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Article de revue

Les « nouvelles » notions de révélation et de foi de Dei Verbum et la catéchèse

Pages 19 à 35

Notes

  • [1]
    Par exemple : H. Derroitte, “De Vatican II à l’an 2000, qu’est devenue la catéchèse ?”, dans Lumen Vitae, 55/1, 2000, pp. 81-98 ; G. Routhier, “La réception de Vatican II par le mouvement catéchétique”, dans Lumen Vitae, 64/4, 2009, pp. 397-416 ; D. Villepelet, “Le concile Vatican II et la question de la transmission de la foi”, dans L. Villemin (Dir.), Des théologiens lisent le concile Vatican II : Pour qui ? Pour quoi ?, Paris, Bayard, 2012, pp. 159-177. Signalons le premier chapitre du Directoire Général pour la Catéchèse publié par la Congrégation pour le clergé en 1997 qui intègre bien les nouveautés de Dei Verbum. Également le premier chapitre d’E. Alberich et al., Les fondamentaux de la catéchèse, Montréal/Bruxelles, Novalis/Lumen Vitae, 2006, pp. 21-47.
  • [2]
    Catéchisme catholique, Québec, Édition canadienne, 1955, pp. 15-16, 150.
  • [3]
    Les conciles œcuméniques, Tome II-2, Les décrets. Trente à Vatican II, Paris, Cerf, 1994, p. 1639.
  • [4]
    Ibid., p. 1641.
  • [5]
    Catéchisme catholique, op. cit., p. 226.
  • [6]
    Cl. Geffré, “Esquisse d’une théologie de la Révélation”, dans P. Ricœur et al., La révélation, coll. Publications des facultés universitaires Saint-Louis, n° 7, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, 1977, p.179.
  • [7]
    Les conciles œcuméniques, Tome II-2, Les décrets. Trente à Vatican II, Paris, Cerf, 1994, p. 1973.
  • [8]
    H. Bouillard, “Le concept de révélation de Vatican I à Vatican II”, dans J. Audinet et al., Révélation de Dieu et langage des hommes, coll. Cogitatio Fidei, n° 63, Paris, Cerf, 1972, p. 44.
  • [9]
    R. Latourelle, “Dei Verbum”, dans R. Latourelle et R. Fisichella (Dir.), Dictionnaire de théologie fondamentale, Montréal/Paris, Bellarmin/Cerf, 1992, p. 231.
  • [10]
    Cf. Chr. Theobald, La révélation, coll. Tout simplement, n° 31, Paris, Les Éditions de l’Atelier/Éditions Ouvrières, 2001, p. 36-41.
  • [11]
    Cl. Geffré, “Esquisse d’une théologie de la révélation”, op. cit., p. 180.
  • [12]
    Les conciles œcuméniques, Tome II-2, Les décrets. Trente à Vatican II, Paris, Cerf, 1994, p. 1975.
  • [13]
    Deux publications récentes en catéchèse confirment bien l’importance de ce thème : L. Bressan et G. Routhier (Dir.), Le travail de la Parole, coll. Pédagogie patorale, n° 8, Bruxelles, Lumen Vitae, 2011 (signalons le chapitre de H. Lorenzi “Rencontrer la Parole de Dieu dans la catéchèse”, pp. 81-101), et J. Molinario, Parole de Dieu et Écriture en catéchèse. La résonance de la Parole, coll. Le point catéchèse, n° 2, Paris, Le Sénevé/ISPC, 2011.
  • [14]
    R. Latourelle, op. cit., p. 231.
  • [15]
    Cf. A. Feuillet et P. Grelot, “Parole de Dieu”, dans Vocabulaire de théologie biblique, Paris, Cerf, 1979, pp. 905-914.
  • [16]
    Les conciles œcuméniques, Tome II-2, Les décrets. Trente à Vatican II, Paris, Cerf, 1994, p. 1973.
  • [17]
    Les conciles œcuméniques, Tome II-2, Les décrets. Trente à Vatican II, Paris, Cerf, 1994, p. 1973.
  • [18]
    Cl. Geffré, « Esquisse d’une théologie de la révélation », op. cit., p. 183 ; idée que nous retrouvons aussi dans R. Latourelle, “Dei Verbum”, op. cit., p. 233.
  • [19]
    R Latourelle, op. cit., p. 233.
  • [20]
    Cl. Geffré, “La révélation comme histoire, enjeux théologiques pour la catéchèse”, dans Catéchèse, 100-101, 1985, p. 62.
  • [21]
    Cl. Geffré, “La révélation hier et aujourd’hui. De l’Écriture à la prédication ou les actualisations de la Parole de Dieu”, dans J. Audinet et al., Révélation de Dieu et langage des hommes, coll. Cogitatio Fidei, n° 63, Paris, Cerf, 1972, p. 101.
  • [22]
    Cl. Geffré, “Esquisse d’une théologie de la Révélation”, op. cit., p. 184.
  • [23]
    Ibid., p. 202.
  • [24]
    G. Routhier, “La réception de Vatican II par le mouvement catéchétique”, op. cit., p. 409.
  • [25]
    Cl. Geffré, “La révélation comme histoire”, op. cit, p. 71.
  • [26]
    Ce schéma est emprunté à Edward Schillebeeckx, Histoire des hommes, récit de Dieu, coll. Cogitation fidei, n°166, Paris, Cerf., 1992, p. 82.
  • [27]
    Ibid.
  • [28]
    Cf. Cl. Geffré, “Révélation et expérience historique des hommes”, dans Laval théologique et philosophique, 46, 1990, p. 14.
  • [29]
    Cf. P. Ricœur, “Nommer Dieu”, dans Études Théologiques et Religieuses, 52, 1977, pp. 489-508.
  • [30]
    Cl. Geffré, “La révélation comme histoire”, op. cit., p. 73.
  • [31]
    Les conciles œcuméniques, Tome II-2, Les décrets. Trente à Vatican II, Paris, Cerf, 1994, p. 2169.
  • [32]
    Cf. P. Valadier, “Signes des temps, signes de Dieu”, dans Études, août-sept. 1971, pp. 261-279.
  • [33]
    Cl. Geffré, “Esquisse d’une théologie de la révélation”, op. cit., p. 205.

