Notes
-
[1]
Conférence des Évêques de France, Texte national pour l’orientation de la Catéchèse en France, Bayard/Cerf/Fleurus-Mame, Paris, 2006, chapitre 3, point 3.3, p. 50.
-
[2]
Louis-Marie Chauvet, « La Bible dans son site liturgique », dans Jean-Louis Souletie et Henri-Jérôme Gagey, La Bible, Parole adressée, Paris, Cerf, 2001, p. 49-68, ici p. 58.
-
[3]
Benoît XVI, Verbum Domini, Exhortation apostolique, Paris, Bayard/Fleurus-Mame/Cerf, 2010, p. 98-99.
-
[4]
« Dieu invisible dans l’immensité de sa charité […] s’adresse aux hommes comme à des amis, et converse avec eux pour les inviter à entrer en communion avec lui et les recevoir en cette communion. », Dei verbum, no 2.
-
[5]
Évangile (euangelion) : 76 occurrences dans le Nouveau Testament dont 60 chez Paul, et le verbe évangéliser, euangelizomai, 54 occurrences dans le Nouveau Testament dont 21 fois chez Paul.
-
[6]
Cf. la question du légiste : « Quel est le plus grand commandement ? », en Mt 22, 34-40.
-
[7]
Kèrygma : Mt et Lc (1 occurrence chacun) ; Rm (1) ; 1 Co (3) ; 2 Tm (1) ; Tt (1). Le verbe kèryssô se trouve 19 fois dans le corpus paulinien sur les 60 occurrences du Nouveau Testament.
-
[8]
Cf. Ceslas Spicq, Lexique théologique du Nouveau Testament, Paris/Fribourg, Cerf/Éd. universitaires Fribourg, 1991 (réédition en un volume des Notes de lexicographie néotestamentaire), p. 592-602.
-
[9]
Le sens littéral vs le sens spirituel, à savoir allégorique ou spirituel, tropologique ou moral, anagogique ou eschatologique.
-
[10]
Cf. Dt 4, 2 ; Pr 30, 5-6 ; Ps 118(119), 160 ; Mt 5, 18 ; Rm 15, 4 ; 2 Tm 3, 16-17 ; 1 P 1, 20-21 ; Ap 22, 18-19.
-
[11]
Dei verbum, chap. III : « L’inspiration de la Sainte Écriture et son interprétation. Inspiration et vérité de la Sainte Écriture » ; Catéchisme de l’Église catholique, 1re partie, 1re section, chapitre deuxième, Article 3, II : « Inspiration et vérité de la Sainte Écriture », numéros 105 à 108.
-
[12]
Cf. Dei verbum, no 16, se référant à Lc 22, 20 ; 1 Co 11, 25 puis à Mt 5, 17 ; Lc 24, 27 ; Rm 16, 25-26 ; 2 Co 3, 14-16.
-
[13]
L’interprétation de la Bible dans l’Église, Paris, Cerf, 1994, I C 1, p. 44.
-
[14]
L’expression est tirée de Benoît XVI, Verbum Domini, no 42, p. 72.
-
[15]
Ainsi, souvent on s’empresse d’identifier par leur prénom les deux personnes présentes au pied de la croix de Jésus en Jn 19, 25-27. Pourtant, le rédacteur a pris soin de ne qualifier ces deux personnages que par leur relation à Jésus, sans les enfermer dans leur identité, pour souligner que s’instaurent de nouvelles relations entre eux. Imaginer lire les prénoms empêche de goûter ce jeu rédactionnel sur les relations entre les personnages.
-
[16]
Mt 14, 13-21 ; Mt 15, 32-39 ; Mc 6, 30-44 ; Mc 8, 1-10 ; Lc 9, 10-17 ; Jn 6, 1-15.
