Notes
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[1]
Le CCPRO gère un portefeuille de 100 à 200 très petites ou petites entreprises (TPE) dont les chiffres d’affaires n’excèdent généralement pas les 4 millions d’euros. Il est le point d’entrée privilégié pour la grande majorité des demandes de financement pour des créations ou reprises d’entreprise.
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[2]
La cotation Banque de France est une appréciation de la Banque de France sur la capacité de l’entreprise à honorer ses engagements financiers à un horizon de trois ans (http://www.fiben.fr/cotation/cotation-bdf.htm).
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[3]
L’indicateur 040 recensait les dirigeants ayant connu un seul dépôt de bilan au cours des trois dernières années. De leur côté, les indicateurs 050 et 060 signalent, selon le cas, la présence d’au moins deux ou trois liquidations judiciaires au cours des
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[4]
Ces deux recherches, tout en se focalisant sur le stigmate au niveau organisationnel, construisent l’argument de la masse critique sur une base individuelle.
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[5]
Pour que l’individu ait 40 ans dans les deux cas, il est précisé qu’il a sept ans d’expérience en entreprise dans le scénario n°1 (avec échec) et 15 ans dans le scénario n°2 (sans échec).
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[6]
Le test bilatéral a été réalisé à un niveau de signification de 5 %. Les cases grisées du tableau n°1 correspondent aux résultats significatifs au plan statistique.
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[7]
Le lecteur trouvera, dans l’annexe n°2, des verbatims pour appuyer nos arguments. Sachant que les propos, ci-après en italique, sont également empruntés à nos répondants.
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[8]
Juste après l’entretien, vous avez étudié l’ensemble des éléments comptables, qui ont confirmé vos premières impressions sur ce dossier.
INTRODUCTION
1 La littérature établit qu’un entrepreneur est discrédité socialement après un échec (Efrat, 2006 ; Lee, Peng & Barney, 2007 ; Shepherd, 2003 ; Sutton & Callahan, 1987 ; Ucbasaran, Shepherd, Lockett & Lyon, 2013). La plupart des travaux sur la stigmatisation post-faillite proposent une lecture socioculturelle de ce phénomène (Cardon, Stevens & Potter, 2011 ; Cave, Eccles & Rundle, 2001 ; Cope, Cave & Eccles, 2004). Dans cette approche, les auteurs appréhendent une masse critique de « stigmatizing actors » (Devers, Dewett, Mishina & Belsito, 2009 ; Roulet, 2015), sans envisager de potentielles divergences dans l’attitude et le comportement des différentes parties prenantes. L’entrepreneur post-faillite (EPF, par la suite) serait alors victime d’un déterminisme social ayant des conséquences directes sur son avenir (Simmons, Wiklund & Levie, 2014 ; Singh, Corner & Pavlovich, 2015). C’est notamment le cas d’une discrimination bancaire, qui freinerait l’EPF dans l’accès aux ressources financières dont il a besoin pour relancer une nouvelle activité entrepreneuriale.
2 À notre connaissance, seuls Shepherd & Patzelt (2015) envisagent la possibilité d’une certaine variance dans l’évaluation des EPF au sein de l’audience sociale. En l’occurrence, les auteurs estiment que les EPF ne forment pas un « bloc homogène » et seront jugés différemment selon leurs caractéristiques personnelles (ex. : orientation sexuelle). Dans la même veine, il nous semble possible d’envisager que les échecs entrepreneuriaux puissent faire l’objet d’interprétations au cas par cas, notamment de la part du banquier. En effet, on sait que ce dernier appuie sa décision sur une évaluation structurée de données objectives et subjectives, faisant ainsi appel au jugement (Berger & Udell, 2002 ; Stein, 2002). Or, de nombreux travaux établissent que des éléments tels que le diplôme, l’origine ethnique ou le sexe sont susceptibles de biaiser la décision de financement (Beck, Behr & Madestam, 2011 ; Irwin & Scott, 2010 ; Largay & Xiaodong, 2011 ; Ya, Escalante, Gunter & Epperson, 2012). Par extension, on peut s’interroger sur la perception de l’échec entrepreneurial par le banquier, dans un contexte d’octroi de crédit. Ainsi, dans cette recherche, nous nous demandons comment la stigmatisation post-faillite influence la décision du banquier. Plus spécifiquement, nous cherchons à comprendre comment elle affecte sa décision de financer un nouveau projet entrepreneurial porté par un entrepreneur ayant subi un échec. En particulier, il peut être intéressant de savoir si le banquier s’arrête au fait que l’EPF appartienne à une catégorie dévalorisante socialement ou s’il cherche à aller au-delà d’une première impression négative, héritée de son environnement socioéconomique.
3 Une telle approche suppose alors de se placer au niveau interindividuel, en étudiant la dyade stigmatisé/stigmatisant, à contre-courant des approches holistes prédominantes dans la littérature sur la stigmatisation post-faillite. L’étude des mécanismes sous-jacents au processus de stigmatisation observé à l’échelle sociétale est originale et offre des perspectives intéressantes pour identifier ses fondements interpersonnels. Elle offre aussi un éclairage nouveau sur les filtres cognitifs à l’œuvre, qu’ils participent à l’atténuation ou au renforcement des conséquences du stigmate post-faillite. L’angle d’analyse retenu est lui aussi original. Alors que les rares travaux sur la stigmatisation post-faillite, abordés sous l’angle individuel, se focalisent plutôt sur le stigmatisé (i.e. l’EPF) (Shepherd & Haynie, 2011 ; Simmons, et al., 2014 ; Singh, et al., 2015), nous adoptons ici le prisme du stigmatisant (i.e. le banquier). Tant le niveau d’analyse (la perspective dyadique) que l’angle d’analyse (le point de vue du stigmatisant) permettent de mieux comprendre le processus de stigmatisation.
4 Pour répondre à notre question de recherche, nous appréhendons l’échec entrepreneurial en termes de faillite. En effet, même si cette conception de l’échec est restrictive, elle présente l’avantage de reposer sur un évènement observable et enregistré (Ucbasaran, et al., 2013). Plus précisément, dans un contexte français, la notion de faillite sera entendue ici au sens de « liquidation judiciaire » et correspondra, par conséquent, au cas où l’activité de l’entreprise a été définitivement arrêtée. Cette notion de faillite est importante car elle constitue un facteur de stigmatisation. Pour autant, ses conséquences sur l’entrepreneur stigmatisé dépendent de comment d’autres acteurs – à commencer par les banquiers – perçoivent et interprètent le stigma. Une des contributions majeures de cet article consiste alors à relire la stigmatisation en tant que processus d’interprétation.
5 Sur le plan méthodologique, nous avons tout d’abord réalisé sept entretiens auprès de professionnels expérimentés de la banque, ayant tous occupé le poste de conseiller clientèle professionnelle (CCPRO) [1] . Par la suite, nous avons conduit une étude expérimentale auprès de 41 CCPRO. Cette étude revêt un caractère exploratoire dans la mesure où les données qualitatives constituent le matériau principal, en dépit d’un questionnaire préalable soumis à des fins descriptives. Les participants, répartis en deux sous-groupes, devaient se prononcer – lors d’un exposé oral – sur un projet identique de reprise d’entreprise, sachant que pour l’un des deux scénarios le prospect avait subi, par le passé, un échec entrepreneurial. Sur cette base, la méthode de codage préconisée par Gioia, Corley & Hamilton (2013) nous a permis d’élaborer un modèle de décision du CCPRO face à un dossier EPF.
6 Le fait de retenir, dans cet article, un niveau micro d’analyse, fondé sur les interactions sociales entre l’EPF et le CCPRO, permet finalement de mieux comprendre le processus décisionnel du banquier lorsque celui-ci évalue le projet de financement d’un EPF. Nous montrons ainsi que la stigmatisation, en tant que processus, est intégrée à différents niveaux par les parties prenantes détentrices de ressources financières. En l’occurrence, le processus décisionnel du banquier est étudié en trois temps distincts (catégorisation, décadrage/recadrage et décision), pouvant conduire (ou non) à la discrimination de l’EPF. Plus précisément, notre modèle permet d’établir que la catégorisation de l’EPF constitue la première étape du processus décisionnel du banquier et accorde à l’environnement socioculturel un rôle important. Une contribution importante de ce travail est alors de mettre en avant le caractère non automatique et non linéaire de la discrimination. En effet, le stigmate post-faillite peut ensuite être atténué ou renforcé par le processus d’interprétation du banquier, qui fait preuve d’une certaine latitude décisionnelle, même s’il est fortement contraint dans son avis final par le système de délégation et plus généralement le cadre de contrôle. En définitive, il apparaît que le processus de discrimination n’est pas aussi manichéen que les travaux positionnés du point de vue des EPF le laissaient supposer.
7 Après avoir procédé à une clarification conceptuelle (1), nous présenterons les spécificités de la méthodologie mise en œuvre (2). Les résultats obtenus de l’analyse des questionnaires et des entretiens (3) sont ensuite discutés afin de mettre en exergue les principales contributions de cette recherche (4).
REVUE DE LA LITTÉRATURE
LA FAILLITE, UN FACTEUR DE STIGMATISATION POUR L'ENTREPRENEUR
8 Pour Crocker, Major & Steele (1998 : 505), la stigmatisation fait référence à « des attributs ou des caractéristiques, qui confèrent une identité sociale dévaluée dans un contexte particulier ». Plus récemment, Singh, et al. (2015 : 151) la définissent comme « une marque de disgrâce ou d’infamie, venant entacher la réputation de quelqu’un », sachant que trois conditions doivent être réunies pour parler de stigmatisation dans le cas particulier des EPF, Simmons, et al., (2014).
