudinal. En effet, au cours de leur insertion professionnelle conduisant à une situation stabilisée dans le système d’emploi, les personnes actives changent aujourd’hui plusieurs fois d’organisations et idéalement, y développent leur employabilité. La socialisation organisationnelle a lieu tout au long de la carrière d’un salarié car de nouveaux besoins apparaissent a fortiori lors d’un changement d’organisation mais également lors d’un changement de poste ou lors d’une modification majeure dans l’organisation (figure l).

Figure 1

Les étapes de la socialisation Organisationnelle

Figure 1

Les étapes de la socialisation Organisationnelle

1. Œ : Changement d’organisation.
2. Changement de poste.
3. Modification majeure dans l’organisation.

8La socialisation est constituée de trois étapes majeures. La « socialisation anticipée » commence avant l’entrée dans l’organisation. Les valeurs professionnelles de l’individu sont en effet influencées par sa formation initiale, par la communication de l’organisation et par le processus de recrutement. La phase la plus intense débute au moment de l’entrée dans l’organisation (Feldman, 1981). « L’intégration » correspond aux premiers temps passés dans l’organisation. Elle est consacrée à l’apprentissage des différentes dimensions de la socialisation ou domaines de socialisation. Cette phase de découverte permet ensuite au salarié de s’installer dans son rôle. Durant la phase de « management de son rôle », la personne cherche à résoudre les conflits de rôle inhérents à sa position dans l’organisation ainsi que les éventuels conflits de rôle entre sa vie professionnelle et sa vie privée. L’intégration présentée comme une étape d’un processus plus large améliore sa compréhension et incite à mettre en place des actions englobant la totalité du phénomène.

9Les entreprises ont en effet intérêt à gérer activement l’intégration des nouveaux salariés. Pourtant, les modes d’accueil des nouvelles recrues résultent plus souvent de l’héritage du passé que d’une stratégie délibérée (Schein, 1968). Qu’elle soit gérée activement ou laissée à l’initiative des nouvelles recrues, l’intégration dans l’entreprise a lieu avec des implications lourdes sur la vie de l’organisation. Elle influence le degré de conformité des attitudes et des comportements aux normes organisationnelles (Van Maanen et Schein, 1979). Elle détermine les attitudes et les comportements des salariés : loyauté et engagement envers l’organisation (Schein, 1968), satisfaction au travail (Ashforth et Saks, 1996), motivation au travail (Feldman, 1976) et performance au travail (Ashforth et Saks, 1996). De plus, la cohésion sociale et la pérennité de l’organisation dépendent de la transmission de la culture et des savoir-faire intervenant au cours de la socialisation des nouveaux salariés.

10En vue d’une gestion efficace de l’arrivée des nouvelles recrues, les responsables d’entreprise ont besoin de références pour l’évaluation de leurs actions d’intégration. Que faut-il connaître et comprendre pour participer en tant que membre efficace dans une organisation ? Quelles sont les dimensions de la socialisation organisationnelle ? Plusieurs chercheurs se sont intéressés à ces questions et ont participé à l’élaboration de modèles de domaines de socialisation dont l’apprentissage a lieu précisément durant la phase d’intégration.

1.2 – Les domaines de socialisation comme indicateurs du niveau d’intégration

11La théorisation de la socialisation est étroitement liée au concept d’apprentissage. Dans la théorie de l’apprentissage social de Bandura (1977), la socialisation correspond à l’acquisition des comportements requis par des processus d’imitation et d’identification. Les travaux classiques sur l’apprentissage dans les organisations sont articulés autour des notions d’action et d’imprégnation du contexte social (Argyris et Shön, 1996). Le comportement des acteurs est guidé par des théories construites dans l’interaction. Au fil des changements organisationnels, les routines défensives des individus les amènent à définir collectivement des théories « en usage » souvent distinctes des théories « affichées » (Argyris, 1993). La connaissance du fonctionnement formel et informel de l’organisation est nécessaire pour une action efficace mais son repérage est malaisé pour les salariés nouvellement embauchés.