-
[17]
Ainsi, ces deux passages s’inscrivent dans la dynamique du livre de l’Exode, où Dieu prend la résolution et les moyens de libérer son peuple de l’esclavage, coûte que coûte. Il provoque Pharaon. À de très nombreuses reprises (au moins dix fois), il cherche à le faire fléchir. Mais Pharaon s’enferme de plus en plus dans son refus, il s’endurcit le cœur et s’oppose à Dieu frontalement. Cet enfermement va le mener à la mort dans la Mer. Au-delà de la mort de Pharaon et de son armée, qui choque tant de lecteurs, ce récit montre que le projet de Dieu de libérer ceux qui souffrent en esclavage ne sera jamais remis en cause par l’opposition de qui que ce soit. On peut compter sur Dieu.
-
[18]
Un exemple : Ps 136(137), 9 : « Heureux qui saisira tes nourrissons pour les broyer sur le roc ! ».
1Laisser la Parole de Dieu faire son travail est une citation du TNOC [1]. Il s’agit d’un défi, qui consiste à se donner les moyens d’un véritable travail à la fois sur le texte biblique et par la Parole de Dieu, sur le lecteur lui-même.
2Bible et Parole de Dieu : voilà une équivalence trop vite affirmée. Il y a un chemin entre Bible et Parole. Le texte biblique n’est pas toujours « parlant » : il le devient. Le christianisme n’est pas une « religion du livre », mais une religion de la Parole.
3D’ailleurs, souvent des abus de langage nous piègent. « Lire la Parole », « ouvrir la Parole » sont des expressions inappropriées. Il s’agit de lire un texte pour, ensuite, au terme d’un travail, entendre un message, une Parole. En liturgie, nous disons bien « lecture du livre de… » ou « lecture de la lettre de… ». Et ce n’est qu’au terme de la proclamation publique que ce texte est devenu « Parole du Seigneur », ou « Parole de Dieu ».
4Reconnaissons-le : la lecture de la Bible n’est pas aisée. Elle demande une attention, un effort, un travail. C’est un processus complexe. Et cela nécessite souvent d’être accompagné. Ainsi, en Ac 8, 31 l’eunuque demande à Philippe : « Comment comprendrais-je si personne ne m’accompagne ? » Et en Lc 24, 27, Jésus prend le temps d’ouvrir les Écritures et de les expliquer aux pèlerins d’Emmaüs (mot à mot : « leur fit l’herméneutique »).
5Mais, en amont, encore faut-il lire la Bible. Si la Bible est le livre le plus vendu et le plus traduit dans le monde, encore faut-il noter que sa lecture n’est pas régulière pour beaucoup. On a souvent une connaissance très lacunaire et approximative de tel ou tel épisode rapporté dans la Bible.
6On le voit, la pratique de la Bible est plus complexe qu’il n’y paraît. C’est au prix d’un travail qu’elle devient vraiment Parole. Mais, alors, quel type de travail ?
De la Bible à la Parole adressée
La Bible est plus qu’une simple « parole », elle est la médiation d’une Parole
7« Une parole qui passe ou une parole en l’air ? » Pour ne pas en rester à une parole en l’air et ne pas prendre le risque d’une déformation du message, les premiers témoins ont ressenti la nécessité de mettre par écrit ce qu’ils avaient vécu. L’acte de l’écriture, avec toutes ses implications, est de l’ordre de la transmission / tradition (tradere).
8Ce n’est pas n’importe quelle parole. C’est la Parole de Dieu. C’est une parole efficace, qui agit, qui a du poids. Une parole de vie.
9Qui dit parole nécessite de préciser : monologue ou dialogue ? En fait, la Parole de Dieu n’est pas un monologue de Dieu délivré sans souci du retour. Il s’agit plutôt d’une Parole qui provoque, qui suscite un dialogue et une réaction.
10Le message transmis n’est pas banal. Il est riche, complexe à exprimer, à comprendre, à accepter, et ne se laisse pas enfermer dans une simple expression. « Le langage, la parole de la croix » (1 Co 1, 18), est « scandale pour les Juifs, folie pour les païens » (1 Co 1, 23). La communication de ce message est donc tout à fait singulière. Le message se veut au-delà des codes de communication humaine. C’est à la croix, dans un cri indéchiffrable, et non pas par un discours bien construit, que le Crucifié fut reconnu par le centurion comme Fils de Dieu (cf. Mc 15, 39).