9 Tout d’abord, l’échec entrepreneurial doit être perçu culturellement comme un comportement en dehors de la norme sociale (Cardon, et al., 2011 ; Shepherd & Haynie, 2011 ; Simmons, et al., 2014). Dans ce cas-là, les parties prenantes assimilent les EPF à des coupables et les appréhendent comme des individus incompétents (Efrat, 2006 ; Shepherd & Haynie, 2011 ; Sutton & Callahan, 1987). Sur ce point, plusieurs études établissent que le stigmate lié à l’échec entrepreneurial varie d’une culture nationale à l’autre (Lee, et al., 2007 ; Simmons, et al., 2014 ; Singh, et al., 2015). Les États-Unis sont notamment réputés plus ouverts à l’échec que les pays européens, ce qui favorise l’accès au capital et la recréation d’entreprise après un échec (Cardon, et al., 2011 ; Cope, 2011 ; Frankish, Roberts, Coad, Spearsz & Storey, 2012 ; Heinze, 2013 ; Singh, et al., 2015 ; Yamakawa, Peng & Deeds, 2015). Selon la perspective américaine, l’échec est envisagé comme un élément du processus d'apprentissage (Cave, et al., 2001) et l’EPF peut être considéré comme davantage « bankable » (Yamakawa, et al., 2015 : 209). Plus généralement, Lee, et al. (2007) soulignent que la tolérance à l’échec sera d’autant plus grande que le pays sera marqué par une culture nationale de faible aversion au risque, ce qui n’est pas le cas de la France, par exemple.
10 Par ailleurs, selon Simmons, et al. (2014), on peut parler de stigmatisation post-faillite si l’EPF accepte sa situation de victime. Ainsi, l’EPF internalise l’opinion générale selon laquelle l’échec entrepreneurial est illégitime et s’isole du groupe dominant. Il peut notamment décider d’arrêter toute activité entrepreneuriale dans l’espoir d’effacer son stigmate.
11 Enfin, d’après Simmons, et al. (2014), pour parler de stigmatisation, il faut que l’échec soit détectable via les institutions formelles ou informelles, qui diffusent de l’information aux parties prenantes. Il apparaît notamment que les environnements réglementaires peuvent rendre visibles les échecs passés, à l’instar de la cotation Banque de France [2] . En pratique, au niveau de chaque pays, il y a un arbitrage qui s’opère entre, d’un côté, le fait de protéger les parties prenantes d’entrepreneurs « risk-makers » susceptibles de les léser (ex. : aider le banquier dans son processus de sélection de clients légitimes) et, de l’autre, le fait d’inciter les individus à entreprendre de nouveau (Simmons, et al., 2014). À notre avis, c’est en ce sens qu’il faut comprendre la suppression de l’indicateur 040 de la Banque de France, en septembre 2013, tout en laissant subsister les indicateurs 050 et 060 [3] .
LES CONSÉQUENCES DE LA STIGMATISATION POST-FAILLITE
12 Selon Devers, et al. (2009), une fois qu’un stigmate a vu le jour, sa disparition est rare et difficile à l’échelle d’un individu. Pour autant, si la stigmatisation est persistante, personne n’est prisonnier de cette position socialement désavantageuse (Link & Phelan, 2001). D’ailleurs, tous ceux qui appartiennent à une même catégorie stigmatisée ne souffrent pas de cette situation de façon identique. Ainsi, les individus stigmatisés ne sont pas nécessairement des « victimes passives » et peuvent entrer en résistance face à leur stigmate. Selon cette perspective, la faillite ne doit plus forcément être regardée comme une « marque indélébile » (Cave, et al., 2001), condamnant l’entrepreneur à une exclusion sociale définitive.
13 Une telle réflexion suggère que les parties prenantes peuvent être amenées à changer le regard qu’elles portent sur les EPF. Or, à ce jour, la littérature appréhende implicitement les cartes mentales des parties prenantes comme étant particulièrement rigides. L’hypothèse de réversibilité du stigmate nous semble d’autant plus prometteuse que les travaux récents de Singh, et al. (2015) proposent une lecture dynamique de la stigmatisation. En l’occurrence, l’auteur montre qu’un échec entrepreneurial vécu, à l’origine, par l’EPF comme une marque de disgrâce peut être perçu finalement comme quelque chose de positif. La question se pose alors de savoir si les parties prenantes peuvent, elles aussi, faire évoluer leurs représentations et transformer un a priori initial négatif sur l’EPF (lié à l’environnement socioculturel) en un jugement final positif.
14 L’enjeu autour d’une telle question est crucial. En effet, l’individu stigmatisé peut être victime de discrimination négative. En particulier, l’EPF peut avoir du mal à se voir offrir une « seconde chance » (Singh, et al., 2015 : 150), car la plupart des parties prenantes appréhendent l’échec comme un point noir dans le dossier d’un entrepreneur. En particulier, il lui sera difficile d’acquérir des ressources financières pour se lancer dans une nouvelle création d’entreprise (Cardon, et al., 2011 ; Cope, 2011 ; Lee, et al., 2007 ; Shepherd & Haynie, 2011 ; Simmons, et al., 2014 ; Singh, et al., 2015 ; Sutton & Callahan, 1987 ; Ucbasaran, et al., 2013). Pour autant, Link & Phelan (2001) critiquent la vision simpliste selon laquelle la stigmatisation d’un individu A par un individu B conduirait nécessairement l’individu B à adopter un comportement discriminant vis-à-vis de l’individu A (ex. : refuser un crédit à un EPF). Si les auteurs notent qu’un processus aussi direct voit certainement régulièrement le jour dans notre société, ils soulignent aussi qu’il serait intéressant d’engager des recherches dissociant l’attitude et le comportement.
15 En pratique, il peut donc y avoir une certaine variance dans la dureté de l’évaluation des EPF (Shepherd & Patzelt, 2015). Certes, pour qu’un stigmate émerge sur une catégorie donnée d’individus – tels que les EPF, par exemple – il faut qu’une masse critique d’acteurs partage les mêmes croyances à leur égard (Devers, et al., 2009 ; Roulet, 2015) [4] . Pour autant, cet argument fait ressortir, en creux, qu’il peut y avoir des voix discordantes au sein de l’audience sociale, c’est-à-dire des personnes enclines à appréhender différemment les EPF. De façon étonnante, cette lecture, en termes d’hétérogénéité dans l’attitude des parties prenantes à l’égard des EPF, est absente de la littérature (Shepherd & Patzelt, 2015).
16 D’une façon générale, nous en savons encore très peu sur les mécanismes, au niveau individuel, qui sont sous-jacents dans le processus de stigmatisation observé à l’échelle sociétale, notamment lorsqu’il s’agit d’adopter la perspective des parties prenantes censées stigmatiser l’EPF. Ainsi, nous faisons ici le choix de nous pencher sur le cas du banquier, qui détient des ressources dont a besoin l’EPF en vue d’une éventuelle relance entrepreneuriale et qui est souvent perçu de façon univoque (tendance à l’ostracisme, non-coopération, incompréhension des difficultés, perspective comptable, etc.) (Singh, et al., 2015). S’il existe bien des travaux étudiant le lien entre la faillite et l’accès aux ressources financières (Berkowitz & White 2004 ; Cope, et al. 2004 ; Dickerson 2004), aucun article ne se penche, à ce jour, sur la perception et l’impact de l’échec entrepreneurial du point de vue du banquier.
LA PERCEPTION ET L’INTERPRETATION DU STIGMATE POST-FAILLITE PAR LE BANQUIER
17 Pour Tversky & Kahneman (1974), les décideurs utilisent rarement des processus de résolution extensifs pour traiter les informations à leur disposition, car ils sont coûteux au plan cognitif (ex. : temps, énergie mentale, etc.). Le plus souvent, leurs comportements sont déterminés par des démarches heuristiques. Par exemple, les individus construisent des catégories sociales et les associent à des croyances stéréotypées afin d’analyser l’environnement, puis ils s’en servent ensuite pour déterminer rapidement le comportement le plus approprié (Devers, et al., 2009 ; Link & Phelan, 2001 ; Roulet, 2015).
18 Il convient toutefois de ne pas dissocier le jugement d’un individu de son contexte décisionnel (Kahneman & Tversky, 1979). Par exemple, selon Tversky & Kahneman (1981), un même problème peut déboucher sur des préférences et des décisions différentes, selon la manière dont il est formulé. De même, d’après Wiesenfeld, Wurthmann & Hambrick (2008), chaque profession peut avoir ses propres normes, sachant que l’individu va être influencé par l’anticipation qu’il peut faire des manières de penser (potentiellement biaisées) de ceux auxquels il doit rendre des comptes, afin de préserver la confiance qui lui est accordée. Une telle remarque semble capitale dans un contexte bancaire où le système de délégation est étroitement encadré (Trönnberg & Hemlin, 2014). En outre, la littérature fait ressortir que les stigmates peuvent se transférer d’un individu à l’autre (Goffman, 1963 ; Kulik, Bainbridge & Cregan, 2008) – par exemple de l’EPF au banquier – ce qui est susceptible de biaiser la relation d’affaires avec l’individu porteur d’un stigmate.