12Les domaines de socialisation, présentés par Fisher (1986) comme « ce qu’il est important d’apprendre lors de l’entrée dans l’organisation[1] », représentent le contenu de l’apprentissage préalable à l’action dans une organisation, spécifiquement pour les nouvelles recrues. Les modèles de la littérature diffèrent quant à leur contenu et leur nombre de dimensions. Les modèles théoriques retiennent entre trois et cinq domaines de socialisation (Bauer, Morrison et Callister, 1998 ; Morrison, 1995 ; Ostroff et Kozlowski, 1992). Les modèles testés empiriquement comportent entre trois et six dimensions (Chao et al., 1994 ; Taormina, 1994, 1997, 2004 ; Anakwe et Greenhaus, 1999 ; Haueter, Hoff, Macan et Winter, 2003). Une synthèse de ces différents modèles est présentée dans Delobbe, Herrbach, Lacaze et Mignonac (2005). Il est admis que la socialisation consiste en un apprentissage à quatre niveaux :

1 – Au niveau organisationnel :

13Un salarié socialisé possède une large connaissance de son organisation incluant des aspects explicites tels que les règles, les avantages, le système de rémunération mais aussi des aspects implicites tels que la culture et les valeurs organisationnelles. La question de l’adhésion du salarié à la culture organisationnelle n’est pas tranchée. D’une part, une acceptation de forme est souvent suffisante pour être efficace au travail. D’autre part, l’adhésion aux valeurs de l’organisation peut être considérée comme une conséquence plutôt que comme un contenu de la socialisation.

2 – Au niveau collectif :

14Un salarié efficace a appris le fonctionnement de son groupe de travail. En effet, le groupe de travail peut avoir sa propre culture, distincte de celle de l’organisation. Il est nécessaire pour le nouveau membre de découvrir et de comprendre le cadre de référence à travers lequel la réalité est perçue au sein de son équipe. Pour s’y intégrer, le nouvel employé doit découvrir les raisons du comportement des autres et adopter un comportement approprié (Feldman, 1981).

3 – Au niveau du travail :

15L’efficacité au travail s’acquiert d’une part, par une maîtrise des aspects techniques de l’emploi. Les règles, les procédures et le jargon doivent être maîtrisés. Des scripts et des schémas cognitifs sont élaborés par le nouveau salarié ce qui lui permet d’automatiser les tâches routinières pour se concentrer sur les activités complexes. Il est aussi parfois nécessaire de développer des capacités physiques de rapidité, de précision ou de force. D’autre part, un salarié socialisé possède une vision claire de son rôle au sein de l’organisation. Il a déterminé les limites de ses responsabilités et les comportements attendus de lui. Lorsque le travail est réalisé au contact de clients ou d’usagers, l’apprentissage du comportement à tenir et des émotions à afficher lors des interactions est essentiel pour mener efficacement les rencontres de service (Rafaeli et Sutton, 1987).

4 – Au niveau individuel :

16L’arrivée dans un nouvel emploi est accompagnée d’un apprentissage personnel. Intégrer une organisation signifie passer d’un rôle à un autre (Nicholson, 1990) induisant une adaptation ou une modification radicale de l’identité (Hall, 1971). Ce passage suppose que l’individu fasse le deuil de son identité passée. Si cet abandon est vécu négativement, la capacité de l’individu à être socialisé risque de s’en trouver limitée (Louis, 1980).

17Ces quatre niveaux d’apprentissage lors de la socialisation se déclinent différemment selon le secteur ou la position occupée. L’importance et le contenu des domaines de socialisation varient d’un emploi à un autre. Ainsi, cette recherche porte sur le secteur des services, représentant la plus large proportion du produit intérieur brut et des emplois dans les pays développés.

2 – L’étude empirique des domaines de socialisation dans les services

18Les personnes expérimentées qui élaborent les programmes d’intégration imaginent difficilement les problèmes rencontrés par les nouveaux salariés (Jablin, 1984). Pour leur apporter des réponses, cette étude procède par une immersion dans l’univers des nouvelles recrues. Si son objectif principal est d’identifier les domaines de socialisation, la recherche devra également faire apparaître les éléments évidents pour des salariés expérimentés mais sources de difficultés pour les nouvelles recrues. Le terrain spécifique des salariés travaillant au contact des clients dans les services est exploré.