11Cette parole assume la faiblesse et les limites de tout langage humain : comment un écrit exprime-t-il la complexité d’un message ? Comment passe-t-il l’épreuve de la traduction, sachant que traduire, c’est trahir…
12Donc, Dieu se dit au risque de la faiblesse de la parole humaine. En même temps, comment Dieu se laisserait-il enfermer dans une parole humaine ? Comment son message si riche pourrait-il consister en une parole simple, immédiatement et totalement accessible ?
La sacramentalité de la Parole
13Louis-Marie Chauvet a une belle formule : La Bible est le « tabernacle » de la Parole de Dieu [2]. Plusieurs témoins posent les bases de la sacramentalité de la Parole.
14Le concile Vatican II, dans Dei verbum, no 24 : « Les Saintes Écritures contiennent la Parole de Dieu et, puisqu’elles sont inspirées, elles sont vraiment cette Parole. »
15Saint Jérôme : « Ignorer les Écritures, c’est ignorer le Christ. » Au-delà de l’Écriture et de la Parole, le croyant est invité à l’expérience d’une rencontre…
16On peut parler d’analogie de l’incarnation de la Parole de Dieu dans la faiblesse et la complexité du langage humain. Ainsi, selon saint Ambroise, In Lucam VI, 33 : « Le corps du Fils est l’Écriture qui nous est transmise. »
17On peut même exprimer la dimension sacramentelle des Écritures. Relisons Benoît XVI, Verbum Domini, no 56 :
La sacramentalité de la Parole se comprend alors par analogie à la présence réelle du Christ sous les espèces du pain et du vin consacrés. […] [L]e Christ lui-même est présent et s’adresse à nous pour être écouté. […] Saint Jérôme affirme : «Nous lisons les Saintes Écritures. Je pense que l’Évangile est le Corps du Christ ; je pense que les Saintes Écritures sont son enseignement […] [3].
Un Dieu qui parle et qui adresse sa parole à l’homme, aux hommes
19Dieu se révèle lui-même comme Parole. « Au commencement était le Verbe… et le Verbe était Dieu » (Jn 1, 1 ; cf. Gn 1, 1). Où l’on apprend que Dieu est en quête de l’homme et en a souci (Gn 3, 9 : « Homme, où es-tu ? »). Dieu veut entrer en « conversation » avec lui [4].
20Dieu « donne sa parole » et s’engage sur parole auprès des hommes. Ainsi, il fit des tuniques de peaux à Adam et Ève (cf. Gn 3, 21). Il confirme la protection que Caïn lui a demandée (cf. Gn 4, 15). Il met fin au cycle infernal des déluges en ordonnant la construction de l’arche de Noé, dont il ferme lui-même la porte (cf. Gn 7, 16) et s’engage à ne plus jamais envoyer de déluge de son fait : l’alliance est scellée. Dieu sera toujours aux côtés de l’homme : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps » (Mt 28, 20) et il en prendra toujours la défense (cf. Jn 14, 16).
21Dieu se donne comme Parole incarnée en Jésus-Christ : « Et le Verbe s’est fait chair » (Jn 1, 14). C’est d’ailleurs tout le mouvement de la célébration eucharistique : la Parole proclamée devient nourriture dans l’eucharistie.
La Parole de l’Évangile : Bonne nouvelle… pour nous !
22L’Évangile rapporte les faits et gestes de Jésus (cf. Ac 1, 1 : « J’avais consacré mon premier livre, Théophile, à tout ce que Jésus avait fait et enseigné depuis le commencement… »). Mais si ce récit est à lire pour lui-même, il déploie son sens quand on le reçoit et qu’on en perçoit les effets « pour nous ».