1 La Parole de Dieu est vivante. Elle transforme celui ou celle qui lui prête l’oreille. Sa puissance est telle que de nouveaux possibles sont ouverts là où la fatalité semblait régner. Cette conviction anime tous les efforts de la catéchèse qui veut rendre actuelle cette Parole. Mais souvent, les entreprises catéchétiques ont de la difficulté à rendre justice à cette conviction et retombent, d’une façon inconsciente, dans la répétition de ce qui s’est déjà fait. On se demande aussi comment faire le lien entre le milieu historique où sont nés les textes de la révélation et le milieu culturel qui est le nôtre.

2 La difficulté d’actualiser la Parole de Dieu aujourd’hui est attribuable, en bonne partie, au fait qu’on n’a pas explicitement pris la mesure du déplacement opéré de Vatican I à Vatican II dans les conceptions de la révélation et de la foi. D’une révélation comme ensemble de vérités à croire on est passé à une révélation comme acte personnel de Dieu à accueillir. Ce qui est très différent. Tant qu’on n’a pas réalisé l’enjeu de ce déplacement et ses conséquences, on risque de retomber dans les perspectives de Vatican I et de répéter les formules d’autrefois.

3 Des articles se penchent ou font le point sur la réception de Vatican II dans le mouvement catéchétique et sur l’évolution de la catéchèse depuis [1]. Notre propos vise à mettre en lumière les « nouvelles » notions de révélation et de foi élaborées dans Dei Verbum et d’en esquisser quelques conséquences pour la catéchèse aujourd’hui, en empruntant le chemin de l’approche herméneutique telle que mise en avant par des théologiens comme Claude Geffré et Edward Schillebeeckx. Nous le ferons en identifiant d’abord le déplacement qui s’opère de Vatican I à Vatican II. Nous verrons ensuite l’accomplissement concret de la Parole de Dieu dans l’histoire et dans la conscience humaine. Finalement, nous identifierons trois conséquences de cette « nouvelle vision » pour la catéchèse.

De Vatican I à Vatican II : d’un ensemble de vérités à croire à un acte personnel de Dieu à accueillir

4 50 ans après Vatican II, nous avons oublié ce que pouvaient avoir de neuf les conceptions de la révélation et de la foi de Dei Verbum. Pour redécouvrir cette nouveauté, il importe de retourner avant 1962, alors que la théologie fonctionnait dans la mouvance de Vatican I et de la néoscolastique, et d’identifier les déplacements.

Avant 1965 l’Église véhicule les conceptions de Vatican I

5 À la veille de Vatican II, on vivait sur l’héritage des conciles de Trente (1545-1563) et de Vatican I (1869-1870), l’un et l’autre insistant sur « ce qui » est révélé, et sur l’autorité de Dieu révélant, autorité transmise à l’Église. Nous en avons un bon exemple dans le Catéchisme catholique[2] dont la dernière édition parut en 1963.

  • Question 33 : Qu’est-ce que la révélation ?
    La révélation est l’ensemble des vérités que Dieu nous a fait connaître par ses paroles.
  • Question 35 : Où trouvons-nous toutes les vérités que Dieu nous a révélées et que nous devons croire pour aller au ciel ?
    Dans la sainte Écriture et dans la tradition.
  • Question 664 : Qu’est-ce que la foi ?
    La foi est la vertu théologale qui nous dispose à croire fermement les vérités révélées par Dieu et enseignées par l’Église catholique.
  • Question 665 : Pourquoi devons-nous croire les vérités révélées par Dieu ?
    Parce que Dieu ne peut pas se tromper, ni nous tromper.
  • Question 666 : Quand sommes-nous obligés de croire une vérité révélée par Dieu ?intuitext9(
    Quand l’Église catholique nous enseigne que cette vérité a été révélée par Dieu.
  • Question 667 : Pourquoi sommes-nous obligés de croire l’Église catholique, quand elle nous enseigne qu’une vérité nous a été révélée par Dieu ?
    Parce que Dieu a donné à l’Église catholique le pouvoir de nous enseigner et le privilège de ne pas se tromper.

6 Ces formules ont de quoi étonner en 2013. Quel présupposé y a-t-il derrière ces affirmations ? La révélation y est conçue comme un corps de vérités intemporelles ou encore une doctrine sacrée. Voyons un extrait de la Constitution Dei Filius de Vatican I qui parle au chapitre II de la révélation : «Toutefois, il a plu à sa sagesse et à sa bonté de se révéler lui-même au genre humain ainsi que les décrets éternels de sa volonté par une autre voie, surnaturelle celle-là… » [3].

7 La révélation est associée à un ensemble de vérités (au pluriel) et de décrets éternels que Dieu propose à la foi. Ce rapprochement évoque un catalogue de vérités abstraites, conservées à quelque part au-delà des nuages, que nous devrions pouvoir connaître et qu’il nous suffirait simplement d’appliquer dans nos vies aujourd’hui. Vatican I conçoit la révélation et la relation entre Dieu et l’humanité selon le modèle d’une « instruction ». Dieu (et analogiquement l’Église) se comporte vis-à-vis de la société humaine comme un grand instructeur qui l’informe de vérités qu’elle ne peut pas ou qu’elle ne peut que très partiellement découvrir par elle-même.