2.1 – Une méthodologie qualitative appliquée à des salariés travaillant au contact de la clientèle

19Dans le secteur des services, le personnel en contact avec la clientèle constitue un élément stratégique pour les entreprises. Il représente l’organisation et « matérialise le service aux yeux des clients » (Eiglier et Langeard, 1975). Il intervient dans la fidélisation de la clientèle (Reichheld, 1993). Cependant, pour les entreprises du secteur tertiaire, il est difficile de réguler les interactions de service par des systèmes de contrôle conventionnels (Ashford et Humphrey, 1993). L’intériorisation des valeurs et des codes de comportements par le personnel en contact lors de la socialisation semble être la seule alternative (Schneider, 1990).

20Dans la pratique, de grands groupes appartenant au secteur de l’hôtellerie-restauration ont élaboré des méthodes d’intégration pour que les nouveaux salariés deviennent rapidement efficaces face aux clients. Ces méthodes sont basées essentiellement sur l’acquisition de savoir-faire techniques et ne forment par conséquent les nouveaux salariés qu’à un seul domaine de socialisation. On observe parallèlement que le taux de rotation du personnel en contact est élevé. Les pratiques d’intégration des entreprises de service pourraient alors être améliorées par la connaissance des besoins des nouvelles recrues et par l’identification de l’ensemble des domaines de socialisation pour le personnel en contact.

21Pour ce faire, une étude est réalisée dans des entreprises des secteurs de la restauration rapide et de l’hôtellerie. Ces entreprises présentent l’avantage d’effectuer des recrutements réguliers. Elles appliquent des procédures d’intégration spécifiques pour transformer des jeunes inexpérimentés en professionnels efficaces en moins de trois semaines. De plus, les personnes embauchées ont peu d’expérience professionnelle ce qui limite les effets d’éventuelles socialisations antérieures.

22Pour recueillir des données, le chercheur s’est immergé dans le lieu de travail de réceptionnistes d’hôtels et d’équipiers travaillant en caisse dans la restauration rapide. Des entretiens semi-directifs conduits selon la méthodologie de Miles et Huberman (1991) ont été pratiqués pour obtenir des informations précises sur les domaines de socialisation. Seuls les salariés en phase d’intégration, c’est à dire embauchés depuis moins de trois mois [2], ont été interrogés. Au total, 32 entretiens ont été réalisés (20 équipiers, 7 réceptionnistes, 3 managers de la chaîne de restauration rapide et 2 chefs de réception). La saturation thématique a été obtenue, aucun élément nouveau n’apparaissant lors des quatre dernières entrevues.

23Une analyse de contenu a été effectuée avec pour objectif d’identifier les différents domaines de socialisation pour le personnel en contact. Après une lecture flottante du corpus composé des 32 entretiens, des catégories mutuellement exclusives, homogènes, pertinentes, objectives et fidèles (Bardin, 1993) ont été définies. Trois chercheurs ont été consultés pour la détermination des catégories. L’importance relative des domaines de socialisation a été évaluée en fonction du nombre d’apparitions dans l’ensemble des entretiens. La fidélité des résultats a été améliorée par un double codage. Le coefficient d’accord inter-codeur [3] est de 0,96.

2.2 – Les domaines de socialisation pour les employés en contact avec la clientèle

24Le modèle obtenu après la phase de catégorisation est composé de quatre domaines de socialisation. Par rapport aux modèles de la littérature, une dimension nouvelle est apparue. La définition de son rôle face au client est en effet un domaine de socialisation spécifique aux emplois dans les services. Les autres domaines sont la compréhension des tâches et des processus de travail, l’intégration au sein du groupe de travail et la connaissance de l’organisation. L’analyse des entretiens offre une connaissance approfondie du contenu mais aussi du processus d’apprentissage de chaque domaine de socialisation.

Définition de son rôle face au client

25La définition de son rôle face au client révèle une dimension du travail spécifique aux emplois dans les services. Les tâches associées au service répondent à des objectifs particuliers de l’organisation (conseil, vente) et sollicitent des compétences propres (capacités de communication, empathie, amabilité). Par exemple, l’accueil du client nécessite la connaissance des formules de politesse appropriées et des techniques de vente des produits et des services de l’organisation. L’encaissement impose au personnel en contact de savoir vérifier la validité du moyen de paiement dans les formes convenues.