23La réaction du lecteur, la réception ou la non-réception est exprimée par Paul. Ainsi en 1 Co 1, 23 : « Nous proclamons, nous, un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens » ; et en 1 Co 2, 2 : « Je n’ai rien voulu savoir parmi vous, sinon Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié ! »
24Le défi est de mesurer en quoi la crucifixion et la résurrection du Christ ont un impact pour moi : « Christ est mort pour nos péchés » (1 Co 15, 3) ; « Si Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vide, et vide aussi votre foi » (1 Co 15, 14).
25Nous trouvons ici un vocabulaire proprement paulinien. Le vocabulaire de la proclamation / annonce / prédication est proche du vocabulaire de « Évangile, évangéliser [5] ».
26Pour dire le message, la tradition a cherché l’expression d’un résumé [6]. Déjà dans l’Ancien Testament, on s’inquiétait d’un résumé des commandements. C’est aussi, dans le Nouveau Testament, la formulation du kérygme [7].
27Pour bien comprendre l’importance du « pour nous » de la Bonne Nouvelle, rappelons que le mot « Évangile » est emprunté au vocabulaire militaire et impérial [8]. Il désigne l’annonce d’une victoire à l’issue d’un combat. Il prend en compte les combats et leur issue heureuse. Pour qualifier l’enseignement de Jésus-Christ, Paul désigne par ce vocabulaire, les combats que Jésus a livrés de son vivant, combien il a consenti à la mort, mais combien il a tout mené à la victoire de la résurrection. La Bonne-Nouvelle-pour-nous désigne les combats humains dans lesquels Jésus est venu s’impliquer et dont il garantit la victoire, annoncée par sa propre résurrection. C’est donc un vocabulaire qui recouvre toute une séquence combats-victoire. Il inscrit le lecteur dans une dynamique et l’oriente vers une issue heureuse pour lui. La Bonne Nouvelle est une Parole qui rejoint l’expérience de vie du lecteur, qui s’inscrit dans son propre récit de vie.
28Pour que cette Nouvelle soit toujours Bonne pour nous, aujourd’hui, encore faut-il la garder vive. L’acte de mémoire et l’objet de la transmission conditionnent la Bonne Nouvelle :
Dt 4, 9-10 : « Garde-toi bien d’oublier les choses que tu as vues de tes yeux ; tous les jours de ta vie, qu’elles ne sortent pas de ton cœur. Tu les feras connaître à tes fils et à tes petits-fils » ; 2 Tm 2, 8ss : « Souviens-toi de Jésus-Christ, ressuscité d’entre les morts… » ; 1 Co 15, 3 : « Je vous ai transmis ce que j’avais moi-même reçu : Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures. »
30De même, au matin de Pâques, le Ressuscité dit à Marie-Madeleine : « Va dire à mes frères » (Jn 20, 17). Marie-Madeleine peut alors passer de la quête du corps à l’annonce d’une parole de vie pour les « frères ».
Conclusions
31On peut parler d’un véritable processus pour que l’Écriture devienne Parole. Un vrai travail est nécessaire, qui rend possible l’interprétation de l’Écriture pour une écoute et une appropriation du message. La lecture se fait toujours à plusieurs niveaux. On rejoint ici la tradition des quatre sens de l’Écriture [9].
Mais alors, que faire de textes bibliques difficiles ? S’ils sont aussi Parole de Dieu, comment les rendre parlants ?
32Très souvent, des textes bibliques nous posent problème. Ils sont loin d’être parlants, loin de nous donner d’entendre Dieu s’adresser à nous, loin de nous nourrir dans notre foi… Comment les traiter ? Les ignorer ? Les modifier ? Les travailler ?
La lecture de la Bible : intégrale et jalonnée de paradoxes
33Il faut être clair : la Bible forme un tout. Et tout texte biblique, aussi difficile soit-il, doit être accueilli et traité comme tel. Avec cette question, nous rejoignons le problème de « l’inerrance » de l’Écriture et de son inspiration.
34De nombreux passages bibliques fondent l’inerrance de l’Écriture. Celle-ci affirme que toutes ses parties sont vraies et que les textes sacrés sont tous et entièrement inspirés et utiles. Elle impose de ne rien retrancher ni ajouter [10].