8 Comment se présente la foi face à une telle conception de la révélation ? Revenons à Dei Filius, au chapitre III :

9

Puisque l’homme dépend totalement de Dieu comme son créateur et seigneur et que la raison créée est complètement soumise à la Vérité incréée, nous sommes tenus de présenter par la foi à Dieu qui se révèle la soumission plénière de notre intelligence et de notre volonté. Cette foi, qui est commencement du salut de l’homme, l’Église catholique professe qu’elle est une vertu surnaturelle par laquelle, prévenus par Dieu et aidés par la grâce, nous croyons vraies les choses qu’il nous a révélées, non pas à cause de leur vérité intrinsèque perçue par la lumière naturelle de la raison, mais à cause de l’autorité de Dieu même qui révèle, lequel ne peut ni se tromper ni nous tromper [4].

10 À Vatican I, face à une révélation conçue comme une instruction, la soumission est donc la vertu principale du récepteur, totalement dépendant de l’émetteur de la doctrine. La foi est donc assimilée ici à une soumission, un assentiment à la Révélation. De plus, l’adhésion de foi est requise, « non pas à cause de la vérité intrinsèque des choses perçues par la lumière naturelle de la raison, mais à cause de l’autorité de Dieu même qui révèle ». Dans une telle perspective, croire se trouve réduit au fait de « tenir pour vrai ». Nous en avons une belle illustration dans l’« Acte de foi » du Petit Catéchisme encore en usage dans les années soixante :

11

Mon Dieu, je crois fermement toutes les vérités que vous nous avez révélées, et que vous nous enseignez dans votre Église, parce que vous ne pouvez ni vous tromper, ni nous tromper [5].

12 Ces conceptions nous apparaissent aujourd’hui très limitées. En effet, elles ont été formulées en réaction au rationalisme de l’époque. « La révélation y est conçue comme un “contenu” beaucoup plus que comme un “acte” » [6]. On parle très peu du Christ comme médiateur. On privilégie la révélation comme parole alors qu’elle est inséparablement événement, manifestation et déroulement du dessein de Dieu dans une histoire. La foi, consistant à « tenir pour vrai » ce que Dieu a dit, est de l’ordre de la certitude parce qu’elle est garantie par Dieu. La confiance est d’abord mise dans l’autorité de celui qui formule et dans l’identité formelle de ce qui est transmis. Et cette autorité est tout de suite étendue à l’Église. La fonction de l’Église n’est pas d’être le milieu nourricier de la foi, mais plutôt le garant d’un dépôt. Cette réduction du croire a fait de la foi un acte partiel faisant appel à la volonté et non pas à l’intelligence, un acte individualiste où l’individu est séparé de la communauté et un acte portant sur l’intemporel de vérités intellectuelles, formelles, éternelles. De telles conceptions entrent nécessairement en conflit avec l’usage responsable de la raison et de la liberté humaines.

Vatican II

13 Dei Verbum nous présente des conceptions plus sereines et complètes de la révélation et de la foi. Dans la révélation, Dieu s’adresse à nous en une authentique rencontre :

14

Il a plu à Dieu, dans sa bonté et sa sagesse, de se révéler lui-même et de faire connaître le mystère de sa volonté (cf. Ep. 1,9) par lequel les hommes ont accès auprès du Père par le Christ, Verbe fait chair, dans le Saint-Esprit et sont rendus participants de la nature divine (cf. Ep 2,18 ; 2 P 1,4). Ainsi, par cette Révélation, le Dieu invisible (cf. Col 1,15 ; 1 Tm 1,17), dans son amour surabondant, s’adresse aux hommes comme à des amis (cf. Ex 33,11 ; Jn 15,14-15) et est en relation avec eux (cf. Ba 3,38), pour les inviter à la vie en communion avec lui et les recevoir en cette communion. Cette économie de la Révélation se réalise par des actions et des paroles […] Par cette Révélation, la vérité profonde sur Dieu aussi bien que sur le salut de l’homme se met à briller pour nous dans le Christ, qui est à la fois le médiateur et la plénitude de toute la Révélation [7].

15 La révélation est présentée ici comme un acte personnel : « l’auto-manifestation de Dieu dans une histoire sensée, dont le sommet est le Christ, médiateur de la création comme du salut [8] ». Dans la tradition chrétienne, Dieu ne révèle pas d’abord une loi, des préceptes. Il révèle son intérieur. La révélation est l’Acte de Dieu qui se révèle lui-même par les événements et les paroles qui l’interprètent. De plus, la révélation coïncide avec le don d’une personne. « L’intention évidente du concile est de personnaliser la révélation : avant de faire connaître quelque chose, à savoir son dessein de salut, c’est Dieu lui-même qui se manifeste » [9]. Le dessein de Dieu, au sens du Mystère de saint Paul, c’est « que les hommes, par le Christ, Verbe fait chair, accèdent dans l’Esprit Saint auprès du Père et deviennent participants de la vie divine ».

16 Dieu invisible s’adresse aux hommes ainsi qu’à des amis. Alors que Vatican I conçoit la Révélation et la relation entre Dieu et l’humanité selon le modèle d’une « instruction », Vatican II s’organise, quant à lui, à partir d’un modèle de « communication » : la relation entre Dieu et les hommes, tout comme la relation entre l’Église et la société, sont conçues sous la forme de « dialogue ». La différence des deux perspectives est évidente [10].

17 Devant une conception de la révélation comme un acte personnel de Dieu qui se donne à l’être humain, on développe une conception de la foi comme réponse intégrale de la personne, c’est-à-dire comme « offrande de tout l’homme et pas seulement adhésion à des vérités » [11] comme à Vatican I. Ainsi au paragraphe 5 de Dei Verbum :

18

À Dieu qui révèle il faut apporter « l’obéissance de la foi » (Rm 16,26 ; cf. Rm 1,5 ; 2Co 10,5-6), par laquelle l’homme s’en remet tout entier librement à Dieu en présentant « à Dieu qui révèle la pleine soumission de l’intelligence et de la volonté », et en donnant de plein gré son assentiment à la Révélation qu’Il a faite [12].