26L’apprentissage de ce domaine de socialisation est marqué par l’imprévisibilité introduite par la présence du client lors des rencontres de service. Dans certains cas, le contact avec le client est vécu comme une opportunité de contact social enrichissant. Dans d’autres cas, le client est perçu comme un donneur d’ordre râleur et versatile ayant une vision dévalorisée du personnel en contact.

27Le personnel en contact est guidé par les normes de comportements imposées par leur employeur. Un salarié de l’échantillon explique : « On nous apprend à réagir face à l’agressivité du client, comment lui proposer les produits, être aimable, sourire… » Pour favoriser les ventes dans la restauration rapide, les employés en caisse doivent proposer des produits dans un ordre précis : « Toujours proposer le menu s’il existe, c’est à dire la frite, la boisson, et le burger, demander s’ils veulent un dessert, et enfin proposer un café ou un thé… »

28Toutefois, une marge de liberté est généralement laissée au personnel en contact. Ce dernier doit véritablement composer son rôle comme un acteur. Les clients recherchent un contact personnalisé : « [Les clients attendent] de nous qu’on soit des personnes et non pas qu’on serve comme une machine! » Une part de créativité est donc nécessaire. Certains salariés s’appuient sur des exemples de personnes qui les ont servis alors qu’ils étaient en position de client. D’autres trouvent un style qui leur est propre. Cette relative liberté dans la manière de se comporter face aux clients permet aux employés de la restauration rapide de s’émanciper par rapport au cadre contraignant de leur poste conçu selon les règles de l’organisation scientifique du travail : « Chacun a sa personnalité. Il y en a qui blaguent avec les clients. On a quand même le moyen de se sentir quelqu’un. La façon dont on accueille les gens, on n’est pas obligé de dire à chaque fois la même chose avec les mêmes mots. »

29Avec la pratique, les employés trouvent des astuces pour guider la rencontre de service. L’amorce de la rencontre est décisive : « Il faut mettre les gens à l’aise, être agréable et souriant ». Face à l’impatience des clients, les employés apprennent à imposer en douceur le rythme de la rencontre de service : « Il faut essayer de les « déstresser » parce que parfois, ils arrivent et c’est toc toc toc toc toc… On n’a à peine le temps de taper. Parfois, ils arrivent, ils disent leur commande avant même de dire bonjour. Alors, je leur dis bonjour et du coup ils ne savent plus où ils en sont et ils reprennent doucement. » En outre, les employés des services confrontés à l’insatisfaction des clients doivent maîtriser leurs émotions pour éviter d’éventuels conflits.

30Enfin, pour quelques-uns, accepter de travailler au contact des clients nécessite non seulement une adaptation du comportement mais aussi de l’apparence physique : « Moi, j’ai dû raser ma barbichette… Ils ne veulent pas des gens qui agressent physiquement. »

31La définition de son rôle face au client implique donc un apprentissage personnel. Les employés en contact trouvent le registre de communication interpersonnelle qui convient à la fois à leur personnalité et au rôle qu’ils tiennent dans l’organisation.

La compréhension des tâches et des processus de travail

32Pour s’intégrer, les nouveaux salariés doivent apprendre les aspects techniques de leur travail. Les postes en contact avec les clients nécessitent souvent la maîtrise d’équipements variés (caisse, système informatique, système téléphonique) qui constituent une interface technologique avec le client. Au départ, la méconnaissance du fonctionnement des équipements est une source de stress. Par la suite, bien maîtrisées, les interfaces technologiques donnent de l’assurance et permettent de composer son rôle face au client. Les dimensions techniques et de service sont donc fortement imbriquées. Les nouvelles recrues doivent aussi découvrir rapidement les produits de l’entreprise ainsi que les offres promotionnelles. Elles doivent apprendre à encaisser sans erreur tous les modes de paiement des clients, ce qui est perçu au départ comme une lourde responsabilité.