19 Par ailleurs, au-delà d’une première impression qu’il se forge sur la base des catégories sociales (Ashforth & Humphrey, 1997 ; Fiske & Neuberg, 1990 ; Link & Phelan, 2001), un décideur – s’il en a le temps et s’il dispose de ressources informationnelles suffisantes – peut tout à fait être motivé à l’idée de chercher des signaux complémentaires (additional cues). Ceux-ci peuvent alors confirmer la catégorisation initiale ou déclencher, au contraire, la recherche d’une catégorisation alternative, voire d’une sous-catégorisation (Ashforth & Humphrey, 1997). Certaines recherches en psychologie sociale révèlent effectivement une certaine latitude dans les processus cognitifs (Crocker, et al., 1998), qui nous semble insuffisamment soulignée, à ce jour, dans la littérature sur la stigmatisation post-faillite. En définitive, si la thèse selon laquelle l’échec entrepreneurial permet au banquier, dans un premier temps, de catégoriser l’individu et éveille sa vigilance paraît a priori défendable, on peut néanmoins se demander s’il n’y a pas d’autres éléments à prendre en compte, dans un deuxième temps, pour comprendre son comportement vis-à-vis d’un EPF stigmatisé.
20 En pratique, les banques appuient leur décision de financer un projet en prenant en compte des informations « soft », non formalisées, en complément des informations « hard » (Stein, 2002). L’information soft est souvent la propriété du conseiller en agence, car elle n’est pas facilement observable, vérifiable ou transmissible aux autres. Au contraire, l’information hard est fondée sur des critères relativement objectifs, comme des ratios financiers, des scores issus d’agences et de bureaux de notation, ou encore des garanties.
21 Deux modèles de financement découlent de cette distinction. Le premier est un modèle relationnel fondé sur de l’information soft, qui repose sur la qualité et l’intensité de la relation entre le conseiller et son client (Behr, Norden & Noth, 2013), avec une décision pouvant souffrir de biais cognitifs et affectifs (Rodgers, 1991), du fait de la délégation dont bénéficie le chargé d’affaires. Par exemple, sa décision peut être affectée par le « bon feeling », c’est-à-dire des intuitions – quant à la crédibilité de l’emprunteur – fondées sur l’émotion (Lipshitz & Schulimovotz, 2007). Le second est un modèle transactionnel fondé sur de l’information hard, caractéristique des grandes organisations, qui s’accompagne de pertes informationnelles, mais qui limite les biais inhérents à une délégation importante (Berger & Udell, 2002).
22 Berger & Udell (2006) considèrent toutefois que ce clivage entre le « relationship lending » et le « transaction lending » conduit à une simplification abusive. Ils analysent plutôt l’engagement bancaire comme une combinaison de techniques, telles que la collecte d’informations, le scoring, la contractualisation, les contrôles ou les procédures décisionnelles. Ces technologies d’engagement nécessitent l’intervention de plusieurs acteurs au sein du processus de financement. Même si les processus décisionnels sont aujourd’hui très formalisés dans les organisations bancaires, il n’en demeure pas moins que la discrétion du chargé d’affaires reste importante (Puri, Rocholl & Steffen, 2011), sachant que celui-ci est généralement plus à l’aise pour prendre des décisions lorsqu’il doit se fonder sur de l’information hard, plutôt que sur de l’information soft (Trönnberg & Hemlin, 2014). Dès lors, il paraît essentiel de comprendre comment les banquiers, en tant que parties prenantes détentrices de ressources financières, intègrent le stigmate post-faillite dans leur processus décisionnel.
METHODOLOGIE
CONTEXTE DE L’ETUDE
23 En écho à Simmons, et al. (2014), nous nous intéressons ici au comportement du banquier dans un pays, la France, où l’échec entrepreneurial est très visible, à travers la cotation Banque de France, et perçu comme dévalorisant socialement (Ipsos, 2013 : 7). Les processus de décision bancaire sont aujourd’hui largement homogènes d’une banque à l’autre. On retrouve ainsi une première étape de collecte et d’analyse d’information au niveau du conseiller, qui prendra sa décision en s’appuyant sur des technologies d’engagement comme le scoring ou l’entretien de découverte (Berger & Udell, 2006). Selon le schéma délégataire de la banque et le type de projet présenté, la décision pourra lui être déléguée ou non. Dans ce dernier cas, la décision du conseiller consistera soit à donner une suite au dossier en le soutenant auprès de sa hiérarchie délégataire (directeur d’agence, puis de secteur, puis de région, puis en comité crédit), soit au contraire à ne pas donner suite. Le dossier sera jugé sur le fond par la hiérarchie délégataire et sur le risque par un service de gestion des engagements. Les dossiers de financement des EPF ne sont généralement pas délégués au CCPRO et mobilisent donc d’autres acteurs, plus éloignés de la relation client. La marge de manœuvre laissée au CCPRO est définie au niveau organisationnel dans le cadre de la politique des risques de la banque, cette dernière étant elle-même contingentée par un cadre institutionnel contraignant.
RECUEIL ET ANALYSE DES DONNÉES
24 Pour répondre à notre question de recherche, nous avons mobilisé des données qualitatives, même si des données quantitatives ont été mobilisées subsidiairement. Ceci présente un intérêt non négligeable, car il y a toujours un déficit de recherches qualitatives tant dans la recherche en entrepreneuriat (Blackburn & Kovalainen, 2009) que dans la littérature sur la stigmatisation, même s’il existe des exceptions notables (Roulet, 2015 ; Singh, et al., 2015). Or, l’approche qualitative se révèle féconde pour comprendre, de façon fine, les mécanismes et les processus à l’œuvre aux niveaux individuels et interpersonnels, auxquels nous nous intéressons ici (Richards, 2009 ; Singh, et al., 2015).
Phase n°1 : Entretiens semi-directifs centrés
25 Dans un premier temps, nous avons conduit sept entretiens semi-directifs (1 heure, en moyenne) auprès de professionnels expérimentés de la banque ayant tous exercé le métier de CCPRO au sein de différents établissements représentatifs du secteur bancaire français (BNP Paribas, BPCE, Crédit Agricole, CIC, LCL, etc.). Ces personnes sont toujours en activité dans le monde bancaire et en contact avec des CCPRO, mais ont davantage de responsabilités (ex. : directeur d’agence). Ces entretiens étaient découpés en deux parties. Pendant 45 minutes environ, l’ex-CCPRO était invité à répondre à des questions appartenant à trois grandes catégories (représentation et comportement du CCPRO vis-à-vis de l’EPF, stigmatisation de l’EPF et abrogation de l’indicateur 040, éthique e n mati ère de fi nan ceme nt de s EPF) . N ou s demand io ns systématiquement à nos interlocuteurs de raisonner comme ils le faisaient lorsqu’ils étaient CCPRO. Ensuite, pendant 15 minutes environ, l’ex-CCPRO était invité à réagir au scénario que nous avions rédigé en vue d’une expérimentation exploratoire (cf. infra) et qui leur avait été envoyé par e-mail en amont de l’entretien. Ces échanges avec des professionnels aguerris nous ont conduits à repenser très largement notre texte initial (à l’origine, l’échec n’était pas assez prégnant, le montant demandé par l’entrepreneur était trop faible, l’investissement était uniquement immatériel, la reprise avait déjà eu lieu et la relation du client avec la banque était déjà établie, le secteur d’activité n’était pas précisé pour le salariat, il n’y avait pas de CAF, etc.).
Phase n°2 : Expérimentation exploratoire
26 Dans un deuxième temps, nous avons réalisé une expérimentation auprès de 41 CCPRO, une méthodologie régulièrement mobilisée pour analyser les décisions en sciences économiques et de gestion (Bursztyn, Ederer, Ferman & Yuchtman, 2014 ; Grosse, Putterman & Rockenbach, 2011 ; Schwager & Rothermund, 2013 ; Shanteau, 1989). Cette démarche, bien qu’exploratoire dans notre cas, est apparue particulièrement cohérente pour évaluer l’impact d’un échec entrepreneurial sur la décision de financement d’un banquier. En effet, elle permet de recréer une situation concrète de décision pour le banquier. En ce sens, nous nous démarquons de la littérature existante, en donnant un visage plus « humain » à la relation d’affaires entre les EPF et les détenteurs de ressources, généralement appréhendée de façon très macro.
27 Ainsi, nous avons divisé notre population en deux sous-groupes comparables en termes d’âge, de niveau d’études, d’expérience professionnelle et de genre. Selon l’ordre alphabétique des noms de famille, les individus recevaient donc alternativement le scénario n°1 (N1 = 21 personnes) ou le scénario n°2 (N2 = 20 personnes), ce qui correspond à un tirage aléatoire. Dans les deux cas, le CCPRO faisait face à une personne de 40 ans souhaitant financer un projet de reprise d’entreprise. Nous avons imaginé le cas d’un entrepreneur autrefois à la tête d’une petite entreprise, souhaitant aujourd’hui reprendre une micro entreprise. En effet, l’étude de la stigmatisation de l’EPF a, selon nous, d’autant plus de sens que l’échec de l’entreprise est étroitement associé, dans l’esprit des stigmatizing actors (Roulet, 2015), à l’entrepreneur. En l’occurrence, cette association semble surtout valable pour les TPE, avec a priori une forte prégnance du caractère intuitu personae dans l’octroi du prêt.