19 Dei Verbum appelle « obéissance de la foi », au sens de saint Paul, la réponse que l’humain est invité à apporter à la rencontre et à l’alliance, à la conversation et au dialogue que Dieu lui propose de par son initiative. Cette réponse apparaît comme le fait de l’humain tout entier. Elle est ainsi un acte intégral de son esprit et de son cœur.

20 Dei Verbum marque le déplacement d’une conception abstraite et notionnelle de la révélation à une conception personnaliste, historique et concrète. Les événements historiques et par extension l’expérience humaine font partie de la révélation. Cela ouvre beaucoup de possibilités pour la catéchèse.

L’accomplissement de la révélation : la Parole de Dieu dans l’histoire et dans la conscience croyante

21 Dei Verbum ne fait pas que définir la révélation. Il explicite aussi comment elle s’accomplit concrètement.

La Parole de Dieu [13]

22 Pour décrire la révélation, Dei Verbum retient l’analogie de la parole : « Dans cette révélation, le Dieu invisible s’adresse aux hommes en son immense amour comme à des amis, il s’entretient avec eux pour les inviter et les admettre à partager sa propre vie » (DV 2). Cette analogie de la parole est omniprésente dans le Premier et le Nouveau Testaments, chez les Pères de l’Église et les théologiens du Moyen Âge ainsi que dans les documents du magistère. La parole est cette forme d’échange entre êtres intelligents, par laquelle on s’adresse à un autre en vue d’une communication : « des réalités qui atteignent une dimension insoupçonnée lorsque la Parole de Dieu, en personne, assume la chair et le langage de l’homme dans le Christ, Verbe de Dieu devenu homme parmi les hommes et conversant avec eux » [14]. La révélation inaugure entre Dieu et l’humain un long dialogue qui traverse les siècles.

23 Quand on fait une étude de la notion biblique de Parole de Dieu, on se rend compte que le Dabar hébreu est inséparablement une révélation de vérité et une force dynamique [15]. Par cette deuxième caractéristique, elle est une puissance qui opère infailliblement les effets visés par Dieu, qu’il s’agisse des événements de l’histoire ou des réalités cosmiques. Rappelons simplement que c’est sous la forme de la Parole qu’est présenté l’acte de création.

24 Faire intervenir la « Parole de Dieu » quand il est question de révélation c’est mettre en lumière le fait que la Parole de Dieu ne s’identifie pas avec la lettre de l’Écriture. Conformément à Vatican II, elle est l’événement toujours actuel de Dieu se révélant aux hommes au sein de l’Église du Christ. L’analogie de la parole qui sert à représenter la révélation ouvre sur la perspective de son accomplissement concret. S’il y a plusieurs façons de communiquer entre personnes (gestes, actions, paroles, images, symboles, signes), Dei Verbum précise celle de la révélation comme s’effectuant par l’action conjuguée d’événements et de paroles :

25

Cette économie de la Révélation se réalise par des actions et des paroles intrinsèquement liées entre elles, si bien que les œuvres accomplies par Dieu dans l’histoire du salut, manifestent et corroborent la doctrine et les réalités signifiées par les paroles, et que les paroles, de leur côté, proclament les œuvres et élucident le mystère qui y est contenu [16].

26 Actions et paroles, événements et interprétations forment un tout organique et indissociable. Cette économie atteint son sommet dans le Christ. Actions et paroles émanent toujours d’un centre personnel.

Dieu se révèle dans l’histoire

27 À quoi renvoient les actions mentionnées au paragraphe 2 de Dei Verbum ? Dans l’Ancien Testament, ce sont, par exemple, ces événements déterminants comme l’Exode, l’Alliance, l’établissement de la royauté, l’exil et la captivité, la restauration. Dans le Nouveau, ce sont les actions de la vie de Jésus, notamment ses rencontres, ses miracles, ses exorcismes, sa passion. La délivrance du joug égyptien manifeste l’intervention du Dieu puissant et sauveur et, en même temps, confirme la promesse de Yahvé faite à Moïse de sauver son peuple. La guérison du paralytique manifeste la puissance libératrice du Christ. La résurrection du Christ manifeste son pouvoir souverain sur la vie et la mort.

28 En christianisme, la révélation se concentre dans un événement historique particulier : la personne même de Jésus-Christ. « Mais après avoir, à maintes reprises et sous bien des formes, parlé par les prophètes, Dieu, en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par son Fils » (He, 1,1-2) (Dei Verbum 4) [17]. Il est la « Parole faite chair » comme le souligne le prologue de saint Jean. L’événement Jésus-Christ, sa vie, sa mort et sa résurrection sont révélation de Dieu. Le Ressuscité coexiste avec tous les moments de l’histoire. Il est la Parole définitive de Dieu à l’humain et la réponse totale de l’humain à Dieu. Dieu ne se rend pas seulement présent à nous par la proclamation d’une Parole, mais par une manifestation historique.

29 Quand on prend en compte la façon dont la révélation s’accomplit concrètement, on ne peut plus identifier la Parole de Dieu avec un livre qui serait comme tombé du ciel sans rapport avec les événements de l’histoire. Dei Verbum intègre la dimension historique de la révélation. Autrement dit, la révélation a toujours un caractère indirect. Dieu ne se révèle pas directement à nous en utilisant des paroles qu’il prononcerait lui-même, ou par le truchement d’un messager ou d’un écrivain purement passifs. Il se révèle d’abord par des événements historiques. Comme le dit Claude Geffré : « Ces événements sont déjà paroles de Dieu car, en tant que situés dans le déploiement de l’histoire du salut, ils sont en eux-mêmes porteurs de sens » [18]. Dieu se révèle dans une histoire signifiante. Nous sommes ici dans une toute autre perspective que celle de Vatican I où la révélation était réduite à un corps de doctrine.