33Il est ensuite nécessaire de définir l’étendue de ses tâches. Même si des descriptions de postes ont été élaborées, elles sont rarement communiquées aux employés car cela offre une plus grande flexibilité aux managers. En effet, il existe un ensemble de tâches indispensables au bon fonctionnement de l’organisation réparties de façon informelle entre les employés. Le travail étant collectif, les nouvelles recrues doivent comprendre la coordination avec les autres membres de l’équipe. Par exemple, lors des heures d’affluence dans la restauration rapide, il est nécessaire de partager les tâches pour augmenter la rapidité du service. Enfin, pour devenir performantes dans l’exécution des tâches techniques, les nouvelles recrues acquièrent des capacités physiques de rapidité et de résistance à la fatigue. Un équipier rapporte : « Il faut être rapide, toujours plus rapide. » De même, une réceptionniste nous a confié : « Quand on est à la réception et que c’est la pleine saison, il faut faire vite, très vite ». Les employés au contact des clients sont tous soumis à la contrainte du temps. Les clients veulent être servis rapidement et ils évaluent la qualité du service en fonction de leur temps d’attente.

Intégration au sein du groupe de travail

34L’intégration implique l’acceptation du nouveau salarié par les membres de son groupe de travail. Cette dimension est d’autant plus importante que le travail est organisé en équipe. Face aux exigences des clients, le soutien entre employés est indispensable au bon déroulement du service : « Il faut s’aider les uns les autres, c’est un esprit d’équipe. »

35La connaissance des personnes des autres départements de l’organisation est également le signe d’une bonne intégration. Pour cette réceptionniste, un employé bien intégré est « quelqu’un qui est apprécié de tout le monde, qui est respecté, qui comprend l’intégralité de ses responsabilités et qui est capable d’aider les autres départements. Il ne fait pas que son travail mais il aide les autres départements s’ils ont des problèmes. »

36L’intégration au sein de l’équipe renforce également la motivation de chaque individu et aide à trouver un équilibre affectif : « Il faut bien connaître les équipiers, parce que c’est important qu’il y ait une bonne ambiance. »

Connaissance de l’organisation

37Tout d’abord, les nouvelles recrues ont besoin de connaître les règles et les procédures pour fonctionner dans l’organisation. Le règlement intérieur, la rémunération, les congés, les divers avantages sociaux et les évolutions de carrière envisageables font partie des éléments formalisés. Progressivement, les employés découvrent les objectifs commerciaux et stratégiques de l’organisation. La sensibilisation aux aspects faiblement formalisés tels que les valeurs et la culture de l’organisation permet ensuite au personnel en contact de répondre aux attentes de l’employeur. Le niveau de service à offrir au client se précise : « Avant je travaillais dans un hôtel cinq étoiles, ici, il n’y a que trois étoiles. Il y a des limites, on ne peut pas aider le client comme on le souhaiterait. » Ainsi, avec une connaissance accrue de l’organisation, l’attachement des nouveaux salariés se développe et se contraste. Les nouvelles recrues sont flattées de posséder des informations réservées aux membres de l’organisation mais elles trouvent des raisons d’être en désaccord avec la politique de leur employeur.

Importance relative des domaines de socialisation

38Les fréquences d’apparition des domaines de socialisation dans l’ensemble des entretiens du corpus donnent une indication sur leur importance perçue par les nouveaux salariés (tableau 1).

Tableau 1

Fréquences d’apparition des domaines de socialisation

Tableau 1
Domaine de socialisation Nombre d’entretiens dans lesquels le thème est apparu au moins une fois 1. Définition de son rôle face au client 22/32 2. Compréhension des tâches et des processus de travail 22/32 3. Intégration au sein du groupe de travail 16/32 4. Connaissance de l’organisation 12/32

Fréquences d’apparition des domaines de socialisation

39La compréhension des tâches et des processus de travail et la définition de son rôle face au client sont les domaines les plus souvent cités par les employés dans les services. Viennent ensuite l’intégration au sein du groupe de travail et la connaissance de l’organisation. L’importance relative des domaines varie au cours de l’apprentissage des nouveaux employés. De manière surprenante, la connaissance de l’organisation est un élément secondaire pour les nouveaux arrivants. Le caractère séquentiel de l’apprentissage fournit une explication. Ne pouvant centrer leur attention sur tous les domaines de socialisation, les nouvelles recrues se consacrent en priorité aux dimensions associées à la réalisation des tâches de leur emploi. Ce choix est encouragé par les responsables hiérarchiques leur demandant d’être rapidement opérationnelles. De plus, l’apprentissage du fonctionnement organisationnel se fait lentement, ce qui est peu compatible avec la rotation rapide du personnel dans les entreprises de service étudiées. Pourtant, l’organisation a tout intérêt à proposer un accompagnement dans le temps pour faciliter l’intégration des nouvelles recrues.