35Aucun texte ne saurait être absent ou écarté de l’Écriture. Cela est particulièrement vrai en pastorale, bien sûr. Le Magistère de l’Église le confirme fermement [11].
36Il est nécessaire de bien considérer ces textes difficiles comme inspirés et de s’atteler à la tâche de leur lecture et de leur interprétation, qui, elle aussi, s’opère dans la force de l’Esprit.
DV, no 12 : « L’Esprit Saint joue un rôle dans l’inspiration, l’interprétation et la compréhension de l’Écriture. »
38Dans cette tâche, l’articulation entre Ancien Testament et Nouveau Testament est capitale. On ne peut pas en rester à une tendance marcioniste qui consisterait à ignorer l’Ancien Testament sous prétexte qu’il contiendrait plus de textes difficiles, notamment des textes violents, que le Nouveau. Nous venons de rappeler que la Bible forme un tout et que tant l’Ancien Testament que le Nouveau Testament sont inspirés. En outre, les deux Testaments sont complémentaires et leur intertextualité est nécessaire et féconde. On parle de lecture canonique et d’intertextualité. Pour bien interpréter un texte du Nouveau Testament, le recours à l’Ancien est nécessaire. Inversement, un texte de l’Ancien s’éclaire lorsqu’on a recours au Nouveau [12].
39Faut-il rappeler aussi que, si le Christ est l’herméneute des Écritures, cela signifie que tout texte de l’Ancien Testament dit quelque chose du mystère du Christ. C’est ainsi que Philippe a présenté la Bonne Nouvelle de Jésus à l’eunuque éthiopien en partant d’un texte de l’Ancien Testament (Ac 8, 35).
40Dei verbum, no 4 exprime la relation de continuité et d’accomplissement entre les deux Testaments :
Après avoir, à bien des reprises et de bien des manières, parlé par les prophètes, Dieu « en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par son Fils » (He 1, 1-2). Il a envoyé en effet son Fils, le Verbe éternel qui éclaire tous les hommes, pour qu’il demeurât parmi eux et leur fît connaître les profondeurs de Dieu.
42En 1994, soit presque trente ans après la publication de Dei verbum, la Commission biblique pontificale précisait :
L’approche canonique interprète chaque texte biblique à la lumière du Canon des Écritures, c’est-à-dire de la Bible en tant que reçue comme norme de foi par une communauté de croyants. Elle cherche à situer chaque texte à l’intérieur du dessein de Dieu, dans le but d’aboutir à une actualisation de l’Écriture pour notre temps […]. Un livre ne devient biblique qu’à la lumière du Canon tout entier [13].
Mais, alors, pourquoi certains textes ne nous parlent-ils pas ?
44En fait, certains textes sont difficiles et nous apparaissent comme des « pages “obscures” de la Bible [14] ». D’autres ne nous parlent pas, alors qu’ils semblent simples à lire mais difficiles à comprendre ou à mettre en pratique.
45Lorsque nous parlons de textes obscurs ou difficiles, nous distinguons plusieurs types de passages bibliques.
- Des textes de violence ou de guerre ou de punition. Par exemple : les récits de Caïn et Abel (Gn 4, 1-16) ; Babel (Gn 11, 1-9) ; ou le récit du meurtre des prophètes de Baal par Élie (en 1 R 18).
- Des textes qui évoquent le silence de Dieu. Ainsi, le livre de Job laisse longtemps le lecteur dans l’incompréhension d’un Dieu qui semble laisser faire et tarder à se manifester. Encore faut-il lire jusqu’au bout pour découvrir que, en dépit de la lenteur de la réponse, Dieu reste attentif aux appels du souffrant violenté et répondra tôt ou tard. De même, le Psaume 21(22) nous garantit de la réponse du Dieu qui pourtant se voyait reprocher « Pourquoi m’as-tu abandonné ? »
- Des récits merveilleux. Par exemple : le récit du buisson ardent en Ex 3 ; des récits de miracle et de guérison.
- Des textes comportant des invraisemblances à vue humaine : des indications historiques, des récits « incroyables »… qui dépassent l’entendement humain, des faits inexplicables. Par exemple : la longévité abusive des patriarches.