Dieu se révèle dans la conscience croyante

30 À quoi renvoient les paroles mentionnées au paragraphe 2 de Dei Verbum ? Ce sont les paroles de Moïse et des prophètes qui interprètent la geste de Dieu dans l’histoire. Ce sont aussi les paroles de Jésus-Christ déclarant lui-même le sens de ses actions. Ce sont aussi les paroles des apôtres, témoins et interprètes de la vie du Christ. Elles « proclament et éclairent le mystère contenu dans les œuvres » (DV, 2). Elles ont pour mission de mettre en lumière le sens des événements. « Sans la parole de Moïse qui interprète au nom de Dieu la migration d’Israël comme une libération en vue d’une alliance, cet événement n’aurait pas différé de tant d’autres migrations » [19]. Sans les multiples tentatives d’interpréter la mort de Jésus-Christ, cet événement serait demeuré énigmatique et sans lien avec sa vie.

31 Si Dieu se révèle dans les événements de l’histoire, la révélation ne s’arrête pas là. « Ces événements, pour dévoiler tout leur sens comme manifestation du dessein de Dieu, doivent être actualisés dans la conscience du Peuple de Dieu » [20]. L’aspect objectif de la révélation de Dieu dans l’histoire ne peut être séparé de son accomplissement dans la foi du Peuple de Dieu. L’agir de Dieu dans l’histoire suscite un témoignage interprétatif. Précisons tout de suite que ce sens n’advient pas de l’extérieur via l’interprétation du prophète. Le sens est immanent à l’événement même si ce sens provisoire sera toujours corrigé par de nouveaux événements. Ce déchiffrement s’opère en éclairant le présent à partir du passé et en interprétant le passé à partir du présent. L’unité du dessein de Dieu devient alors manifeste dans l’histoire qui dépasse ainsi la simple histoire empirique pour devenir l’histoire sainte.

32 Quand nous disons que Jésus-Christ est l’accomplissement de la révélation, nous faisons référence à une nouvelle forme d’existence qui se réalise dans la personne et l’œuvre du Christ : la vérité du rapport religieux entre Dieu et l’humain. Le Nouveau Testament tire sa signification profonde de son enracinement dans une situation nouvelle de l’humain par rapport à Dieu. La révélation ne transmet pas d’abord un ensemble de vérités mais une attitude religieuse : « la réponse de l’homme à une façon nouvelle de Dieu d’agir à son égard par la médiation du Christ et de ses ministres » [21].

33 Ce double accomplissement (histoire-conscience) de la révélation nous conduit à mettre en lumière une caractéristique importante de l’Écriture : cette dernière est moins un donné directement inspiré par Dieu qu’un témoignage. Le terme de « donné » évoque un contenu objectif de vérités qu’il suffirait de s’approprier pour connaître le sens de la Parole de Dieu. Le terme de « témoignage » renvoie, lui, à des événements historiques. Le témoignage est une certaine interprétation croyante, irrémédiablement historique, c’est-à-dire relative à l’époque et au lieu.

34 On ne peut déchiffrer le sens de la Parole de Dieu qu’à travers le témoignage du Peuple d’Israël sur les grands événements de l’histoire du salut. De même, on est invité à relire le Nouveau Testament comme l’acte d’interprétation par la première communauté chrétienne de l’événement Jésus-Christ à la lumière de Pâques. Ce sont des « confessions de foi » qui sont porteuses d’un message de Dieu dans le langage des hommes.

35 En disant que l’Écriture est un témoignage, nous voulons dire qu’elle est déjà une interprétation. Cela entraîne pour nous que, accueillir la Parole de Dieu, c’est toujours nous livrer à une interprétation d’une interprétation. L’événement sur lequel porte le témoignage n’est jamais qu’un événement brut. Il est déjà un événement interprété. Comme le dit encore Claude Geffré,

36

Témoigner, c’est faire venir à la parole un événement qui s’est réellement produit, mais ce n’est pas relater purement et simplement l’événement : c’est promouvoir l’événement à une existence nouvelle. On ne peut dissocier l’événement du sens nouveau qu’il revêt dans le témoignage [22].

La révélation qui « continue »

37 Nous avons vu que la révélation ne se confond pas avec la lettre de l’Écriture. Elle est l’acte toujours actuel par lequel Dieu s’offre à nous et nous interpelle. Nous avons aussi réalisé qu’elle coïncide avec le don que Dieu fait de lui-même. Nous croyons que ce don n’a pas cessé avec l’âge apostolique et qu’il se poursuit dans la communauté Église et dans la vie de chaque humain. Enfin, la révélation ne trouve son sens et son accomplissement que dans la foi qui l’accueille. Elle est donc un événement qui continue aujourd’hui dans l’expérience humaine consciente.

38 Face à la question de la clôture de la révélation, « il faut tenir à la fois que la révélation est close dans sa phase constitutive avec la mort du dernier apôtre, […] et que son actualisation dans la conscience vivante de l’Église, sous la motion de l’Esprit, n’est jamais achevée » [23]. Le fait que la Parole de Dieu ne s’épuise pas dans l’Écriture comme texte mais qu’elle est l’acte d’autocommunication de Dieu dans l’histoire, nous invite à parler d’une présence continuée de la Parole de Dieu dans l’histoire. C’est ce que nous allons maintenant développer.