3 – L’accompagnement organisationnel des nouvelles recrues

40Alors que les définitions réduisent la socialisation organisationnelle à un processus d’acceptation des valeurs de l’organisation et de maîtrise des savoir-faire, les modèles de domaines de socialisation complétés par notre exploration qualitative montrent que d’autres processus sont à l’œuvre : définition, identification personnelle et composition de son rôle, et intégration au sein d’une équipe. La socialisation suppose que des efforts cognitifs et qu’une maîtrise émotionnelle soient développés de manière proactive par les nouveaux salariés. Elle est aussi marquée par les interactions avec les autres membres de l’organisation que le management ne peut contrôler totalement. Toutefois, l’immersion auprès des salariés en contact avec la clientèle fait apparaître différentes situations de travail au cours desquelles le management peut apporter un soutien.

41Pour identifier les domaines pour lesquels les nouvelles recrues ont des besoins spécifiques à combler, des outils de diagnostic peuvent être mis en place à partir du modèle proposé. Des entretiens de suivi de l’intégration, des enquêtes par questionnaires ou l’évaluation du supérieur hiérarchique sensibilisé aux quatre domaines de la socialisation en sont des exemples. Le recueil de l’information sera plus efficace si le contexte organisationnel présente les deux caractéristiques suivantes : une culture de communication descendante et ascendante et l’acceptation que l’intégration est un processus à gérer dans une perspective d’intégration à moyen et long termes.

42Dans ces conditions, différentes actions peuvent être engagées selon les besoins identifiés. Premièrement, des actions managériales peuvent accélérer la maîtrise du rôle face aux clients même si elle se renforce progressivement au fil des interactions. Ces actions ont pour objectif de limiter les sources d’ambiguïté provoquant du stress pour les employés en contact : les responsables hiérarchiques clarifieront les attentes de l’organisation lors d’un entretien ; le choix des clients sera orienté par une information précise et facile d’accès (ex. : affichage clair des prix, affichage du menu) ; la connaissance de soi sera développée par des sessions de jeux de rôle organisées en dehors des périodes avec la clientèle. La formation par les jeux de rôle mise en place dans différents hôtels présente plusieurs avantages. En distinguant leurs émotions profondes des émotions ressenties face aux clients, les employés en contact gèrent avec sérénité les rencontres potentiellement conflictuelles. Ils développent une vision claire de leur image publique à travers le retour donné par les collègues. Par l’analyse de situations reproduites fictivement, ils appréhendent les attentes de l’organisation.

43Deuxièmement, les lacunes dans la compréhension de la tâche et des processus de travail sont en général facilement identifiées par les supérieurs hiérarchiques. Elles sont comblées par une formation théorique, une formation pratique en dehors des périodes de contact avec le client ou une formation pratique avec un collègue expérimenté pendant les périodes d’ouverture à la clientèle. Ces méthodes complémentaires peuvent être mises en place de manière séquentielle. S’il est difficile de faire l’économie d’un apprentissage en situation réelle, l’entreprise de service peut toutefois récompenser la patience du client par un cadeau ou une remise lorsque ce dernier a subi les désagréments d’un service accompli par une personne inexpérimentée.

44Troisièmement, il faut reconnaître que la qualité de l’intégration au sein de l’équipe est subjective et qu’elle dépend des efforts de chaque nouveau salarié. Au demeurant, un cadre accueillant ainsi que des pratiques multipliant les opportunités d’interactions améliorent l’efficacité des efforts relationnels. Le travail en équipe, la présence d’un tuteur et l’existence de lieux de rencontre au sein de l’organisation facilitent les contacts entre les nouvelles recrues et les salariés expérimentés.