- Des récits qui empruntent à la mythologie, sans pour autant les considérer eux-mêmes comme mythologiques, par exemple : le récit de création en Gn 2-3.
- Des tensions, voire des « divergences ». Par exemple : entre les deux généalogies de Jésus en Mt 1, 1-17 et Lc 3, 23-28.
- Des textes perçus comme très techniques, comme certains passages du livre du Lévitique.
46Des textes mal lus ou difficiles à rendre parlants.
- Des textes difficiles (ou trop faciles, quand on en extrait un verset) à interpréter en morale : le Décalogue (Ex 20, 1-17 et Dt 5, 6-21) ; le discours de Jésus communément appelé « Sermon sur la montagne » en Mt 5-7. Pensons par exemple au commandement de l’amour des ennemis, difficile à appliquer à vue humaine.
- Des textes avec des « blancs ». Souvent une lecture superficielle du texte empêche le lecteur de repérer un détail et l’amène à combler, souvent inconsciemment d’ailleurs, un manque, un blanc du texte, qui, pourtant, veut poser question : pourquoi ce choix par le rédacteur [15] ?
- Des textes non lus car trop lus, par exemple Zachée en Lc 19, 1-10. En fait, connaissant trop le récit rapporté, le lecteur ne lit plus le texte avec attention.
- Des textes non lus car considérés partiellement, par exemple le récit de la tempête apaisée en Mt 8, 23-27, et parallèles. Il est nécessaire de ne pas en rester à la résolution de la tempête par le geste miraculeux de Jésus au verset 26, mais d’aller jusqu’au bout de la lecture : au verset 27, l’épisode amène le lecteur à une question, l’ouverture du mystère sur l’identité de Jésus : « Mais qui est-il, celui-là…? »
- Des textes mal lus car on en retient un mélange de plusieurs versions, sans faire droit à la spécificité de chacune d’elles. Ainsi, le récit de la multiplication des pains, qui est présenté selon six versions différentes [16]. On peut signaler aussi l’épisode de la rencontre entre Jésus et l’aveugle de Jéricho dans la version de Lc 18, 35-43. Le rédacteur a bien pris soin de ne pas donner de prénom à l’aveugle. L’identifier trop vite au Bartimée de Mc 10, 46-52 fait passer le rédacteur à côté de cette subtilité rédactionnelle.
Des pistes pour qu’émerge une Parole
47Le lecteur est invité à adopter une posture de lecture. Relire encore et encore. Ne pas s’imaginer trop connaître le récit au point de ne plus vraiment le lire ; ne pas s’imaginer que le texte ne nous dira rien ; ne pas en rester au fait rapporté lui-même.
48Face au défi que constituent les textes difficiles, la première attitude est de considérer que des pistes de réponse se trouvent dans le texte lui-même. Par exemple, dans le livre de l’Exode, les récits des plaies d’Égypte et du passage de la Mer ne peuvent être compris que dans le contexte de l’ensemble du livre et en observant de près le récit, dans sa construction, son vocabulaire, son intrigue, etc. [17] On pourrait dire de même pour un récit de guérison.
49Des pistes sont à chercher dans le contexte : contexte littéraire, contexte historique… Par exemple, le récit de Noé se donne à lire dans sa totalité, de Gn 6, 1 à 9, 17. Ensuite, il ne se comprend que dans le contexte des récits mythologiques du Proche-Orient ancien et dans une lecture très fine du texte lui-même, qui permette de voir comment le rédacteur biblique emprunte mais surtout se singularise par rapport à la pensée de son époque. Alors, on peut apprécier la nouveauté, l’inouï du message biblique, que l’on peut résumer dans la volonté d’alliance de Dieu pour l’humanité qu’il a créée. On pourrait aussi prendre l’exemple du commandement de Mt 5, 38-42. Jésus y invite à accueillir l’esprit, et non la lettre, du commandement du talion.
50Des pistes sont également à chercher dans la Tradition, dans le Magistère, qui ont pu apporter tel éclairage sur un texte difficile.