28 Les textes d’un peu moins de trois pages étaient identiques pour tous les participants à ceci près que, dans le scénario n°1 (cf. annexe n°1), le prospect avait été confronté par le passé à un échec entrepreneurial [5] . En écho à Charness, Gneezy & Kuhn (2012), nous avons donc opté pour un between-subject design, car nous ne voulions pas que les personnes interrogées sachent, en identifiant la différence entre les deux scénarios, que notre étude portait sur l’influence de l’échec entrepreneurial sur leur décision en tant que CCPRO. Nous pensons, en effet, qu’un within-subject design aurait pu générer un biais de désirabilité sociale chez nos répondants. Les participants à l’expérimentation exploratoire avaient une heure pour préparer un exposé fictif à leur directeur d’agence afin de justifier leur décision de financement. En parallèle, ils devaient répondre à un questionnaire, qui avait uniquement vocation à dégager des premières tendances sur la manière dont le CCPRO réagit globalement à un échec entrepreneurial (1 question de type oui/non pour savoir s’ils acceptaient de financer le projet, 22 questions fermées avec une échelle de mesure en 7 points sur des thématiques analogues à celles évoquées lors des entretiens semi-directifs centrés et 6 questions ouvertes, dont les réponses ont été codées en vue d’un traitement quantitatif). Les 41 CCPRO étaient ensuite reçus individuellement pendant une vingtaine de minutes par l’un ou l’autre des deux auteurs (exposé, questions/réponses et débriefing sur le questionnaire). Le nombre de répondants étant faible et l’enjeu du questionnaire étant purement descriptif, nous nous sommes limités à des statistiques simples (moyenne et écart-type), en réalisant un test non-paramétrique de Mann-Whitney pour comparer nos deux échantillons indépendants de petite taille [6] (cf. tableau n°1) dans les quatre cas suivants : Scénario 1 vs. Scénario 2, Scénario 1 (acceptation) vs. Scénario 2, Scénario 1 (refus) vs. Scénario 2 et Scénario 1 (acceptation) vs. Scénario 1 (refus). (acceptance) versus Scenario 2 ; Scenario 1 (refusal) versus Scenario 2 ; and Scenario 1 (acceptance) versus Scenario 1 (refusal).
29 Dans les deux scénarios, une majorité de CCPRO accepte de financer le projet. Toutefois l’EPF est victime d’une différence de traitement. En effet, 95 % des participants à l’étude sont prêts à soutenir le dossier lorsqu’il n’y a pas d’échec (un seul refus), alors que ce taux chute à 62 % en cas d’échec (huit refus) (Q1). D’ailleurs, le CCPRO a un a priori beaucoup plus positif sur l’entrepreneur lorsque celui-ci n’a pas connu d’échec par le passé (Q20). Dans cette veine, 85,7 % des répondants du groupe 1 citent l’échec comme un point faible du dossier (61,9 % le placent même en point faible n°1). Par ailleurs, les CCPRO ayant écarté le dossier dans le scénario avec échec estiment qu’ils manquent d’informations (38 % des répondants du groupe 1 aimeraient ainsi en savoir plus sur les raisons de l’échec). Enfin, on observe une différence dans l’évaluation de la situation par les CCPRO faisant face à l’EPF (scénario 1), notamment en termes de contrainte de la hiérarchie perçue comme plus forte en cas d’acceptation du dossier (Q12). Comme l’ont montré les débriefings, ce résultat est à relier au fait qu’un CCPRO peut, à titre individuel, avoir un avis favorable sur un dossier, tout en sachant qu’il ne sera pas nécessairement suivi par sa hiérarchie. En outre, le CCPRO souligne que sa décision ne serait pas forcément la même avec plus d’expérience (Q25). Comme le suggèrent nos répondants, si la hiérarchie a déjà écarté plusieurs cas similaires par le passé, le CCPRO pourrait effectivement finir par se lasser et préférer gagner du temps en écartant un dossier, auquel il croit dans l’absolu, mais dont il sait qu’il ne sera pas soutenu. Enfin, le CCPRO souligne que la décision d’accepter un dossier avec un échec passé ne serait pas forcément prise par tous les CCPRO (Q26). Dans les questions ouvertes, nos répondants le justifient par une appétence aux risques différente selon les CCPRO. Sachant qu’à leurs yeux, ils font davantage courir de risque à leur banque en soutenant un dossier avec échec qu’en refusant ce même dossier, qui constitue pourtant une opportunité d’affaires pour l’établissement (Q23).
Phase n°3 : Application de la démarche de Gioia, et al. (2013)
30 Dans un troisième temps, les 48 entretiens des phases n°1 et n°2 ont tous été retranscrits et forment un corpus total de 86.883 mots. Dans une visée compréhensive, nous avons opéré un codage thématique de ce matériau empirique en suivant l’approche préconisée par Gioia, et al. (2013), qui est une méthodologie très répandue pour comprendre l’entrepreneuriat dans son contexte (McKeever, Jack & Anderson, 2015). L’annexe n°2 montre ainsi comment nous sommes passés de 25 codes de premier rang à 9 thèmes de second rang, puis à 3 dimensions de second rang agrégé. Toutes ces catégories de second ordre sont finalement rassemblées dans le modèle final de cette recherche (cf. figure n°1). Conformément à la méthodologie dite ‘à la Gioia’, le codage de premier rang a été, tout d’abord, inductif. Nos 25 items ont donc tous émergé du terrain. La montée en abstraction, propre à la démarche de Gioia, et al. (2013), s’est opérée ensuite à travers plusieurs allers-retours entre la théorie et le terrain, dans une logique abductive (Roulet, 2015 ; Vaara & Monin, 2010). À titre d’illustration, le retour à la littérature nous a permis de faire émerger des concepts de second rang, tels que la culture nationale (Cardon, et al., 2011), la catégorisation (Link & Phelan, 2001) ou l’expérience (Yamakawa, et al., 2015). Dans d’autres cas, la confrontation de nos données empiriques avec les travaux existants sur la stigmatisation post-faillite faisaient, au contraire, apparaître que certains aspects n’avaient pas encore été étudiés, à ce jour, dans la littérature et constituaient, à ce titre, de véritables apports théoriques. La notion de cadre de contrôle va dans ce sens, tout comme la notion de latitude décisionnelle, qui colle mieux à notre terrain que le concept de latitude cognitive (Crocker, et al., 1998).
31 Notre grille combine donc des dimensions issues de notre cadre théorique et des dimensions nouvelles. Une fois celle-ci construite autour de trois dimensions (catégorisation, latitude décisionnelle et cadre de contrôle), nous avons finalement procédé au codage systématique, sous Word, de toutes les données recueillies (constitution d’un fichier de 30.050 mots, structuré selon notre grille).
RESULTATS EMPIRIQUES
CATEGORISATION [7]
32 La vision socioculturelle de l’échec entrepreneurial est très présente dans le discours des CCPRO que nous avons interrogés. À titre d’illustration, ils appréhendent généralement le fichage Banque de France (cf. infra) comme le reflet de la perception culturelle française. Selon cette perspective, la « cotation gérant » est souvent vue comme « une sorte d’étiquette sur le front de l’entrepreneur », favorisant une « stigmatisation » de l’EPF au sein de l’audience sociale. En d’autres termes, selon nos répondants, l’EPF est généralement « mal perçu » dans notre pays et ceux-ci estiment qu’un financier accorde rarement une « seconde chance », à la différence de ce qui peut se faire aux États-Unis par exemple, où l’échec est considéré, disent-ils, comme un « élément valorisant ». Pour les CCPRO, il est donc clair que le stigmate post-faillite varie selon les cultures, et notamment selon le degré d’aversion au risque des pays.
33 D’ailleurs, les banquiers interrogés partagent assez largement les traits culturels et les démarches heuristiques qu’ils rattachent spontanément à la France. Lorsqu’on recueille leur avis, les CCPRO reconnaissent effectivement avoir un « a priori négatif » face aux EPF. À leurs yeux, il s’agit là d’un « élément défavorable », d’un « élément néfaste », d’un « point faible » ou encore d’un « point sensible » dans le dossier de la personne. Le fait d’envisager un échec entrepreneurial passé comme un « point noir » dans le cadre d’une demande de financement souligne qu’il existe, dans l’esprit du banquier, une catégorie sociale propre à l’EPF. Cela traduit, par conséquent, la présence de croyances stéréotypées à son encontre. Une telle représentation suggère finalement que l’échec entrepreneurial est en-dehors de la norme sociale pour le CCPRO et que l’EPF a, à ses yeux, une réputation entachée. Certains banquiers interrogés considèrent ainsi que la liquidation traduit un manque de compétences de l’entrepreneur, qui n’a pas réussi à « faire ses preuves » en tant que gérant face aux difficultés. Les CCPRO ont donc souvent une « représentation négative » de l’échec et ne souhaitent a priori pas suivre des dossiers de recréation, par peur de voir l’histoire se répéter. « Ça ne donne pas envie ! », résume l’un d’entre eux pour illustrer la disgrâce de l’EPF.
34 À la marge, quelques CCPRO notent toutefois qu’un EPF « a une expérience qu’on ne peut pas négliger ». Non seulement ce n’est plus un primo-entrepreneur, mais il peut aussi avoir tiré des enseignements de son expérience malheureuse, qui le conduiront à « ne pas refaire les [mêmes] erreurs » et à « mieux anticiper les choses » facilitant ainsi l’accompagnement du CCPRO. L’élément-clef, aux yeux du banquier, étant ici que l’entrepreneur ait « analysé les causes de son échec ». Notons toutefois que l’argument d’un échec valorisant pour l’EPF – qui serait davantage « bankable » – n’est quasiment pas défendu par nos répondants. Ainsi, la vision de l’échec comme source potentielle d’apprentissage pour l’entrepreneur n’est évoquée que de façon très isolée par les CCPRO interrogés.