La transmission de la foi dans l’Église

39 Les « nouvelles » conceptions de la révélation et de la foi de Dei Verbum ainsi que la prise en compte de l’accomplissement de celle-ci dans l’histoire et dans la conscience croyante ont des implications directes en catéchèse. On ne peut plus se contenter d’un apprentissage par cœur du catéchisme qui trahirait une conception statique et notionnelle de la révélation. La présence continuée de la Parole de Dieu incite les catéchètes à produire des formulations ou des pratiques de foi en fonction d’aujourd’hui, à trouver les mots afin qu’elles soient révélantes pour les auditeurs et à les habiliter à lire les signes des temps.

Catéchèse et réinterprétation

40 Les théologiens reconnaissent que Vatican II n’a pas fait que fournir des enseignements sur des thématiques données. Il a aussi mis en œuvre une nouvelle approche, une nouvelle méthode en théologie et en catéchèse. Désormais on ne fait plus appel à la scolastique conçue comme l’exposé de principes théoriques s’appuyant sur des raisonnements logiques. On développe une réflexion qui tient compte de l’histoire et de l’expérience. Gilles Routhier l’esquisse de la façon suivante :

41

Progressivement, les Pères conciliaires apprenaient le métier d’herméneute et ils mesuraient toute la complexité d’un tel métier. En effet, ils n’étaient pas renvoyés seulement à l’herméneutique des textes magistériels et il ne leur suffisait plus non plus d’être herméneutes des Écritures, il leur fallait de surcroît être herméneutes de la praxis ou de l’expérience humaine. Entre donc en force dans le débat conciliaire une autre autorité – tout au moins une autre référence – celle de la pratique ou de l’expérience [24].

42 Autrement dit, il ne s’agit plus simplement de répéter ce qui se trouve dans les Écritures fondatrices ou dans la tradition. Il s’agit plutôt d’interpréter la Parole de Dieu en fonction de notre contexte d’aujourd’hui.

43 L’interprétation a souvent mauvaise presse comme incitant au relativisme ou à l’indifférentisme : « C’est ton interprétation. Moi, j’ai mon interprétation ! ». L’interprétation est ici assimilée à une opinion, c’est-à-dire au fait de donner un avis qu’on tient pour plausible mais sans plus. Or l’interprétation renvoie au « sens » d’un événement. Transmettre un sens implique une certaine rigueur. On ne peut pas dire n’importe quoi sur ce qui s’est passé. Il y a une certaine objectivité historique à respecter. Il y a une continuité de sens à assurer.

44 Nous avons mis en relief le fait que l’Écriture n’est pas un donné mais un témoignage. L’Écriture comme mise par écrit du témoignage rendu à l’événement Jésus-Christ est elle-même un acte d’interprétation de la première communauté chrétienne. Cela veut donc dire qu’en fonction d’une nouvelle situation historique, cette première écriture a suscité de nouvelles écritures comme acte d’interprétation. Chaque écrivain du Nouveau Testament ne se contente pas de rapporter les événements tels qu’ils se sont produits. Il les interprète en fonction de sa communauté. Dans cette perspective, interpréter veut dire mettre en relief le sens d’un événement passé en rapport avec la situation contemporaine. Notre tâche à nous consiste, en prenant appui sur les premiers signifiants du langage de la révélation, à utiliser les nouveaux signifiants qu’offre la culture, le langage contemporain.

45 « Il n’y a donc pas de transmission vivante de la foi sans réinterprétation » [25]. La catéchèse a toujours pour but de faire retentir une parole qui soit pour d’autres « esprit et vie ». Si la Parole de Dieu n’est pas contemporaine de l’auditeur d’aujourd’hui, elle n’est déjà plus la Parole de Dieu. Ne transmettre qu’un passé mort faute de discernement de la situation présente est un risque aussi grave que celui de l’erreur. Comme nous l’avons dit, elle n’atteint son sens et son actualité que dans la foi qui l’accueille.

46 Comment se fait la réinterprétation ?

47 Réinterpréter se distingue du fait de répéter ou d’appliquer à aujourd’hui telle ou telle parole de Jésus. Il s’agit plutôt d’élaborer un rapport proportionnel où on situe telle parole de Jésus en fonction de son contexte d’alors en rapport avec une parole nouvelle en fonction de notre contexte d’aujourd’hui.

48 L’articulation [26] donnée :

tableau im1
message de Jésus message néotestamentaire = contexte sociohistorique contexte sociohistorique de Jésus du Nouveau Testament se reproduit dans une autre relation, par exemple : saisie patristique de la foi saisie médiévale de la foi = contexte sociohistorique contexte sociohistorique de l’époque du Moyen Âge et ce rapport donné et reproduit doit finalement se reproduire à nouveau dans le rapport ou l’articulation : saisie actuelle de la foi en 2013 = notre contexte sociohistorique et existentiel actuel

49 La continuité n’est pas à chercher dans la répétition d’un contenu doctrinal matériellement identique. Sous la garantie du don de l’Esprit et d’une foi vécue en communauté, elle est plutôt à chercher dans la mise en correspondance que nous venons de décrire entre le message originel en fonction de son contexte et la production d’une nouvelle formulation en fonction de la situation contemporaine. C’est « le rapport égal entre ces articulations de termes cependant totalement différents qui est porteur de l’identité chrétienne de sens » [27]. Ces rapports égaux de relations qui se reproduisent tout au long de la tradition de foi ont valeur de norme, d’orientation et d’inspiration. Ils fournissent le modèle sur la base duquel nous, aujourd’hui, fidèles à l’Évangile, nous pouvons exprimer le sens du message évangélique hic et nunc, de telle sorte qu’il soit compréhensible par nos contemporains

50 Dans cette tâche de réinterprétation du message chrétien n’y a-t-il pas le risque de rencontrer l’arbitraire des interprétations subjectives ? Pour contrer ce danger, nous ne disposons pas d’un unique critère qui serait soit l’autorité de l’Écriture, soit telle détermination du Magistère de l’Église. Il faut faire appel au jeu mutuel de plusieurs critères dont au moins trois [28] qui permettent de circonscrire un champ herméneutique hors duquel une nouvelle expression de foi n’est plus fidèle à l’expérience originelle. Il y a tout d’abord celui de l’objectivité textuelle du Nouveau Testament qui renvoie à l’objectivité historique des événements fondateurs du christianisme. Il y a ensuite la cohérence avec la tradition vivante de l’Église. Il n’y a jamais d’interprétation isolée qui soit en rupture avec le sensus fidei d’hier. Enfin, le troisième critère est celui de la communication elle-même ou encore celui de la réception. La réception par l’ensemble du peuple croyant est un critère de discernement.