51Des pistes sont encore à chercher dans le lecteur lui-même. Les Psaumes en sont un bon exemple. Certains versets peuvent choquer [18]. Mais n’avons-nous jamais ressenti un tel excès de colère et de violence au fond de nous ? Auquel cas, apprendre par le psalmiste que Dieu accueille cette violence pour la convertir est de nature à apaiser les relations.
52Quelle que soit la situation, l’Écriture nous place devant un mystère insondable. Les questions que nous pose l’interprétation sont sans fin.
53Il faut donc bien accepter d’entrer dans la lecture précise du texte et de travailler ce texte pour, ensuite, se laisser travailler par la Parole.
Conclusion : Une vraie conversion
54De la Bible à la Parole de Dieu, la lecture de la Bible est un vrai chemin de conversion, conversion dans les deux sens du terme : conversion du texte de l’Écriture en Parole de Dieu, et conversion personnelle du lecteur à ce message qui change quelque chose dans sa vie et l’oriente. Pour cela, une posture, un travail et la conviction que Dieu va s’adresser au lecteur sont autant de préalables pour que la Bible devienne Parole de Dieu, toute la Bible !
Bibliographie
Bibliographie choisie
- Benoît XVI, Verbum Domini, Exhortation apostolique, Bayard/Fleurus-Mame/Cerf, Paris, 2010.
- François Brossier, La Bible dit-elle vrai ?, Éd. de L’Atelier, Paris, 20072 (1999).
- Commission biblique pontificale, L’interprétation de la Bible dans l’Église, Cerf, Paris, 1994.
- Commission biblique pontificale, Bible et morale, quels critères pour discerner ?, Nouvelle Cité, coll. Racines, Bruyères-le-Châtel, 2009.
- Commission biblique pontificale, Inspiration et Vérité de l’Écriture sainte. La Parole qui vient de Dieu et parle de Dieu pour sauver le monde, Bayard/Fleurus Mame/Cerf, Paris, 2014.
- R. Lafontaine, P. Piret et al., L’Écriture âme de la théologie, Institut d’études théologiques de Bruxelles, Bruxelles, 1990.
- Jean-Michel Maldamé, Un livre inspiré, la Bible, le livre où Dieu se dit, Cerf, coll. Initiations, Paris, 1998.
- La Maison-Dieu 190, Quand l’Écriture devient Parole, Cerf, Paris, 1992.
- La Maison-Dieu 274, La demeure de la Parole, Cerf, Paris, 2013.
- Daniel Marguerat et Yvan Bourquin, Pour lire les récits bibliques. La Bible se raconte. Initiation à l’analyse narrative, Cerf/Labor et Fides/Novalis, Paris/Genève/Montréal, 20022.
- Joël Molinario, Parole de Dieu et Écriture en catéchèse. La résonance de la Parole, Le Sénevé/ISPC, Paris, 2011.
- Christophe Raimbault, « La nouvelle évangélisation : et si nous relisions saint Paul ? », dans Lumen Vitae 69, 2012, p. 191-202.
- Jean-Louis Souletie et Henri-Jérôme Gagey, La Bible, Parole adressée, Cerf, coll. Lectio divina n° 183, Paris, 2001.
- Ceslas Spicq, Lexique théologique du Nouveau Testament, Cerf/Éd. universitaires Fribourg, Paris/Fribourg, 1991 (réédition en un volume des Notes de lexicographie néotestamentaire).
Notes
-
[1]
Conférence des Évêques de France, Texte national pour l’orientation de la Catéchèse en France, Bayard/Cerf/Fleurus-Mame, Paris, 2006, chapitre 3, point 3.3, p. 50.
-
[2]
Louis-Marie Chauvet, « La Bible dans son site liturgique », dans Jean-Louis Souletie et Henri-Jérôme Gagey, La Bible, Parole adressée, Paris, Cerf, 2001, p. 49-68, ici p. 58.