CADRE DE CONTRÔLE
35 Le CCPRO est fortement influencé par le contexte décisionnel dans lequel il évolue. En effet, au delà d’une organisation très formalisée, les normes sont omniprésentes dans sa profession. En l’occurrence, les conditions d’exercice du financement bancaire sont encadrées par une série de réglementations prudentielles à l’instar de la série d’accords de Bâle au plan international, de la directive CRD IV (Capital Requirements Directive) au niveau européen ou encore, à l’échelle nationale, de l’arrêté du 3 novembre 2014 en matière de contrôle interne. Ces contraintes sont à la base d’un processus d’homogénéisation des schémas décisionnels bancaires. Cet environnement externe de contrôle contingente l’environnement interne, qu’il s’agisse de la politique des risques de la banque ou de son opérationnalisation dans les schémas décisionnels et les structures de délégation. Encastrés dans cette pyramide procédurale et réglementaire, les CCPRO interrogés notent qu’« il faut prendre des bons risques ». A titre d’exemple, l’exigence bâloise de fonds propres pour couvrir les risques a des conséquences directes sur les décisions locales et la « qualité » des dossiers retenus. En définitive, cette pyramide réglementaire agit comme un filtre décisionnel venant contraindre la sélection des dossiers, que ce soit au travers des procédures internes ou de la « remontée du dossier en back office ».
36 A son niveau, le CCPRO sollicité pour une demande d’emprunt par un entrepreneur va donc devoir évaluer les risques qu’il ferait prendre à sa banque à travers ce dossier. Conformément au modèle transactionnel, il « interroge » automatiquement le registre du commerce et des sociétés (Infogreffe), ainsi que la banque de données FIBEN afin d’avoir la cotation Banque de France et l’indicateur dirigeant. Cette information hard, non biaisée et facilement accessible, constitue un premier filtre rationnel pour l’accès au financement des projets entrepreneuriaux. Or, une liquidation antérieure laisse des « traces » dans les fichiers, et ce malgré la décision d’abroger l’indicateur 040, en septembre 2013. En pratique, le banquier peut toujours reconstituer aisément l’historique de son interlocuteur grâce aux informations auxquelles il a accès, ce qui rend le stigmate post-faillite extrêmement visible pour le banquier.
37 Si les ex-040 ne sont pas tous écartés, ils sont systématiquement identifiés comme des profils à risque, pour lesquels il faut être plus « méfiant ». On parle, dans ce cas-là, de « détérioration de la qualité gérant ». Cela justifie que la décision soit en-dehors du cadre de délégation du CCPRO et du directeur d’agence, sauf – de façon très exceptionnelle – en cas de montant d’emprunt très faible. Le secteur bancaire se caractérise, en effet, par un fort encadrement du système de délégation. En d’autres termes, le dossier de financement d’un EPF est plus « complexe », car il doit passer en comité risques et faire l’objet d’une justification convaincante. Dans ce cas-là, le CCPRO va devoir « défendre » le client/ prospect et trouver la bonne « argumentation pour gommer le passé » auprès de sa hiérarchie. Très souvent, le CCPRO se heurte alors au délégataire, qui préfère ne pas prendre de risques. C’est la raison pour laquelle, avec l’expérience, le CCPRO peut se décourager et considérer qu’il est inutile de donner une suite favorable à des demandes émanant d’EPF. En effet, il risque de « perdre du temps » sur un dossier dont il anticipe qu’il a de grandes chances d’être finalement écarté par sa hiérarchie délégataire ou le service des engagements.
LATITUDE DECISIONNELLE
38 Au lieu d’être dans une posture de discrimination systématique des EPF, déterminée – de façon directe – par l’environnement socioculturel et réglementaire, certains banquiers font preuve de latitude décisionnelle, traduisant ainsi une certaine hétérogénéité dans leur comportement, notamment pour accorder un droit à l’erreur. Nos entretiens mettent, à ce titre, en exergue que la discrétion du CCPRO est importante dans le processus décisionnel. L’entretien de découverte avec EPF fait notamment partie des technologies d’engagement réservées au chargé d’affaires. À l’occasion de cet échange avec l’entrepreneur, le banquier collecte un maximum d’informations afin de « creuser » les raisons de la faillite passée. Ainsi, malgré une notation dégradée (scoring, information hard), qui influence négativement le banquier, la posture la plus courante du CCPRO est de « laisser [à l’entrepreneur] la chance de s’expliquer ». A travers cette seconde chance, le CCPRO cherche des signaux complémentaires pour fonder son jugement et ne pas rester fixé sur sa première impression négative, liée au stigmate post-faillite. Le processus décisionnel du banquier doit, dès lors, s’appréhender de façon dynamique. Plus précisément, selon la latitude que lui laisse le cadre de contrôle, le CCPRO bascule du modèle transactionnel au modèle relationnel, quitte à introduire des biais cognitifs et émotionnels dans son jugement.
39 Pour autant, le banquier n’est pas dupe et a conscience que son interlocuteur cherchera à ne pas paraître responsable de sa déconvenue. Autrement dit, il sait que l’EPF va entrer en résistance face à son stigmate post-faillite et va vouloir faire la meilleure impression possible au cours de la relation d’affaires. A travers son questionnement, le CCPRO cherche donc à savoir si l’échec est dû à une « mauvaise gestion » ou à des « facteurs externes », tels qu’une mauvaise conjoncture ou un accident de la vie (information soft). En d’autres termes, l’analyse des mécanismes cognitifs du CCPRO montre que celui-ci cherche à affiner son évaluation de l’EPF afin d’établir des sous-catégories, renforçant ou atténuant le stigmate post-faillite (selon que l’échec est attribué respectivement à des causes internes ou externes).
40 En l’occurrence, les CCPRO sont unanimes pour souligner qu’en cas d’erreur de gestion passée de l’EPF, le dossier est jugé comme particulièrement risqué et peu rassurant. En effet, le banquier pourra estimer, dans ce cas-là, qu’il a affaire à un « mauvais gestionnaire », c’est-à-dire à quelqu’un qui n’a pas « la capacité de gérer une entreprise ». Pour affiner son jugement, le CCPRO va également chercher à savoir ce que l’entrepreneur « a essayé de mettre en œuvre » pour faire face aux difficultés. Si ce dernier a pris des « décisions fortes » et « s’est battu » pour tenter d’éviter la liquidation, c’est un signal positif pour le banquier. De même, les CCPRO sont attentifs à la capacité de l’entrepreneur d’apurer – ou non – sa dette suite à son échec. Ainsi, une liquidation achevée dans de bonnes conditions peut être perçue comme un signal « rassurant » pour le banquier. Dans ce cas-là, le stigmate post-faillite n’est plus forcément une marque indélébile.
41 Quoiqu’il en soit, la décision du CCPRO ne se fonde pas uniquement sur le sens donné a posteriori à l’échec entrepreneurial. L’intérêt, la faisabilité et la viabilité du nouveau projet présenté sont également importants. En fait, le banquier a besoin de croire en la personne et en son projet pour s’engager. D’ailleurs, le CCPRO assume généralement la dimension en partie subjective de sa décision, propre au modèle relationnel d’engagement, à la différence du système expert qui se fonde uniquement sur des cotations, des données comptables, des ratios ou des normes de risque. Le CCPRO accorde, par conséquent, une large place à l’information soft (ex. : l’entrepreneur est-il sur la défensive lorsqu’il parle de son échec ? donne-t-il le sentiment d’en avoir fait le deuil ?, etc.).
DISCUSSION
MODELE THEORIQUE
42 La figure n°1 constitue le principal apport de notre recherche au plan théorique. Ce modèle permet d’établir que trois processus distincts sont en jeu lorsque le banquier doit prendre une décision de financement dans un dossier porté par un EPF. Tout d’abord, le banquier est influencé par son environnement culturel (Lee, et al., 2007 ; Simmons, et al., 2014 ; Singh, et al., 2015) et, selon une démarche heuristique (Tversky & Kahneman, 1974), se forme une première impression négative de l’EPF (cadrage). De telles croyances stéréotypées conduisent le CCPRO à placer a priori l’EPF dans une catégorie sociale dévaluée (Devers, et al., 2009 ; Link & Phelan, 2001 ; Roulet, 2015 ; Singh, et al., 2015). Nos résultats font apparaître que ce stigmate post-faillite est invariant au sein de l’audience des banquiers (Shepherd & Patzelt, 2015).
43 Pour autant, si les banquiers considèrent bien l’échec comme un facteur de stigmatisation, cette évaluation n’est pas forcément définitive et immuable lorsque l’EPF n’accepte pas sa situation de victime et tente de relancer une nouvelle affaire (Simmons, et al., 2014). Nous avons effectivement mis en évidence que le stigmate post-faillite ne se traduit pas mécaniquement par une discrimination (Link & Phelan, 2001), c’est-à-dire par un refus de financement (cf. 4.1.). En effet, les conséquences du stigmate post-faillite ne sont pas déterminées socialement, car celui-ci peut être atténué par les filtres cognitifs du banquier (décadrage), dans le cas où l’EPF n’est pas jugé responsable de ce qui lui est arrivé (le stigmate post-faillite est renforcé dans le cas contraire). Il y a donc, au niveau des conséquences du stigmate post-faillite auprès des banquiers, une certaine variance (Shepherd et Patzelt, 2015), car une réévaluation cognitive de l’EPF peut faire suite à la dévaluation sociale de l’EPF. À travers cette logique de « sensemaking » du CCPRO, nous introduisons finalement ici une vision beaucoup plus dynamique du stigmate post-faillite (Singh, et al., 2015), dont l’intensité finale dépend de l’interprétation que le banquier fait des raisons de l’échec (cf. 4.2.).