45Quatrièmement, la connaissance de l’organisation étant le domaine le moins souvent cité par les personnes interrogées, l’apprentissage de ce domaine requiert un accompagnement de la part des membres expérimentés. La perception d’une connaissance restreinte de l’organisation favorise en effet l’ambiguïté de rôle qui provoque stress, faible implication et faible attachement à l’organisation (Ashford et Black, 1996). Le management doit imaginer des actions pour améliorer la connaissance des aspects formels mais aussi des aspects informels du fonctionnement organisationnel. Concernant les aspects formels, les procédures et le règlement peuvent être communiqués par un livret d’intégration, par l’intranet, ou lors d’une réunion d’information. Plus informelle, l’internalisation des valeurs organisationnelles est un processus long. Pendant l’intégration, les nouvelles recrues découvrent le sens des décisions à prendre face aux clients. L’acceptation et l’internalisation créative des valeurs organisationnelles seront acquises plus tard si le processus de socialisation réussit. Selon la priorité donnée à la distanciation critique à l’origine de réponses innovantes ou à la conformité aux valeurs organisationnelles, les expériences planifiées de socialisation encourageront ou décourageront la prise d’initiatives (Schein, 1968). Néanmoins, l’acquisition des valeurs organisationnelles repose en grande partie sur la proactivité des nouvelles recrues. Ces dernières cherchent activement de l’information, expérimentent (Ostroff et Kozlowski, 1992 ; Morrison, 1993 ; Saks et Ashforth, 1996) et donnent du sens aux situations vécues dans l’organisation (Louis, 1980). Les actions managériales d’accompagnement consistent alors à offrir aux nouvelles recrues un accès privilégié aux schémas d’interprétation locaux (Louis, 1980). Ainsi, les pratiques favorisant les contacts entre anciens et nouveaux salariés accéléreront la compréhension des valeurs organisationnelles à condition de ne pas trop enfermés les nouveaux salariés dans des schémas préétablis.

Conclusion

46La phase d’intégration, intervenant au cours des premiers mois après le recrutement d’un salarié, comporte des enjeux fondamentaux pour la pérennité d’une organisation. La socialisation organisationnelle offre un cadre théorique pour la compréhension et l’identification d’actions managériales facilitant l’intégration des nouveaux salariés.

47Une étude réalisée lors d’une immersion auprès de salariés travaillant au contact de la clientèle dans l’hôtellerie et la restauration rapide a précisé les conditions dans lesquelles se déroulent l’apprentissage par les nouveaux salariés et l’échange avec les salariés expérimentés intervenant au cours de la socialisation organisationnelle. Elle a révélé les quatre domaines de socialisation caractérisant les emplois dans les entreprises de service : la définition du rôle face au client, la compréhension des tâches et des processus de travail, l’intégration au sein du groupe de travail et la connaissance de l’organisation. Les apprentissages des différents domaines sont interdépendants, toute lacune ayant des impacts négatifs sur l’ensemble du processus de socialisation.

48Au cours de la socialisation des nouvelles recrues, les salariés expérimentés ont un rôle subtil à jouer. Ils servent de modèles, forment aux tâches techniques, évaluent la performance de service, assument un rôle social, favorisent l’accès à l’information et aux interprétations locales et guident les nouvelles recrues dans la découverte de la culture organisationnelle. Lorsque ces rôles sont assumés de manière naturelle et spontanée, les responsables de l’organisation perdent le contrôle des messages transmis aux nouveaux venus. Des procédures peuvent alors être mises en place pour guider le rôle des membres expérimentés. Les supérieurs hiérarchiques ont une responsabilité à assumer dans l’acquisition des quatre domaines de socialisation par les nouvelles recrues mais aussi dans la sensibilisation des membres expérimentés. Toute l’organisation est en effet concernée par l’intégration des nouveaux venus. Ainsi, le défi du renouvellement massif de la main d’œuvre sera relevé si l’accueil des nouveaux salariés s’inscrit dans la culture de l’organisation.

Bibliographie

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Notes

  • [1]
    Traduction personnelle
  • [2]
    Cette durée a été déterminée suite à des entretiens préparatoires avec des équipiers, des managers et la directrice des ressources humaines de la chaîne de restauration rapide ainsi que des directeurs d’hôtels.
  • [3]
    Coefficient d’accord intercodeurs : N = (n × 2) / (i + j) avec, n = nombre d’unités de codage communes aux deux analyses, i = nombre d’unités de codage utilisées par l’analyste n° 1, j = nombre d’unités de codage utilisées par l’analyste n° 2.
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