-
[3]
Benoît XVI, Verbum Domini, Exhortation apostolique, Paris, Bayard/Fleurus-Mame/Cerf, 2010, p. 98-99.
-
[4]
« Dieu invisible dans l’immensité de sa charité […] s’adresse aux hommes comme à des amis, et converse avec eux pour les inviter à entrer en communion avec lui et les recevoir en cette communion. », Dei verbum, no 2.
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[5]
Évangile (euangelion) : 76 occurrences dans le Nouveau Testament dont 60 chez Paul, et le verbe évangéliser, euangelizomai, 54 occurrences dans le Nouveau Testament dont 21 fois chez Paul.
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[6]
Cf. la question du légiste : « Quel est le plus grand commandement ? », en Mt 22, 34-40.
-
[7]
Kèrygma : Mt et Lc (1 occurrence chacun) ; Rm (1) ; 1 Co (3) ; 2 Tm (1) ; Tt (1). Le verbe kèryssô se trouve 19 fois dans le corpus paulinien sur les 60 occurrences du Nouveau Testament.
-
[8]
Cf. Ceslas Spicq, Lexique théologique du Nouveau Testament, Paris/Fribourg, Cerf/Éd. universitaires Fribourg, 1991 (réédition en un volume des Notes de lexicographie néotestamentaire), p. 592-602.
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[9]
Le sens littéral vs le sens spirituel, à savoir allégorique ou spirituel, tropologique ou moral, anagogique ou eschatologique.
-
[10]
Cf. Dt 4, 2 ; Pr 30, 5-6 ; Ps 118(119), 160 ; Mt 5, 18 ; Rm 15, 4 ; 2 Tm 3, 16-17 ; 1 P 1, 20-21 ; Ap 22, 18-19.
-
[11]
Dei verbum, chap. III : « L’inspiration de la Sainte Écriture et son interprétation. Inspiration et vérité de la Sainte Écriture » ; Catéchisme de l’Église catholique, 1re partie, 1re section, chapitre deuxième, Article 3, II : « Inspiration et vérité de la Sainte Écriture », numéros 105 à 108.
-
[12]
Cf. Dei verbum, no 16, se référant à Lc 22, 20 ; 1 Co 11, 25 puis à Mt 5, 17 ; Lc 24, 27 ; Rm 16, 25-26 ; 2 Co 3, 14-16.
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[13]
L’interprétation de la Bible dans l’Église, Paris, Cerf, 1994, I C 1, p. 44.
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[14]
L’expression est tirée de Benoît XVI, Verbum Domini, no 42, p. 72.
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Ainsi, souvent on s’empresse d’identifier par leur prénom les deux personnes présentes au pied de la croix de Jésus en Jn 19, 25-27. Pourtant, le rédacteur a pris soin de ne qualifier ces deux personnages que par leur relation à Jésus, sans les enfermer dans leur identité, pour souligner que s’instaurent de nouvelles relations entre eux. Imaginer lire les prénoms empêche de goûter ce jeu rédactionnel sur les relations entre les personnages.
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Mt 14, 13-21 ; Mt 15, 32-39 ; Mc 6, 30-44 ; Mc 8, 1-10 ; Lc 9, 10-17 ; Jn 6, 1-15.
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Ainsi, ces deux passages s’inscrivent dans la dynamique du livre de l’Exode, où Dieu prend la résolution et les moyens de libérer son peuple de l’esclavage, coûte que coûte. Il provoque Pharaon. À de très nombreuses reprises (au moins dix fois), il cherche à le faire fléchir. Mais Pharaon s’enferme de plus en plus dans son refus, il s’endurcit le cœur et s’oppose à Dieu frontalement. Cet enfermement va le mener à la mort dans la Mer. Au-delà de la mort de Pharaon et de son armée, qui choque tant de lecteurs, ce récit montre que le projet de Dieu de libérer ceux qui souffrent en esclavage ne sera jamais remis en cause par l’opposition de qui que ce soit. On peut compter sur Dieu.
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Un exemple : Ps 136(137), 9 : « Heureux qui saisira tes nourrissons pour les broyer sur le roc ! ».