Catéchèse et autorévélation du croyant à lui-même

51 La catéchèse ne peut pas viser la communication d’un savoir tout constitué d’avance. La simple transmission d’un condensé doctrinal rigoureusement identique ne présente pas de portée révélante. Si la catéchèse ne coïncide pas avec une autorévélation du croyant à lui-même, elle n’est pas fidèle à la portée créatrice de la Parole de Dieu. Il y a un lien très fort entre la foi et l’existence humaine. Une foi authentique éclaire et oriente l’existence humaine. Mais à son tour, l’existence humaine, historiquement située, donne sa coloration propre à la foi. Il ne peut y avoir de révélation de la part de Dieu sans autorévélation de l’humain à lui-même.

52 Selon l’expression de Paul Ricœur, la révélation est une « possibilité d’existence » [29]. Comprendre le texte de l’Écriture, ce n’est pas s’approprier une vérité qui serait « derrière le texte », mais rejoindre la « proposition de monde » auquel renvoie le texte. Comme tout texte poétique, le texte biblique a une portée révélante qui réveille des possibilités d’existence enfouies dans l’humain.

53 De plus, ces nouvelles possibilités entraînent un nouvel agir et une nouvelle pratique. L’appropriation du texte coïncide avec une nouvelle compréhension de soi mais va plus loin. En effet, quand on se comprend autrement on est éveillé à « une nouvelle possibilité d’existence et à la volonté de faire exister un monde nouveau » [30]. Tout acte catéchétique fidèle au dynamisme de la Parole de Dieu conduit à une conversion personnelle et fait exister une nouvelle pratique éthique et sociale. Afin d’exercer sa fonction révélante et interpellante, le langage de la foi doit mettre à profit toutes les ressources du langage symbolique dans sa différence avec le langage descriptif ou le langage notionnel. L’utilisation du langage biblique est ici très appropriée.

Catéchèse et discernement des signes des temps

54 Dans l’acte de transmission de la foi, la catéchèse ne peut pas dissocier la Parole de Dieu dont témoigne l’Écriture et la « Parole de Dieu» que constitue tel ou tel événement de la vie personnelle, de la vie de l’Église et de l’histoire en général. La pratique du discernement des signes est bien connue.

55 Le chrétien qui cherche à témoigner de la révélation doit être attentif aux signes de l’Esprit de Dieu dans l’histoire et dans le monde. Dans le chapitre 4 de Gaudium et Spes, le concile affirme

56

Pour accomplir une telle tâche, l’Église a, sans cesse, le devoir, de scruter les signes des temps et de les interpréter à la lumière de l’Évangile, de telle sorte que, d’une manière adaptée à chaque génération, elle puisse répondre aux questions permanentes des hommes sur le sens de la vie présente et future et sur leurs relations réciproques [31].

57 Ainsi, dans le temps de l’histoire qui continue, il y a des événements qui sont comme des épiphanies de Dieu en ce sens qu’ils nous aident à comprendre le dessein de Dieu sur le monde et sur l’homme. L’expression « signe des temps » désigne des phénomènes qui au plan humain, sociologique, culturel, caractérisent les besoins et les aspirations d’une époque. Ces événements sont comme des préparations à l’Évangile par rapport au Royaume, des « pierres d’attente » par rapport à l’accomplissement ultime de l’histoire qui sera « Dieu tout en tous ». Ils sont donc, à leur manière, une Parole de Dieu, mais ils ne peuvent dévoiler leur sens qu’à la lumière de la Révélation consignée dans l’Écriture.

58 Il faut cependant être prudent dans la lecture des « signes des temps » [32]. L’histoire humaine demeure profondément ambiguë. Quand un événement apparaît, il peut sembler être un signe des temps mais, après coup, il se révèle tout autre. Même quand on peut constater des réels progrès au plan de la conscience humaine ou de l’humanisation, il n’est pas évident que ces réels progrès aient un rapport direct avec la venue du Royaume de Dieu. « Ces divers événements historiques ne sont des “préparations” du Royaume que s’ils favorisent l’ouverture de la liberté humaine à la liberté divine » [33]. Tout ce qui se vit dans le domaine de la sociologie, de l’économie, de la politique, de la science ou de l’art, trouve son sens ultime en fonction du rapport fondamental entre l’homme et Dieu. Ainsi, un événement mondial ou culturel ne peut être dit « signe des temps » que s’il a un lien avec ce rapport fondamental, que cet événement soit important ou non. Il s’agit de savoir s’il favorise l’ouverture de la liberté humaine au don gratuit de Dieu. Il importe donc que le catéchète d’aujourd’hui soit habilité à lire comment les événements sont effectivement « signes des temps ». Il s’agit de reconnaître comment Dieu est déjà présent au cœur de nos vies et des événements.