44 Cette latitude cognitive (Crocker, et al., 1998) doit néanmoins être replacée dans le contexte décisionnel du banquier (Wiesenfeld, et al., 2008). En effet, l’encadrement du système de délégation (Trönnberg & Hemlin, 2014), qui s’appuie largement sur l’environnement réglementaire, peut introduire une forme de rigidité dans le processus décisionnel et renverser l’avis favorable du banquier (recadrage). La connaissance intime du système expert par le banquier peut d’ailleurs le conduire à intégrer, dès le départ, cette contrainte-là dans ses mécanismes cognitifs (Wiesenfeld, et al., 2008). Le banquier devra alors arbitrer entre sa perception de l’échec et sa perception de la manière dont le système va appréhender l’échec (cf. 4.3.).
45 Notre modèle théorique représente donc la stigmatisation post-faillite comme un processus dynamique, construit à travers trois filtres distincts – la catégorisation, la latitude décisionnelle et le cadre de contrôle – qui sont susceptibles d’interagir entre eux. En ce sens, la stigmatisation post-faillite est un processus itératif, « l’étiquette » de l’EPF pouvant être – tour à tour – « collée », « décollée » ou « recollée » par les différents « acteurs » intervenant dans le processus : l’environnement socioculturel, le CCPRO et le cadre de contrôle. Les trois sections suivantes permettent d’apporter des éclairages théoriques complémentaires sur chacun de ces trois processus de notre modèle théorique.
CATÉGORISATION DE L’EPF ET DISCRIMINATION DANS L’ACCES AUX RESSOURCES
46 Notre étude permet de confirmer que l’EPF est bien porteur d’un stigmate (Simmons, et al., 2014 ; Singh, et al., 2015). En d’autres termes, celui-ci a bien – au départ – une image négative auprès des banquiers. Dans la lignée de la littérature, nous établissons aussi que les chances d’un EPF d’obtenir le financement d’un nouveau projet entrepreneurial sont réduites (Cardon, et al., 2011 ; Cope, 2011 ; Lee, et al., 2007 ; Shepherd & Haynie, 2011 ; Singh, et al., 2015 ; Sutton & Callahan, 1987 ; Ucbasaran, et al., 2013). Pour autant, notre article nuance l’idée d’une discrimination dans l’accès aux ressources pour les EPF. Bien qu’il ait un a priori négatif vis-à-vis d’un EPF, le CCPRO reste effectivement ouvert à des projets entrepreneuriaux intéressants. En adoptant la perspective du banquier, et non plus celle de l’EPF, nous aboutissons donc à des conclusions différentes relatives à la décision de financer des projets entrepreneuriaux portés par des EPF. La question se pose d’ailleurs de savoir si le banquier n’est pas lui-même victime d’une forme de catégorisation par l’EPF, lorsque ce dernier lui reproche de ne jamais accorder de seconde chance (Singh, et al., 2015).
47 A l’issue de cette recherche, le stigmate post-faillite apparaît, quoiqu’il en soit, incontestable. En ce sens, l’échec entrepreneurial fait office de signal d’alerte pour le banquier. Dans son esprit, financer le nouveau projet d’un EPF traduit une prise de risque accrue pour son établissement. La manière dont est présenté un même dossier de reprise d’entreprise influence donc bien les préférences du banquier (Tversky & Kahneman, 1981). En l’occurrence, l’échec est appréhendé comme un précédent ayant entraîné des pertes, qui baisse l’utilité espérée aux yeux du chargé d’affaires (Kahneman & Tversky, 1979). Cette opération de cadrage se traduit certes par un accès moindre aux ressources bancaires pour les EPF, mais pas forcément dans les proportions que laisse présager la littérature. En mettant en exergue l’approche non manichéenne et non dogmatique des banquiers, ayant des modèles de décision différents, nous prolongeons ainsi les travaux de Link & Phelan (2001), selon lesquels la stigmatisation ne conduit pas nécessairement à la discrimination. Le processus décisionnel du banquier se révèle effectivement plus complexe et plus riche qu’une simple démarche heuristique (Tversky & Kahneman, 1974), qui consisterait à écarter d’emblée tout dossier présenté par un entrepreneur porteur d’un stigmate post-faillite.
STIGMATISATION POST-FAILLITE ET LATITUDE DÉCISIONNELLE DU BANQUIER
48 À ce jour, la littérature laisse l’image d’une grande différence de comportement du banquier, selon qu’il a affaire à un entrepreneur avec ou sans faillite passée. À contre-courant de cette vision traditionnelle, nous montrons ici que la différence s’observe surtout entre les banquiers confrontés à des EPF, qui ne réagiront pas tous de la même façon. En effet, si certains d’entre eux fondent leur décision uniquement sur la base d’une première impression négative de l’EPF, nous montrons que d’autres CCPRO ne vont pas prendre leur décision de financement d’un nouveau projet entrepreneurial uniquement sur la base d’une faillite passée, mais vont, au contraire, chercher des signaux complémentaires (Ashforth & Humphrey, 1997).
49 Du fait de la cotation Banque de France, l’échec est un stigmate visible (Ragins, 2008) que l’EPF ne peut pas cacher au conseiller. En revanche, les raisons à l’origine de cet évènement malheureux sont, quant à elles, beaucoup plus ambigües (March & Olsen, 1975) – a fortiori parce que l’EPF cherche à faire la meilleure impression possible (Shepherd & Haynie, 2011) – et peuvent potentiellement faire l’objet d’investigations complémentaires. Au cours de ses interactions avec l’EPF, le banquier va donc tenter de découvrir les informations qu’il dissimule (ex. : la dette a-telle été apurée ? quelles sont les véritables raisons de l’échec ? quelles actions ont été entreprises par l’entrepreneur pour redresser l’entreprise ?, etc.). Cette phase de découverte de l’entrepreneur et de son échec peut, dès lors, être assimilée à une technologie d’engagement bancaire (Berger & Udell, 2006). En plus de l’analyse des documents comptables, le banquier retient donc une approche résolument qualitative pour justifier sa décision, en fondant son engagement sur l’entretien avec l’EPF. Autrement dit, le CCPRO va se servir du questionnement pour réduire l’asymétrie d’informations (Sapienza & De Clercq, 2000) autour de l’échec. Ce travail souligne finalement la complémentarité des approches transactionnelles et relationnelles et confirme la thèse défendue par Berger & Udell (2006) de l’incongruité d’une démarcation nette dans l’utilisation de ces approches par les banques.
50 À travers son interaction avec l’EPF, le banquier cherche en fait à affiner la catégorisation sociale initiale, en identifiant des sous-catégories d’EPF (Ashforth & Humphrey, 1997). Tous les banquiers ne restent donc pas figés sur leur première impression ; certains cherchent au contraire à interpréter le stigmate (décadrage). Il s’agit, en d’autres termes, de donner du sens à l’échec pour évaluer plus précisément la crédibilité de l’EPF (Lipshitz & Schulimovotz, 2007). À cet égard, nous établissons qu’il y a, dans l’esprit du banquier, deux catégories d’EPF, selon que l’échec s’explique par des causes internes ou externes. Ce résultat constitue un réel apport théorique de notre article et est certainement de nature à expliquer les stratégies défensives de management de l’impression des EPF, en vue de réparer ou protéger leur image vis-à-vis du chargé d’affaires (Tedeschi & Melburg, 1984 ; Shepherd & Haynie, 2011).
51 Jusqu’à présent, tous les EPF étaient censés être appréhendés par l’audience sociale de façon globale et uniforme (Shepherd & Patzelt, 2015), et ce quelle que soit la nature de l’échec subi. Or, nous montrons que, pour certains CCPRO, les raisons de l’échec sont plus importantes que l’échec en tant que tel. Autrement dit, à leurs yeux, l’information hard (échec) ne suffit pas pour fonder une décision d’engagement bancaire et doit être complétée par de l’information soft (raisons de l’échec). Nos résultats peuvent, à ce titre, s’appuyer sur les conclusions de Trönnberg & Hemlin (2014). En effet, ces auteurs montrent que les difficultés à prendre des décisions sont plus importantes lorsque les conseillers ont recours à des informations soft. Nous pouvons donc interpréter la décision de certains CCPRO de refuser les dossiers avec échec comme une volonté de leur part de ne pas s’exposer à une erreur ou une prise de décision difficile ou compromettante vis-à-vis de la hiérarchie, soit un élément important souligné par ces auteurs, ainsi que Wiesenfeld, et al. (2008).
52 En tous cas, le CCPRO perçoit une erreur de gestion passée – par opposition à des circonstances défavorables (ex. : mauvaise conjoncture) – comme un signe d’incompétence de l’EPF. Au contraire, un échec justifié par des facteurs externes est, à ses yeux, davantage recevable. En conséquence, le CCPRO distingue clairement, d’un côté, l’EPF responsable de sa situation (dont le dossier ne sera pas soutenu) et, de l’autre, l’EPF victime de causes externes (dont la demande de financement pourra être envisagée).
53 Nos résultats s’opposent finalement à la vision très macro d’une masse critique d’acteurs – ici, des banquiers – jugeant un individu quasiment à l’unisson (Devers, et al., 2009), en introduisant une lecture en termes d’hétérogénéité des points de vue, qui prolonge le travail de Shepherd, et Patzelt (2015). Plus précisément, si les CCPRO peuvent, à l’origine, converger dans leur représentation négative d’un EPF, il apparaît in fine que tous ne rangeront pas forcément ces entrepreneurs-là dans la même sous-catégorie. Cela traduit, par conséquent, une certaine latitude dans les processus cognitifs des banquiers (Crocker, et al., 1998), qui est liée à leur niveau d’aversion au risque, très différent d’un CCPRO à l’autre.
54 En retenant pour niveau d’analyse la relation de financement et l’interaction entre le CCPRO et l’EPF, nous avons donc pu affiner la lecture de la stigmatisation post-faillite et distinguer, chez le banquier, d’une part, la phase de catégorisation initiale et, d’autre part, l’éventuelle discrimination, appréhendée ici comme une simple issue possible du processus décisionnel. Ce travail, en retenant le point de vue du CCPRO, étudie ainsi la question de la stigmatisation de l’EPF du point de vue de ceux qui sont susceptible de la mettre en œuvre (stigmatizing actors). Il éclaire par conséquent un point qui jusque-là n’était appréhendé que du point de vue de la personne censée en être victime (Singh, et al. 2015). La disjonction entre la phase initiale de catégorisation et la décision finale (via le processus interprétatif du CCPRO) explique alors le caractère potentiellement réversible du stigmate, ce qui constitue l’une des contributions importantes de cette recherche. À l’échelle organisationnelle, Devers, et al. (2009) notaient d’ailleurs que la réduction, voire la suppression du stigmate (par exemple, à travers des tactiques de management de l’impression) constituaient des pistes de recherche fructueuses, là où les auteurs s’intéressaient, quant à eux, à son émergence et à sa formation.
55 Bien que notre étude se situe ici à l’échelle individuelle, elle fait directement écho à cette suggestion de Devers, et al. (2009). En l’occurrence, elle fait apparaître que le stigmate n’est pas une marque indélébile (Cave, et al., 2001 ; Singh, et al., 2015) et que la « trace » laissée par la faillite peut, au contraire, s’effacer aux yeux du CCPRO. Celui-ci est donc tout à fait prêt à accorder sa confiance à un EPF, si bien que ce dernier n’est pas prisonnier de sa catégorie sociale dévalorisante (Link & Phelan, 2001). Ainsi, notre recherche souligne, non seulement l’importance qu’il y a de prendre en compte l’épaisseur temporelle du stigmate post-faillite, mais aussi la nécessité de dissocier l’attitude et le comportement, comme nous y invitent Link & Phelan (2001). En l’occurrence, il apparaît que le CCPRO peut avoir une attitude initialement négative (prédisposition mentale défavorable) vis-à-vis de l’échec et un comportement finalement positif (décision favorable de financement) vis-à-vis de l’entrepreneur. En d’autres termes, s’il y a bien, à l’origine, un jugement négatif du CCPRO à l’égard de l’EPF, celui-ci n’est pas forcément définitif.
STIGMATISATION POST-FAILLITE ET CADRE DE CONTRÔLE DU BANQUIER
56 L’impression que se fait le CCPRO du dossier ne sert pas seulement la décision de financer ; elle conditionne également, en amont, la décision de donner une suite à la demande de l’EPF en présentant le dossier aux décideurs. Dans cette étude, nous mettons effectivement en évidence l’importance du contexte décisionnel (Wiesenfeld, et al., 2008) dans le jugement du CCPRO. Même si celui-ci peut, à titre individuel, porter un regard positif sur l’ensemble du dossier (malgré l’échec), il n’en demeure pas moins qu’il devra généralement justifier sa décision en interne (Trönnberg & Hemlin, 2014). En effet, le CCPRO devra défendre l’EPF s’il croit en lui et en son projet, car l’EPF est clairement fragilisé dans les systèmes délégataires très adverses au risque.
57 Il en ressort que le CCPRO peut – sur la base de son interprétation de l’échec – donner un avis positif à son niveau, mais ne pas être suivi par sa hiérarchie, qui réduit systématiquement sa marge de manœuvre sur ce type de dossiers (recadrage). Ainsi, les conseillers prêts à s’engager individuellement déclarent parfois s’autocensurer, car ils pensent que la hiérarchie délégataire est défavorable aux dossiers post-échec. L’expérience est notamment susceptible d’amener le CCPRO, au fil du temps, à refuser des dossiers auxquels il croit pour ne pas avoir à s’opposer à sa hiérarchie. Un conseiller qui soutiendrait un EPF, malgré un contexte bancaire défavorable à l’idée d’une seconde chance (Singh, et al., 2015), courrait effectivement le risque d’être lui-même stigmatisé, si l’entrepreneur venait à échouer à nouveau et faisait perdre de l’argent à la banque. Ce phénomène est qualifié de stigmate par association par Kulik, et al. (2008). Ce découplage entre, d’un côté, des représentations individuelles et, de l’autre, la lecture du système délégataire est un autre résultat important de cette recherche, en vue d’expliquer les difficultés des EPF à obtenir des financements (Simmons, et al., 2014). Il permet aussi de comprendre les limites des processus décisionnels bancaires, tant dans les cas d’une grande décentralisation des décisions qui laisserait pleinement place à la subjectivité du CCPRO, que dans un modèle hiérarchique très centralisé où le refus d’un dossier serait motivé par la seule « étiquette EPF ».
58 En complément des travaux existants sur l’organisation du système décisionnel bancaire (Berger & Udell, 2002, 2006 ; Stein, 2002), notre étude montre donc que la rigidité du système expert vis-à-vis du stigmate post-faillite peut venir percuter les croyances individuelles (subjectives) du banquier. Notre recherche permet, en outre, de souligner que les informations soft, sur lesquelles le CCPRO fonde sa décision, sont difficilement transmissibles, de sorte que les services de back-office, qui prendront la décision ultime, n’auront pas toute l’information décisionnelle (Berger & Udell, 2002 ; Stein, 2002). Selon cette perspective, la hiérarchie délégataire fonctionnerait plus sur un a priori (lié au stigmate), alors que le CCPRO a, nous l’avons dit, un mécanisme décisionnel plus riche, qui intègre d’autres paramètres tels que le processus de découverte. En définitive, la coordination entre les différents intervenants au processus doit être envisagée – lorsque la décision n’est pas décentralisée – comme une technologie d’engagement (Berger & Udell, 2002), au même titre que le scoring ou la contractualisation, par exemple.
CONCLUSION
59 À travers cet article, nous nous demandons comment le banquier est influencé par la stigmatisation post-faillite dans sa décision de financer (ou non) un nouveau projet entrepreneurial. Pour répondre à cette question, nous avons adopté le prisme du CCPRO, en utilisant des entretiens semi-directifs centrés, ainsi qu’une approche expérimentale exploratoire. Après quelques traitements statistiques simples, nous avons mobilisé la méthodologie de codage de Gioia, et al. (2013) afin d’élaborer un modèle théorique de décision du CCPRO au regard de l’échec entrepreneurial. Celui-ci montre que le CCPRO est clairement influencé par la faillite passée de l’entrepreneur, qui est perçue comme un signal de risque. Certains banquiers seront ainsi enclins à limiter l’accès des EPF aux ressources, en cas de nouveau projet entrepreneurial. Pour autant, nous mettons en évidence que la discrimination par le CCPRO est loin d’être automatique. Ainsi, d’autres banquiers font preuve de latitude décisionnelle vis-à-vis du stigmate post-faillite et cherchent à découvrir des signaux complémentaires – c’est-à-dire de l’information soft – à travers leurs interactions avec l’EPF. En l’occurrence, si le CCPRO est rassuré par son interprétation de l’échec (celui-ci ne remettant pas en question la compétence de l’EPF), il peut renverser son jugement en adoptant in fine un comportement favorable à l’égard de l’EPF, alors même qu’il avait une attitude initialement négative à son égard. Toutefois, même si le CCPRO peut être ouvert, à titre individuel, à l’idée de suivre le dossier d’un EPF, il peut se heurter à la rigidité du système délégataire au sein de son établissement.
60 Cette recherche a également une portée managériale, car elle offre un regard différent sur les pratiques bancaires. Elle met notamment en lumière certains biais cognitifs et organisationnels, qui limitent la qualité de leur engagement. Si l’échec passé est un signal qui ne peut pas être négligé par le CCPRO, les banques auraient a priori intérêt à renouveler leur représentation de l’échec pour mieux appréhender ce qui justifie un rejet ou engage la décision de poursuivre l’analyse du dossier. En effet, les contrôles bloquants mis en place par la banque ne semblent pas adaptés à la diversité des parcours entrepreneuriaux. Les résultats de cette recherche permettent aussi de mieux comprendre les modalités de découverte et d’analyse de l’information soft.