Date de mise en ligne : 08/12/2019

https://doi.org/10.2143/LV.00.0.0000000

Notes

  • [1]
    Par exemple : H. Derroitte, “De Vatican II à l’an 2000, qu’est devenue la catéchèse ?”, dans Lumen Vitae, 55/1, 2000, pp. 81-98 ; G. Routhier, “La réception de Vatican II par le mouvement catéchétique”, dans Lumen Vitae, 64/4, 2009, pp. 397-416 ; D. Villepelet, “Le concile Vatican II et la question de la transmission de la foi”, dans L. Villemin (Dir.), Des théologiens lisent le concile Vatican II : Pour qui ? Pour quoi ?, Paris, Bayard, 2012, pp. 159-177. Signalons le premier chapitre du Directoire Général pour la Catéchèse publié par la Congrégation pour le clergé en 1997 qui intègre bien les nouveautés de Dei Verbum. Également le premier chapitre d’E. Alberich et al., Les fondamentaux de la catéchèse, Montréal/Bruxelles, Novalis/Lumen Vitae, 2006, pp. 21-47.
  • [2]
    Catéchisme catholique, Québec, Édition canadienne, 1955, pp. 15-16, 150.
  • [3]
    Les conciles œcuméniques, Tome II-2, Les décrets. Trente à Vatican II, Paris, Cerf, 1994, p. 1639.
  • [4]
    Ibid., p. 1641.
  • [5]
    Catéchisme catholique, op. cit., p. 226.
  • [6]
    Cl. Geffré, “Esquisse d’une théologie de la Révélation”, dans P. Ricœur et al., La révélation, coll. Publications des facultés universitaires Saint-Louis, n° 7, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, 1977, p.179.
  • [7]
    Les conciles œcuméniques, Tome II-2, Les décrets. Trente à Vatican II, Paris, Cerf, 1994, p. 1973.
  • [8]
    H. Bouillard, “Le concept de révélation de Vatican I à Vatican II”, dans J. Audinet et al., Révélation de Dieu et langage des hommes, coll. Cogitatio Fidei, n° 63, Paris, Cerf, 1972, p. 44.
  • [9]
    R. Latourelle, “Dei Verbum”, dans R. Latourelle et R. Fisichella (Dir.), Dictionnaire de théologie fondamentale, Montréal/Paris, Bellarmin/Cerf, 1992, p. 231.
  • [10]
    Cf. Chr. Theobald, La révélation, coll. Tout simplement, n° 31, Paris, Les Éditions de l’Atelier/Éditions Ouvrières, 2001, p. 36-41.
  • [11]
    Cl. Geffré, “Esquisse d’une théologie de la révélation”, op. cit., p. 180.
  • [12]
    Les conciles œcuméniques, Tome II-2, Les décrets. Trente à Vatican II, Paris, Cerf, 1994, p. 1975.
  • [13]
    Deux publications récentes en catéchèse confirment bien l’importance de ce thème : L. Bressan et G. Routhier (Dir.), Le travail de la Parole, coll. Pédagogie patorale, n° 8, Bruxelles, Lumen Vitae, 2011 (signalons le chapitre de H. Lorenzi “Rencontrer la Parole de Dieu dans la catéchèse”, pp. 81-101), et J. Molinario, Parole de Dieu et Écriture en catéchèse. La résonance de la Parole, coll. Le point catéchèse, n° 2, Paris, Le Sénevé/ISPC, 2011.
  • [14]
    R. Latourelle, op. cit., p. 231.
  • [15]
    Cf. A. Feuillet et P. Grelot, “Parole de Dieu”, dans Vocabulaire de théologie biblique, Paris, Cerf, 1979, pp. 905-914.
  • [16]
    Les conciles œcuméniques, Tome II-2, Les décrets. Trente à Vatican II, Paris, Cerf, 1994, p. 1973.
  • [17]
    Les conciles œcuméniques, Tome II-2, Les décrets. Trente à Vatican II, Paris, Cerf, 1994, p. 1973.
  • [18]
    Cl. Geffré, « Esquisse d’une théologie de la révélation », op. cit., p. 183 ; idée que nous retrouvons aussi dans R. Latourelle, “Dei Verbum”, op. cit., p. 233.
  • [19]
    R Latourelle, op. cit., p. 233.
  • [20]
    Cl. Geffré, “La révélation comme histoire, enjeux théologiques pour la catéchèse”, dans Catéchèse, 100-101, 1985, p. 62.
  • [21]
    Cl. Geffré, “La révélation hier et aujourd’hui. De l’Écriture à la prédication ou les actualisations de la Parole de Dieu”, dans J. Audinet et al., Révélation de Dieu et langage des hommes, coll. Cogitatio Fidei, n° 63, Paris, Cerf, 1972, p. 101.
  • [22]
    Cl. Geffré, “Esquisse d’une théologie de la Révélation”, op. cit., p. 184.
  • [23]
    Ibid., p. 202.
  • [24]
    G. Routhier, “La réception de Vatican II par le mouvement catéchétique”, op. cit., p. 409.
  • [25]
    Cl. Geffré, “La révélation comme histoire”, op. cit, p. 71.
  • [26]
    Ce schéma est emprunté à Edward Schillebeeckx, Histoire des hommes, récit de Dieu, coll. Cogitation fidei, n°166, Paris, Cerf., 1992, p. 82.
  • [27]
    Ibid.
  • [28]
    Cf. Cl. Geffré, “Révélation et expérience historique des hommes”, dans Laval théologique et philosophique, 46, 1990, p. 14.
  • [29]
    Cf. P. Ricœur, “Nommer Dieu”, dans Études Théologiques et Religieuses, 52, 1977, pp. 489-508.
  • [30]
    Cl. Geffré, “La révélation comme histoire”, op. cit., p. 73.
  • [31]
    Les conciles œcuméniques, Tome II-2, Les décrets. Trente à Vatican II, Paris, Cerf, 1994, p. 2169.
  • [32]
    Cf. P. Valadier, “Signes des temps, signes de Dieu”, dans Études, août-sept. 1971, pp. 261-279.
  • [33]
    Cl. Geffré, “Esquisse d’une théologie de la révélation”, op. cit., p. 205.

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