61 Cette étude présente toutefois quelques limites. Tout d’abord, le faible nombre de participants à l’expérimentation n’a pas permis d’opter pour une étude quantitative approfondie. Notre démarche reste donc exploratoire. En prolongement de notre approche, il reste désormais à opérer un test de régression pour évaluer plus précisément la place de l’échec entrepreneurial dans la décision du banquier, aux côtés d’autres variables telles que la qualité du projet présenté ou le contexte décisionnel, par exemple. Par ailleurs, plusieurs participants ont souligné le faible montant de l’emprunt dans notre scénario (45.000 euros). Il est possible que cela ait biaisé, à la marge, nos résultats (par exemple, en limitant le sentiment de prise de risque dans le scénario avec échec). Enfin, si le fait d’adopter la vision micro du CCPRO, pour étudier le stigmate post-faillite, constitue une originalité de notre article, il apparaît que la tension observée entre, d’un côté, la croyance du CCPRO et, de l’autre, la posture de la hiérarchie bancaire face aux échecs passés souligne l’intérêt d’une recherche au niveau méso. Il s’agirait alors d’analyser le processus de décision d’une banque, à travers une étude de cas approfondie.
ANNEXE N°1 : SCENARIO AVEC ECHEC ENTREPRENEURIAL
62 Vous venez d’être recruté(e) en tant que conseiller clientèle de professionnels à la BdG (Banque de Gironde), agence de Bordeaux-Bastide. L’agence compte parmi ses clients particuliers Monsieur André DURAND. Vous le recevez en tant que repreneur potentiel de SAS GARDEN, une entreprise spécialisée dans les maisonnettes en bois pour particuliers. C’est la première fois, ce lundi 2 mars 2015, que vous le rencontrez. À l’issue de cet entretien d’une heure, vous avez pu recueillir les informations suivantes :
DOSSIER PERSONNEL
63 - André DURAND est né en 1975.
64 - En 2005, il a acheté avec son épouse un T3 de 70 m2 à Bordeaux d’une valeur de 250.000 euros. Le prêt immobilier souscrit cette année-là auprès de votre banque a été totalement remboursé en février 2015.
65 - André DURAND vient tout juste de divorcer, sachant qu’il était marié sous le régime de la communauté des biens. Il a deux enfants de 5 ans et 10 ans. Il n’a pas de pension à verser à son épouse.
66 - Depuis sa séparation, en 2012, il loue un T2 de 45 m2 dans la métropole bordelaise (450 euros/mois). Fils unique, il vit à 70 kilomètres de ses deux parents, retraités.
67 - André DURAND est un ancien diplômé de Sup de Co en province.
68 - Il a un compte personnel auprès de votre banque (il n’a pas de compte dans une autre banque), dont le solde moyen créditeur au cours des deux dernières années est de 500 euros (un seul découvert non autorisé de quelques dizaines d’euros sur la période). Il n’a ni épargne, ni crédit.
DOSSIER PROFESSIONNEL
69 Après 7 ans passés comme cadre production industrielle, puis cadre commercial, au sein de deux grands groupes internationaux dans le secteur du bois, André DURAND trouve que le statut de salarié n’est plus en phase avec ses aspirations professionnelles.
70 En 2006, André DURAND décide de reprendre une société dans le domaine de la construction durable, en périphérie de Bordeaux. Cette entreprise de 25 salariés, créée 5 ans plus tôt, fabrique des bâtiments à ossature bois (pin maritime) 100 % écologique, isolés et à très faible consommation d’énergie. Vu que la société est en parfaite santé sur le plan économique (100.000 euros de résultat net depuis trois ans, avec un chiffre d’affaires de 1 millions d’euros), André DURAND emprunte 600.000 euros aux banques pour financer son projet entrepreneurial. Il rembourse une dette senior à concurrence de 100.000 euros/an. Malheureusement, la société est touchée de plein fouet par la crise financière de 2008 et connaît une perte de 40 % du chiffre d’affaires en quelques mois. Du fait de son emprunt, la société ne peut plus équilibrer ses comptes. Les deux années suivantes ne sont qu’une longue agonie pour l’entrepreneur, avec une chute supplémentaire du chiffre d’affaires de 20 % sur la période. En 2010, André DURAND est contraint de déposer le bilan. S’en suivent deux années de redressement judiciaire, durant lesquelles André DURAND perdra tout l’argent qu’il avait investi dans le projet. La société est finalement liquidée fin 2014. André DURAND connaît alors le premier échec de sa carrière, sa dette vis-à-vis des banques étant totalement apurée.
71 Monsieur DURAND vient vous voir aujourd’hui pour l’aider à financer la reprise de la société SAS GARDEN, un projet sur lequel il travaille depuis plusieurs mois. Créée en 2012, celle-ci est spécialisée dans les maisonnettes de jardin en bois brut. Sous-traitées en France, ces maisonnettes pour particuliers sont personnalisables et très faciles à installer soi-même. Monsieur DUMAS, son fondateur, a négocié avec son fournisseur un paiement à 60 jours pour des commandes à la demande, livrées directement au client en 1 mois. Il n’a donc pas de stock et réalise sur ses ventes un taux de marque de 50 %. Il s’agit d’un concept innovant en France et d’un marché prometteur, même si l’activité est saisonnière (les maisonnettes se vendent essentiellement de mars à septembre). Patrick DUMAS a d’ailleurs été lauréat, en 2013, du prix de l’initiative entrepreneuriale pour la Région Aquitaine. Les différents articles de presse consécutifs à cette récompense ont offert une certaine visibilité à l’entreprise dans les journaux. Disposant d'un produit unique en France, la société est en pleine croissance depuis sa création. Face à un marché potentiel de plusieurs millions d'euros, la société – qui emploie deux personnes, dont le gestionnaire – a réalisé un chiffre d'affaires de 120.000 euros en 2013, puis a vu son chiffre d’affaires augmenter de 60 % en 2014 (avec un bénéfice, égal à la CAF de 10.000 euros). Cette augmentation est totalement cohérente avec le développement de produits similaires aux États-Unis.
72 Durant l’entretien, vous apprenez que :
- Monsieur DURAND prévoit de se rémunérer 1.400 euros nets par mois, à l’instar de Patrick DUMAS.
- La société SAS GARDEN loue un bureau de 25 m2 au prix de 240 euros/ mois dans la périphérie de Bordeaux, que le gérant partage avec son assistante commerciale, rémunérée à hauteur de 1.000 euros nets par mois [8] .
74 Vous interrogez ensuite Monsieur DURAND sur sa stratégie de développement. En l’occurrence, celui-ci souhaite s'étendre au plan national dès 2016. Il envisage aussi d’ouvrir son capital à un nouvel associé. Il réfléchit également à des applications professionnelles de son concept (ex. : campings, kiosques et stands, salles sur mesure, abris, etc.). Cette nouvelle activité pourrait représenter, à terme, 25 % du chiffre d’affaires. Par ailleurs, dans une logique de réseau, il prévoit d’intégrer très prochainement la Fédération des Travailleurs du Bois (FTB), ce qui pourrait lui ouvrir de nouvelles portes afin de trouver de nouveaux clients. Enfin, Monsieur DURAND envisage plusieurs actions marketing à court terme :
- Améliorer l'esthétique des maisonnettes pour les rendre uniques et reconnaissables ;
- Réaliser une vidéo promotionnelle du produit, pour une utilisation future sur le site Internet de la société et les réseaux sociaux ;
- Opérer le marquage publicitaire du véhicule de la société afin de promouvoir son image.
76 La société GARDEN avait déjà un compte ouvert au sein de votre banque, avec un solde moyen créditeur de 30.000 euros en 2014 et un reliquat de prêt professionnel d’investissement de 2.500 euros (lié au démarrage de l’activité), à échéance 2 ans. Monsieur DURAND se tourne naturellement vers vous pour financer son opération. Le montant de la reprise s’élève à 170.000 euros. André DURAND étant bénéficiaire d’un don de ses parents de 125.000 euros, il vous sollicite pour un emprunt de 45.000 euros.
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Mots-clés éditeurs : stigmatisation, échec, décision de financement, entrepreneur, banquier
Date de mise en ligne : 03/05/2017
https://doi.org/10.3917/mana.194.0305Notes
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[1]
Le CCPRO gère un portefeuille de 100 à 200 très petites ou petites entreprises (TPE) dont les chiffres d’affaires n’excèdent généralement pas les 4 millions d’euros. Il est le point d’entrée privilégié pour la grande majorité des demandes de financement pour des créations ou reprises d’entreprise.
-
[2]
La cotation Banque de France est une appréciation de la Banque de France sur la capacité de l’entreprise à honorer ses engagements financiers à un horizon de trois ans (http://www.fiben.fr/cotation/cotation-bdf.htm).
-
[3]
L’indicateur 040 recensait les dirigeants ayant connu un seul dépôt de bilan au cours des trois dernières années. De leur côté, les indicateurs 050 et 060 signalent, selon le cas, la présence d’au moins deux ou trois liquidations judiciaires au cours des
-
[4]
Ces deux recherches, tout en se focalisant sur le stigmate au niveau organisationnel, construisent l’argument de la masse critique sur une base individuelle.
-
[5]
Pour que l’individu ait 40 ans dans les deux cas, il est précisé qu’il a sept ans d’expérience en entreprise dans le scénario n°1 (avec échec) et 15 ans dans le scénario n°2 (sans échec).
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[6]
Le test bilatéral a été réalisé à un niveau de signification de 5 %. Les cases grisées du tableau n°1 correspondent aux résultats significatifs au plan statistique.
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[7]
Le lecteur trouvera, dans l’annexe n°2, des verbatims pour appuyer nos arguments. Sachant que les propos, ci-après en italique, sont également empruntés à nos répondants.
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[8]
Juste après l’entretien, vous avez étudié l’ensemble des éléments comptables, qui ont confirmé vos premières impressions sur ce dossier.